Dis, c'est quoi le capitalisme - Xavier Dupret - E-Book

Dis, c'est quoi le capitalisme E-Book

Xavier Dupret

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Beschreibung

Depuis que les États-Unis ont gagné la guerre froide, le capitalisme est, dit-on, la seule manière d'organiser l'économie. Fin de la discussion ? Pas si vite ! Car de quel capitalisme parle-t-on ? L'émergence du modèle chinois témoigne du fait qu'il en existe plusieurs types. Quels en sont les points communs et les spécificités ? Comment ce système économique s'est-il mis en place ? Quel rôle a-t-il joué dans la crise de 2007-2008 ? Sera-t-il toujours le modèle prédominant à l'avenir ? Autant de questions abordées dans ce livre qui permet de rompre avec bon nombre d'idées reçues.




À PROPOS DE L'AUTEUR


Xavier Dupret est économiste. Il travaille à l'association Joseph Jacquemotte depuis 2014. Ses centres d intérêt sont l'économie du développement et l'Amérique latine. Il est également formateur sur les questions économiques pour diverses organisations syndicales. Il oriente, depuis peu, ses recherches sur l'Afrique et le Maghreb (en particulier l'Algérie).

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Couverture

Page de titre

À Odile et Ludivine, pour avoir très patiemment accepté de servir de cobayes à mes tentatives d’ordre pédagogique

C’est par un triste et morne après-midi pluvieux d’octobre que je me suis rendu à un étrange rendez-vous. Il faisait déjà sombre. Trois jours auparavant, un courriel m’était parvenu. Une jeune étudiante en terminale au lycée, Clémence, désirait aborder avec moi un bien vaste sujet de discussion. En l’occurrence, le capitalisme (excusez du peu !).

À la conférence que vous avez donnée, il y a trois semaines, à l’Université populaire, je n’ai pas tout compris. Les gens qui vous posaient des questions étaient des adultes, des syndicalistes. Leurs questions ne m’aidaient pas à y voir plus clair. Au contraire, ces gens semblaient être à fond dans l’économie. Aussi, je vous propose de nous rencontrer dans un café pour que vous m’expliquiez en termes simples ce qu’est le capitalisme.

J’ai répondu, certes un peu surpris, que le premier signe de l’ignorance consistait, selon un vieil aphorisme, à présumer que l’on sait, et qu’à ce titre, elle était, malgré son jeune âge, peut-être plus sur la voie de la connaissance que moi. J’acceptai volontiers de la rencontrer.

J’arrivai au café. J’étais un peu en avance. Je m’étais muni de quelques graphiques et livres qui me semblaient utiles pour le bon déroulement de cet entretien. Clémence est arrivée. Elle m’a reconnu. Quant à moi, je ne l’avais pas remarquée dans la salle de l’Université populaire. Par la suite, elle m’a avoué qu’elle s’était assise dans le fond. Elle était la seule jeune de son âge dans la salle. Pourtant, m’a-t-elle assuré, « depuis des années, on nous parle de la crise. Le père d’une copine a même perdu son job dans une banque. Il n’arrête pas de dire que l’État les a sauvés grâce à l’argent du contribuable, dont lui, mais que protéger l’emploi n’a pas, par la suite, été le souci de son patron. »

Il dit que tout ça, c’est la faute du capitalisme. Mais qu’est-ce que le capitalisme, de manière générale ?

Avant de répondre à ta question, j’aimerais préciser quelle sera ma méthode, qui est très différente de celle des manuels scolaires. La méthode que je te propose est critique et historique.

Cela signifie que, d’une part, j’ai pour ambition de critiquer des choses que l’on présente comme évidentes à l’école, mais qui n’ont rien d’évident. D’autre part, cette méthode est aussi historique, car elle part de l’idée que les concepts n’ont pas d’existence propre et qu’il est précisément idéologique de les présenter comme tels. Un concept est un outil forgé par les hommes pour répondre à des questions concrètes d’organisation de la société. On ne peut étudier un concept qu’en situant les raisons de son émergence dans l’histoire des hommes. Un concept étudié indépendamment des raisons de son émergence historique n’est ni plus ni moins qu’une supercherie.

D’accord, je t’écoute !

Tu as raison de me tutoyer, ce sera plus agréable pour la suite de notre échange !

Très grossièrement, on peut dire que le capitalisme désigne un mode d’organisation basé sur la propriété privée des moyens de production. La production n’est pas un concept qui demande mille ans d’explications. À l’exception des sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs, toutes les sociétés humaines assurent leur subsistance en créant des biens. Imaginons une société fort rudimentaire d’éleveurs nomades. Leur production, ce sont leurs troupeaux.

Les troupeaux étant la propriété privée des éleveurs, ces sociétés sont donc déjà capitalistes ?

En fait, non. Pas au sens des définitions que les historiens de l’économie donnent du concept de capitalisme. De même, il serait abusif de réduire le capitalisme à l’existence de riches et de pauvres. Car, avant l’apparition de ce dernier, il existait déjà des riches et des pauvres. Par exemple, dans l’Antiquité, des sociétés telles que Rome ne pouvaient être qualifiées de capitalistes, pour des raisons que je vais t’expliquer dans deux secondes. Pourtant, il y avait des riches et des pauvres.

Deux différences majeures opposent le capitalisme au mode de production en vigueur dans l’Antiquité. D’abord, à Rome, la production était assurée par des esclaves, alors que dans les sociétés capitalistes, ce sont des salariés qui assument cette fonction sociale. Ensuite, la nature des productions à Rome était très différente de ce que nous connaissons aujourd’hui. L’agriculture et l’artisanat constituaient les deux piliers de la vie matérielle de la Rome antique. En revanche, depuis le XIXe siècle, c’est la production industrielle de masse qui domine dans les sociétés modernes. Le capitalisme désigne donc un mode de production basé sur la propriété privée des moyens de production ainsi que l’institution du salariat, et en aucune manière un système de répartition des richesses. La Rome de l’empereur Hadrien n’était pas capitaliste et était pourtant bien plus inégalitaire que la Belgique capitaliste contemporaine.

J’ajouterai que ce qui complique un peu les choses, c’est que le capitalisme fonctionne comme une idéologie, c’est-à-dire un ensemble de croyances qui sont inculquées à travers différentes institutions prévues à cet effet. Dans nos sociétés modernes, c’est le cas de l’école. Au Moyen Âge, c’était l’Église. Le but de ces croyances, c’est de faire adhérer à un système social. Par exemple, à l’école, on fait étudier aux élèves la loi de l’offre et de la demande. Tu en connais certainement le principe de base, sur lequel repose l’économie de marché : l’idée générale, c’est que plus un produit est rare (l’offre) et demandé (la demande), plus son prix augmente. Ce qui est amusant, c’est que le cadre du capitalisme suppose l’organisation de l’échange entre offreurs et demandeurs de marchandises sur des marchés dits libres. Chacun offre et achète librement… en théorie du moins, car il va de soi que je ne dispose pas, moi qui ne suis qu’un pauvre petit consommateur isolé, du même pouvoir sur les prix que la grande multinationale qui contrôle de larges parts de la production d’un bien. Le raisonnement en termes de rencontre d’offre et de la demande n’a donc pas beaucoup de sens dans ces conditions. Bref, à l’école, on enseigne aussi de l’idéologie.

Ainsi, la grande multinationale et le consommateur isolé ne se rencontrent pas pour former un prix. Ils n’ont tout simplement pas le même intérêt. Dans la fiction des libres marchés conduits par le libre jeu de l’offre et de la demande, le prix du travail (donc le salaire des travailleurs) est déterminé par un mécanisme de vente libre de leur force de travail. Cela signifie qu’ils disposent du pouvoir d’aller voir ailleurs pour être mieux rétribués. Mais si une très grande partie de la production est contrôlée par un seul opérateur multinational, la possibilité de faire jouer la concurrence entre entreprises pour vendre sa force de travail à un prix libre n’est ni plus ni moins qu’une douce illusion.

Si je te comprends bien, le capitalisme implique la production de biens de manière industrielle ?

Non, pas seulement. Il s’agit là d’une composante importante du fonctionnement du capitalisme, mais ce n’est pas la seule. Le capitalisme, en tant que mode de production, se caractérise également, et c’est le point le plus important, par des rapports sociaux de production. Ceux-ci caractérisent l’organisation sociale relative aux moyens de production. Dans un système capitaliste, les rapports de propriété économique sont basés – pour faire vite – sur la propriété privée des moyens de production, le but étant de dégager une plus-value, c’est-à-dire un profit privé. Ce faisant, le travail est subordonné au capital. Les travailleurs sont dépossédés des moyens de production. Et alors qu’ils participent à la formation de la plus-value, des bénéfices, les travailleurs ne prennent pas part à la direction des entreprises qui les emploient. Ce sont les actionnaires qui décident de l’orientation des investissements. Par exemple, lorsque l’entreprise Caterpillar à Gosselies est restructurée, ce n’est sûrement pas parce que les travailleurs l’ont décidé. De plus, on ne peut pas dire que le site carolorégien de Caterpillar ne permettait pas de dégager des bénéfices. À la base de cette décision, il y a en réalité une politique de réduction des coûts salariaux dans laquelle l’entreprise qui les employait s’est lancée depuis longtemps déjà, et qui a d’abord commencé aux États-Unis.

Caterpillar y a traqué les coûts de façon particulièrement musclée au cours des dernières décennies, notamment en procédant à des délocalisations internes. On a pu observer que lorsqu’une entreprise quitte le Nord des États-Unis – à forte implantation syndicale – pour s’établir dans le Sud, la chasse au syndicaliste commence aussitôt. Le but est clairement d’éviter le développement de syndicats protégeant les droits des travailleurs, comme en témoigne Lee, la cinquantaine : « Dès mon premier jour de travail, la direction a organisé une réunion pour nous expliquer tous les méfaits d’une présence syndicale. Régulièrement, elle passe des vidéos dans l’usine. Des managers sont venus me voir pour me dire que si je votais pour un syndicat, la production serait délocalisée au Mexique1 », où le niveau des salaires est de loin inférieur à ce qui existe en Amérique du Nord. Cet exemple montre clairement qui détient le pouvoir au sein de Caterpillar.

La séparation des travailleurs et des moyens de production s’est imposée progressivement au cours du développement du capitalisme. Son point d’orgue, et nous en vivons toujours les conséquences aujourd’hui, est la création de la société par actions, c’est-à-dire une pure société de capitaux, au XIXe siècle (en 1807 en France). Le développement de la société par actions va permettre aux entreprises de lever des capitaux. Il s’agit là d’un coup d’accélérateur au déploiement du capitalisme.

Une société par actions ? Qu’est-ce que cela signifie ?

Il s’agit d’une forme légale que peut revêtir une entreprise. Une société par actions – ou encore « société de capitaux » – se caractérise par le fait que le capital de celle-ci résulte de l’émission de titres de propriété (également appelés actions). Ces derniers font l’objet d’une acquisition par des investisseurs, nommés actionnaires. Ce type d’entreprises est donc responsable de ses capitaux devant les tiers. Par ailleurs, on dit de la société par actions qu’elle est une personne morale. Donc en aucun cas l’actionnaire individuel, disons monsieur X, détenteur d’1, de 100 ou de 100 000 actions de la société Y, ne sera ennuyé si cette dernière fait faillite. Il aura, certes, perdu le capital investi (et matérialisé par les actions en sa possession), mais jamais un huissier ne viendra frapper à la porte de monsieur X pour lui dire que, par exemple, sa maison sera mise en vente publique parce que la société Y a fait faillite. La société par actions, de ce point de vue, constitue un encouragement à la prise de risque. Voilà pourquoi on peut estimer que la naissance et la généralisation de la société par actions ont constitué un élément décisif de la diffusion du capitalisme à l’échelle mondiale. De surcroît, comme nous l’avons déjà vu, la société par actions permet de trouver des fonds auprès de nombreux investisseurs.

Le tableau suivant, qui classe par ordre décroissant les 10 plus importantes sociétés dans le monde, illustre bien l’importance de la société par actions dans le développement du capitalisme. Ce classement est établi en fonction du chiffre d’affaires de ces différentes sociétés – et je rappelle que le chiffre d’affaires d’une société représente la totalité des ventes réalisées par cette dernière.

FIGURE 1. Les 10 plus grandes compagnies dans le monde selon leur chiffre d’affaires en 2017

Compagnie

Chiffre d’affaires en 2017 (milliards de dollars)

Walmart (États-Unis)

500

State Grid (Chine)

349

Sinopec (Chine)

327

China National Petroleum Corporation (Chine)

326

Shell (Pays-Bas)

312

Toyota Motor (Japon)

265

Volkswagen (Allemagne)

260

BP (Royaume-Uni)

245

ExxonMobil (États-Unis)

244

Berkshire Hathaway (États-Unis)

242

Source : Fortune Global 500, 2018.