Mosaïques du paysage - Collectif - E-Book

Mosaïques du paysage E-Book

Collectif

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Beschreibung

La protection, la gestion et l'aménagement des paysages impliquent des droits et des responsabilités pour chacun.

La Convention du Conseil de l'Europe sur le paysage a pour objet de promouvoir la protection, la gestion et l'aménagement des paysages, et d'organiser la coopération internationale dans ce domaine. Elle s'applique à tout le territoire des Parties contractantes et porte sur les espaces naturels, ruraux, urbains et périurbains. Elle concerne les paysages pouvant être considérés comme remarquables, ordinaires ou dégradés.

Cette publication présente certaines pensées et propositions pour la mise en œuvre de la convention, et traite d'une "mosaïque" de questions essentielles liées à son devenir. Elle s'inscrit dans un processus de réflexion sur des thématiques majeures concernant l'espace de la vie.

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Mosaïques du paysage

 

 

Pensées et propositions

pour la mise en œuvre

de la Convention européenne

du paysage du Conseil de l’Europe

 

 

Sommaire

 

Cliquez ici pour consulter la table des matières complète, ou allez directement sur l’option « Table des matières » de votre lecteur numérique.

Préface

Le paysage reflète un présent qui interagit avec une mosaïque de traces de mémoire qui ont diverses valeurs symboliques.

Valerio Di Battista

La Convention européenne du paysage du Conseil de l’Europe (STE no 176)1 a pour objet de promouvoir la protection, la gestion et l’aménagement des paysages et de favoriser la coopération internationale. Elle s’applique à tout le territoire des Parties à la Convention et porte sur les espaces naturels, ruraux, urbains et périurbains. Elle concerne aussi bien les paysages pouvant être considérés comme remarquables que les paysages du quotidien et les paysages dégradés. La Convention représente le premier traité international exclusivement consacré à l’ensemble des dimensions du paysage, considéré dans une perspective de développement durable.

Le Conseil de l’Europe poursuit le travail entrepris depuis l’adoption de la Convention en l’an 2000, afin d’examiner et d’illustrer certaines approches du paysage2. Le présent ouvrage, intitulé Mosaïques du paysage – Pensées et propositions pour la mise en œuvre de la Convention européenne du paysage du Conseil de l’Europe, explore certaines manières d’appréhender le paysage et formule des propositions afin qu’une plus grande attention y soit portée

Il rassemble les rapports présentés par des experts du Conseil de l’Europe à l’occasion des conférences du Conseil de l’Europe sur la Convention européenne du paysage, organisées au Palais de l’Europe à Strasbourg les 23 et 24 mars 2017, les 6 et 7 mai 2019, et 26 et 27 mai 2021. Les représentants des gouvernements et des organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales ayant participé à ces réunions ont pu débattre des sujets traités et progresser dans la mise en œuvre de la Convention3.

Les experts ayant contribué à la réalisation de cet ouvrage sont bien vivement remerciés pour la qualité de leurs réflexions et de leurs propositions :

Valerio Di Battista – Vers une grammaire des paysages européens ;

Régis Ambroise – Dessiner des paysages agricoles pour un développement durable ;

Patrice Collignon – Le paysage des territoires ruraux en transition énergétique, agricole et démographique ;

Mauro Agnoletti – L’Observatoire du paysage de la Toscane ;

Carmine Nardone – Le Manifeste pour la beauté des paysages ruraux ;

Jean Noël Consalès – Urbanisation, urbanisme et paysage ;

Félix Kienast – Une présentation des approches intégrées pour le suivi des paysages ;

Barry Hynes, Valentin Riehm, Maguelonne Déjeant-Pons, avec la contribution de Enrico Buergi – Expériences de fonds publics concernant le paysage ;

Yves Luginbühl – Paysage et responsabilité ;

Michael Oldham – Reconnaissance professionnelle des architectes paysagistes ;

Claire Cornu – La pierre sèche dans le paysage, ancestrale et innovante pour des territoires durables ;

Gerhard Ermischer – Marcher dans le paysage ;

Klaus Fürst-Elmecker – Formes traditionnelles de pensée et de spiritualité ;

Michael Oldham, avec la contribution de Ana Luengo, Niek Hazendonk, Leor Lovinger, Indra Purs : Paysages urbains et changement climatique – la contribution des architectes paysagistes à l’amélioration de la qualité du cadre de vie ;

Régis Ambroise – Paysage et responsabilité des acteurs pour un développement durable et harmonieux.

Maguelonne Déjeant-Pons

Secrétaire de la Convention européenne du paysage, chef de la Division du paysage, de l’environnement et des risques majeurs, Conseil de l’Europe

Sanja Ljeskovic Mitrovic

Vice-ministre du Développement durable et du Tourisme, Monténégro, présidente de la 10e Conférence du Conseil de l’Europe sur la Convention européenne du paysage

Krisztina Kincses

Conseillère gouvernementale principale, ministère de l’Agriculture de la Hongrie, présidente de la 11eConférence du Conseil de l’Europe sur la Convention européenne du paysage

1 Adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à Strasbourg le 19 juillet 2000, la Convention européenne du paysage – à présent intitulée « Convention du Conseil de l’Europe sur le paysage » (https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/176, STE no 176) – a été ouverte à la signature des États européens à Florence le 20 octobre 2000. Un Protocole portant amendement à la Convention (https://www.coe.int/web/conventions/full-list?module=treaty-detail&treatynum=219, STCE no 219), entré en vigueur le 1er juillet 2021, a pour objet de promouvoir la coopération européenne avec des États non européens qui souhaiteraient mettre en œuvre les dispositions de la Convention, en ouvrant celle-ci à leur adhésion.

2 Voir les ouvrages précédents : Paysage et développement durable – Les enjeux de la Convention européenne du paysage, Éditions du Conseil de l’Europe, 2006 ; Facettes du paysage – Réflexions et propositions pour la mise en œuvre de la Convention européenne du paysage, Éditions du Conseil de l’Europe, 2012 ; Dimensions du paysage – Réflexions et propositions pour la mise en œuvre de la Convention européenne du paysage, 2017. www.coe.int/fr/web/landscape/publications.

3 Rapports des conférences : documents CEP-CDPATEP (2017) 19 ; CEP-CDPATEP (2019) 20 ; CEP-CDPATEP (2021) 16. www.coe.int/fr/web/landscape/conferences.

Chapitre 1 Vers une grammaire des paysages européens

ValerioDi Battista, expert du Conseilde l’Europe

Professeur émérite de technologiearchitecturale, vice-doyen de lafaculté d’architecture et desociété de l’École polytechnique de Milan et directeur national de laRecherche.

Introduction

Une vision systémique

L’état de l’art en matière d’études paysagères, dans la recherche académique et sur le terrain, rassemble un ensemble de connaissances (littérature, programmes et projets paysagers) fournies par de nombreux contributeurs et provenant d’approches si diverses qu’elles sont parfois à la fois disparates et contradictoires. Cela montre la nécessité d’orientations méthodologiques plus conformes aux concepts de la Convention européenne du paysage du Conseil de l’Europe, et donc plus proches d’une vision systémique.

La Convention reconnaît le rôle essentiel du paysage dans la relation fondamentale que les populations entretiennent avec leur cadre de vie. Elle indique : « “Paysage” désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations » (article 1.a).

La prise en compte du paysage transcende le domaine des « experts » et de la spécialisation, et nécessite une interprétation et des décisions éclairées qui doivent, dans la mesure du possible, être partagées, afin de confirmer la nature du paysage en tant qu’œuvre collective ouverte, continue, riche de la symbolique et du sens nécessaires à l’existence.

C’est dans ce contexte que ce rapport a été entrepris, afin de commencer à systématiser certaines références méthodologiques (principalement axées sur la théorie) et, à partir de là, d’identifier des orientations méthodologiques (axées sur la mise en œuvre). Les concepts généraux énoncés devraient pouvoir être appliqués à différents cadres culturels et contextes opérationnels.

Dans la logique d’une interaction étroite entre connaissances et décisions, les phases d’analyse et de projet se complètent tout au long de l’intervention planifiée. Il s’agit de développer des approches collaboratives et interactives entre les autorités publiques, les professionnels et le public, afin de promouvoir des actions et des réalisations en faveur du paysage. Il s’agit de faciliter des processus ouverts, continus et interactifs qui donnent de meilleures perspectives et des conditions propices à l’auto-organisation.

La valeur symbolique du paysage

De nos jours, le paysage, en tant que forme symbolique, peut assumer le rôle que la perspective jouait pour les gens de la Renaissance (Panofsky 1927). Selon Guido Neri, dans l’optique de Panofsky :

deux conceptions essentiellement différentes ont vu le jour.... L’une qui correspond à l’objectivisme disjoint, contradictoire, « fini » du monde antique, et l’autre qui correspond au subjectivisme moderne homogène et « infini »... et cela nous accompagnera jusqu’au début de ce siècle (Neri 1961).

De même que la perspective est devenue à l’époque une forme symbolique en ce qu’elle exprimait une certaine conception du monde, le paysage véhicule aujourd’hui un concept ouvert, complexe, discontinu dans ses signes et ses significations, et aussi instable, mais continu dans le temps. Le paysage en vient à représenter une « réalité » relative qui correspond à certaines interactions cognitives avec les progrès de la connaissance et le langage de l’art contemporain. Il assume désormais un rôle culturel et opérationnel très pertinent. Se référer aux perceptions des populations permet l’émergence d’un nouvel équilibre des usages, des décisions et des actions impliquant le paysage, tout en ouvrant d’autres perspectives, dont certaines peuvent être difficiles à accepter.

Il est possible d’identifier des contradictions et des divergences entre les différentes approches, ainsi qu’entre ces approches et les pratiques opérationnelles quotidiennes appliquées dans les paysages. Ceci est le résultat d’une culture de la séparation – voir le paradigme cartésien (distinction entre res cogitans et res extensa) examiné de manière critique dans Morin 1999 – et de notre double rôle de bénéficiaires et d’opérateurs du paysage. L’être humain est ainsi porteur de concepts, d’opinions et d’actions qui ont toujours un impact sur le paysage. Cet impact est un résultat non intentionnel des actions et interactions cumulées de processus aléatoires, qui dissipent souvent l’énergie, la cohérence et d’autres ressources matérielles et immatérielles. Il existe également des éléments cohérents qui expliquent les valeurs positives de nombreux paysages spontanés, créés par l’homme, et de processus à partir desquels des formes d’auto-organisation ont émergé (Gutkind 1958).

Ces remarques préliminaires, ainsi que la correspondance du paysage avec les « identités basées sur le lieu » de la psychologie environnementale (Bonnes et Secchiaroli, 2005), suggèrent qu’une plus grande attention devrait être accordée aux différents types de processus non intentionnels.

1. Références méthodologiques

L’expérience du paysage

Le concept de paysage tel qu’il est perçu par les populations implique de prendre en compte l’ensemble des références cognitives qu’ont les notions de « territoire » et d’« environnement », en les complétant par des valeurs symboliques que ces références ne possèdent pas (Changeux, 2012).

Qui observe quoi ?

Le public – les individus et les groupes sociaux, avec leurs récits et leurs représentations, ainsi que les organismes et institutions scientifiques – sont tous des systèmes engagés dans l’observation, des systèmes qui décrivent et utilisent les paysages et prennent des décisions et des actions les concernant. Ils ont différents niveaux d’expertise et de conscience. Certains dirigent et gèrent des processus et des projets intentionnels. Tous sont des utilisateurs du paysage et sont parfois des acteurs involontaires.

Qu’observons-nous ?

Le paysage est le système de signes et de significations qui nous entoure. L’expérience sensorielle du paysage est globale. En d’autres termes, ce que nous voyons est accompagné de sons, de bruits, de parfums ou d’odeurs dans une dimension multiscalaire. Par « multiscalaire », nous entendons la coexistence perceptive de signes très et/ou assez proches, avec des signes assez et/ou très éloignés. C’est l’image unique que l’être humain construit à partir de toutes les visions et représentations disponibles (dans les cartographies informatisées, il est possible d’utiliser des effets de zoom ou une vision depuis différents points). L’être humain est toujours et uniquement entouré de paysages.

Comment observons-nous ?

Les paysages ne peuvent être observés qu’en parcourant un territoire. Les vues aériennes, satellitaires ou cartographiques, décrivant des positions et des distances qui ne sont pas identifiables par l’observation directe, sont des descriptions opérationnelles nécessaires, mais elles ne correspondent pas à la perception des bénéficiaires, car elles ne parviennent jamais à retrouver l’impact émotionnel et cognitif de la perception directe.

Les territoires et l’environnement sont analysés à l’aide d’une variété de méthodes issues de nombreuses disciplines scientifiques – environnementales, anthropologiques et économiques – à travers différentes approches (perceptive-visuelle, psychologique, sociale, historique et culturelle, descriptives). Ces dernières sont principalement associées à des représentations picturales, photographiques et littéraires. Toutes ces approches fournissent des connaissances précieuses, mais parce qu’elles sont partielles et disparates, elles peinent à saisir l’intégralité d’un système. Comme ce schéma d’unités isolables agissant dans une causalité à sens unique s’est révélé insuffisant dans la science moderne, les notions de globalité, holistique, organisationnelle ou de Gestalt, ont exprimé la nécessité de penser en termes de systèmes d’éléments en interaction mutuelle (Bertalanffy, 1968 ; voir également Farina, 2006).

Visibilité et perception visuelle

La visibilité concerne la vue telle qu’elle est observée, libre de toute signification et valeur. Son évaluation à l’échelle d’un territoire est essentielle pour identifier les différentes faiblesses visuelles (zones visibles ou non visibles depuis des points donnés). Elle peut être réalisée par une analyse ou une interprétation : indirecte (la visibilité est évaluée à l’aide de bases cartographiques et de différents types de représentations, comme des photos ou des vidéos) ; directe (elle est réalisée sur le terrain par des experts avec des représentants de la population) ; passive (elle tient compte des modes et des probabilités d’être observé).

Au-delà de la visibilité

Reconnaissance

La reconnaissance est essentielle pour une perception complexe. Elle permet à une personne d’identifier et d’attribuer une valeur (un nom et une signification) aux différents paysages. La reconnaissance associe sensations et mémoire, active les fonctions cognitives et organise les jugements complexes à partir de la délimitation de la zone d’observation.

Délimitation

La fonction première de l’information visuelle, pour l’être humain comme pour les animaux, est de permettre la reconnaissance et la délimitation d’un territoire à des fins de survie (alimentation, sécurité, bien-être). De nos jours, pour les êtres humains, délimiter les frontières implique de reconnaître le contexte des interactions sociales, émotionnelles et identitaires.

Un contexte se définit par des caractéristiques physiques particulières dans lesquelles les participants sont engagés dans des activités particulières, des rôles particuliers, pendant une période particulière. Les facteurs de lieu, de temps, de caractéristiques physiques, d’activités, de participants et de rôle constituent les éléments du contexte (Bronfenbrenner, 1979).

Documentation

La perception visuelle d’un territoire n’est pas complète sans la prise en compte des nombreuses informations et du cadre descriptif ou interprétatif généralement disponibles. Chaque lieu est un référentiel culturel d’informations qu’il serait par ailleurs utile de collecter et d’organiser (documents cartographiques et autre documentation provenant de musées, d’écomusées et autres sources). La documentation peut être informative, descriptive ou interprétative.

La plupart du temps, des documents informatifs ou descriptifs existent déjà. Cependant, ils sont parfois difficiles à identifier ou ne sont pas toujours connus. Ils peuvent également être discontinus, dans le temps ou au regard des arguments présentés. Cependant, ils sont toujours utiles et peuvent être mis à jour.

La documentation interprétative concerne les textes historiques et littéraires, des représentations picturales, photographiques et filmées et autres. Le récit et l’iconographie, y compris les interprétations modernes, offrent d’importants points de comparaison historiques et géographiques.

Identification

Ce qui est visible ou invisible permet d’identifier des lieux et rappelle les lois de la Gestalt. Les occurrences, les quantités, les caractéristiques physiques (spécificités, géométrie, dimensions, matériaux, couleurs) et leur disposition donnent au système son nom et son sens premier (par exemple un paysage agricole, urbain, marin, de montagne ou fluvial). Prenons un paysage dans lequel se trouvent une plaine, une rivière et une colline. L’observateur estime qu’il est dans une plaine ou une colline en fonction du lieu à partir duquel il observe (loi de la proximité). Mais si, par exemple, il se trouve dans une plaine, dans une grande vallée au milieu des montagnes, il identifiera le paysage comme montagneux (loi de la prégnance). De même, il définira le paysage comme étant uniquement fluvial s’il voit la rivière ou a le souvenir d’en être proche même sans la voir (loi de l’expérience passée). Les mêmes paysages, dans une vision indirecte, perdent ces dénotations.

Les caractéristiques visuelles, temporelles et associatives d’un paysage représentent des facteurs structurants qui permettent d’identifier un paysage en organisant les nombreuses variables qui le composent (Norberg-Schulz, 1979 ; Lynch, 1960). Elles déterminent ses composantes dominantes en lui donnant une spécificité.

Les caractéristiques visuelles dérivent de signes : formes, figures, volumes, surfaces (planes, inclinées, concaves, convexes), textures (épaisses, fines), profils, lignes, points, qui configurent les éléments (sol, eau, arbres, nuages, constructions, routes, bâtiments) dans des conditions d’observation (directions, lumière, ombres) et en matière de distance, d’horizon, de limites, de position, de dimensions, de matériaux ou de couleurs.

Les caractéristiques temporelles dérivent des périodes d’observation (durée, fréquence, nature cyclique de l’utilisation, perceptions dynamiques, conditions saisonnières, cycle diurne), ainsi que de la mémoire visuelle et culturelle accumulée. Cette dernière est déterminée non seulement par les différentes durées de vie au sein des systèmes observés, mais aussi par les différentes identifications faites par des observateurs. Par conséquent, le paysage reflète un présent qui interagit avec une mosaïque de traces de mémoire qui ont diverses valeurs symboliques.

Les caractéristiques associatives sont observées par des associations d’images (des vues qui se « ressemblent » peuvent être perçues comme ayant des significations similaires) ou de situations (des vues peuvent prendre un sens ou varier en fonction de situations ou d’événements particuliers vécus ou remémorés : synchroniques, diachroniques, mnémoniques).

Intervisibilité

L’être humain voit, dans chaque paysage, des espaces (ouverts, fermés ou autre), ainsi que de nombreuses « choses ». Leurs combinaisons changent avec les conditions d’observation visuelle (positions, type de mouvement, variations saisonnières, luminosité), qui interagit avec les autres sens, avec la mémoire (émotions et connaissances), ainsi qu’avec différentes intentions et informations, ce que traduit la notion d’« intervisibilité ».

Du fait de l’importance des expériences visuelles, toute analyse de paysage doit considérer la question de l’intervisibilité, directe et indirecte. Il convient de procéder à des cartographies de vues, de et en différents lieux. Le traitement des informations qui en résulte doit tenir compte de la perception directe, la plus commune, que chaque personne a de son paysage et de son lieu de vie. Il est important de ne pas restreindre l’appréciation du paysage aux seuls éléments remarquables et de ne pas mettre d’obstacles entre la connaissance et l’expérience, entre l’usage et la réglementation.

Il convient d’appliquer les méthodes d’intervisibilité indirecte, tout en les intégrant aux perceptions d’intervisibilités directes locales.

L’interprétation des conditions de l’intervisibilité d’un territoire permet de réguler l’observation par rapport à ce que l’on veut percevoir, et d’améliorer la perception du système fonctionnant à travers les vues et à travers les champs de vision avec des accentuations, des corrections et des réductions des conditions de visibilité.

L’analyse de l’intervisibilité (indirecte et directe) est une base de travail nécessaire à l’accomplissement de nombreuses opérations (identification des sensibilités paysagères d’un territoire ; sélection de vues panoramiques avec différents degrés d’aptitude ; sélection de champs de vision actifs et passifs, comme base du fonctionnement du paysage ; valorisation de paysages, naturels, ruraux ou urbains, avec la création de chemins et de points d’arrêt).

En travaillant essentiellement sur la question de la perception, ces différentes options permettent de concevoir un projet de paysage sans que le paysage en tant que tel soit transformé, et de l’améliorer en tenant compte de ses caractéristiques.

La perception complexe

Qualification

Chaque paysage offre une multitude de stimuli primaires nécessaires à la survie (usage, sécurité) – « Il s’agit de comprendre les relations ambivalentes qui se tissent entre les éléments du paysage et le corps » (Galimberti, 2010) –, et donne des informations permettant de reconnaître des lieux, des éléments, et nous-mêmes.

Le « lieu » fait référence au caractère essentiel d’un endroit qui le différencie de tous les autres. Le « lieu » est la façon dont les dimensions du paysage se combinent et se localisent pour donner un environnement distinct et un sentiment de localité particulier (Cante, 1984).

En tant que « systèmes observateurs », nous recueillons, sélectionnons, élaborons, mémorisons, confrontons les stimuli et les informations visuelles que nous utilisons pour contrôler les réactions instinctives, activer des émotions et des « sentiments », et accumuler des connaissances (Peirce, 1980). Mallgrave dit des émotions que selon la plupart des définitions, elles précèdent notre conscience des sentiments et codent initialement si un environnement est agréable ou non (Mallgrave, 2013).

L’interprétation des interactions entre les positions (proche/lointain, en dessous/au-dessus), les configurations dominantes (paysage de montagne ou paysage urbain) et les caractéristiques dominantes (collines boisées, construction dense, plaines ouvertes à cultiver) suggère des formes de reconnaissance (connue/inconnue) et d’identification, et génère les « premières impressions », appréciations et dénotations (paysage harmonieux ou discordant, cohérent ou incohérent ; approbation, indifférence ou désapprobation ; sécurité ou danger ; bien-être ou gêne) que l’on peut avoir d’un paysage.

Dans le paysage, ces formes de reconnaissance et d’appréciation concernent toujours de nombreux observateurs aux différents degrés d’expertise. Les individus développent différents niveaux d’appréciation et de bien-être. Les professionnels (analystes, décideurs, opérateurs) ciblent leurs appréciations pour confirmer ou modifier leurs intentions et donc exprimer des dénotations conscientes. Les professionnels et les habitants d’un lieu (souvent les mêmes personnes) interfèrent constamment dans leurs qualifications mais se rencontrent avec difficulté. L’expert perçoit le paysage (systèmes et sous-systèmes abiotiques, biotiques et humains) en utilisant des méthodes scientifiques qui « colorent » le paysage sur la base de leurs propres contenus et termes. Cependant, il existe également des contributions pluridisciplinaires traitant des problèmes spécifiques de chaque territoire qui utilisent un langage mutuellement convenu résultant de la comparaison des qualifications.

Ces dénotations inconscientes et conscientes, dont le degré d’intention varie, incluent des processus de conservation ou de transformation du paysage avec des cohérences ou des incohérences internes, disparates et variables.

L’attribution des valeurs dépend d’un grand nombre de variables individuelles (connaissances, motivations, conditions physiques et psychologiques) et sociales (modèles culturels, coutumes, appréciations partagées).

Les valeurs les plus communes attribuées au paysage sont d’ordre esthétique : approbation et acceptation (beau, agréable) ; indifférence (banal, insignifiant) et la désapprobation et le rejet (laid, désagréable).

En fait, il y a plus de valeurs mixtes impliquées. Les valeurs subjectives (affectives, émotives) et sociales (naturalistes, religieuses, liées à la culture matérielle et immatérielle) reflètent le consensus local et les modèles culturels dominants et forment ensemble la perception complexe d’un lieu (Donadieu et Périgord, 2007).

Perception par la population

Une première approche de la participation du public envisage « un effort conjoint entre les universitaires dans les domaines des sciences naturelles et humaines, les planificateurs, les administrateurs et les populations locales ; un effort d’éducation et de formation, lié à des projets sur le terrain » (MAB, 1988 ; Bonnes et Secchiaroli, 2005). La perception d’un paysage est un processus cognitif et comprend la reconnaissance, l’identification et la qualification (Bateson, 1979 ; Maturana, Varela, 1980 ; Varela, Shear, 1999 ; Neisser, 2014). Elle se produit de différentes manières et à différents niveaux d’interaction entre les observations « savantes » et sociales, et entre les perceptions expertes et émotionnelles (CM, 2008 : II.2.1 ; Changeux, 2008). Dans tous les cas, elle fournit des analyses interprétatives essentielles pour exploiter les signes et les significations du paysage.

Chaque paysage apporte une grande quantité d’informations dont la sélection et le décryptage dépendent de ce que nous voulons savoir, de ce que nous savons déjà et des niveaux d’implication émotionnelle.

De nombreux acteurs (aux âges, activités et intérêts divers), ainsi que de nombreuses structures (politiques, administratives, scientifiques) – aux expériences, compétences et intérêts divers et variés, sinon conflictuels –, procèdent à des observations ciblées, en fonction de leurs motivations spécifiques.

Souvent, chacune de ces observations a pour effet de limiter les relations émotionnelles et les expériences qui génèrent des processus cognitifs, mais, prises dans leur ensemble, elles offrent une perception composite, bien que souvent spécifique. Le cheminement qui va de la perception « élémentaire », à la perception « complexe », puis « interactive », traduit de façon simplifiée mais réelle le débat scientifique entre sciences cognitives et sciences neurologiques. « À travers le paysage, il y a cet échange entre l’homme et l’environnement par lequel se fait l’adaptation (qui est aussi et surtout psychologique et mentale) de l’homme à son propre monde ». (Turri, 1974)

Tous les individus, en tant que bénéficiaires du paysage, décrivent des perceptions globales (sensorielles, psychologiques, émotionnelles, agréables, bénéfiques, économiques, etc.) et mentionnent toujours, individuellement ou en tant que communauté, leur cadre de vie. La perception sociale qui découle des diverses observatins et expériences locales est donc toujours hétérogène, incertaine et fluctuante. Elle repose sur les reconnaissances de la perception visuelle, mais est influencée par les identifications d’experts et varie en ce qui concerne les qualifications générales, souvent imprécises et parfois porteuses d’idées préconçues. L’analyse de cette perception est toutefois nécessaire, car elle représente le point de départ des actions qui produisent et modifient les paysages.

Population et experts

Chacun est à la fois usager et acteur du paysage (CM, 2008 : II.2.1). Chacun gère les espaces et les éléments du paysage dans lequel il vit. Chacun prend soin de « son » espace privé et/ou le modifie (choix des couleurs, objets, dispositions) et interagit avec l’espace public (en plantant des fleurs, mais aussi en jetant des déchets).

En tant qu’observateurs, les usagers et acteurs du paysage ont l’impression de proposer des descriptions du paysage sectorielles ou insuffisantes. Ce sentiment peut susciter des méfiances, conduisant à écarter la reconnaissance du concept de paysage comme bien commun important. Les différences de perception, de motivation et de langage peuvent provoquer des malentendus entre le public, les experts et les institutions.

Usage utilitaire

L’usage utilitaire est toujours l’une des raisons de l’interaction entre le public et les espaces de vie (milieux, territoires, paysages) et revêt souvent des valeurs symboliques (Magnaghi, 1998). Des variations de facteurs, dans le lieu et dans le temps, interagissent avec toutes les caractéristiques du paysage et ont des implications quantitatives et qualitatives avec les valeurs symboliques positives et/ou négatives du paysage.

Les usages utilitaires et symboliques sont toujours présents et dérivent de motivations individuelles et sociales (activités, intérêts, opportunités, manifestations d’appartenance, richesse, pouvoir). Ils varient selon leurs causes et leurs niveaux d’intensité ; ils sont aléatoires ou se construisent et génèrent des habitudes (inertie), deviennent des coutumes locales (pas toujours positives), mettent en évidence des liens et offrent des degrés de liberté. Ils produisent des rencontres positives (expériences partagées) et négatives (rejets), des relations sociales propices à la coopération, mais aussi au conflit.

La personne en tant qu’agent social cherche et crée des sens dans l’environnement […] un second aspect important concerne la compréhension des interrelations entre environnement d’un côté et formation et maintien des groupes de l’autre (Saegert, Winkel, 1990).

Cohérence entre les interactions

Dans les paysages, nous pouvons percevoir des signes et des éléments d’information avec une signification cohérente (généralement compréhensible et bien acceptée) ou incohérente (difficile à saisir et avec un faible niveau d’acceptation).

Les difficultés de cohérence entre les intentions des différents acteurs, les décalages entre les interprétations expertes et les perceptions pratiques, entre les valeurs utilitaires et les valeurs symboliques ou émotionnelles associées aux espaces de vie engendrent, involontairement, des processus non intentionnels.

La perception d’un paysage, ainsi que son concept, fluctue donc avec l’instabilité des interactions entre des systèmes qui manquent de cohérence. Mais cet état même d’instabilité pourrait générer une auto-organisation.

Les conditions et les niveaux d’incohérence – présence de signes montrant des configurations ou des matériaux incompatibles avec le contexte – peuvent perturber la perception (visuelle et issue des dénotations). L’incohérence visuelle résulte de signes et de significations qui diminuent ou déforment les valeurs du système, comme cela se produit, par exemple, avec un élément « désaccordé » dans un morceau de musique ou une œuvre littéraire.

Processus intentionnels et involontaires

Différents processus d’analyses, de décisions ou d’actions sont à l’œuvre dans les paysages : intentionnels, partiellement régulés (« effets implicites ») ou non intentionnels (spontanés, hétérogènes et disparates). Les projets intentionnels sont des projets (gérés par des institutions ou des opérateurs) qui sont soutenus par des techniques de planification, d’ordonnancement et de conception avec des relations de cause à effet efficaces et efficientes. Dans les processus partiellement réglementés, les règles et les programmes ne génèrent pas de relations sûres et certaines, mais permettent de réaliser des probabilités (effets implicites) (Dematteis, 2007). Les projets non intentionnels sont fortement axés sur les émotions et ont des relations de cause à effet incertaines. La psychologie sociale définit les processus « spontanés » comme ceux qui se produisent « sans aucun effort cognitif et sans réflexion approfondie ; les attitudes sont automatiquement déclenchées et ont une influence directe sur le comportement. Plus les attitudes sont accessibles, plus le comportement spontané est prévisible » (Boca et al., 2010).

Tous ces processus interagissent les uns avec les autres dans l’espace et dans le temps, engendrant un enchevêtrement de relations indéterminées, imprévisibles et seulement partiellement contrôlables – en d’autres termes, un processus essentiellement non intentionnel. Cela peut susciter des difficultés et nécessiter l’élaboration de nouveaux concepts, de nouveaux niveaux d’interprétation et des modes d’organisation des actions, qui à leur tour ont un impact sur le concept du projet.

Les processus intentionnels peuvent également, dans leur ensemble, provoquer des événements non intentionnels. Cela signifie qu’il est très restrictif d’appliquer au paysage la logique et les procédures d’un projet intentionnel. Aucun projet intentionnel ne peut résister à la puissance du processus non intentionnel qui a un effet continu sur le paysage. Les paysages contemporains créés par l’homme semblent en grande partie provenir de processus mondiaux involontaires, guidés par des modèles culturels (produits, techniques disponibles, coutumes et goûts) qui deviennent de plus en plus homogènes et standardisés.

Les processus non intentionnels ont facilement des effets négatifs : banalisation, « bruit », gaspillage, négligence. Ils reflètent également le rejet culturel et les limites des modèles dissipatifs. Cependant, dans certains cas, une forte interaction entre la communauté et les caractéristiques naturelles des lieux a donné naissance à des paysages involontaires avec une cohérence significative entre les éléments architecturaux et le paysage (Rudofsky, 1964).

Il est donc encore possible d’envisager que des processus qui se développent de manière plus consciente puissent améliorer les conceptions et les comportements dans le rapport entre l’homme et le territoire, l’environnement et le paysage.

Le projet de paysage

Questions

Le paysage présente toujours une accumulation de projets. Certains d’entre eux sont intentionnels, menés par des spécialistes techniques (infrastructures, constructions), ayant souvent un impact sur le paysage environnant et toujours sur le paysage proche, et produisant, dans l’ensemble, des résultats non intentionnels.

De nombreux projets suivent la tendance culturelle de la « nouveauté » qui sous-estime très souvent l’importance d’une bonne connaissance des interactions physiques et dénotatives encore présentes dans chaque lieu. Cependant, une prise en compte insuffisante de l’histoire des lieux génère plus souvent des attitudes d’indifférence, voire des erreurs au niveau local.

Comment en sommes-nous arrivés au point de condamner la théorie et la pratique de la construction comme les symboles de tout ce que nous considérons le plus destructeur […] de la pire laideur, vénalité sordide […] énormes projets qui détruisent la vie de l’homme ordinaire, malveillance organisée qui n’est atténuée par aucune valeur sociale ? (Blake, 1978)

Il convient dès lors d’adopter une approche de projet privilégiant la culture de l’existant (Battista, 2006).

Cette approche comprend des analyses – allant des analyses perceptives à l’identification, la qualification et finalement aux diagnostics opérationnels – et des stratégies pour planifier les interventions et sélectionner des pratiques opérationnelles plus adaptées.

Paysages uniformisés

De nos jours, de nombreux paysages reflètent une forme omniprésente de déclassement par la normalisation, qui se produit à deux niveaux parallèles : la négligence des paysages existants et l’arrogante banalité de nouveaux paysages. Les paysages existants (naturels ou anthropisés) incarnent des valeurs identitaires, qui se fragilisent lorsque les formes d’usage et d’appréciation qui prévalent résultent de nouveaux types de consommation (tourisme de masse). Le « nouveau » est souvent accepté comme tel, même s’il est agressif dans un contexte.

Les paysages urbains se ressemblent de plus en plus dans le monde, et il est significatif que cela affecte autant les zones à valeur immobilière potentiellement élevée que des bidonvilles. Trop souvent, seules les zones préexistantes ont encore des caractéristiques distinctives ; cependant, partout, des transformations assez similaires ont lieu.

Les paysages ruraux sont marqués par la présence envahissante de monocultures, de nouvelles installations de production (hangars), de systèmes énergétiques et d’habitations (logements et petits immeubles).

Participation

La présence de processus non intentionnels dans le paysage nécessite une participation du public. Aujourd’hui, celle-ci a lieu principalement pendant les phases analytiques, mais est peu présente dans le processus de décision. Cela montre la prévalence des modèles ascendants, qui ne semblent surmontables qu’à petite échelle, par exemple dans un village ou un quartier où il est plus facile d’initier des analyses participatives du paysage existant et d’impliquer les utilisateurs dans les décisions et les processus opérationnels.

Même dans ces cas, la participation nécessite que les « facultés » soient aussi réceptives que possible, et un élargissement de l’appréciation – qui, en plus de l’appréciation visuelle, émotionnelle et symbolique, embrasse toutes les autres valeurs (propriété, utilisation, disponibilité, efficacité, performance, économie, relations sociales). Cet élargissement de l’appréciation englobe des décisions qui sont l’apanage de ceux qui ont des mandats politiques et techniques, et modifie la culture du projet.

Méthodes

La culture de l’existant

Dans la culture de l’existant, nous sommes tout aussi responsables qu’acteurs et usagers de ce qui nous entoure (maisons, rues, quartiers, villages et territoires). En ce qui concerne le paysage, la culture de l’existant (en termes d’analyse et de qualification) nécessite des connaissances d’experts et la perception de la population :

La participation implique une communication dans les deux sens, des experts et des scientifiques vers les populations et vice versa. Les populations possèdent des connaissances empiriques (savoirs locaux et naturalistes) qui peuvent être utiles pour compléter et relativiser les savoirs savants (CM, 2008 : II.2.3. A).

Les analyses fournissent la structure des qualifications qui définissent les objectifs. Ce processus (analytique/décisionnel) se fait par des moyens intentionnels (informés et experts) et non intentionnels (spontanés, peu informés), qui coexistent mais ne collaborent pas.

Tout projet doit donc se fonder sur la situation existante et considérer que chaque action entreprise affecte et produit le paysage (Morris, 1881). L’évaluation de projets doit constamment guider la projection de ce qui va être, la vision du futur. Le projet organise un processus (intention, préparation des actions, mise en place, contrôle des résultats et tout retour d’expérience) qui fournit un contexte spécifique pour les relations de cause à effet. Ce concept permet d’obtenir de meilleurs résultats, basés sur quelques variables et des objectifs simples. Dans le cas d’éléments complexes, le projet organise des processus séparés. Cette procédure, lorsqu’elle est appliquée aux villes, aux territoires et aux paysages, s’avère insuffisante pour réguler des processus indéterminés et obtenir les résultats souhaités (Dematteis, 2007).

Le projet à partir de l’existant

Ce concept permet de s’inspirer de certaines procédures établies dans le domaine de l’architecture (ANCSA, 1986), afin de prendre en compte les éléments suivants dans un contexte paysager :

la connaissance et l’évaluation des conditions d’utilisation (diagnostic) ;

la prise en compte de la diversité des personnes, de leurs rôles et des nécessités ;

la complexité des processus (interactions, durées, instabilité) ;

la complexité des choix à opérer entre conservation et transformation, identité et utilité ;

les procédures itératives impliquées dans le diagnostic et la prise de décision ;

la nécessité d’orientations pragmatiques, participatives, ouvertes et continues.

Dans le paysage, comme dans l’environnement bâti, apparaissent des processus continus et diffus qui reflètent les organisations sociales, les méthodes de production et les développements culturels, et qui interagissent également avec les systèmes abiotiques et biotiques. La gestion du paysage unifie l’éventail des options politiques et culturelles sur le terrain et nécessite des méthodes opérationnelles compatibles avec les variables à long, moyen et court terme présentes dans les systèmes d’implantation.

Perception interactive et projets involontaires

Le paysage implique toutes les conditions environnementales (climat, sol, eau) et tous les organismes vivants (de la bactérie à l’être humain), et met en évidence, à différentes échelles, des perceptions et des projets interactifs (intentionnels et non intentionnels) qui fonctionnent à des fins, selon des modes, et dans des délais qui sont différents.

Dans ce réseau dense de processus, les objectifs intentionnels ne peuvent pas simplement donner lieu à des instructions et des vérifications ad hoc, mais l’objectif doit être de créer une culture diffuse (matérielle et immatérielle) de compétences et de sensibilités pour guider les processus d’amélioration. Cela nécessite un auto-ajustement progressif (comme en politique et dans les programmes des grands groupes d’entreprises), afin d’identifier des stratégies et de mener des projets.

Stratégies du paysage

Le terme « stratégie » est utilisé pour désigner un processus qui influence les interactions entre tous les individus dans leurs relations (utilitaires et symboliques) avec les différents lieux (paysages, environnements et territoires). Les stratégies paysagères nécessitent des approches « autopoïétiques », à savoir des pratiques flexibles et adaptables à la perception des valeurs et des enjeux critiques dans le contexte opérationnel, en vue d’auto-ajustement et d’intégration de projets intentionnels, d’une atténuation des effets néfastes des facteurs non intentionnels, et du déclenchement de processus d’amélioration.

Il s’agit, en première approximation, de réseaux de processus de gestion (signes, signifiés et utilité) qui, en interagissant entre eux, réorganisent et caractérisent le système (Donato, 2010).

Ce sont des processus difficiles, mais simples à initier en fonction des ressources humaines les plus concernées (presque toujours présentes dans chaque communauté) et des objectifs d’amélioration et/ou de valorisation les plus réalisables. Il convient de procéder par étapes, en impliquant tout à la fois la population et des experts.

Sensibilisation

Les interprétations de l’« intervisibilité » (l’exploration experte des perceptions visuelles) mettent en évidence des valeurs incontestables (zones sensibles et cachées, lieux et biens symboliques) qui peuvent susciter des perceptions de la population devenant progressivement plus complexes et interactives. L’article 6. B (Mesures particulières) de la Convention européenne du paysage recommande des approches qui créent une sorte de complicité, avec le paysage, comme la sensibilisation dans les écoles, les musées et les écomusées (voir CM, 2014).

Évaluation

Afin d’identifier les valeurs et de clarifier les forces et les faiblesses d’une manière ouverte et participative, les méthodes suivantes peuvent être utilisées : analyses FFOM (forces, faiblesses, opportunités et menaces), groupes de discussion, enquêtes, entretiens et « cartes paroissiales » (concept issu des expériences anglophones de cartographie culturelle dans les années 1980). Il est également possible de réaliser des évaluations post-occupation (EPO) ; des procédures similaires peuvent être appliquées en interrogeant les utilisateurs sur la situation des zones qu’ils utilisent, afin de vérifier et de rectifier les faiblesses techniques.

Concevoir des stratégies

Les analyses ci-dessus identifient les domaines nécessitant un examen plus approfondi et suggèrent des priorités et des alternatives pour maintenir les forces et les valeurs positives, et réduire les faiblesses et les valeurs négatives. L’évaluation participative multicritères de ces options peut permettre d’élaborer des stratégies communes.

Politiques de mise en œuvre

Il incombe aux administrations publiques, dans leurs territoires respectifs, de formuler un cadre réglementaire, de fixer des objectifs de qualité, d’adopter des stratégies (communes) à traduire en politiques de mise en œuvre, à court, moyen et long termes (CM, 2008 : II.2.2). En même temps, elles devraient faciliter et initier des formes de participation publique. Cela produira des effets directs (dans les réévaluations, la réutilisation des biens publics) et des effets implicites (induits par les règles), qui peuvent être combinés avec les processus non intentionnels découlant des besoins locaux et de la culture existante.

Suivi

Chaque niveau institutionnel peut, au fil du temps, suivre les résultats positifs et négatifs, mettre à jour les objectifs et ajuster les actions intentionnelles (programmes, plans et projets). Il est important de savoir que chaque décision ou action peut préserver ou modifier, améliorer ou dégrader les signes et les significations du paysage.

Plan et projet ouverts et continus

Les méthodes déjà éprouvées pour l’environnement bâti débouchent sur des programmes rigoureux de diagnostic et de décision itératifs qui expliquent où et quoi préserver et/ou transformer, et comment identifier les différents types d’intervention pour obtenir des résultats compatibles avec les objectifs (Di Battista, 2006). En ce qui concerne la programmation, se référer par exemple à la norme italienne UNI 10914/21 et, en ce qui concerne les projets, se référer aux normes italiennes UNI 11150 (1-2-3-4) et 11151. Dans les différents systèmes paysagers (macro, méso, micro), chacun des acteurs (à son niveau d’influence) détermine des éventualités sur la base d’évaluations du statu quo ; la comparaison des différentes évaluations génère des décisions qui nécessitent une médiation. Si l’évaluation est satisfaisante, elle aura tendance à favoriser la conservation et si elle est insatisfaisante, elle aura tendance à favoriser la transformation.

Les décisions prises concernant le patrimoine existant vont générer des processus avec différents niveaux de motivation et de conscience (intentionnels et non intentionnels) et vont interagir avec les systèmes abiotiques et biotiques, même s’ils sont partiellement contrôlés par des évaluations d’impact environnemental ou des évaluations environnementales stratégiques. Dans un paysage, ces processus reflètent les identités, ainsi que l’état de l’environnement vivant. À cet égard, le paysage offre une occasion unique d’adopter une approche intégrée pour interpréter et régir les interactions matérielles et immatérielles des systèmes d’établissement.

L’amélioration de la qualité et des rôles des parties prenantes

Il s’agit de promouvoir l’amélioration de la qualité et des rôles :

des institutions ayant des responsabilités politiques ou techniques (phases d’analyses expertes, simulations et suivi) ;

des utilisateurs/opérateurs ayant une responsabilité sociale dans l’interprétation des valeurs et des exigences (sociales, économiques, culturelles, psychologiques) et dans d’éventuelles formes d’auto-organisation à la base.

Développer la dialectique coévolutive

Le développement d’une dialectique coévolutive des parties prenantes permettrait de rassembler, à propos du paysage, différentes politiques liées à l’habitat (paysagères, environnementales et territoriales) et de promouvoir un projet ouvert et continu, afin :

d’interpréter des diagnostics, positifs ou négatifs (les diagnostics opérationnels sont encadrés par la stratégie, mais permettent un retour d’expérience) ;

de simuler des choix et de conseiller sur des hypothèses alternatives ;

de réguler des cycles de vie (continuité et/ou changement) des signes et significations présents dans le paysage.

Si une simulation est nécessaire, les logiciels de rendu actuels permettent de présenter des environnements, même des paysages urbains complexes, depuis différents points de vue et à différents niveaux de détail, et de simuler des explorations en se déplaçant dans le modèle.

Au départ, un projet ouvert et continu peut être fastidieux et lent à mener. Il s’accompagne cependant d’un grand nombre d’effets positifs en matière de sensibilisation et de formation, qui sont moins visibles mais essentiels. Ils peuvent en effet contribuer à la valorisation de la qualité des modèles culturels, des techniques utilisées et des « goûts ». Il est utile de définir des orientations méthodologiques permettant d’améliorer les processus non intentionnels qui ont des effets sur le paysage et le cadre de vie.

2. Orientations méthodologiques

Des orientations méthodologiques peuvent être consultées pour tout type de paysage, à toute échelle et avec différents modes de participation. Les orientations méthodologiques présentées ci-après sont des indicateurs ouverts qui peuvent être utilisés ensemble ou séparément, de façon irrégulière ou périodiquement. Il est suggéré de n’utiliser que les approches qui ont une forte probabilité de succès ; il est inutile de perdre du temps avec des résultats inutilisables. Les résultats obtenus pourront ensuite nécessiter des analyses plus approfondies. Elles peuvent être adaptées à la situation spécifique de chaque État ou territoire, en tenant compte du cadre juridique applicable.

La sensibilisation de la société civile, des organisations privées et des autorités publiques est une condition nécessaire afin de renforcer l’attention et l’intérêt portés aux questions de paysage. Le paysage représente en effet une ressource et une opportunité.

Prendre soin du paysage devrait, comme le demande la Convention européenne du paysage, imprégner les processus de formation et d’éducation. Des cours de spécialisation et de recyclage utilisant des méthodes pédagogiques adéquates pour le personnel technique et les professionnels des pouvoirs publics peuvent ainsi s’avérer utiles.

La participation du public est un processus complexe, différent à chaque fois et portant sur une zone délimitée.

Elle implique une reconnaissance des droits et des devoirs des populations à jouer un rôle actif dans les processus d’acquisition des connaissances, de décision et de gestion de la qualité des lieux (CM, 2008 : I.2).

Dans les petits villages, où des associations actives coopèrent avec les autorités, les possibilités de participer à l’ensemble du processus sont plus grandes mais dépendent dans une large mesure de la disponibilité des capacités nécessaires. Dans les centres de taille moyenne et grande, les organismes représentant des intérêts bénéfiques et les associations mieux organisées semblent prédominer.

La présence d’observateurs locaux et le soutien apporté par la recherche universitaire et les activités pédagogiques sur le terrain jouent ici un rôle important. La participation peut être renforcée en impliquant la population dans la collecte de données, le développement de projets et la gestion du paysage. La participation à l’analyse et à l’évaluation des cartes et des stratégies ultérieures peut orienter les politiques (intentionnelles) par une gestion mieux informée, lancer des actions, améliorer les comportements (involontaires) et permettre une interprétation continue des processus en cours. Les observatoires, centres ou instituts du paysage, ainsi que les spécialistes et les professionnels, peuvent soutenir ce travail.

Analyse du paysage

Perception visuelle

Pour définir ce qui est vu dans un paysage, il convient de procéder à des analyses de visibilité permettant de comprendre comment le paysage est perçu, puis de procéder à des qualifications. Celles-ci sont indirectes, lorsqu’elles sont effectuées à partir de représentations du paysage, ou directes, lorsqu’elles sont faites sur le terrain.

Analyses indirectes de visibilité

Les analyses indirectes de la visibilité sont réalisées à partir de graphiques, de photographies et d’autres représentations, en association avec des analyses d’intervisibilité indirecte. Cette forme d’analyse sélectionne des points d’observation et identifie ce qui peut être vu depuis ces points (le viewshed), en tenant compte des altitudes et des formes du terrain. De même, un modèle numérique de terrain (MNT) peut être utilisé pour calculer les lignes de vue au moyen d’algorithmes. Dans les deux cas, le cône de vue est défini à partir du point considéré.

L’intervisibilité théorique (hors obstacles probables) permet de mesurer la probabilité de voir les différentes parties du terrain lors de la traversée d’un territoire. La méthode des ruptures naturelles (natural breaks) permet d’obtenir des valeurs normalisées entre 0 et 1 et de les classer en cinq intervalles. Il s’agit de mesurer les différences de sensibilité visuelle théorique pour les différents cônes de vue du territoire. À grande échelle, ces techniques permettent d’établir une base pour la sensibilisation des individus et l’identification de zones paysagères, ou d’unités territoriales (en termes de caractère, d’identité, etc.), et de promouvoir des stratégies de gestion.

Analyses directes de visibilité

Il s’agit d’identifier les lieux, les chemins et les points présentant diverses qualités paysagères, puis de décrire les paysages visibles depuis les champs de vision et les cônes de vue.

Champ de vision. Le champ de vision définit ce qui se trouve devant une personne, à droite et à gauche, en haut et en bas, par rapport à une directrice (cône optique). Dans les plans verticaux et horizontaux, un cône optique a une génératrice faisant un angle de 30o avec la directrice principale de la ligne droite. Il permet d’estimer les distances, les positions et les conditions de déplacement. Il est unidirectionnel et sélectionne les vues d’intérêt depuis chaque point. Le champ de vision d’un paysage à partir de chaque point peut être utilisé pour déterminer différents niveaux de plaisir visuel, en utilisant des paramètres tels que : l’étendue, qui indique la distance totale de la vue sur l’horizon (éventuellement mesurée en degrés) ; et la profondeur, qui est la distance du profil le plus éloigné (dans des conditions de clarté définies et éventuellement mesurée en kilomètres ou en miles, vérifiée par cartographie).

Les cônes de vue sont des zones délimitées par des points présentant une intervisibilité bidirectionnelle. Ils sont utiles pour vérifier les visibilités (c’est-à-dire les différentes probabilités qu’une zone soit observée). Cependant, les paysages ne sont pas qualitativement similaires. C’est pourquoi, dans l’intervisibilité directe, il est utile de distinguer la visibilité active de la visibilité passive. Le cerveau, dans son traitement sensoriel et sa production d’images, fonctionne selon un processus de reconnaissance des formes, pour lequel les métaphores semblent être un principe d’ordonnancement (Edelman, 2007). Haut/bas, avant/arrière, statique/mouvement, autant de catégories métaphoriques ou existentielles émanant du corps et à travers lesquelles nous lisons les événements du monde (Mallgrave, 2013).

Visibilité active

La vision active crée une interaction avec les éléments du paysage et avec le paysage dans son ensemble. Une vue peut être vécue directement par des personnes ayant des niveaux d’expertise différents. Lors de l’organisation des observations, il convient de noter les données suivantes : la zone concernée (qui peut correspondre à une unité de paysage ou non) ; le transport (en voiture, à pied) ; les moyens d’enregistrement (photo, audio, vidéo, notes, dessins) ; les points d’identification sur une carte indiquant le chemin suivi et les points d’observation ; l’identité de l’observateur ; la direction des champs de vision, les caractéristiques et les problèmes des paysages à différentes distances ; diverses notes (par exemple, la saison et l’heure de l’observation, les conditions de lumière, la clarté). Si l’observation est effectuée par plusieurs personnes, la composition de l’échantillon doit être précisée. Des notes peuvent être utilisées pour enregistrer d’autres conditions pertinentes (sons, odeurs), qui peuvent être positives ou négatives, permanentes ou occasionnelles. Les observations nécessitent toujours des documents iconographiques (photos, vidéos) et peuvent être étayées par des mesures (largeur et profondeur), des cartes (papier ou numériques) et des symboles pertinents, ainsi que par des protocoles spécifiques, si des comparaisons et un suivi doivent être effectués.

La multiscalarité est un « regard actif », qui place les personnes dans un espace défini par différentes dimensions, chacune contenue dans une autre. Un tel regard peut donner accès à des paysages d’étendue variable et peut se concentrer sur des sections de l’espace placées dans des positions différentes et avec des caractéristiques variables.

Les paysages d’arrière-plan sont déterminés par le dernier profil visible, qui peut coïncider avec les limites successives mais peut aussi, avec des systèmes de haute montagne et une bonne visibilité, se trouver à plus de 150 km de distance.

Les paysages de grande étendue ont des horizons très éloignés (entre 5 et 15 km) et comprennent des territoires étendus qui présentent parfois des caractéristiques hétérogènes. Ils peuvent être reconnus par le public comme étant identitaires. Les limites d’un paysage diffèrent selon qu’il est perçu en termes de visibilité ou comme un espace identitaire.

Les paysages contextuels permettent une reconnaissance visuelle des signes présents, qui diminue avec la distance. Il convient de distinguer les paysages proches (0 à 1,2 km de distance), intermédiaires (1,2 à 2,5 km) et éloignés (2,5 à 5 km). Les paysages « proches » comprennent les paysages à portée de main (à quelques mètres près, où le concept de proxémie est pertinent)1 et ceux à courte distance, qui offrent la meilleure analyse des détails (jusqu’à 0,5 km). Ces distances influencent la perception de tous les paysages mentionnés ci-dessus. Dans chaque type, les distances différentes amènent l’observateur à marquer des positions et à distinguer des signes en utilisant des définitions, des traits et des caractéristiques visuelles différents.

Perception visuelle, vue passive. La vision passive correspond à la façon dont un lieu apparaît lorsqu’il est observé de l’extérieur. Tout système de signes ne peut être vu (avec des probabilités différentes) que depuis certaines positions. Il ne sera pas visible des autres, comme s’il n’existait pas (ainsi, on accorde plus d’attention aux façades des rues qu’aux cours intérieures). Une vue passive permet d’identifier les sensibilités passives. Par exemple, un village historique peut avoir des façades de rue particulièrement visibles (et donc à soigner avec une attention particulière), ou à l’inverse un territoire peut comprendre des zones peu visibles (où peuvent se concentrer des objets ayant un impact visuel négatif).

La sensibilité visuelle

Une plus grande sensibilité visuelle est associée aux lieux qui sont plus faciles à observer et plus susceptibles d’être observés. Cela signifie que certains lieux peuvent être visibles depuis davantage de voies, pendant plus longtemps et par un plus grand nombre de personnes.

Intervisibilité

Lors de l’analyse du paysage, il est nécessaire de prendre en compte les interactions entre le système observé (distance, reconnaissabilité des configurations et des profils) et les observateurs (positions, moyens, probabilité). Le résultat de cette analyse permet de produire une première carte (réseaux ou séquences de points et de voies), avec des zones de sensibilité visuelle variable, permettant de vérifier auprès d’autres individus si les éléments visibles indiqués sont significatifs du caractère et de l’identité du territoire concerné. Cette première exploration (phase au cours de laquelle on peut recourir à des observations indirectes réalisées par des experts) découvre et dénote le territoire et constitue une base indispensable pour amener les administrations et les citoyens à s’intéresser, même si très lentement au début, à leur propre paysage et à établir des programmes de conservation ou de transformation.

Perceptions complexes

Reconnaissance

La reconnaissance orientationnelle traite les informations relatives à la position et au mouvement de l’observateur. Elle implique des fonctions limbiques qui déclenchent des réactions instinctives et des qualifications émotionnelles, et activent les sens de la sécurité ou de la peur, du bien-être et du plaisir ou de l’inconfort. Elle peut découler du rôle de repères clés et d’éléments dominants, et être modifiée par les distances. Nous pouvons distinguer les trois types de reconnaissance telles que décrites ci-après.

La reconnaissance primaire non intentionnelle et involontaire permet de comparer les interactions émotionnelles avec le paysage.

La reconnaissance comparative compare des systèmes de signes ; elle est à la fois volontaire et involontaire, et peut dépendre des raisons de l’observation, de la mémoire et des modèles culturels existants.

La reconnaissance intentionnelle est volontaire et consciente. Elle utilise généralement des modèles culturels très structurés (scientifiques, philosophiques, religieux, etc.) et fonctionne par le biais d’observations sélectives visant à acquérir des connaissances spécifiques.

Délimitation visuelle

La délimitation visuelle permet de délimiter des zones avec des vues actives (champs de vision et cônes de vue). Les zones observées n’ont souvent pas de limites bien définies ; elles peuvent changer lorsque l’observateur change de position. La délimitation peut être ouverte ou fermée, en fonction des types de mouvement impliqués, tels que linéaire ou circulaire. Les lignes de délimitation peuvent se chevaucher et être perméables (zones dont les attributs sont structurés par des liens avec les territoires voisins). Certains liens peuvent être perçus d’un point de vue social et non pas visuellement.

Matériel d’information

Chaque unité de paysage, quelle que soit sa définition (elle peut, par commodité, coïncider avec une zone administrative), est liée à une énorme quantité d’informations, dont une grande partie est à peine connue ou utilisée. Chaque étude paysagère nécessite des informations générales (géographie, histoire, anthropologie) et des informations spécifiques (pédagogiques, typologiques, dépositaires de la culture locale : collections thématiques, découvertes, documents, entretiens ciblés).

Il est conseillé de consulter les documents d’urbanisme (généraux et sectoriels), les études et rapports (y compris la littérature grise produite par les institutions, les centres de recherche, les universités), les statistiques, les cartes de base et thématiques, les archives, les descriptions, la littérature et autres sources disponibles. Il est utile de disposer d’une base de données cartographique (cartes, registres historiques de propriété, relevés) et d’une base de données bibliographique (histoire, climat, géologie) comprenant les titres et les sources des résultats généraux et spécifiques concernant la zone d’observation, et de disposer d’un dépôt d’images historiques et actuelles pour les peintures, les dessins, les photographies, les vidéos et les extraits de films.

La tâche de collecte et d’organisation du matériel peut être réalisée au niveau de la communauté locale avec l’aide des bibliothèques locales, des écoles et d’autres groupes, et aider à la formation des acteurs et à la sensibilisation aux caractéristiques et aux enjeux du territoire (CM, 2014).

Identification, sensibilité qualitative

Le « caractère » d’un paysage provient des éléments dominants, des points de repère clés et de la présence physique des éléments l’identifiant. Les caractéristiques peuvent être visuelles et temporelles.

Caractéristiques visuelles

Chaque vue fournit une quantité d’informations (Lynch 1960 ; Cullen 1961 ; Bishop et Lange 2005 ; Gombrich 1985 ; Fiorani 1998 ; Arnheim 1954) : positions (de face, de côté, au-dessus, au-dessous, alignements), dimensions (grandes, petites), distances (proches, lointaines), signes (formes, figures, masses, volumes, superficies, profils, lignes, points), éléments et matières (sols : roche, terre, sable, gravier ; eau : calme, lente, rapide, vapeur, glace ; arbres, buissons, prairies ; routes, bâtiments, voies, installations ; tout ce qui a des textures, des grains, des couleurs de surface), les conditions de lumière (direction, intensité, réflexion).

La perception visuelle directe du paysage dépend des ouvertures ou des obstructions (compactes ou semi-transparentes) qui structurent le paysage, donnant accès ou non à certaines vues depuis un point donné ou le long d’un parcours. Cette perception permet de synthétiser des informations sur le paysage et de les analyser, en mettant en évidence des zones de sensibilité différente.

Le premier et le plus connu des systèmes d’interprétation est celui proposé par Lynch (1960) qui, dans le cas des paysages urbains à grande échelle, distingue les voies, les bords, les quartiers, les nœuds et les points de repère.

Les voies sont des lieux où l’observateur se déplace (régulièrement, occasionnellement, potentiellement). Ce sont des rues, des allées, des canaux, des chemins de fer ou d’autres voies. Les personnes observent le paysage en se déplaçant à l’intérieur de celui-ci. Les éléments du paysage sont disposés et reliés le long des voies.

Les bordures sont des éléments linéaires qui définissent les limites : rives, talus de chemin de fer, murs, crêtes, etc. Elles séparent différents éléments physiques (eau, terre) ou forment des fermetures verticales (construites ou vertes) le long d’un parcours.

Les quartiers (et les paysages contextuels) sont des zones dans lesquelles l’observateur se déplace, entre ou sort. Ils sont reconnaissables à quelques caractéristiques facilement identifiables (éléments dominants et prédominants). Les zones urbaines sont principalement identifiables de l’intérieur.

Les nœuds sont des points focaux vers lesquels les observateurs se dirigent ou dont ils s’éloignent. Ce sont des points accessibles et stratégiques d’une ville ou d’un territoire. Ils peuvent être des points où se croisent ou convergent des voies provenant de contextes ou de quartiers différents. Ce sont également des concentrations d’activité, des lieux d’utilisation plus dense ou des lieux très visibles (éléments ouverts ou construits), jouant un rôle dominant.

Les points de repère clés sont définis comme des références ponctuelles externes et très visibles. Ce sont des éléments dominants et directeurs, des stimuli visuels à différentes distances, qui fournissent des informations de base pour établir la position et la direction du mouvement. Comme ils permettent des ajustements pour obtenir une plus grande fiabilité et réduire les difficultés (choix des voies, des directions, des arrêts), ils sont plus faciles à mémoriser ; en adaptant nos actions, nous devons distinguer les distances des éléments qui nous donnent des informations, ce qui explique les significations et les implications des relations de distance. Un élément contextuel dominant est toujours l’élément orographique du terrain (plat, ondulé, abrupt, crêtes, escarpements, aspects), ainsi que la présence de plans d’eau ou de grandes zones bâties.

Plusieurs facteurs permettent d’interpréter les structures du paysage :

Caractéristiques dominantes et points de repère clés : éléments à forte « intensité » visuelle (grands fonds, contours du terrain, proéminences et points de repère) qui assument des fonctions d’orientation, de polarité et/ou d’identité ;

Caractéristiques dominantes : les dispositions, textures, matériaux, couleurs, etc. les plus courants en termes de continuité et d’homogénéité. Ils sont importants pour la catégorisation des paysages (sauvages, cultivés, urbains) ;

Caractéristiques naturelles : la présence et la combinaison de composantes naturelles (abiotiques et biotiques) et anthropiques ; chaque groupe d’éléments doit faire l’objet d’une description analytique et articulée.

Caractéristiques temporelles

Chaque paysage comprend des éléments physiques dont la durée varie dans le temps (cycles de vie), ce qui nécessite « l’examen des processus évolutifs et la mise en évidence des dynamiques temporelles, passées, présentes et prévisibles, dues à des facteurs humains ou naturels, ainsi que des possibles pressions qui s’exercent sur les paysages et les risques qui peuvent en résulter » (CM, 2008 : II.2.1). L’analyse et le suivi des évolutions (cartographie des périodes) sont particulièrement importants car ils rendent possibles les stratégies opérationnelles (qualifications, projets et mises à jour). Dans chaque paysage, les différents groupes d’éléments (abiotiques, biotiques, anthropiques) ont des cycles temporels différents.

Cycles temporels des composantes abiotiques (voir Scesi et al., 2003 ; Selby, 1985 ; Chorley et al., 1984 ; Scheidegger, 2004 ; Barry et Chorley, 1998 ; Elías et Castellvi, 1996 ; Guyot, 1999 ; Castiglioni, 1982 ; Persicani, 1989). Les conditions tectoniques révèlent les activités sismiques et orogéniques qui ont eu lieu sur une longue période. Les systèmes lithologiques montrent une érosion de durée et de fréquence variables. Les conditions climatiques et les phénomènes hydrogéologiques suivent des cycles périodiques avec des phénomènes et des interdépendances variables. La terre, l’eau et l’atmosphère révèlent des formes locales majeures de fragilité (glissements de terrain, inondations, pollution).

Cycles temporels des composants biotiques. La faune et la flore constituent des écosystèmes ouverts produisant des échanges de matière et d’énergie. Leurs cycles de vie sont extrêmement variés (de quelques heures à plusieurs siècles), tout comme les taux et l’intensité de reproduction. Leurs différentes vies sont interdépendantes et soumises aux impacts des actions humaines. Les organismes comprennent des autotrophes (plantes vertes, certaines bactéries), qui produisent des substances organiques à partir de substances inorganiques ; des consommateurs hétérotrophes (animaux, parasites, plantes saprophytes), qui se nourrissent d’autres organismes ou de substances produites par ceux-ci ; des décomposeurs hétérotrophes (bactéries, champignons, autres organismes saprobie), qui dégradent les molécules organiques et libèrent des substances plus simples. Les écosystèmes peuvent subir des processus de dégénérescence, entraînant la destruction ou l’extinction d’espèces. L’observation des écosystèmes est nécessaire, et elle est essentielle pour les zones naturelles et cultivées (Rosenberg et al., 1983 ; Strahler, 1969 ; Bras, 1990 ; Cunningham et al., 2003 ; Alcock, 2005).

Cycles temporels des éléments anthropiques. Les utilisations du sol et les artefacts humains apportent avec eux des matériaux, des signes, des significations et des valeurs de durées variables – à court terme (saisonnier dans l’agriculture), à moyen terme (bâtiments) et à long terme (routes, subdivisions du sol, bâtiments particuliers). La datation de ces éléments reflète les systèmes sociaux et les cultures (matérielles et immatérielles) qui les ont produits. Ces cycles de vie dépendent de la décomposition des différents matériaux et surtout des usages humains, qui varient dans le temps et selon les méthodes employées (Lepetit et Pumain, 1993 ; Balbo, 1991 ; Bonfiglioli, 1990).

Qualification et perception

Qualification

La qualification consiste à attribuer des adjectifs qui complètent l’identification (CM, 2008 : II.2.1.b). Chaque fois qu’un paysage est observé, un processus volontaire et/ou involontaire d’attribution de significations et de formation de jugements a lieu. Plus ou moins conscient, le processus de qualification est néanmoins important car il permet d’attribuer des valeurs au paysage et de structurer les perceptions. Les qualifications (émotives et/ou réflexives) font état de conditions positives ou négatives. Elles résultent des modèles culturels dominants, des motivations et des préférences, inhérents aux systèmes d’observation. Le lieu observé influence l’observateur dans la définition du champ d’observation (direction et technique d’observation, délimitation des frontières, caractéristiques dominantes, analyse la plus pertinente), et suggère une première attribution de valeurs communes.

Valeurs communes de base