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Universalisme ou différentialisme ? Féminisme et laïcité ? Et le genre dans tout ça ? Faut-il être fière d’être une femme ?Libération sexuelle et prostitution. Le féminisme à l’épreuve du religieux. Menaces sur les droits des femmes. Défendre les femmes ou défendre une idée ? Parité, mixité ou entre soi ? Toutes ces questions, et d’autres encore, l’auteur les aborde dans un dialogue avec sa fille adolescente. L’occasion d’une balade dans l’histoire du féminisme, d’Olympe de Gouges aux Femen, en passant par les suffragettes. Avec comme fil conducteur l’exigence du refus de toute réduction de l’individu à son sexe. Car le féminisme est avant tout un humanisme.
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Seitenzahl: 97
Veröffentlichungsjahr: 2017
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Dis,
c’est
quoi
le féminisme ?
Nadia Geerts
Dis, c’est quoi le féminisme ?
Renaissance du Livre
Avenue du Château Jaco, 1 – 1410 Waterloo
www.renaissancedulivre.be
Renaissance du Livre
@editionsrl
couverture : aplanos
isbn : 978-2-507-05514-1
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.
Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est strictement interdite.
Le féminisme est un humanisme
Du sang ! Un jour, j’ai découvert l’existence de quelques traces de sang dans ma culotte. J’avais 12 ans. C’était encore l’été. Il faisait chaud. J’ai senti un inconfort entre mes cuisses alors j’ai couru, dans la salle de bain, prospecter l’origine de mon curieux malaise. Je ne me souviens pas avoir ressenti une quelconque honte à farfouiller dans mon intimité. Peut-être étais-je tout au plus gênée de la situation ou un peu confuse. Je me trouvais chez mes grands-parents en compagnie de mes parents dans cette vaste maison familiale qui donnait sur l’un des boulevards les plus animées du centre-ville d’Oran, la deuxième ville en importance d’Algérie, célèbre pour son front de mer, son théâtre de style rococo, ses boulevards haussmanniens et sa musique populaire, le raï, internationalement connue. Avec son irrésistible charme méditerranéen, Oran ressemble à ces cités-soleil où l’on grandit en cultivant un appétit gargantuesque pour la vie. Le mien était sans pareil.
Dans cette demeure hospitalière embaumée, par moment, des arômes de la chorba (soupe traditionnelle), j’avais mes rituels. Chaque visite chez mes grands-parents m’offrait l’occasion d’une pièce de théâtre inédite, si bien que j’en redemandais à chaque fois. Allez, encore une ! Perchée sur la balustrade du balcon, au milieu des touffes de plantes submergées du parfum des fleurs, j’observais la foulebigarrée qui se déversait sur le boulevard. À vrai dire, j’aimais m’abandonner aux passantes. Quel spectacle ! D’aussi loin que je me souvienne, les femmes m’ont toujours fascinée. Leur visibilité, tout comme leur « invisibilité », nous renseigne sur l’état des forces en présence dans la société. Sous leur impulsion, l’« intérieur » et l’« extérieur » se mettent en mouvement. La simple apparence des femmes aiguise nos sens. Car à bien les observer, on saisit ce qui se joue dans notre monde de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Tant il est vrai que les femmes sont au cœur de l’histoire ! Du plaisir honteux ou coupable, de la jouissance refoulée, de l’accouplement chaotique, du corps dépossédé, du sexe verrouillé, on devine l’ambiance dans les chambres à coucher et on flaire les blocages des sociétés.
Des coiffures aux vêtements, des accessoires à la démarche, il n’y a rien de banal dans la façon qu’ont les femmes de se mouvoir. Au balcon, accrochée à ma tante Khadoudj, nous jouions ensemble aux devinettes. Cette saison avantageait-elle les cheveux courts ou plutôt longs ? Était-ce le rouge qui allait l’emporter sur le noir, ou encore le violet qui se démarquerait ? Quelle longueur de jupe allait dominer ? La maxi ou la mini (enfin on s’entend, au-dessus du genou) ? Les paris étaient lancés ! Soudain, la voix de ma grand-mère retentissait : « Allez, rentrez les filles, ça suffit le balcon ! » Face à son insistance, nous jetions alors un dernier regard sur la rue, objet de notre insatiable curiosité, de façon à pouvoir y méditer encore de longues heures. Au-delà de ces quelques fantaisies, un élément revenait sans cesse me questionner. Dans la rue, bien que fières et sensuelles, les femmes n’étaient QUE de passage. Elles se faufilaient d’un endroit à l’autre. Elles glissaient d’un point à l’autre. Était-ce leur façon singulière de négocier leur présence ? Une chose est sûre, elles traversaient les lieux comme des ombres furtives sans jamais les habiter pleinement. Sur le terrain tortueux du corps, la fragilité des femmes était saisissante. Elles devenaient ce verre délicat qu’un rien pouvait briser en éclats. Il suffisait de si peu pour les faire trébucher.
Dans les rues d’Oran, les femmes ne passaient jamais inaperçues. Les regards des hommes étaient insistants. On les examinait soit pour les rabaisser, soit pour les désirer, on sifflait à leur passage, on chuchotait des compliments, on débattait de leurs formes, on hurlait des « Psst, psst » ou on laissait éclater des rires sarcastiques… Les gestes disgracieux n’étaient pas rares. Il pouvait même arriver que l’on agrippe leurs fesses et que l’on tripote leurs seins sans que cela ne suscite la moindre indignation de la part de quiconque. Alors de mon perchoir, je rouspétais en serrant les dents, le ventre noué, la poitrine gonflée d’indignation. Étais-je féministe sans même le savoir ? Certainement. « Hé, toi le saligot, garde ta main chez toi ! Connais-tu le mot respect ? Est-ce qu’on t’a déjà enseigné ce que signifie la dignité ? N’as-tu pas une sœur, une mère, une amoureuse, que sais-je ? Et surtout ne viens pas me dire que « ces femmes l’ont cherché » du fait de leur simple présence dans la rue », m’écriais-je.
Vous avez envie d’hurlez vous aussi ? Un instant. Reprenons… calmement. Enfin, essayons.
C’est à cette réflexion essentielle que nous invite la philosophe Nadia Geerts. On retrouve chez elle le besoin d’expliquer l’origine des tensions souterraines opposant les femmes aux hommes qui s’expriment, ici et là, à différents niveaux, sans que nous prenions nécessairement la mesure de ce qui se dessine. J’essaye de comprendre depuis toute petite d’où vient cette violence sourde. Pourquoi cette menace sexuelle existe ? Pourquoi tous ces fantasmes puérils ? Pourquoi, dans certains cas, les femmes sont considérées comme des « femelles » juste bonnes à faire des enfants ? Pourquoi, dans plusieurs pays, sont-elles vues comme des forteresses à prendre d’assaut, des boules de chair contre lesquelles on se frotte dans les autobus, des champs de bataille où l’on se défoule après un match de foot, des paillassons sur lesquels on s’essuie sans même y penser ? Mais entendons-nous bien, cet exercice n’est pas un acte d’accusation à l’endroit des hommes. Il ne s’agit pas, ici, de soutenir que la violence est exclusivement masculine. Il n’est pas question de prétendre que les femmes sont vertueuses parce qu’elles sont femmes. Nadia met à plat avec lucidité et intelligence un système de domination, le patriarcat qui, à partir d’une différence biologique, a fondé une inégalité sociale en plaçant la femme sous le contrôle de l’homme. Dans ce système, l’homme monnaye sa place en contrôlant la sexualité de la femme. En ce sens, le sexe des femmes est une affaire politique. Son contrôle est un réflexe encore bien tenace. Il n’y a qu’à voir tous les fantasmes entourant la virginité… toujours celle des femmes et jamais celle des hommes.
Toute l’œuvre de Nadia Geerts a été écrite dans le but de nous rapprocher les uns des autres au-delà de nos singularités pour faire société ensemble. Son objectif n’est pas d’opposer les femmes aux hommes. Son souci premier est de créer du lien. C’est d’ailleurs l’ambition du féminisme qui est, par essence, un humanisme dont la vocation première est de créer un système social ou l’homme cesse d’être un loup pour la femme. La domination et le contrôle cèdent le pas à l’égalité et au respect. « Le malheur de la femme entraîne celui de l’homme comme celui de l’esclave entraîne celui du maître », écrivait George Sand. Alors, nulle question de remplacer une domination par une autre. Nulle intention de guérir un malheur en en créant un autre. Le féminisme nous apprend à nous aimer pour aimer les autres. Il nous permet d’envisager sereinement le bonheur de la femme et le bonheur de l’homme ensemble. Plus encore, il est ce chemin de convergence vers le bonheur tout court.
N’allons pas trop vite dans le développement. Ne brûlons pas les étapes. Revenons à mes 12 ans. Restons là, les pieds sur terre, dans mon sexe d’enfant, humide, crachant du sang. J’avais, dès ce jour-là de septembre de l’année 1984, décidé que cette affaire-là, « les règles », ne changerait pas ma vie, convaincue qu’il suffisait de bien « gérer la chose » pour ne pas me laisser distraire par ce flux de sang déroutant. Alors, gérons ! Tout c’est fait naturellement. Disons que mon éducation m’y disposait grandement. Dans ma famille, nulle différence entre mon frère et moi. Nous étions élevés pareils, kif-kif. Je n’étais pas qu’une fille. Mon frère n’était pas qu’un garçon. Nous étions surtout les enfants d’un couple amoureux, de deux scientifiques soucieux d’égalité et qui militaient en faveur de la démocratie dans un pays qui en manquait cruellement. Est-ce à dire que la démocratie et les droits des femmes sont intimement liés ? Pour mon père, féministe et Algérien de culture musulmane, cela relevait de l’évidence. J’ai camouflé la situation comme j’ai pu pour aller m’abandonner à mes différentes occupations. J’avais pour tradition de courir dans l’immense couloir. Et rien ne pouvait m’empêcher de battre mon record du 400 mètres… pas même les menstruations !
Cette année-là, l’Algérie allait connaître un bouleversement majeur : l’adoption d’un texte de loi, le Code de la famille, aussitôt rebaptisé le « Code de l’infamie » du fait de l’inégalité qu’il instaurait entre l’homme et la femme dans la famille. En effet, ce code d’inspiration religieuse, islamique, faisait de la femme une mineure à vie. Il nous plaçait sous la tutelle du père (même à l’âge adulte) puis du mari, légalisait la polygamie et la répudiation et faisait de l’homme le seul détenteur de la responsabilité parentale. Bref, il était le chef de tout, de sa femme et de ses enfants ! Travailleuses ou femmes au foyer, affranchies ou soumises, confinées dans la cuisine ou libérées des tâches domestiques, courant sur les stades ou s’attelant à découvrir le mystère des étoiles, nous devenions toutes des mineures à vie. Voilà pourquoi Nadia Geerts se méfie de l’intrusion du religieux dans les affaires de la cité et défend bec et ongles la laïcité, une autre de ses préoccupations.
J’ai grandi dans un pays où être une femme n’a jamais été facile à vivre. Pas facile, pas parce que les Algériens ont une prédisposition particulière à opprimer les femmes, mais parce que le principe d’égalité des sexes est nouveau dans l’histoire de l’humanité. Comme le rappelle Nadia, ce n’est qu’au XXe siècle que les femmes ont acquis le droit de vote et la pleine reconnaissance de leurs droits civiques. La discrimination des femmes n’est pas inhérente à la culture musulmane. Toutes les cultures patriarcales ont du mal à « digérer » une innovation aussi grande que celle de reconnaître la liberté des femmes. J’ai subi la violence de la rue. J’ai connu la violence des lois. Mais ce n’était rien comparé à ce que j’ai vécu au tout début des années 1990 avec la montée fulgurante de l’islam politique et de ses milices armées. Avec les islamistes, c’est mon droit à l’existence qui était radicalement remis en cause. C’était le voile ou la mort. C’est pourquoi j’ai une aversion profonde pour les voiles, qu’ils couvrent partiellement ou entièrement le corps et le visage des femmes. Pour moi, La liberté est un continuum de possibles. La liberté de la tête n’est rien sans la liberté du corps. Je veux les deux pour toutes les femmes. On retrouve dans cette idée le fondement du féminisme universaliste.
Pourquoi être féministe en 2017 ? Parce qu’il est un fabuleux voyage vers soi et vers l’autre. Peut-être un jour auriez-vous à évaluer votre propre vie, à questionner votre intimité, à entreprendre un choix de carrière, à gérer une grossesse non désirée, à subir un geste de violence, à entendre une parole déplacée, à être témoin d’une situation révol