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Morgane et Elsa sont deux voisines et amies. Chacune a une vie sentimentale quelque peu mouvementée et aborde ses difficultés à sa manière en essayant de tirer profit de ses expériences. Telle la chrysalide qui se métamorphose en papillon, les deux héroïnes principales de cette histoire vont transformer leur appréhension de la vie pour pouvoir mener une existence paisible.
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Seitenzahl: 275
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Un cœur dans le désert Un cuore nel deserto Merlin ou la vie autrement Silence, amour et liberté Alaïs ou l’histoire d’une renaissance Dans les pas du Christ
La citation sur la couverture est d’Antoine Lavoisier
Je ne suis rien, je le sais, mais je compose mon rien avec un petit morceau de tout.
Victor Hugo
Je dédie ce livre à toutes les personnes qui cherchent juste à vivre un bonheur simple.
Chapitre Un
Chapitre Deux
Chapitre Trois
Chapitre Quatre
Chapitre Cinq
Chapitre six
Chapitre sept
Chapitre Huit
Chapitre Neuf
Chapitre Dix
Chapitre Onze
Chapitre Douze
Chapitre Treize
Chapitre Quatorze
Chapitre Quinze
Chapitre Seize
Chapitre Dix-sept
Chapitre Dix-huit
Chapitre Dix-neuf
Chapitre Vingt
Chapitre Vingt-et-un
Chapitre Vingt-deux
Chapitre Vingt-trois
Chapitre Vingt-quatre
Chapitre Vingt-cinq
Chapitre Vingt-six
Chapitre Vingt-sept
Chapitre Vingt-huit
Chapitre Vingt-neuf
Chapitre Trente
Chapitre Trente-et-un
Chapitre Trente-deux
Chapitre Trente-trois
Chapitre Trente-quatre
Il fait nuit et je me demande ce qui va se passer. Je n’ai rien vu venir. Je suis abandonnée dans un lieu qui ne m’inspire pas confiance. Je n’ai jamais entendu parler d’événements macabres dans ces parages, cependant mon sixième sens me dit que je ne suis pas en sécurité. Ma voiture est restée assez loin et je sais qu’il me faut encore un bon quart d’heure pour la rejoindre. Je dois presser le pas. Tout à coup, je suis clouée sur place par un son qui me glace les sangs. C’est un long gémissement qui ressemble parfois à un appel. Je suis convaincue qu’une personne en détresse appelle au secours. Le son est relativement proche et persistant. J’espère qu’en suivant le sentier, je vais naturellement m’éloigner de ce coin perdu car je suis quasiment certaine qu’on me tend un piège. L’endroit est très peu visité et à une heure aussi tardive, nul n’aurait l’idée de s’y aventurer, excepté pour agresser un éventuel promeneur qui s’y serait perdu. Je m’attends à une attaque surprise à tout moment et mon cœur bat la chamade, mes mains sont moites malgré la fraîcheur nocturne et je me lance dans une course effrénée pour me mettre en lieu sûr.
Il me reste encore une courte distance à parcourir et je serai saine et sauve. Lorsque j’écoute, le bruit semble s’être éloigné et je suis un peu rassurée. Malgré tout, je me traite de poltronne et de lâche. Si la personne a réellement besoin d’aide, j’aurais peutêtre son malheur sur la conscience s’il lui est arrivé quelque chose de grave. Soudain, mon pied gauche se prend quelque part et je m’étale de tout mon long sur le sentier. Je me relève très vite et reprends ma route en claudiquant. Ma cheville me fait mal. Je déploie un dernier long effort et suis près de ma voiture. Je cherche mes clés, mais en vain. J’étais sûre de les avoir mises dans ma poche. Je fouille nerveusement. Rien. Je suis paniquée à l’idée de devoir passer la nuit près de mon véhicule avec ce bruit qui s’est légèrement rapproché d’où je suis. J’avais été plutôt rassurée de le laisser derrière moi, mais maintenant je ne sais plus que penser. Il me faut absolument mes clés. Peut-être sont-elles tombées de ma poche au moment de ma chute. Je dois aller voir. Tremblante de peur, je retourne sur mes pas. Je n’ai ni lampe de poche, ni briquet. C’est donc dans l’obscurité totale que je fais le chemin inverse d’un pas mal assuré, ne sachant plus exactement où j’ai trébuché.
Je sursaute violemment lorsqu’un cri que je reconnais pour l’avoir entendu depuis le début de la soirée jaillit juste au-dessus de ma tête. Deux billes très rondes brillent dans la nuit. Je pousse un hurlement de surprise et un froissement d’ailes y répond. Je suis soulagée. Je comprends que je n’ai eu peur que d’une chouette, d’après le cri, probablement une hulotte. Je me calme et me remémore ce que j’ai lu récemment à propos des chouettes dans mon dictionnaire des symboles : « La chouette, oiseau d’Athéna, symbolise la réflexion qui domine les ténèbres ».1 Cette simple phrase me persuade du fait que j’aurais dû réfléchir avant de me laisser embarquer dans cette aventure. L’heure n’est pas aux considérations tardives, mais à l’action immédiate : retrouver ces fichues clés. Lorsque je me retrouve à terre, dans une position inattendue, je reconnais la racine responsable de mes désagréments. Or, en m’appuyant sur le sol pour me relever, je sens un objet métallique sous mes doigts. Je le prends dans la main et victoire ! Ce sont mes clés. Je n’espérais pas avoir autant de chance, vu les mésaventures qui ont jalonné ma sortie. Je parcours encore une fois le sentier en sens inverse, toujours en boitillant, et regagne ma Clio. Épuisée, autant émotionnellement que physiquement, je peux enfin me mettre au volant et rentrer chez moi.
Soigner ma cheville, qui a pris des proportions monstrueuses me semble impératif à peine suis-je à la maison. Un bain de pied dans de l’eau salée pour commencer lui fera du bien, je poursuis avec une bonne tartine de pommade et un bandage pour me permettre de me déplacer plus commodément. La douleur est lancinante, mais je me refuse à prendre un antalgique, que je n’ai de toute façon pas en stock, mais que je pourrais aller quémander chez Elsa, ma voisine, je le sais. J’y suis d’ailleurs complètement hostile car je n’ai aucune envie de la voir ce soir. Elle faisait partie de la conspiration. Contrariée par ma soirée ratée, je ne parviens pas à aller au lit, ni à me concentrer sur le livre que j’ai machinalement pris en main malgré l’heure tardive. Je n’ai pas non plus envie de regarder la télévision. Plutôt, je rumine amèrement ce qui vient de m’arriver. Je ne parviens pas à croire que ceux qui prétendaient être des amis sincères m’aient tendu un tel piège. Ont-ils voulu tester mon courage ? Je ne saurais le dire. Peu importe le but derrière ce plan machiavélique, je leur en veux et ne suis pas prête à les revoir.
Dorénavant, j’éviterai Elsa le plus possible et si je la rencontre, je crois que je ne lui adresserai même pas la parole. Elle m’avait semblée si droite et si sincère en amitié. Quelle déception ! Finalement, après avoir considéré la situation sous divers angles, je vais au lit et m’endors immédiatement. Le lendemain matin, je suis tout aussi fatiguée que la veille car ma nuit a été peuplée de sinistres cauchemars où j’étais poursuivie par des hommes lubriques qui cherchaient à me violer et me tuer. Je suis loin d’être fraîche, mais j’ai un rendez-vous important et je me lève afin de me préparer pour m’y rendre. J’avais oublié ma cheville. Lorsque je pose le pied par terre, je pousse un hurlement de douleur. La pommade n’a visiblement pas fait l’effet escompté. J’ôte la bande que je n’avais pas trop serrée. Ma cheville a doublé de volume et elle est d’un bleu violacé ainsi que mon pied. Je décide de faire un bain de pied d’eau salée froid cette fois-ci pour essayer de le faire dégonfler. Je dois m’activer pour respecter mon engagement.
Malgré tous les efforts que je déploie, je ne parviens pas à poser le pied par terre. Je constate amèrement qu’il me faut recourir à Elsa si je veux me sortir de cette impasse. Je cherche mon téléphone portable qu’habituellement je laisse près de moi mais ne le trouve pas. Je saute sur un pied pour atteindre mes vêtements de la veille. Pas de téléphone dans aucune des poches. Je pense l’avoir laissé au salon ou dans mon sac. Je continue à cloche-pied jusqu’au salon. Pas de sac. Je m’assieds et réfléchis un instant. Qu’ai-je fait lorsque je suis rentrée hier soir ? Je passe en revue chaque fait et geste depuis le moment où je suis tombée. Je me souviens avoir pu rejoindre ma voiture, me rendre compte que j’avais perdu mes clés, avoir fait le chemin inverse jusqu’à mon point de chute, être retournée à ma voiture, mes clés dans la poche après avoir chuté une deuxième fois. Il me manque un épisode. Où est mon sac à main pendant tout ce temps ?
Je n’ai plus le temps d’attendre que les images me reviennent. Je dois me préparer pour sortir. Je me traîne jusqu’à la salle de bain et m’enfile dans la douche. Au moment de me rincer, je fais couler l’eau froide en abondance sur mon pied, l’unique solution que je peux adopter. Puis je le pommade et le bande à nouveau. Lorsqu’arrive le moment de mettre mes chaussures, je ne peux en enfiler qu’une seule. Je passe une tong et sors de chez moi pour héler un taxi. J’espère qu’il en passera un rapidement dans ma rue et que la personne que je dois rencontrer sera encore là. Je sais qu’elle déteste attendre. La ponctualité est un maître mot pour elle puisqu’elle est signe de respect. À peine ai-je ouvert ma porte qu’Elsa est devant moi, l’air contrit. Je fais mine de ne pas la voir et lui tourne le dos. Elle connaît mon programme et me suit pour me parler. Je ne réponds pas à son appel. Elle insiste et me rejoint. Elle entre même dans l’ascenseur et se plante devant moi.
— S’il te plaît, Morgane, regarde-moi. Je sais que tu es fâchée pour hier soir et tu as raison. Mais crois-moi, ça ne devait pas se passer ainsi. Je vais te conduire à ton rendez-vous et je t’expliquerai dans la voiture. De toute façon, tu ne peux pas conduire avec ton pied bandé, et tu as besoin d’un appui pour te déplacer. Et en plus, tu n’as même pas ton sac à main. Veux-tu que j’aille te le chercher ?
Je maugrée :
— Pas la peine, je l’ai perdu.
— On va d’abord regarder dans ta voiture s’il y est et après je t’emmène.
— Pas la peine. Je prends un taxi.
— Cesse de me faire la tête. Quand je t’aurais expliqué ce qui s’est passé, tu ne m’en voudras plus, ni aux copains.
Il ne m’était pas venu à l’idée que quelque chose de grave avait pu se passer pour qu’ils me fassent faux bond.
— D’accord, lui dis-je d’un ton acerbe malgré tout.
Tout en cheminant vers ma voiture avec l’aide d’Elsa, je repasse dans ma tête l’organisation de la soirée. Tous se sont retrouvés à la sortie de leur travail puisque leurs firmes sont dans le même quartier. Comme j’étais la plus proche de notre lieu de rencontre, il était convenu que je m’y rende seule et par mes propres moyens. Je ne devais faire que quelques pas avant qu’ils ne me rejoignent, mais je décide d’aller jusqu’au lieu de rendez-vous avant eux. « Ils verront ma voiture et me rattraperont » me dis-je. C’est alors que l’attente dure longtemps, trop longtemps et que la nuit me surprend car jusqu’à la dernière seconde, j’ai espéré qu’ils arrivent. Cette soirée était importante pour nous car nous avions prévu un défi essentiel pour moi. Je pensais même que cette expectance en était le début.
Lorsque nous arrivons près de mon véhicule, regarder si mon sac à main s’y trouve est mon premier réflexe. Rien, ni sur le siège arrière, ni sur celui du passager. Elsa ouvre le coffre, et quel soulagement de voir que je l’y avais mis pour ne pas m’encombrer en chemin hier soir. J’y trouve aussi mon téléphone portable que, par étourderie, j’avais tout bonnement oublié de prendre avec moi. Nous montons en voiture, et comme elle connaît l’endroit où je dois me rendre, je sais que je peux bouder tout le long du trajet. Nul besoin finalement car Elsa me raconte par le menu tout ce qui s’est passé la veille. Seulement Harold et Maude sont sortis. Hugo et Raphaël n’arrivant pas, ils les ont appelés l’un après l’autre. N’ayant pas de réponse, ils ont décidé d’aller à la réception de l’entreprise pour glaner des informations. Je suis arrivée au moment où on leur disait qu’Hugo avait été conduit aux urgences car il avait eu un malaise grave. Raphaël avait décidé de l’accompagner et avait suivi l’ambulance avec sa voiture.
— Nous avons d’un commun accord convenu de nous rendre aux urgences pour avoir plus de précisions en pensant n’y rester que quelques instants et de te rejoindre ensuite pour t’en informer. Nous savons combien Hugo compte pour toi. Mais lorsque nous sommes arrivés, il venait d’être amené au bloc. Nous avons essayé de te joindre, mais en vain. Nous avons alors passé la moitié de la nuit dans les couloirs de l’hôpital à attendre le résultat de l’opération. Je suis navrée de t’apprendre une telle mauvaise nouvelle après les amers déboires que tu as connus hier soir.
Mon cœur se met à cogner dans ma poitrine et je me sens presque défaillir. Ce que vient de me dire mon amie m’abasourdit. Il me faut dix bonnes minutes pour me reprendre et murmurer plus pour moi que pour Elsa.
— Mon dieu, ma tête de linotte finira par me perdre. Comment pourrais-je jamais me pardonner de vous avoir détestés de m’avoir abandonnée à mon triste sort et de ne pas avoir été là quand il avait besoin ?
— Inutile de te flageller, tu n’y changeras rien. Hugo est aux soins intensifs car l’opération n’a pas pu être pratiquée hier soir. Les médecins ont préféré le garder en observation pendant vingt-quatre heures. Il semblerait que son état nécessite une grande prudence. Nous n’en connaissons pas la raison, nous ne sommes pas sa famille.
— Dès que j’ai terminé mon rendez-vous, j’aimerais que tu me conduises à l’hôpital. Peut-être aurais-je la permission de le voir ? Je ferai regarder ma cheville en même temps afin de m’assurer que je n’ai pas de fracture. Enfin, si tu peux.
— J’ai pris ma journée. Je peux t’accompagner sans problème.
— Merci. Je suis désolée de m’être conduite de manière aussi rustre. Ma soirée a aussi été éprouvante et il semblerait que je ne sois pas encore au bout du tunnel.
— J’espère que ton rendez-vous est sous de meilleurs auspices et qu’il t’apportera ce que tu attends.
— Je l’espère aussi. Je ne pense pas en avoir pour très longtemps. Je te retrouve ici. À plus tard.
1 Dictionnaire des symboles, de CHE à G, Ed. Seghers et Ed. Jupiter, Paris, 1973, p. 28
La rencontre vers laquelle je me dirige me mets sur des charbons ardents. Je suis sans travail depuis plusieurs mois et je suis impatiente de me soumettre à cet entretien. La vie a été très clémente avec moi jusqu’au jour où j’ai perdu mon emploi. L’oisiveté n’est pas dans ma nature et j’ai eu d’énormes difficultés à m’y habituer. Aujourd’hui, c’est mon premier entretien d’embauche obtenu grâce à des amis influents et je sais que si je ne suis pas ponctuelle au rendez-vous, le poste reviendra à quelqu’un d’autre. C’est la condition sine qua non. Je préfère ignorer l’heure et me hâte tant bien que mal avec cette cheville douloureuse. Lorsqu’enfin je suis en présence de mon interlocuteur, il me montre l’horloge accrochée au mur et me dit sans ambages :
— Une minute de retard. On m’a averti que vous boitiez, sinon j’aurais déjà pris la candidate suivante.
— Je suis désolée pour ce retard. J’ai fait de mon mieux pour être à l’heure, mais il est vrai que dans les escaliers, j’ai eu d’énormes difficultés à monter les marches.
— Bien, passons aux choses sérieuses.
Je n’ai pas répondu à sa remarque, mais j’avais très envie de lui objecter que mon état physique, psychologique et matériel actuel me semblait assez sérieux. Ses questions ont été pertinentes, parfois déstabilisantes, mais je pense m’en être assez bien sortie. Cependant, en redescendant, la douleur de mon pied fut décuplée au point de m’arracher des larmes. J’avais hâte de me laisser tomber sur le siège de la voiture d’Elsa et de me laisser conduire à l’hôpital mais je redoutais les nouvelles qui m’y attendaient. Elsa était d’avis que je fasse d’abord voir ma cheville. Moi, je voulais d’abord connaître l’état de santé d’Hugo.
À la réception, je m’enquis immédiatement de lui, mais Elsa me contrecarra en demandant le chemin pour les urgences. La réceptionniste, ne sachant à qui répondre, nous tourna le dos en maugréant. Nous dûmes attendre qu’elle veuille bien revenir vers nous. En attendant, Elsa me demanda instamment de me taire et de consulter en priorité un médecin. Ma cheville avait encore enflé et dans peu de temps, je devrais enlever la tong si je continuais à m’y appuyer. En me soutenant, nous nous dirigeâmes vers les urgences dont nous venions de découvrir le panneau indicateur, caché derrière une plante verte. L’attente ne fut pas trop longue, par contre je dus subir toute une série d’examens dont le résultat ne m’enchanta guère.
— Vous souffrez d’une fracture malléolaire, heureusement pour vous, votre syndesmose et votre cheville sont intactes et ce n’est pas une fracture bimalléolaire, me console le médecin.
Une immobilisation totale de la jambe dans un plâtre pendant six semaines m’enchante d’autant moins que je viens peut-être de trouver un emploi et que ma situation physique risque de me le faire passer sous le nez. Je questionne immédiatement le docteur afin de m’assurer que je peux aller et venir à ma guise et me rendre au travail sans problème.
— Il n’y a aucune contre-indication à la marche si vous êtes plâtrée. Vous aurez une chaussure un peu moins confortable et moins esthétique pour vous déplacer. Vous verrez, vos collègues seront ravis de pouvoir écrire sur votre plâtre. Vous garderez de bons souvenirs lorsque nous vous l’enlèverons car il vous revient de droit.
— Merci docteur. J’aurais préféré les souvenirs sur une carte postale plutôt que sur un plâtre. J’ai un ami qui a été hospitalisé hier soir en urgence, sauriez-vous me dire dans quelle chambre il se trouve ou dois-je retourner à la réception pour m’en enquérir ?
— Vous devez d’abord passer par vos propres soins avant toute visite à un malade. L’infirmière va vous conduire dans la salle pour que je puisse vous plâtrer.
L’infirmière, une jeune blonde très sympathique, arriva avec un fauteuil roulant et me conduisit dans une autre salle où le docteur m’attendait.
— Mais ma cheville est très enflée. Comment pouvez-vous me plâtrer dans ces conditions ?
— Ne vous inquiétez pas. C’est mon travail.
Le plâtre achevé, il me donna quelques conseils :
— Si vous constatez que votre plâtre flotte, revenez me voir immédiatement et nous le referons. L’important, c’est que votre cheville demeure immobile pendant six semaines environ. D’ailleurs, je vous conseille de relever votre jambe en position assise et de surélever votre talon au lit, éventuellement avec un oreiller.
— Entendu. Merci beaucoup. Au revoir docteur.
Elsa m’attendait dans le couloir après être allée se renseigner à propos d’Hugo et se restaurer à la cafeteria de l’hôpital. Nous nous dirigeâmes à la vitesse d’un escargot vers la chambre numéro trente-deux. Je sentis l’angoisse monter en moi et la sueur commença à perler à mon front. Était-elle due à l’effort ou à mon anxiété ? Je n’aurais su le dire. Devant la porte, Elsa dût user de toutes ses forces pour me soutenir et m’éviter de chuter. À peine entrées dans la chambre, je me laissai tomber de tout mon poids sur la première chaise vers laquelle elle me conduisit. Puis elle se planta devant moi et me donna quelques tapes sur les joues pour m’éviter le malaise. Revenue à moi, je pus enfin tourner mon regard vers le lit où Hugo était tranquillement étendu, les yeux écarquillés de surprise, et il balbutia :
— Mais enfin, que t’est-il arrivé, Morgane ? Pourquoi ce plâtre ? Tu es tombée ?
À mon tour, je ne pus que susurrer :
— Oui, hier soir, je me suis pris le pied dans une racine et me suis tordu la cheville. Mais pour toi, que s’est-il passé ?
— Un simple malaise hier au travail. Comme je ne parvenais pas à revenir à moi, ils m’ont amené aux urgences, craignant un problème cardiaque. Après de nombreux examens, ils ont conclu à un simple surmenage, « burnout » si tu veux utiliser le mot à la mode.
— Et pour combien de temps en as-tu à l’hôpital ?
— Je pense que je vais rentrer demain. Ils veulent être certains que ce n’était rien de grave. Les résultats des prises de sang ne seront disponibles que ce soir tard. Ils sont surchargés en ce moment à cause de tous les gens qui remplissent le service des urgences pour des petits riens bien souvent. Comme moi, en fait.
— Ne plaisante pas. S’ils te gardent, ce n’est pas un « petit rien » comme tu le penses. Je ne te demande pas non plus de te faire un sang d’encre, juste attends le verdict avant de te faire tout un tas d’idées.
— D’accord. Je vais suivre tes conseils. Maintenant, tu ferais bien de suivre ceux de ton médecin car je suis bien certain qu’il t’a instamment demandé de te reposer. Il vient de te plâtrer et je pense qu’il serait bon pour toi de mettre ta jambe à l’horizontale plutôt qu’à la verticale comme ici.
— Tu as raison, soyons raisonnables. Je ne voudrais pas trop te fatiguer non plus. Appelle–moi quand tu sors. À bientôt.
Avec l’aide d’Elsa, nous regagnâmes sa voiture cahin-caha. Je n’étais pas complètement rassurée. Un léger doute subsistait en moi. S’il n’y avait aucun signe de problème cardiaque, pourquoi Hugo devait-il rester hospitalisé jusqu’au lendemain ? Quels examens supplémentaires avaient-ils faits ? Les médecins lui disaient-ils toute la vérité sur son état de santé ? Je ne m’ouvris pas trop à mon amie de crainte qu’elle ne se moque de moi. Je saurai très vite puisqu’il devait sortir dès le lendemain.
De retour à la maison, je me laissai glisser sur mon canapé et posai délicatement la jambe plâtrée sur la table basse, en attendant qu’Elsa me prépare une boisson chaude largement sucrée de miel pour que je puisse reprendre des forces. Je n’avais pas faim, j’étais seulement très altérée. La journée, trop riche en émotions et extrêmement douloureuse autant physiquement que moralement, m’avait littéralement exténuée. Mais au moins n’étais-je pas seule. La compagnie d’Elsa, qui voyait plus souvent le côté positif des situations que celui négatif m’était aujourd’hui d’un grand réconfort. J’acceptai qu’elle me dorlote comme une enfant. Cependant, elle ne niait pas que mon handicap physique aurait une incidence sur l’obtention du poste que je convoitais, même si mon entretien s’était bien passé et si j’avais été chaudement recommandée.
En fin de soirée, elle dut rentrer chez elle. J’avais peu d’appétit, ainsi me contentai-je d’un simple yaourt avant de filer au lit. C’est à ce moment-là que je me rendis compte que la proposition de mon amie de venir un instant pour m’y aider me parut moins incongrue que lorsqu’elle me l’avait offerte. Toutes les petites choses que l’on fait sans même y penser devenaient un véritable casse-tête dans ce genre de situation. Bien sûr, le fait que la douleur me bloque au niveau des gestes puisque je tenais à peine debout, rendait déshabillage et toilette difficiles. Après une bonne demi-heure de lutte avec mes vêtements et mes divers produits de soin, je m’affalai sur mon lit, oubliant complètement les recommandations du médecin. Les couvertures pesaient sur le plâtre et toute position devenait inconfortable. Moi qui ne supportais pas d’être découverte dus me contenter du drap sur la moitié de mon corps seulement. Je ne pouvais en outre pas me tourner sur mon côté préféré, toujours à cause de ce fichu plâtre. Inutile d’espérer dormir dans ces conditions. Je restai malgré tout allongée en essayant de trouver le sommeil, sans succès.
Exaspérée, je me levai et allai m’étendre sur mon canapé, la jambe sur un accoudoir, une bonne couverture sur moi et je m’endormis. Un coup de sonnette me réveilla. Je pensais qu’Elsa venait aux nouvelles. Mais lorsque j’ouvris la porte, j’eus l’heureuse surprise de trouver Hugo devant moi.
— Mais quelle heure est-il donc pour que tu sois déjà là ?
— Il est bientôt 11 h et je meurs de faim. Veux-tu que j’aille chercher quelque chose à manger ? La nourriture de l’hôpital m’a laissé un énorme creux à l’estomac.
— Pas la peine, grâce à Elsa, j’ai acheté des plats tout prêts pour en avoir pendant quelques jours, jusqu’à ce que je m’habitue à marcher avec ce handicap. Mais toi, que t’est-il arrivé, sérieusement ?
— En réalité, je ne sais pas. J’ai eu ce gros malaise au travail. On a vraiment cru à des symptômes cardiaques, surtout au niveau des douleurs. Et puis, j’avais la sensation de partir. C’était paniquant. J’ai pensé mourir.
— Et je suppose qu’ils n’ont rien trouvé puisque tu es sur pieds. Par contre, si tu ne veux pas défaillir une deuxième fois, je vais aller tout de suite à la cuisine.
— Non, tu restes sur le canapé. Si tu me dis où sont les victuailles, je m’en occupe.
— Dans le congélateur, comme d’habitude.
Heureuse de voir Hugo en parfaite santé et prêt à jouer les nounous, je n’objectai pas et me laissai cocoler. Une odeur de nourriture vint stimuler mes glandes olfactives et mon estomac gronda. Je n’avais presque rien mangé la veille. En outre, partager un repas avec lui était un désir que je nourrissais depuis longtemps. Lorsque tout fut prêt, il vint me chercher, me soulevant délicatement du canapé et me serrant tout contre lui pour me conduire jusqu’à la table. Je rougis de plaisir, une réaction que je ne pus réfréner tant ma joie était grande. Être à son bras, même quelques instants seulement, me faisait imaginer une vie ensemble, des petits moments comme celui-ci où nous pourrions savourer notre intimité. Le grincement des pieds de la chaise me fit revenir à la réalité et je rougis de nouveau, me sentant cette fois-ci gênée par mes pensées saugrenues. Il n’y avait jamais rien eu entre nous et je faisais des plans inutiles sur la comète, Hugo étant d’une discrétion extrême sur sa vie. Je ne savais même pas s’il était célibataire ou s’il était marié.
Le repas se déroula dans la joie, pour Hugo parce qu’il était sorti de l’hôpital indemne et moi parce qu’Hugo prenait soin de moi. Le déjeuner terminé, nous finîmes de déguster, lui son verre de vin, moi ma tisane, sur le canapé du salon. Je sentais en lui l’envie de se confier et en même temps une certaine retenue. Nous nous connaissions depuis peu et il était encore prématuré de nous abandonner aux confidences. L’atmosphère bon enfant s’y prêtait, mais j’avais la sensation qu’Hugo avait érigé une barrière entre lui et ses semblables. De quoi se défendait-il ? Je l’ignorais. La patience semblait être de rigueur avec lui. Personnellement, j’aurais plutôt tendance à être à l’opposé, à me raconter à la première rencontre, à me dévoiler librement. Avec lui, ce n’était pas possible car il mettait un frein tangible aux discussions intimes. Il partit fort tard. Je passai le reste de l’après-midi à rêver sur mon canapé, me contentai d’un léger repas et décidai d’aller me coucher. Encore une fois cependant, j’oubliai l’oreiller et je peinai à me mettre au lit. Je n’avais aucune envie de me relever pour le chercher.
Je restai éveillée encore quelques heures au bout desquelles je sombrai dans une sorte de bienheureuse somnolence qui m’amena progressivement à un sommeil profond. Inoccupée comme je l’étais, rien ne me pressait de me lever et je flânais au lit jusqu’à l’heure du déjeuner. Entre lecture, télévision, repas, les journées s’écoulaient mollement. Cela m’agaçait de ne pouvoir bouger plus, de n’avoir aucun contact avec des collègues, de travailler en compagnie, de sortir de chez moi. Penser que j’allais être bloquée à la maison aussi longtemps me mit de mauvaise humeur et dans ma nervosité, je cassai un verre et me coupai légèrement un doigt. Aller à la salle de bain, fouiller dans l’armoire à pharmacie pour me trouver un pansement m’occupa un bon moment et me permit de relativiser. M’exciter pour rien ne m’était nullement bénéfique. Je devais simplement prendre mon mal en patience. Lorsqu’on sonna à ma porte vers la fin de la journée, j’étais ravie.
J’eus la surprise de voir devant moi, Gustave, un des amis avec qui nous avions rendez-vous le soir où je m’étais blessée. Il venait gentiment prendre de mes nouvelles, puisque je n’avais avisé personne depuis ce fameux soir. Elsa l’avait mis au courant dans la journée et il n’avait pas hésité un seul instant à me rendre visite.
— C’est gentil de la part d’Elsa de t’informer, mais depuis le jour où elle m’a conduite aux urgences, je ne l’ai plus ni entendue ni vue. J’espère qu’elle va bien.
— Elle a eu beaucoup à faire dernièrement et elle est rentrée tard du travail tous les soirs. Elle n’a pas osé sonner à ta porte de crainte que tu ne sois déjà au lit.
— Un petit WhatsApp ou un sms ça ne coûte rien et ça fait plaisir à la personne qui le reçoit.
— Tu as raison. Elle passera certainement te voir demain. Ce soir encore, elle finit tard. Ne compte pas trop sur elle.
Nous parlâmes à bâtons rompus quelques heures, puis il me quitta en me promettant de reprendre de mes nouvelles régulièrement. Je le remerciai chaleureusement pour sa gentillesse, ne manquant pas de lui dire que les journées et les soirées étaient bien longues quand on ne peut pas bouger de chez soi. Il eut un petit rire gêné et il partit sans se retourner. Quelques minutes après, j’entendis un bruit de voix qui attira mon attention. Gustave était revenu sur ses pas et entrait chez Elsa. Que voulait dire ce mensonge ?
Prise par mes soucis de travail, je n’accordai plus aucune importance à ce que j’avais vu quelques jours auparavant. On venait en effet de me signifier que, vu mon accident et mon indisponibilité, le poste avait été attribué à quelqu’un d’autre. J’étais repartie pour d’interminables « surfings » sur Internet à la recherche d’un emploi. Elsa passait de temps en temps pour me ramener les courses que j’étais dans l’incapacité de faire moi-même, mais nous ne parlions que de mon problème de travail et de l’évolution de ma cheville. Nous n’avions plus abordé le sujet d’Hugo ni des amis que je ne voyais plus du fait de mon immobilité.
Un soir cependant, Gustave revint sonner à ma porte. À la façon dont il me regarda, je sentis immédiatement que la nouvelle qu’il allait m’annoncer n’était pas bonne.
— Alors Morgane, comment va cette cheville ? me dit-il sur le ton le plus désinvolte qu’il put prendre.
— La guérison suit son cours et la patience reste la seule manière pour moi d’appréhender l’avenir. Je n’ai pas été prise pour le poste auquel je m’étais présentée le jour de mon accident, ce qui fait que je passe tout mon temps sur Internet à chercher un boulot. Comme je ne peux pas me déplacer, cela risque de prendre des mois.
— Je comprends. Ce doit être très dur de garder le moral dans de telles conditions.
— J’essaie de ne pas y penser. Mais tu n’es pas venu que pour moi. Tu as l’air préoccupé. Que se passe-t-il ?
— Je suis conscient que ta situation est très délicate en ce moment et j’ai beaucoup hésité à venir te voir pour t’apprendre la nouvelle. Nous avons même tenu conseil avec Elsa et nous avons décidé que je m’en chargerai. Voilà. Hugo est à nouveau hospitalisé. Son état est grave. Il est aux soins intensifs et on ne sait pas si ses jours sont en danger ou non. Comme nous ne sommes pas de sa famille proche, il ne nous est pas permis de le voir ni d’avoir des nouvelles certaines.
— Quand est-ce arrivé ?
— Il y a quelques jours. J’ai appelé son travail et ils m’ont dit qu’il était à l’hôpital depuis la veille et que son état semblait très alarmant.
— Est-ce que tu as téléphoné récemment ?
— Non, je ne l’ai pas fait mais les dernières nouvelles datent de jeudi, or nous sommes samedi. Je ne suis pas certain qu’il y ait eu un grand changement. À moins qu’il n’ait été opéré. D’après ses collègues, il semblerait que ce soit une récidive du problème qu’il a eu dernièrement.
— C’est gentil de m’avoir avisée. Si tu en sais plus, passe me voir à l’occasion pour m’en informer. Et s’il va mieux, je lui téléphonerai à l’hôpital.