Ecologie, préparons-nous à un changement radical - SSF Semaines sociales de France - E-Book

Ecologie, préparons-nous à un changement radical E-Book

(SSF) Semaines sociales de France

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Beschreibung

Face à l'urgence planétaire de la transition écologique, nous pouvons ressentir de la peur ou de la colère, de la culpabilité ou de la résignation... Certains posent des actes "radicaux". D'autres se réfugient dans l'indifférence. Entre ces deux attitudes, beaucoup essaient de faire "au mieux" en fonction de leur compréhension de la situation. A l'appel du pape François, la 97ème Rencontre des Semaines sociales de France qui s'est déroulée à l'Université catholique de Lyon du 24 au 26 novembre 2023 a nourri la réflexion et racé des pistes d'action pour tous ceux qui veulent s'engager pour une écologie intégrale. Avoir la lucidité du constat scientifique, entendre le cri des jeunes génération et des plus pauvres, comprendre l'engagement militant, accepter la complexité des solutions à mettre en oeuvre, creuser les pistes d'actions possibles, se sentir vivant et relié... articulant retranscription des conférences, des tables rondes et aperçu des initiatives de terrain et des conférences, des tables-rondes, ces Actes veulent contribuer à la réflexion aux fondements solides, tendue vers l'action, la recherche du Bien commun et un changement radical.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Table des matières

O

UVERTURE

Père Olivier Artus

Grégory Doucet

Bernadette Angleraud

Isabelle de Gaulmyn

F

ACE À L

'

URGENCE ÉCOLOGIQUE

,

DES RÉPONSES RADICALES

Crise climatique : un constat à partager

Gerhard Krinner

Crise écologique : le cri d’un militant

Charles de Lacombe

Urgence écologique : dialogue avec des acteurs engagés

Marie-Hélène Lafage

Antoine Vermorel-Marques

Charles de Lacombe

Antoine Seigle-Ferrand

Se mettre en mouvement avec

Laudato si’

P. Xavier de Benazé, sj

Laura Morosini

Une petite histoire de la radicalité et de ses acceptions

Juliette Grange

Bigger than us

,

film documentaire

Flore Vasseur

U

RGENCE ÉCOLOGIQUE

,

QUI VA NOUS SAUVER

 ?

Individus/Entreprises/Pouvoirs publics/Qui a la solution ?

Sophie Dubuisson-Quellier

Institutions financières et politiques/Frein ou accélérateur ?

François Villeroy de Galhau

Lucile Schmid

Se mettre en mouvement avec

Laudato si’

P. Xavier de Benazé, sj

Laura Morosini

L

A TECHNOLOGIE VA

-

T

-

ELLE NOUS SAUVER

 ?

Virginie Cartier

Guy Le Bras

Emmanuel Hugo

L

ES PREMIERS PAS DU CHANGEMENT

Changer de vie radicalement

Etienne Villemain

Maxime Pawlak

Notre lien au vivant

Jean-Philippe Pierron

O

SONS UNE ÉCOLOGIE INTÉGRALE

L’écologie intégrale, une approche radicale ?

P. Olivier Artus

Partir des plus pauvres pour changer radicalement

Fr. Fréderic-Marie le Méhauté

Acteurs pour une écologie intégrale ? Des pistes

Lucie Pinson

Sophie Robert-Velut

Martin Durigneux

Bruno Bernard

Se mettre en mouvement avec

Laudato si’

P. Xavier de Benazé, sj

Laura Morosini

P

AS DE CHANGEMENT RADICAL SANS JUSTICE SOCIALE

Quelle stratégie économique pour une transition écologique juste ?

Boris Le Hir

Justice climatique, une solidarité planétaire

Marine de Guglielmo Weber

Sylvie Bukhari-de Pontual

Michelle Abe

Se mettre en mouvement avec

Laudato si’

P. Xavier de Benazé, sj

Laura Morosini

Écologie ? Oser des changements radicaux en maintenant le contrat social

Philippe Lamberts

François-Xavier Bellamy

Conclusions

Isabelle de Gaulmyn

Lettre du Vatican

T

ABLES INSPIRANTES

A

NNEXES

Appel des Semaines sociales de France

Appel de Lyon

L’histoire, les hommes, l’activité des Semaines sociales

Les sessions des Semaines sociales de France

Index des intervenants

Ouverture

PÈRE OLIVIER ARTUS

GRÉGORY DOUCET

BERNADETTE ANGLERAUD

ISABELLE DE GAULMYN

PÈRE OLIVIER ARTUS1

Je suis très heureux de vous accueillir dans cette université catholique, dans laquelle vous avez souhaité, Madame la Présidente, organiser les Semaines sociales 2023. Je vous remercie de ce choix, et je voudrais tout d’abord vous présenter en quelques mots l’UCLy.

Il y a le lieu dans lequel nous nous trouvons, le campus Saint-Paul, une ancienne prison vendue par l’État en 2011, et inaugurée comme campus universitaire fin 2015. Une prison qui devient une université, la chapelle des prisonniers qui devient la chapelle des étudiants, c’est tout un symbole.

Mais le lieu n’existe et ne trouve son identité que par ceux qui l’habitent. L’univer-sité catholique de Lyon, l’UCLy, rassemble aujourd’hui 9 000 étudiants et accueille un peu moins de 3 000 auditeurs. Notre but n’est pas de grandir indéfiniment, mais d’avoir une présence significative à Lyon, une présence significative dans le contexte du monde universitaire lyonnais. Une présence significative, c’est-à-dire être un lieu porteur de sens, au coeur de cette métropole lyonnaise, sans oublier la ville d’Annecy, dans laquelle nous avons ouvert un campus il y a trois ans.

Qu’est-ce qui caractérise l’UCLy ? Je le résumerai en quatre traits principaux.

• Tout d’abord, le projet de proposer aux jeunes une « formation intégrale », pour reprendre une formule chère au pape François. Une formation intégrale, c’est-à-dire une formation qui ne se limite pas à la préparation d’un exercice professionnel, mais qui vise également une formation humaine, permettant d’avoir un regard large sur les réalités de notre monde, et d’acquérir des outils de discernement.

• Deuxième caractéristique : la volonté de croiser l’expérience d’unités de formation classiques, en humanités, en sciences, en théologie, des unités de formation qui s’appuient sur la recherche ; croiser leur expérience avec celle d’écoles professionnelles qui cultivent des liens étroits avec le monde de l’entreprise et le monde du travail social. En somme, il s’agit d’articuler recherche et recherche/action. Ne pas demeurer enfermés dans un monde universitaire clos, mais entrer en dialogue avec des réalités sociales.

• Troisième caractéristique : la pluridisciplinarité. Nous avons construit, il y a 4 ans maintenant, une unité de recherche, labellisée par l’État, dont la caractéristique est de croiser les disciplines : sciences et sciences humaines. L’intuition est que les grands défis contemporains nécessitent une approche pluridisciplinaire, et c’est bien de cette manière que les Semaines sociales vont aborder la question de l’écologie.

Pour notre part, nous avons fondé une chaire dédiée à la question des vulnérabilités, une chaire qui connaîtra en avril prochain son colloque final, consacré au thème de l’ « effondrement des systèmes et des lieux de résilience et d’espérance », une chaire qui a permis de mieux comprendre à quel point « tout est lié » : éducation, santé, écologie, politique, économie, etc.

• Quatrième et dernière caractéristique, mais j’aurais pu la citer en premier car elle porte tout le reste, nous sommes une université catholique, c’est-à-dire fondée et accompagnée par le Saint-Siège et par 23 évêques fondateurs de la région sud-est de la France.

Qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui, une université catholique ? C’est une question que nous avons eu l’occasion d’approfondir avec nos évêques fondateurs. Nous en sommes venus au constat que les universités catholiques représentaient sans doute aujourd’hui en France les derniers lieux qui ont les moyens humains de réfléchir l’articulation entre tradition chrétienne et culture contemporaine.

Comme vous le savez sans doute je suis bibliste, et je fais le constat d’une certaine ex-culturation de la Bible dans notre société – une sortie de la culture. Il s’agit donc pour nous de trouver des terrains de dialogue anthropologique avec ceux qui ne partagent pas notre foi, mais qui se trouvent confrontés aux mêmes défis sociaux. Et je me réjouis, Monsieur le Maire de Lyon, cher Grégory Doucet, que ce type de dialogue puisse avoir lieu entre nous.

Évidemment, une autre mission des universités catholiques est de contribuer à l’inclusion sociale. Mission difficile car nous ne sommes quasiment pas subventionnés par l’État, et ce sont donc les familles des étudiants qui nous financent. Mais ici, à Lyon, il y a un fort engagement social des entreprises qui permettent d’accueillir dans notre université de nombreux jeunes qui n’auraient pas les moyens de financer leurs études. L’archevêque de Marseille, le cardinal Aveline, me demande souvent ce que nous pouvons faire pour les quartiers nord de cette ville, et la réponse est plus difficile qu’à Lyon.

J’en viens à l’occasion qui nous rassemble et au thème que vous avez choisi pour ces journées. Le titre de cette première journée commence par l’expression « Face à l’urgence ». Oui, il y a urgence. L’UCLy a signé le 28 septembre dernier l’accord de Grenoble. Il s’agit d’une initiative étudiante, née à Grenoble et engageant les universités qui la signent à se faire labelliser « Développement durable et responsabilité sociétale (DDRS) » dans les meilleurs délais, et à se doter d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs permettant d’accompagner la transition écologique. Nous avons pris la décision de signer cet accord à l’issue d’une enquête sur la qualité de vie étudiante, que nous avons réalisée l’an dernier. Dans les vingt groupes de travail qui se sont exprimés, l’inquiétude liée à la transition écologique a été, dans tous les cas, citée en premier. La question posée par ces Semaines sociales est une question prioritaire pour la jeunesse, et il est heureux que vous vous réunissiez dans une université. J’espère que ce lieu permettra des rencontres fructueuses avec la jeunesse et les étudiants.

Je parlais tout à l’heure des ressources de la tradition chrétienne, nous y reviendrons sans doute au cours de ces journées, mais laissez-moi simplement partager l’un des résultats des travaux de la chaire « Vulnérabilités » que j’évoquais tout à l’heure. Plus nous avancions dans nos échanges, et plus nous étions conduits à distinguer deux anthropologies qui se trouvent en débat, et même en opposition dans notre société, deux anthropologies qui sous-tendent des comportements opposés face à la crise écologique. D’un côté, une anthropologie de la gratuité, dont on trouve l’attestation dès les premiers chapitres du texte biblique – dans le livre de la Genèse, le cosmos et la vie humaine sont des dons divins, et le corollaire de cette affirmation est la mise en place d’une économie du don, d’une économie qui refuse de faire de la propriété des biens un absolu. Cette affirmation est une constante de l’Ancien comme du Nouveau Testament.

Face à cette anthropologie du don, et en contradiction avec elle, se développe une anthropologie de l’autonomie absolue de l’être humain, dont le corollaire est une logique d’appropriation, qui est source de violence dans les relations humaines. La cause ultime des guerres est bien sûr le désir de possession : possession de la terre, possession des richesses, possession de l’eau.

En évoquant brièvement les premiers chapitres du livre de la Genèse, je remonte à la racine de notre foi, la Bible hébraïque, dont la réponse au défi écologique est sans ambiguïté : la terre n’appartient pas à l’humanité, elle lui est donnée, et l’humanité en a désormais la responsabilité concrète. Ce détour biblique vient ainsi illustrer et appuyer le titre de cet après-midi : « Face à l’urgence, des réponses radicales ».

Merci encore de votre présence à Lyon. Je nous souhaite de très bonnes journées d’échanges et de réflexion dans cette université catholique.

GRÉGORY DOUCET2

Je suis ravi que ces Semaines sociales puissent se tenir à Lyon, parce que Lyon est une grande ville de solidarité, engagée pour autrui, pour faire en sorte que chacun y trouve sa place. Ce n’est pas pour rien que nous sommes la ville de l’abbé Pierre mais nous pourrions remonter dans l’histoire, avec l’émergence du mouvement mutualiste au xixe siècle. Vous êtes sur un terreau très fertile pour toutes les initiatives sociales. Merci d’être à Lyon pour parler d’écologie. Le titre de ces Semaines sociales me réjouit en tant que maire écologiste, mais il me fâche aussi un peu, ceci dit avec malice. En effet, à Lyon, nous ne nous préparons pas aux changements radicaux, nous sommes en train de les réaliser et je voudrais les illustrer.

Nous mettons en place dans toutes les crèches lyonnaises une alimentation pour les enfants les plus jeunes intégralement biologique. Nous n’utilisons plus de produits chimiques pour le nettoyage, mais de bonnes vieilles recettes à base de vinaigre. Nous supprimons tous les plastiques susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens. Nos produits bio sont aussi, pour la majorité d’entre eux, issus d’exploita-tions locales. Nous achetons viandes et légumes autour de Lyon. Nous contribuons ainsi au renforcement des filières bio locales. Les agriculteurs avec lesquels nous travaillons au quotidien en sont plus que ravis parce que nous leur permettons de vivre dignement de leur exploitation. Voici donc un changement radical qui n’est pas nécessairement visible, mais qui concerne 5 000 jeunes enfants dans les crèches.

L’autre changement radical est la végétalisation massive de la ville qui est en cours. Nous avons regagné trois hectares sur le bitume, que nous allons planter. Cela se fait, certes, au détriment de quelques places de stationnement, mais aussi en réhabilitant une cour d’école. Nous aurons réalisé, à la fin de l’année, vingt « cours nature », transformant des cours de récréation en espaces végétalisés. Vous rétorquerez qu’il ne s’agit que de petits gestes dispersés dont vous douterez du caractère radical. La radicalité se trouve dans l’ampleur de ces changements, obtenue par la mise en cohérence de nos politiques. Il me tient à coeur de faire de Lyon la ville des enfants. Nous avons mis en place des rues des enfants devant les écoles dont bénéficie aujourd’hui un tiers des écoles lyonnaises. La rue des enfants est soit piétonnisée, soit totalement apaisée, c’est-à-dire avec une circulation très ralentie. Cela donne l’occasion de faire un projet de végétalisation auquel les enfants sont associés, du dessin à la réalisation. Nous faisons ainsi des petits Lyonnais et Lyonnaises des citoyens en devenir ayant le pouvoir d’agir sur leur quotidien. Le dernier exemple qui me tient particulièrement à coeur est l’importance que nous accordons au fait que ce que nous faisons à Lyon puisse être une source d’inspiration et une véritable contribution. Face au péril du changement climatique, j’ai décidé d’engager il y a un an la ville de Lyon dans un programme de la Commission européenne, 100 villes climatiquement neutres et intelligentes pour 2030. La ville s’est donné pour objectif la neutralité carbone d’ici 2030, ce qui est un sacré défi. Les émissions de CO2 directement liées à l’activité de la mairie en tant qu’administration ne représentent que 5 % des émissions du territoire, il faut donc aller chercher les 95 % restants. Nous allons les chercher grâce à vous, au monde académique qui est très investi dans ce programme intitulé Lyon 2030, grâce aux entreprises, que ce soit les transports, la banque, le bâtiment, etc. Nous les avons embarqués dans une instance, Agora Lyon 2030, qui vise à fédérer toutes celles et ceux qui ont décidé de relever ce grand défi de la neutralité carbone avec nous, universités, entreprises, associations, grandes écoles ou même simples collectifs.

Cette radicalité à laquelle vous allez vous préparer pendant trois jours a besoin de se concrétiser. Je vous envoie un message d’encouragement pour rejoindre cette grande démarche d’atteinte de la neutralité carbone parce que nous aurons besoin pour ce faire de tout le monde.

BERNADETTE ANGLERAUD3

Les Semaines sociales de France reviennent dans la ville où elles sont nées il y a 119 ans, portées sur les fonts baptismaux par un Lyonnais, Marius Gonin, et un Lillois, Adéodat Boissard. Lyon et Lille sont deux villes marquées par l’histoire industrielle et ouvrière, et terreau du christianisme social. De là un ADN lyonnais, avec la volonté de s’engager dans les questions de société, en s’appuyant sur le message de l’Évangile, sur la pensée sociale chrétienne.

Je voudrais évoquer quelques figures lyonnaises qui incarnent ce christianisme en prise avec les questionnements de son temps. Il en est de nombreuses, d’Ozanam à l’abbé Pierre, mais ces trois figures contemporaines ont marqué notre histoire lyonnaise récente et aussi celle des Semaines sociales.

Emma Gounot, qui nous a quittés en 2017, participait dès l’âge de 19 ans aux Semaines sociales de 1936, « Les conflits de civilisation » aux côtés de son père, Emmanuel Gounot. Elle a eu, à bien des égards, un parcours assez exceptionnel pour une femme. Enseignante à la faculté catholique de droit, à 22 ans, tout en menant une carrière d’avocate, n’hésitant pas à défendre des causes difficiles. Ainsi, en 1942, elle défend les journalistes de Combat et de Témoignage chrétien dont Emmanuel Mounier. On la retrouve ensuite dans la défense des membres du FLN. C’est aussi elle qui sera la première directrice de l’Institut des Sciences de la famille, créé en 1973, à l’université catholique de Lyon, pour réfléchir sur la question de la famille dans un monde qui évolue. C’est elle qui mettra en place une formation pluridisciplinaire (juridique, psychologique, sociologique) pour répondre aux besoins des professions concernées par la loi Veil. Ces engagements se nourrissent dans la pensée sociale chrétienne, comme en témoigne le fait qu’Emma Gounot ait été la première femme secrétaire générale des Semaines sociales, poste qu’elle occupa de 1953 à 1972. C’est aussi naturellement qu’elle a été membre engagé de l’antenne sociale de Lyon, à laquelle elle a participé jusqu’à plus de 90 ans.

Hugues Puel, qui, à plus de 90 ans, s’est retiré à Paris chez les dominicains, est un dominicain et économiste, qui a été enseignant à l’université Lyon 2. Il a été directeur général d'Économie et humanisme de 1969 à 1973, fondé par un autre dominicain, Louis-Joseph Lebret, avec la volonté de replacer l’homme au coeur de l’économie, dans un contexte où l’économie devenait de plus en plus technicienne, déshumanisée. Hugues Puel a publié de nombreux ouvrages et a été membre actif de l’antenne sociale, où sa réflexion et son esprit critique ont nourri de nombreux débats.

René Valette a été président de l’antenne sociale, géographe et économiste. Professeur de démographie et de géopolitique à l'Institut d'Études sociales de l'université catholique de Lyon, puis vice-recteur honoraire de cette université. Ces responsabilités sont le fruit de son expertise et de son engagement dans la question du développement ; il a été président national du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), engagé dans la question du développement, d’une solidarité internationale, et cela parce qu’il a toujours, chevillé au corps, le principe de l’option préférentielle pour les pauvres, qu’il ne cesse de nous rappeler dans les réflexions menées à l’antenne. Tous les trois sont des personnalités phares, qui nous ont ouverts à des problématiques majeures (les questions sociétales, politiques, économiques, le développement) et qui sont autant de témoins d’un christianisme engagé.

C’est sans surprise que l’antenne sociale de Lyon s’est engagée sur la question, ô combien d’actualité, de l’écologie en participant à la préparation de la rencontre, mais aussi en appelant à l’engagement, ce dont témoigne l’Appel des 20, signé par 20 associations locales qui ont rédigé ensemble un texte appelant à une mobilisation tant à l’échelle individuelle que collective (vous trouverez ce texte en annexe). Nous sommes heureux de cette session lyonnaise, fidèle à notre histoire.

ISABELLE DE GAULMYN4

Merci au recteur de la catho de Lyon avec qui nous collaborons depuis un an en préparation de cette rencontre. Merci à Grégory Doucet, maire de Lyon, qui nous permet de faire le lien avec le politique. Merci à Mgr Lagadec, représentant le diocèse de Lyon. Et un chaleureux merci à l’équipe de Lyon, que nous avons beaucoup sollicitée cette année. Aux Lyonnais présents, venez participer à cette antenne sociale de Lyon, la renouveler, l’action locale est primordiale. Merci enfin à l’équipe des Semaines sociales qui, depuis un an, se réunit pour faire travailler les gens ensemble et aboutir à ces trois jours de rencontre.

La thématique a fait l’objet de nombreuses discussions à propos de l’emploi du terme « radical ». Étions-nous capables de nous laisser interpeller, interroger, par les réactions d’une nouvelle génération, étudiants et jeunes adultes qui revendiquent une forme de radicalisation dans l’action écologique ? Certains parlent d’éco-terrorisme, ce qui nous paraît excessif. Mais il est vrai que nous sommes un peu déstabilisés par ce type d’actions. Nous avons donc voulu écouter et comprendre cette radicalité-là. Comprendre que, face à l’urgence et à la lenteur des réponses, il peut se produire une forme d’impatience et un appel à du radicalisme. À ce propos, je ferai trois remarques. D’une part, cela fait en quelque sorte partie de la tradition chrétienne. Jésus nous dit : « Ne perds pas ton temps à enterrer ton père, suis-moi. Quiconque ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple. » On demande au chrétien un engagement radical. Certes, le radicalisme n’est pas forcément dans l’ADN des Semaines sociales qui privilégient la discussion, le droit à la nuance, et font état de la complexité des choses, ce qui peut parfois s’opposer à une forme de radicalité. Faut-il donner la priorité à la fin du monde ou à la fin du mois, deux réalités qu’on oppose souvent ? Par ailleurs, nous sommes hostiles aux actions violentes, même si nous les comprenons. Nous sommes en démocratie et nous croyons au débat politique, à l’action collective, politique.

Nous avons été confortés dans notre décision par l’exhortation apostolique du Pape, Laudate Deum, publiée après le choix de notre thème, qui est une bonne piqûre de rappel. Le Pape nous rappelle l’urgence, nous exhorte à nous réveiller et à agir plus fortement. Il parle aussi de radicalité, qu’il explique et justifie un peu, je le cite : « Lors des conférences sur le climat, les actions de groupes fustigés comme radicalisés attirent souvent l’attention. Mais ils comblent un vide de la société dans son ensemble qui devrait exercer une saine “pression” ; car toute famille doit penser que l’avenir de ses enfants est en jeu. » (58) Nous pouvons mettre cette phrase en exergue de nos journées, car elle dit le cadre dans lequel nous nous situons.

Nous allons donc redire l’urgence. Nous savons que la situation se dégrade et que nous n’avons plus que quelques années pour agir. On peut observer dans de nombreux pays l’émergence d’un nouveau climato-scepticisme qui se répand dans des peuples qui ne veulent pas être les seuls à faire des efforts écologiques, qui ne comprennent pas toujours les exigences écologiques.

Concernant le recours à la technologie qui prétendrait nous sauver, le Pape a une critique extrêmement forte, parlant de « pragmatisme homicide ». À quoi sert vraiment la technologie ? Où sont les leviers de pouvoir ? Au niveau local, national, européen, international ? Au niveau des entreprises, de l’opinion publique, des individus ?

J’aimerais aussi que nous nous posions deux questions, qui nous permettent de parler d’espérance, car, de façon surprenante, il n’y a pas beaucoup d’espoir dans le texte du pape François. S’il est vrai que la conjoncture internationale ne nous incite pas à l’espoir, nous pouvons, malgré tout, donner des éléments d’espérance pour ne justement pas désespérer. La première réflexion serait de nous poser les questions suivantes : quel est le juste usage du progrès ? Faut-il parler de décroissance ? Comment contrôler le progrès pour que ses conséquences n'aggravent pas la situation ?

La deuxième réflexion concerne le niveau politique. On dit que la France ne fait pas trop mal, mais pas assez. Des efforts sont faits dans le cadre européen, mais le climat n’a pas de frontières. Dans les 9 tonnes de CO2 que nous, Français, émettons chaque année, la moitié provient des produits importés.

Il nous importe aussi de nous préoccuper des populations qui vont souffrir plus que nous, de promouvoir une forme d’écologie universelle. Comment porter cela à notre manière, en dialogue avec l’ensemble de la société ?

En vous remerciant, je déclare cette rencontre des Semaines sociales ouverte.

1 Le père Olivier Artus est recteur de l’université catholique de Lyon.

2 Grégory Doucet est maire de Lyon.

3 Bernadette Angleraud est présidente de l'antenne sociale de Lyon.

4 Isabelle de Gaulmyn est présidente des Semaines sociales de France.

Face à l'urgence écologique, des réponses radicales

Crise climatique : un constat à partager

GerhArD Krinner

GERHARD KRINNER5

Je vais vous raconter quelque chose que nous savons depuis bien longtemps : les émissions de gaz à effet de serre causent un réchauffement du climat. Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann, tous deux prix Nobel de physique en 2021, ont conduit, dans les années 1960, des travaux de prévision du changement climatique6. Ils ont montré que l’augmentation des émissions de CO2 conduit à une élévation de température dans la basse atmosphère (la troposphère) et à un refroidissement de la haute atmosphère. Manabe confirmait ainsi que la variation de température est due à des niveaux plus élevés de CO2. En effet, si la variation était due à une augmentation de la radiation solaire, l’atmosphère entière se réchaufferait. L’apport essentiel de Klaus Hasselmann fut de jeter les bases des méthodes de détection de « l’empreinte digitale » du changement climatique d’origine humaine. Cette empreinte digitale du changement climatique induit par une augmentation de l’effet de serre, prédite dans les années 1960, est aujourd’hui observée.

Je vais vous faire la synthèse des six rapports du Giec, dont le sixième cycle s’est déroulé entre 2015 et 2023. Cela représente 10 000 pages rédigées par un millier de scientifiques internationaux, tous actifs dans le domaine. Les rapports sont basés sur la littérature scientifique publiée, 85 000 articles cités, chacun de typiquement 10-15 pages, ce qui fait un million de pages condensées dans les rapports du Giec7 et que je vais vous condenser ici.

Où en sommes-nous ?

Les émissions de gaz à effet de serre continuent malheureusement à augmenter. Elles sont dues notamment à la combustion des combustibles fossiles, au changement d’utilisation des terres – avec la déforestation –, aux modes de vie, de consommation et de production. Nous arriverons peut-être, cette année ou l’année prochaine, à la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre qui, pour le moment, continuent à augmenter mais ne sont pas réparties de manière égale. Les régions anciennement industrialisées sont en tête de peloton, Amérique du Nord, Europe. En 2019, Américains du Nord et Australiens émettent encore beaucoup, l’Europe a déjà diminué. L’Asie de l’Est arrive massivement. Il y a une forte disparité historique, entre les régions et à l’intérieur même des pays. Au niveau global, 10 % des ménages ayant l’empreinte carbone la plus élevée émettent environ 40 % des émissions mondiales tandis que 50 % – ayant l’empreinte carbone la plus faible – émettent environ 14 % des émissions mondiales. Rappelons que les plus vulnérables sont ceux qui contribuent le moins à l’émission de gaz à effet de serre.

Le Giec prend comme référence les années 1850-1900. Sur la moyenne des dix dernières années, nous sommes arrivés à 1,15 °C de réchauffement par rapport à cette période. Nous voyons aujourd’hui des températures que la Terre n’avait pas vues depuis 100 000 ans environ. L’année 2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée. C’est dû à l’activité humaine, il n’y a plus aucun doute scientifique raisonnable à ce sujet. Ce n’est plus une hypothèse, c’est un fait scientifique. Les émissions de gaz à effet de serre ont réchauffé le climat de 1,5 °C depuis la période de référence.

L’autre contribution humaine est l’émission d’aérosols, des petites particules de pollution, essentiellement des sulfates qui, en refroidissant, forment une sorte de parasol et bloquent le rayonnement solaire. Ces deux facteurs jouent et l’ensemble produit un réchauffement. Les facteurs naturels sont négligeables sur cette période, l’activité solaire ayant même diminué ces quatre dernières décennies.

On utilise des modèles de climat, des codes numériques, un peu comme les modèles de prévision météorologique qui permettent de calculer l’évolution du climat contrefactuelle, celle que nous aurions eue sans l’impact de l’homme. Il n’est pas possible d’expliquer le changement climatique autrement que par l’activité humaine – les facteurs naturels sont trop faibles.

Ce changement climatique entraîne des événements extrêmes plus fréquents et plus intenses. Les vagues de chaleur vont augmenter partout dans le monde, certainement dues à l’activité humaine. Cette cause est relativement évidente aussi pour l’augmen-tation des pluies extrêmes, et moins pour les sécheresses qui ne vont pas augmenter partout. Certaines régions y sont très exposées, les régions méditerranéennes par exemple, qui verront en même temps une augmentation des pluies extrêmes. Vous me direz que les récoltes ont augmenté ces 40 dernières années, mais c’est globalement parce que les techniques ont avancé. En fait, le changement climatique a réduit l’augmentation des récoltes au niveau global. Les effets négatifs sont bien là.

Quels sont les avenirs possibles ?

Je suis physicien, je ne peux pas savoir quelles seront nos émissions de gaz à effet de serre au cours de ce siècle. Ce sera la conséquence des décisions politiques et de nos actes individuels communs. Nous faisons des hypothèses d’évolution, appelées scénarios. Nous en avons fait cinq : un scénario vertueux, celui du pire, et des scénarios intermédiaires. Nous les mettons dans nos ordinateurs, des supercalculateurs très puissants. Le résultat offre une simulation des températures et des précipitations sur une centaine d’années.

Ce qui est intéressant, c’est la question du « net zéro », quand on arrive à zéro émission nette de CO2, la neutralité carbone. Dans le scénario vertueux, on arrive à un moment au net zéro, c’est-à-dire qu’on compense les émissions restantes par des opérations techniques ou la croissance stimulée des forêts, grâce à une forte réduction de nos émissions. On voit que le moment du net zéro est assez précisément le moment où l’on stabilise le climat, où on a arrêté de foncer dans le mur, mais sans revenir pour autant au climat d’avant. Autrement dit, la quantité de CO2 émise depuis le début jusqu’au moment où on arrête d’en émettre détermine le maximum de réchauffement, il n’y aura pas de réchauffement substantiel supplémentaire après ce moment du « net zéro ». C’est ce qui nous permet d’établir le budget carbone.

Le budget carbone de l’humanité

Donc on sait que la quantité totale de CO2 émise détermine le niveau du réchauffement, et on sait combien de réchauffement additionnel cause une tonne d’émissions de CO2 supplémentaire. C’est ce qui permet de calculer la quantité de carbone que nous pouvons encore émettre tout en limitant le réchauffement global à 1,5 °C : ce calcul montre qu’il reste 500 gigatonnes de carbone à émettre, à distribuer entre les 7 milliards d’humains. Vu le taux d’émissions actuel, ce budget carbone résiduel pour rester en dessous de 1,5 °C sera bientôt (dans moins de 10 ans) complètement épuisé et le budget résiduel pour 2 °C sera largement entamé. Construire de nouvelles infrastructures pétrolières n’a donc aucun sens si nous voulons limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Nous sommes aujourd’hui sur une trajectoire vers 3 °C de réchauffement. Pour limiter le réchauffement à moins de 1,5 °C, il faut réduire immédiatement, durablement et fortement les émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs. Malgré tout, certains changements seront irréversibles et se poursuivront pendant des siècles et des millénaires. La hausse du niveau moyen de la mer est irréversible, mais le rythme peut être ralenti dès ce siècle.

Comment agir plus vite

Il existe de nombreuses options pour intensifier rapidement l’action en faveur du climat. Des actions doivent être entreprises dans tous les domaines et à toutes les échelles, individuelle, ville, pays, monde. Si on mettait en place toutes ces actions conjointement, on arriverait à limiter le changement climatique à 1,5 °C. On observe aussi que ces actions ont des co-bénéfices et profitent à d’autres objectifs parmi les 17 objectifs durables que les Nations unies se sont fixés. Prenons pour exemple la réduction de l’utilisation de la voiture qui améliore automatiquement la qualité de l’air. Une action forte et rapide est possible, y compris en ce qui concerne l’atténua-tion de la demande : frugalité, sobriété. Un développement sûr et durable, qui inclut l’adaptation et l’atténuation des dommages, nécessite une coopération internationale plus intense offrant des ressources financières suffisantes aux pays les plus vulnérables, une gouvernance inclusive et des politiques coordonnées. Les politiques publiques et les infrastructures ont un rôle essentiel à jouer pour rendre possibles des modes de vie à faible émission de carbone. Les capacités de financement sont là, à condition de vaincre les résistances à rediriger le capital vers l’action climatique. Toute une série d’actions à court terme, dont certaines sont peu coûteuses, sont possibles et efficaces. Nos choix d’aujourd’hui auront des effets dans des siècles et des millénaires.

Débat

TABLE DES QUESTIONS : Nous ne voyons pas comment vous apportez la preuve de la responsabilité humaine sur le plan scientifique. Vous « attribuez » le changement climatique aux activités humaines. Quelle en est la certitude ?

GERHARD KRINNER : C’est aussi certain que demain le soleil va se lever. C’est un fait scientifique. Quand le premier rapport du Giec a été écrit il y a 30 ans, on pouvait éventuellement attribuer le changement observé à la variabilité naturelle. Aujourd’hui, le changement est tellement fort et la science a tellement évolué qu’on sait avec certitude qu’il est dû aux activités humaines. Cela repose sur les méthodes des « empreintes digitales », dans le temps et dans l’espace. Le changement climatique induit par les gaz à effet de serre a une signature, « empreinte digitale » spatiale extrêmement claire celle prédite par Manabe dans les années 1960 et observée aujourd’hui. On sait aussi à quelle période les émissions des aérosols les plus fortes ont refroidi le climat. En effet, durant les « trente glorieuses », on a observé une signature du refroidissement particulièrement forte dans les zones industrielles en Europe et en Amérique du Nord. Ce genre de méthodes sur les « signatures » spatiales et temporelles nous permet de travailler sur des méthodes statistiques d’attribution. C’est pour ce travail que Klaus Hasselmann a reçu son prix Nobel de physique.

– Que pensez-vous de l’option nucléaire pour agir pour le climat comme le suggère Mr Jancovici ?

GERHARD KRINNER : Concernant l’énergie nucléaire, d’une part, elle coûte très cher. D’autre part, son potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030 est faible, car il faut beaucoup de temps pour planifier et installer une centrale nucléaire – et pour le climat, il faut agir vite, nous n’avons plus de temps à perdre. Si on ne raisonne que pour le climat, le nucléaire est une bonne chose car cela émet zéro carbone, mais bien d’autres facteurs doivent être pris en compte.

– Où en est la science sur le déclenchement d’un effet de serre galopant ?

GERHARD KRINNER : Aucune littérature scientifique ne montre la possibilité d’un emballement soudain et brutal. On peut donc l’exclure au moins pour les prochaines centaines d’années. Cela pourrait arriver dans quelques milliards d’années quand le soleil deviendra très fort, que les océans s’évaporeront. En revanche, des effets de bascule régionaux sont possibles, notamment une Amazonie qui s’assèche pourrait ne plus être une forêt tropicale et devenir une zone de savane. Cela pourrait être le premier point de bascule régional dans les décennies qui viennent.

5 Gerhard Krinner est directeur de recherche CNRS – IPCC, membre du GIEC.

6https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/hasselmann-manabe-nobel-physique-2021/

7 Changement climatique 2021- Résumé pour tous (en français) à consulter et télécharger sur https:// www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/outreach/IPCC_AR6_WGI_SummaryForAll_French.pdfRésumé à l’intention des décideurs (en anglais) : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf

Crise écologique, le cri d'un militant

CHARLES DE LACOMBE

CHARLES DE LAcOmBe8

Gerhard Krinner est un scientifique qui a été mesuré dans ses propos. Il nous a aussi donné de bonnes nouvelles sur les éléments pour agir. Mais ce que la science nous dit de façon indéniable, c’est que nous sommes concrètement face à un « monde de merde ». Il a parlé à vos têtes, je vais essayer de parler à vos coeurs. Je suis d’une génération où l’écologie et l’environnement ont toujours été un peu là avec le tri des déchets, le fait d’éteindre la lumière en sortant des pièces, etc. J’avais 8 ans quand Jacques Chirac a déclaré : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » J’avais 13 ans pendant le fameux Grenelle de l’environnement. Mais je voyais un peu de loin cette maison qui brûle. En 2018, alors que je sortais de mon école d’ingénieurs, lors de ma première année de travail, suite à des discussion, lectures d’articles, visionnages de documentaires, l’avenir que j’envisageais devant moi en tant que jeune ingénieur, a volé en éclats. Subitement, je n’avais plus aucun avenir. J’ai compris que j’allais vivre dans un monde dans lequel, à tout moment, des vies pourraient être détruites par des catastrophes qu’on appelle naturelles, un monde qui pourrait être ravagé par des famines, le manque d’eau, des cataclysmes, des canicules, des guerres et des déplacements de population. Cela a été un choc. Quantité de jeunes ont compris cela depuis plusieurs années.

J’ai de la chance puisque, après avoir passé quelques mois dans un état de profonde colère, de tristesse aussi, face à une énorme injustice, j’ai pu faire le choix d’agir. J’ai trouvé des mouvements, des associations, des lieux où mettre ma colère et ma tristesse à profit pour faire changer les choses à mon échelle. Cela va mieux, même si je ressens une immense impuissance et, parfois, une certaine culpabilité.

À ce jour, nous devrions tous avoir saisi l’urgence de la situation, particulièrement ceux qui ont un peu de pouvoir. On constate pourtant qu’entre l’action et le déni, on choisit le déni. On connaît le problème, on connaît les solutions et même les bénéfices qu’apporterait l’action. On est parfois indifférent à ce qui se passe loin de nous. Mais la canicule que nous avons connue l’été dernier deviendra banale dans les prochaines décennies, de même que les inondations qu’a subies le Pas-de-Calais. La fréquence et l’intensité des phénomènes climatiques vont augmenter en France, même si nous sommes relativement préservés. La France ferait-elle mieux que les autres ? Je dirais que nous sommes parmi les meilleurs d’une classe de cancres, mais que c’est insuffisant. À l’occasion du Black Friday, le ministre de l’Écologie, Christophe Béchu, a lancé une très bonne série de clips d’informations, expliquant qu’on n’est pas toujours obligés d’acheter neuf, mais qu’on peut louer, réparer, acheter d’occasion ou ne rien acheter, ce qui relève du bon sens. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et Élisabeth Borne, première ministre, l’ont aussitôt attaqué, disant que c’était un scandale et qu’il ne fallait pas culpabiliser les Français.

Nous sommes face à un système qui favorise le réchauffement climatique : les nouveaux forages de pétrole financés par des banques à qui nous confions notre argent ; effet de la déforestation afin de cultiver du soja pour alimenter l’élevage industriel en France ; l'Amazonie, autrefois poumon vert de la planète, dégage désormais plus de CO2 qu’elle n’en capte ; les téléphones sur lesquels nous sommes vissés ; les produits fabriqués en Chine ou en Asie du Sud-Est ; les délocalisations qui recourent parfois à des formes modernes d’esclavage ou qui permettent d’ex-porter les émissions et pollutions liées à l’extraction des minerais. C’est contre tout cela que nous devons nous battre. Le changement radical dont nous avons besoin est une question de survie, de justice, de dignité humaine, comme l’a dit le Pape. Pour reprendre les propos de M. Krinner, nos choix d’aujourd’hui auront des effets pendant des siècles et des millénaires, sur nos vies, celles de nos enfants et petits-enfants. Je vous engage donc à choisir l’action, à vous rassembler pour agir ensemble.

8 Charles de Lacombe est informaticien, militant pour la justice sociale et environnementale au sein d'Alternatiba Rhône.

Urgence écologique, dialogue avec des acteurs engagés

CHARLES DE LACOMBE

MARIE-HÉLÈNE LAFAGE

ANTOINE SEIGLE-FERRAND

ANTOINE VERMOREL-MARQUES

JEAN-BAPTISTE COCAGNE9 : Que signifie la radicalité selon vous concernant l’écologie ?

MARIE-HÉLÈNE LAFAGE10 : On ne peut pas parler de radicalité sans parler, d’abord, de gravité – celle de la situation actuelle. Derrière la notion de radicalité, il y a l’idée de choix à poser, des choix fondamentaux (à la racine), ce qui fait écho, pour nous, chrétiens, à la radicalité de l’Évangile. Nous avons bel et bien des choix radicaux à poser vis-à-vis de la crise écologique. Ensuite intervient le débat sur les moyens d’action. La volonté d’utiliser des modes d’action plus radicaux vient d’une dissymétrie énorme entre la gravité de la situation et l’absence de changement. Cette question devient toujours plus brûlante : quels types de moyens employer, du côté des politiques comme des citoyens ?

ANTOINE VERMOREL-MARQUES11 : Deux définitions s’opposent et sont au coeur de cette table ronde. La radicalité au sens du retour à la racine, d’essayer de changer l’effet du comportement et surtout sa cause ; et la radicalité dans le changement qui ne souffre aucune exception ni atténuation. C’est une question philosophique, à laquelle nous répondrons chacun différemment. C’est une source d’éco-anxiété pour une partie de la jeunesse. Sommes-nous là pour préserver les conditions d’existence de la planète terre ou celles de l’être humain sur la planète terre ? Les deux ne s’op-posent pas, mais la place qu’on attribue à l’humain change complètement le débat. Je vais citer en exemple une émission de télévision à la fin de laquelle une militante activiste baignant dans l’éco-anxiété, se montrait très pessimiste, ce qui en termes de vision chrétienne, pose la question de l’espérance. Elle lâche finalement : « La seule solution individuelle à la décarbonation est le suicide personnel. » Le journaliste lui rétorque alors que « c’est un super sujet, qui pourrait faire le thème de la prochaine émission ». Tout dépend de l’endroit où vous placez le curseur de la radicalité, et si vous refusez toute exception ou atténuation, y compris vis-à-vis de la personne humaine, de nos libertés individuelles et de notre vie démocratique. La question du suicide, posée par cette militante avec beaucoup de force, était la question absolue. Heureusement, certains partagent encore une forme d’espérance.

ANTOINE SEIGLE-FERRAND1 : Je me reconnais bien dans ces deux définitions de la radicalité, dans l’idée de ne pas admettre l’exception. Le mot radical ne me fait pas peur, mais je comprends qu’il puisse interpeller, voire effrayer. Je me suis toujours défini comme radical. En effet je n’admets sur ce sujet qu’assez peu d’exceptions et de concessions. Derrière la réflexion sur la radicalité se trouve le positionnement de l’individu par rapport au collectif. Quand nous mesurons nos capacités d’action individuelles par rapport à l’ampleur du problème, nous pouvons nous décourager. La solution à ce découragement se trouve dans le collectif. La radicalité, c’est faire un choix clair et net, qui s’exprime par le collectif..

CHARLES DE LACOMBE2 : Je rejoins la définition donnée par Marie-Hélène. J’ajoute-rai une précision : l’objectif de cette radicalité est de conserver les conditions d’une vie civilisée et démocratique sur terre.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE : Pourquoi en vient-on à avoir des actions radicales ? De quoi la radicalité écologique est-elle le nom ? Marie-Hélène Lafage, qu’illustre le recours à la radicalité ?

MARIE-HÉLÈNE LAFAGE : Observons la situation de manière un peu froide. Il faut faire le constat d’un énorme échec institutionnel et politique : échec de la traduction concrète du Grenelle, de l’application de l’accord de Paris ; la convention citoyenne a été balayée et les marches pour le climat n’ont pas eu l’effet escompté. Cet échec est générateur d’un sentiment d’impuissance et, face à cela, il faut voir dans les choix de certains citoyens d’opter pour la désobéissance civile un sursaut citoyen et une volonté de ne pas laisser les choses en l’état. On peut discuter des moyens et de ce qu’ils produisent en termes d’effet démocratique, mais il faut d’abord les considérer comme une volonté de ne pas laisser les choses telles quelles. Ce qui est dramatique, c’est la spirale qui s’engendre entre l’inaction, un sentiment d’im-puissance, le questionnement sur des moyens radicaux, le passage à des actions qui engendrent des dégradations de biens et à des affrontements générant des atteintes aux personnes, pour parvenir, in fine, à des processus de criminalisation de ces actions qui réactivent l’inaction.

À quel moment sortons-nous de cette spirale ? On ne peut pas parler de la radicalité des personnes sans prendre en considération cette spirale de radicalité. Don Helder Camara évoque ainsi différentes formes de violence, je le cite : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » La question de la radicalité doit nous inviter à regarder comment désamorcer cette spirale dans notre société.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE : Antoine Seigle-Ferrand, faut-il acter la prise de conscience sur la faillite institutionnelle ?

ANTOINE SEIGLE-FERRAND : Je partage ce constat, mais il faut veiller à ne pas tomber dans un conflit de générations, car ce n’est pas une question d’âge. La radicalité est souvent présentée comme synonyme de violence. On peut avoir une pensée radicale, philosophiquement, intellectuellement, universitairement parlant, dans les choix que nous faisons, dans les moyens d’action. Comment s’exprimer ou manifester au niveau le plus local ou dans les métropoles ? La question de la désobéissance civile se pose dans l’organisation de manifestations. Mais comment la radicalité est-elle perçue ? Le premier moyen pour discréditer une pensée ou un positionnement est de le montrer violent. Pour combattre la pensée écologique ou les moyens d’action qui remettent en cause des puissances, on les montre violents, on les caricature en leur reprochant de vouloir retourner à la peau de bête et à la chandelle, on exhibe des images de destruction de biens. Le discours politique et médiatique sur la radicalité se construit. Il faut s’en extraire pour ne pas avoir une vision ridiculement binaire, avec les gentils et les méchants.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE : Antoine Vermorel-Marques, vous gravitez dans la sphère politique, quel est votre constat ?

ANTOINE VERMOREL-MARQUES : Collectivement, on peut tous considérer que c’est un échec. Est-ce l’échec d’un système démocratique ? La question se pose. J’ai 30 ans et donc une brève carrière professionnelle. La différence entre le citoyen et le politique, c’est que ce dernier est confronté à la transition quand il prend des décisions. On peut être dans une forme de radicalité, d’activisme, pour éveiller les consciences et faire en sorte qu’il y ait des changements, mais quand l’élu prend une décision, il est immédiatement confronté à l’acceptabilité sociale, notamment pour un changement de comportement qui induit une perte de pouvoir d’achat importante. C’est ce qui ralentit le processus. J’entends de plus en plus de discours très radicaux qui considèrent que le système institutionnel démocratique tel qu’on le connaît est inefficace sur le plan du changement climatique et qui appellent à des choix plus arbitraires. Je vous conseille le livre Collapsus de Thomas Bronnec12, dystopie intéressante en termes de réflexion sur les libertés individuelles, qui interroge sur ce qu’on souhaite préserver et comment on souhaite mener la transition. Les dernières grandes mesures que nous avons prises en Europe en matière environnementale viennent du parlement européen et de la commission européenne, qui ne sont pas considérés comme les instances les plus démocratiques de notre système institutionnel. Je reconnais que, tout en étant pro-européen, le fonctionnement de l’Europe n’est pas le plus démocratique comparé à l’échelon municipal ou national. Y aurait-il une opposition entre l’efficacité, une forme de radicalité et le processus démocratique qui nécessite de donner du temps à la délibération et à la solution ?

JEAN-BAPTISTE COCAGNE : Charles de Lacombe, espère-t-on que la radicalité soit plus efficace, plus porteuse de fruits dans la transition ?

CHARLES DE LACOMBE : Je reviens sur ce que disait M. Krinner, qui est fondamental. Le moment où on arrive au net zéro, le moment où on stabilise le réchauffement climatique, est celui où on arrête de faire empirer la situation et de détruire plus de vies pendant des dizaines d’années. Chaque fois qu’on fait le choix de ralentir la transition, ce sont des vies humaines qui sont perdues. Est-on prêts à mécontenter des gens, ou bien assume-t-on que des vies humaines seront perdues dans 10 ou 20 ans ?

JEAN-BAPTISTE COCAGNE : Faut-il déranger pour convaincre ?

CHARLES DE LACOMBE : Ce serait plutôt qui faut-il déranger pour convaincre ? Quand je participe à une action avec Alternatiba, elle n’est pas radicale sur la forme par principe, elle s’inscrit dans une campagne pour porter des revendications qui servent à préserver nos conditions civilisées et démocratiques sur terre. Nous conditionnons nos moyens d’action de façon à ce qu’ils soient les plus efficaces possible. Quand cela fait des dizaines d’années qu’un sujet n’avance pas, qu’il est bloqué, qu’on a des élus qui parfois mentent et font de l’obstruction délibérée par électoralisme, on va choisir des moyens plus choquants. Parfois, nous sommes plus mesurés. La chose la plus grave que j’ai faite et qui m’a valu un procès, c’est de décrocher un portrait d’Emmanuel Macron dans une mairie, procès où j’ai été relaxé. C’est assez modeste comme violence.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE : Dernière rénovation a régulièrement bloqué le tunnel de Fourvière en s’asseyant devant les voitures. Les médias ont montré des images d’affrontement, les conducteurs qui sont descendus de leur voiture et ont traîné les manifestants sur la route avant l’arrivée de la police. Le risque est de retenir cette violence plutôt que le message de Dernière rénovation. La radicalité peut-elle aller de pair avec la pédagogie ?

MARIE-HÉLÈNE LAFAGE