Dix ans en psychiatrie - Muriel Rosset - E-Book

Dix ans en psychiatrie E-Book

Muriel Rosset

0,0

Beschreibung

Hélène et sa mère Muriel ont écrit ce récit à deux voix, l’une avec ses mots brefs et percutants, l’autre comme on dessine un tableau impressionniste. Elles y ont tracé leur lutte face au gouffre du trouble psychique dont a souffert Hélène, la spirale infernale de l’accoutumance aux médicaments et des effets indésirables, l’emprisonnement par contention de l’hôpital, tout cela pouvant mener à la mort non souhaitée… Ensemble, elles racontent un parcours médical, psychiatrique et familial semé d’embûches.
Aujourd’hui, elles vous invitent à vous asseoir à leur table. Pas pour souffrir avec elles, pas pour essayer de comprendre l’inimaginable. Simplement pour goûter l’amour persistant au cœur du tsunami de la maladie, malgré des bouleversements, des incohérences et une mouvance vertigineuse de sentiments.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 243

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



© La Boite à Pandore

Paris

http://www.laboiteapandore.fr

Les Éditions La Boite à Pandore sont sur Facebook. Venez dialoguer avec nos auteurs, visionner leurs vidéos et partager vos impressions de lecture.

ISBN : 978-2-39009-457-9 – EAN : 9782390094579

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Muriel Rosset et Hélène Jolly

dix ans en psychiatrie

Présentations : Ce récit, écrit séparément à deux voix et quatre mains, Hélène et sa mère Muriel…

L’amour ne fait pas le bonheur, mais il y contribue

Un jour, le tsunami de la déraison est entré dans notre maison, nous faisant vivre pas à pas une véritable descente aux enfers et traverser le chemin de la mort. Le fond du fond, c’est toujours plus profond qu’il n’y paraît, toujours plus solitaire qu’on ne le voudrait. J’ai découvert avec effroi que le grand amour ne faisait pas forcément le bonheur, et j’ai traversé l’en-bas avec le désir et la volonté de rester ouverte à la vie et aux autres qui me fuyaient désespérément.

Aujourd’hui, je vous invite à vous asseoir à notre table, à partager un peu de cette recherche de la vie au-delà de la mort. Pas pour souffrir avec nous. Pas pour essayer de comprendre l’inimaginable. Simplement pour goûter l’amour profond et mystérieux qui peut jaillir de tels instants, malgré les bouleversements, les incohérences et une mouvance permanente de sentiments qui pourront parfois vous donner le vertige.

Face à la maladie psychique qui atteint l’identité de tous ceux qui la côtoient, j’ai vécu une quête effrénée pour me chercher et me retrouver, entre doutes, peurs et espérance. Désormais, je me sens plus vivante que jamais, vieillie puis rajeunie, un peu hors du temps, entre présent absolu, passé perdu et avenir incertain.

*

Mon récit de mère1 détaille assez peu la première chute brutale et immédiate, celle qui nous a fait connaître les méthodes archaïques des hôpitaux. Mon histoire s’appesantit plus sur la deuxième coulée lente vers l’incompréhensible, celle qui isole de tout et de tous.

J’y ai entremêlé le récit qu’Hélène m’a confié, son texte bref, factuel, percutant et détaché de ses émotions trop fortes, depuis l’entrée en maladie jusqu’aux tentatives pour retrouver une place dans la société.

*

Dix ans après que nous ayons couché nos premiers mots sur le papier, le temps est venu de rendre public ce récit.

Maintenant, Hélène est mariée et se trouve pour l’instant dans une phase professionnelle et personnelle transitoire douloureuse.

De mon côté, j’ai eu la joie et la chance de participer avec des familles et des psychiatres à une belle aventure au service d’autres familles, qui a abouti à la création de l’association de santé mentale « Connexions familiales, section francophone de la NEABPD2 » dont je suis la présidente. Nous coanimons régulièrement des modules de psychoéducation pour des proches et des professionnels de malades borderline. Pour nous, c’est l’occasion d’écouter, de partager et d’accompagner beaucoup d’autres histoires douloureuses et complexes, avec chacune son caractère unique et pour toutes, des caractéristiques communes au trouble borderline de personnalité limite.

Je suis heureuse que mon mari ait pu participer à notre deuxième session, lui avec qui j’ai traversé et assumé le tsunami, puis le lent poison de la maladie psychique de notre enfant.

1. Cinq ans après le déclenchement de la maladie, je remettrai à Hélène mon récit à l’occasion de ses 22 ans. Vous trouverez ma lettre et ses précautions de lecture en épilogue.

2. National Education Alliance for Borderline Personality Disorder.

Contention blanche

La contention blanche, c’est la contention de l’hôpital, des médecins et de la médecine : chambre d’isolement, contention physique forcée ou contention chimique des médicaments. La camisole physique est un vêtement à manches fermées utilisé pour ligoter et contraindre les malades mentaux agités, elle se dit chimique quand ce sont les médicaments à haute dose qui jouent ce rôle. Ces traitements « psy » imposés par la violence musclée provoquent une accoutumance avec ensuite une modification des effets entraînant l’augmentation, le changement ou des ajouts de comprimés avec nouvelle(s) dépendance(s). C’est-à-dire une boucle infernale dont on ne peut sortir car même les psychiatres ne savent plus gérer les effets indésirables d’intolérance et refusent le sevrage. Avec certaines molécules des effets de levée d’inhibition ont pour effets des tentatives de suicides contre sa volonté. La contention blanche, c’est aussi l’isolement dans une pièce vide et les attaches comme des menottes, aux mains, aux pieds et au torse ; je trouve cela pire que la prison, car on est malade, on ne l’a pas mérité comme un criminel qui, parfois, est en liberté d’ailleurs. Une personne m’a dit quand même un jour que cela devait être sympa d’être tranquille et seul par rapport aux hospitalisations (pour elle, l’enfer c’est les autres).

La contention blanche, c’est encore la contention de la maladie et du gouffre qu’elle engendre.

Souvent, je me suis sentie fliquée par mon entourage et je me suis rebellée.

à

J’ai été hospitalisée plusieurs fois en psychiatrie après un engrenage complexe. J’écris parce que je suis hantée par le souvenir de mon passage « chez les fous ». Pas parce que les gens sont fous, mais parce qu’on devient « fou ». Je me suis sentie cassée physiquement, psychologiquement et par les autres. J’écris pour prendre une revanche sur mon passé et re-vivre, pour témoigner de la maladie psychique qui n’est pas bien acceptée. J’ai été hospitalisée très vite, mais les hospitalisations se sont déroulées très lentement. C’est-à-dire que tout est arrivé très vite, mais le temps a été long.

Je vais parler de mon expérience. J’ai écrit de manière détachée et brute, car je ne regrette pas les passages à l’acte. Je vais essayer d’écrire au plus proche de ce que j’ai vécu.

C’est difficile d’écrire quelques mois après, parce que je risque de mélanger les différentes hospitalisations entre elles. Difficile d’écrire aussi parce que mon entourage ne l’a pas vécu ni ressenti de la même manière. Je vais faire le récit d’un moment douloureux de ma vie. Je précise qu’elle est globalement heureuse.

Il faut savoir que je n’aime pas écrire. Je n’aime pas ce que j’écris ni ma manière d’écrire. Je n’aime pas garder quelque chose écrit par moi. Et je ne sais pas exprimer ce que j’ai dans le cœur :

Ce que j’ai à dire : 100 %

..Ce que je pense à dire : 90 %

….Ce que je sais dire : 80 %

……Ce que je dis effectivement : 70 %

……..Ce que l’autre entend : 60 %

……….Ce que l’autre écoute : 50 %

…………Ce que l’autre comprend effectivement : 40 %

…………..Ce que l’autre admet : 30 %

…………….Ce que l’autre retient : 20 %

………………Ce que l’autre dira ou répètera : 10 %

à

Je suis l’aînée d’une famille nombreuse pour notre époque. Je suis catho.

Mes parents ont eu des difficultés pour ma conception. Petite, je suis allée voir une psychologue de l’âge de 3 à 7 ans, parce que je faisais des crises de nerfs très fortes. Je pense que je ressens les choses sans toujours savoir les comprendre distinctement et les expliquer clairement : surprise lors de l’annonce devinée de la naissance de mon frère, choses abstraites, secrets, mensonges… J’ai aussi vu une orthophoniste. À 10 ans, j’ai fait un dessin avec une petite fille qui pleurait des larmes de sang. J’avais écrit : « J’ai envie de pleurer, mais pas devant tout le monde » et « Ma vie sera ratée ». Je m’inquiétais déjà de mon choix de travail. Je me trouvais nulle. Mais ma mère m’a affirmé que je ne l’étais pas. Alors, j’ai dit que j’étais « moyenne ».

J’ai fait de la musique, j’ai arrêté. J’ai fait du foot, du multisport, de l’équitation, du badminton, et j’ai arrêté. Je me suis tournée vers le bénévolat avec des personnes malades, handicapées et âgées. Au collège, j’ai vendu du muguet pour des projets dans les pays en voie de développement. Au lycée, je rendais visite à des enfants cardiaques et à des personnes âgées. Avec ma famille, j’ai fait partie de Foi et Lumière, une communauté pour les personnes handicapées mentales, leur famille et amis (mon père a une sœur autiste). J’ai tenté d’apprendre la langue des signes française. Mais j’ai arrêté parce que je n’arrivais plus à retenir. À partir de 17 ans, j’ai été accompagnatrice lors de séjours avec des personnes handicapées mentales et physiques avec les Petits Frères des Pauvres et l’Association des Paralysés de France.

Quand j’étais petite, on allait en vacances au bord de la mer avec mes grands-parents paternels. L’été, on allait à la montagne et l’hiver à la mer.

Je me sens différente. De toute manière, je n’aime pas être comme les autres.

Mais… en une seconde, une minute, une heure, un jour ou plus, tout peut basculer…

Comprendre le trouble

Borderline : la maladie qui nous apprend à comprendre les émotions3

Pourquoi les sites en santé mentale énoncent-ils toujours les mêmes maladies psychiques déjà connues et si rarement le simple nom de borderline ?

Pourquoi, lorsque je parle de « Connexions familiales », l’association francophone de familles et de psychiatres que je préside, association pour la psychoéducation des proches et des professionnels de malades borderline, me répond-on invariablement :

« Ah bon, parce que borderline, c’est une maladie ? Ce n’est pas juste quelqu’un d’un peu sur les bords, un peu limite ? D’ailleurs, on est tous un peu limites quelque part, vous ne trouvez pas ? »

J’avoue que les deux noms courants pour cette maladie — TPL et borderline — n’aident pas à en comprendre l’importance. Moi-même, qui ai mis tant de temps à obtenir un diagnostic pour Hélène, je n’ai pas fait attention lorsque la psychiatre nous a dit : « Nous ne savons pas ce qu’a votre enfant, elle a certainement une personnalité limite, mais il est trop tôt pour en dire plus… »

« Personnalité limite », ça ne ressemblait pas à un nom de maladie, alors il nous a fallu attendre plusieurs années pour avoir enfin une reconnaissance et une annonce plus officielle de la maladie, et chercher par nous-mêmes des explications qui nous furent trop peu données à l’époque. Aujourd’hui, je constate que la situation s’améliore sensiblement.

D’une part, les familles que nous accompagnons au sein de notre association ont eu un diagnostic en moins d’un an pour des adolescents encore mineurs de la part de médecins qui ont su nommer la maladie pour le jeune et ses parents.

D’autre part, la plupart des proches qui suivent nos modules de psychoéducation nous ont été adressés par des psychiatres. Récemment, une malade a même invité ses parents à se former avec nous à l’apprentissage de la maladie et des stratégies d’adaptation.

Ce livre à deux voix désormais publié est donc une bonne nouvelle pour tous les malades, leurs familles et les soignants, même si le chemin reste long pour former tous les accompagnateurs et les malades…

Notre livre s’adresse aussi à ceux qui, de près ou de loin, côtoient des malades psychiques, à ceux qui veulent comprendre ces maladies qui se développent, à ceux qui souhaitent découvrir comment mieux vivre avec les émotions quand elles nous submergent et nous entraînent dans des états et des situations « limites ».

3. Première partie de l’article « Comment prendre en charge “le Trouble de la Personnalité Limite” (TPL) des malades borderline ? Muriel ROSSET nous explique », publié le 5 juillet 2019 sur le blog Management en Milieu de Santé où elle est auteure (suite de l’article en fin de récit).

Qu’est-ce que la maladie borderline TPL des Troubles de la Personnalité Limite4 ?

Définition

Le terme borderline est aujourd’hui considéré comme dépassé, on parle désormais plutôt de trouble de dérèglement des émotions. En effet, ce terme borderline ou celui plus utilisé en France de personnalité limite sont des termes souvent perçus comme beaucoup plus dévalorisants. Toutefois, les discussions pour changer ou non d’appellation de la maladie n’ont pas abouti.

Étiologie

Le trouble de la personnalité limite est un trouble psychologique et psychosocial sévère, dans lequel les personnes présentent une difficulté très importante à réguler leurs émotions et leurs comportements.

La vulnérabilité émotionnelle est la partie biologique de la maladie : hypersensibilité, hyperréactivité, lent retour à la normale.

Les réponses invalidantes à ces troubles entretiennent cette vulnérabilité dans une sorte de boucle infernale.

Il importe de comprendre qu’un environnement invalidant n’est pas un environnement non aimant, mais un environnement qui ne connaît pas encore le trouble de la personne malade et va donc invalider et délégitimer ses expériences, en particulier ses expériences intimes, souvent très différentes des expériences plus habituelles en matière d’émotions, de besoins, de désirs, de croyances, de sensations.

Pour ne pas invalider le vécu très fort d’une personne au trouble TPL, il est en effet essentiel de ne pas chercher à changer, contrôler, ignorer, minimiser, critiquer, juger, car cela entrave l’adaptation de la personne, ainsi que la gestion et la résolution des problèmes.

Au contraire, il va falloir lui communiquer une acceptation radicale de son ressenti, notre affection pour ce malade qui s’ignore et dont la peur principale est celle de l’abandon.

Cinq dérèglements chez les TPL : les cinq sphères selon Linehan (1993)

Voici les cinq dérèglements caractéristiques des TPL. Ces dérèglements sont lents à percevoir, mais finalement très déstructurants pour le malade et ses proches. On parle de dérèglement quand la personne est hors de contrôle, pas simplement bouleversée ou fâchée, mais bien hors de contrôle.

La liste de ces dérèglements va nous permettre d’illustrer le point important du diagnostic et du traitement de la maladie, qui est celui-ci : pour comprendre la manière particulière de vivre avec une personne atteinte de TPL, il va falloir commencer par subir ces dérèglements, avant de se dire que quelque chose ne fonctionne pas de manière classique.

–dérèglement des émotions (ce qui différencie les TPL des bipolaires, plus axés sur des troubles de l’humeur)

–dérèglement des relations, souvent chaotiques (c’est donc après des échecs répétés que le dérèglement pourra être décelé)

–dérèglement de l’image de soi (qui apparaît plus nettement avec l’âge, notamment à partir de l’adolescence)

–dérèglement des comportements. Or, chacun de nous étant unique, c’est bien difficile de comprendre un comportement comme un trouble et non comme une originalité, une bizarrerie. Je pense à ce très beau film, Les gens normaux n’ont riend’exceptionnel, qui montre la frontière très mince entre la « normalité » et la « folie ordinaire ». J’entends par folie une maladie, même simplement dépressive, qui peut mener chacun de nous à une hospitalisation en psychiatrie, considérée encore souvent et à tort comme science des fous…

–dérèglement cognitif : comment voir l’ensemble d’une situation et accéder à sa mémoire. La scolarité et le travail des TPL peuvent, à ce titre, se révéler mouvementés, avec des points de cristallisation qui vont se manifester tant au niveau cognitif que relationnel : entrée en maternelle, passage en CP, en quatrième avec un niveau conceptuel en mathématiques différent, lycée, passage du bac, premier emploi…

Finalement, les problèmes rencontrés par les personnes qui souffrent du TPL se manifestent par des émotions intenses et changeantes (comme la honte, la colère, la tristesse ou l’anxiété), des relations chaotiques, une forte impulsivité, un sentiment instable de l’image de soi, des tentatives de suicide et/ou des automutilations, la crainte de l’abandon et des sentiments chroniques de vide.

Les critères diagnostiques officiels des TPL selon le DSM-IV, ou Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (maintenant, il y a le DSM V)

Cette classification américaine et scientifique des troubles psychiatriques, qui aide la recherche, est souvent débattue pour sa pertinence en clinique. Elle reste toutefois pertinente pour les TPL. Voici donc la classification propre à cette maladie, par ordre de fréquence, sachant que dans ces neuf critères, il en faut au moins cinq pour établir une possibilité de TPL. En effet, la plupart de ces critères peuvent se retrouver de façon isolée, provisoire ou raisonnable chez tout un chacun. En outre, le TPL se manifeste souvent par d’autres troubles associés.

1.Peur de l’abandon. Cette peur peut prendre des proportions extrêmes : ainsi une personne TPL qui devra attendre quelques minutes un médecin pourra trouver cette attente terrible, au point de partir ou de se taire en entretien, considérant qu’elle ne compte pas assez pour le professionnel censé s’occuper d’elle.

2.Fluctuation marquée de l’humeur. Écorché vif, le TPL vit tout de façon intense, durable, exponentielle. C’est un raz de marée émotionnel, qui influe sur sa concentration et sa motivation et rend le fil conducteur de sa vie plus difficile.

3.Impulsivité. La réaction aux émotions est immédiate, pas pensée. Elle permet de sortir du vécu trop douloureux où un rien blesse facilement et met en colère. Si la personne TPL se pose et y réfléchit, elle regrettera ensuite, d’autant que sa première peur est celle de l’abandon. Il n’y a donc pas de contre-indication à se mettre en colère avec un TPL, du moment qu’on revient vers lui après. Car n’oublions pas que sa première crainte est celle de l’abandon.

4.Répétition de comportements suicidaires ou automutilatoires. Parmi les personnes TPL, 70 % passent à l’acte et 10 % réussissent.

5.L’automutilation. Elle est une façon de reprendre contact avec soi, « grâce » à la douleur physique.

6.Mode de relations interpersonnelles instables et intenses. Si on est fatigué et qu’on ne va pas vers elle, la personne TPL ressent un sentiment d’abandon. Quand on revient, elle commence par dramatiser, tout en ayant besoin qu’on ne la laisse pas tomber. Les réseaux sociaux deviennent vite dangereux, car une simple image Facebook va donner honte.

7.Sentiment chronique de vide.

8.Instabilité de l’image de soi, personnalité caméléon. La personne TPL a des difficultés à prendre des décisions, à se maintenir dans une même direction. Elle voit les choses en noir et blanc et a des pensées facilement radicales.

9.Symptômes dissociatifs ou paranoïa. La personne TPL sait mal repérer ses émotions, elle voit d’abord l’insupportable d’une situation et peine à prévenir ou à porter attention à la relation. Les émotions et la douleur peuvent parfois aussi ne plus être ressenties, quand le malade ne sait pas qu’il est blessé, ne détecte rien, mais ressent comme une nausée, avec le besoin de s’automutiler pour en sortir. Dans ces mouvements dissociatifs, les troubles de la mémoire sont fréquents et des périodes entières de la vie peuvent être oubliées. Quand la dissociation va jusqu’à la paranoïa, il n’y a plus de discussion possible.

4. Extrait de l’article « Une 1re en France en psychoéducation familiale des TPL (Troubles de la Personnalité Limite) : Connexions Familiales ©», publié le ٢٩ décembre ٢٠١٧ par Muriel Rosset sur le blog Management en Milieu de Santé où elle est auteure.

Descente aux enfers : Chroniques psychiatriques au scalpel du malade

PréambuleQuand le poison de la maladie s’installe et fait le vide autour de nous

Après une première année d’horreur, l’éclaircie avec Hélène semblait revenue. Puis avec mon mari, il nous a fallu réaliser que ses troubles de l’année de baccalauréat n’avaient pas été un simple tsunami, qu’il s’agissait désormais d’un lent poison qui a commencé par faire le vide autour de nous et fissurer toutes nos certitudes, jusqu’à notre identité de parent. Nous ne savions plus qui était devenue notre enfant ni ce qu’elle allait devenir. Nous sommes entrés en enfer, un enfer solitaire, et nous avons touché le fond de l’abandon : celui des médecins, de proches aussi. Nous avons fait la manche pour quémander un peu d’attention et avons essuyé des refus et une indifférence mortifiante, avant d’accueillir les premiers signes de renouveau avec l’émerveillement enfantin de qui renaît à la vie. Nous avons cultivé ces pousses de solidarité pour une existence transformée.

Tant que nous vivrons, il restera toujours une page de plus à écrire, un événement à raconter, un combat à mener. J’ai fini par réussir à mettre un point final à ce texte, parce que j’étais enfin sortie de la solitude, de l’incompréhension et de la tristesse sans fond.

Hélène est malade et je ne sais pas pourquoi

Hélène est malade et je ne sais pas pourquoi. J’ai cherché des pourquoi partout, et je suis saoule de tant de questions sans réponses. Je n’en peux plus, j’ai atteint le point d’écœurement absolu et j’ai vomi d’un jet tous ces pourquoi malheureux.

J’ai interrogé l’enfance et je n’ai pas trouvé. J’ai revécu notre couple, ses débuts passionnés, avec ses larmes et ses joies, ses blessures et ses réconciliations. J’ai accouché une deuxième fois de mon enfant et cela ne m’a servi à rien. C’est désormais à elle d’accoucher d’elle-même. Certains prennent le luxe de la péridurale, d’autres le font dans la douleur. Ma première mise au monde a été la plus laborieuse et cela continue, la plus nouvelle et c’est encore vrai, la plus miraculeuse, et la reconnaissance de cette vie qui gicle et éclabousse de partout n’en finit plus de couler, un jour comme une chute du Niagara, l’autre comme une source fraîche et pure.

J’ai accusé la société et ça m’a fait du bien. Je me rends compte aujourd’hui que si ça explique tout, le monde trop dur, trop compliqué, l’idéal de la foi trop décalé, c’est que ça n’explique rien. Tous ceux qui répondent à ces pourquoi que je ne leur pose pas m’étourdissent de leurs paradoxes. Ils ne savent rien de la dépression, mais ont déjà tout compris, tout expliqué, tout justifié. Ils se sont rassurés comme ils ont pu pour mieux m’accuser : une dépression, c’est la faute des familles désunies, ou alors des familles trop unies. Et c’est quoi, une famille trop unie ? C’est quand il y a trop d’amour et qu’on a peur de ne pas le retrouver ailleurs. Mais alors vaut-il mieux manquer d’amour ? Non, parce que cela empêche d’aller de l’avant : « Quand on a des repères, on ne se perd pas, madame. » Pourtant, nous, on en a des repères, alors pourquoi nous sommes-nous égarés ? J’ai rejeté la faute sur la société, parce que je ne savais pas quoi faire de cette patate chaude qu’on me renvoyait sans ménagement.

Alors la société m’a donné toutes ses formules magiques : « La dépression, c’est quand il y a abus sexuel de son enfant, famille décomposée ou recomposée, isolement social ou mort d’un être cher, conflit relationnel ou perte de sens. » J’ai voulu faire avouer mon enfant, mais elle a plaidé non coupable. Non, elle n’est rien de tout cela. Elle est différente. C’est cela, la maladie psychique. Être différent, pas seulement unique, mais différent. « Et puis ne cherche pas, c’est chimique, m’a dit Hélène, on n’y peut rien, c’était inscrit en moi avant même que je ne sois née. »

La société a insisté encore : « La dépression, c’est simple, tous les jeunes prennent du shit. » Pas de chance, la mienne n’y goûte pas. La preuve : elle cherche par tous les moyens à s’étourdir sans se droguer, à s’évader en inventant quelque chose de nouveau, quelque chose que personne n’aurait jamais fait. Elle cherche tellement qu’elle arrive même à trouver, et moi à m’inquiéter, et elle à se rassurer : elle n’a pas failli, elle ne boit pas, ne fume pas, ne couche pas… Et alors ? À quoi ça avance toutes ces recherches ? Nous progressons dans une enquête policière où je ne sais plus qui de moi, d’elle ou des autres nous incrimine. Ce procès m’a enivrée, c’est moi qui me suis perdue dans de fausses représentations. J’en veux aux autres de me juger, et je suis la première à mener mon instruction. Je souffre de ne pas pouvoir partager ma quête, alors que j’ai trop cherché, trop réfléchi, trop lu, et pas assez médité.

Je me suis abandonnée au jour qui vient et se renouvelle chaque jour, qui seul m’a apaisée, mais je l’ai obscurci, encombré de mes pourquoi. J’ai vidé ma colère comme j’ai pu : contre ceux qui m’ont laissé tomber, avec leurs « on pense à vous » qui ne font que nous fuir, nous oublier et nous effacer, et contre ceux qui m’ont angoissée.

Une professionnelle m’a reçue avec tant de certitudes que j’en suis ressortie effarée : elle m’a abrutie de réponses à des questions que je ne posais pas et noyée de sa vie à elle, pour me prouver qu’elle avait bien fait. Car tout le problème qu’elle me pose est bien là : bien ou mal faire. Votre enfant est dépressif ? Plaidez coupable. Vous avez certainement un problème à avouer : soit vous surprotégez votre enfant et refusez de voir la réalité, soit vous ne vous en occupez pas assez et ne voulez pas l’admettre.

Mais qu’est-ce que je viens faire dans ce tribunal improvisé ? Pourquoi suis-je venue là, alors qu’il n’y a pas de pourquoi ? Hier, j’ai fait une overdose de pourquoi pour soudain me délivrer de mes chaînes improvisées.

Je ne m’en suis jamais prise à la fatalité, parce que j’ai toujours cru que Dieu était là près de moi. Alors je me suis tournée vers les autres, ceux qui savent et ne prennent pas de nouvelles ou refusent d’en parler, ceux qui ne savent pas et ne voient pas ou, pire, ceux qui ne veulent pas voir. Tout cela m’a détruite, et je vois bien que j’ai eu tort.

La plupart des gens sont en général très compréhensifs, maladroits comme nous, tâtonnants, mais de bonne volonté. Ceux qui nous font le plus mal ont sans doute de bonnes ou mauvaises raisons, ils ont leur vie à eux, leurs blessures cachées, leurs peurs. À nous de bien nous faire entourer. Plus nous en parlerons facilement, avec légèreté, plus nous serons nous-mêmes allégés du poids de ces pourquoi que nous avons portés ou accepté d’entendre des autres.

Nous traversons une période d’épouvante éprouvante qui nous apprend beaucoup et nous donne des frayeurs. Nous nous aimons, nous nous accompagnons du mieux que nous pouvons. Nous avons une enfant malade, nous avons une enfant gravement et durablement malade qui se bat contre sa maladie, comme elle peut, avec beaucoup de courage, de lucidité, mais aussi parfois de maladresse, avec un diagnostic pas encore définitif, des symptômes qui se multiplient et se précisent, et une maladie que nous ne pouvons pas encore nous-mêmes nommer.

Pour respecter son désir, nous avons porté cela comme un secret, un péché inavouable. En apprenant peu à peu à prendre en charge sa guérison, elle découvre lentement et sûrement qu’on peut en parler librement et que la terre ne s’écroule pas. Il n’y a pas de pourquoi. Il y a la vie à vivre, un passage à faire, personnel, ce qui ne veut pas dire solitaire. Être entouré discrètement, avec respect et tendresse, cela est un trésor inestimable.

La foi nous aide, elle nous plonge dans l’infini de la gratuité, elle nous permet d’être aimés envers et contre tout, tels que nous sommes, d’un amour irréversible qui dispense de commettre des actes suicidaires eux-mêmes irréversibles. Elle m’oblige à réaliser que ceux qui m’ont déçue m’aiment peut-être malgré tout. Il ne faut plus chercher à comprendre ce qu’ils ont fait ou pas fait. Je suis maître de ma vie et non victime du hasard et des circonstances de la vie. Il y aura toujours des événements, des comportements pour me surprendre, me décevoir, me révolter.

Accueillir la vie, c’est m’abandonner non seulement à Dieu, mais aussi aux hommes. Accepter la vie, c’est refuser de mettre mes proches et mes moins proches en défaut.

Je sais depuis le début de la maladie que je ne suis pas tout à fait seule. Même quand ma fille m’a fait promettre d’être la seule dépositaire de son secret, je n’étais pas seule. Si j’étais sa confidente, qui portait son mal quand et comme elle le voulait, j’ai su me faire entourer d’un soutien spirituel. Ce que je n’ai pas fait, c’est moi seule qui en suis responsable. J’ai tant voulu me taire que cet été, seule au bout de la France, sur les chemins de Compostelle où je ne connaissais personne et où personne ne me connaissait, j’ai choisi de me taire, comme une évadée criminelle, un agent secret de Moscou qui transporte une malle diplomatique jusqu’aux extrémités de la Terre.

Mais comment donc en arrive-t-on à se mettre de tels fardeaux sur le dos ? J’avais si bien allégé mon sac à dos, dans un bon sens naturel surprenant et rarissime (tous les pèlerins rencontrés se ruinaient à renvoyer à prix d’or par la Poste des affaires au bout du monde), que j’ai pris sans m’en apercevoir un poids supplémentaire.

Je n’ai pas voulu être enfermée dans le regard des autres, j’ai voulu garder l’image d’une famille unie ET heureuse, sans accepter de dire en toute simplicité que nous nous aimions, avions de grandes joies et de grandes peines.