Duo Sudarenes : Fantastique - Scarlett  Marina Ecoffet - E-Book

Duo Sudarenes : Fantastique E-Book

Scarlett Marina Ecoffet

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Beschreibung

Les Chroniques du Sang

Une rencontre qui peut tout changer...
Lawrence est devenu une créature de la nuit, un vampire, suite à sa rencontre avec Jezabel. Enfant livré à lui même, issu d'une lignée paria, il est coupable d'être issu du sang de sa Damesang. Comment est-ce que tout cela est arrivé ? Il s'en souvient chaque nuit, depuis qu'elle est partie...
Un premier roman fantastique qui saura vous faire frémir !
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Le dernier des morhars

Raphaël se retrouve du jour au lendemain dans la peau d'un vampire. Comment va-t-il gérer ce changement radical de mode de vie ?
XVIIIe siècle. Raphaël et Clémence vivent paisiblement en pleine campagne française jusqu’au jour où un groupe de vampires s’en prend à leur vie. Vampire à son tour, Raphaël découvre une nouvelle valeur à son existence et se retrouve dans un monde en lequel il n’aurait jamais pu croire auparavant. Un monde nocturne, cruel, où la faiblesse n’est pas permise et qui le forcera à adopter sa nouvelle nature.
Déterminé cependant à retrouver l’ennemi qui aura causé son malheur, Raphaël devra dans un premier temps prendre part à une quête bien plus importante que sa seule vengeance personnelle. Intégrant la rébellion en marche et devant trouver toujours plus d'alliés, Raphaël sera aidé d’Agathe et Alric, deux vampires à la fortune incertaine mais dont le soutien et l’aide seront déterminants.
Leurs tribulations les mèneront de la France au désert égyptien en passant par les profondeurs de la Prusse. Raphaël explorera également des contrées alors insoupçonnées et dont le destin semble étroitement lié au sien ; la survie de plusieurs races réside entre ses mains.
Une aventure des plus palpitantes dans le monde des vampires !


À PROPOS DES AUTEURES


Scarlett Marina Ecoffet : Née en 1986, passionnée d'écriture depuis l'adolescence, rêveuse intempestive, toujours dans son imaginaire, créatrice dans l'âme, mon parcours scolaire est composé de littérature et d'une carrière créative en tant que Designer-Web. Il me faudra du temps pour me trouver et me réaliser. Attendre la naissance de mon merveilleux petit garçon en 2015, choisir une chirurgie du bypass pour m'épanouir, perdre beaucoup de poids et retrouver ma confiance en moi. Et de tout cela, avec mon homme et mon fils, m'assumer d'aimer écrire pour enfin me décider à accomplir ce premier roman en le faisant comme un défi lors du mois du Nanowrimo (concours international visant à écrire sur le mois de novembre 50 000 mots). Il y a deux ans, j'ose enfin et je laisse pourtant dormir le premier livre, que je relis et corrige plusieurs fois, me décide enfin à en faire quelque chose et j'y parviens alors.


Née à Fontainebleau en 1989. Laëtitia Charbit passe son enfance et son adolescence en Seine-et-Marne. Puis découvre le pays nantais en 2007 ; des villes et une région qu'elle affectionnera tout particulièrement. Passionnée d'équitation et de nature, son inspiration se développe dans un contexte de liberté. Inspirée également par diverses époques, antiques et médiévales par exemple, elle commence à écrire réellement sa première histoire en 2006, après avoir lu les romans mythiques d'Anne Rice, ou encore Christian Jacq.













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Les Duos Sudarenes

 

Le Dernier des Morähr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laëtitia Charbit

Prologue

 

 

Mois d’août, année indéfinie. Il contemple les rues de Paris. Du moins est-ce la ville qu’il croit voir à ses pieds. Il se tient posté en haut d’un bâtiment. Cela fait plusieurs heures maintenant qu’il fait nuit et qu’il est resté là, accroupi au bord même du toit. Il n’a nul besoin de se tenir ni de s'agripper à quoi que ce soit. Son sens de l'équilibre est presque parfait. Sans prendre garde, il tomberait, peut-être, mais il sait la chute improbable.

D’un œil alerte, il observe les millions d'individus qui grouillent en bas, à ses pieds. S’il devait craindre quelque chose, ce serait peut-être eux. Son corps ne peut retenir un frisson à cette idée, ce qui arriverait si jamais leur venait l’envie d’unir leurs forces contre une personne comme lui. À ce moment même, il se convainc de savoir pouvoir leur échapper, or un tel incident n’était encore jamais arrivé et l’issue d’un tel affrontement était alors incertaine.

Néanmoins, il restait celui qui les guette. L’inverse ne semblait pas envisageable. Du moins, pas encore. Il était encore trop tôt pour conclure de quoi que ce soit. Cela aurait certainement pu être possible fut un temps mais l’ère en cours était trop moderne pour cela.

Où étaient donc ceux de son espèce ? Il ignorait tout de leur identité ou de l’endroit où ils se cachaient, ce qu’ils y trafiquaient. Il n’en avait que faire en vérité. Ces gens-là ne l’intéressaient plus. S’il cherchait leur compagnie, cela signifierait que la folie aurait entièrement atteint son esprit. La puissance que leur aura répandait était pourtant si tangible d’ordinaire… Il ne sentait rien cette nuit-là et il s’en délectait.

Il aimait la solitude et la nuit. La tiédeur qui accompagnait cette dernière était agréable. L’on pouvait sentir que la journée avait été chaude. Un léger coup de vent passager secoua ses cheveux noirs et invita son corps à respirer profondément. Il détestait la chaleur ainsi que la lumière trop intense. C’était l'été, la saison qu’il supportait le moins à cause de la longueur des journées au cours desquelles il ne pouvait sortir libre-ment.      

Outre la lumière de la lune et des étoiles, la seule luminescence que ses yeux supportaient à cet instant était celle des nombreuses lumières électriques qui éclairaient l'agglomération. Joli, mais tellement artificiel...   

Le corps qui abritait son âme ne supportait pas la lumière diurne, celle que le soleil manifeste. Mais son âme, bon sang ! Elle aspirait tant à l’accepter ! Voilà cent quarante ans environ que Raphaël était devenu vampire. Quelle expérience, quelle chance peut-être ? Non. La vie d'un vampire ne lui semblait en rien magnifique contrairement à ce que certains illuminés prétendaient. Les hommes méprisaient tant les créatures comme lui... Les manuels d’études de sciences obscures, d’ésotérisme ou même de théologie reprenaient que trop les termes tels que « vampire », toujours pour en relater les plus vils traits de caractère. Il n’était nul besoin d’approfondir ses lectures à ce propos, encore qu’il dût plaire, ou à tout le moins intéresser, pour comprendre que ce sujet faisait appel aux critiques les plus absolues, aux descriptions les plus terribles. L’on haïssait les vampires car ils prenaient la vie, alliés intimes de la Mort, la plus cruelle d’entre toutes les créatures.

Ce que personne ne comprenait, c’est qu’il était impossible pour tout vampire de faire ses propres choix ; tuer pour vivre, il n’en allait pas autrement. Heureusement pour ces êtres nocturnes, très peu d’humains étaient ceux à connaître leur existence. Les vampires faisaient avant tout l’objet de légendes. Quiconque connaissait l’exacte vérité faisait vœu de silence absolu.

Quoiqu’il en soit, les vampires étaient pour tous des enfants de Satan. Cette conclusion assez hâtive était simplement née du fait que les hommes ne pouvaient ni les comprendre ni se mettre à leur place avant même de devenir vampire à leur tour. Alors seulement certains découvraient-ils la répugnance d’ôter la vie alors que leur âme tout entière aspirait à la clémence. Vivre du sang d’autrui jour après jour... jusqu’à ce que la nature du vampire ait l’avantage, fasse les humains se rendre à elle et devenir des créatures démoniaques… Nuls ne désiraient mettre un terme à leur abomination. Nuls ne voulaient quitter ce monde, trop effrayés de faire face à la Mort véritable et de devoir faire amende honorable pour les crimes commis. Rares étaient les vampires suffisamment altruistes, ou masochistes, pour se sacrifier et présenter encore quelques vestiges d’humanité.

Raphaël connaissait sa nature. Loin de se priver à en mourir, le sang étant essentiel comme l’eau l’est aux hommes, il ne tuait cependant jamais inconsidérément. Plus depuis des décennies en tout cas. L’ignorant arrogant et sanguinaire qu’il avait été avait disparu… La sagesse semblait enfin victorieuse après tant d’années écoulées. Il ne succomberait plus à la tentation sadique à la vue du prochain passant qui croiserait sa route. Il utiliserait désormais son énergie inégalable, ses sens très développés au profit de ce qui lui semblerait moralement juste.

D’un point de vue moins éblouissant, ce don était également un fardeau qu’il lui fallait porter : l’éternité. Cette vie éternelle dont les vampires étaient gratifiés, cette force ne donnait qu’une dimension extraordinaire des vampires alors d’autant plus sensibles aux questions existentielles. Pourquoi des créatures telles qu’eux auraient le droit de vivre ? Devaient-ils jouir de ces longues années additionnelles ou bien subir cette existence que trop prolongée ? Les vampires étaient-ils les représentants d’une quelconque entité ou tout simplement les alliés de la Mort et de sa main destructrice au sein du monde mortel ? Beaucoup de créatures ont perdu leur don, leur vie même, en tentant de trouver des réponses et ayant bravé bien trop de dangers. Certains sont morts au cours de cette quête sans fin, brûlés vifs dans leur chair par le soleil. D’autres, ayant sombré dans la folie, ont été éliminés sans pitié par l’élite de cette race fantastique qui se targuait d’être exceptionnelle et ne supportait pas de voir la décadence se propager telle la gangrène au sein de leur espèce…

Raphaël était toujours vivant, tout simplement car son heure n’avait pas encore sonné. Les questions existentielles n’avaient jamais eu d’impact sur lui. Ses préoccupations avaient été tout autres. Sa vie de mortel s’était achevée de manière tragique, et les répercussions de cet évènement avaient été bien plus graves que de simples interrogations immatérielles qui pourrissaient et détruisaient si facilement le bonheur de certains.

« Quel monde impitoyable... » se disait Raphaël. « Quel monde pitoyable également… » « Si seulement aucun de tous ces évènements ne m’avait atteint... », ne cessait-il de se répéter.

Il avait été un homme autrefois. Le bonheur dont il jouissait s’était achevé trop soudainement… Au cours d’une vie normale, un homme prenait le cadeau de l’existence à pleines mains et le partageait avec ceux qu’il aimait jusqu’à ce que le poids du bonheur passé pèse sur ses épaules et qu’il cède sa place aux générations suivantes. Il avait suffi d’une fois, cette fois… où tout avait basculé. Raphaël ne savait que penser de ce don d’immortalité. Tout ce qui lui importait, c’est qu’ainsi sa vengeance avait été accomplie…                                           

Chapitre 1

 

 

J'avais rencontré Clémence quand nous n'étions encore que des enfants. Elle vivait à l’entrée de notre village, près de la petite arche qui faisait office de portail. J’habitais à son extrême opposé.

Elle devait avoir cinq ans, moi sept. C’était une petite fille vraiment jolie. Je me souviens du jour précis de notre rencontre.

Elle jouait toute seule près du puits de la place centrale. Clémence peinait à remonter un seau plein d'eau. Je m'étais avancé, tout timide que j'étais encore, et je m'étais arrêté à quelques mètres, fixé à son occupation. J'hésitais à l'aider. Clémence ne m'avait pas encore remarqué, trop affairée et trop concentrée, la langue entre les lèvres. Elle avait certainement réussi à remonter le seau à mi-hauteur – un peu moins peut-être, je ne sais pas – lorsque ma présence la fit sursauter. De fait, elle avait lâché la corde et le récipient était retombé tout au fond, le bruit de sa chute se répercutant contre la pierre. Bouche bée, ses yeux ronds s’étaient posés sur moi. Puis des petites larmes de découragement avaient perlé sur ses joues. Alors que Clémence fuyait soudainement, j’avais saisi tout mon courage.

« Non, attends ! avais-je crié. »

 

Elle s'était arrêtée. Je m'étais dirigé vers le puits, m'emparant de la corde, et remontant un seau plein. Clémence s'était ensuite approchée, à petits pas, tout en séchant ses larmes sur son bras, et en reniflant bruyamment.

« Y a trop d'eau dedans... avait-elle dit.

- Tu peux pas le porter alors ? avais-je demandé stupidement. »                                           

Je vidai l'excédent d'eau, maladroitement je dois l’avouer, si bien que ma chemise s’était trouvée trempée. Clémence s'était empressée de saisir l’anse du seau aussitôt que j’eus fini. Sans rien ajouter, elle s'en était allée, aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient.

Nous nous sommes revus par la suite, quelques fois d’abord, puis de plus en plus souvent, pour finalement grandir ensemble. Lorsqu’elle venait gambader près de notre maison, je reconnaissais immédiatement le son distinctif de ses sabots cognant le pavé. Mon père m’autorisait alors à jouer avec elle à courir dans les champs, à nous battre dans la boue, à nous baigner dans les rivières… Telles étaient nos occupations d’enfants. J’adorais le caractère enjoué de mon amie, caractère de tous les instants. Je ne la voulais que pour moi. Personne n’avait le droit de s’emparer d’elle sinon moi. Clémence le savait et parfois prenait plaisir à me rendre jaloux. Mais toujours elle me réconfortait. Elle prenait mes joues de ses petites mains et souriait à en découvrir deux dents légèrement écartées. Je ne connaissais rien de meilleur pour me rendre ma joie.

Seulement, aucune joie n’est infaillible. Il fallait un obstacle à notre amitié plus que sincère : la rivalité sans limite entre nos parents et le dédain que ceux de Clémence éprouvaient pour mon père, simple cordonnier au statut inférieur. Cependant, le père de Clémence était petit et sans envergure. Aveuglé par sa personnalité, il ne voyait ni l’évolution ni le besoin de ses enfants. Sa maigre rétribution et son avarice ne lui permettaient pas de leur offrir d’autres chaussures qu’une paire de sabots.

Mais pourquoi nous tenir éloignés ? Ma caboche de gamin se posait sans cesse des questions, sans jamais obtenir de réponse.

Il y a toujours eu des histoires de familles, et pour cause.

Quand deux familles s’étaient déclaré la guerre, il était vain de vouloir les réconcilier. Inutile de chercher d’avantage d’explications.

 

Le temps a fini par s’écouler ainsi. Nous avons grandi. Cet amour enfantin s’est transformé peu à peu. L’âge nous donnait une nouvelle force, elle nous permettait de nous affirmer. En cela, nous étions tout à fait conscients de consolider les tensions entre nos deux familles.

Si nous voulions perpétuer cet amour fou, nous devions nous faire les plus discrets possible et chercher asile où nous pouvions le trouver : la forêt en aval du village. C’est là que nous avons fait l’amour pour la première fois et maintes fois par la suite. Je me sens encore ivre du parfum de Clémence. Ses lèvres sucrées sur ma bouche… Sa peau douce et salée sous ma langue… Je me souviens encore de la crispation au bas de son ventre lorsque j’ai pénétré son corps pour la première fois et des cambrures sauvages que celui-ci adoptait au fil de mes va-et-vient… Cette union inlassable l’un à l’autre… Tels étaient le corps et le cœur de l’excitation des baisers interdits dans un lieu mystique où la faune et la flore n’avaient jamais cessé d’exercer leurs droits ; le sanctuaire de notre jeunesse insolente. Les nuits m’y semblaient si belles. La lune resplendissait dans le ciel, ses rayons perçant au travers des feuillages, afin de peindre le lieu de ses éclats argentés. Ses sœurs, les étoiles, avaient la plus parfaite des vitalités qui semblait se répercuter sur nous, imbiber nos deux corps dans leur intégralité.

 

À force de patience et d’indulgence vis-à-vis de ses parents, qui disaient agir pour son bien mais qui ne nous laissaient aucune autonomie, nous avons décidé de prendre notre avenir en main. Clémence voulait vivre avec moi, je voulais vivre ma vie à ses côtés. Une vraie demande en mariage ne se fait qu’une fois. Je voulais procéder dans les formes, mais comment ? Pour mettre fin à ce tourment absurde, Clémence aborda elle-même le sujet. Ses parents rejetteraient sa décision. Ils me détesteraient tout autant car je leur prendrais leur chair. Clémence s’en moquait. Bien qu’elle ait été la femme la plus gentille et la plus indulgente que j'aie jamais connue, elle ne voulait pas sacrifier sa vie pour combler les malheurs de ses parents.

 

* * *

Nous avons fui ce village pour l’Ouest. C’est bien loin de notre territoire natal que nous avons élu domicile. Nous avons bâti notre chaumière à la sueur de notre front, quelque part entre deux villages, quelque part entre la forêt et la mer.

Les idées reçues courantes auraient affirmé que les commodités essentielles se seraient trouvées trop loin, mais qu’importe. J’avais creusé un bout de notre terrain pour y faire pousser toutes sortes de légumes. Clémence m’aidait à m’en occuper, comme moi je l’aidais à prendre soin des quelques bêtes que nous avions acquises. De cette entreprise commune resplendissait le résultat d’un véritable engagement. Notre activité principale s’orienta vite vers la confection et la réparation de chaussures. Mon père m’avait en effet transmis son savoir avant de mourir. Contrairement aux conditions difficiles auxquelles le travail de la ferme nous contraignait, celui de cordonnier garantissait une certaine aisance.

Nous vivions dans le foin et la boue, sans que cela ne nous préoccupe vraiment. Des marchands de passage faisaient halte chez nous et nous présentaient parfois des biens d’une valeur inestimable à nos yeux que nous n’acquérions jamais. En revanche, Clémence attachait une attention toute particulière aux soins de son corps. Son souvenir est encore gravé en ma mémoire ; ses courbes si belles lorsqu’elle se baignait, chaque goutte d’eau perlant le long de son cou, entre les formes arrondies de ses seins où je mourais d’envie de plonger. Ma belle et tendre Clémence…

Cet amour sincère nous unissait et nous étions prêts à affronter l’avenir en cela. Une cérémonie païenne, impensable à l’époque, avait été organisée en plein cœur de la forêt avoisinante. Quelques gens des villages aux alentours avaient pris part au rite permettant de sceller le lien incassable de notre union. En guise de symbole : deux anneaux bénis par la nature et ornant nos mains.

 

Notre quotidien était plein de vie. Ni le dur labeur, ni la rudesse de l’hiver, n’avait d’influence négative. Clémence était chaque jour plus belle que la veille. Sa peau était si douce, si belle au soleil, avec ses reflets de nacre.

« Quand j’étais petite, je craignais que la pâleur de ma peau ne te fit peur... m'avait-elle confié une fois.

- Au contraire, avais-je déclaré. Tu es belle ! »

 

Enfants déjà, ce trait physique l’effrayait beaucoup. Ce mystère pesait beaucoup sur ses petites épaules, semblait-il.

« Mère m’a dit une fois que ce teint blanc était la marque… »

 

Elle hésita.

« … de certaines origines… Mais chut, tu ne diras rien à personne, tu me le jures ? m’avait-elle prié. On m'a fait promettre de ne rien dire ! Ça pourrait nous tuer…

- Je ne dirai rien ! avais-je déclaré solennellement, une main sur mon cœur. »

 

Du moment que je pouvais la toucher, caresser ses joues au teint blanc si délicat, j’aurais accepté n’importe quoi, car ces secrets n’avaient aucune importance à mes yeux. Je ne compris que bien des années plus tard ce que ce silence avait pu signifier, lorsque la France et la Prusse sont entrées en guerre…

 

* * *

 

Fin décembre 1778. Je rentrais d’un démarchage de plusieurs jours ayant eu lieu à l’un des villages au Nord. La chevauchée avait été longue, j’étais éreinté. D’ordinaire désireux de rallonger ma route afin de me concerter avec mon esprit, ce que Clémence comprenait parfaitement, m’y encourageant même, j’avais cette fois pris la route la plus courte possible.

À peine m’étais-je approché du portail, monture en mains, que Clémence vint à ma rencontre. Je la revois encore, remettant son écharpe de laine bleu ciel sur ses épaules, marchant vivement. Le sol était gelé. Elle était assez maladroite, faillit tomber si bien qu’il me fallut finalement la retenir.

« Tu es toujours aussi adroite… dis-je pour la taquiner. »

 

Elle sourit, me prit dans ses bras, puis m’embrassa. Alors qu’elle s’écartait, je m’emparai de son corps frêle et le serrai contre moi.

« Tu viens ? demanda Clémence. »

 

Nous marchâmes jusqu’à l’écurie, au bout du jardin. Le soleil se couchait, couvrant ainsi la campagne nue et vallonnée de ses rayons de sang. Les terres vierges couvertes de neige rougissaient à mesure que le soleil déclinait. L’air était froid, Clémence trop peu vêtue, et un courant d’air la fit frissonner.

« Nous devrions rentrer, tu trembles.

- Non, attends… dit Clémence me retenant par la main. Je vais bien, ne t’inquiète pas. »

 

Elle se tut et, sans rien ajouter, posa ma main qu’elle tenait fermement sur son ventre. Alors que je ne comprenais pas entièrement la raison de ce geste, son regard bleu se plongea dans le mien et je sus alors ce qu’elle voulait dire.

Je la regardai, les yeux grands ouverts, incapable de prononcer le moindre mot. Je ne m’attendais pas à une telle nouvelle, perturbante et effrayante à la fois. Clémence vit que j’étais désorienté, se rapprocha de moi pour m’embrasser et me ramener à la réalité.

« Tout ira bien, affirma-t-elle pour me rassurer.

- Oui, tout ira bien, j'en suis sûr... dis-je d’une voix hésitante. »

 

Je voulus la serrer de toutes mes forces. Ce qui nous attendait me faisait peur. Je me devais de faire face à mes nouvelles responsabilités. Je ne voulais pas la perdre, pas en cet instant. Dans une tendre étreinte, elle sentit ma crispation.

« Tout ira bien, ne t’en fais pas… répéta-t-elle. »

 

Je ne savais pas si tout irait pour le mieux en réalité mais je l'espérais. Il fallait s’en persuader. À l’annonce d’un enfant à venir, je sentis grandir en moi une obligation de protection plus grande encore. Il fallait que je protège Clémence et je me le jurais.

Or nous ne voyions pas encore que la lune et les étoiles, celles-là mêmes qui avaient toujours éclairé nos vies, perdaient peu à peu de leur éclat.

* * *

 

Des bruits couraient en provenance des villages environnants. Des bruits si graves qu’ils s’étaient propagés. Certains chasseurs parlaient de bêtes sauvages, d’autres de bandes d’assassins. Les soupçons les plus troublants reposaient sur des loups-garous, d’autres sur des vampires…

Les superstitions ont toujours fasciné les hommes. Mais celles-ci n’étaient en rien séduisantes. Au contraire. Une politique de la terreur creusa bientôt ses galeries dans toute la contrée. Il ne fallut que quelques mois aux braves gens pour perdre tout goût du risque et, effrayés par la rumeur, pour se terrer chez eux. Des affiches avaient été placardées sur les murs des villages, affiches dont le contenu révélait les caractéristiques supposées des meurtriers.

Je n’avais aucune raison de vouloir tenter le diable. J’étais humain avant tout. La peur de perdre sa vie, et surtout celle de l’être aimé, était une raison tout à fait suffisante. Nous avions tous été mis en garde mais malgré cela, le malheur nous rattrapa. Une vague assassine frappa nos environs une première fois, puis une deuxième, et ainsi de suite jusqu’à ce que les gens les plus téméraires n’osent plus mettre un pied en dehors de chez eux. Quelques personnes vinrent nous avertir et nous proposer de nous mettre à l’abri dans leur village. Cela était inutile. Les villages ployaient et ne résistaient pas mieux qu’ailleurs. L’on disait que les tueurs ne rôdaient qu’à la tombée de la nuit. L’été représentait pour nous un avantage considérable. Nous étions au mois d’août. Cependant, les jours raccourcissaient déjà trop vite.

Je me rappelle cette fois où, parce que son ventre s’était soudain mis à lui faire mal, j’avais prestement aidé Clémence à s’allonger, à l’abri.

« Repose-toi. Je veux être sûr que l’écurie est correctement fermée, dis-je après l’avoir couverte, je reviens.

- Je ne suis vraiment pas bien, articula Clémence, crispée de douleur. » 

 

Son ventre lui faisait si mal qu’elle me pria d’aller quérir quelqu’un qui puisse la soulager. J’étais paniqué car jamais je ne l’avais vue dans un tel état. Que faire, sachant que l’obscurité avait envahi la campagne… Laisser Clémence seule me paraissait être une idée des plus inconcevables. J’avais aidé à libérer une ou deux juments dans mon enfance, mais une femme…

Quelqu’un, oui, le plus vite possible. Je sellai mon cheval, sautai sur son dos, fusil à l’épaule dans le cas où une attaque surviendrait, et attaquai ses flancs de mes talons. Le sol était boueux à cause de la forte pluie de la veille, et ma monture glissa à plusieurs reprises. La personne la plus proche et susceptible d’aider Clémence habitait à plusieurs lieues. Les minutes me semblaient interminables. Je ne cessais de scruter les environs pour déceler tout danger potentiel. Heureusement, le portail de la cité environnante se présenta bientôt à moi. À peine eussé-je toqué à la porte du médecin que l’on connaissait bien, que celui-ci l’ouvrit violemment. Il ne voulut rien entendre, et me renvoya chez moi d’un ton agressif. Les temps n’étaient pas sûrs et ce lâche me claqua la porte au nez.

Je restai quelques instants sur le seuil, interdit. La pluie se mit à tomber de nouveau. C’est alors qu’un coup de vent glacial cingla mon visage. Des feuilles volaient en bourrasques, tel en automne. Je sortis de ma torpeur, et cognai comme un forcené à la porte du médecin. J’en arrivai à hurler et à frapper de plus en plus violemment sur le bois. Personne ne revint.

 

« Tout ce temps perdu… Je n’aurais jamais dû la quitter… » pensai-je alors que je prenais le chemin de retour... Si long… Seule la pensée de Clémence traversait mon esprit en ces instants. Le vent froid fouettait mes joues. La pluie violente se mêlait à des larmes de douleur. Ce n’est qu’à l’approche de la maison, et voyant que tout était calme, que je pus sentir un certain soulagement. Fest, mon cheval, suait abondamment, de l'écume aux lèvres, comme si ses jambes allaient céder sous le poids de la fatigue. Mais je ne m'attardai pas pour m’occuper de lui. Clémence ne s'attendait pas à un retour si soudain et sursauta. Elle m’avait tant manqué en si peu de temps... L’apaisement qu’elle éprouva à ma vue s’effaça, constatant que personne ne m’avait suivi.

« Comm… comment se fait-il que… commença-t-elle anxieuse.

- Cet incapable n’a même pas osé venir ! répondis-je furieux. Lui que nous connaissions si bien !

- Ce…ce n’est…pas grave… ajouta Clémence haletante. »

 

Après avoir soigneusement verrouillé la porte à double tour, je me précipitai auprès d’elle.

- Qu’est-ce que je dois faire ? Dis-moi !

- Ça va aller… Ne t’en fais pas, je devrais aller mieux rapidement, dit-elle pour me rassurer. 

 

Elle mentait, cela crevait les yeux. Je déposai un morceau d’étoffe humide sur son front pour la rafraîchir. Après quoi, je me hâtai à chaque fenêtre pour en bloquer l’accès.

« Qu’est-ce… qu’est-ce qui se passe, Raphaël ? »

 

Je ne répondis pas. Clémence se leva péniblement, malgré mes avertissements. Têtue comme personne, elle m’aida. Je voulais qu’elle s’allonge à nouveau, mais elle vint se blottir contre moi lorsque je fus assis dans un coin. Dans la panique qui ne m’avait pas quitté depuis mon retour, je la serrais trop fort.

« Je t’en prie, dis-moi que… commença-t-elle.  

- Rien, c’est que des précautions… » 

 

Le changement soudain du temps avait éveillé en moi une angoisse terriblement profonde, comme un pressentiment protecteur qui aurait mis tous mes sens en éveil. Nous attendions. Plus les minutes passaient, plus j’avais l’impression qu’une vague de mort déferlait au même moment sur toute la contrée.

« Ça va pas, dis-je finalement. Il faut qu’on parte d’ici. 

- Pour…pour aller où ? On ne va pas tout quitter comme ça, tout laisser derrière nous, alors même que c’est plus dangereux de nuit !

- Je sais, mais... je vais panser Fest et préparer ton cheval… Attends-moi ici ! lui ordonnai-je.

- Mais Raphaël, arrête, c'est absurde ! insista-t-elle en attrapant ma veste par la manche. Tu viens à peine de rentrer. Fest ne tiendra jamais si nous partons ! Et puis, il fait bientôt jour ! Il est plus prudent et plus sage d’attendre. Je ne peux pas chevaucher dans cet état ! » 

 

Je la regardai, abruti. Elle avait raison. Mon esprit ne réfléchissait plus. Il était inutile de quitter les lieux, au risque de nous faire tuer stupidement.

« D'accord, on partira quand tout sera prêt dans ce cas et que tu iras mieux. Je... »

 

Clémence essayait de m’apaiser, alors que je luttais déjà pour calmer la peur qui s’était emparée de mon ventre.

« Je vais rentrer le... le cheval...

- Oui, dépêche-toi, avant qu’il tombe malade, me hâta-t-elle. » 

 

Elle m'accompagna à l'extérieur et fut d'autant plus surprise de constater l’état dans lequel mon cheval était. Je mis Fest dans sa stalle. Après avoir ôté son harnachement et sa selle, je lui donnai de l’avoine et fermai soigneusement la porte, comme pour m'assurer inconsciemment que ces précautions seraient utiles. Je fis ensuite le tour de la maison. Ce terrible silence angoissant m’assaillait encore. Mais il n'y avait rien. Je restai quelques instants sur le perron, à scruter les alentours, mais tout ce que je croyais déceler n’était que le fruit d’un esprit malmené qui travaillait trop. Clémence finit alors par me tirer à l’intérieur.

« Je… Je ne comprends pas ce qui m’a pris... déclarai-je plus calmement. 

- Les temps sont durs. Surtout avec ces rumeurs qui circulent…

-  Ce ne sont pas que de simples rumeurs… Il faut que nous partions le plus tôt possible. » 

 

Clémence acquiesça, et sans dire un mot, s’allongea, épuisée. Elle dormit plutôt paisiblement alors que je ressassai toute la nuit durant, les évènements, le cauchemar qui nous guettaient. Je me forçai à oublier, après-tout, pour ne pas trop me torturer. Malgré ce réconfort forcé, le sommeil ne vint pas. Le matin poignit alors que je regardais Clémence, étendue à mes côtés, la respiration lente. Je ne pus alors retenir le sommeil qui m’envahissait de plus en plus et qui me fit fermer l’œil quelques heures supplémen-taires.

 

La journée passa de fait trop vite, d’autant plus que nous n’avions cessé d’hésiter à tout abandonner sous le coup de la panique. Nous eûmes à peine terminé nos préparatifs, que le noir envahit le ciel. Tout semblait calme pourtant. Je sortis alors, bagages en mains, en direction de l’écurie de sorte que je puisse préparer notre départ du lendemain. À peine la porte fut ouverte, que les affaires me tombèrent des mains. C'est avec effroi que je vis à terre les cadavres de nos deux chevaux, fraîchement abattus et vidés de leur sang. Je ne pus contenir un violent cri de dégoût. Les pauvres bêtes s’étaient certainement débattues avec acharnement, avant de sombrer sous leurs assaillants. Elles gisaient à terre. Nous n’avions étrangement rien entendu. Ce que l’on disait était certainement vrai.

J’entrai précipitamment dans la maison. C’est là que je les vis. Cinq individus. L’une d’entre eux tenait fermement Clémence. Elle l’empêchait de bouger et plaquait fermement sa main sur sa bouche. Nous n'avions rien entendu venir. Je n'eus pas le temps de réagir que deux de ces intrus se ruèrent sur moi et me projetèrent violemment contre le mur. J’essayai de me raccrocher à une étagère, sur laquelle était déposée de la vaisselle, mais dans l’élan de ma chute, l’étagère céda du mur. Les piles d’assiettes volèrent en éclats en se fracassant sur le sol. Mon geste n’avait en rien retenu ma chute, car je m’affalai dans les débris de terre cuite. La force du choc avait été telle que la douleur était insupportable. Les éclats avaient entaillé mes bras et mes mains. J’avais du mal à sentir ma tête tant j’étais sonné. Le sang coula bientôt le long de mon crâne.

J’avais perdu mes esprits, quelques secondes. Lorsque qu’ils me revinrent, je compris alors que ces personnes n’étaient pas de simples assassins comme certains le disaient. Non. Cette force…des humains n’auraient jamais pu… J’entendis soudain Clémence hurler. Elle se débattait aux mains de deux créatures ; l’un la tenant, l’autre la frappant à grands coups.         Le son qui émanait de sa bouche relevait plutôt du gémissement que du cri de frayeur.

« Non ! hurlai-je dans un cri de rage. Non ! Non ! »

Je m’étais à peine relevé que l’on assena un coup à ma mâchoire, ce qui me maintint au sol plus longtemps encore. Mon bourreau s’acharnait sur moi, comme sur Clémence les siens. Impuissant face à cette torture, l’on me projeta à l’autre bout de la pièce. Puis les coups cessèrent. Je ne pouvais pas me relever. Un ou plusieurs de mes membres devaient être brisés. Tout mon corps était engourdi. J’entendais seulement, dans ce nouveau silence, la respiration saccadée de Clémence et ses sanglots. Elle ne criait pas, par pure dignité. Je peinais à relever la tête. Lorsque j’y parvins, mon corps se mit à trembler.

Un grand individu entra à son tour. Je ne sais quelle force spirituelle collait à son corps mais son influence pleinement manifeste m’avait atteint alors qu’il avait franchi le seuil. Il était suivi de l’un de ces monstres aux traits féminins, et dont les longs cheveux avaient une couleur flamboyante. Les autres s’écartèrent, ricanant. Je pouvais discerner Clémence. Elle essayait de se relever, accolée au mur. Une fois debout, elle fut incapable de faire le moindre geste, incapable de tenter la fuite. Son visage et son corps étaient meurtris.

Le nouvel intrus m’adressa un regard des plus dédaigneux. Se faisant, il dévoila ses canines pour se les lécher du bout de la langue. Qu’elles étaient longues ! Mon esprit se souvint des descriptions qui nous étaient parvenues. Des vampires. Voilà ce qu’ils étaient.

Le grand vampire m’adressa finalement la parole :

« Bonsoir, dit-il. »

 

Quelle voix rauque ! Comme elle paraissait cruelle. Il sembla jouir du spectacle qui s'offrait à lui.

« Quelle humble maison, et pourtant cet endroit respire le bonheur. Que cela peut être jouissif ! s’exclama-t-il. »

 

« Pourquoi tant de perversité » me disais-je. Nous étions tellement isolés de tout et de tous… Personne ne serait venu à notre secours.

« Pou…pourquoi ? Que vou…lez-vous ? Je ne… articulais-je péniblement. 

- Ha ha, ricana le vampire. Vous êtes tous les mêmes… Vous savez les dangers que vous encourez chaque jour, et pourtant, vous vous faîtes toujours surprendre ! C’est pitoyable !

- Laiss… Laissez-nous ! criai-je. » 

 

Sans prêter une quelconque attention à mes mots, il se retourna vers Clémence.

« Quelle belle femme… Quel plaisir décidément… J’aime le goût de cette peur qui imprègne votre sang. C’est particulièrement délectable !

- Non…non, je… vous en supplie… implorais-je vainement, alors que je rampais sur les coudes.

- La souffrance dans cette voix… est tellement excitante ! »

 

Les vampires autour de nous ricanaient, tels de ridicules satyres infernaux autour de la proie du Diable.

« Laissez-la ! hurlai-je. Elle… Et vous !…Vous ne direz rien ?! demandai-je d'une voix enrouée, l'intérieur de la gorge en sang, à l’adresse de la vampire à la longue chevelure rousse. »

Elle restait muette, bras croisés, et tous mes espoirs s’étaient subitement raccrochés à elle, naïvement.

 

Clémence commença à pleurer de peur. J'entends encore sa respiration secouée de brefs sanglots qu'elle essayait de ravaler. Le vampire s’approcha d’elle, caressa sa joue d’un revers de main, et saisit brutalement sa gorge. Son pouce transperça l’artère de son cou sur lequel il posa sa bouche. Il en aspira quelques gorgées de sang et s’en retira, un sourire sadique aux lèvres. Il lâcha prise et laissa Clémence là, chancelante. Elle porta ses mains à sa blessure qu’elle ne pouvait refermer, son sang coulant entre ses doigts. Elle tenta d’articuler quelque chose, mais tomba sur ses genoux avant de s’étendre de tout son long.

Le vampire resta quelques instants à la regarder, avant de s’orienter vers la sortie. Il s’arrêta juste devant moi :

« Je ne goûterai pas ton sang. J’aime à penser que la mort de ta femme, lente et douloureuse, juste sous tes yeux, fera survivre en toi la plus insupportable des peines… En supposant que l’on osera bientôt poser les yeux sur cette maison maudite ! J’ai bien peur que tu n’y restes trop longtemps… Raphaël… »

 

Il prit la porte en riant aux éclats, les autres créatures sur ses talons. La vampire rousse fermait la marche. Elle fut la seule à regarder le résultat d’un air de désolation.

 

* * *

 

Je restai là, gisant à terre et incapable de bouger. Ma belle Clémence me regardait avec douleur à quelques mètres de moi, ses yeux bleus luisant de larmes. Sa robe blanche était maculée de sang, et son corps entier baignait dans ce même sang. C’est non sans effort qu’elle tendait son bras droit, tremblant sous la contraction qui déchirait ses muscles, et essayait de m’atteindre. Avec toutes les peines du monde, je tentai de saisir sa main. J’étendis mon bras à mon tour, Clémence fit un dernier geste pour que nos doigts se touchent, se frôlent à peine. Elle perdit toute sa force, son bras perdit sa rigidité et tomba sur le sol, inerte.

Je voulais la tenir, je voulais la prendre dans mes bras mais je ne pouvais pas. Rageusement, des gouttes amères coulèrent de mes yeux, la seule chose que mon corps meurtri pouvait encore faire.

J'étais resté étendu toute la nuit à broyer des pensées de haine. Comment de telles créatures pouvaient-elles réellement exister ? Ce qui venait d’arriver était impensable. Comment ce vampire connaissait-il mon nom ? J’avais du mal à réfléchir, ma faiblesse allait croissant. Mes pensées déjà sombres le devenaient de plus en plus. Ma conscience avait perdu de sa lucidité, jusqu’à ce que je perde connaissance.

 

Chapitre 2

 

Je me réveillai la nuit subséquente. Ou bien était-ce la nuit suivante encore. Combien de temps avais-je passé, gisant ainsi sur le plancher ? Au même moment, je me rendis compte que ce n’était pas à la surface humide du bois que mon corps reposait, mais sur une paillasse reconstituée.

De lourdes courbatures parcouraient chacun de mes membres, qui me faisaient mal. J’étais étrangement capable de me mouvoir pour me redresser et poser mon dos contre le mur. Je balayai rapidement la pièce du regard et constatai que ma vision était étonnement bonne quoiqu’il fît véritablement sombre.

L’on avait apparemment condamné toutes les entrées de la maison. Qui s’était occupé de tout cela pendant mon sommeil ? Le plus important m’arracha à cette pensée. Je m’affolai de trouver le corps de mon ange, le corps de ma vie…

Je me levai, un peu gauche, angoissé à l’idée que Clémence ait disparu. Or elle était là. C’est seulement que je n’avais pu la remarquer d’où j’étais. Je crus défaillir en la voyant, allongée sur le lit intact de ce cauchemar. Ma Clémence. Ses bras reposaient, croisés sur le ventre. L’on avait lavé les taches de son visage et de ses mains. Sur son ventre encore rond, ses deux mains blanches tenaient un crucifix d'argent, celui qu'elle portait habituellement au cou, dont la chaîne avait été comme naturellement entrelacée dans ses doigts. Je me précipitai pour la prendre dans mes bras, la serrer contre moi. Je ne pouvais pas croire à sa mort, c’était impossible. De bruyants sanglots jaillirent, sans que je n’y puisse quoi que ce soit. J’étais agrippé à Clémence, sans pouvoir lâcher prise. J’aurais voulu mourir en cet instant. Pourquoi avait-il fallu qu’elle succombe à tout ce malheur ? Pourquoi n’avais-je pu la rejoindre dans un monde que nous espérions tous deux meilleur ?

À passer deux doigts sur mes joues, je remarquai avec stupéfaction qu’ils étaient rougis par le sang coulant de mes yeux, remplaçant les larmes salines. Nouveau mystère sans véritable importance.

J’aspirais tant à la paix de mon esprit, à la paix de mon âme… Mais je ne pouvais l’atteindre. Un élément étranger, je le sentais, j’en étais sûr, venait perturber ma quête de sérénité. Mes yeux n’avaient pu l’apercevoir, mais un homme était tapi dans l’ombre. Comment lui faire comprendre que je ne voulais pas lui parler ? Comment expulser cet individu de chez moi sans hurler, sans chercher à le tuer ? La haine qui me submergeait était si intense…

Il prit finalement la parole. Sa voix était sombre et chaude tout à la fois.

« Je suis véritablement navré de la douleur intolérable qui s’empare de toi… »

 

Je ne dis mot. Il poursuivit :

« Elle ne disparaîtra jamais. J’espère que tu pourras me pardonner alors… »

 

Je savais pertinemment que cet homme était de la même race que les assassins de Clémence. Pourtant, sa sereine attitude prouvait qu’il n’était certainement pas du même clan.

« Tu allais mourir, Raphaël… Rares sont ceux qui échappent aux supplices qu’infligent les vampires… »

 

Vampires… Je regardais mes mains blafardes, horrifié. Les restes du petit miroir suspendu à l’entrée me permirent de constater de mes propres yeux ; ma peau était blanche, mes dents... plus pointues à l’emplacement des canines. Je ne pris pas garde à leur caractère acéré, si bien que je me coupai la langue.

Que le goût de mon propre sang me paraissait exquis. Il éveilla en moi une soif inconnue jusqu’alors. Je savais être devenu ce que j’avais longtemps redouté et que je détestais.

« Il faudra que je te montre certaines choses… continua le vampire. Il y a certaines règles que…

- C’est hors de… Non. Je n’ai pas besoin de votre aide, coupai-je agressivement.

- Tu ne t’en sortiras pas sans moi. » 

 

Je le regardais, à moitié sceptique, à moitié indifférent.

« En quoi cela vous concerne-t-il ? demandai-je stupidement.

- Je ne t’aurais pas ramené à la vie si elle n’avait effectivement aucune valeur.

- Quoi ?

- J’ai mes raisons, dont je n’ai nullement envie de m’entretenir ici. Viens avec moi.

- Non, ces raisons ne m’intéressent pas. Je ne partirai pas. » 

 

Le vampire me toisa. Il inspira profondément.

« Soit ! À ta guise ! Je repars pour Paris dans ce cas si je n’ai rien à tirer de toi ! »

 

Il fit volte-face et s’en alla. De bonnes minutes durent s’écouler sans que mes yeux ne quittent l’entrebâillement de la porte. Qui donc pouvait être cet individu ? Il avait sauvé ma vie pour une raison toute particulière. Il savait qu’en agissant de la sorte, je chercherais à le retrouver pour savoir... Il me tenait sous sa coupe. Cependant, il semblait autant avoir besoin de moi que j’avais besoin de ses réponses. J’avais donc tout mon temps.

Je me rapprochai de Clémence et m’agenouillai à ses côtés. Je n’avais jamais prié de la sorte jusqu’alors. Jamais de ma vie. Je me surpris soudain à implorer le ou les dieux qui pourraient m’entendre ; qu’ils accueillent l’âme de mon ange ainsi que celle de cet enfant qui n’avait jamais connu la vie.

Le temps était si long. Je ne pouvais me défaire de Clémence. Je tenais fermement ses mains glacées que le sang de mes yeux tâcha. Je savais que je ne pouvais rester. Il me fallait partir de cet endroit devenu l’antre d’une désolante malédiction.

J’aperçus à côté de la tête de Clémence un morceau de notes arrachées. Le vampire que j’avais chassé l’avait certainement ramassé et déposé là. Le papier contenait ces quelques mots :

Qu’il est loin le temps où…

…Je me languis d’attendre la venue de…

…Je l’aimerai jusqu’à la fin…

 

Clémence avait su écrire. Elle ne me l’avait jamais dit. Ce n’était qu’un brouillon et pourtant ces quelques lignes en disaient tant... Je lâchai le papier. Mes mains tremblaient d’affliction. Il fallait que je mette un terme à ce supplice. Pour cela, je devais détruire cet endroit, dire adieu à mes meilleurs et pires souvenirs. Étrangement, les plus atroces sont ceux qui restent ancrés dans notre mémoire.

Le corps de Clémence était devenu trop fragile. La serrer une dernière fois dans mes bras ? Je n’avais aucune appréhension quant au contact de sa peau, mais cette enveloppe mortuaire, en revanche, m’effrayait. Après avoir baisé une ultime fois son front, ses joues et ses lèvres, je me détachai d’elle et reculai.

 

La lampe à huile suspendue à l’extérieur était allumée. Je m'en emparai et la jetai contre le mur. Le récipient se fracassa, et l'huile se répandit à même le sol de planches en bois. Les flammèches se propageaient très vite. Pendant que le feu prenait de plus en plus, je restai là, devant le perron, à regarder se consumer ma vie. Après quelques dernières paroles adressées à Clémence, j’entonnai un air tout particulier : celui de la berceuse qu’elle m’avait si souvent chantée. Je passai autour de mon cou le pendentif qu’elle avait toujours porté : son crucifix en argent. Ça ne faisait pas de moi quelqu'un de croyant, encore moins après ce qui était arrivé, mais je gardais ainsi un souvenir matériel d'elle.

Je tournai les talons, enfin. Toute autre vie n’avait plus aucune importance pour moi. Le feu pouvait se propager que cela m'était égal. Mes parents étaient morts l’un après l’autre, puis Clémence. Ses parents à elle ? Ils seraient certainement affligés d’apprendre la disparition définitive de leur fille, sans aucune trace à suivre. Ils mettraient sûrement ce méfait sur mon compte, et du coup, m’en voudraient comme jamais. De toute façon, je m’en allais et je ne pensais pas revenir un jour. Ne resteraient derrière moi que des braises et des cendres…

 

Chapitre 3

 

 

Le vampire avait dit qu’il retournerait à Paris. C’est là-bas que je devais me rendre. Je devais le retrouver. Le repousser ainsi n’avait pas été la meilleure de mes idées, car il était la seule personne à qui il me semblait pouvoir me fier.

Paris me paraissait si loin. Il fallait que je trouve un moyen rapide de m’y rendre. Aussi avais-je très faim. À ce que je savais, mon seul véritable besoin était de boire du sang. Humain ou animal ? Qu’importe ! Mon désir de vengeance était si vif que j’aurais tué quiconque pour atténuer ma douleur.

Je ne m’étais jamais introduit chez quelqu’un par effraction. Ma première fois fut un véritable succès. Le mauvais sort était tombé sur la première maison venue, à savoir une famille nombreuse dont la mort soudaine avait à peine éveillé la pitié en moi. Comme si cela n’avait pas été suffisant, je m’étais attaqué par pure jalousie, un sentiment que je n’avais que rarement éprouvé, à une famille riche, trop riche. Je voulais leurs chevaux et je m’étais mis en tête de les posséder. Rien de plus simple.

Tiluth – tel était le nom de leur cheval le plus racé, à la robe isabelle. À peine fus-je monté sur son dos que je sentis la puissance de sa musculature se contracter sous moi. Je pus ressentir la nervosité mener chacun de ses pas. J’étais souvent monté auparavant mais jamais n’avais-je été imprégné de l’énergie vivante de l’animal sous mon contrôle.

Le voyage vers la capitale fut par conséquent un pur délice. Il me fallut cinq nuits pour y arriver ; de longues heures à chevaucher, quelques secondes à tuer pour trouver un toit où m’abreuver bestialement et changer de vêtements. Je savais pertinemment que la lumière diurne me serait fatale.

 

* * *

 

Arrivé à destination, j’attendis qu’une journée s’écoule pour pouvoir enfin utiliser la précision de mon instinct et retrouver le vampire à qui je devais cette nouvelle vie. Je pouvais à présent me fier à mes sens, bien plus qu’auparavant. Mon ouïe, mon odorat m’aidèrent véritablement à m’orienter. Je marchai un certain temps dans des rues et des ruelles plus ou moins éclairées, Tiluth sur mes talons.

La nuit était calme là où j’allais. J’arrivai au détour d’un chemin lorsqu’un bâtiment attira mon attention. Il était plongé dans l’ombre d’un autre et dissimulé par du lierre et des glycines dont les fleurs avaient presque toutes perdu leurs pétales mauves à cause de l'été torride. Il avait fait très chaud pendant cette journée même, et une pluie tiède commença à tomber sur le sol. Je me hâtai de trouver un abri sous le porche. Le bois qui le composait était moisi. Je jetai un bref regard par la fenêtre sale. Était-ce vraiment le logis de ce vampire ? J’en étais persuadé. Je laissai Tiluth et tentai une ouverture clandestine de la porte d’entrée. Elle n’était même pas verrouillée.

La pièce était assez petite et très sombre. Les quelques meubles qui la composaient étaient recouverts de poussière. Des bougies étaient déposées ça et là, sans rien pour les allumer.

Il était clair que le vampire n’avait pas mis les pieds dans cet endroit depuis longtemps. De vieux fauteuils trônaient péniblement face à un âtre, noir de suie. Je m’assis sur l’un deux, et décidai d’attendre. Je savais que le vampire me rejoindrait tôt ou tard.

 

La vieille horloge, posée sur la corniche de la cheminée, était restée figée sur deux heures vingt-deux. Je la fixai.

Je voulais voir bouger la grande aiguille. C’est ce qu’elle fit. J’étais subjugué et réessayai, plusieurs fois. Je pus ainsi, dans la plus grande des excitations, passer mon temps à déplacer l’aiguille de minute en minute. J’entendis soudain la porte s’ouvrir si bien que mon regard s’en détacha. L’aiguille reprit brutalement sa place initiale. Le vampire entra à ce moment précis. Je ne vis aucun de ses gestes, mais j’en déduis aux bruits derrière mon dos qu’il ôtait son manteau humide, pour le jeter sans retenue sur le dossier du second fauteuil. Il se dirigea ensuite vers le confiturier que j’avais repéré à gauche de l’entrée. Il en sortit deux verres et une bouteille qu’il posa sur la petite table à côté de moi. Après quoi il prit la parole :

« Cela fait longtemps que cette maison n’a pas accueilli qui que ce soit. Peu de gens viennent ici. »

 

Je me levai pour lui faire face. Une sensation de froid me parcourut à cet instant. L'homme alluma des bougies posées sur la corniche, qui illuminèrent immédiatement mais étrangement toute la pièce. Elles brillaient fort à mon goût, pour de simples bougies. La lumière était intense…

Le vampire racla le fond de sa gorge.

« Tu es donc décidé à savoir, commença-t-il.

- Je suis principalement venu pour que vous me parliez de tout, dans les moindres détails ! dis-je avec beaucoup d’agressivité. » 

 

Le vampire versa du contenu de la bouteille dans un verre qu’il me tendit et dont je ne m’emparai pas.

« Tu as tort de te méfier, Raphaël.

- Bon sang, d’où connaissez-vous tous mon prénom ?

- C’est assez long à expliquer et…

- Abrégez donc ! »

 

Il soupira.

« Tu n’es pas…

- Je sais ce que vous allez dire ! Mais j’ai perdu la femme qui apportait un sens à ma vie, celle pour laquelle j’aurais tout donné ! Elle portait en elle, ma chair, mon enfant ! Comment espérer survivre après ça ?

- La colère te sera utile, mais pas contre moi. Tu te trompes d’adversaire, Raphaël.

- Dites-moi donc où regarder ! Je tuerai tous ceux qui m’ont fait du tort. Je ne montrerai aucune pitié...

- Tu sais que tu n’es pas invincible… Ton corps est sensible... au soleil entre autre.

- Je sais ça. Parlez-moi plutôt de tout ce dont vous êtes au courant, que vous savez et que j’ignore ! 

- Et pour cela cesse de m’interrompre ! ordonna-t-il strictement. »

 

Le vampire discourut longuement sur les alliés qu’il avait dans certains milieux. Un grand nombre de vampires vivaient reculés dans les rues pauvres de la ville, ou dans les campagnes. Les autres, ceux que je voulais tuer, vivaient dans un château non loin de Paris, avec à leur tête celui que tous appelaient le magicien, d’après ce nom étrange, Hékay. Mon interlocuteur, du nom de Célès, m’affirma que cette même personne, cet Égyptien Hékay, était à l’origine de bien des maux ; la mort de Clémence était de son fait.

Je me levai, furieux. Le vampire Célès savait très certainement que ce salopard se trouvait en ce moment même au château. Seulement, s’y rendre était une autre affaire. Une haine folle faisait trembler chacun de mes membres. Cependant, je ne devais pas agir inconsidérément, je le savais. Célès me contraint à me rassoir dans le fauteuil. La pression que sa main avait exercée sur mon épaule me força à obéir.

« Laisse-moi donc t’expliquer sans te heurter.

- Qui êtes-vous ? demandai-je. » 

 

Sans répondre à ma question, il continua :

« N’aie pas peur… Ni de moi, ni de ta nouvelle forme d’existence.

- Je n’ai plus peur de personne !

- Tu ne devrais pas… » 

 

Entendre de telles mises en garde venant de cet homme dont je ne savais rien était insupportable. Ma nouvelle nature était effrayante, bien sûr, mais je portais la vengeance au-delà de cette peur. Les vampires ne devaient pas exister dans notre monde réel mais uniquement dans les livres. Les légendes m’avaient toujours fasciné. Beaucoup moins depuis peu.

Cette inimitié qui régnait entre plusieurs clans de vampires était assez étonnante. Me ranger dans l’un deux était absurde à mes yeux. Or pour arriver à mes fins, il le fallait bien.

Je savais que le vampire Célès avait souffert. Sa peine était presque tangible malgré une apparente sérénité.

« Le fait est que je dois te protéger, continua-t-il, et te garder en vie. 

- Quelle générosité ! répliquai-je sarcastique. Vous vous moquez de moi. 

- Pas du tout. Il faut que tu saches que mes ennemis sont aussi les tiens.

- Qu’ai-je donc fait ?

- Tes ancêtres sont la cause de ton malheur aujourd’hui. La vénérable famille des Morähr…

- Morähr ? Mon nom est… Que…

- Peu importe ton nom d’emprunt. Ton véritable nom est Morähr. Tu l’ignores sans doute mais ta vie représente bien plus. Tu n’es pas qu’un simple fils de cordonnier. Ton nom porte en lui seul toute une ère de notre histoire.

- Descendrai-je d’une lignée de…

- Oui, de vampires. Les Morähr ont longtemps régné pour assurer notre survie. Malgré cela, Hékay veut la mort de ta famille, jusqu’à son dernier membre…

- Je ne… Je ne peux pas vous croire. Je… Je suis humain avant tout ! Qu’est-ce qu’un simple humain pourrait faire à un vampire ? Rien ! Il n’avait rien à craindre de moi !

- Si par hasard tu devenais vampire à ton tour… Si par hasard tu recouvrais tes biens et tes droits… Tu es l’un des nôtres à présent.

- S’il savait qui j’étais, pourquoi a-t-il attendu si longtemps ?

- Une lignée ne se retrouve pas si facilement, même pour nous…

- Pourquoi ne m’a-t-il donc pas achevé l’autre soir ?

- Hékay a pour simple principe que les hommes sont faibles. La réaction qu’il attendait de ta part était que tu te donnes la mort, ou que tu meurs de tes blessures peut-être. Son procédé est prévisible car immuable. »

 

Je le regardais, interdit.

« En effet, je désirais ardemment la mort. Il n’avait pas complètement tort.

- C’était sans compter sur le fait que j’attendais cette erreur.

- Vous voulez dire que tout cela devait avoir lieu ? Vous m’avez épié depuis tout ce temps ?

- En partie.

- Et vous n’avez rien fait ! dis-je avec rage.

- Je n’avais aucune autorité pour agir. Malgré la peine que j’éprouvais, sachant ce qui arriverait, je n’avais pas le droit de désobéir à mes supérieurs.

- Peine… Vous ne ressentez aucune peine…

- Sais-tu ce que le clan de Hékay a fait à ma famille ? Pour avoir prêté allégeance aux Morähr, tous ceux que je chérissais ont été massacrés, tous sauf moi. Pour que je vive à jamais dans la terrible souffrance d’avoir perdu ceux que j’aime. L’autre solution eût été que j’ôte ma propre vie. Ils pensaient que j'abandonnerais tout espoir mais j’ai décidé de venger les miens. Il aurait été trop facile de se suicider… » 

 

En cela, il me défendait clairement d’accomplir ce geste.

« Pourquoi ne pas m’avoir prévenu malgré tout si votre conscience vous importe autant ?

- La hiérarchie au sein de notre clan est très importante. Elle nous permet de rester en vie. De plus, nous ne savions pas que Hékay attaquerait. Nous avons été…induits en erreur, ajouta-t-il avec hésitation. » 

 

Le doute ne put s’empêcher de m’envahir.

« Comment vous croire alors que…

- Tu ne peux que difficilement me croire. C’est compréhensible. » 

 

La porte s’ouvrit soudainement. Le vampire Célès m’offrait la possibilité de suivre ma propre voie.

« Tu as le choix, maintenant. Mais réfléchis bien à ce que tu fais. Saches que ton rôle à nos côtés pourrait être décisif.

- Je n’ai pas à répondre à vos attentes. Vous m’avez sauvé et je ne sais même pas si je peux vous en remercier. » 

 

J’avais à peine franchi le seuil qu’il m’interpella une nouvelle fois.

« Voudrais-tu voir où nous nous rassemblons ?

- Maintenant ?

- Oui.

- J’espère qu’il ne s’agit pas d’un piège dans lequel vous m’attirez et duquel je ne pourrai pas m’échapper.

- Peut-être que cela te permettra d’ouvrir les yeux. » 

- J’hésitais. Tiluth s’agitait à ma vue. Que faire alors que je n’avais encore aucune direction précise ? Au diable les prévisions ! Je faisais de tout cela une affaire personnelle. Qu’ils s’arrangent à leur manière du moment que je pouvais régler mes propres comptes à ma guise.

Dehors, la pluie n’avait encore cessé de tomber. Je couvris ma tête de mon bras par pur réflexe. À y faire plus attention, les violentes gouttes ne me dérangeaient pas. Je sautai en selle. Le doute me fit à nouveau réfléchir. La nuit était bien avancée et il fallait que j’aie le temps de trouver un endroit où m’abriter la journée.

Le vampire Célès sortit de la maison. Il passa devant moi, un large sourire aux lèvres, et prit les devants. Il savait pertinemment que mon sens des décisions était instable par rapport au sien. Incertain, je lançai finalement Tiluth sur ses talons. Il marchait si vite que mon cheval peinait à le suivre. La pluie mouillait abondamment le sol en le rendant glissant. Célès l’encouragea plusieurs fois dans une langue qui m’était tout à fait inconnue et qui m’interpella.

Après maintes bifurcations, nous arrivâmes bientôt devant un petit édifice religieux. L’église bâtie de pierre était assez isolée car située en extrémité de la ville.

« C’est ici ? demandai-je en guise de confirmation.

- Oui. Viens, les églises ne nous sont pas interdites, dit-il avec anticipation. Et celle-ci a été abandonnée il y a des années maintenant. Personne, je veux dire aucun humain, n’y met jamais les pieds. »

 

Lorsque nous entrâmes, je sentis le froid m’engourdir. La pluie qui avait entièrement imprégné mes vêtements me fit légèrement frissonner.

« Voila l’endroit où les renseignements les plus importants sont échangés. Nous tenons ce lieu à l’écart de nos ennemis grâce à… »

 

Il me regarda et hésita.

« Grâce à un sortilège dont nous gardons précieusement le secret.

- Pardon ?

- Oui. La magie n’a rien d’exceptionnel. Elle est pratiquée plus qu’on ne le croit. En revanche, seuls quelques érudits en ont le vrai pouvoir.

- Hékay...

- Hékay ne la maîtrise pas. On l’appelle le Magicien, mais à tort ! Il a à sa solde cependant, bon nombre de sorciers et de sorcières… Ils sont particulièrement dangereux.

- Pourquoi personne ne s’est encore ligué contre Hékay ? Il serait facile de le détrôner.

- La peur, simplement la peur. Hékay est une véritable icône, un symbole vivant. Personne ne fera quoi que ce soit contre lui.

- Mais…

- Trêve de questions pour le moment. Nous passerons le jour ici. Je souhaite pouvoir me reposer. Tu peux mettre ton cheval à l’abri ici.

- Sur quoi allons-nous dormir ?

- Tu peux dormir suspendu à cette poutre là-haut, dit-il d’un ton de plaisanterie. » 

 

Sur quoi, il passa le vieil autel et s’assit contre le mur, se couvrant de sa cape.

 

* * *

 

Un doux parfum d’encens me réveilla, sous le regard de quelques personnes qui entraient dans la vieille église. J’avais dormi, la tête posée sur le ventre de Tiluth qui n’avait bougé une seule fois. Je me levai, remarquant que la salle était presque comble. Il n'y avait aucune disparité entre tous ces vampires vêtus de sombres uniformes de cuir, leurs visages à demi couverts de voiles opaques. Ils se ressemblaient, tels des dizaines de mannequins à la peau blafarde et alignés en rangs de soldats.

De simples chandelles avaient été allumées. Au centre, près de l’autel, se tenait Célès, accompagné d’une personne dont le manteau était différent. Elle devait avoir certainement une grande importance. Cette femme semblait assez âgée et pourtant, elle portait à la perfection un habit aux longues manches de velours vert émeraude. Je marchai dans sa direction. Célès lui parlait sans que je ne comprenne le moindre mot, dans cette même langue que celle qu’il avait utilisée pour communiquer avec Tiluth. Elle ne ressemblait en rien aux dialectes que je pouvais avoir entendus jusque-là.

Célès me présenta alors à cette vampire, surprise et grandement soulagée à la fois. Elle tendit sa main blanche et la posa sur ma joue. Elle inspira profondément. De ses yeux gris, elle scruta tout mon corps, comme pour s’assurer de mon identité. C'était embarrassant. Ma langue se déroba de la sommer d’arrêter.

« Tu as bien le sang... d’un Morähr. Enfin… Sois le bienvenu parmi nous, finit-elle par déclarer d'une voix doucereuse. »

 

Puis, s’adressant à Célès :

« Merci. Je craignais que tu ne nous le présentes jamais. »

 

Il s’inclina légèrement et se tourna vers moi.

« Viens, allons-nous asseoir. »

 

Nous prîmes place sur l'un des bancs dont l’assise était recouverte de draps blancs, disposés en arc de cercle. Nous étions au quatrième rang depuis le centre.

Un jeune vampire attira mon attention. Il vint bientôt prendre place à côté de la vampire au velours vert. Célès était absorbé par l’audience qui avait commencé. Elle était très vive, parfois violente. Mon attention était tantôt portée sur les pamphlets inscrits sur de larges étendards qui dénonçaient Hékay et ses Esclaves, tantôt sur ce jeune vampire. Je n’entendais rien à ce qui se disait. C’est pourquoi j’étais si facilement distrait.

Célès remarqua l’objet de ma distraction qui me regardait d’un air dédaigneux. D’âge humain, il ne devait pas avoir plus de vingt ans. Son corps était encore juvénile. Malgré cela, son esprit était puissant et essayait d'empoigner le mien, comme pour le tordre et me blesser.

« Il s’agit de Riwan, remarqua Célès. Ne porte pas ton attention sur son regard assassin. Tu ne pourras rien y changer,  dit Célès en souriant tristement. »

 

Nul besoin de grande réflexion pour déterminer l’affection que je porterai à ce gamin. Les vampires autour de nous ne pouvaient pas m'inspirer confiance mais je repoussais son aura avec plus de volonté que toute autre encore. Son regard froid et son sourire, tantôt narquois, tantôt cruel n’avaient rien de rassurants. Sa puissance mentale qu'il essayait d'asseoir sur moi était intolérable.

 « Célès, faites quelque chose, le priai-je. Son emprise fatigue mon esprit ! »