Dans quel état j'erre ? - Bernadette Pellerin - E-Book

Dans quel état j'erre ? E-Book

Bernadette Pellerin

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Beschreibung

Dans quel état j’erre ? est le journal de bord par temps fort d’une Parisienne qui a résolument décidé de s’épancher !

Cette météo mentale vagabonde, écrite au fil des jours sur le ton de l’humour et de l’intime, accompagne une bonne partie de l’année 2015, de la promesse des beaux jours jusqu’aux tragiques attentats du 13 novembre.

L’occasion de faire un arrêt-image sur toute une gamme d’états d’âme, de la simple insatisfaction quotidienne jusqu’à l’effondrement engendré par des circonstances exceptionnelles. Les mettre sous microscope pour mieux les disséquer, les observer sous toutes les coutures, et finalement trouver les ressources pour les traverser.

Mi-clins d’œil humoristiques aux travers de notre société, mi-confidences intimes dans lesquelles certains se retrouveront sans doute, ces états d’âme sont un peu comme un film à l’italienne, où l’on rit autant que l’on pleure. Où l’on se laisse embarquer par l’émotion pour arriver, épuisé, de l’autre côté de la nuit.

Bon voyage !

Préparez-vous à rire et à pleurer au rythme des événements vécus par l'auteure...

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Bernadette Pellerin

DANS QUEL ÉTAT J’ERRE ?

Préface

N’avez-vous jamais rêvé d’écrire un « vrai » journal ? Un aussi émouvant que celui d’Anne Franck, aussi passionnant que les mémoires de grands hommes ou femmes, littéraires ou politiques… Pour ma part, je l’ai souvent souhaité. Je m’y suis attelée, par moments. Mais le résultat n’étant vraiment pas à la hauteur de mes espérances, l’effort cédait rapidement devant les exigences de lavie.

Bernadette Pellerin a écrit cette sorte de journal – en tout cas, elle nous offre un journal qu’on a du mal à lâcher. Sur une grande moitié d’année, de juin à décembre 2015, elle nous livre « ses états d’âme », dit-elle, et bien plus que cela. Elle partage avec nous ses réactions, ses réflexions, sur des événements drôles ou tragiques, des situations banales ou graves. Elle s’énerve, elle s’attriste, elle désire, elle aspire, elle hésite, elle s’épuise… Elle travaille trop, clairement. Mais cela ne l’empêche pas de se questionner sur cet excès d’activité.

Cette lecture est délicieuse. D’une part par ces petits chapitres courts, chacun dévolus au sujet du jour, des aperçus qui condensent avec brio les dilemmes auxquels nous sommes confrontés, comme les 2 catégories d’humains du chapitre du 20 juillet. D’autre part car le style élégant et le ton humoristique font de chaque chapitre une pépite en soi, chacun bouclant sur une petite phrase soit drôle, soit forte, soit inattendue, qui souvent fait sourire, en nous ramenant tout à trac dans la vie de tous les jours. Son style est très personnel, entre expressions actuelles (sans doute tirées de son métier de communicante) et recherche littéraire. Elle parle en phrases à la fois simples et élégantes, avec des respirations partout pour laisser le temps de s’identifier ou se différencier. Bernadette cause avec nous. Elle laisse l’espace de nos réponses. On échange.

Elle alterne entre sujets du quotidien, banals en apparence et pourtant souvent importants (comme l’arrivée des saisons sombres avec les jours qui raccourcissent, le blues du dimanche soir, le trivial smartphone, l’anniversaire, la peur de l’avion, les achats en ligne…). Et sujets graves, sujets du monde, comme l’injustice subie par tant d’humains, condamnés soit à mourir sur place dans leur pays, soit à se jeter sur les routes ou sur la mer, dans de frêles embarcations… L’injustice affectant les SDF quémandeurs dans le métro – et les réactions intimes dont nous évitons généralement de prendre conscience. De grandes questions humaines, philosophiques, comme le courage, la mort, l’empathie… La folie de notre monde débordé – et débordant, emporté par sa course folle. J’ai pensé à Mona Chollet1 en lisant au 9 août la surcharge visuelle de corps exposés en maillot de bain, avec une affectation cachant des strates d’insécurité…

Et pour terminer cette année 2015, les attentats de novembre, la réaction de sidération, puis la peine, la solidarité avec les humains, les réflexions, les peurs qui ont envahi la nation et tout un chacun, à sa façon. Tout de même, en toute fin, une note douce, sur l’amour familial que l’on peut trouver hors de sa famille, vient clore cet opus rafraîchissant.

Bernadette est férue d’analyse transactionnelle (une théorie chère à mon cœur), de psychologie, de relations humaines et d’univers intérieur des humains. Elle en dépose de petites touches çà et là, délicatement, sans forcer le lecteur à « se prendre la tête ». Cela l’aide à décoder ses propres réactions autant que celles d’autrui.

Comment ne pas se reconnaître dans toutes les pages ou presque ? Dans les ressentis ou les analyses de Bernadette, mais aussi dans la modestie dont elle fait preuve en nous offrant des leçons de vie, tout en montrant combien il peut être difficile de les appliquer même si on les connaît parfaitement. Que vous soyez parfois agacés par nos congénères ou plutôt émus par eux, vous trouverez dans ces pages de quoi sourire et même rire, de quoi laisser votre cœur se serrer, de quoi réfléchir à vous-même et à autrui.

Bonne lecture !

–Laurie Hawkes,Psychologue clinicienne et Psychopraticienne

1 Chollet, M. Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine. La Découverte, Poche, Paris, 2012, 2015.

Avant-Propos

J’aime à croire que nous avons tous dans nos tiroirs des histoires inachevées, des manuscrits bien enfouis, des expressions personnelles qui attendent patiemment de pouvoir un jour s’envoler…

Est-ce votre cas ?

Êtes-vous capable comme moi de travailler d’arrache-pied sur un projet qui vous tient très à cœur, puis de l’enterrer sous une tonne de documents, une pile de livres et une couche de poussière plutôt que de vous risquerà…

À quoi, d’ailleurs ?

Peut-être à faire entendre votre vraie voix, à parler de vous sans fard, à suivre vos envies, à lâcher prise, à exister enfin.

« Après tout, qui cela pourrait-il bien intéresser ? »

Vous aussi, vous l’entendez, cette petite voix dans votre tête ? Celle qui vous susurre sur un ton doucereux que tout a déjà été écrit et que le monde se fiche pas mal de ce que vous pourriez avoir à dire ?

Cette voix ensorceleuse a résonné à mes oreilles pendant plusieurs années. Puis, récemment, je me suis décidée à rouvrir le tiroir, balayer la poussière, reprendre l’histoire là où je l’avais laissée.

Dans le tiroir, il y avait ce manuscrit.

Mais pardon, j’oubliais mes bonnes manières… Faisons d’abord connaissance, voulez-vous ? Puisque j’ai pris le risque de vous interpeller, permettez-moi de me présenter :

Je suis une parisienne par hasard, une fée qui a perdu la formule magique pour ralentir le temps, une quinqua qui se demande encore ce qu’elle va faire quand elle sera grande, une jongleuse professionnelle qui a du mal à rattraper toutes les balles, une « workaholic » qui rêve de cure de désintox, une acrobate qui avance sur un fil entre deux activités diamétralement opposées : la communication (mon quotidien depuis plus de 30 ans) et la psychothérapie (le changement de vie auquel j’aspire).

Tout au long de l’année 2015, alors que j’étais plus que jamais écartelée entre ces deux aspirations, je me suis décidée à coucher mes états d’âme sur le papier, à les disséquer presque jour après jour. À en rire, souvent. À en pleurer, parfois.

Surprise ! Au fil de ce journal de bord, de cette météo mentale, j’ai commencé à m’écouter, à m’entendre, à être capable de relativiser, enfin à lâcher prise…

Puis le temps a passé.

Quand j’ai ressorti ce manuscrit du tiroir, je l’ai longuement contemplé avant d’oser m’y replonger. Encore cette satanée petite voix !

Là, je ne sais pas ce qui m’a pris… la colère est montée. J’ai attrapé la petite voix par le colback et je lui ai dit à peu près ceci : « Maintenant, ça suffit ! J’en ai marre de me sous-estimer par peur de me surestimer. J’ai le droit d’être qui je suis, avec mes forces et mes faiblesses. Le droit de faire entendre ma voix sans craindre la réaction des autres qui de toute façon ne m’appartient pas ! »

En relisant ces histoires de lâcher-prise, j’ai fait le pari que certaines d’entre elles auraient peut-être une résonance particulière pour autrui. Après tout, nous avons tous des états d’âme et des difficultés à lâcher prise. C’est là le fondement de notre humanité partagée. Comme le dit si joliment Christophe André : « Les états d’âme sont le cœur battant de notre lien au monde2. »

Si vous retrouvez dans ces lignes une parcelle de vous-même, si un mot résonne pour vous, si l’une de ces histoires vous aide un tant soit peu à vous poser, à respirer, à lâcher quelque chose qui vous encombre, j’aurai gagné monpari…

Alors je vous propose de vous laisser ressentir… accueillir ce que vous trouvez, vous surprendre vous-mêmes.

J’ai envie d’entendre le bruit de nos cœurs.

Des cœurs qui osent enfin entrer en lien avec le monde, résolus à aller vers plus de bonheur.

Ça vous dit ?…

« Votre joie est votre tristesse sans masque.

Et le même puits d’où jaillit votre rire a souvent été rempli de vos larmes.

Comment en serait-il autrement ?

Plus profonde est l’entaille découpée en vous par votre tristesse,

plus grande est la joie que vous pouvez abriter. »

–«Le Prophète» de Khalil Gibran

Juin

25 juin : Être en Wi-Fi avec soi-même

Je broie du noir cesoir…

De toute façon, la journée avait mal commencé !

Réveil zappé, petit-déj sauté, agenda surchargé… je fonce vers le métro tel Usain Bolt sur la ligne d’arrivée et là, le signe prémonitoire, le mauvais présage… comme un horoscope pourri mais pire : « en raison d’un voyageur malade à la station Pasteur, le trafic est ralenti sur la ligne12… »

Je respire un grand coup. J’ai téléchargé l’appli « Petit Bambou ». Ça va aller !

Arrivée au bureau, la connexion Internet tombe en rade, pile au moment où je m’apprête à répondre à un mail ultra-important…

Are you serious ? #CommentJeSurvisMoi ?

Petit intermède pour replacer les choses dans leur contexte : vous l’aurez peut-être saisi, je travaille dans la communication, plus précisément dans une agence de Relations Presse. Mes clients me payent pour répandre leur bonne parole le plus rapidement et efficacement possible. Si je ne peux plus être efficace, je sers à quoi ? Un immense sentiment de vide m’envahit, suivi de quelques sueurs froides.

Allez hop ! On reste « focus » sur l’objectif !

Très vite, c’est l’escalade : le 3901 composé d’un doigt tremblant, le niveau de stress qui monte en flèche aux premiers accords de la musique d’Orange3, l’attente interminable façon « Désert des tartares », le dialogue de sourds avec le conseiller qui déroule sa fiche, l’incompréhension abyssale entre nous sur le terme « assistance technique »…

En raccrochant, je dois me rendre à l’évidence : le monde entier a décidé de se liguer contre moi. Puisque c’est comme ça, je vais me liguer toute seule contre lui !

Du matin au soir, je n’ai fait que stresser, m’angoisser, me maltraiter, accrochée à mon écran comme une pauvre naufragée, guettant le moindre signal de Wi-Fi tels les Égyptiens les yeux rivés sur la mer Rouge. Respiration bloquée, mâchoires serrées, poings fermés, je n’ai pas soufflé une seule minute, perdue dans une spirale de tension largement auto-entretenue.

J’ai été à peine aimable au bureau, exaspérée dans les transports (Pourquoi les gens tombent-ils toujours malades sur ma ligne ? C’est quand même pas les lignes de métro qui manquent…), odieuse avec mon mari/hotline (oui, c’est un nouveau concept) incapable de régler le problème à distance, agressive avec cette pauvre dame de chez Orange et accessoirement, infernale avec moi-même.

Comme si j’étais incapable de descendre de ce manège quand il se met à tourner, incapable de relativiser, de voir ce qui se passe. Comme si je prenais un réel plaisir à cumuler les contrariétés, les ressasser, les faire monter dans ma tête comme des blancs en neige. Je suis la reine de l’île flottante mentale.

Sauf que… je déteste l’île flottante ! Pourquoi m’imposer régulièrement cette recette qui m’est indigeste ? On dirait presque que je me sens mieux quand je vais mal… quand j’avale encore et toujours les injonctions parentales distillées dans mon enfance : « Dans la vie, on n’est pas là pour s’amuser… On n’est pas là pour s’écouter… On n’est pas là pour être heureux »… et autres formules hyper positives.

J’ai l’impression d’avoir touché le fond : péter un câble à cause d’un plantage d’Internet, c’est furieusement geek mais assez pathétique ! Qui a le plus besoin d’assistance : ma liaison Internet ou ma connexion avec moi-même ?

Je passe en revue la journée cauchemardesque que je viens de m’infliger. À aucun moment je n’ai été reliée à moi-même, à mes vrais besoins, à mes ressources ; encore moins à mes ressentis de tristesse et surtout de colère.

Colère contre moi et contre ce rythme de vie absurde, mon sempiternel besoin d’être parfaite, cette technologie pourtant censée nous faciliter la vie. Colère contre mon incapacité à ralentir, à faire avec ce qui est, à voir le verre à moitié plein…

J’ai remué ciel et terre toute la journée pour rétablir cette foutue connexion sans penser une seconde me rebrancher sur moi-même. J’ai dépensé une énergie folle pour un lien virtuel avec une machine… sans faire appel à ma helpline intérieure, garantie sans musique d’attente !

Est-ce comme ça que j’ai envie de vivre ? Est-ce si difficile de s’écouter, se brancher sur soi une fois de temps en temps ?

Lâcher enfin cette cyberdépendance quinous…

Yes !!! Internet remarche !!!

27 juin : Arrêter de collectionner les bons points

J’écume, j’enrage, J’hyper-ventile… cesoir

Ce matin, alors que je multi-taskais comme d’habitude entre quinze dossiers, trois appels, quatre mails et une recommandation stratégique, tel un Shiva branché ROI4, je vois tomber dans ma boîte de réception un mail qui avait une mine tout à fait banale, le petit mail tout gentil, propre sur lui, limite engageant au premier abord…

J’aurais dû me méfier… ce mail m’a littéralement pourri la journée !

Il s’agissait tout bêtement d’un mail d’un de mes clients, plutôt sympa au demeurant. Le client, pas le mail. Le mail, lui, n’avait rien de sympa. Il était plutôt du genre tir à la kalash en rase-banlieue, rafale de roquettes depuis un hélicoptère, voire lancement de scud à courte portée après verrouillage de la cible.

La cible, c’étaitmoi !

Je vous la fais courte ; ça donnait à peu près ceci :

Bonjour (Bonjour qui ? Bonjour mon chien ?)

« Je viens vers vous suite à xxxxxxxxxxxxx (ça, c’est un peu confidentiel…)

Je note que xxxxxxx alors que xxxxxx (on sent déjà qu’il est vénère…)

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi xxxxxxxxxxxxxxxxx (là, il commence à partir en live…)

Il est inacceptable que XXXXXXXXXXXXXX (ça dégénère grave…)

Slts » (te fatigues pas à l’écrire en toutes lettres, tu pourrais te fouler une phalange…)

Bref, le genre de truc qu’on n’aime pas tellement se prendre dans la tronche de bon matin. Surtout quand on sait qu’on n’a rien fait pour mériter cet excès d’indignation.

Si j’avais été un peu moins surchargée, j’aurais assez vite désamorcé l’embrouille. J’aurais pu pointer l’inanité de son attaque en lui démontrant par A plus B que si xxxxxxx était xxxxx sans xxxxxx, c’était tout simplement parce que xxxxxxxx et que xxxxxxxx avaient xxxxx, tandis que xxxxxx, lui, avait bien confirmé que xxxxxx, et donc, il était évident que xxxxxx ! (vous suivez, j’espère ! Je ne vais pas m’amuser à répéter…)

Seulement voilà, j’étais une fois de plus totalement débordée et incapable de prendre le moindre recul. J’ai tout pris au premier degré et la flèche décochée est allée se loger direct dans mon amour-propre de professionnelle irréprochable, mon fragile narcissisme de Wonder Woman d’opérette. Pour ne pas dire mon côté petite fille qui cherche encore et toujours à collectionner les bons points.

Là, on était loin du tableau d’honneur…

J’aurais pu m’énerver, lui répondre du tac au tac, poster un truc vengeur sur Facebook... évidemment, je n’ai rien fait du tout !

Enfin si, j’ai fait deux choses :

1) Je me suis bouffé le foie toute la journée à l’idée qu’il était mécontent demoi !

2) Comme je n’arrivais à décharger ma colère dans le sens ascendant (), je l’ai copieusement exprimée dans le sens descendant ().

Jusqu’à ce soir où j’ai pu prendre un chouia de distance : « Tiens donc ! N’y aurait-il pas là-dessous comme une histoire de processus parallèle ? »

Si ça se trouve, lui aussi s’est pris une soufflante de la part de son supérieur dès potron-minet. Il est du genre « bon élève » donc forcément, ça l’a miné, le pauvre minet…

C’est bien connu : on ne mord pas la main qui vous nourrit. Par contre, rien n’empêche de mordre la main de quelqu’un d’autre, voire de n’importe qui, y compris sous des prétextes totalement fallacieux.

Jouer les fusibles, les variables d’ajustement, c’est l’histoire de ma vie professionnelle ! Nous autres consultants sommes taillables et corvéables à merci. Nous sommes aussi parfois des boucs émissaires, des victimes toutes désignées. Les clients déstabilisés projettent sur nous leurs manques, leurs peurs, leurs frustrations. Nous sommes leur soupape de sécurité, leur mauvais objet... comme dans la cour de récré, « c’est celui qui le dit qui y est ! »

J’ai mis du temps à comprendre…

Quand j’étais petite, on m’a dit que si j’étais gentille et que je travaillais bien à l’école, je serais récompensée. On a oublié de préciser que quand on grandit, l’équation connait parfois quelques variantes.

Je sais aujourd’hui qu’on ne choisit pas ce métier par hasard. Être consultant, c’est être en permanence dans le désir de l’autre. On ne vit – littéralement – que parce que l’autre vous apprécie suffisamment pour vous verser vos émoluments. On n’existe que parce que l’autre vous accorde une certaine valeur.

On travaille dans les coulisses, jamais sur le devant de la scène. On se plie en quatre pour que nos clients soient connus et reconnus, aimés et plébiscités.

À eux les vivats et les brassées de fleurs… à nous l’angoisse de l’échec et l’anonymat de l’ombre.

Un peu comme des artistes de seconde zone qui courent après la reconnaissance, des collégiens attardés qui attendent encore les félicitations du conseil de classe.

L’école est finie ? Vraiment ?

28 Juin : Accepter l’inacceptable(1)

Gorge serrée… estomac noué… cesoir.

J’ai beau mettre et remettre mon super baume contour des yeux pour tenter de masquer les rigoles, rien n’y fait. Vague après vague, je suis submergée par des crises de larmes aussi incontrôlables qu’inconsolables.

Ma doudou, ma beauté féline, mon chaton adoré, depuis que nous avons enfin compris le mal qui te rongeait, j’ai déjà traversé quelques étapes de ce fameux processus de deuil. Ce cheminement que les psys expliquent parfois aux patients qui ont du mal à se remettre de la mort d’un proche ou d’une séparation, dans l’espoir qu’ils inscrivent dans un coin de leur tête que ce processus a un début mais aussi unefin.

Aujourd’hui plus que jamais, je mesure la différence entre la posture de l’accompagnant et celle de l’accompagné à qui l’on tente d’expliquer que ces étapes sont « normales » et qu’il est sur le « bon chemin ».

Loin de questionner les écrits d’Élisabeth Kübler-Ross5, je prends conscience que ce processus est sans doute plus facile à énoncer pour l’accompagnant que réellement « entendable » pour la personne dévastée.

Me voilà encore partie dans le mental… Aux prises avec des émotions trop fortes, je me réfugie dans le « penser », le « faire » au lieu d’être tout simplement dans l’« être »… accepter de traverser ces ondes de choc sans les mettre sous le boisseau.

Tu es entrée dans notre vie il y a presque 9 ans, par une triste journée d’octobre… ironie du sort, je me sentais inconsolable après la disparition de notre chien. Tu es arrivée. Tu nous as jaugés. Tu n’es jamais plus repartie. Tu avais eu un début de vie un peu mouvementé, balloté, pas très gai, obligée de partager ton quotidien avec d’autres animaux, alors que rien ne te plaisait plus que d’être seule.

Tu avais décidé que nous serions ta dernière étape, ton seul vrai foyer, tes humains. Tu es devenue partie intégrante de notre maisonnée. J’ai fait ce que je pouvais pour que tu te sentes bien. En retour, tu m’as aidé à reconstruire un étayage indispensable.

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu des chats autour de moi. Quand j’étais enfant, Grisonnette, notre premier chat, était une mère de substitution. À bien des égards, elle nous considérait, mes frères, ma sœur et moi, comme ses petits et veillait sur nous avec parfois plus d’attention que notre propre mère. À l’époque, cette filiation un peu particulière me semblait normale et pour tout dire, souhaitable. Ma mère s’est révélée très tôt être assez dysfonctionnelle. La chatte, elle, était constante.

Grisonnette et tous les chats qui lui ont succédé ont constitué pour moi une sorte d’aire transitionnelle, une zone plus sécure, située quelque part entre le « moi » et le « non-moi ». Ils m’ont aidé à entrer en relation avec le monde des adultes, à survivre dans un contexte familial pour le moins perturbé.

Pour moi, les réactions des chats étaient simples, compréhensibles, si prévisibles. Pas comme celles de mes parents ! Le coup de patte pouvait faire mal, certes, mais j’ai rapidement su l’anticiper. Avec les grandes personnes, prévoir les coups et les mots blessants, les éviter, c’était beaucoup plus aléatoire…

Au fil du temps, ça n’a fait que se confirmer. Les coups de griffe et les mouvements d’humeur des chats ne sont jamais fortuits ; il suffit de les observer, de repérer leurs codes, de les respecter. Les humains, c’est une toute autre histoire ! …

Est-ce aussi cela que je pleure ce soir ? Chaque fois que je perds un « animal de compagnie, je fais le deuil d’une partie de mon enfance, ma construction mentale, mon illusion de sécurité, le peu d’ordre et de clarté que j’avais réussi à instaurer dans mon univers de petite fille.

À chaque disparition, je dois recommencer, me reconstruire, me relever, comme un enfant qui apprend à marcher, qui tombe encore et encore.

Ça faitmal…

Parfois, ça fait peur, on se remet sur ses jambes en flageolant… c’est une tâche insurmontable, une montagne trop haute… je n’y arriverai jamais.

Pourtant, chaque fois, quelque chose vous pousse à continuer…

« Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie. »

–La Bible – Livre des Psaumes

Juillet

1er Juillet : Accepter l’inacceptable(2)

Je ne suis plus que larmes cesoir…

Les vannes sont grandes ouvertes. Je pleure sans discontinuer.

J’erre dans cet appartement et tout me parle de toi. Je me lève pour ranger ton panier, ta couverture… quelque chose en moi se met à hurler : « Stop ! Pas encore ! C’est trop tôt ! Je ne peux pas… »

Mon bébé, nous t’avons laissée partir en début d’après-midi, en cette journée d’été si chaude, toi qui adorais le soleil et la chaleur. Nous t’avons accompagnée aussi loin que nous pouvions aller, aussi loin que tu pouvais le supporter.

La douleur du manque, de l’absence est atroce…

Je n’arrive pas à penser à autre chose. Je demande sans cesse à mon mari, qui cache ses larmes de son côté : « Elle ne souffre plus, tu es sûr ? », « Elle a été heureuse avec nous, n’est-ce pas ? », « On a fait tout ce qu’on a pu, hein ?… »

À cet instant, à cette seconde, je suis incapable de te laisser partir. Je ne peux tout simplement pas concevoir le fait que je ne te reverrai plus jamais : c’est trop dur. C’est inhumain. C’est au-delà de mes forces.