De la banque à la cuisine - Anna Melloul - E-Book

De la banque à la cuisine E-Book

Anna Melloul

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Beschreibung

Le parcours d'une femme qui a osé sauter le pas et changer de vie !

Anna Melloul a 50 ans. Elle mène une jolie carrière de cadre supérieure dans une grande banque et compte même parmi les rares femmes au poste de directeur. Elle gagne bien sa vie et sa voie est toute tracée jusqu’à sa retraite. Pourtant, à la suite d’un conflit violent avec son manager, Anna décide de tout quitter… et de s’inventer d’urgence un nouveau métier. C’est alors vers la cuisine qu’elle se tourne, sans mesurer les grands écarts (de compétences, de références, de revenus…) que cette reconversion représente.
Avec une plume alerte, et surtout, beaucoup d’humour, Anna nous raconte, étape par étape, sous forme d’un journal de bord, le parcours chaotique et plein de surprise de sa reconversion professionnelle. De sa formation chez Ducasse à son CAP de cuisine, de ses premiers pas comme entrepreneure à ses premières recettes « signature », Anna nous invite à la suivre sur le chemin pas si facile de sa liberté.

De cadre supérieure à cuisinière, Anna Melloul raconte dans ce livre sa reconversion professionnelle.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Anna Melloul est diplômée d’un Master II en Sociologie des Organisations (Université Paris Dauphine) et d’un CAP de cuisine. Elle a effectué une grande partie de sa carrière dans un grand groupe bancaire où elle a occupé des postes de cadre dirigeant et managé d’importantes équipes. Elle a quitté la banque en 2014 pour créer sa propre entreprise de traiteur à Paris et dans le Lubéron.

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© La Boîte à Pandore

Paris

http ://www.laboiteapandore.fr

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ISBN : 978-2-39009-461-6 – EAN : 9782390094616

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Anna Melloul

De la banque à la cuisine

Chroniques d’une reconversion

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« N’écrire jamais rien qui de soi ne sortit,

Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,

Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,

Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !

Puis s’il advient d’un peu triompher, par hasard,

Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,

Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,

Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,

Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul

Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand

Cette histoire a commencé avant…

Janvier 2013

Je viens d’avoir 50 ans. Je suis directeur. Directeur d’un groupe d’agences bancaires parisiennes qui compte trois cents personnes à ses effectifs. Je suis inscrite au registre du commerce comme « Dirigeant d’Entreprise » et je suis, de ce fait, pénalement responsable de choses assez mystérieuses. Je me fais appeler par mon prénom par les équipes, car « Madame, ça vieillit » et j’ai un beau bureau dont j’ai pu choisir le mobilier design italien. Je passe beaucoup de temps en réunions et je fais aussi quelques voyages en classe affaires à l’étranger pour créer du lien avec mes pairs. Je gagne plutôt bien ma vie, même si je trouve injuste que mon prédécesseur masculin au même poste gagne 30 % de plus que moi, alors que son diplôme est moins prestigieux, que je suis aussi jeune que lui et tellement plus sympathique.

Je suis directeur et je m’ennuie. Je crève même d’ennui. Un ennui paradoxal, fébrile, agité. Pas cet ennui de l’enfance dans la torpeur de l’été, où le temps s’étire à l’infini comme dans une pièce de Tchekhov. Pas l’ennui boudeur d’Anna Karina dans Pierrot le fou (« qu’est-ce que je peux faire, j’sais pas quoi faire »). Non, un ennui débordé et épuisant, une fatigue monumentale. Comme dans le Désert des Tartares, je sens bien que la vie passe à attendre quelque chose qui ne vient pas. Mais quoi ?

Oui, je suis directrice et je m’ennuie à mourir.

Je travaille à la banque depuis près de trente ans. J’y suis entrée comme beaucoup, par hasard, avec un diplôme de Sociologie des Organisations et la certitude absolue de ne pas rester dans cette entreprise « qui n’était pas mon genre ». J’ai été recrutée par une équipe de psychos farfelus à la direction du personnel pour former les cadres de la banque aux techniques modernes de management. En ce temps-là, la banque française est un service public. Les journaux annoncent à longueur de colonnes que le secteur bancaire est en passe de devenir « la sidérurgie de demain », une catastrophe au niveau de l’emploi. On peut voir sur les abribus la photo vaguement menaçante d’un homme en noir et blanc qui déclare : « Pour parler franchement, votre argent m’intéresse ». Décomplexé.

Chez les consultants en management, on hésite entre le modèle américain de l’excellence (« quand on veut, on peut ») et celui des sociologues français jargonnant que le monde est complexe, que les acteurs ont du pouvoir et qu’il y a de l’intelligence au plus près du terrain, intelligence qu’il suffit d’écouter pour conduire le changement.

Mue par quelques obscurs ressorts (un « c’est moi qui commande ! » issu de l’enfance, un sentiment d’imposture sur l’épaule, une revanche sociale, une couche d’ennui… ?), je me mets au défi de devenir directeur de groupe d’agences à 40 ans, un poste tenu alors par seulement 5 % de femmes. Quand je suis nommée directeur vingt ans après, les bonnes âmes ne manquent pas pour souligner que, si j’ai été nommée, c’est parce que je suis une femme. Double peine.

En 2008, la crise internationale des subprimes1 lamine la profession de banquier. Les clients n’accordent plus le moindre crédit (!) aux dires de ceux-ci et confondent hardiment dans leur vindicte le trader de salle de marchés de la City de Londres et le banquier de quartier du coin de la rue. Ils désertent brutalement les agences, les chiffres chutent, le turnover des équipes est impressionnant. Je m’épuise à former de jeunes diplômés qui fuient la banque en courant, soupçonnant déjà que la vie est ailleurs. Je m’évertue à rendre compte de résultats de questionnaires de satisfaction clients toujours plus insatisfaits, à justifier des objectifs commerciaux déconnectés du réel et à tenter de trouver du sens à tout ça.

Du sens, oui, mais quel sens ?

Alors je rêve.

Je rêve à ce que je voudrais faire plus tard, quand je serai grande. Avocate, libraire, psychanalyste, traqueuse de délinquants financiers, marchande de chocolats, écrivain célèbre… ?

Malgré un divorce, deux grands enfants, une carrière somme toute honorable de cadre supérieur, quelques rides aux coins des yeux, et des jeunes de 20 ans qui m’appellent désormais « Madame », je n’habite pas mon âge. Je continue à rêver à ce que j’aimerais faire plus tard comme si je n’étais pas déjà grande, comme si ma vraie vie n’avait pas commencé et que j’en étais toujours aux préliminaires. Je continue à caresser l’idée que je peux rebattre mes cartes. Inlassablement. Toutes mes cartes. Professionnelles, conjugales, amicales. Je veux croire, contre toute raison, que, même en ayant grillé pas mal d’années, je peux encore me « refaire », non comme on refait sa vie, mais plutôt comme on se refait au poker. Une deuxième, une troisième, une énième chance, le pari fou qu’il n’est pas trop tard et que le jackpot est encore à venir.

Terrifiée à la perspective de passer encore quinze ans à me morfondre à la banque avant d’accéder à une retraite antichambre du cimetière, je laisse progressivement mes rêves prendre de la consistance et s’élaborer en moi un début de projet. Une sorte d’ossature se dessine : je veux être mon propre patron ; je ne veux ni associé ni équipes à manager ; je veux faire quelque chose de concret qui donne un résultat palpable et qui laisse une place à la créativité et au plaisir.

Oui, mais quoi ?

Je cuisine depuis toujours. C’est la seule chose que je sais faire de mes mains. C’est aussi un moyen d’exprimer ma tendresse à mes enfants et un lieu pour les écouter me raconter leurs secrets. J’ai des centaines de livres de recettes, je prends régulièrement des cours ici ou là, et je teste sur mes proches des plats qu’ils apprécient avec gourmandise. Le catalogue de cours de l’École Alain Ducasse, l’un des chefs cuisiniers français les plus étoilés au monde, me fait particulièrement rêver. Il propose une formation-reconversion professionnelle sur huit semaines, que je trouve très chère, mais qui doit sûrement être très bien.

J’envisage toutes les stratégies pas trop risquées financièrement (congé individuel de formation, congé sabbatique, congé création d’entreprise…) pour faire cette formation et me désennuyer de mon métier de banquière. Je n’ignore pas qu’à 50 ans, un pas de côté dans une carrière a des allures de désengagement.

Pour être rêveuse, je n’en suis pas moins banquière et formée à passer les projets de création d’entreprise que l’on me présente en comité de crédits à la paille de fer du principe de réalité. Avec mon projet, le comité qui réunit toutes les instances de mon moi est impitoyable : « … tu ne peux pas rester un peu tranquille, non, bien au chaud dans la matrice confortable de l’entreprise ? Quinze ans, c’est vite passé, et puis tu envisages de payer ton loyer comment jusqu’à ta retraite ? Tu connais les statistiques d’échec sur les créations d’entreprise ? Si ça ne marche pas, tu imagines retrouver du travail ? Tu crois vraiment qu’à 50 ans, on peut changer de métier ? Franchement, tu dirais quoi à un de tes clients qui te présenterait un projet comme ça ? »

Et puis chez moi, le doute de moi est consubstantiel : « qu’est-ce que tu sais faire de bien au fond ? Former, manager des équipes, commercer, décider, gérer… ça sert à quoi ? »

Je replie alors mes rêves en écoutant dans ma voiture la chanson de Jeanne Moreau : « Je rêv’ toujours d’me tirer, d’me barrer, d’me tailler, d’foutre le camp… C’est bêt’ ce rêv’ que j’fais chaqu’ jour dans ma p’tite auto…, en v’nant du bureau… qui pourrit ma vie de nostalgie… » (La vie de cocagne)

En janvier 2013, je n’ai pas encore compris que le processus de rupture d’avec la banque est engagé et que je suis déjà, presque à mon insu, en partance.

Jusqu’à ce qu’un déclencheur accélère singulièrement le mouvement…

Février 2013

Il fait beau, je crois. Il est 16 h. Je rentre dans son bureau au sixième étage de cet immeuble haussmannien.

Je sais que cela va mal se passer. Je le sais depuis des semaines.

Il porte une chemise blanche dont il a retroussé les manches. Ses traits sont tirés, son regard est fuyant. Ses efforts pour conserver son habituelle apparence policée sont manifestes et vains.

Il me fait asseoir en face de lui à la table en verre rectangulaire. Il range nerveusement les feuilles en un petit tas inutile tout en me demandant si « je me suis préparée ». Comme pour un combat. Je réponds que ce n’est pas la première fois que j’ai un entretien d’évaluation annuelle avec mon « supérieur ». En trente ans, j’en ai eu beaucoup.

Il commence à lire. Comme surpris de découvrir ses propres mots. Il se dit heureux d’avoir quand même un petit quelque chose de positif à écrire. Quelque chose de positif sur le fait que je me suis enfin amendée sur ce sujet dont il m’a si souvent parlé.

En revanche, pour le reste…

Il enchaîne. Le ton monte. La tension entre nous est telle que le moindre mot est une étincelle. Le « combat » est engagé depuis longtemps, et les mots qui s’échangent n’ont pas d’importance, c’est un affrontement qui se déroule ailleurs, en boucles, depuis des années.

À coups de phrases sèches, d’objections et de questions, je tente de contrer ses propos qui ne sont qu’accusations :

« Un tel m’a dit l’été dernier…

—Mais c’est sacrément déloyal de sa part et de la tienne de ne pas m’en avoir parlé sur le moment… »

Je lâche la bride à la violence, quelque chose a cédé qui se retenait depuis des mois et, comme en écho chez lui, « ça » lâche aussi, des torrents de haine.

« Tout le monde dit…

—Tout le monde ? Qui, précisément ?

—Je n’ai pas à me justifier vis-à-vis de toi, tu prétends toujours avoir des explications, mais non, c’est seulement de la mauvaise gestion ! Tu as le taux le plus important de…

—Mais n’est-ce pas à toi, mon supérieur hiérarchique, de me fournir les moyens nécessaires pour travailler ?

—Si encore ça marchait, mais ça ne marche pas, tout ce que tu es capable de faire, c’est de… (geste de la main indiquant un sac qui se vide de son contenu).

—Si tu n’es pas content, tu n’as qu’à me muter ! »

Comme animé d’une rage impuissante :

« Je ne suis pas le père Noël, j’en ai parlé à tout le monde, ça va durer encore tout 2013, je ne peux pas te virer, mais on ne veut pas de cadres supérieurs comme toi, surtout maintenant que ça va être dur, on n’a pas besoin de gens comme toi (écho d’autres scènes quelques années plus tôt, avec lui déjà), on ne veut pas de cadres supérieurs qui ouvrent leur gueule, réfléchir, c’est commencer à désobéir, et puis, avec les départs de P. et de Y., tu as perdu tous tes sponsors, alors c’est fini pour toi maintenant… ».

Combien sommes-nous dans ce conflit ? Quels comptes plus anciens se règlent ou plutôt se remettent en scène ? Qu’ai-je fait pour déclencher cette violence-là ? Qu’est-ce qui parle en moi à mon insu et qui le met hors de lui ? Qu’est-ce qui hurle en lui à son insu et qui l’incite à m’anéantir ?

Que s’est-il passé d’autre ? Je me suis fermée, recroquevillée sous la violence, et il a poursuivi un monologue. Combien de temps ? Sur quoi ? Sur des chiffres que j’avais mille fois tenté de contester ? Il a crié, « pigné », sans doute débordé par sa propre rage. Il a usé d’arguments d’autorité « je sais, je n’ai pas à étayer, à m’expliquer ». Son visage a perdu toute civilité, il semble déformé par une ivresse qui vient de loin.

À la fin, je lui ai demandé si c’était « tout ». Je lui ai également demandé si je pouvais avoir un exemplaire de son papier. Il a refusé, arguant qu’il avait encore des choses à rajouter.

J’ai quitté son bureau et j’ai traversé le couloir tout droit sans m’arrêter ni regarder quiconque. J’ai marché longtemps dans Paris, puis je suis rentrée me coucher.

Je suis restée couchée pendant six semaines.

J’ai quitté la banque dix-huit mois plus tard.

Que ce soit en amour, en amitié ou pour le travail, je réalise aujourd’hui que les ruptures de ma vie ont toutes suivi le même cheminement : une maturation lente, silencieuse et souterraine, un déclencheur, le plus souvent anecdotique, suivi d’une rupture violente, urgente et définitive. Sans retour en arrière possible. Sans regret.

Quand j’ai refermé la porte du bureau haussmannien ce jour-là, la rupture avec la banque était consommée. Certes, il va me falloir des mois pour la négocier et lui donner une forme acceptable, mais, ce jour-là, précisément, un point de non-retour a été atteint. Dans le jargon bancaire, quand une créance est fichue, on a coutume de dire que « la situation est irrémédiablement compromise ». Ce jour-là, ma situation personnelle est irrémédiablement compromise. Et je le sais. Viscéralement.

Alors, après six semaines littéralement à terre, petit à petit, je me mets en mouvement. Soutenue par l’incroyable confiance de mes enfants qui ne laissent paraître aucune peur, en m’appuyant également sur la force tranquille de mon compagnon et sur l’amour de mes proches, je commence à donner corps à cette désormais nécessaire reconversion. Mon rêve devient une urgence.

Pour être admise dans cette formation chez Alain Ducasse qui me fait rêver depuis si longtemps, je dois remplir un impressionnant dossier de motivation qui laisse penser que la sélection à l’entrée sera féroce. Il faut également joindre un descriptif du projet professionnel à l’issue de la formation, projet supposé économiquement viable. Je me mets à la tâche et je rédige un projet sérieux dans lequel je développe une authentique philosophie culinaire :

« Mon projet consiste à créer et/ou reprendre une activité de traiteur pour entreprises.

J’ai trente ans d’expérience dans le secteur bancaire et tout autant dans la pratique de la cuisine familiale. Cela me semble être le bon moment pour envisager une nouvelle carrière dans un secteur différent, où mes compétences acquises en gestion des hommes et des projets, doublées de mon expérience commerciale auprès de clients particuliers et d’entreprises, pourraient être aisément transférées.

Si j’ai choisi spécifiquement l’activité de traiteur, c’est parce que j’ai eu de nombreuses occasions de commander et apprécier des cocktails dînatoires lors de réunions festives dans mon travail. En vue de mon projet, j’ai testé ces deux dernières années une trentaine de traiteurs, étudié leurs cartes et leurs prestations. Il me semble qu’il y a de la place pour une approche légèrement différente.

Tout d’abord, la mixité religieuse et ethnique des équipes professionnelles doit être prise en compte : de plus en plus de gens ne mangent pas de porc et veulent, par-là même, savoir ce qu’il y a dans les préparations trop souvent peu lisibles. Il en va de même pour ceux qui ne mangent pas de poissons, qui ont des allergies alimentaires, qui sont au régime, enceintes ou autres… Il importe donc de travailler sur une «signalétique» des aliments, à la fois discrète, élégante et claire.