Le monde d'Ankalus - Scarlett  Marina Ecoffet - E-Book

Le monde d'Ankalus E-Book

Scarlett Marina Ecoffet

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Beschreibung

Sur les terres d’Ankalus, il y a dix ans, le dieu de la corruption a été vaincu, scellé, emprisonné dans le sommeil par la Compagnie des Sept, un groupe de demi-dieux dirigé par la traîtresse Liandra de Ghaïth.
Mais la paix n’est jamais éternelle. Et déjà, Antharus, dans sa « prison » s’agite. Pire, il aurait ouvert un œil. La compagnie doit se réunir en prévision de son réveil.
Malgré les rancœurs, malgré les trahisons, malgré les amours présents ou les amours perdus, il leur faudra agir pour préserver ce monde pour lequel ils ont déjà tant sacrifié.



À PROPOS DE L'AUTEURE


Née en 1986, passionnée d'écriture depuis l'adolescence, rêveuse intempestive, toujours dans son imaginaire, elle est une créatrice dans l'âme. Son parcours scolaire est composé de littérature et d'une carrière créative en tant que Designer-Web. 

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Le Monde d’Ankalus

 

La compagnie des Sept

 

 

TOME 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ecoffet M. Scarlett

 

 

 

« Pour mon meilleur pote, parce que tu es celui qui m’a poussé à écrire.

Pour mon compagnon, parce que tu me soutiens toujours.

Pour mon fils, parce que tu es mon énergie jour après jour.

Pour mon grand-père, l’homme le plus important de ma vie. »

Scarlett.

Prologue

 

 

 

La nuit était presque paisible. Quelques bruits continuaient de vivre dans des élans étouffés, forçant la quiétude de la chambre. Les rires, les effusions de joie, de plaisir, les gémissements à peine retenus venaient caresser l’esprit de ceux qui se trouvaient là. Lui, se tenait debout devant le lit bas. Rien ne décorait le bois de ce meuble, pas de fioriture, pas de surplus : il était lourd, épais, conçu pour les affaires du plaisir. L’on ne dormait pas dans cette couche.

À demi-nu, la musculature de son torse luisait sous la lueur pâle de l’âtre et des bougies. Les flammes faisaient danser des ombres sur sa peau et sur les murs. Une bûche glissa, laissant chanter le crépitement du bois qui se consumait. On entendait l’écorce craqueler sous les flammes et sa fragrance s’éparpiller, laissant une empreinte de suie sur les pierres . Il faisait chaud. Trop. La maison des vices était surchauffée pour les clients, pour les putains, pour tous ceux qui venaient y déposer leurs carcasses. Pour bien des raisons, le froid était chassé ici. Quelques langues obscures prétendraient qu’il était nécessaire de tenir certaines créatures fragiles à l’hiver dans un cocon de chaleur. Ainsi l’on évitait leur souffrance en bichonnant ces choses rentables et il y avait du vrai dans ce genre de discours. On ne rendait pas une sylphide désirable si elle avait froid. Son charme et sa grâce s’étiolaient et disparaissaient de sa silhouette fragile. Comme si la mort venait délicatement glisser son empreinte avant de l’emporter, prévenant de sa présence en déposant une étole ternie sur leurs silhouettes graciles.

 

Dans tous les, en cet instant et dans cette pièce il faisait trop chaud.

 

Cette chambre était la plus chère, la meilleure de toutes, dans le plus fastueux bordel de la cité de Thiel en compagnie du plus…parfait des putains. Le prostitué le plus demandé, le plus exclusif et le plus professionnel. Il en était arrivé à pouvoir choisir sa clientèle, devenu expert de la chair, du vice et du plaisir. Dix ans de ce travail l’avaient rendu inégalable. C’était grâce à lui que la réputation du Cendré avait explosé. Si l’on venait dans cet établissement, c’était pour son vin, parfois ses demoiselles, mais surtout, pour Lui : le changelin. Lucaï, la créature qui permettait de coucher avec qui l’on désirait, laissant un goût de paradis au corps qu’il aimait faussement pour une nuit tarifée.

 

Après la guerre des Dieux, il y a dix ans, quand presque tous les siens étaient morts, il ne lui était pas resté grand-chose, tout juste sa carcasse. Plus de territoire, plus de semblables, une poignée errante qui ignoraient ce qu’ils pouvaient faire. Quel choix restait-il, si ce n’est survivre à tout prix ? Et quand les humains étaient presque les seuls complets, il fallait jouer leurs règles : le sexe, c’était facile. Le sexe était un vice que le genre humain adorait et qui pouvait dépenser de folle somme pour parvenir à son accomplissement. Il suffisait alors d’abandonner une part de soi pour en faire vivre une autre.

Aujourd’hui, il ne regrettait pas. La faim, le froid… ou un toit et vivre ? La fierté ? Il en avait. Elle avait pris des contours différents, se créant sur d’autres choses, mais elle était bien là. Celle qu’il était en train de regarder, allongée sur le lit, connaissait bien tout cela.

 

Mais que ne savait-elle pas ? Elle n’ignorait pas son histoire et cette période sale de leur passé. La guerre des Dieux, qui avait presque séparée le monde en deux, s’achevant aussi brutalement qu’elle avait débutée. Aussi soudainement, en brisant des vies. Des milliers de vies. Elle se rappelait, elle, de tous les détails horribles, les bruits des crânes qui étaient fracassés, du cantique de la chair tailladée, du sang qui déversait ses fragrances de métal sur la sciure du sol et l’odeur de la merde que les corps sans vie libéraient. Elles se rappelaient les visages qui ne comprenaient pas, qui réalisaient la douleur. Mourir, ce n’était grandiose que dans les fables, mourir c’était la solitude de la violence pour ceux qui combattaient, c’était l’apogée d’une bataille sans saveur et sans goût. Mourir sans avoir une réelle valeur, si ce n’était celle de la chair à canon. Elle avait tué trop de gens, d’étrangers, d’hommes ou de femmes dont elle ne saurait jamais les noms, mais dont les visages passaient inlassablement dans ses rêves noirs. Elle avait tué trop de monde pour croire encore que la guerre était un art. La guerre c’était l’injustice de ceux qui se battent pour des fous, pensant pouvoir tout conquérir. C’était la misère, la peur, la solitude…c’était un amas monstrueux qui n’apportait rien, si ce n’est le silence et la peur, le chagrin et des survivants qui se demandaient encore : pourquoi ?

 

Perdue dans sa pensée, la longue pipe quittait ses lippes lentement. Bientôt, le murmure de la drogue ferait son effet, emportant son esprit dans un délire lyrique étrange, au grès de chuchotements indécents et obscènes. Elle se laisserait transporter dans la luxure, elle oublierait un peu. Horreurs, parjures, regrets et peines…d’étranges compagnons de vie, litanie nauséeuse qui composait ses jours désormais. C’était la gangrène du passé. Elle oublierait, pour quelques heures, combien elle pouvait haïr les siens. Pairs, compagnons, fratrie guerrière qui composaient son histoire ne seraient bientôt plus rien, ce sentiment pour se tenir en vie, celui de la haine cèderait son trône au manque un bref instant. Le manque de cette famille. Mais cela ne durerait pas, ou si peu, l’oubli ferait son effet rapidement. Pour quelques heures à peine, cela ne serait qu’une image floue, enfouie sous les vapeurs addictives. Elle ne se souviendrait pas que son nom, aujourd’hui, était à peine valable, qu’il inspirait désormais la peur. La peur sournoise et le respect forcé, terrifié…

Oublier…ne plus avoir conscience de tout cela, de sa tête synonyme d’atrocité, de son propre isolement loin des foules, des amis morts, de ceux qui lui ont tourné le dos et de l’injustice qui l’a fait devenir le monstre à qui l’on prêtait le pire. N’était-ce pas elle, la Sanglante de Brive, l’Ecorcheuse de Noir-Matin, la Faiseuse de Silence de Port-Blanc ? Combien de surnoms traduisaient l’horreur qu’on lui prêtait, héritages du mensonge. Et chacun, avec une douce ironie, était tatoué sur sa peau…une trace d’encre sur sa chair pour chaque victoire, chaque bataille, une profonde et ténébreuse marque.

 

Au cuir de son bras, du haut de son épaule au bout de son index, les arabesques étranges serpentaient. Les unes entre les autres, dans une valse noire, se frôlant sans jamais se toucher. Elles envahissaient sa chair. C’était un présent. Celui de Lipiadeïs, le Grand Dieu de la guerre. Sa générosité était celle-ci : permettre d’inscrire ses victoires dans sa peau, de faire d’elle une guerrière ou un tableau vivant, que personne ne pouvait ignorer, puisque tout était gravé. Chaque bataille gagnée, chaque victoire prise, tout…absolument tout s’inscrivait dans sa chair. Un immense cadeau, la preuve qu’elle était une force de la nature, une reconnaissance grandement honorable, tout cela bien avant qu’elle ne soit le monstre de la Guerre des Dieux.

 

Chaque vie prise se déposait ici, pour ne jamais oublier. Pouvait-elle réellement ne plus se souvenir ? Ne pas se rappeler les gens à qui elle avait pris la vie ? Pour certains, les visages étaient si profondément ancrés qu’ils étaient devenus comme des amis imaginaires, hantant sa proximité et attendant peut-être que justice ou vengeance soit faite.

Tout son corps n’était que vague marque d’encre, faite jadis pour célébrer sa gloire. Mais peu à peu, c’était devenu un témoignage monstrueux et puis aussi, autre chose… une question d’addiction, une comme une autre, moins pire que certaine, un besoin d’encrer sa peau, de la recouvrir. Les arabesques avaient dû concéder leurs places à des traces choisies par ses soins, faites aux aiguilles d’un tatoueur. Mais cette addiction n’était pas la pire…il suffisait de voir ce que lui faisait faire l’une d’elle aujourd’hui, en la faisant venir ici, la poussant vers l’apogée de son pathétisme. Venir chercher, trouver, la silhouette du passé.

 

Les yeux rougis par la drogue, elle n’entendait pas distinctement les battements de son propre cœur. Ce qui était devenu plus précis, c’était le drap sur sa peau, le tissage qui le composait, la lourdeur de la couverture qui la recouvrait. La drogue avait ce genre d’effet, elle exacerbait les sens, idéale pour le plaisir, pour ressentir, oublier le reste… d’un geste impérial et lourd, elle rejeta ce qui la recouvrait. Chassant l’oppressante chaleur.

 

« Il fait trop chaud dans cette foutue chambre ! »

 

Scanda-t-elle dans un râle. Maintenant, elle était nue, sous les yeux du prostitué. Nue et elle se sentait au moins respirer.

 

Liandra était divine. Des hanches voluptueuses et le sein lourd, une tignasse de boucle de jais, des pupilles violines, dont les reflets dansaient au grès de la venue de la lumière dans ses iris. Une esquisse de perfection probablement due aux faits qu’elle était la fille d’une Déesse. Le produit pur d’un ventre sacré, bâtarde de son état avec son père mortel. Elle n’était pas humaine, mais pas divine non plus.

 

Les enfants des Dieux n’appartenaient pas réellement à une caste précise. Ils étaient rejetés par les deux camps : divins et mortels, à cause de toutes les différences qui siégeaient dans leurs êtres. Pour les humains, elle était trop forte, apte à manier naturellement la magie de sa mère, ils ne pouvaient pas la considérer comme l’un d’entre eux. C’était déjà délicat de considérer les mages comme des humains. Quant aux Dieux, elle n’était ni immortelle, ni digne de ce rang, puisqu’elle avait une partie humaine. Non, elle n’était qu’un fruit d’une union qu’aucun ne désirait désigner comme de sa race. Mais cette semi-entité ni humaine, ni divine se voyait entraver par des responsabilités, des devoirs, des obligations…

Comme pour tout dans ce monde, il y avait des tas d’histoires. Certains Dieux aimaient profondément leurs enfants, ils avaient été désirés et voulus, d’autres toutefois considéraient leurs descendances comme redevables d’exister. Pratiquement la majorité des vivants estimaient une chose normale à leurs égards : ils se devaient d’aider, de soutenir et de faire ce que les Dieux ne pouvaient faire pour les mortels. Se battre pour eux, aider leurs veuves, leurs orphelins, gérer les monstres…bref, d’être des héros en quelques sortes.

 

De sa Divine mère, elle avait hérité une chevelure d’ombre fauve, boucles rondes, épaisses, indomptables qui encadraient son visage. Toujours, cette masse informe n’avait cessé de la faire râler, agacée par leur épaisseur. C’était pour cela qu’elle avait en partie rasé la moitié droite de sa tignasse. Pour cela et parce que la cicatrice qui lui avait pris un bon morceau de peau n’avait pas été très … conciliante. Elle s’était adaptée, choyant le doux souvenir qu’avait laissé son oncle Miraï, Dieu de la Mort. Sa fureur avait donné cette signature écorchée, alors qu’il n’avait pas encaissé de ne pouvoir l’emporter. Comme elle le disait, ah…l’amour filiale, il réchauffe le cœur, n’est-ce pas ?

 

De l’horreur qui en était restée, elle avait fait ce qu’elle avait pu, transformant la cicatrice en décoration. La marque siégeait trois centimètres au-dessus de son oreille, partant de l’arrière du crâne dans une droiture nette. Elle filait vers sa tempe jusqu’au début de la pommette. Pour l’arranger un peu, elle avait mis de l’encre sur la blessure. Une ligne de vie tissée par une araignée qui se cachait derrière son oreille, rattrapant le fil qui avait été coupé et le faisant tenir … à presque rien.

 

« C’est moi…où t’as rajouté des cicatrices ? »

 

Sa voix était amusée, emportée par les embruns de la drogue, elle se présentait légère et désinvolte. Pour Lucaï, elle aurait pu rester sobre, elle aurait pu faire un effort, elle le connaissait bien, depuis si longtemps, qu’elle aurait pu essayer pour lui. Mais il lui pardonnait après tout, elle ne venait là que pour alléger sa peine, faire disparaître sa souffrance, croire encore quelques instants, que l’homme, qu’elle avait aimé, était là et éprouvait en retour autant de désir que jadis.

 

« Je … pensais que cela te plairait.

-Oh tu sais, je commence à ne plus me souvenir de certain détail, avec le temps, si tu en oublies deux trois, qu’est-ce que ça pourrait bien faire ? Je n’ai pas besoin d’autant de délicatesse Lucaï.

-Dix ans que tu me fais prendre son apparence Liandra et tu vas me faire croire ça ?

-Je sais, je suis pathétique, tu me le dis tout le temps. Mais tu es plus joueur d’habitude quand tu me dis ça, et si on jouait plutôt, hum ? »

D’un charmant sourire, elle lui faisait comprendre que les grands discours étaient terminés, d’un geste de la main, elle l’invita à la rejoindre dans le lit. La beauté du corps qui s’avança lui fait battre le cœur, l’apparence de Sagremor provoquait toujours ça. La musculature épaisse n’était pas étrangère à ce genre d’émoi, encore moins la toison pectorale qui s’étalait, le contour des muscles de son ventre, et le dessin en v de son pubis qui se dessinait. L’épaisse barbe grisonnante avait un charme nouveau ! Il portait le temps sur son corps, avait-il vieilli ainsi ceci dit ? Elle se le demandait. Elle se demandait si sa chevelure noire portait les fils blancs du temps, si le coin de ses yeux avait tissé l’empreinte de la vie…

Quelle idée de l’avoir vieillit ! Lucaï était trop professionnel, probablement voulait-il lui faire plaisir. Elle adorait toutefois tous ces détails : les rides des yeux, les cheveux blancs qui couraient dans ses cheveux longs lâchés sur ses épaules, chaque cicatrice qui striait la peau, les tatouages qui l’ornaient, le bleu gris de ses pupilles frappé à gauche, d’une tache noire qui …

« Oh foutre ciel. »

Le baiser qui avait débuté fut interrompu. Ses mains posées sur les bras musculeux, Liandra avait décollé la silhouette de sa proximité. Surpris, l’amant nocturne la dévisagea, hébété, à bout de souffle, elle le regarda. Précisément, profondément et son visage se referma peu à peu. Lentement, ses doigts s’accrochèrent à leur prise, quitte à blesser l’imbécile qui se tenait devant elle.

 

« Sagremor…tu as vieilli. 

-Toi aussi Li’… »

 

Chapitre 01

 

 

 

La fumée avait embrumé son esprit, Liandra essaya de se défaire de sa proximité, de le repousser tant bien que mal, mais sa tête enfermée dans un étau vaporeux n’entendait plus que les chuchotis envoûtants de la drogue. Un râle pesta au fond de sa gorge, elle parvint seulement à le repousser et le faire glisser sur le côté. Elle, elle retomba dans les coussins, en cherchant sa respiration.

 

Elle avait l’habitude de fumer du Murmure, cela faisait dix ans maintenant qu’elle s’octroyait ce plaisir en venant ici. Mais tout ce qui lui venait en tête à l’instant, c’était qu’elle était en danger, affaiblie, face à celui qui était en toute logique son ennemi. Par orgueil, fierté et envie de vivre forcément, elle essaya de le repousser, mais Sagremor posa sa main à sa taille. Il y glissa sa grande paluche, en plein dans le creux et la rapprocha de lui. Sans geste plus déplacé, il se colla contre elle, ferma les yeux et resta ainsi. Liandra se figea, incapable de bouger, elle entendit battre à ses tempes le mouvement furieux de son cœur qui se faisait brutaliser par l’opiacé et par des sentiments qu’elle ne savait que trop vivant pour l’homme à son côté. En même temps, c’était évident, elle ne viendrait pas payer le luxe d’un changelin hors de prix pour qu’il prenne cette apparence si elle haïssait profondément l’original. Sa haine du passé était réelle, mais mensongère tout autant, un pansement tenant maladroitement ses sentiments débordants et en opposition. Mieux valait croire que l’on éprouvait le pire plutôt que se souvenir de l’amour installé !

 

Incapable de faire confiance toutefois, connaissant trop facilement les entourloupes cruelles des Dieux, des Mages et de tout être respirant un tant soit peu en ce bas monde, Liandra estima qu’il ne s’agissait que d’une cruelle séance de torture à laquelle on la forçait à assister. Figée, raide, elle chercha à se couvrir, parce que sa nudité la dérangeait et qu’elle ne voulait pas ainsi se montrer. Il l’aida à se dissimuler, remontant les couvertures, restant au-dessus quant à lui. Le regarder était au-delà de ses forces, elle resta, les yeux rivés sur le plafond, en se fustigeant d’avoir perdu de sa répartie ou de sa vivacité. Pourquoi être aussi tétanisée qu’une vierge à la nuit de noces ? Elle ne parvenait pas à s’apaiser, l’odeur qui émanait de lui était un parfum qu’elle a fantasmé depuis des années. Un souvenir précis qui venait lui chatouiller les narines et lui faisait admettre que oui, c’était CETTE odeur. Celle-là qu’elle connaissait dans les moindres détails, qu’elle pouvait repérer entre mille, qui lui avait manqué sur sa propre peau. Les teintes volages et masculines de la chair : la présence métallique du fer, comme si son épée faisait partie de sa peau, les élans un peu âcres d’une sueur forte, peut-être quelques traces de sel et de sueur, mais toujours la teinte de la cendre tricotée sur sa chaire.

 

« Ton père va te punir si tu continues. »

 

Des larmes brûlaient ses yeux, elle ne pleurerait pas, plutôt crever. L’émotion pourtant était d’une telle violence ! Ils auraient dû avoir mieux à faire, l’un comme l’autre, n’étaient-ils pas avant tout, de grand guerrier ? N’était-elle pas un monstre que les autres humains redoutaient, mais qu’ils engageaient encore dans cette partie du monde pour vaincre les créatures ? Elle ferma les yeux, espérant que son esprit arrête de tourner. Elle ferma les yeux en espérant que son cœur arrête de se fracasser contre sa poitrine. Elle ferma les yeux dans l’espoir, presque étrange, que quelque chose se passe.

 

Mais ils restèrent là, comme deux imbéciles. Sagremor s’éloigna, doucement, comme un morceau de tissus qu’on retire, il se redressa et pris place sur le lit. Le dos courbé, les jambes écartées, ses coudes sur ses genoux, il resta penché, silencieux, exposant un dos meurtri par de larges cicatrices. Chacune avait son histoire, chacune avait un passif, le plus généralement commun avec celles de Liandra. Ses tatouages n’avaient pas augmenté, dans son dos serpentait le même présent de Lipiadeïs, dire qu’ils avaient été reconnus comme les meilleurs à une époque par le Dieu de la guerre. Mais les batailles étaient finies pour lui, pas de marque, pas de nouvelle présence sur sa chair. Elle se demanda s’il avait arrêté et c’était fort probable : d’autres responsabilités devaient l’y contraindre. Il devait avoir une vie bien mieux construite que la sienne.

 

« On va rester à jouer les torturer pendant des heures avant que tu ne me dises ce que tu fous ici ? »

 

Liandra s’avouait plutôt vaincue, couchée sur le lit, le dos enfoui dans les coussins, il n’était pas question pour elle de faire le moindre mouvement. Sa parole était lente, sa langue était lourde. La drogue imprégnait son esprit, l’encerclait et l’empêchait de faire plus que parler. Elle sentait encore sa présence contre sa peau et elle se disait que tant pis, s’il était là pour la ramener par la peau du cul devant un jugement quelconque et bien soit. Elle n’avait pas la force de lutter pour le moment.

 

« Putain depuis quand tu fais dans le dramatique, Sagremor… »

 

Dans un mouvement, elle le poussa du pied, doucement, et cela la fit rire. Ce geste renoua entre eux quelque chose, une histoire commune, des matins semblables où elle était désinvolte et où il se posait trop de questions. Ce geste bête, anodin et particulièrement commun remonta les souvenirs de ce qu’ils avaient eu jadis. Elle joua les idiotes, mais cela ne la dérangea guère plus, elle recommença et il lui prit le pied, l’empêchant de continuer une taquinerie qu’il ne sembla pas vouloir. Sa main toucha sa peau, elle sentit son cœur frapper, un frisson courir, ses doigts se firent doux. Son regard se posa sur elle avec une tendresse qu’elle ne connaissait plus ou dont elle ne voulait plus se souvenir. C’était douloureux, plus qu’elle ne l’aurait voulu. Ce regard portait les vestiges d’un temps heureux et amoureux, d’une période à eux. Mais les paroles qui l’accompagnèrent, chassèrent tout d’un mouvement presque trop simple.

 

« On a besoin de toi. »

 

Liandra leva un sourcil, essayant de distinguer si Sagremor se foutait de sa gueule. Les Dieux l’avaient chassé il y a dix ans, ou tout du moins, avaient montré leur ingratitude. Miraï n’avait absolument pas digérer qu’elle se joue de lui pour échapper à l’Ether et lui appartenir. La plupart des Dieux la jugeaient comme une traitresse et Kerobor…hum, Kerobor était le roi des cons, il avait juré de la tuer. Tout ça parce qu’elle n’était pas une petite créature obéissante…c’est vrai que la pilule avait été difficile à avaler pour des Dieux habitués à ce que leurs progénitures obéissent sans chercher. Elle pouvait comprendre que c’est délicat, surtout quand on était persuadé d’être la créature la plus importante en ce bas monde….

 

« Alors là, j’ai raté un chapitre à l’histoire. À aucun moment, je ne pensais que je devrais me présenter de nouveau face à eux. Mes services vont coûter très cher, même Sybilis ne pourrait pas se payer le tarif que je pourrais leur réclamer. »

 

Pourtant, la Déesse de l’Or pouvait avoir bien des choses…Mais les services de Liandra leur coûteraient tellement cher. Déjà, ceux qui la réclamaient aujourd’hui pour tuer des bêtes, désinstaller des nids, dératiser, y mettaient un sacré prix. Mais pour ceux qui l’avaient chassé, elle réclamerait très cher.

 

Sa tête renversée sur le côté, elle dévisagea le guerrier en face d’elle. Le temps n’avait pas épargné l’homme, mais il avait fait un travail d’orfèvre sur sa stature, le rendant plus…posé, sage, presque trop. Elle se demanda ce qu’il pouvait bien dissimuler dans un regard si las.

 

« Bon t’accouches ?

-Il est en train de se réveiller. »

Liandra avait souhaité bien des choses au cours de ces dernières années, que justice lui soit rendue, que la vérité éclate, que les choses qu’elle avait faites soient reconnues avec plus de valeur. Mais pas ça en fait.

 

*****

Il y a de cela dix ans, lors de la Guerre des Dieux, l’un d’eux désira s’approprier le monde. Ce Dieu, Antharus se fit surnommer le Changemonde. Il avait la capacité de corrompre les âmes et de se les approprier. C’est ainsi qu’il souilla des humains, nombre de créatures et entre autres choses, des Dieux. Des Dieux faibles, mais des Dieux quand même. Antharus menaçait l’équilibre du monde, l’autorité des Dieux, mais surtout, il menaçait Kell, la grande Conceptrice. La déesse aujourd’hui endormie à côté du Dieu-Roi son époux…

 

Le monde d’Ankalus était un vaste monde, une terre riche, forte, magnifique. Il y existait quatre continents et moult pays. Ankalus naquit de la volonté de Kell. Kell créa le monde en compagnie du Dieu-Roi son époux. Si le Dieu Roi avait la capacité d’imaginer les choses, Kell, elle, avait le pouvoir de leur insuffler la force d’exister. Dans un travail d’immense envergure, ils composèrent l’univers et ses rouages, des Dieux aux humains, des mages aux elfes, de l’eau au feu. Ils mirent du temps à l’assembler correctement, à le réajuster, mais au final, le monde prit vie. Et ils découvrirent que parfois, quelques créations leur avaient échappé. Les hommes par exemple, ils étaient bien plus avides de pouvoir que prévu, bien plus sombres tout autant qu’ils pouvaient être bienveillants. Kell ne les retoucha pas, elle les trouvait parfaits dans leurs imperfections et elle ne souhaitait pas non plus un peuple entièrement fade … Kell aimait les voir faire les plus belles choses comme les pires.

 

Des monstres leur avaient échappé, certains en s’accouplant en dehors de leurs espèces, ce qui donna naissance à des vouivres, des sphynx… C’était assez beau selon eux. Ils comprirent alors qu’ils aimaient le hasard, les aléas de l’imprévu ainsi donc ils laissèrent le monde être imparfait et ils chérirent un peu trop à l’excès Kerobor : le Dieu du hasard. Celui qu’on nommera le Brouilletrame. Kerobor était l’enfant chéri, merveilleux, toujours si indomptable, si différent. Qu’est-ce qu’ils pouvaient l’aimer ! Et l’on peut retirer bien des choses à Kerobor, on peut en dire d’autres, on peut le salir à l’excès, mais l’on peut aussi reconnaître qu’il chérissait Kell et le Dieu-Roi. Jamais fils n’aima autant ses parents. Et ne fut aussi jaloux bien entendu de toutes formes de vie qu’on lui avait collé en fraternité.

Car oui, les races, les choses étaient toutes enfants des Divinités Créatrices. Divinités qui ne réprimaient d’aucune façon les dualités entre espèces, les amours et tout le reste. Estimant qu’il était bien plus nécessaire de laisser vivre et porter que de brimer et empêcher l’ordre naturel de l’existence. Ce qu’ils avaient créé était selon eux d’une beauté inégalable.

 

Les Dieux s’imposèrent ainsi doucement au monde, chacun prenant sa place, chacun se faisant révérer selon son culte et tous encore ne furent pas pris en compte à égale mesure. En même temps, les Originels avaient été productifs sur les Dieux. Trop peut-être. Dans tous les cas, seules les Divinités Créatrices étaient priées en tous lieux. Les peuples et les races belliqueuses se tournèrent rapidement vers Lipiadeïs ou son épouse Clesope, déesse des guerriers. Les elfes ou encore les Dryades préfèrent vénérer Ysalt le Dieu de la nature.

Ils se partagèrent pour ainsi dire le monde, pas toujours à égale mesure, les êtres vivants se tournant naturellement vers certain, d’autres de plus maigres envergures se contentèrent, pour ainsi dire, de fort peu. Et dans cet engrenage inégal, l’ordre des choses se régula. Certains Dieux et certaines Déesses en furent jaloux, certains disparurent. Aigris. Envieux. Normal ? Non ? Qui ne le serait pas, alors que l’on existe grâce aux fidèles, de voir que certains en possèdent plus que d’autres…Effrayés ? Inquiets ? Là encore, une base que l’on ne pouvait reprocher.

 

Antharus, le Dieu de la Corruption s’envenima peu à peu. Pourtant, c’était un Dieu que bien des mortels révéraient. La corruption est une chose fascinante, non ? Tous les hommes et les femmes de pouvoirs s’en rapprochaient, et même le plus simple vivant pouvait tenter de l’utiliser. Corrompre pour parvenir à ses fins, pour faire assoir sur un trône celui que l’on veut, celle que l’on désire, corrompre pour que des gardes ferment les yeux, pour que l’on ne voit pas les méfaits que l’on fait.

Hélas, Antharus dédaignait les hommes et ce qu’ils pouvaient apporter. Il sentait un agacement brutal en lui, non pas envers les humains, enfin, pas que, mais aussi envers ses Parents: pourquoi avoir créé autant de divinités différentes pour les faire si horriblement disparaitre ? Ses parents trop créatifs avaient fait des erreurs sur le sujet. Beaucoup pensèrent que le Dieu craignait de ne pas être révéré à sa juste valeur, certaines légendes racontaient comment il avait imposé son règne, évinçant la déesse de la Malhonnêteté par exemple. Mais Antharus en toute vérité n’avait jamais cherché à être révéré.

 

Quelques mages intelligents (ou malfaisants je dirais) qui désiraient le pouvoir savaient pertinemment combien il était puissant. Et ils n’avaient pas tort. La force d’Antharus était de corrompre les âmes, de les voler ainsi à Miraï une fois sa gangrène installée et de les utiliser à sa solde. Alors les mages prièrent et appelèrent leur Dieu à les entendre.

Certains commencèrent à nécroser des âmes, un groupuscule mesquin et avide d’asseoir leur puissance et celle de leur Dieu commencèrent à pervertir les vivants. Étrangement, les humains n’étaient pas si compliqués à corrompre et c’est chez eux que ce fut le plus facile. Des rois, des reines se mirent à vouloir le monde. Les batailles furent coutumières au début, personne ne s’en inquiéta, on gagne, on perd un territoire, une normalité, non ? Antharus jouait dans l’ombre avec ses mages pour éradiquer des croyances entières. Certains Dieux aussi aigris que lui se joignirent à la danse dans le plus grand secret.

Et puis, une déesse périt. Elle fut avalée. Une déesse mineure, presque discrète, inexistante, mais bienveillante. La déesse des sources de Blois. Antharus éradiqua ses fidèles. Protectrice d’un cours d’eau dans la forêt de Blois , révérée par les Dryades de cette contrée, elle vivait reculée et solitaire. Quand les soldats pénétrèrent la forêt pour conquérir la terre, quand le roi mage prit la vie de la dernière Dryade, Antharus parvint à gober la déesse. La terre qu’elle protégeait se meurtrie et se détacha du continent, dériva sur les flots, se morcela et le bois devint effrayant…

 

Après cette mort, la guerre des Dieux débuta.

 

Cette guerre allait faire entrer Ankalus dans une ère sombre ou des peuples entiers allaient périr. Pour combattre toutefois, les Dieux furent contraints d’envoyer la progéniture qu’ils avaient eue avec des mortels. Les Divinités étaient effrayées, car les mages d’Antharus étaient puissants, galvanisés par leur Maître. Leurs mages étaient moins puissants, moins préparés, mais leurs enfants…la guerre fut ignoble, les Dieux voulaient survivre, il n’y avait que cela et quand Liandra entra dans la bataille, elle pensa d’abord à retrouver la paix qu’elle avait connue.

Une paix magnifique et calme. Comme toute enfant de Dieux, elle voulait que sa Mère soit fière. Mais inutile de dire que tout ne se déroula pas comme elle l’avait espéré. Antharus la corrompit, malgré elle, dans un guet-apens bien mené, elle fut capturée et emmenée auprès du Dieu. Dans un baiser mortel, il fit germer la corruption en elle, la poussa à devenir son bras armé et il se forgea une armée commandée par la Maîtresse de la Compagnie des Sept.

 

Toutefois, tout au fond d’elle, Liandra était plus forte. Elle provoqua la mort, des tueries, des massacres, le sang se déversa et rougit la terre, coula dans les rivières, mais il y avait toujours une petite trace, une infime aide qui était posé derrière elle afin de guider sa compagnie vers un minuscule espoir de victoire.

 

La compagnie des Sept, celle avec laquelle elle guerroyait, menée alors par Sagremor finit par comprendre que le but d’Antharus était d’atteindre les Divinités Créatrices. Celles-ci s’étaient retirées du monde depuis longtemps, soucieuses d’observer alors leurs créations et d’assister à tous les possibles. Elles avaient fait le choix de ne plus intervenir. Isolées dans des terres lointaines au cœur de l’Océan des Esopes, les Dieux ne pouvaient s’y rendre, précaution prise par Kell pour que Kerobor ne vienne pas sans cesse. Au début, Antharus pensait qu’en malmenant ainsi le monde, leur si belle création, les Divinités allaient venir d’elles-mêmes, mais au lieu de cela, il n’en fut rien. Alors il envoya Liandra…pour leur faire directement face. Si les Dieux ne pouvaient se rendre là-bas, leurs progénitures si.

 

Personne ne sut exactement ce qu’il s’était passé, personne ne put empêcher le voyage de Liandra, personne ne sut pourquoi, pendant quelques secondes, le monde entier trembla et quand la guerrière revint sur Ankalus, elle était couverte de sang. Sortant des ombres qu’elle pouvait manipuler à sa guise, elle se présenta au royaume, le monde allait revenir entre aux mains du Dieu et l’on pensa alors, que c’était la fin.

 

Pourtant, dans ces derniers instants d’une bataille perdue d’avance, elle planta dans le corps d’Antharus une dague écarlate, fait d’un minerai inconnu qui se logea dans son cœur. Antharus se figea, tomba au sol et la guerre pris fin.

 

Un souffle s’abattit sur le monde et balaya tous les ennemis. Tous les Dieux et Déesses du camp d’Antharus furent soufflés, éclatés, ils disparurent en des grains de poussière semés aux vents. Les partisans mages, humains, créatures…et bien ce fut au petit bonheur la chance pour ceux-là. Certains traitres furent capturés et leurs morts furent spectaculaires. D’autres eurent plus de chance ou se terrèrent qui sait ce qu’ils devinrent. Kerobor exigea de Liandra qu’elle parle, mais elle ne fit rien. Tout aurait pu se terminer ainsi, mais les Dieux ordonnèrent qu’elle se justifie. Fatiguée, lasse, elle les envoya se faire foutre, avec une délicatesse que l’on ne pouvait lui reprocher et quant à bout de nerf, elle porta sa lame sous la gorge de Kerobor, elle lui rappela qu’elle avait probablement sauvé le monde. Hélas, cela ne lui retirait pas tous ces crimes selon lui.

 

L’ingratitude des Dieux lui éclata en pleine gueule. La vérité, c’est qu’elle ne pouvait parler, un serment Divin avait scellé ses lèvres sur ce qu’il s’était passé sur l’île. Mais ça, c’était impossible à révéler. Les Dieux ordonnèrent, exigèrent et la compagnie dut « terminée » la quête qui avait été ordonnée. Ses amis durent de se retourner contre elle, sauf Euphérus qui refusa et en paya le prix.

 

Une bataille s’engagea, et quand Sagremor y prit part, sur ordre de son père, le cœur et l’esprit de Liandra éclatèrent. Elle se laissa porter un coup fatal, l’obligeant à assumer son acte quand il lui planta son épée. Pourtant, alors que Miraï venait prendre son âme et l’emmenait dans son royaume d’Ether, alors que Sagremor pleurait en la tenant dans ses bras, elle ne périt pas. Les ombres l’englobèrent et elle disparut, Miraï furieux tenta de la suivre et réussi à la blesser. Le monde n’entendit plus parler de Liandra durant un long moment, elle trouva refuge chez sa mère qui secrètement la soigna. Les Dieux finirent par envoyer des gens sur l’île des Divinités Créatrices. Là-bas, ils y trouvèrent les corps endormis de Kell et du Dieu Roi, reposant calmement, main dans la main entourés des prêtres de leur culte qui, eux non plus, ne révélèrent rien.

 

 

Kerista, la déesse des ombres, mère de Liandra parvint à obtenir une sorte d’amnistie pour sa fille, car malgré tout, elle avait arrêté Antharus, mais ce fut bien tout. La seule reconnaissance fut pour elle un droit de survivre dans la plus grande des discrétions...

 

*****

 

« Comment ça, il se réveille ? Vous avez touché à la dague ?

-Non.

-Alors quoi ? Il n’y a que la dague qui peut le faire sortir de son sommeil et forcément quelqu’un a dû la toucher. Ce n’était pas toi le gardien ? T’as branlé quoi ?

-Kheïs est la gard…

-Vous auriez mieux fait de lui faire garder des chèvres ! »

 

 

Chapitre 02 

 

 

Le jeune garçon glissa entre les piliers de la salle. Sa chevelure blonde, presque blanche s’était échappée de l’attache en cuir et ne tenait plus que de moitié. Sa lèvre fendue, boursoufflée, lui avait laissé le goût du sang dans la bouche. La prochaine fois, il mettrait lui-même une raclée aux autres gamins du sanctuaire.

 

Du haut de ses presque dix ans, Lucaël était maigre, il pestait d’avoir pris de sa mère et de ressembler, selon lui, à un freluquet. En parlant de sa génitrice d’ailleurs, pour qu’elle ne le voie pas : sa chemise était sale et trempée à cause de la neige boueuse, sa lèvre, fendue. Il était totalement débraillé.

Si elle venait à croiser sa route, elle n’hésiterait pas à lui passer un savon. Quand son père n’était pas là, il devait supporter les exigences de la Gardienne. Mais il n’était pas une jolie statue que l’on préservait sur une étagère ! Oh non, elle ne pourrait pas toujours espérer qu’il reste son petit garçon !

Jetant un coup d’œil à gauche, puis à droite, il entreprit de traverser le hall principal à grande vitesse et une fois dans les appartements privés de sa famille, il pourrait se changer et appliquer ce baume miracle que son grand-père lui fournissait en cachette. Heureusement que le Dieu était là !

 

À cette heure-ci, tout était calme. Il détestait cet horaire du sanctuaire, dans le lieu creusé à même la montagne régnait l’odeur de l’encens qui prenait à la gorge. La sauge et le laurier, que les gardiens faisaient brûler en récitant leur cantique aux Divinités Créatrices, puaient, il n’y avait pas d’autre mot. Cela lui donnait mal aux sinus et l’impression de renifler des braises. Quand il serait plus grand, jamais de la vie il ne serait un gardien. Bordel non ! Lui il serait un protecteur, comme son paternel jadis et même s’il n'avait pas la carrure d’un guerrier tout en force, soit il l’obtiendrait, soit et bien tant pis, il serait un genre fourbe, tout en agilité. Comme son oncle Tealeach!

 

Bon. Sa mère devait être à l’office. Parfait !

Il rentra dans les appartements et soupira d’aise. Vivre au sein du sanctuaire d’Apalos n’était réellement pas de tout repos. Mais c’était ici qu’il était né et qu’il avait grandi. Sa mère, Kheïs était la Gardienne du sanctuaire, une place honorable offerte par les Dieux, elle devait garder l’œil sur le corps léthargique d’Antharus. Son père était un guerrier protecteur lui aussi, bien qu’il reconnaisse volontiers que ses aventures d’autrefois lui manquaient. Il ne se battait plus comme avant dans des affrontements d'envergure, la seule passe d’armes grandiose se résumait à l’entrainement régulier, quelques heures par jour, pour garder la forme.

 

Aujourd’hui, son père était sédentaire. Lucaël savait bien que cela le chagrinait, il voyait bien la manière dont son père parlait du passé. Comment le temps jadis des aventures sur les routes lui manquait !

Aujourd’hui, Sagremor disait seulement : j’ai une famille désormais. Parfois cela sonnait comme quelque chose de très affectueux et d’autre, mais Lucaël avait l’impression que cela cachait une condamnation. Il n’arrivait, du coup, pas à se faire à l’idée, si lui, plus tard, il voulait une famille.

 

Attention, il aimait la sienne, mais il comprenait bien que cela n’était pas non plus une partie de plaisir. Il n’était pas idiot, il entendait ses parents se disputer, et d’ailleurs, la dernière dispute avait été froide, juste avant le départ de son père.

Mais quelque chose n’allait pas, il le voyait bien, le sanctuaire était électrique, sa mère avait du souci. Il reconnaissait son tracas, ses traits prenaient un air grave, soucieux et son joli bout de nez n’était dès lors plus aussi mignon et mutin qu’à son habitude. Enfin, tout cela, c’était probablement des histoires qui ne le concernaient pas.