De l'emprise à la liberté - Vincent Hanssens - E-Book

De l'emprise à la liberté E-Book

Vincent Hanssens

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Beschreibung

Témoignages de personnes ayant souffert de dérives sectaires dans des mouvements catholiques agissant dans l’Église.

Portées par une soif spirituelle, un désir de sanctification, un besoin de se rapprocher du Christ, elles se sont adressées en toute confiance à ces mouvements et, confrontées à des manœuvres aussi peu évangéliques, elles se sont senties profondément trahies.
Le recueil de leur témoignage laisse apparaître clairement que ce sentiment est justifié. Divers experts – théologien, philosophe, psychologue, juriste, responsable de nouvelle pastorale, canoniste – apportent leur concours à l’analyse et à l’interprétation de ces dérives sectaires, d’autant plus dangereuses et inquiétantes qu’elles se produisent au sein de l’Église qui ne semble ni s’en rendre vraiment compte ni prendre suffisamment conscience de la gravité de la situation. Loin d’être un réquisitoire contre elle, ce livre n’a d’autre ambition que de reconnaître la juste plainte des victimes et d’allumer des clignotants pour attirer l’attention de tous ceux qui, à un titre ou à un autre, exercent une responsabilité quant au fonctionnement de ces mouvements et leur permettre d’intervenir là où une action devient urgente.

A travers cet ouvrage, découvrez les récits de victimes de dérives sectaires, éclairés par les analyses de spécialistes de divers horizons : juge ecclésiastique, théologien, juriste, psychologue...

EXTRAIT

Dans le cadre de mon expérience clinique avec des patients qui ont abandonné des communautés ecclésiales au sein desquelles des abus étaient commis, j’ai remarqué que, après s’être éloignés, ils peuvent faire l’expérience d’une telle décompression qu’elle les pousse vers des actes sexuels incessants et parfois destructeurs. Si cela s’accompagne de la séparation de la famille et des amis précédents, ainsi que de l’exigence d’un engagement de plus en plus fort et de la prédominance des rencontres collectives – comme on le déduit du matériel des ex-membres du Mouvement des Focolari, mais aussi des autres groupes – la relation entre dans une zone à risque en raison des transgressions qui pourraient avoir lieu. Sur la base de l’expérience clinique, il me semble que nous pouvons concevoir l’abus spirituel comme étant la transgression de certaines limites relatives à quelque chose qui est implicite dans une relation d’aide thérapeutique ou spirituelle, c’est-à-dire le bien de l’autre et les attentions qu’on lui apporte, le bien d’une autre personne qui se consacre à la recherche d’un soutien et d’une réponse, tout en sachant que les limites de son propre espace d’intimité peuvent varier sensiblement, mais qu’il existe pourtant toujours des minima qu’il est possible de ramener à la maxime d’Hippocrate primum non nocere. Il n’est pas rare de remarquer, après l’abandon, la confusion envers sa propre foi, tout comme la confusion entre le mouvement et l’Église elle-même, puisque dans ces mouvements le fondateur (ou la fondatrice) est une figure vénérée, très souvent assimilée à l’institution ecclésiale, de manière dogmatique. Lorsqu’ils abandonnent leur mouvement, de nombreux ex-membres traversent des crises profondes en ce qui concerne la religion et la vie en général, crises qui les tourmentent pendant des années et le travail successif de récupération passera tant par le travail psychothérapeutique que par le soutien théologique.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Vincent Hanssens est belge et psychosociologue. Il a exercé la fonction de vice-recteur de l’Université Catholique de Louvain. Engagé dans le dialogue interculturel et interuniversitaire, il est coauteur, avec Marcel Bolle De Bal, de Le croyant et le mécréant paru aux éditions Mols. Sous sa direction, différents auteurs ont participé à l'élaboration de cet ouvrage : Dominique Auzenet, Vitalina Floris, Jean-Marie Hennaux, Pascal Hubert, Damiano Modena, Renata Patti, Miguel Perlado, Monique Tiberghien et Pierre Vignon.

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De l’emprise à la liberté

Vincent Hanssens

(sous la direction de)

De l’emprise à la liberté

Dérives sectaires au sein de l’Église.Témoignages et réflexions

Dominique Auzenet, Prêtre, Exorciste (France),

Vitalina Floris, Soeur, Ermite (Belgique),

Vincent Hanssens, Psychosociologue,

Professeur émérite à l’Université catholique de Louvain,

Jean-Marie Hennaux, S.J., Professeur à la Faculté de Théologie des Jésuites de Bruxelles,

Pascal Hubert, Avocat au barreau de Bruxelles,

Damiano Modena, Assistant personnel de feu le Cardinal Carlo Maria Martini (Italie),

Renata Patti (Italie),

Miguel Perlado, Psychanalyste (Espagne),

Monique Tiberghien, Psychothérapeute (Belgique)

et Pierre Vignon, Juge ecclésiastique (France).

Préface de Louis-Léon Christians, Professeur à l’Université catholique de Louvain

Remerciements

Nous tenons à remercier chaleureusement les Éditions Mols des conseils précieux que nous avons reçus dans la rédaction de cet ouvrage et du soin particulièrement attentif qu’elles ont apporté à sa mise en page.

© Éditions Mols, 2017

www.editions-mols.eu

Pro veritate, adversa diligere.Pour la vérité, s’attacher aux situations difficiles.

(Devise du Cardinal Martini)

Témoignages de:

André, Bernard, Bernardine, Géraldine, Gilbert, Irène, Ivana, Laurette, Mireille, Valérie, Yvan.

Textes de:

Dominique Auzenet, Vitalina Floris, Vincent Hanssens, Jean-Marie Hennaux, Pascal Hubert, Damiano Modena, Renata Patti, Miguel Perlado, Monique Tiberghien, Pierre Vignon.

Préface

Louis-Léon Christians

Professeur à l’UCL

Chaire de droit des religions

Le livre de témoignages offert ici est poignant. Les souffrances évoquées sont multiples, vives, souvent sidérantes, parfois très émotionnelles. Toujours, elles méritent respect et attention.

L’Esprit est un feu. S’en approcher est un défi de Vie qui engage alors toute la personne.

La puissance de l’Esprit n’a d’égale que la mise en garde du Christ contre les faux prophètes. Le christianisme n’est certes pas le seul à être exposé à la fulgurance de l’Appel religieux, à la toute-puissance du Charisme, et aux périls de faux-dieux.

Tout acquiert par ailleurs une dimension amplifiée quand il y va de personnes vulnérables: vulnérables de par leur quête elle-même, de par leur soif d’absolu, comme toute vie d’homme et de femme en est traversée, ou encore en raison d’autres fragilités plus personnelles, sur lesquelles les exorcistes d’aujourd’hui et la psychologie contemporaine découvrent sans cesse davantage. Les témoignages porteront évidemment le fer sur le souvenir inacceptable d’une soumission piégée par un cercle spirituel devenu pathogène, autour d’un leader maîtrisant mal – ou trop bien – l’usage de son charisme. Sans cesse se rejouent les dangers du messianisme, dans lequel les contemporains du Christ voulaient enfermer ce Dernier, ce qui n’était pas son Annonce.

Quelle que soit l’origine des fragilités ou des dérives, quel que soit l’enchevêtrement des causes et des conséquences d’une rupture avec les exigences d’un Esprit cherché en Vérité, c’est à une vigilance d’Église que convoque ce livre, à une vigilance d’Église et de Société, car la personne est touchée au plus profond, et pas simplement dans sa relation de fidèle ou de croyant engagé dans une spiritualité ou en mouvement.

On ne peut en effet se contenter d’observer que les nouveaux chemins prêtés à l’Esprit sont toujours périlleux. Le risque d’abus est démontré par l’histoire. Il n’est certes qu’un risque, comme en atteste le fait que les expériences fortes, heureuses et positives constituent l’essentiel des expériences humaines de la spiritualité. Mais il est un risque, et un risque que l’on ne peut ni ignorer, ni dénier. En particulier dans le chef d’une tradition qui a porté au faîte la profession des voeux évangéliques de chasteté, pauvreté et obéissance: là exactement où aujourd’hui, presque maux pour mots, on évoquera la triade des dérives sexuelles, de l’esprit de lucre, et de l’abus de pouvoir. Dans ces dénonciations, l’« esprit du temps » se marque, qui n’est plus très prompt ni à la chasteté, ni à la pauvreté, ni à l’obéissance. Mais c’est bien d’abus et de porte-à-faux spirituels dont il est question ici.

Autant l’abus spirituel n’est-il qu’un aléa, autant la responsabilité des structures d’Église est en revanche une nécessité de tous les instants. La vigilance des Églises est donc une obligation, religieuse, morale et aussi juridique. Cette vigilance passe par la prudence de l’organisation ecclésiale, par leurs dispositifs de discernement, par leur longue accumulation de l’expérience de l’humain et par la fermeté de leur pragmatique. On verra ici tout l’enjeu qu’il y a de préférer le vocable de « nouveaux mouvements d’Église » à celui de « communautés nouvelles » qui précisément perd le lien avec un discernement institutionnel. « À vouloir faire l’ange, on fait la bête » est un adage dont on saura gré aux canonistes de le rappeler constamment, avec humilité mais aussi avec énergie.

« Savoir sans pouvoir », « pouvoir sans savoir », les mouvements spiritualistes ont souvent critiqué à leur tour les abus bureaucratiques du droit, y compris du droit canonique. Sans doute n’ont-ils pas tort non plus. Aucun dispositif humain n’échappe à la faiblesse humaine. L’Esprit peut-il encore souffler dans des vies trop cadenassées par des normes et des prudences? L’abus d’autorité peut certainement s’y cacher aussi.

Le droit, évoqué aussi dans cet ouvrage, n’assure ses garanties qu’à la condition de n’être pas un but en soi. Il doit assurer au contraire une meilleure mise en dialogue des vies et des expériences. Les apports de la psychologie sont incontournables aujourd’hui pour mesurer les enjeux réels de toute relation de vie, et pour affiner évaluation et discernement. Il s’agit aussi d’éviter tout effet non maîtrisé par de simples injonctions normatives. Le présent ouvrage montre bien l’importance de la parole et des savoirs des psychologues.

Enfin, l’abus se cache toujours. Il est important que toute parole puisse être dite. C’est la première étape vers un discernement collectif. Tel est le rôle de ce livre, avec la fragilité de ces mots et de ces émotions, mais aussi la force de la souffrance et de l’Espérance.

Louis-Léon Christians Docteur en Droit – Docteur en Droit canonique Professeur à l’Université catholique de Louvain Titulaire de la Chaire de droit des religions Membre durant douze ans du collège de direction du centre fédéral belge d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles Membre de la Commission interdiocésaine sur les nouvelles croyances et les dérives sectaires en Église

Perspective de travail

Vincent Hanssens1.

Psychosociologue,

Professeur émérite à l’Université catholique de Louvain, Belgique

Un livre jailli d’une rencontre

Une rencontre due à l’initiative d’une personne, Renata Patti, qui a su ce que cela signifiait de se voir, progressivement et inexorablement, sujette à l’emprise de l’un des mouvements analysés ici.

Sur son chemin difficile de libération, elle a trouvé, sous la plume d’un écrivain français, Olivier Le Gendre, et grâce au rayonnement spirituel d’un « prince » de l’Église, le Cardinal Martini, un sursaut d’énergie pour reconstruire son identité.

Olivier Le Gendre, qui était aussi journaliste et avait dirigé pendant de nombreuses années une société de conseil, presse et édition, avait une conception visionnaire de l’Église. Il connaissait bien l’institution romaine.

Il a écrit plusieurs ouvrages mais c’est plus particulièrement dans deux d’entre eux, Confession d’un cardinal et L’espérance du cardinal qu’il a exprimé cette vision.

Dans un autre ouvrage, Pourquoi je crois. Catholique, il me restait à devenir chrétien, il explique que devenir chrétien, c’est avoir avec Dieu non plus une relation religieuse, mais une relation de confiance et d’amour. Être catholique, c’est appartenir à une institution; être chrétien, c’est être un disciple de Jésus. Et c’est la part la plus faible en nous qui nous évangélise.

Le Cardinal Martini, jésuite, fut l’un des grands penseurs de l’Église au XXe siècle. Visionnaire également, papabile à plusieurs reprises et dont le Pape actuel, François, se sent proche, il a été recteur de l’Institut biblique de Rome, de l’Université Grégorienne dans cette même ville et archevêque de Milan, le plus grand diocèse européen. Durant six années, de 1987 à 1993, il a présidé la Conférence des évêques européens.

Très attentif à la Parole de Dieu, il a créé l’École de la Parole qui entendait rapprocher les gens de l’Écriture en recourant à la méthode de la lectio divina. Il enseignait comment lire un texte biblique utilisé dans la liturgie, le méditer dans la prière et l’appliquer dans sa vie.

Il s’adressait ainsi chaque mois à un public qui venait l’écouter en nombre croissant dans le « Duomo » de Milan, parmi lequel des milliers de jeunes.

Pour être chrétien, disait-il, répéter formellement sa foi n’est ni nécessaire, ni suffisant; ce qui est essentiel, c’est de répondre aux attentes des hommes d’aujourd’hui, qui demandent aux chrétiens de témoigner leur propre expérience du Christ.

Auteur de nombreuses publications, il manifeste une grande ouverture d’esprit, une attention particulière à l’œcuménisme et au dialogue avec les autres religions, particulièrement le judaïsme. Il émet, quelquefois, une critique à peine voilée à l’égard des autorités vaticanes.

Il s’est fait connaître du grand public notamment par le livre Croire en quoi? qui reprend sa correspondance avec Umberto Eco.

Renata Patti a eu l’intuition de les mettre en relation et la dynamique que cette rencontre a éveillée en elle, l’a incitée à faire émerger ce travail. Dans le premier chapitre, elle trace l’itinéraire personnel qu’elle a suivi et qui a conduit à la réalisation du projet.

Un livre délicat à écrire

Lorsque, les différents contributeurs de ce livre en faisaient mention, au cours de son élaboration, ils le qualifiaient toujours comme étant le « livre à voix multiples ».

Telle est en réalité, son identité. Il est l’œuvre de 21 personnes qui y ont participé à des titres divers et de façon très spécifique. S’il bénéficie ainsi de la richesse d’expériences et de compétences multiples, il reflète inévitablement la particularité de chacunes d’entre elles, son originalité, et sollicite, sans doute, une attention particulière du lecteur, invité à s’ouvrir et se sensibiliser à des regards différents sur une situation complexe.

Sa charpente est faite de témoignages. Des personnes qui ont souffert de dérives sectaires au sein de l’un des trois mouvements retenus, font part de l’épreuve qu’elles ont vécue.

Ces témoignages font l’objet d’une analyse et de réflexions de la part de spécialistes qui y apportent leur concours propre, nourri par leur connaissance d’expert et leur expérience dans un domaine déterminé.

Ce livre est délicat à écrire, d’abord parce qu’il doit partir du « terrain », de la réalité, d’expériences vécues, s’il veut que son message porte et soit entendu.

Il ne s’agit pas, en effet, de se limiter à des études, en les envisageant de manière générale, sur des situations de dérives survenues au sein de l’Église catholique, dérives qui prennent fréquemment une forme sectaire dans des communautés ou mouvements actuels. Ni de s’en tenir seulement à des considérations d’ordre théologique, moral, juridique ou psychologique sur les caractéristiques et les méfaits de ces dérives.

Il s’agit de s’attacher à ce que des hommes et des femmes ont éprouvé lorsqu’ils ont été exposés à des pratiques aussi peu évangéliques. Portés par une soif spirituelle, un désir de sanctification, un besoin de se rapprocher du Christ, ils s’étaient adressés en toute confiance à des mouvements, soutenus par l’Église, qui se présentaient à eux comme étant à même de pouvoir répondre à leurs aspirations. Ils se sont sentis trahis et l’enquête montre que ce sentiment est justifié.

Témoigner leur est difficile et pénible. La souffrance que peut provoquer le réveil de souvenirs douloureux, les questions à mettre au jour, les réactions que cela peut provoquer de la part de leurs anciens condisciples, supérieurs hiérarchiques ou collègues, les intimidations, voire les menaces dont ils peuvent être l’objet, tous ces éléments les incitent plutôt à s’efforcer d’oublier cette tranche de leur vie et à l’enfouir dans le silence.

Délicat aussi parce qu’il touche à l’Église, cette institution qu’au-delà de toute forme particulière, nous aimons car elle nous a été donnée par le Christ et qui nous fait tant souffrir quand elle s’éloigne à ce point de la mission qu’il lui a confiée. Dénoncer des dérives sectaires commises par des mouvements qui ont reçu un tel appui de la part de l’institution ecclésiale actuelle, l’Église catholique romaine, incite à penser qu’elles se sont produites au sein même de cette Église. Une Église si facilement attaquée, fragilisée par des forces extérieures hostiles qui guettent la moindre de ses failles pour l’agresser sans nuances et qui se voit, tout autant et si pas davantage, sous l’emprise de forces destructrices internes.

La démarche risque dès lors, d’être interprétée comme une agression de plus à son égard alors qu’elle se veut constructive en l’aidant et en aidant les mouvements en question à se débarrasser de leurs scories.

La devise que le cardinal Martini avait choisie, Pro veritate, adversa diligere, reprise en exergue de cet ouvrage, prend ici tout son sens: avoir la force et le courage d’accepter de se confronter à des situations difficiles et d’entendre les critiques.

Comme l’a dit récemment le Pape François, lors de sa visite à la 36e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus (Jésuites), il faut rester attentif à la critique et ne pas fermer la porte en risquant d’en prendre l’habitude. Certes, ajoutait-il, il est utile de comprendre de qui et d’où elle vient, mais, quelquefois, même la plus malintentionnée des critiques peut m’être utile. Il faut l’écouter et, ensuite, la traiter avec discernement. Ce n’est qu’après cela que l’on peut voir s’il y a lieu de l’écarter ou non.

Pour qui ce livre est-il écrit?

En premier lieu, pour les victimes elles-mêmes de ces dérives.

C’est un devoir de reconnaissance, reconnaissance de leurs souffrances, de leurs déceptions, de leur désarroi, de leur échec, de leur peur…

Reconnaître cela, c’est leur restituer leur dignité, leur dire clairement qu’elles ont été des victimes de dérives et non des membres imparfaits et infidèles. Leur dire que leur colère, si colère il y a, est justifiée car elles ont été trahies. Une colère qui loin d’être un « péché capital » est une saine réaction à l’injustice profonde du traumatisme subi.

C’est aussi et par là, un devoir de réparation qui puisse leur permettre, tel est l’un des objectifs de ce livre, de faire un deuil définitif de leur expérience douloureuse.

En deuxième lieu, pour l’Église. Comme il a déjà été précisé, il ne s’agit pas de se livrer à un réquisitoire à son égard, à la traîner en procès, mais de l’aider à prendre pleinement conscience de certaines situations graves qui se sont produites dans des sphères qui lui sont très proches et d’y remédier.

Prendre conscience qu’ici aussi, l’ivraie peut se mêler au bon grain et se laisser confondre avec lui. Que toute action spirituelle, lorsqu’elle se heurte au pouvoir et est invitée à s’y soumettre, peut se voir détournée de ses fins essentielles. Que l’égo tend si souvent à se substituer à l’esprit.

Prendre conscience que ces mouvements sont des institutions humaines qui peuvent être ébranlées par des manœuvres individuelles ou collectives, dont la force de manipulation peut être grande, inspirées par des besoins insatiables de domination et d’accumulation de biens, matériels, sociaux ou autres.

En troisième lieu, pour les personnes, particulièrement les jeunes, qui se sentent attirés par ces mouvements et envisagent plus ou moins fermement d’y adhérer. Emportés souvent par leur élan spirituel, leur soif d’absolu, leur recherche de vie sainte, ils perdent leur sens critique, sont trop sensibles aux chants des sirènes et absorbent les informations que ces mouvements leur transmettent sans discernement suffisant. Il y a lieu de les mettre en garde.

Mettre en garde, ce n’est pas détourner, déconseiller. C’est allumer des clignotants, les engager à approfondir leurs motivations, à s’informer davantage et par des sources extérieures, sur tel ou tel organisme qui les attirerait, et à vérifier s’il répond bien à leur demande et présente suffisamment de garanties quant au respect qu’il lui réservera.

Enfin, et en quatrième lieu, ce livre est aussi écrit pour les mouvements eux-mêmes. De leur part également, il peut y avoir un manque de prise de conscience ou, déjà, d’informations, sur des pratiques opérées en leur sein.

Ces mouvements se voient quelquefois dans des situations marquées par une grande complexité qu’ils ont souvent eux-mêmes entretenue.

Partis d’une initiative, voire d’une impulsion, de nature mystique, encouragés en cela par une Église en quête de renouveau spirituel et confrontée à des problèmes de désertion, ils se sont vite heurtés, par la force des choses, à des contraintes et à des problèmes d’organisation et de gestion.

Mysticisme et management ont beaucoup de peine à s’entendre, chacun pouvant pervertir, c’est-à-dire détourner de ses fins, l’autre. Le mysticisme pouvant inciter à traiter les questions d’autorité en modalités de toute- puissance. Le management étant volontiers enclin à situer la dimension spirituelle au deuxième rang, si pas plus loin encore, des préoccupations essentielles.

C’est donc livrés à des forces contradictoires qu’ils doivent évoluer, état qui ne peut que favoriser des pratiques manipulatoires auxquelles ils peuvent, de ce fait, être devenus insensibles.

Des agents peuvent également commettre des abus d’autorité, du harcèlement moral, des manœuvres d’intimidation, voire des conduites sexuelles ambiguës, si pas carrément délictueuses, sans réaliser la nature même de leurs actes, allant jusqu’à être persuadés qu’ils agissent pour le « bien » spirituel des adeptes.

Les recherches en psychologie sociale, notamment ce que l’on appelle les expériences de Milgram, ont mis en évidence le fait que, de toute bonne foi, des individus manipulés pouvaient commettre des actes de torture en étant persuadés qu’ils agissaient pour le bien de leurs « victimes ». C’est donc un sérieux effort de conscientisation qu’il faut entreprendre, ainsi qu’une action de formation, particulièrement en ce qui concerne l’accompagnement spirituel.

Structure du livre

Comme il a déjà été indiqué, le premier chapitre relate l’historique de ce projet d’écriture. Il est rédigé par l’une de ces personnes.

Les témoignages dont il est question, ont fait l’objet d’une analyse psychosociologique détaillée au chapitre 2.

Les chapitres 3, 4 et 5 exposent l’avis que, à titre d’expert et au regard des expériences faites par les témoins, un théologien, une personne consacrée, une psychothérapeute d’orientation transpersonnelle, sensible à la dimension de la spiritualité dans la démarche thérapeutique, un psychanalyste et un juriste, portent sur le fonctionnement de ces mouvements.

Le chapitre 6 s’attache au regard que le cardinal Martini portait sur ces mouvements et aux commentaires qu’ils lui inspiraient.

Le chapitre 7 reprend une grille de critères d’analyse, qu’il nourrit de réflexions, et pose quelques questions, permettant de diagnostiquer l’existence éventuelle de dérives sectaires.

Le chapitre 8 est consacré à la synthèse des différentes contributions, aux conclusions qu’il y a lieu de faire et aux recommandations et mises en application dont elles sont porteuses. Le lecteur qui souhaiterait avoir un aperçu général de l’orientation, des objectifs et du contenu de cet ouvrage peut le consulter au préalable, dans ce but.

Chapitre 1

L’élaboration du Projet.Historique du Livre

Renata Patti. A adhéré au mouvement des Focolari à l’âge de 10 ans et y est restée plus de 40 ans.

Secrétaire aux Institutions Européennes pendant 22 ans.

Élève libre à l’Institut d’Études Théologiques I.E.T., Bruxelles, Belgique. Réside actuellement en Italie.

Dans ce livre à voix multiples, les auteurs qui s’expriment diffèrent autant par leur âge, leur culture et leur langue, que par leur discipline. Pour ma part, outre ma collaboration à la mise en œuvre de ce livre, j’ai assuré le contact avec les victimes, ayant été témoin mais aussi victime, de certains abus.

L’Institut d’études théologiques

J’ai quitté officiellement le mouvement des Focolari le 13 avril 2008, pour de graves raisons que j’ai exposées ailleurs1. Dès septembre 2008 j’ai choisi de m’inscrire – comme « élève libre » – pour des cours à l’I.E.T. (Institut Théologique des Jésuites de Bruxelles). Ce fut la porte qui allait m’ouvrir le chemin vers ma Vérité.

« Bonjour Madame, vous avez choisi un grand nombre de cours, êtes-vous certaine de pouvoir tout gérer? » Le Président de l’Institut me posait là une question pertinente. Dans mon inconscience, peut-être avais-je surévalué mes forces?

Mais je pouvais compter sur sa sagesse, son expérience professionnelle et religieuse et jamais il ne m’a coupé les ailes. Quand, après quelques semaines, je venais m’excuser auprès de lui pour mes absences à son cours d’anthropologie pour cause de fatigue, sa réponse était: « Personne ne s’est plaint, vous êtes libre et toujours la bienvenue. »

Je croyais rêver, une telle liberté était-elle possible? Je découvrais des matières nouvelles pour moi ainsi que la pédagogie pleine de délicatesse de ces Jésuites et peu à peu je m’épanouissais.

À la même époque, je suis allée consulter mon médecin habituel. Elle m’accueillit comme toujours avec cordialité et à la fin de la visite, elle me dit: « J’ai lu votre lettre de démission du Mouvement des Focolari. Savez-vous qu’on parle du Mouvement dans le livre Confession d’un cardinal, d’Olivier Le Gendre. » Je pris note des références et, en sortant du cabinet médical, je suis entrée dans une librairie, j’ai acheté ce livre et me suis inscrite dans la foulée à la conférence que l’auteur allait donner pour le présenter.

Olivier Le Gendre

Le chapitre « Jeudi, maison familiale – Mission aux États-Unis » m’interpellait particulièrement.

Dans ces pages, le Cardinal d’Olivier Le Gendre dit:

« Quelques-uns de ces mouvements exigent beaucoup de leurs membres: obéissance, disponibilité, exclusivité, contribution financière importante, révérence à l’égard des fondateurs et des responsables. Face à ces exigences, vous pouvez porter deux jugements.

Le premier est de vous émerveiller de la générosité de ces chrétiens qui veulent vivre une foi engagée et ne ménagent pas leur peine. Le second est de vous demander si ces exigences ne vont pas trop loin, si elles ne profitent pas exclusivement aux dirigeants, si elles ne sont pas présentées avec trop d’insistance, si elles ne sont pas imposées par des pressions mentales anormales.

[…]

Quatre mouvements principaux ont fait l’objet d’accusation de dérives sectaires: les Focolari, le Chemin Néocatéchuménal, l’Opus Dei, les Légionnaires du Christ. Il est dangereux de couvrir ces accusations du manteau du silence, il serait préférable d’investiguer pour arriver à une conclusion claire.

– Pourquoi ne le fait-on pas?

– Nous avons été plusieurs à essayer, croyez-moi. Nous avons mis en garde, nous avons parlé au pape et à Sodano bien sûr. Nous sommes intervenus auprès du Conseil pour les Laïcs dont la plupart dépendent.

– Quand vous dites « nous », vous pensez à qui?

– Moi d’abord, je ne veux pas me cacher derrière les autres. Des évêques résidentiels comme Carlo Maria Martini avant qu’il ne quitte le diocèse de Milan. Danneels de Belgique. Un nombre non négligeable d’évêques de votre pays [la France]. Des Américains aussi qui ont interdit certains de ces groupes dans leur diocèse.

– Et pourquoi vos interventions n’ont-elles pas abouti?

– Elles n’ont pas abouti officiellement. Cependant, certaines actions ont été menées et certaines mises en garde officieuses ont eu lieu. »2

En octobre 2010, Olivier Le Gendre animait une session au Centre Ignacien « La Pairelle » à Wépion. Je me suis inscrite et j’ai demandé à le rencontrer personnellement au préalable. Rencontre qui se fit d’abord par e-mail, donnant lieu à un contact direct et ouvert de sa part, et se prolongea par la suite en une heure de dialogue « en vérité » inoubliable. Je retiens une phrase qu’il cita en finale: « On reconnaîtra l’arbre à ses fruits. »

Pendant la session du week-end, je me suis retrouvée face à une liberté évangélique jamais expérimentée: c’était ma première retraite hors du Focolare et tout était différent.

Quand j’ai reconduit Olivier Le Gendre à la gare de Namur, je lui ai dit: « Vous rendez-vous compte de ce que vous faites dans l’Église et pour l’Église? » Il a ri: « Non, je ne sais pas… pourquoi? Est-ce que je fais quelque chose? Même si c’était le cas, je préfère ne pas y penser! »

Pour moi c’était une immense découverte! Un homme, un auteur écrivait pour faire éclater la Vérité, et le faisait avec une humilité profonde que j’avais pu apprécier pendant tout le week-end.

La session m’avait redonné le message de Jésus dans toute sa pureté, sans commentaire inutile! Quand Olivier parlait, c’était pour dire l’indispensable. À la réunion finale dans la Chapelle, chacun devait choisir une phrase de l’Évangile et il choisit « Allez au large et jetez les filets ». C’est bien ce qu’il a réalisé dans son écriture comme dans sa vie.

Olivier connaissait mon passé et après la rencontre du mois d’octobre 2010, il m’a consacré plusieurs rendez-vous téléphoniques. Moments privilégiés de discernement, de vérité, de bonheur. Je lui ai raconté aussi les chemins nouveaux que ses livres me conduisaient à parcourir.

Lors de ces cours, j’ai rencontré Pascal Hubert, puis Monique Tiberghien. Elle m’a fait découvrir quelques lectures qui viendront au bon moment éclairer mon chemin3. Ces deux amitiés vont se consolider et alléger ma solitude.

Le Cardinal Carlo Maria Martini

À la Noël 2010, j’envoie au Cardinal Carlo Maria Martini à Gallarate (Italie) le livre d’Olivier Confession d’un cardinal, en version italienne Orgoglio e pregiudizio in Vaticano, accompagné d’une lettre expliquant ma sortie de Focolare pour des raisons très graves à mes yeux.

Le Cardinal Martini me répond le 10 janvier 2011: « J’écrirai à Olivier Le Gendre pour le féliciter. » Sa lettre me paraissant importante pour Olivier aussi, je la lui traduis en français. Il me remercie en ces termes: « Cela me donne une joie que vous ne pouvez pas mesurer. »

Je décide de relire certains passages de l’ouvrage d’Olivier, ceux dont le Cardinal me dira ultérieurement qu’ils sont équilibrés et reposent sur une bonne information. En fait, j’étais toujours terrassée par un poids indicible, je criais encore en silence vers Dieu: tout cela n’est pas possible, je suis tombée sur la tête. Après 40 ans d’aveuglement, faire une telle découverte, c’est immense!

Quelque temps après, ayant des questions à poser à une autorité écclésiastique de taille, et me demandant à qui m’adresser, je ne cherche pas longuement la réponse; elle fuse directement de mon cœur: le Cardinal Carlo Maria Martini.

Sa réponse est tout aussi immédiate: deux semaines après, il me donne déjà un rendez-vous.

Le 7 janvier 2012 à 17 h 00 le Cardinal me reçoit pour la première fois à Gallarate: son accueil est paternel, ces 50 minutes inoubliables!

Le samedi suivant, je raconte cet entretien à Olivier Le Gendre par téléphone, de Bruxelles à Paris: il m’écoute. Il répète pour souligner, il me questionne discrètement; je lui dis: « Ce passage-là je ne l’ai pas compris. » Il me dit: « Moi non plus je ne comprends pas. »

Il m’encourage: « Fais lui savoir que tu as encore des questions, tu verras bien ce que son assistant Don Damiano Modena va te répondre. » En fait, ce sera un bref e-mail, le Cardinal répond: « Oui, pour une salutation »; et la deuxième rencontre est fixée au 11 mars 2012.

« Une salutation » qui va durer cette fois encore 50 minutes. Je reprendrai la teneur de ces deux entretiens au chapitre 6.

Nous aurons par la suite d’autres brefs mais intenses contacts via e-mails ou SMS par les soins de son assistant.

Le 30 août je suis à Bruxelles avec mes parents milanais, nous sommes alarmés par un article du Corriere della sera, sur la santé du cardinal. Je me rends présente par un e-mail, sans recevoir de nouvelles. Alors, le 31 août 2012, après-midi, à 16 h 20, j’ose envoyer un SMS à Don Damiano, l’assurant de nos prières.

Réponse immédiate: « E’ morto un’ora fa » (il est mort il y a une heure).

Ses paroles s’impriment dans mon âme.

Les SMS de Don Damiano se terminaient toujours avec « … », trois points. Cette fois-ci, dans ces petits points, il y a la fin d’une vie, mais la réalité d’une communion qui continue encore et toujours avec le Père Carlo Maria Martini.

Je ne pleure pas tout de suite, par après, oui, sans me retenir. Mais ce jour-là, dans mon âme c’est plutôt une présence différente, pourtant bien réelle, sans limite de temps et d’espace: une présence qui a la saveur du Ciel.

Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour résumer ce que je lui avais promis le 7 janvier et le 11 mars, mais il faudra du courage pour poursuivre sans avoir l’aide de sa parole, de son courage et surtout de son calme. Nous aurons seulement son silence, silence dans lequel nous devrions toujours écouter attentivement LA Parole: « Lampe pour mes pas est ta Parole, lumière sur mon chemin. » (Psaume 119,105).

Dans son livre Il Vescovo4, traduit par Lessius L’Évêque au jour le jour5, chapitre dédié au rapport avec les religieux, le Cardinal écrit:

« Les religieux sont plus obéissants, alors que les mouvements échappent au contact spécial de l’évêque. Le terme de ‘mouvements’, auquel je fais ici référence, est généralement un faux nom donné à des groupes organisés sous une autorité très exigeante et quasi despotique. Il serait trop long de traiter ici une matière qui s’est fort développée dans les années ’80 et ’90, mais il reviendra certainement à l’évêque de se faire une idée du fonctionnement de chacun des groupes qu’il rencontrera pour pouvoir les insérer dans le plan pastoral du diocèse. »

Ce message est essentiel6.

Il avait compris que les Focolari et bien d’autres mouvements et nouvelles communautés ont une structure rigide, étroite « un peu comme l’Opus Dei », m’avaitil dit et il en connaissait certainement beaucoup plus que ce qu’il m’a dévoilé.

Ces rencontres avec lui ont été pour moi le « regard de Jésus »! Dans un SMS en mai 2012, après lecture de quelques documents que je lui avais envoyés, il m’a confirmé que j’étais dans une « foi incarnée »… C’en était trop! J’ai répondu immédiatement: « Pouvez-vous dire à Son Éminence que c’est lui le vrai témoin et maître de la Foi incarnée. »

C’est grâce à la présence paternelle de ce grand homme que j’ai osé mon chemin. Il avait dit un jour: « Il faut que nous prions pour Renata. » Pendant mes quatre années d’études en tant qu’élève libre à l’I.E.T. des Jésuites de Bruxelles, j’avais caché presque totalement mon passé chez les Focolari. Après avoir rencontré le Cardinal, j’ai trouvé le courage d’entrer en relation avec quelques professeurs, motivée aussi par le suicide de Marisa Baù, Focolarine interne de 48 ans7.

Je garde soigneusement les quelques pages écrites en italien relatant les rencontres à Gallarate avec le Cardinal. Don Damiano Modena qui l’a accompagné pendant les trois dernières années jusqu’à son dernier soupir8 avait reçu mes pages et m’avait écrit: « C’est un compte rendu très détaillé, il faut le garder. »

RivEspérance

Le 3 novembre 2012, je suis en Belgique, perdue parmi les milliers de participants du rassemblement RivEspérance 2012 dans la ville de Namur: nous écoutons, prions, échangeons des questions et cherchons des réponses. Tout est simple, tout est varié: les couleurs des vêtements, les familles, les jeux des enfants, les adolescents, les moines et moniales jeunes, moins jeunes et même très âgés, venus de congrégations diverses, des prêtres, évêques, un cardinal confondu dans la foule, des théologiens, laïcs engagés, professeurs qui enseignent et des témoins, beaucoup de témoins… en un mot: le peuple de Dieu d’une Église en marche, rayonnante de jeunesse.

J’essaye de m’adapter à un autre monde que les Focolari, mais cela n’est jamais évident. Pourquoi?

Où suis-je? Que sont devenues mes questions? Ce Forum est intense, je ne sais plus vers où me tourner. Comment la recherche d’un/e théologien/e pourraitelle révéler au monde un problème ecclésial si lourd? Ma « petite taille » m’empêche – c’est évident – d’annoncer cela toute seule par amour de la Vérité.

C’est Olivier qui a ouvert ce colloque. Il l’a fait avec tant de messages d’espoir. Après Confession d’un cardinal, il a bien écrit L’espérance du cardinal. Au téléphone je lui clame: « Alors il y a une Espérance? »

« Oui », me répond-il comme un grand frère dans la Foi qui rassure sa petite sœur ébranlée par la souffrance.

Le rassemblement de RivEspérance est une belle occasion de revoir les amis proches. Je retrouve Olivier Le Gendre et lui présente le Professeur Vincent Hanssens de l’Université catholique de Louvain et Monique Tiberghien, son épouse, qui tous deux m’aident à voir clair dans les démarches concrètes à entreprendre, notamment pour le projet de ce livre.

Grande joie de se rencontrer, de se connaître de plus près. Une petite communauté se crée au milieu de la foule de 1200 personnes. Plusieurs amis réfléchissent maintenant avec moi: je ne suis plus seule. Nous cherchons à avancer dans notre projet.

Ce week-end de RivEspérance, si riche et profond, vécu « en Église », m’a donné un nouvel élan de vie. Je réalise combien les rassemblements annuels du Mouvement des Focolari (les Mariapolis) ne me donnaient pas une vraie vie. Ici pas d’uniformité imposée! C’est un rassemblement de toutes sortes de participants qui cheminent en communion dans leur différence et les Maîtres/Témoins sont bien choisis parmi une panoplie de réalités ecclésiales.

Comment ne pas me rappeler la phrase de l’Apôtre Paul: « Moi, je suis à Paul! Et moi, à Apollos! Et moi, à Céphas! Et moi, au Christ! Christ est-il divisé? » (Corinthiens, I, 12-13).

Ici, chacun vit en liberté l’Espérance sans l’enfermer dans des structures contraignantes, tout en maintenant au centre l’unique Fondateur de l’Église: Jésus Christ.

Construction du livre à voix multiples

Tout cela est bien, MAIS l’Église institutionnelle nous laisse encore et toujours attendre.

Des questions plus profondes se posent alors:

Ai-je encore envie de faire partie de cette Église qui ne bouge pas?

Pour faire éclater la Vérité ne faudrait-il pas tout jeter en pâture à ceux qui « bouffent du Curé »?

Parfois ma conviction est claire et je la crie à une ermite dans la ville, Sœur Vitalina Floris: « Le sixième pouvoir » (les médias) serait le meilleur chemin, le plus rapide et éclairant pour tous et bien sûr le plus facile pour moi aussi. Mon cri d’angoisse doit transpercer les tympans de Sœur Vitalina, mais je sens qu’elle passe alors la « parole » silencieusement, dans sa prière solitaire, vers Celui qui est vraiment le Tout-puissant. Et, quand j’ai assez crié dans cet espace de patience infinie et de sagesse vivante, dont elle sait si bien se servir en guise de réponse, moi, je reviens à Martini, toute seule: le Père Carlo Maria Martini m’avait parlé au cœur non pas de facilité, mais de « Foi incarnée ».

Je ne peux pas trahir ma promesse!

Mes amis m’entourent de conseils, se rendent présents, proposent des solutions. Il faudrait, me disentils, que quelques évêques soient clairement conscients de l’affaire pour alerter le Conseil Pontifical pour les Laïcs duquel dépend le Mouvement des Focolari aussi.

Olivier Le Gendre nous suit avec attention et veut aussi être tenu au courant du projet de ce « livre à voix multiples » dont j’avais parlé au Cardinal Martini. Je lui dis qu’il y sera question de témoignages de victimes d’abus moraux et psychologiques, dans divers mouvements, Opus Dei, Focolari, Légionnaires du Christ, Comunione e liberazione, Chemin Néocatéchuménal, que « son » cardinal dénonce comme « mouvements à dérive sectaire » dans Confession d’un cardinal et dans L’espérance du cardinal.

Je suis toujours soutenue par ses conseils réfléchis et pondérés. C’est lui qui me fait découvrir la réalité d’autres mouvements ecclésiaux et nouvelles communautés qui, de façons diverses, présentaient des problématiques de dérives sectaires similaires à celles des Focolari. Cela aussi ne devait plus rester caché.

Olivier me dit: « Si c’est trop lourd à porter pour toi, ne t’engage pas encore, écoute et lis seulement ce qu’ils écrivent, ensuite, tu verras bien que faire. » J’ai suivi ce conseil, il était juste. Je n’ai que ma vie pour témoigner, comme tous les autres témoins.

Mais après l’accusation grave du Père Hennaux, concernant la Fondatrice des Focolari, Chiara Lubich9, et après mes entretiens avec le Cardinal Martini, la clarté émergeait en moi; par la seule grâce de Dieu, je garde la Foi et je peux répéter avec Monseigneur Bregantini10: « Non possiamo tacere »11 (Nous ne pouvons pas nous taire). J’accepte de signer « mes mémoires » sans pseudonyme.

Comment agir maintenant pour avancer en Église et « faire la Vérité »? Qui pourrait être le meilleur interlocuteur?

Je me sens moins seule, je rencontre de plus en plus de personnes déjà sensibles au danger de ces dérives et prêtes à lutter pour lever le voile sur les abus de certains mouvements.

Les personnes les plus proches et qui s’engagent auprès de moi avec une amitié profonde sont sans doute Vincent et Monique.

Nous rejoint également, à ce moment-là, Peter Annegarn, Président du Conseil Interdiocésain des Laïcs, membre du Forum Européen des Laïcs et Président de Caritas Belgique/Luxembourg et, bien entendu, Olivier Le Gendre, l’acteur principal de ma découverte de la dérive sectaire des Focolari en 2007. Ce sera son dernier soutien car il est très malade.

Je bénéficie encore de conseils d’autres personnes: évêques, prêtres, religieux et, dans mes petits voyages, je tisse des liens avec des experts et quelques victimes.

À travers le livre de Jean Giono L’homme qui plantait des arbres12, je découvre une méthode pour diffuser le message. Je ne plante pas des arbres, il me faut « planter » des livres, beaucoup de livres pour faire parler les auteurs qui peuvent le faire avec compétence et autorité.

Pour ma part, pendant l’été 2009, 15 jours m’avaient suffi pour écrire 180 pages en italien: mes mémoires. Les mots sortaient tous « en vrac ». J’envoyais chaque jour mes pages à ma chère Sœur Vitalina Floris, l’Ermite, qui a tellement écouté et accompagné le quotidien de personnes détruites par ces dérives qu’elle ne peut pas se taire non plus. Elle m’écrivait: « Continue, continue… mais en fait, je n’ai pas besoin de t’encourager tu es bien lancée. » Elle priait pour moi ainsi que pour toutes les victimes de ce drame collectif. Il faudrait dénoncer – disait-elle –, tu n’es pas la seule! Tant de personnes souffrent énormément!

Je choisis maintenant de raconter les faits, avec précision, à temps et contre temps, et faire silence sur l’explication du « pourquoi », en laissant cela à la parole compétente des experts de diverses disciplines.

Beaucoup de personnes, effectivement, souffraient dans ces structures! Je devais le dire, mais ma voix était celle d’une ex-Focolarine, elle pouvait être étiquetée comme celle d’une malade et aucune étude sérieuse ne pouvait encore soutenir ce que j’avançais dans mes pages. N’importe qui pouvait dire que c’était faux! Pourtant, là n’était pas le problème car même cela ne m’aurait pas affectée. Où était donc l’obstacle?

C’est grâce à une phrase que m’écrit le professeur Autiero13, « Vous qui êtes “avec Martini” essayez d’exprimer votre dénonciation avec “parrhésie” », que je vais changer d’attitude.

Qu’est-ce que la parrhésie? Dans quel livre Martini explique-t-il cela? Sa bibliographie est immense! Devant l’évidence de mon incapacité à la parcourir, je n’hésite pas à appeler à mon secours un disciple fidèle: « Buon giorno Don Damiano, où puis-je trouver l’explication de la parrhésie chez Martini? »

La réponse de l’expert est timide et très humble: Peut-être dans Le ali della Libertà (Les ailes de la Liberté). C’est exact!

Je lis et relis encore ce texte de Martini pour essayer d’approfondir comment agir avec parrhésie. Il s’agit de s’exercer à ce franc-parler et de dire ce que l’on a de plus intime et de plus vrai avec courage. Comment se tenir à l’écart des « pieux » mensonges? Je réalise que parler vrai, c’est prendre des risques tout en restant bienveillant pour l’autre.

Mise en chantier d’un livre à voix multiples

C’est le week-end des 24-25 mai 2013 que le projet d’un livre à voix multiples est mis en chantier.

Pour le 24, Don Damiano Modena avait accepté l’invitation de présenter son livre Carlo Maria Martini. Custode del Mistero nel cuore della storia, éd. Paoline, qui est maintenant aussi édité en français14.

Il est accompagné par le Père Benoît Malvaux SJ15 et accueilli par Joël Braem à la Librairie UOPC pour sa conférence. Après une séance de questions/réponses très intenses, il nous propose le texte d’un ami du Cardinal Martini qui restera dans nos cœurs comme moment de véritable prière. Nous sommes touchés.

La soirée se conclura en petit comité autour de la table, à la cuisine de l’UOPC avec un repas amical soigneusement préparé par Sylvie, ma « sœur de cœur », venue encore une fois à mon secours à la dernière minute. La soirée se prolonge autour de Xavier Léger, de Lyon, qui – ancien Légionnaire du Christ – déborde tant de souffrances et de dénonciations qu’il ne peut plus les cacher. Le partage est accablant.

Le lendemain, un petit groupe de victimes et d’experts, intéressés à faire la Vérité dans l’Église et pour le bien de l’Église, se réunit, à mon invitation, au centre de formation « La Pairelle » des Jésuites, près de Namur.

Des témoignages sous forme de réponses à un questionnaire ou en texte libre leur sont présentés et Don Damiano y fait une deuxième conférence sur le livre de Martini Le ali dellla libertà16. Il nous le présente sous l’angle de la réalité des mouvements ecclésiaux et des nouvelles communautés telle que la perçoit le Cardinal.

Ce livre, comme ceux d’Olivier Legendre, m’amène au centre de la cible. C’est là, comme je l’ai indiqué, que j’ai trouvé la définition du terme « Parrhésie ».

Oui, c’était bien cette qualité-là qui nous avait réunis et convaincus que notre livre devrait être une dénonciation claire des dérives sectaires et serait utile pour l’Église, mais qu’il nous fallait garder à l’esprit cette façon de s’exprimer et garder ce « ton » bien particulier pour être crédibles.

Après la conférence, le projet est présenté dans les détails. C’est le signe d’un travail collectif en train de se développer. Le Cardinal Martini l’avait déjà béni quand il m’avait dit: « Bien, vous faites cela et moi je vais écrire au Pape… avec d’autres évêques à propos des mouvements. »

Le soir, Xavier Léger me dit: « Cette rencontre a été inspirée. » Et nous allons de l’avant avec courage. Chacun accomplit son travail dans son domaine, mais spontanément nos chemins s’entrecroisent très souvent.

D’autres interventions nous aident. Par exemple, j’entends à RivEspérance, M. Philippe van Merbeeke17 dire: « Qui idéalise sa mère ne grandira jamais. » Et encore: « Il nous faut former des maîtres qui parlent aux adolescents et en même temps espérer qu’ils soient de vrais témoins… » Je comprends enfin qu’une personne leader qui n’aurait pas acquis une vraie maîtrise d’ellemême, celle qui permet à l’autre d’accéder à sa propre expérience spirituelle en toute liberté, peut amener un peuple à des dérives graves, qui ne font avancer ni l’Église, ni l’Humanité. Je lui demande alors dans un auditoire comble: « Que pensez-vous de l’idéalisation des leaders des mouvements ecclésiaux? » Sa réponse est sans détour: « Pour moi les leaders sont des symboles maternels. »

Confirmation éclairante de ce qui s’est passé avec Chiara Lubich que nous tous, petits, jeunes, adultes, vieux, appelions toujours « Maman ».

Olivier Le Gendre m’avait dit dès notre première rencontre: «