Ecueil et suspension - Brice Gharibian - E-Book

Ecueil et suspension E-Book

Brice Gharibian

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Beschreibung

Être seul des journées entières, c’est soliloquer quelque part dans sa tête. C’est composer du silence dont l’écho n’est perçu par personne. C’est faire face à un tsunami de pensées armé d’une barque. C’est se perdre dans les méandres d’un dédale conçu par soi-même. C’est chercher un fil d’Ariane qu’on a oublié de fabriquer. C’est regarder dans le ciel le vol plané d’une mouette et imaginer que c’est un cerf-volant sans fil. C’est se souvenir que l’enfance est bien plus loin que le bout du monde.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en Ardèche dans les années 80, Brice Gharibian connaît une enfance heureuse et sans encombre, un bonheur oublié, comme une sorte de mélancolie joyeuse dans laquelle il puise sans limite.
Il partage son temps entre petits boulots, rêveries et écritures, quand les deux ne se mélangent pas dans sa poésie.

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ÉCUEIL ET SUSPENSION

Journal de bord

écrit par Brice Gharibian

Du même auteur

 

– Presque la fin d’un monde, roman

5 Sens Editions, 2018

 

 

 

A vida é o que fazemos dela. As viagens são os viajantes.

O que vemos não é o que vemos, senão o que somos.

 

Fernando Pessoa

NOTE D’INTENTION, écrite avant le voyage

Ce livre sera un journal de bord, singulier, me semble-t-il, puisqu’il prendra place dans un contexte extra-ordinaire.

Ce voyage, que j’entreprends seul et jusqu’au bout du monde, nous l’avions prévu, préparé et rêvé à deux durant une année, tout de suite après le mariage.

Ce nous, c’est celui d’un couple, mari et femme. Cette dernière m’a quitté du jour au lendemain, à quelques semaines des premières noces, et du départ pour le bout du monde, après que nous avons quitté le logement et le travail.

Avec plus rien, sinon un billet d’avion et un vélo, je pars pour me réinventer une vie, puisque celle que nous inventions à deux a disparu comme une bulle de savon qui éclate.

Dans ce voyage, je me suis lancé comme défi d’écrire, d’écrire et d’écrire encore, au jour le jour, ce que je vis dans le dedans et ce que je vis dans le dehors.

À vélo j’irai, des rayons du soleil dans la tête et dans les roues, sur les chemins et les routes, sous la pluie, entre les doutes et dans le vent.

NOTE D’INTENTION, écrite après le voyage

 

Désormais, quand on me demandera ce qu’il y a après la mort, je répondrai une virgule.

Les voyages sont des rêves qu’on invente au fur et à mesure qu’on avance. J’ai donc évolué dans l’un des miens, sans même savoir que j’en possédais un.

Comment le voir, puisque j’étais en train de le vivre ?

Dans ce voyage, j’ai écrit, beaucoup écrit. Quand j’imaginais ce processus d’écriture avant mon départ, j’y voyais des pages et des pages remplies, un récit de voyage à la manière d’un Sylvain Tesson ou d’un Nicolas Bouvier, or la réalité a été tout autre. Bien que j’aie écrit tous les jours, les pages ne sont pas remplies, elles ont des silences et des entre-coupures. Elles sont fragmentées. De pensées en poésies, le journal s’est dessiné. Évidemment, il n’y a rien eu de calculé dans la forme, j’ai laissé faire les choses.

Quand j’ai commencé à prendre conscience de la forme qu’il prenait, il y a d’abord eu la déception. Déçu de ne pas réussir à écrire plus que je ne le faisais. Mais comment faire plus puisque je me dégageai déjà, dans la mesure du possible, plusieurs heures d’écriture par jour ? Puis, est venu le temps de la confiance, la confiance en soi et dans ce que je fais, la confiance qui permet d’entrevoir la valeur des choses.

C’est décousu, incohérent, dépareillé.

On y trouve de la prose, des rimes, des aphorismes, des descriptions, des pensées, des dialogues, des réflexions, des idées.

Il y a tout.

Il n’y a rien.

Il y a ma tête.

Il y a le monde.

Il y a la tête de mon monde et le monde de ma tête.

Les écrits sont bruts. Je ne les ai pas retouchés. Des corrections, du tri et de la mise en page ont été effectués. Rien de plus. J’ai tenu à cette authenticité de manière à ce que le lecteur puisse ressentir comment, lorsqu’on perd tout du jour au lendemain, l’on se relève et l’on relève la tête, des pieds vers le ciel.

C’est un récit de voyage étrange, une promenade sur les rivages du monde, le temps d’une mort, le temps d’une renaissance.

Jour 1

Dans mes yeux ça pique, dans mes oreilles ça bourdonne.

Dehors, des montagnes de nuages.

Dedans, un long couloir.

Tube ailé, planant par magie et transperçant la matière.

Désert de vapeur et orage en dessous, le monde à l’envers.

Les pieds vers le haut, posés sur le ciel, et la tête en bas.

Tsunami de brouillard.

Formes étranges.

Là-bas, le soleil.

Il glisse avec nous et lui aussi transperce la matière, tout droit, jusqu’à ma joue : éclaboussure de photons partout dans l’œil.

Ça pique.

Tremblement de ciel, épicentre nulle part, sinon celui de la rupture ; corps qui vibre et secousse dans le cœur.

Ici la France.

Là-bas le Chili.

En bas les cris.

En haut le silence.

Au milieu, ma tête.

Demain, les réponses, et le soleil sur ma peau.

Aujourd’hui, les nuages, et les turbulences dans les yeux.

*

Par le hublot, il n’y a que du noir et les reflets du dedans de l’avion.

Les écrans, je ne les intéresse pas en ce moment.

Beethoven dans les oreilles.

Inlassables ruminations d’une herbe déjà en train de jaunir.

J’oublie son visage.

J’ai froid.

JOUR 2

Oreilles bouchées et nuit assis, sommeil trouvé et puis perdu.

C’est long. Tout le monde dort encore. Douleurs aux cervicales.

Ai-je plus rêvé dans mon sommeil ou dans mes insomnies ?

Bientôt le petit déjeuner, bientôt le jour, bientôt le soleil.

*

Mon tube, ailé et bourdonnant, est infatigable ; il donne l’impression qu’il pourrait faire plusieurs fois le tour du monde, comme ça, calme et nonchalant, le nez vers l’avant.

*

Lever de soleil unique.

En direction du sud, entre l’océan et la Cordillère.

Au-delà de cette dernière, loin là-bas, le soleil pointe le bout de ses rayons et trace à l’horizontale, au-dessus des montagnes, une traînée orangée, vive, éclatante, qui se dégrade et se meurt vers le haut, dans un bleu-nuit des aurores. Les pointes de la Cordillère, noircies par le contre-jour, dessinent un électrocardiogramme céleste sur une feuille de ciel haute en couleurs.

*

J’attends à une terrasse de café des nouvelles de ma future colocataire.

Un épais voile de brume toxique entoure la ville de Santiago ; comme une grosse boule qui donnerait envie de la secouer pour éparpiller ici et là de la neige, le temps d’une averse d’insouciance.

Cette chambre que je loue, sera mon point d’ancrage.

Moi, le bateau à coque de peau. La ville, une mer nouvelle et pas répertoriée sur les cartes.

Prendre sa respiration et plonger tête la première à la découverte de ce qu’il y a sous les vagues, au-delà du tumulte, dans les courants invisibles pour qui prend la peine d’ouvrir les yeux sous l’eau.

*

Il y a un peu plus d’un mois, je partais au bout du monde avec la femme de ma vie.

Me voici désormais au bout d’un monde, au début d’une vie dont je ne connaissais pas l’existence il y a peu, une vie que je n’avais pas prévu de vivre et pour laquelle je n’éprouve, pour ainsi dire et pour l’instant, aucune espèce de joie, sinon celle d’être loin de mes tourments.

*

Ma liberté absolue n’a pour seules contraintes que les limites de mes rêves que je n’ai pas encore eu le temps d’inventer, mon cerveau étant trop occupé à se réveiller d’un sommeil, dont les rêves, aussi foisonnants furent-ils, se sont envolés dans les étoiles d’un monde où il ne fera plus jamais nuit.

JOUR 3

Mes insomnies sont plus longues que mes nuits.

Le matin est arrivé, tard.

Le soleil prend son temps pour escalader la cordillère.

*

La rue est linéaire, droite, maisonnettes colorées, mitoyennes, de part et d’autre de la route. L’Amérique du Sud de mon imaginaire est là, sous mes yeux, et se réveille dans la fraîcheur d’un matin ordinaire pour elle.

Rien n’est ordinaire pour moi, sinon la routine qui perdure et traverse même les océans, les montagnes, les vents et les marées : une terrasse, un café et une cigarette.

*

Dans mes insomnies, je découvre que mon esprit n’a pas traversé les mers. Lémure à la recherche d’un corps sur le vieux continent, âme errante en quête de réponses, elle flâne au gré des vents tous contraires à la logique et au rationnel.

Irrationalité qui rendra sa quête plus vaine que de chercher le reflet de sa solitude dans une goutte d’eau au milieu d’un désert.

*

Brûlure et larmes de lumière, l’arrivée vers l’astre suprême ne se fera pas sans douleur.

*

Le corps vide et vidé

J’avance

À l’ombre de ma solitude

Errance

Sur le pas des vicissitudes

Je pense

Aux amours oubliées

*

La solitude me pèse en ce premier jour. Elle me prend, me soulève et me pose sur la balance du néant. Le poids du rien est plus lourd que tout.

*

Ici, dans le monde où tout s’inverse, l’espoir de la retrouver un jour fond comme neige au soleil. De cristaux en gouttes, de gouttes en ruisseaux, le glacier s’en va dans le grand fleuve où nul torrent ne précipite les molécules dans un tourbillon salvateur.

Il court paisiblement dans la plaine où je me trouve, sur le rivage, les mains dans les poches, observant ce qui naguère était ma vie.

Mon regard se floute, lunettes de larmes que je retire avec le dos de la main, volte-face, les yeux dans l’horizon butent sur les montagnes, je m’agrippe, (comme un enfant sur un muret passerait le nez par-dessus) et contemple un monde interdit pour l’impatient en fuite des années à venir ; années qui le rendraient assez grand pour se rendre compte que derrière le mur, il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

*

Dans mes doigts ça pleure de l’encre. Se dessinent sous mes yeux le chaos qui m’habite et la dualité. Perdu quelque part entre la légèreté d’un voyage et l’absurdité de la vie. Alors, j’écris et ça sort comme une tache d’encre qui se range toute seule en mots et en phrases. La tristesse prend forme plutôt que d’être une boule difforme dans le ventre. Monstre des nuits d’enfance, qui se déplace avec le temps, de sous le lit à sur le lit, compagnon d’insomnie fidèle qui prend une place telle, que trouver le sommeil s’avère plus compliqué que trouver de l’empathie dans l’œil d’un tueur en série.

*

le

temps

sévit

et

puis

se

meurt

JOUR 4

La colline est posée là, éminence pointue et sur laquelle serpente une route, à flanc, prisée par les cyclistes. La cime, toit du monde de la pollution, surplombe la ville dans toutes les directions, un tour sur soi, doucement, et partout s’étalent les bâtisses, hautes ou basses, grises ou colorées, jusqu’au-delà du visible. Là-bas, au loin, le brouillard ; brume de particules où se noie la vision, où se perdent les envies d’ailleurs, faute de les voir.

*

Au soleil il fait chaud et à l’ombre il fait froid ; il y a des riches et il y a des pauvres.

Ville du tout ou rien.

Je me situe plutôt dans les deux : j’ai tout parce que je n’ai plus rien.

*

Parfois je me sens comme la façade d’un immeuble.

Ça pleure dans mon corps comme des eaux usées s’écoulent dans les murs d’une bâtisse.

*

Les dimanches sont les mêmes partout dans le monde, ennuyeux quand ils ne sont pas partagés simplement et intimement avec les personnes que l’on aime.

Cet ennui est celui dans lequel je ressens le vertige.

Ma vie est derrière, comme une ombre qui me suit.

Chaque fois que je me retourne, il n’y a rien. Elle est partout et puis nulle part, mais jamais devant.

Devant le vertige, le vertige seulement.

*

La vie.

C’est de la vie qui manque le dimanche quand on est seul. Toutes ces devantures fermées glissent sur moi comme un miroir. Elles renvoient l’image d’un magasin fermé.

*

Le soleil s’en va derrière la couverture de nuage, comme si lui aussi avait froid.

La couverture se meut de la gauche vers la droite à la vitesse d’un escargot tout gris et tout plat.

*

Quand j’ai laissé ma colocataire pour aller promener mon corps comme on sortirait un chien pour qu’il se dégourdisse les pattes, elle était en train de tricoter.

Et comme en ce moment je ramène toute chose à ce que je vis, je n’ai pu m’empêcher de voir en cette étoffe de laine, mon cerveau et dans les aiguilles la vie qui va, qui vient, qui tisse des choses nouvelles dans ma tête sans que je puisse choisir ni la couleur ni ce qu’il adviendra de cette étoffe. Un pull ? Une écharpe ? Un bonnet ? Des chaussettes ?

Dans l’immédiat, j’opterais volontiers pour un pull, le soleil s’étant couché prématurément, semble-t-il.

*

Le futur s’est envolé comme un oiseau. Me restent mon présent et ma vie que je ne sais plus vivre seul. Là est la réalité d’une rupture brutale quand tout était intimement lié à un autre individu. Je ne sais plus vivre seul. Du jour au lendemain, je me retrouve à traîner un corps décharné, démembré, sans béquille, sans assistance, sans rien sinon un cerveau qui n’accepte pas la situation et fait tout l’inverse de ce qu’il faudrait faire pour avancer sereinement et tirer profit d’une souffrance somme toute toujours salutaire.

*

La nuit tombe-t-elle parce qu’elle ne voit rien dans le noir ?

JOUR 5

Une joue dans le soleil et l’autre dans l’ombre.

Ainsi ai-je marché dans la rue toute droite où s’affairent ici et là les gens de mon quartier. Un homme fouillait dans les poubelles, glanage moins payant que celui des chiens errants, tant ces hommes et ces femmes de la rue évoluent au monde dans une carcasse gracile. Les chiens, eux, sont gras tous autant qu’ils sont. Me vient cette idée en écrivant qu’il serait peut-être judicieux, autant pour ces gens tristes que pour ces chiens esseulés, de penser à se rendre un service mutuel. Les manger m’apparaît comme la solution la plus facile à mettre en œuvre.

 

Dans le centre, on est en Europe : grandes rues piétonnes où marchent, dans un sens ou dans un autre, des humains pressés, entourés de commerces et de banques, le portable à la main, écouteurs dans les oreilles, portant sur eux un individualisme qui m’est familier.

La chaleur n’est pas la bienvenue dans ces quartiers d’ailleurs.

*

Je me sens comme hors du monde.

En me sédentarisant dans cette ville, je ne suis ni un voyageur ni un habitant de la ville. Ailleurs, quelque part, dans les limbes, devant une porte que je ne saurai dire si c’est une entrée ou une sortie.

*

Si je viens promener mes guêtres dans ce quartier sans âme, c’est sans aucun doute parce que j’y trouve des repères.

Quelle étrangeté que la vie ! Être dans un pays et une culture qu’on ne connaît pas, à la recherche d’une chose dont on ne sait rien sinon qu’il faut du temps pour la trouver.

*

Un ami, avant de partir, m’a dit de lever ma tête car tout était déjà là sous mes yeux et que je ne savais plus le voir. Ceci vaut-il seulement quand on est triste ?

*

J’attends tous les jours demain et demain j’attendrai hier.

Hier n’est plus, mais je le porte en moi comme jamais, cet hier c’est celui d’une vie dans laquelle je vivais sans penser à demain.

*

La légèreté me fuit, à croire que je suis une maladie contagieuse.

*

Je voudrais déjà être au bout du chemin, là où il n’y a plus de chemin, là où l’herbe est verte et les fleurs des champs foisonnent, là où je pourrais me coucher sur le dos, fermer les yeux et compter les pétales que j’ai dans ma tête.

*

Qui suis-je ?

Celui que je ne suis plus ?

Celui que je ne suis pas encore ?

*

Liberté. Certains me l’envient.

Avons-nous une idée de ce que signifie se retrouver face à soi-même ?

C’est être en dehors de son corps, en dehors de sa tête, dans une autre carcasse que la sienne et observer une personne qu’on n’a jamais vue de sa vie.

Nez à nez avec un étranger.

 

Je suis là, devant moi, et je ne me comprends pas.

Nul langage terrien ne pourrait dénouer une telle incompréhension qu’il y a de part et d’autre.

Deux mondes, deux galaxies, rencontre extraordinaire entre deux êtres qui n’auraient jamais dû se croiser dans cette vie.

*

Qu’est-ce que le bonheur ?

Réfléchir à pourquoi il est fuyant ?

Question en suspend.

*

Se satisfaire de peu.

 

Le soleil s’immisce entre les immeubles.

Filtre de pollution, éclats et fragments dans l’œil.

Peau lumineuse et tiédeur dans le corps.

Le jaune du soleil n’existe pas.

Blanc jauni.

Mur de cuisine ancienne.

*

Le temps passe comme une voiture sur la route.

Je hèle mais il ne me voit pas.

Je reste là, sur le trottoir.

Chaleur écrasante, sèche ou moite ?

La ville est immensément plus grande que le monde.

Solitude.

Je continue ma route.

Sens inverse des aiguilles d’une montre.

*

Au début il y avait les yeux qui disent des choses que je ne comprends pas.

*

Je ne sais pas porter le masque du bonheur, la transparence est donc une nécessité quand le visage est brut et que la mélancolie transpire par les yeux.

*

Le vent se lève sur la capitale, j’écarte les bras.

Reste sur place.

*

De cigarettes en cafés, de cafés en cigarettes, du liquide noir aux volutes blanches, mes journées passent et s’envolent dans les nuages.

*

Je vis au septième étage. Immeuble gris, seul, grand, géométrique.

Alentour, des maisons individuelles et colorées jalonnent la rue.

L’immeuble est sécurisé : caméras, portail en ferraille, accueil et concierge.

Ensuite il faut prendre l’ascenseur, marcher dans le couloir, ouvrir la porte, et se faire agresser par un chaton aussi farfelu qu’inoffensif.

Dans la pièce de vie, on trouve une petite cuisine, un canapé vert, deux étagères, une baie vitrée et un balcon tout gris qui donne sur un immeuble en construction tout gris.

Rudimentaire mais largement satisfaisant pour la vie que je mène.

Ma colocataire s’appelle Denisse, elle est institutrice.

Entre ses horaires de bureau et mes horaires de bohème, nous ne nous voyons pas souvent, assez pour échanger un peu de chaleur. Vivante, elle est vivante.

Le monde, elle le vit seule, se suffit d’elle-même.

Elle me laisse envieux et admirateur.

*

Je reste statique dans le temps qui passe comme le vent.

Rocher dans les bourrasques en proie à l’érosion.

Aucun remède.

Il faut attendre la nuit, mangeuse de vent.

Le soleil tape sur les montagnes.

Cimes blanches et voilées.

Saurai-je un jour si ce voile est systématiquement de la pollution ?

*

J’avais des rêves plein la tête.

Où sont-ils ?

Avec mes kilos perdus ?

*

Plus de soleil.

Le nuage est saumoné ce soir. Poissons de ciel ! Écheveaux d’écailles navigants en eau calme avant la tempête de noir.

*

Ici la nuit débarque en trombe, comme s’il pleuvait du noir.

JOUR 6

Dans les rues de la ville, corps fatigué et las, avançant, errant, flânant sans but.

Métro bondé.

Je me fonds dans la masse.

En fusion, rouge feu, rouge sang, dégoulinant sur mes semblables.

Quelqu’un va finir par s’apercevoir de la supercherie, remarquer que je suis perdu.

Qu’on me ramène aux objets trouvés !

Et si personne ne vient me chercher, qu’on me renvoie d’où je viens !

*

Loin dans le dedans, ça crie.

Ça crie les années qui passent.

Ça crie comme un enfant qui ne veut pas s’en aller du parc.

Rester là, sous les arbres inertes qui bougent tout en haut, à l’ombre de la vie et du désespoir qui la suit comme un chien.

*

Je ne suis plus qu’un corps qui s’est formé autour d’un enfant, comme une gangue impénétrable.

*

Le soleil fabrique des chimères sur le trottoir.

Ombre, partie cachée de chacun d’entre nous qui s’étale sur le sol et les murs, reflet sans visage, difforme, accroché aux pieds de son maître jusqu’au soir.

La nuit est un mélange de nos démons.

*

Le soleil tombe tous les soirs derrière la même montagne, elle doit lui faire des croche-pieds.

*

Mes journées s’en vont les unes après les autres.

File indienne de temps au guichet du passé, elles attendent leur tour.

*

Elle a les yeux en amande, fruits secs et pétillants qui donnent envie de les croquer du regard. Un sourire aussi large que son pays est long, des taches de rousseur qui s’éparpillent sur les pommettes et le nez, comme autant de points qu’on voudrait virgules pour que la phrase ne s’arrête jamais.

*

Aujourd’hui c’est le 11 septembre, jour où les avions de Pinochet se sont écrasés sur les tours de la démocratie.

JOUR 7

Comment se lancer corps et âme dans une nouvelle vie quand l’ancienne paraît inachevée ?

Je flotte dans un océan d’incertitudes entre deux continents.

*

Aujourd’hui il fait gris, gris-blanc de soleil qui perce péniblement le rideau allant.

Pénombre lumineuse, grisaille de printemps figée dans le mouvement sempiternel des choses de l’univers.

*