Double empreinte - Collectif Essia - E-Book

Double empreinte E-Book

Collectif Essia

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Beschreibung

Ce témoignage collectif de parents de jumeaux esseulés aborde un sujet peu traité en société : le deuil périnatal et la gémellité perdue.

Entre ciel et terre
Nous vivons un double deuil : celui du deuil périnatal et du deuil de la gémellité.
Ces deuils sont très lourds à porter au quotidien. Un quotidien en décalage avec les autres. Nous ne sommes plus les mêmes personnes.
Un quotidien dans lequel il faut tout de même avancer au rythme d’une société qui ignore ou qui n’a pas envie de connaitre notre nouveau nous.
Un quotidien rythmé par le vide, l’incompréhension, le sentiment d’injustice, la culpabilité, le manque, la solitude, les interrogations sur l’avenir, les signes, les maux qui ne rongent et les mots durs à entendre parfois.
« Maman, mets ta main sur mon cœur. Tu entends comme il bat vite ? C’est ma sœur Maëlys » ! Ce sont les mots bouleversants de ma fille Maïlan, qui vit le deuil de sa sœur jumelle.
Les jumeaux ont un amour fascinant et exceptionnel, il est doublement plus fort, doublement plus grand. Un amour fusionnel, même quand la mort vient à se mêler de leur relation.
Le deuil des jumeaux est un deuil très particulier et peu connu de la société, voire très souvent banalisé. Nos vécus, ainsi que les termes comme « syndrome du jumeau perdu », « jumeaux esseulés » ou encore « gémellité perdue » sont très complexes à faire comprendre à notre entourage.
Quoi de mieux que partager ce projet d’écriture et traiter ce sujet avec des personnes ayant vécu le même drame ?
Ensemble, parents de jumeaux et jumeaux esseulé(e)s, nous souhaitons offrir aux lecteurs des témoignages et vécus réels avec l’espoir de déclencher une prise de conscience sur l’existence de ces deuils et être compris.
Ensemble nous souhaitons informer et sensibiliser mais également montrer aux familles en deuil, qui n’osent pas en parler, qu’elles ne sont pas seules.

Un recueil de témoignages qui a pour objectifs d'informer et sensibiliser l'entourage de parents et de jumeaux esseulés, et d'offrir un soutien aux parents concernés à la fois.

EXTRAIT

"On ne le dira jamais assez. La perte d’un bébé pendant la grossesse ou au tout début de la vie n’est pas une mort comme une autre. Elle vient frapper brutalement les parents en plein mouvement de vie et de promesse d’une existence nouvelle. Elle vient arracher le précieux joyau dans la chair de la mère et détruire les rêves des parents. Dans ce chaos incommensurable, la reconnaissance de l’effroyable et le soutien ne sont pas toujours de mise. Les parents se sentent très souvent dans une grande solitude, totalement incompris et confrontés à la maladresse de l’entourage et de la société qui tendent à gommer l’événement et l’existence de ces petits bébés partis trop vite sans avoir pu connaître leur famille et découvrir notre monde.

Malgré la mobilisation croissante des parents et des professionnels, la mort périnatale reste encore un sujet tabou.

Les témoignages recueillis l’attestent une nouvelle fois et en même temps participent à cette levée de l’omerta sur cet indicible, cet impensable en mettant des mots qui vont aider à traverser ce long chemin de deuil.

Dans ce livre, il est question d’un deuil périnatal particulier car s’y ajoute la complexité de la gémellité. C’est une situation devenue de plus en plus fréquente. L’augmentation du recours aux techniques de procréation médicale assistée, qui conduit plus souvent à des grossesses multiples, et l’accroissement de l’âge maternel en sont probablement les principales raisons. "

À PROPOS DES AUTEURS

Le Collectif Essia est un collectif de parents de jumeaux esseulés.

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DOUBLE

EMPREINTE

 

Jumeaux Esseulés

 

Témoignages

Editions « Arts En Mots »Illustration graphique : © Val

Préface :

C’est avec beaucoup d’émotion que j’écris la préface de ce beau livre de témoignages écrit par des parents qui ont perdu l’un des jumeaux attendus ou les deux parfois. S’y associent également des récits poignants des frères ou soeurs devenus des jumeaux esseulés.

On ne le dira jamais assez. La perte d’un bébé pendant la grossesse ou au tout début de la vie n’est pas une mort comme une autre. Elle vient frapper brutalement les parents en plein mouvement de vie et de promesse d’une existence nouvelle. Elle vient arracher le précieux joyau dans la chair de la mère et détruire les rêves des parents. Dans ce chaos incommensurable, la reconnaissance de l’effroyable et le soutien ne sont pas toujours de mise. Les parents se sentent très souvent dans une grande solitude, totalement incompris et confrontés à la maladresse de l’entourage et de la société qui tendent à gommer l’événement et l’existence de ces petits bébés partis trop vite sans avoir pu connaître leur famille et découvrir notre monde.

Malgré la mobilisation croissante des parents et des professionnels, la mort périnatale reste encore un sujet tabou.

Les témoignages recueillis l’attestent une nouvelle fois et en même temps participent à cette levée de l’omerta sur cet indicible, cet impensable en mettant des mots qui vont aider à traverser ce long chemin de deuil.

Dans ce livre, il est question d’un deuil périnatal particulier car s’y ajoute la complexité de la gémellité. C’est une situation devenue de plus en plus fréquente. L’augmentation du recours aux techniques de procréation médicale assistée, qui conduit plus souvent à des grossesses multiples, et l’accroissement de l’âge maternel en sont probablement les principales raisons.

Une première partie est consacrée à la perte d’un jumeau pendant la grossesse ou autour de la naissance. Les histoires sont différentes et pourtant combien elles se ressemblent dans le vécu du drame et dans les émotions que l’annonce de la gémellité et de la mort ont engendrées. J’aurais envie de citer chaque prénom tellement chaque enfant a sa place, l’enfant vivant comme l’enfant mort. Les prénoms des enfants comme celui des parents qui, par leurs récits et leurs poèmes magnifiques font exister à tout jamais les petits disparus. Avec force et délicatesse, ils narrent l’histoire de la petite vie de leur bébé et le moment de la rencontre avec lui. Une rencontre qui fait peur comme l’écrit Guillaume, qui a perdu ses deux petites filles, mais aussi un moment d’une grande beauté qui procure un apaisement. « Je suis heureux, un heureux papa. J’ai eu un moment de vie avec elles, un temps que pour nous ».

La question de voir les enfants et de les revoir après dans la chambre mortuaire est très importante car souvent les parents sont mal informés. Ils n’osent pas demander et eux-mêmes sont parfois partagés car ils appréhendent cette rencontre. Ils ne doivent pas hésiter à poser des questions car il y a souvent dans les équipes une personne référente de ces situations qui pourra les accompagner au plus près dans cette démarche. Cependant, j’aimerai dire qu’il n’est pas indispensable de voir son bébé mort pour élaborer sa perte, comme trop fréquemment on l’entend. Chacun avec ses propres ressources et à son propre rythme va cheminer avec cette question. Mais souvent quand la rencontre est possible c’est un grand moment de partage.

Dans tous ces récits, le moment de l’annonce de la mort de l’un des bébés est vécu comme un véritable coup de poignard dans le cœur. Comme dans toute annonce d’une mort périnatale, on retrouve cette grande violence et cet indicible mais ici s’y surajoute l’impensable question de la poursuite de la grossesse avec l’immense responsabilité de mener à terme le bébé vivant. Comment supporter d’abriter dans sa chair un petit être grandissant aux côtés de son frère ou de sa sœur dont le cœur s’est arrêté. Investir un bébé qui déploie sa vitalité alors le psychisme est envahi de pensées tristes, de culpabilité, de colère, de sentiments d’injustice relève d’un véritable exploit pour les parents ! Et pourtant il faut continuer la grossesse, sentir la pesanteur du bébé inerte dans son corps, voir le regard fuyant de l’échographiste lorsqu’il s’approche du bébé mort et préparer la naissance de l’autre enfant.

Il faut continuer en entendant des phrases assassines « il vous en reste un »

« C’est du travail des jumeaux, c’est peut-être mieux comme cela ! »

Et il faut continuer encore quand vient la naissance. Peut-on imaginer accoucher d’un enfant vivant en même temps que d’un enfant mort ?  « Je ne savais pas si je devais pleurer ma fille morte ou me réjouir de la naissance de sa sœur » écrit Essia. C’est en effet ce déchirement terrible, cet écartèlement émotionnel inimaginable que vivent tous les parents dans ces instants là. Cette épreuve est d’autant plus douloureuse que l’entourage gomme rapidement la mort de l’autre enfant et attend que les parents soient joyeux, balayant le fait que le père et la mère ont deux enfants, un mort et un vivant, et que leurs émotions ne peuvent pas être les mêmes envers chaque bébé. A la naissance les parents doivent construire une relation avec un bébé tandis qu’ils doivent effectuer un chemin de deuil avec l’autre. Comment concilier ces deux mouvements psychiques si opposés ?

Les parents sont pris dans un terrible conflit de loyauté, penser à l’enfant vivant sans toujours penser au mort et penser à l’enfant mort sans oublier le vivant. Les destins des jumeaux sont éternellement liés même s’ils ont pris des chemins différents.

Pour ces mères, pour ces pères, ce n’est pas seulement le deuil d’un enfant qu’ils vivent mais le deuil de jumeaux. Que faire de tous les objets achetés en double, la poussette, le lit, les petits vêtements, les doudous… ? Et cette douleur terrassante quand au parc ou dans la rue ils aperçoivent des jumeaux.

Si la naissance de l’enfant vivant n’apaise pas la tristesse, néanmoins elle procure un grand bonheur aux parents effondrés qui voient dans cet enfant une grande force de vie à laquelle ils veulent s’identifier.

A ces sentiments mêlés de tristesse et de joie, s’associe fréquemment la culpabilité de ne pas avoir pu sauver l’autre bébé alors qu’elles n’y sont pour rien dans ce qui s’est passé. Toutes les mères se sentent l’immense responsabilité de mettre au monde un enfant vivant et bien portant et se font toujours des reproches. La culpabilité semble moins prégnante chez les pères car ils ne portent pas le bébé mais elle peut se déplacer sur d’autres aspects. De toute façon les pères souffrent beaucoup également, souvent en silence, et ne sont pas toujours bien accompagnés par les équipes et l’entourage. Ils doivent se montrer forts pour soutenir la maman et les enfants aînés, pour effectuer les démarches administratives et organiser les obsèques. Rarement on leur demande comment ils vont. Parfois ils semblent indifférents aux yeux de leur compagne, ce qui peut être source de conflits. Et pourtant il n’en ait rien. C’est pour ne pas s’effondrer et entraîner toute la famille dans ce tumulte qu’ils essaient de s’endurcir mais leur cœur saigne. Dans ce livre, plusieurs pères ont transmis des témoignages très émouvants dans lesquels ils nous font part de leurs pensées intimes et de leur cheminement dans cette épreuve dramatique.

Après la naissance, les parents se demandent souvent quand et comment parler au bébé vivant de son jumeau décédé. C’est une question fondamentale et l’on voit bien dans la deuxième partie de cet ouvrage consacrée aux jumeaux esseulés comment le silence autour de ces situations pendant des décennies a provoqué des drames familiaux et des souffrances effroyables chez les survivants. Les témoignages des adultes qu’ils sont devenus montrent bien qu’ils ont toujours pressenti qu’ils avaient un jumeau. Joëlle appelait sa poupée « ma sœur » et voulait toujours deux bonbons, deux stylos… Célia avait une amie imaginaire et à l’adolescence écrivait des romans dans lesquels elle mettait en scène des jumelles séparées. A cette époque, les parents étaient totalement démunis et n’en parlaient jamais, gardant secrètement leur douleur au fond de leur âme. De toute façon, le sujet était totalement tabou. Ce n’est que fortuitement et parfois avec brutalité que les jumeaux esseulés ont appris l’existence de leur sœur ou de leur frère, renforçant les dégâts psychiques causés par cette situation. C’est souvent après un long accompagnement psychologique que ces personnes en souffrance ont pu se reconstruire, trouver leur place, apaiser leur colère et leur culpabilité d’être survivant « vivre ma vie à moi, c’était ça ma façon de lui rendre hommage » écrit Célia en évoquant sa jumelle disparue.

Lydie raconte avec force ce paradis perdu lorsque la vie a quitté son jumeau « Sans crier gare, cette bulle de plénitude se transforme en un trou noir sans fin. Impuissant, vous assistez à la chute de votre paradis, sans comprendre pourquoi vous n'entendez plus l'unisson de vos cœurs. Tout devient peur, angoisse, insécurité… une spirale infinie qui vous entraîne dans un monde peuplé de vide. ». Elle évoque les sentiments qui l’ont traversé et que l’on retrouve souvent dans ces situations et notamment la solitude, la colère, la culpabilité et l’impossibilité à trouver sa place. C’est au terme d’un long travail éprouvant avec une kinésiologue qu’elle a pu se sentir entière en gardant précieusement en elle ce frère qui lui manquait.

Les témoignages émouvants des jeunes enfants montrent bien le chemin parcouru depuis, même si de nombreuses questions se posent aux parents. Ils s’interrogent toujours sur le vécu du jumeau survivant lorsqu’il était dans le ventre de la mère, des battements de cœur qui le berçaient et qui se sont parfois interrompus brutalement, sur cette présence qui a disparu furtivement. Que reste-t-il de tout cela ? Est-ce qu’il se souvient de son jumeau dans son inconscient ? Les parents craignent que son jumeau lui manque toujours et qu’il souffre d’une solitude insurmontable. Ce sont sans doute leurs propres sentiments qu’ils projettent sur leur bébé afin de garder vivante la mémoire du jumeau mort. Cependant s’il est difficile de répondre à ces questions, on sait qu’ils ont eu des échanges sensoriels entre eux et avec leur mère et l’on peut penser que le jumeau esseulé en gardera des traces.

Maintenant, souvent dès la naissance, les parents expliquent à leur enfant qu’il a un frère ou une sœur qui n’a pas vécu. Progressivement, selon l’âge de l’enfant et sa compréhension ils l’évoqueront à nouveau pour qu’il soit intégré à sa juste place dans la famille. La date de l’anniversaire reste toujours une situation complexe « les premières années, je ne fêtais pas l’anniversaire de Célia le jour J... On le fêtait donc la veille, le jour où toutes les trois vivaient in utero » raconte la maman de Célia, qui a perdu Léa et Elodie alors qu’elles étaient dans son ventre avec Célia qui a fait ici un beau témoignage alors qu’elle a 15 ans. L’image du disparu est « entretenue » par l’enfant vivant qui prête son visage à celui qui manque. Le vivant ne peut se construire que dans le rapport au mort. Le vécu des enfants est inséparable de l’élaboration du deuil que les parents auront pu faire de son jumeau.

S’il faut parler au jumeau esseulé, il faut également pouvoir parler aux enfants aînés qui vivent ce drame dans le silence. Guillaume, qui a perdu ses deux filles, fait un témoignage poignant dans la 3ème partie de cet ouvrage. Il raconte comment il a dû affronter les questions naïves et touchantes de leur fille aînée Lola, empreintes de bon sens et de pragmatisme « Si elles sont malades, pourquoi on ne les a pas emmenées chez le docteur ? » « Pourquoi, si on les appelle très fort, elles ne peuvent pas venir ? ».

« Elles sont dans le ciel et un peu dans mon ventre » dira un jour Lola à l’une de ses petites copines.

Cet ouvrage se termine par le témoignage de parents qui ont perdu deux enfants jumeaux. Parfois la grossesse a dû se poursuivre au début avec un enfant encore vivant, parfois les enfants sont nés vivants puis décédés peu de temps après la naissance comme Léa et Elodie, les sœurs de Célia ou comme Jacob et Jayden, nés prématurément récemment et dont les parents sont dans une douleur effroyable « Je m'imagine parfois ce que serait ma vie avec Jacob et Jayden. Parfois, je m'imagine avec eux, me tenant la main, marchant et jouant sur notre terrain. Je ne fais que l’écrire et les larmes me coulent » écrit Janie, leur maman

Je souhaite terminer cette préface en remerciant tous les parents, les enfants et les adultes qui ont raconter l’histoire de leurs bébés ou leur propre histoire. Tous ces témoignages émouvants vont aider d’autres parents, d’autres adultes dans la détresse à survivre à ce drame et à pouvoir revivre après en s’appuyant sur leurs ressources internes et en développant leur créativité toujours très riche dans ces situations.

J’espère vivement que les professionnels, l’entourage et la société pourront lire ce bel ouvrage et penser réellement la question du deuil périnatal.

Il est temps de lever l’omerta sur ces sujets!

Enfin, j’aimerais dire qu’il est très important que les parents ne restent pas seuls avec leur douleur. Ils ne doivent pas hésiter à parler de leur(s) bébé(s) décédé(s) et à rejoindre des groupes de parole quand il en existe. Le soutien par des psychologues, des psychiatres ou des professionnels des approches corporelles est essentiel. Il permet d’aider toute la famille, en particulier les enfants aînés et concoure également à une prévention des grossesses ultérieures .

Marie-José Soubieux

Pédopsychiatre, psychanalyste

Auteur du livre Le berceau vide, Deuil périnatal et travail du psychanalyste, Erès 2008 et 2013

[email protected]

 

 

 

Partie 1

 

Les parents ayant perdu un jumeau

 

Témoignage d’Essia Morellon

 

Je m’appelle Essia, j’ai 41 ans et je suis la maman de quatre enfants ; Alyssa : 14 ans, Naël : 12 ans et mes jumelles Maïlan et Maëlys : 6 Ans.

En fin d’année 2012, mon mari et moi, avons eu le désir d’avoir un troisième enfant.

Je me rappellerai toute ma vie lorsque nous avons appris que j’étais enceinte, non pas d’un, mais de deux bébés. Enfin, mon rêve se réalisait ! Mon papa étant un jumeau, et la gémellité, un sujet qui me fascinait depuis toujours.

Tout a commencé le 1er janvier 2013, la date où mes deux bébés se sont logés dans mon ventre. C’était la plus belle chose que l’on pouvait nous souhaiter pour la nouvelle année. 

La découverte de cette grossesse gémellaire s’est faite lors de l’échographie de datation. À l’écran, j’ai tout de suite vu ces deux minuscules graines d’amour.

Sans que la sage-femme n’ait eu temps de me dire quoi que ce soit, j’ai hurlé de joie : « Mais il y en a deux-là, mais, il y en a deux ! ». Eh bien oui, il y en avait bien deux.

En sortant du contrôle, je n’ai pas pu attendre, je devais absolument partager la nouvelle avec mon mari par téléphone. C’était une annonce choc pour lui. Il n’a vraiment réalisé que lorsqu’il est rentré le soir et a vu les échographies. Il était heureux aussi.

Nous voilà lancés tous les quatre dans cette nouvelle et belle aventure. J’étais en fusion totale avec mes bébés.

Je n’arrêtais pas d’imaginer mon futur accouchement, notre première rencontre, mon allaitement, mes promenades…Tout était parfait dans mon imaginaire !

De son côté, mon mari avait un regard beaucoup plus pragmatique sur ces changements : nouvelle voiture pour avoir suffisamment de places, comment agrandir notre chambre et réorganiser la maison, etc… Mais il débordait de bonheur.

Et nos enfants n’étaient pas en reste : ils étaient fiers et racontaient à toute l’école que leur maman allait avoir des jumeaux. Toutes nos discussions en famille tournaient autour de ces bébés, de leur sexe — car nous préférions garder la surprise jusqu’au bout— ou de qui s’occuperait de leur donner le bain. Autant de projections et d’espérances laissées en suspens. 

Tout au long de la grossesse, nous avions tout préparé : la poussette double, leurs lits et le porte-bébé spécial jumeaux, la valise pour la maternité avec une tonne de vêtements…Tout était en double, c’était grandiose ! Petit à petit, nos petites graines d’amour prenaient place dans mon ventre et au sein de notre famille, j’aimais ce grand espace que les bébés occupaient même sans être là….

Mais tout ne s’est pas passé comme je me l'imaginais.

Enceinte de sept mois, un samedi matin comme les autres, mes pieds étaient gonflés. Étonnant ! Je n’avais jamais eu cela. Je pensais que c’était peut-être dû à la canicule du mois de juillet. Mon mari m’a préparé un bain de pieds avec de l’eau froide et du sel, mais rien n’y avait fait.

Je n’étais pas très inquiète mais dans le doute, le soir, j’avais contacté mon gynécologue. Seulement, il ne répondait pas au téléphone. J’ai donc appelé la sage-femme qui s’occupait de ma préparation à l’accouchement dans l’eau afin de lui demander conseil. Elle m’a conseillé de m’allonger confortablement et de surélever mes jambes sur un coussin. Elle pensait que cela pouvait être lié à une tension élevée.

En attendant de la voir le lundi pour ma séance prépa, j’ai suivi son conseil.

J’ai passé tout le week-end allongé et les jambes surélevées. Mes bébés bougeaient et faisaient la fête dans mon ventre.

Étant curieuse de nature, et surtout pour me rassurer, je cherchais à comprendre ce qui m’arrivait. J’avais lu des articles sur internet disant que ce symptôme pouvait annoncer une pré-éclampsie (hypertension artérielle gravidique pouvant apparaître dans la seconde moitié de la grossesse et évoluer vers l’éclampsie. Elle se manifeste par des convulsions et constitue une urgence vitale). Voilà que la petite boule d’angoisse débarquait !

Comme tous les lundis, j’étais à ma séance de prépa, la sage-femme mesure ma tension et me précise que le résultat n’est pas très bon. Une tension un peu trop élevée, et il faut aller aux urgences rapidement.

Prise de panique par ce qu’elle venait de me dire et ce que j’avais pu lire la veille, j’ai couru à l’hôpital sans attendre. Mon mari me rejoignit quelques temps plus tard, on passa sept heures dans la salle d’attente bondée de monde et dans une chaleur monstre.

Aux urgences, je présentai mon dossier et j’expliquai la situation.

Je reprécise également à la sage-femme, que dans mes antécédents familiaux, mon père avait perdu son frère jumeau à la naissance. D’ailleurs, c’était noté dans mon dossier. Il me fallait le redire car j’étais inquiète de reproduire le même scénario.

Après une série d’examens à n’en plus finir, la sage-femme m’a confirmé que j’avais une pré- éclampsie sévère. Bien que je remplisse tous les critères d’urgence, elle n’avait pas l’air du tout été alarmé, ni par la situation ni par mes antécédents familiaux. Elle nous a expliqué que cela n’était pas bien grave et qu’il faudrait juste surveiller. Je devais revenir à l’hôpital et subir deux fois par semaine des contrôles précis (échographie, prise de sang, analyse d’urine, monitoring), et cela jusqu’à l’accouchement.

Selon les soignants les résultats étaient encourageants, nos petits amours allaient bien. C’était le 22 Juillet 2013.

Seulement, mon instinct, lui, me poussait de plus en plus vers l’inquiétude, je sentais que quelque chose de mal allait se passer. Pour moi, la situation était grave. Dans ma tête, j’avais vite fait le bilan de mon état, j’étais consciente des risques et de l’urgence (grossesse gémellaire avec une pré-éclampsie sévère, des antécédents familiaux avec une perte d’un jumeau, un des bébés qui avait arrêté de grandir, quelques fuites de liquide, et une tension à 15… Ça ne pouvait que donner un tableau noir ! Non ? Mais malgré mes craintes, j’essayais tant bien que mal de me connecter avec mes petites graines d’amour qui bougeaient très bien. Je les aimais si fort ! Vivement qu’elles naissent !

Le 26 juillet, mon mari et moi, nous nous présentons à nouveau à l’hôpital. J’insiste encore une fois sur la gravité de la situation, j’alerte, j’explique, je leur fais part de mon inquiétude et de mon angoisse grandissante.

Sur place, il y avait la même sage-femme rencontrée la fois d’avant. Je lui demande de déclencher l’accouchement afin de stopper la pré-éclampsie et d’éviter le pire, éviter le drame. Cela était possible, surtout que les bébés avaient un bon poids et pouvaient naitre à ce terme. D’ailleurs, mon gynécologue me l’avait toujours dit, que j’accoucherais probablement fin juillet début août.

J’ai également demandé d’être au moins hospitalisée et suivie dans leur unité de grossesse à haut risque, ainsi je serais surveillée de très près, mais en vain, je n’ai pas été entendue et ni prise au sérieux.

La sage-femme s’est contentée de nous materner en disant qu’il n’y avait pas de raison pour que ça se passe mal, que les bébés allaient bien et a rajouté cette belle phrase : « Rentrez chez vous, ça va aller, ne vous inquiétez pas, rien ne peut vous arriver. »

On ne pouvait rien faire d’autre, alors nous sommes rentrés bien que je ne le veuille pas. Mon mari essayait de me rassurer comme il le pouvait. J’avais très peur !

Au fond de moi, je savais, mais j’essayais toujours, et encore une fois, de me concentrer sur cette fusion qu’on avait, mes bébés et moi.

Je leur parlais, chantais des chansons, je dansais avec eux, je les câlinais…

Le 28 juillet, mon instinct me rappela encore une fois ce fameux tableau noir de la situation dans laquelle je vivais. Quelque chose allait nous tomber dessus. Mais j’étais impuissante et je n’arrivais pas à chasser ces mauvaises pensées et me convaincre que tout allait bien.

Je passais des heures à éplucher mon dossier médical, mes papiers d’analyses et les échographies pour essayer de trouver quelque chose et pouvoir convaincre les soignants que la situation était grave et qu’il fallait me prendre en charge au plus vite afin d’éviter le pire.

Mon inquiétude était grande et sans limites, et je le faisais savoir à mon entourage.

Comme si je cherchais de l’écoute et à ce qu’on me prenne au sérieux.

Au téléphone avec un ami proche, je lui avais dit clairement : « Tu verras, il va se passer un truc. », « Si tu savais comme j’ai peur de reproduire le même scénario que mon père ! ».

Il m’avait répondu : « Mais non, tout va bien se passer Essia, ne t’inquiète pas »

Une autre amie était venue pour me voir, alors que j’étais occupée à vérifier et à ranger les vêtements dans la valise de Maternité pour la milliardième fois. Alors, je lui montrai les tout petits pyjamas, chaussons, bodys et même deux petites robes au cas où j’aurais des filles ; des vêtements de toutes les tailles (préma, naissance et un mois) que j’avais choisis et préparés avec tant d’amour pour mes deux petites graines.

Ce moment tendre de partage avec mon amie m’avait un peu réconfortée et me revoilà positive à nouveau ! Je ne pouvais croire au pire ! Mes bébés bougeaient énormément, ils étaient là, ils naitraient bientôt et en pleine forme !

Au cours de ce fameux week-end du 29 juillet, durant mon sommeil, j’ai commencé à ressentir de fortes contractions très rapprochées. Chouette ! Le travail avait commencé. Toute contente, j’ai réveillé mon mari. C’était le moment, nos deux amours allaient naître. On allait enfin les voir ! On allait enfin être soulagés ! Et vite, qu’on se débarrasse de cette grande boule d’angoisse et de ce tableau noir !

Nous sommes partis aux urgences cette fois, sans inquiétude ni précipitation. Après vingt minutes d’attente, le gynécologue de garde est venu m’examiner. Accueil pas très chaleureux, mais ce n’était pas grave, j’étais heureuse, j’allais enfin avoir mes bébés !

Alors que je demandais au médecin de bien garder le secret concernant leur sexe, celui-ci s’est contenté de me répondre sèchement de le laisser terminer son contrôle.

Nous voyions bien à l’expression de son visage que les choses ne se présentaient pas bien. Je lui ai alors demandé ce qui n’allait pas, mais pas de réponse, il était comme tétanisé, il a poursuivi, s’est levé tout en nous demandant de patienter et il est parti.

Un silence de plomb assommait la salle, et la peur s’est peu à peu emparée de moi. Mon mari essayait tant bien que mal de me rassurer mais lui comme moi, nous sentions bien que cette chose grave était en train de se passer.

Après nous avoir laissés dans le silence et l’inconnu pendant près de quinze longues minutes, le médecin est revenu avec un collègue. J'espérais un regard rassurant, mais rien. Le second gynécologue a voulu refaire l’échographie, et la sentence est tombée. Il a posé sa main sur la mienne et m’a dit cette phrase, qui a résonné longtemps en moi : « je suis désolé le cœur d’un des bébés a cessé de battre ».

Cette annonce a eu l’effet d’une bombe, tout s’écroulait. Poignardée en plein cœur, j’ai commencé à paniquer : je suppliai le médecin d’intervenir et de sauver mon bébé, mais il n’y pouvait rien.

Mais pourquoi Bon Dieu ? Ce drame que j’avais tant voulu éviter ! Pourquoi m’infliger une chose pareille ?

Pas le temps de digérer la mauvaise nouvelle, le gynécologue continua en nous disant qu’il était primordial de poursuivre cette grossesse en l’état car l’autre enfant avait besoin de rester encore un peu dans mon ventre pour terminer son développement. Mais je savais que j’allais accoucher ce jour-là. Je sentais une forte pression sur mon col. Les bébés poussaient.

Je me suis mise à hurler, ma douleur était si vive, j’avais l’impression d’avoir le cœur arraché.

À partir de ce moment, tout s’est enchaîné très vite. Le col s’est ouvert rapidement, le cœur de mon autre bébé faiblissait, son rythme cardiaque baissait et ma tension augmentait dangereusement. Tout le monde courait et s’agitait autour de moi, et je captais des mots pas très rassurants « On l’emmène au bloc, césarienne en urgence, vite, on risque de les perdre… ». Je me suis retrouvée en salle d’opération en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire et j’ai été endormie. Je me souviens distinctement du masque posé sur mon visage, et puis plus rien. Jusqu’au réveil.

Le réveil a été douloureux, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’étais à l’hôpital, sans mon mari ni mes enfants, très faible car j’avais perdu beaucoup de sang. Mon état était critique. Une infirmière est venue me voir, m’annonça que mon bébé était une belle petite fille, elle avait pu être sauvée. Je lui ai alors demandé des nouvelles de son jumeau avec l’espoir fou d’avoir fait un mauvais rêve et de l’entendre me dire qu’il était en vie.

Malheureusement, j’étais bel et bien dans la réalité. Mon autre enfant, une fille aussi, s’était déjà envolée. Ma douleur était atroce, je ne savais pas si je devais pleurer ma fille morte ou me réjouir de la naissance de sa sœur. Je vivais un cauchemar.

Mon mari n’est arrivé à mon chevet que le soir, je n’ose imaginer ce qu’il a pu vivre de son côté, seul dans la salle d’attente pendant des heures. Il avait réussi à faire une photo de notre petite miraculée « Maïlan ».

Il semblait lutter, lui aussi, contre des sentiments contradictoires, mais il voulait me convaincre de notre capacité à réagir face à cette situation.

J’étais totalement désemparée. Où puiser la force nécessaire ?  

Je voulais tenir dans mes bras, mes deux filles, mes deux graines d’amours, je ne cessais de les réclamer, mais on me les refusait.Je me sentais si seule, avec un ventre si vide ! J’en voulais à la terre entière. La souffrance était beaucoup trop forte. !

C’est insupportable, c’est inacceptable et c’est insurmontable !

Le jour suivant mon accouchement, mon état étant plus stable, j’ai été transférée dans une chambre au fond d’un long couloir, très loin du service maternité. J’étais dans ce fameux service de grossesse à haut risque, d’ailleurs, je me demandais à quoi cela pouvait servir ! C’était trop tard ! Le drame s’était malheureusement produit.

Ce jour-là, c’était l’anniversaire de mon mari. Un jour qui restera gravé. Nous allions enfin pouvoir rencontrer nos filles.

Je culpabilisais beaucoup de ne pas avoir été en mesure d’offrir à mon mari, ses deux bébés en bonne santé.

Assise sur un fauteuil roulant, mon mari m’avait conduite vers le service des soins intensifs pédiatriques, là où, Maïlan avait été transférée, compte tenu de son état critique.

J’étais partagée entre la joie de la voir et en même temps la tristesse de la voir seule.

Arrivés dans le service, les infirmières nous expliquent qu’il faut respecter tout un protocole d’hygiène. Il ne faudrait pas que Maïlan tombe malade ou attrape un virus quelconque. Elle était considérée comme grande prématurée et sa santé était très fragile. Nous prenions conscience que nous avions failli la perdre elle aussi.

Après avoir procédé aux lavages des mains, nous avons été équipés de tabliers, masques et chaussons.

Enfin, nous rencontrons notre fille, installée dans une couveuse, des appareils partout qui clignotaient et qui sonnaient. On découvre notre petite miraculée, branchée avec des fils dans tous les sens et entubée. Le Choc !

Un petit être si fragile, si petit et si seul ! Sans sa sœur !

Une petite merveille qui se battait comme une championne pour vivre, vivre pour deux !

Elle était magnifique, elle avait beaucoup de cheveux bien bruns, une peau si douce. Ma main paraissait gigantesque et couvrait pratiquement tout son dos.

J’étais envahie par une grande frustration, je ne pouvais pas la prendre dans mes bras, je ne pouvais que la caresser et de lui parler à travers cette couveuse. J’essayais de la rassurer en lui disant que nous étions là et qu’on ferait tout pour surmonter cette terrible épreuve. Je lui ai tout raconté. Toute la vérité.

Maïlan réagissait à ma voix, une voix forcément qui lui était familière, elle savait que c’était celle de sa maman, j’étais convaincue qu’elle comprenait tout ce qu’il se passait.

Cette première rencontre fut un moment doux, plein de tendresse et d’énormément d’amour.

Nous l’avons quittée en lui promettant de venir lui rendre visite tous les jours.

Tout de suite après, la rencontre avec Maëlys allait se faire.

Nous attendions seuls, tous les deux, dans la chambre si silencieuse. Moi, fixant la porte, impatiente de voir ma fille.

L’auxiliaire de puériculture est entrée, tenant notre bébé langé dans un drap blanc. Je tremblais, j’avais des sueurs froides, la gorge serrée et je sentais poindre les larmes sur le bord de mes yeux. Mon mari avait l’air perdu et abattu. La puéricultrice a proposé de nous assister mais, nous souhaitions être seuls pour cette rencontre unique et magique. Oui, cet instant a été magique car notre fille était belle, elle rayonnait. Je l’ai prise dans mes bras, émerveillée par ce petit être si parfait et je l’ai contemplé. Elle avait d’adorables joues roses, elle aussi, beaucoup de cheveux bien bruns, de jolies mains toutes douces, et elle sentait si bon ! Elle ressemblait en tous points à sa sœur Maïlan. Elle semblait sereine. Cette rencontre a été bouleversante, très riche en émotions, nous avons eu une vraie claque !

Nous n’avons pas cessé de lui parler, l’embrasser, la regarder. Mon mari l’a tenue contre lui à son tour et a pleuré en silence. Nous ne ressentions aucune haine, apaisés par ce moment intime. Les adieux se sont opérés tout en douceur, malgré mon sentiment de déchirement et d’injustice. L’auxiliaire l’a reprise et a fermé la porte. Je n’ai pas été informée de la possibilité de la revoir, j’aurais tellement voulu mais je l’ai su trop tard, lors de la mise en bière. J’étais dans un état second, incapable de penser. Nous avons eu très peu de temps pour réfléchir et prendre les bonnes décisions.

Nous étions dans le flou total, sans réponse à nos questions.

Pourquoi notre Maëlys était morte ? Qu’avions-nous fait ou pas fait ? Pourquoi nous ?

Quelques jours plus tard, le chirurgien nous a expliqué que j’avais souffert d’un hématome rétro placentaire certainement causé par une pré-éclampsie. C’est rare, et personne n’y peut rien.

Je n’étais pas satisfaite de ces précisions, je ne souhaitais pas les entendre, je ne pouvais pas les accepter. J’essayais de faire défiler les évènements en boucle dans ma tête, à la recherche d’un petit détail qui m’avait échappé. J’en voulais au monde entier, particulièrement à la sage-femme qui nous avait soutenus deux jours avant l’accouchement « rien de mal ne peut arriver ». J’étais rongée par la culpabilité. J’avais été incapable de protéger ma fille, pourtant, j’avais très bien senti que quelque chose ne tournait pas rond. J’aurais dû plus insister pour rester hospitalisée et déclencher mon accouchement plus tôt. J’aurais dû suivre mon instinct au lieu d’écouter les conseils de cette personne qui nous demandait de rentrer tranquillement chez nous.

Cinq jours après l’accouchement, me voilà déjà sortie de l’hôpital, alors que je ne voulais pas me séparer de Maïlan, de plus, j’avais tellement peur de revenir à la maison. Une maison vide, sans enfants, sans nos deux bébés d’amour.

Mais on nous a expliqué qu’ils ne pouvaient pas me garder. Alors, encore une fois obligée d’accepter.

Je souffrais énormément de cette deuxième séparation de mes filles, on est partis de l’hôpital, seuls, laissant Maëlys à la morgue et Maïlan aux soins intensifs.

Sur le chemin du retour, nous avons dû nous arrêter aux pompes funèbres pour organiser les funérailles de Maëlys, c’était la course contre le temps, il nous restait, cinq jours pour tout organiser et s’occuper de la tonne de papiers.

Je ne comprenais toujours pas ce qu’il se passait, j’étais comme droguée ou sous hypnose. J’étais enfermée dans un cauchemar et malgré mon état, je devais suivre et prendre des décisions, choisir le cercueil, quel type de bois, la couleur, les poignets, la plaque, la date de l’enterrement et le type d’enterrement, les faire-part, les fleurs, la déclaration en mairie etc. mais quel est ce monde des morts ? Je ne connaissais pas ce monde et je n’avais pas envie de le connaitre. Je voulais ma fille, mes filles. Heureusement que mon mari était là pour gérer tout ça car moi, j’étais éteinte, épuisée et incapable de réagir.

Le retour à la maison a été violent pour nous. Seuls dans notre salon, les bras et berceaux vides. Qu’allions-nous devenir ? Qu’allions-nous faire ?

Les journées qui ont suivi ont été bien remplies et rythmées par les démarches à accomplir pour les funérailles de notre petit ange et les visites à l’hôpital pour voir Maïlan, sa sœur jumelle. Je ne savais plus qui j’étais, j’avais l’impression d’être un robot programmé pour certaines tâches, passant son temps entre rires et larmes.

Tout est devenu encore plus compliqué lorsque nous avons dû écourter les vacances de nos deux plus grands. Ils étaient chez leurs grands-parents en attendant la naissance des bébés et n’étaient pas du tout au courant du malheur qui nous frappait.

Ils ont donc repris le train avec ma mère sans avoir la moindre explication.

Mes enfants, mes amours à qui je devais annoncer la mauvaise nouvelle, à qui j’allais infliger cette souffrance…mais comment leur expliquer ? Comment leur expliquer qu'une de leurs sœurs ne rentrerait pas à la maison ?

Le jour de leur retour, j'avais peur de les revoir car j’avais peur de leur faire du mal, mais il fallait leur dire.Alors face à eux, moi, la grande maman, j'étais abattue et si petite.Je ne trouvais pas les mots, rien qu'en les regardant les larmes coulaient toutes seules.

Mon fils embrassa mon ventre et parla aux bébés comme il l'avait toujours fait, il ne savait pas encore... Je n'oublierai jamais cette scène.

Finalement je n'ai pas eu la force de parler ni d'expliquer, c'est mon mari qui a pris le relais. Il a eu du courage même s'il pleurait, lui aussi. Il leur a tout raconté sans rien cacher. Je ne sais pas si sa méthode était la bonne, en tout cas je n'aurais pas fait mieux.

Un grand silence s'est installé comme si le temps s'était arrêté, je n'osais même pas croiser le regard de mes enfants, je ne voulais pas les faire souffrir.

Je m'en voulais tellement de ne pas avoir pu ni soulager ni contrôler cette douleur que je percevais au fond de leurs yeux pleins de larmes.

C'était bien la première fois que je voyais les visages de mes chéris aussi marqués par une gigantesque tristesse.

Je me sentais impuissante et incapable de répondre à leurs multiples questions.

Quels termes employer ? Par où commencer et comment s'y prendre ?

J'étais complètement perdue et là encore, je n'étais pas prête, et je pense que n'importe qui à ma place ne l'aurait été.

Quand un tel drame vous frappe vous voilà démunie.

Alors, ma souffrance grandissait face à la détresse de mes enfants, je les voyais changer de comportement, se renfermer, se mettre en colère.

C'est à ce moment que j'ai réalisé l'importance de la prise en charge du deuil chez l'enfant. J'ai commencé à m'interroger sur ce que je pouvais faire pour les apaiser et les accompagner au mieux. J'ai pris conscience que les enfants avaient besoin eux aussi de faire leur deuil.

Une inquiétude supplémentaire s'est rajoutée pour le deuil de Maïlan, une sœur jumelle, esseulée. Certes, elle était encore petite, mais je restais convaincue que Maïlan ressentait le manque, c'est normal elles étaient liées par la gémellité et avaient partagé ma maison, mon ventre pendant sept mois.

Que dire à Maïlan ? Fallait-il continuer à lui parler ? Comment l’accompagner ? Toutes ces questions qui trottaient dans ma tête...une vraie torture.

Moi qui voulais seulement une chose, soulager leur douleur, au moins. Ils ont été extrêmement perturbés et attristés. Comme nous, ils ont beaucoup pleuré.

Le 9 août fut la date choisie pour faire nos adieux à notre petit ange. Nous avons longuement réfléchi à la meilleure manière d’accompagner Maëlys dans son premier et dernier voyage. Mon mari est de confession catholique, non-pratiquant, je suis musulmane et croyante. Nous avions cinq jours pour organiser les obsèques, il fallait faire vite. Après avoir dialogué avec différents interlocuteurs religieux, nous avons constaté avec soulagement que tous s’accordaient sur un point essentiel : l’âme d’un bébé mort-né est pure et monte directement au Paradis.

Nous avons finalement opté pour une cérémonie civile et avons prié dans nos cœurs pour le repos de notre fille. Le jour de la mise en bière, j’étais dévorée par le regret de n’être pas retournée lui rendre visite parce qu’elle était encore plus jolie que le jour de notre rencontre. Lorsque mon regard s’est porté sur elle, allongée dans son tout petit cercueil, j’ai fondu une nouvelle fois devant sa beauté si parfaite. Elle était lumineuse et semblait dormir. Nous lui avons déposé des doudous, des photos de notre famille, un bracelet et deux médaillons pour l’accompagner. Nous avons enterré notre étoile le vendredi 9 août 2013. Plus tard, j’ai su que ce jour était celui de la Saint-Amour en France et la fête de l’Aïd des enfants en Tunisie. Hasard ou signe ? Dans mon malheur, j’ai trouvé cela symboliquement beau. Mon mari et moi l’avons guidée au mieux, murés dans notre prison d’incompréhension et de colère profonde.

Aujourd’hui, même si certaines choses sont apaisées, ma douleur est toujours aussi immense. Je n’accepte pas, j’ai beaucoup de rancœur et je voudrais revenir en arrière pour changer les choses, mais c’est impossible. Parfois, je suis à bout de forces, je ne sais plus comment avancer surtout dans une société où le sujet est tabou. Je subis en permanence des remarques et des critiques du style : « Tu ne peux pas prétendre de souffrir alors que tu ne l’as pas connue » ou « Ce n’est qu’une fausse couche », « Passe à autre chose, tu es devenue déprimante à force », « Il t’en reste un, de quoi tu te plains ? », « Ce n’est pas bien de tout dire à tes enfants, tu vas les faire souffrir » ou encore « Finalement, heureusement que c’est arrivé là, sinon tu imagines le travail que t’aurais eu avec deux bébés ? » et bien d’autres phases blessantes, minimisantes, venant de personnes qui ne prennent pas le temps de comprendre notre deuil, ou peut-être même qu’ils ne font pas l’effort de vouloir comprendre. Pour eux, on devient alors des gens plus fréquentables, à croire que notre malheur est contagieux.

Je souffre énormément de tout cela et je me sens quelques fois seule au monde, mais je continue mon combat de maman en deuil, je mène beaucoup d’actions, comme l’écriture de cet ouvrage qui traite le sujet ayant comme objectif de briser ce tabou, sensibiliser notre société et essayer de changer certaines mentalités. Et surtout, je continue de parler de ma fille, de mes enfants et de notre histoire. Parler fait du bien, trouver des personnes ayant vécu le même drame aussi. Mon mari et moi, comme d’autres parents, n’aurons pas la joie de voir grandir l’un de nos enfants, et c’est injuste.

Mon mari et moi, vivons notre deuil chacun a notre façon et nous faisons notre maximum pour survivre à ce drame et accompagner nos enfants au mieux.

Aujourd’hui, Maïlan croque la vie à pleines dents. C’est une petite fille, douce, sensible, épanouie et heureuse, elle grandit avec son histoire, elle parle de sa sœur ouvertement et librement, et dès qu’elle ressent le besoin. Maëlys est présente dans ses dessins, portrait de famille, dans ses jeux, partout où elle est, et surtout dans son cœur. Souvent elle me dit « Maman, mets ta main sur mon cœur, tu vois comme il bat vite ? C’est Maëlys qui fait battre mon cœur »

Maïlan, notre petite guerrière, vit pour deux depuis toujours !

Le 29 juillet 2013, deux étoiles sont nées, l’une est restée, l’autre a filé. On t’aime Maëlys et on ne t’oubliera jamais.

Je remercie mon mari pour son soutien inébranlable et mes enfants qui me donnent chaque jour la force d’avancer.

Témoignage d’Hervé Morellon

 

Je m'appelle Hervé, ma femme Essia, et nos quatre enfants, Alyssa, Naël, Maïlan et Maëlys.

Tout allait bien dans notre famille, une vie normale, avec ses hauts, avec ses bas...jusqu'au jour où Maëlys est partie rejoindre les anges.

En janvier 2013, je suis dans la salle de bain, Essia m'appelle après l’échographie. Elle rigole...j'ai compris...pas un, mais deux bébés...je rigole un peu moins en fait. Comme un mec de base, mes premières pensées : « il va falloir changer de voiture, il va falloir changer de maison ».

Passé ce moment, j'étais heureux et fier : les premiers jumeaux dans ma famille, pas le cas du côté de la famille d’Essia.

Nous avons commencé à nous projeter, avec deux enfants en plus d'un coup.

Les mois se sont passés, dans l'attente, dans la préparation, sans heurt. Chaque mois, chaque échographie voyait les bébés grandir normalement, à leur rythme. Nous ne voulions pas connaître le sexe, fille ou garçon, peu importait, le principal étant qu'ils ou elles grandissent et grossissent pour être en bonne santé à la naissance.

Février, puis mars, puis avril, puis mai, puis juin, puis juillet... le 29, ça y est, c'est le grand jour ! Nous sommes prêts, et les bébés sont prêts à arriver.

C'est la routine, après deux enfants, nous avons en quelque sorte l'habitude, même si la naissance de jumeaux comporte des risques.

Il semble que la douleur, les contractions soient différentes, ce n'est évidemment pas mon corps, alors je n'en sais pas plus.

Nous prenons donc la route tranquillement, sans inquiétude particulière.

J'ai hâte, hâte qu'ils soient là, hâte d'annoncer la nouvelle à nos deux aînés, qui sont en vacances à plus de 700 kms d'ici chez leur mamou. Il est prévu qu'ils prennent le train pour nous rejoindre à la minute où les bébés seront là.

Nous arrivons à l’hôpital, tout va bien, salle d'attente, puis salle d'écho pour le dernier contrôle avant la naissance.

Je suis en face de l'écran, aux premières loges du spectacle.

Un premier cœur bat normalement.

L'interne cherche le deuxième cœur, mais ne le trouve pas. Rien... le noir... le trou noir sans fond... pas de vie... plus de vie... c'est terminé.

Je suis sûrement le premier à comprendre que l'on vit un drame, même si je ne veux pas le croire, Essia ne voit pas l'écran.

L'interne pose l'instrument et nous dit juste qu'il revient, sans plus de mots. Il nous laisse là dix minutes, un quart d'heure, vingt minutes, je ne sais plus, une éternité...

Il revient avec un autre interne, qui reprend l'examen. Après une minute ou deux, ils nous annoncent la terrible nouvelle, l'un des deux cœurs s'est arrêté de battre. Ce n'est pas possible. Notre première réaction, c'est de lui demander de faire quelque chose, il y a bien quelque chose à faire. Non, c'est terminé. Froidement, il nous dit qu'il n'y a plus rien à faire.

Encore plus froidement, il nous annonce que le deuxième bébé ne va pas arriver tout de suite, qu'il faut repartir chez nous, c'est un cauchemar éveillé pour nous deux.

Je ne me rappelle plus exactement, tout s'est accéléré, nous avons été emmenés dans une salle d'examen, une sage-femme, puis deux, un docteur, un anesthésiste... sont arrivés.

Et puis le médecin a dit qu'il fallait sortir le bébé en urgence... je suis resté seul, j'ai à peine pu dire au revoir, à tout à l'heure, à Essia.

J'ai patienté, seul dans un sas. Je ne sais pas combien de temps, ce fut long et rapide à la fois. Je me demandais ce qu'il nous arrivait, nous n'étions pas préparés à cela. Personne ne l'est.

Après d'interminables minutes, deux sages-femmes ont ouvert la porte. À la vue de leur expression du visage, j'ai cru que j'avais tout perdu... heureusement non. Cela s'était bien passé, si on peut dire.

Elles m'ont tout de suite emmené voir Maïlan, minuscule, dans un caisson plein de tuyaux, se battant pour la vie. J'ai filmé cet instant, et, à ce moment-là elle a ouvert un œil, comme pour dire "je suis là papa, ne t'inquiète pas". Ce fut un moment inoubliable, la Vie après la Mort.

Je les ai laissées toutes les deux pour la nuit.

Je suis rentré, seul. Le soir, dans la maison vide, j'ai réalisé et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

Pourquoi nous ?

Pourquoi nous donner deux bébés et nous en reprendre un ? Ça n'a aucun sens.

Les heures qui ont suivi ont été ponctuées de moments de bonheur, en voyant Maïlan, et des moments de douleur extrême lorsqu'on a pu serrer Maëlys dans nos bras et l'embrasser. J'avais envie de lui dire pardon, pardon pour ce qu'on lui avait fait.

Les jours ont passé jusqu'à la date de l'enterrement.

Quel cauchemar, mettre sous terre son propre enfant. On ne le souhaite à aucun parent.

J'étais dans la chambre, me préparant à cet horrible moment lorsque j'ai vu Alyssa et Naël sur le pas de la porte, les larmes qui coulaient de leurs yeux. J'ai bêtement demandé "pourquoi vous pleurez ?". "Maëlys est morte", la voix étranglée par les pleurs. Je n'oublierai jamais ce moment, je les ai pris dans mes bras, et je crois que je n'ai rien pu dire, à part peut-être "ça va aller".

Nous avons laissé Maëlys sous la terre, seule, dans le froid, dans la nuit, dans la seule demeure qu'elle n'aura jamais connue, ça m'a tellement fait mal, une impression de l'abandonner. Je pense que j'aurais voulu qu'on la rejoigne.

Les jours et les semaines qui ont suivi, nous avons, chaque jour, fait les allers-retours à l’hôpital pour retrouver Maïlan, en espérant chaque matin, la boule au ventre, que les nouvelles de la nuit seraient bonnes, qu'elle aurait pris les quelques grammes nécessaires. J'ai tellement eu peur qu'elle ait eu envie de rejoindre Maëlys.

Et enfin, après un long mois, nous avons pu être réunis à la maison.

Maïlan a maintenant six ans, elle est en pleine forme. Maëlys l'a sûrement sauvée, en sacrifiant sa vie. Elle a donné à sa sœur toute l'énergie et la force pour affronter ce monde.

Jamais une journée ne se passe sans que je ne pense à Maëlys. J'intériorise plus que ma femme, qui a besoin de mener des projets en rapport avec ce qu’il nous est arrivé, mais je pense à elle tout le temps, et je me sens surtout toujours coupable de vivre alors qu'elle n'aura jamais vécu.

Maëlys, continue à veiller sur nous, mais surtout sur tes sœurs et sur ton frère, ils en ont besoin pour grandir et s'épanouir.

Nous t'aimons.

Je t'aime.

 

 

Témoignage de Vanessa

 

Mon ange Tyméo.

 

Voici mon histoire…

 

En juillet 2013, je suis tombée enceinte après 3 longues années de prise en charge en PMA. À la suite d’une énième fécondation in vitro pendant laquelle on m’a implanté 2 embryons, le miracle arrive enfin… Bébé s’est installé !! Une 1ère écho est rapidement faite pour vérifier que l’embryon s’est implanté correctement, et là grosse surprise, on m’annonce qu’il n’y a pas un mais bien deux bébés qui se sont installés !! Je vais être maman de jumeaux ! Je ne réalise pas vraiment !! Moi qui avais commencé à me dire que je ne serai jamais maman me voilà enceinte de jumeaux !! Pour moi c’était la plus belle récompense que la vie pouvait m’apporter. Le bonheur et l’euphorie vont rapidement laisser place à de l’inquiétude et de l’angoisse.

Lors d’une banale échographie de contrôle à 4 mois de grossesse, on découvre le sexe de nos enfants, ça sera 2 garçons. Puis l’échographe s’attarde sur un de mes bébés. Je la regarde, elle est muette, elle fronce les sourcils, elle scrute l’écran sans dire un mot. Et là, elle nous regarde le papa et moi et nous dit: « Je crois qu’il y a un de vos bébés qui a un gros problème au niveau du cœur. Il est vivant mais il y a une anomalie. Je dois vous envoyer rapidement dans un hôpital adapté. »

Nous ne disons rien, nous sommes sous le choc, on encaisse... Je me dis qu’elle s’est peut-être trompée, le bébé est encore petit, on ne voit pas bien, ce n’est sûrement pas grave. Je préfère ne pas y penser, faire comme-ci elle n’avait pas prononcé ces mots et attendre le rendez-vous qui aura lieu 3 jours plus tard au CHU de Grenoble.

24 Octobre 2013. C’est le jour de mes 25 ans. Mais, c’est ce jour-là, aussi, où nous allons savoir ce qu’il en est du petit cœur d’un de nos enfants et faire la connaissance du cardio-pédiatre qui va nous prendre en charge. Il nous accueille et nous met tout de suite à l’aise. Il explique qu’il va faire une échographie avec une sonde adaptée qui lui permettra de voir le cœur de notre petit bébé. Il me précise qu’il ne dira rien pendant l’examen pour rester bien concentré mais qu’il nous expliquera tout après et répondra à nos questions. L’examen commence, le temps me paraît long, très long... Des minutes de silence très pesantes avec pour seul fond sonore le bruit du battement de cœur de mon bébé. Cela aurait dû me rassurer mais ça a été tout le contraire. J’étais prise d’une angoisse indescriptible, j’entendais bien que son petit cœur ne battait pas comme il le faudrait… Le diagnostic tombe : notre petit garçon a une malformation cardiaque sévère, il a un ventricule unique par atrésie tricuspide avec une atrésie de l’artère pulmonaire. Pour décoder tout ça, il nous montre un schéma du cœur et nous explique qu’une des valves communicantes entre l’oreillette et le ventricule ne s’est pas ouverte et de ce fait un côté du cœur ne s’est pas formé. Et vu que ça n’était pas déjà suffisant, l’artère pulmonaire était de taille bien inférieure à la normale ce qui réduisait considérablement le débit sanguin qui partait du cœur vers les poumons.

Cette fois-ci s’en est trop pour moi, j’éclate en sanglots… Je me dis que tout cela n’est qu’un cauchemar, je vais me réveiller, lui aussi a dû se tromper, mon bébé ne peut pas avoir un si gros problème au cœur alors qu’il n’est pas encore né… Comment va-t-on va faire ?? Que va-t-il se passer ? Mon bébé va-t-il pouvoir vivre ? De longues minutes s’écoulent, je reprends mes esprits et le cardio-pédiatre nous explique qu’une opération est possible mais que pour cela il est impératif que la situation évolue au niveau de l’artère pulmonaire, dans le cas contraire, notre bébé ne pourra pas être opéré et donc ne pourra pas survivre à la naissance.

Comment tout cela est possible ? Pourquoi nous ? Pourquoi mon bébé ?

Il nous explique assez rapidement que vu la gravité de la malformation cardiaque nous pouvons, si nous le souhaitons, avoir recours à une interruption médicale de grossesse. Sur ce jumeau uniquement... De nouveau, je ne contrôle plus mes larmes et mes tremblements. Je me sens au bord du malaise. Je me sens si impuissante... Comment est-ce possible qu’après des années à me battre pour avoir le privilège de porter la vie, on me propose de l’ôter à un petit bouchon à qui on n’a pas laissé la chance de se battre ? Cette pensée m’est insupportable, je ne peux pas prendre cette décision. Et si, au cours de l’IMG, il arrivait quelque chose à mon 2ème bébé qui lui est en parfaite santé ? Et si les miracles arrivaient et que mon bébé allait s’en sortir comme un champion ? À partir de cet instant, c’est décidé ; je ne ferai pas ce choix-là. Mes bébés et moi formons une équipe, on va se battre et on va montrer aux médecins que c’est possible d’y arriver. Le médecin m’affirme que tant qu’il est dans mon ventre, alimenté par le cordon, son cœur ne force pas plus que ce qu’il faudrait et qu’il le supporte bien.

Le retour à la maison (2h de route) se passe dans un grand silence, très pesant, mais ni le papa ni moi ne trouvons les mots pour exprimer ce que nous ressentons à ce moment-là. Je n’oublierai jamais la journée de mes 25 ans, ça c’est certain.

Nous décidons que cette grossesse ira jusqu’au bout, je suis tombée enceinte de jumeaux, je suis maman de jumeaux, je mettrai au monde mes jumeaux. Nous les appellerons Nathan et Tyméo.

Nous informons notre entourage de ce qu’il se passe, tout le monde est sous le choc, beaucoup de personnes seront d’un soutien sans faille pendant les mois qui suivront tandis que d’autres feront preuve de beaucoup de maladresse et d’indifférence. J’entends des choses de la part de ma belle-famille qui me choque : « Dans le pire des cas, il vous en restera quand même un en bonne santé » « mais vous faites une liste de naissance pour deux bébés, vous n’avez pas peur ? » J’essaye de ne pas y attacher d’importance mais au fond de moi ça me détruit… Comment peut-on prononcer des mots comme ça alors que l’on mène chaque jour un combat pour mener cette grossesse à terme ?!

Les semaines vont se suivre, les examens médicaux aussi, j’ai une grossesse à haut risque et donc très surveillée, nous nous rendons à Grenoble 2 fois par mois pour vérifier l’évolution du cœur de Tyméo. De son côté, Nathan a une croissance tout à fait normale.

Nous allons de surprise en surprise avec Tyméo, l’artère pulmonaire se développe enfin, l’opération commence à s’envisager. La première étape de l’opération, qui en comportera 3 au total, est rapidement programmée et se fera entre 9 et 12 semaines de vie. Il faudra poser un cerclage au niveau de l’artère pulmonaire pour réguler le débit sanguin qui part vers les poumons. On a conscience que le parcours sera long mais notre bébé va vivre, son petit cœur pourra être réparé et c’est un réel soulagement pour nous ! Même si la malformation en elle-même ne se soigne pas, une opération est possible pour pallier au problème et lui permettre de vivre une vie quasiment normale avec son frère. On nous annonce, à ce moment-là, que Tyméo sera très cyanosé à la naissance car son sang sera mal oxygéné à cause de la malformation, mais cela me semble n’être qu’un tout petit détail. Je l’aime déjà tellement qu’il sera le plus beau ! Avec Nathan bien sûr ! J’essaye de rester toujours positive, le papa gère tout ça bien différemment de moi, il ne me soutient pas vraiment, voit les choses de façon négative mais je ne peux pas lui en vouloir… Il ne ressent pas ce que moi je ressens en portant mes bébés. Je crois en eux, en leurs forces et leur courage, je porte des petits guerriers. Les garçons bougent bien et grandissent bien, on prépare doucement leur arrivée qui est prévue pour le 6 Avril.

J’arrive à 34 SA. Le vendredi 21 février, je me réveille en petite forme, ma sage-femme me conseille un bain et du repos mais ça ne suffira pas. À minuit, les contractions se font de plus en plus rapprochées et plus douloureuses. On prend la direction de la maternité proche de chez nous qui nous confirme rapidement que le travail s’est mis en route et qu’ils n’arriveront pas à le stopper. Je suis donc transférée au CHU de Grenoble à 2h de chez nous pour que Tyméo soit pris en charge dès la naissance par l’équipe de réanimation du service de cardio-pédiatrie.

Le travail sera long… Très long !! Tyméo qui doit sortir le premier a décidé de ne pas appuyer franchement sur le col et malgré l’intensité des contractions, mon col ne se dilatera pas suffisamment. Le dimanche 23 février, en fin de journée, la décision est prise de me faire une césarienne en urgence car mon corps est à bout de force. Un sentiment de déception m’envahit, je pleure, j’ai peur aussi… Mais, ma priorité reste la même, mettre mes enfants au monde et qu’ils aillent bien tous les deux.

À 19h44, Tyméo pousse son premier cri. Je suis soulagée de l’entendre crier. Il est vivant. À 19h47, c’est au tour de Nathan… Je ne réalise pas. Mes bébés sont nés et ils sont vivants. Ils vont bien, bien mieux que ce que je m’étais imaginée, les sages-femmes prennent même le temps de venir me les montrer. Un bonheur immense qui ne s’explique pas. On y est arrivé ! J’ai accouché de jumeaux et Tyméo respire seul, sans assistance. Je peux les embrasser tous les deux. Je suis maman de jumeaux.

Tyméo va être pris en charge en néonatalogie pendant 3 jours pour être sûr qu’il s’adapte bien à la vie extérieure, et Nathan sera en chambre avec moi dès le lendemain matin.

Une situation très difficile à gérer car je ne pouvais pas voir Tyméo autant que je l’aurai voulu mais l’équipe médicale et très attentionnée et fait son maximum pour que je ne souffre pas trop de cet éloignement.

Nous allons rester 15 jours en surveillance avant de rentrer à la maison.

Tyméo a un traitement assez lourd mais il s’en sort comme un chef. Les garçons dormiront dans notre chambre pour commencer, je ne peux pas envisager de ne pas les avoir à côté de moi et question organisation pour les 7 ou 8 levés de la nuit pour les tétées c’est mieux pour tout le monde aussi !

Je suis une maman comblée. Mes garçons sont adorables, et même si le rythme est soutenu car le papa travaille je trouve vite mes repères. Je ne me lasse pas de les regarder, leur faire des bisous, les câliner…

Nous avons rendez-vous mi-mars pour une visite pré-opératoire avec le cardio-pédiatre. A la grande surprise de tout le monde un rétrécissement s’est fait naturellement au niveau de l’artère pulmonaire et l’opération programmée n’aura pas lieu !!! Quel soulagement. J’en étais sûre, mes enfants sont des petits champions et Tyméo va se battre comme un grand.

Notre vie va être rythmée par une visite par mois à Grenoble, des traitements matin, midi et soir mais rien ne peut gâcher mon bonheur. Je profite de chaque instant avec eux.