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14 juillet 2000, la municipalité organise un concours d'oeuvres éphémères sur la plage de la Crique. Myriam Balmin, jeune femme de vIngt ans est primée et reçoit des mains du maire, Marc Cherron, le trophée ainsi qu'un chèque de mille euros. Début novembre 2022, une adolescente trace également une oeuvre éphémère sur cette même plage. Ce qui interroge ceux qui passent sur le sentier surplombant la Crique, c'est que l'artiste trace tous les jours ce motif strictement identique à celui de l'an 2000. La bizarrerie ne s'arrête pas là. L'artiste est brune aux yeux verts comme celle du second millénaire mais elle est également vêtue de la même robe. Etrange !!
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Seitenzahl: 289
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Des jours presque ordinaires - Editions les 2 encres (2012)
Aux confluents de la vie - Editions les 2 encres (2013)
Je t’attends - Editions Baudelaire - BoD (2018)
C’est long l’éternité - BoD (2018)
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L’homme qui voulait imiter Zorro - BoD (2020)
Le cahier rouge - BoD (2021)
L’inaccessible étoile – Bod (2022)
Contact auteur :joë[email protected]
A mon épouse Denise qui m’a accompagné et guidé par ses précieuses critiques dans l’écriture de ce roman.
A ma famille, enfants, conjoints et petits enfants,
A mes amis :
Dominique Berthemont et Guy Fribault
Brigitte et Gérard Lefebvre
Eliane et Jacques Moret
Catherine et Jean Marie Raimbault…
Qui ont su, comme à chacun de mes romans, corriger mes fautes de frappe… et les autres et me témoigner leur ineffable amitié.
A tous ceux, les amis et les autres qui m’interrogent sur le déroulement de mes écrits et attendent leur parution.
A tous ceux que j’aime
Une mauvaise action trouve
toujours sa récompense
Michel Audiard.
La tristesse vient toujours de la solitude du cœur
Charles de Montesquieu
Les stations balnéaires sont quasiment désertes en hiver. Le vent, la pluie, mais surtout le froid, font fuir les touristes, à l’exception de quelques férus des embruns marins et des brouillards maritimes. Rien à voir avec l’été. Les commerces sont, pour la grande majorité d’entre eux, temporairement fermés. Ne subsistent que quelques boutiques pour répondre aux besoins des autochtones.
Alexandre Leneveu, après avoir subi une opération chirurgicale, vient se reposer chez sa grand-mère. Elle habite un tout petit village de pêcheurs sur la façade Atlantique. Avant d’être à la retraite et après la disparition brutale de son mari, elle tenait une épicerie, sur le port. Elle a vendu son commerce à un jeune couple courageux pour aller s’installer quelques pas plus loin dans l’ancienne maison d’un tailleur que les grands magasins de vêtements ont ruiné. De ses fenêtres la vue est superbe, autant sur le port que sur le grand large.
C’est avec plaisir qu’elle reçoit son petit-fils pour sa convalescence. Elle sait que son moral n’est pas au beau fixe et compte sur la cure d’iode dont il va profiter pour le lui remonter. Par ailleurs le calme, la beauté de l’endroit vont, elle en est certaine, lui rendre la santé. Elle va le bichonner, lui préparer des petits plats appétissants et sains. Elle sait également qu’il aime la mer, les vagues, les bateaux, la criée au retour de la pêche. Cela va le changer de la grisaille, du bruit, du stress d’une grande ville. Et puis, il lui faut bien l’admettre, elle va profiter de sa présence pour donner du sens à une vie plutôt monotone.
Il est arrivé le dernier dimanche d’octobre dans l’après-midi.
Le ciel, sous la domination d’un vent léger, fait alterner nuages et éclaircies. La température est clémente. Le thermomètre affiche allègrement 19 degrés, battant tous les records. Du jamais vu depuis des décennies et même sûrement bien au-delà. Après un été caniculaire qui a grillé la végétation et quelques pluies abondantes en septembre, la flore a repris de la vigueur. Les salicornes, les matricaires, la gaura rouge, la sauge et bien d’autres plantes ont repris de la couleur et arborent leurs fleurs comme aux meilleurs jours du printemps. Si cela émerveille la plupart des gens, ce n’est pas non plus sans inquiéter la population. Le réchauffement climatique, malgré la négation de quelques détracteurs en quête de notoriété malsaine et guidés par des intérêts financiers ou politiques, impose son empreinte de façon qui parait durable et irréversible avec toutes les conséquences qui s’en suivent. Pour l’instant, ces douces températures offrent aux jardiniers une indicible satisfaction. Le chatoiement de couleurs représente un décor à la fois magnifique et apaisant. Ce n’est pas pour autant le remède miracle pour oublier les menaces que fait peser la guerre à un peu moins de deux mille kilomètres de nos frontières. Guerre inique menée par un dangereux personnage froid comme la glace au nom d’une certaine idéologie. Un grand criminel qui a rejoint au panthéon des salauds un certain nombre de dictateurs fanatiques.
Alexandre descend lentement de la voiture de ses parents. Un discret sourire s’échappe de ses lèvres. Il tient, malgré l’insistance de sa parenté, à porter lui-même sa valise. Il ne veut en rien exagérer l’importance de son état. Martine, la grand-mère l’accueille les bras largement ouverts, montrant sans conteste sa joie de le recevoir. Il est là théoriquement pour deux semaines. Le petit-fils et l’aïeule sont tombés dans les bras l’un de l’autre. La mère du jeune homme, semble beaucoup moins enjouée. Être séparée de son garçon dans les circonstances actuelles ne l’enchante guère.
Le médecin a insisté. La ville et ses turbulences ne valent rien pour le repos indispensable après une opération chirurgicale. Un endroit calme, aéré serait plus propice. Lorsqu’il a appris que la grand-mère paternelle habitait au bord de la mer, il n’a pas hésité une seconde à conseiller un séjour minimum de quinze jours sur les plages de la grande bleue. Un déchirement pour la mère. Une acceptation non feinte du malade qui adore son aïeule. Le père lui, comme à chaque fois qu’il revient au pays, est assailli de souvenirs. Il retrouve la plage où il a tant de fois pris des bains et pas seulement en plein jour, les rochers où avec ses copains il se livrait à la pêche aux coquillages, le port… Il se remémore les filles l’été, légèrement vêtues, les rires et les jeux d’adolescents, derrière les dunes. Peu de ses amis sont restés dans le village, ils ont presque tous fui à la ville en quête de modernité, de mouvements, de découvertes. Il s’en veut parfois. La vie est si différente dans les grandes cités impersonnelles. Marc Cherron, le maire du village, fait figure d’exception. Il informe volontiers qui veut l’entendre qu’il a le cœur et le corps chevillés à son bled. Il est fier d’y être né, de le servir encore et toujours. Fier, oui ! De le servir… cela parait moins évident à ceux qui pensent le connaitre et ne l’aiment guère. Une minorité qualifiée d’envieux, furieux d’être continuellement perdante aux élections municipales. Selon eux, l’édile est un être particulier. On… Voilà bien un mot ambigu, empli de secrets, de connivences, ou de sous-entendus parfois malsains. On… chuchote, ici et là, qu’il n’a pas toujours eu une vie exemplaire mais personne n’apporte d’éléments pour étayer les dires. On… laisse planer quelques malversations, quelques mauvaises actions, sans préciser quand, ni où, ni lesquelles. Et puis, il défend bien la commune auprès des administrations concernées aidé en cela par un titre de vice-président du Conseil Régional. Ce n’est pas rien. La majorité des habitants de la commune lui en est reconnaissant. Un édile bien placé est toujours un avantage non négligeable pour une cité. Le reste ne regarde pas les administrés. Ce dont le père se souvient le plus, bien qu’il n’ait que dix ans à l’époque, c’est de l’ouragan des 15 et 16 octobre 1987. Le vent soufflait à plus de 180 kilomètres à l’heure. Les vagues avaient submergé les digues du port, les bateaux tanguaient à mort, certains même avaient coulé. Le bruit était infernal. Les vagues devenues des vrais murs d’eau grondaient comme le feu de l’enfer. Le curé du village avait célébré une messe pour demander à Dieu d’apaiser sa colère. Le Divin mit du temps à entendre les prières des paroissiens, mais avait fini par se laisser apitoyer. Oui, les souvenirs le submergent à chacun de ses retours au pays, mais il sait qu’il lui faut repartir. Le travail, les amis, la vie, et le reste.
Les parents sont retournés vers leur ville, aux alentours de vingt-et-une-heures. Ils affichaient une tristesse de bonnets de nuit en se séparant de leur dernier rejeton pour la première fois de son existence. Ils l’ont toujours sérieusement couvé, sachant sa santé relativement fragile. Plus de deux heures de route les attendaient avant de retrouver le domicile banlieusard.
Alexandre est ravi. Sa chambre est vaste, lumineuse, située plein ouest. Les drisses des bateaux frappent les mats métalliques en un concert de musique futuriste. La vue est idyllique. Le halo des lampadaires diffuse une lumière orangée. Le contraire de celle de sa piaule en ville, exiguë n’offrant que la vue restreinte de grands immeubles plus ou moins modernes mais tous aussi laids. Il n’a pas tardé à se coucher, le voyage l’ayant un peu épuisé. Là, il se sent bien. Ce n’est pas qu’il déteste ses parents, loin de là, mais leur trop grande attention à son égard est parfois un peu pesante. A dix-neuf ans il aspire à plus de liberté, à moins de regards interrogateurs et anxieux.
Après avoir partagé le copieux petit déjeuner préparé par sa mamie comme il l’appelle affectueusement, Alexandre l’avise qu’il va se promener. Sans doute ira-t-il sur le port avant d’emprunter le sentier côtier qui serpente au-dessus de la crique et continue à longer la mer jusqu’à la plage principale. La vieille femme, ravie de constater qu’il ne veut pas rester dans ses jupons, approuve sans réserve son initiative :
- Tu vas voir, ton séjour ici va te remettre sur pieds. La marche c’est, par ce temps quasi printanier, le meilleur moyen pour retrouver la forme.
Alexandre sourit et répond qu’il en est certain.
Dès le premier jour, une connivence s’installe entre eux. Il dépose un baiser sur la joue toute ridée de la femme âgée qui, tout à coup, rajeunit de vingt ans. Leur entente est totale, leurs sourires complices.
Il se rend d’abord sur le port. Le ciel est semblable à celui de la veille, changeant au gré d’un vent léger. Il marche d’un pas tranquille se gavant de cet air marin, pur comme du cristal qu’il respire à grandes goulées, si abondamment qu’il en suffoquerait presque. Merveilleux moment de félicité. Comment après de telles sensations regretter la ville grouillante de monde, asphyxiée par les gaz d’échappement des voitures qui circulent à la queue leu leu ? Comment ne pas apprécier le calme ambiant qui le change du tintamarre constant des klaxons actionnés par des conducteurs nerveux et pressés ? Il se rend jusqu’au phare qui indique le début du chenal. Il se sent revivre, loin de l’hôpital, du corps médical, de l’angoisse parentale. Il prend son temps, procède par étapes, s’assoit sur les bancs providentiels et se repaît de l’immensité de cet océan au repos, dont on ne perçoit, au loin, aucune limite si ce n’est le ciel lui-même.
Il longe le quai bordé de magasins, dont la moitié est fermée pendant la période hivernale. Seuls deux cafés, un restaurant, une pharmacie et l’épicerie, qui appartenait jadis à sa famille, sont ouverts. En ce matin de fin octobre, l’activité est pratiquement nulle. La rue est à lui. Un marin pêcheur entasse des casiers et des nasses sur son bateau qui, s’il n’est pas d’hier, affiche quand même une belle allure. L’homme, sans le connaitre, lui fait un signe de la main pour lui souhaiter le bonjour. Politesse qu’il rend aussitôt avec un sourire avenant. Ce geste serait complètement incongru chez lui, dans sa ville. Ici il revêt la simplicité des relations entre les êtres humains. Au bout du quai, il bifurque légèrement sur la droite pour emprunter le sentier côtier.
Debout sur le chemin il surplombe la crique que la mer noie totalement à marée haute. Ce matin elle s’est retirée.
Loin.
Son regard est attiré par une jeune fille qui sur la petite plage se livre à un curieux manège. Sa chevelure brune ondule à chacun de ses mouvements, frôlant la base de son cou. Habillée d’une longue robe décolletée bleue et blanche, elle trace à l’aide d’un râteau et d’un bâton, sur le sable humide, une figure géométrique faite de lignes droites, de courbes et d’arabesques. De temps à autres elle plante dans le sable un petit piquet auquel est nouée une ficelle pour délimiter la suite de son œuvre. Elle semble complètement absorbée par son art. Elle s’en éloigne pour mieux constater le résultat puis saisit le râteau, ratisse une partie de son ouvrage, sans doute pour lui donner du volume. Elle hoche la tête sans que le témoin de la scène sache si c’est de contentement ou de doute. Alexandre est fasciné par la précision des gestes, par la débauche d’énergie de cette jeune femme qui doit avoir, approximativement le même âge que lui. Il aimerait bien descendre sur la plage pour discuter avec elle, afin de l’interroger sur son penchant pour l’art éphémère. Mais il sent profondément qu’il risque de déstabiliser l’artiste. Il se décide à rester là, debout, spectateur d’un événement dont il ne comprend pas le but. Dans quelques heures l’océan viendra effacer entièrement le chef-d’œuvre. Alors ! Pourquoi tant d’énergie pour une œuvre temporaire dont la créatrice aurait également été, sans sa présence à lui, la seule spectatrice en ce dernier matin d’octobre où les touristes se font plus que rares ? Pourquoi en cette période où l’égocentrisme règne en maitre absolu, une artiste ne cherche pas à faire mieux connaitre son œuvre et son talent ? Pourquoi cette démarche qui privilégie l’éphémère au détriment de la longévité et d’une éventuelle renommée. ?
Questions sans réponses.
L’artiste semble satisfaite d’elle-même, de ce qu’elle vient de créer et pourtant elle sait que dans quelques heures l’élément liquide détruira sa superbe réalisation. Elle le sait et surtout, elle l’accepte. Peut-être même le désire-t-elle. Pourquoi ? Nouvelle question, sans réponse. L’inconnue poursuit inlassablement son œuvre. Elle affiche la même fougue, le même désir de parfaire son ouvrage avec une identique application.
Elle est seule au monde.
Pendant près d’une heure, sautillante, légère comme une libellule, elle trace, ratisse, délimite. A aucun moment Alexandre ne voit le temps s’écouler. Cette jolie jeune femme l’accapare totalement. Il n’éprouve pas seulement de la curiosité. Ce qu’il ressent est inexplicable. Si quelqu’un l’interrogeait sur ses motivations à être spectateur, il ne saurait donner aucun indice satisfaisant. Lui, ne s’interroge pas. Il n’en ressent pas le besoin. Il reste là, simplement, sans trop savoir pourquoi ni ce qu’il attend.
Après un dernier examen (apparemment satisfaisant) de l’ensemble de sa réalisation, l’artiste pose les petits piquets, les ficelles et une paire de tennis blanches dans un sac en plastique qu’elle saisit de sa main gauche. La droite tient fermement le râteau et le bâton traceur. Elle emprunte allègrement la pente pour retrouver le chemin côtier. Ce n’est en vérité qu’une étroite sente pentue dessinée par les nombreux passages piétonniers entre les rochers, sur laquelle deux personnes ne peuvent passer de front. Arrivée au sommet, elle chausse ses tennis et repart sans prêter attention au jeune homme devant lequel elle passe. Celui-ci est complètement stupéfait. Il l’est tellement qu’il émet, à voix basse, un inaudible bonjour, que la jeune femme ne peut absolument pas entendre. Il la regarde bifurquer, d’un pas alerte, dans un sentier et s’enfoncer dans le bois de pins. Il a eu juste le temps de voir ses yeux verts magnifiques et qu’elle est plutôt jolie. Cette fille est un feu follet, une apparition furtive, peut-être aussi éphémère que son art. La reverra-t-il un jour ? Il n’en parierait rien. Le monde est décidément peuplé d’étranges créatures. Il rejoint la petite plage pour voir de plus près l’énigmatique production. Il descend prudemment la sente. Il n’a pas la souplesse de la demoiselle. L’œuvre ne mesure pas moins de vingt-cinq à trente mètres carrés. Elle est encore plus abstraite que vue d’en haut. Il en fait le tour, à pas mesurés, espérant trouver la clé qui lui permettra d’entrer dans le secret de ces enchevêtrements difficilement déchiffrables. Il n'est pas loin de ressentir ce qui a pendant des années tracassé la plupart des égyptologues en découvrant les hiéroglyphes. N’est pas Champollion qui veut. C’est indéniablement beau, mais sacrément hermétique
Tout en reprenant le chemin de la maison de son aïeule, il se promet de revenir le lendemain matin sur les lieux. On ne sait jamais. Cette jeune femme l’intrigue et l’attire en même temps. Elle cache quelque chose. Mais quoi ? Il aimerait savoir. Elle occupe tout son esprit et il trouve cela excitant. Voilà qui le change de la monotonie des semaines qui viennent de s’écouler : L’hôpital aseptisé, les couloirs sans fin, la chambre nue, le lit métallisé auquel est fixée la perche à perfusion, le poste de télévision rivé au mur constamment allumé. Le personnel revêtu des éternelles blouses blanches, roses ou vertes. Il ne veut même pas évoquer les heures qui s’évertuaient à flâner et tout le reste, notamment une nourriture passablement fade. Industrielle. Il refuse même de se remémorer les nuits au cours desquelles, les portes des chambres demeurées ouvertes, il entendait les gémissements plaintifs d’un malade perturbé. Une envie de crier : Faites-le taire ! Un lieu de soins intenses. Un service que pourtant la grande majorité du monde nous envie. Il y a trouvé, il ne peut pas le nier, un peu d’humanité, mais de façon trop brève. La charge de travail des employés est bien trop importante pour qu’ils puissent instaurer, malgré leur désir, une relation sécurisante avec les patients et leurs angoisses récurrentes.
De retour chez sa grand-mère, il lui parle de cette jeune femme qu’il a aperçue sur la plage sans faire état du trouble qui l’envahit. Il prétend seulement chercher à savoir si son aïeule la connait et pourrait expliquer son comportement. Cette dernière ouvre des yeux aussi grands que l’océan lui-même :
- Une brune avec des yeux verts, dis-tu ?
- Oui, et à peu près de mon âge, enfin c’est ce qui m’a semblé.
- Franchement, je ne vois pas. Je cherche, mais je ne connais pas cette jeune fille. C’est étonnant parce je suis native d’ici et peux me vanter de connaitre tout le monde. Avec mon ancien commerce, personne ne m’est inconnu, en tout cas en cette saison. Tu dois t’en douter. Non ! Et en plus, elle semble un peu particulière quand même.
La vieille dame se frotte lentement le front, croise les bras, offre une moue significative de son étonnement de ne pas trouver :
- Ce n’est pas quelqu’un d’ici. J’en suis aussi sûre que je m’appelle Martine.
Alexandre, s’amuse de la mimique de sa grand-mère qui ne sait pas cacher ses sentiments :
- Ce n’est pas grave, mamie. C’était juste une question sans importance, simplement pour savoir. C’est tout.
- Bon, alors à table, je t’ai préparé, pour commencer un plateau de fruits de mer, suivi d’un pavé de bœuf avec du choux fermenté et enfin un laitage de ma fabrication. Ça va te retaper. Ça te va ?
- Il faudrait être difficile. Tu es une véritable fée pour moi, mamie.
- Alors on mange et puis après nous irons à la crique, je veux voir ce chef d’œuvre dont tu m’as parlé avant que la mer le recouvre. Ça m’intrigue quand même un peu ce truc-là… En y réfléchissant bien, il y a une vingtaine d’années, le comité des fêtes a organisé ce genre de manifestation, à la crique également. Ton grand-père et moi, nous n’avons pas pu y aller. A l’époque, en juillet et août, on travaillait sept jours sur sept et de huit heures le matin à vingt-deux heures le soir. Mais je me souviens que l’on m’avait dit qu’il n’y avait pas eu beaucoup d’artistes à avoir répondu. Quatre ou cinq pas plus. Les membres du comité étaient très divisés sur le sujet et ils n’avaient pas reconduit l’opération. Mais il n’y a sûrement pas de rapport. Ton artiste à toi, elle n’était pas née ou alors, c’était un bébé. J’en parlerai quand même à Edouard Desrues. Il faisait partie du comité des fêtes à cette époque-là. On rangera la table après. La marée n’attend pas.
Ils partent bras dessus bras dessous.
Faut voir comme elle est fière Martine au bras de son petit-fils. Ils marchent lentement. Au gré de leur déambulation, l’aïeule l’informe des changements récents, pour telle ou telle propriété, tel ou tel futur commerce, des travaux entrepris pour favoriser les accès, au port ou à la grande plage. Alexandre écoute, heureux, décontracté. Une fois arrivés sur le sentier qui surplombe la crique ils constatent qu’ils ont bien fait de ne pas trainer. La mer n’est plus qu’à quelques mètres du chef-d’œuvre. Martine s’étonne :
- C’est beau à voir, mais ça ne ressemble à rien de… comment dire… de concret.
- Non, c’est de l’art pour l’art.
- Moi, j’aime bien quand ça représente quelque chose, mais bon, tout évolue, tout change, même les goûts et les couleurs. Non, sans rire, c’est harmonieux, c’est vrai, mais, bon…
Alexandre hausse les épaules devant la moue significative de la vieille dame.
- Hé oui, mamie. Moi, je trouve ça joli.
- Et l’auteure aussi, je suppose ?
- Aussi. Oui.
Il a répondu trop vite. Trop instinctivement. Martine sourit. Elle a deviné que son petit-fils n’est pas indifférent au charme de la demoiselle. Elle se dit que c’est beau d’être jeune et d’avoir un cœur qui s’enflamme à la vue du moindre jupon qui s’agite et d’une coiffure qui ondoie.
Ils s’assoient sur le banc de bois et suivent l’envahissement des eaux qui submergent un peu… Beaucoup… Complètement l’œuvre qui se laisse engloutir jusqu’à sa disparition totale. Ce n’est pas une mer sauvage, déchaînée. C’est un océan paisible, sûr de lui, qui s’avance, précédé d’un peu d’écume blanchâtre teintée de sable brun. L’élément liquide efface les souillures du genre animal et humain qui ne savent que dégrader le monde initial. Il sait qu’en définitive il aura le dernier mot. Alexandre est déçu. Il espérait secrètement que l’artiste allait assister à l’effacement progressif de sa réalisation. Parce qu’après tout, ce devait être le but qu’elle recherchait, l’aspect éphémère, l’anéantissement de l’œuvre par une force puissante. Cette jeune femme est décidément une énigme. Il a toujours été tenté par la difficulté, le désir de résoudre ce qui suscite le questionnement. L’aïeule le regarde discrètement du coin de l’œil. Elle perçoit le trouble furtif de son petit-fils et tente d’y mettre fin :
- Allez, on rentre, on range la cuisine et ensuite on s’offre une petite sieste.
Quelques timides gouttes de pluie s’égarent, inutiles, sur les branches des pins.
Pendant qu’Alexandre se laisse envelopper par une douce torpeur, la vieille dame, en femme d’action qu’elle est restée, décide de passer aux actes. Elle téléphone, presque à voix basse à Edouard Desrues, l’homme qui jadis faisait partie du comité des fêtes. Elle souhaite le rencontrer pour lui parler de la manifestation d’œuvres éphémères organisée il y a une bonne vingtaine d’années.
L’homme ne s’étonne pas de la demande de l’ancienne épicière. C’est une vieille femme agréable. Sans doute comme tous les gens de son âge, accrochée au passé. Le rendez-vous est pris chez Martine, pour le lendemain à dix heures trente. L’aïeule se dit qu’elle incitera le gamin à sortir, tout en étant persuadée qu’elle n’aura pas besoin d’intervenir. Elle est prête à parier qu’il voudra aller voir, à cette heure de marée basse, si la jeune artiste est de retour sur son terrain d’expression. Elle est ravie. Son petit-fils la sort de sa routine, de sa vie toute tracée de femme âgée et seule. Elle sait que c’est temporaire et compte bien profiter de son séjour chez elle, pour renouer avec la vie. Cette vie qui lui a parfois souri, mais aussi causé bien des soucis, surtout au moment du départ de son conjoint vers l’au-delà la laissant seule et désemparée.
Cela a été si brutal.
Le matin il vaquait normalement à ses nombreuses occupations. Le midi il s’était plaint d’un peu de fatigue. En fin d’après-midi, alors qu’il était parti se reposer dans la chambre, elle l’avait trouvé sans vie, gisant sur le lit. Moment de panique totale. Vide abyssal. Refus de croire à cette réalité innommable. Immense peine face à cet odieux destin. Impression que la terre vient de s’arrêter de tourner. Comment survivre après cela ? Et tous les souvenirs qui s’accumulent à la suite d’une vie bien remplie vécue à deux. Les larmes qui s’enfuient bien malgré elle qui se veut forte. La chambre mortuaire froide, baignée dans une discrète lumière verte. Le défilé de la famille, des amis… et des autres aussi. Les embrassades pleines de sentiments et celles plus ou moins convenues. Les fleurs. Le partage des moments passés avec le défunt. La rupture définitive. L’ultime baiser. Le couvercle du cercueil qui se referme. La messe d’adieu. Le défilé sans fin de tous ceux qui le connaissaient bien… ou un peu pendant que l‘harmonium fait entendre un air de circonstance. Et puis le pire. Le cimetière, le trou béant, le cercueil qui descend vers l’abîme. Le retour. La maison vide. L’absence et le souvenir pour nouveaux compagnons.
Et la vie qui reprend tout doucement ses droits.
Conformément à ce qu’elle pensait, Alexandre est sorti faire un tour. C’est en tout cas ce qu’il a prétendu. La grand-mère n’est pas dupe. Elle n’a rien répliqué. Cela sert son dessein.
Desrues, un malade de l’exactitude, est arrivé à dix heures trente comme prévu, à une minute près.
Assis dans les fauteuils du salon les deux autochtones entrent directement dans le vif du sujet. Ils se connaissent depuis longtemps quand bien même l’exépicière, qui n’était pas avare de bonbons pour ses jeunes clients, affiche une trentaine d’années de plus que son visiteur.
- Voilà, je voulais te rencontrer parce qu’hier, mon petit-fils, que j’ai en garde en ce moment pendant deux semaines minima, a vu une jeune fille tracer sur la plage de la crique ce qu’il est coutume d’appeler une œuvre éphémère. C’est rare. Pour ma part, je n’ai jamais assisté à ce genre d’événement. Il m’est revenu à l’idée qu’avec le comité des fêtes, tu avais organisé un truc semblable.
- C’est vrai. Il y a exactement vingt-deux ans. Ça faisait partie des projets de la commune pour fêter le passage au deuxième millénaire.
- Est-ce que tu sais ce qui pousse ces… artistes à se livrer à ce passe-temps qui me parait un peu absurde. Ils bossent en sachant que la mer va tout effacer. Bizarre, non ?
- On peut penser ça en effet. Je n’ai rencontré ces gens-là qu’une seule fois. Ils ne m’ont pas paru farfelus. Pour ma part, je n’étais pas favorable à ce genre de manif. Marc Cherron, nouvellement élu maire, a beaucoup insisté. Il prétendait que c’était original. Qu’en organisant ce genre de manifestation on allait attirer du monde, ce qui est toujours bon pour une petite station balnéaire comme la nôtre. Les spectateurs, il est vrai, étaient assez nombreux. En revanche, il n’y avait que cinq personnes à relever le défi. Trois hommes et deux femmes. Quand on y pense heureusement parce que cette plage n'est pas très grande. S’il y avait eu plus de candidats, nous aurions eu des problèmes. Les réalisations étaient plutôt de qualité. Notre cher édile faisait partie du jury et il a eu la voix prépondérante pour que l’artiste qui a obtenu le premier prix soit l’une des deux femmes. Je dois reconnaitre qu’effectivement, elle était la plus douée. Mais tu le sais aussi bien que moi, certains ne partagent pas les avis de notre maire et avaient voté pour un homme, à mon sens pour le faire chier, excuse le terme. J’ai discuté un peu avec chacun. Ils prétendaient tous qu’ils imitaient la vie qui, comme on le sait est éphémère. C’est ce qui fait qu’elle est belle, voire précieuse et que l’éternité serait d’un ennui mortel. Que tout ce qui vieillit se fane, se flétrit, perd de son éclat un jour. Certains pensaient qu’il s’agissait là d’une sorte de méditation. En tout cas c’est ce que prétendait la lauréate. Pour d’autres, grâce à la vidéo, aux photos et articles des journaux, c’était un moyen de se faire connaitre. A chacun son avis. Je ne te cache pas que je ne partageais pas le leur. Mais bon, chacun a le droit de penser ce qu’il veut. Donc tu disais qu’hier matin, une jeune fille se livrait à ce genre d’occupation.
- Oui, et d’après mon petit-fils elle est douée. Je suis persuadée que ce n’est pas une gamine du village, j’en suis même certaine. Telle qu’il me l’a décrite, je ne vois pas qui c’est. Et je me vante de connaitre tous ceux qui habitent ici, enfin, à l’année. Par ailleurs, ce n’est pas le genre de prestation qui me fascine. Moi, tu sais, j’ai les pieds sur terre. J’aime ce qui représente quelque chose et qu’on peut regarder de temps en temps rien que pour le plaisir. Alors, un truc, même s’il est joli, qui disparait avec la marée…
L’homme émet un sourire de complaisance :
- Je partage ton étonnement. En vingt-deux ans je ne me souviens pas non plus avoir eu connaissance d’un dessinateur de fresques éphémères. C’est vrai que cet art interroge. Et puis à quoi ça sert ? Surtout en ce moment. Il n’y a pas de touristes pour contempler son chef d’œuvre. A part le plaisir de créer je ne vois pas trop ce qui l’anime.
Son visage exprime une profonde concentration. Un questionnement intérieur qu’il condescend à rendre audible :
- Auprès de qui je vais pouvoir me renseigner ? Bon, je vais voir.
- T’es pressé ?
- Non, pas vraiment.
- Alors je t’offre un apéro.
- D’accord !
Au moment où l’ancien membre du comité des fêtes s’apprête à rejoindre ses pénates, Alexandre franchit la porte de la maison. Ses cheveux dégoulinent de pluie. Ses vêtements sont imbibés d’eau et de taches brunes. Martine est effarée :
- Où étais-tu passé malheureux ? Avec ce temps de chien je m’inquiétais. Va vite te changer. Si tes parents te voyaient dans cet état, ils me feraient une scène terrible et ils n’auraient pas complètement tort.
- Ils ne me verront pas, mamie. Et puis je ne suis pas en sucre.
Le jeune homme se dirige vers sa chambre, se dévêt entièrement pour revêtir des effets secs. Après un dernier coup de peigne il réapparait pimpant. Martine se livre alors avec plaisir aux présentations. Les deux hommes échangent une poignée de mains virile. En plaisantant le visiteur demande si la grand-mère traite bien son petit-fils ? Celui-ci répond par l’affirmative en précisant qu’il n’a rien à lui reprocher, loin s’en faut. Son hébergeuse est sympa, la soupe est bonne, le lit confortable et l’air marin salvateur. Que demander de plus ?
Martine est aux anges. Ce gamin illumine ses journées. Elle pose quand même la question qui lui brûle les lèvres :
- Malgré ce fichu temps soudain est-ce que l’artiste était sur la plage ?
Alexandre hésite quant à la réponse qu’il doit donner. Il émet un oui qui se veut neutre, prétend que le dessin de la demoiselle, était strictement identique à celui de la veille ce qui dénote un manque de créativité notoire et surprenant. Il est donc resté peu de temps à regarder. L’averse brutale qui s’est soudain déchainée a tout détruit et l’artiste s’est enfuie en courant. Apparemment dépitée. Il a heureusement trouvé refuge sous un abri bus et attendu que le déluge cesse pour revenir au village. Martine n’est pas pleinement convaincue par le discours de son petit-fils. Elle n’en fait pas état, d’autant moins que la présence de Desrues rendrait le propos inconvenant. Elle propose un nouvel apéritif, que les deux hommes ne refusent pas. Les verres s’entrechoquent à nouveau. Chacun donne un avis favorable sur la qualité du breuvage concoctée par l’aïeule, ce qui empli de fierté la vieille dame. Desrues assure qu’il va tenter de savoir qui est cette inconnue, sans promettre quoi que ce soit. Nouvelle poignée de mains. Promesse de se revoir. Sourires convenus.
Desrues qui avait le projet de passer par la crique est déçu, mais se rassure en se persuadant que ce ne sera que partie remise. Il promet, à nouveau, à Martine de se renseigner. La vieille dame sait qu’il tient toujours ses promesses. Et puis, l’ex-épicière est une femme si sympathique. Combien de bonbons lui a-t-elle donnés lorsqu’il était enfant ? Tous les gamins l’adoraient.
Une fois dehors, poussé par une force inconnue, il se dirige malgré tout vers la crique. Cette histoire de jeune fille qui dessine sur la grève une œuvre éphémère l’interpelle, surtout par un temps pareil. Arrivé sur le sentier côtier qui domine la minuscule anse, il aperçoit une jeune femme qui trace sur le sable une figure géométrique. Visiblement l’artiste est revenue une fois l’averse passée démontrant une étrange volonté de créer. Vu du haut, le graphisme est plutôt réussi, bien qu’il ne semble ne représenter que des lignes enchevêtrées. Tout comme Alexandre avant lui, il descend prudemment vers la plage. Il fait plusieurs fois le tour de l’œuvre. C’est vrai que c’est assez harmonieux, mais l’auteure manque encore de maturité. Certains traits sont trop profonds, brisant ainsi la régularité de l’ensemble. Le geste manque un peu de fermeté et de grâce réunies. La jeune femme ne semble nullement dérangée par cette intrusion humaine, l’ignorant superbement. Elle est dans sa bulle. Il a le sentiment bizarre d’avoir déjà vu ce motif. Il n’a assisté qu’à une seule représentation de ce style, il y a vingt-deux ans. C’est donc obligatoirement ce jour-là. Par ailleurs les réalisations étaient d’une taille beaucoup plus modeste. Il a beau se concentrer pour trouver quel était, alors l’auteur de ce… dessin sur le sable, il n’arrive pas à mettre un visage sur l’artiste concerné, ni si c’était la production d’une femme ou d’un homme, et encore moins un nom. La mer qui est encore assez loin, s’avance lentement mais sûrement comme un chat qui a vu un oiseau sur la pelouse rampe ventre à terre, comme un sioux, prêt à lui sauter dessus. L’adolescente poursuit inlassablement son travail de création ignorant tout ce qui l’entoure. Insolite ! Pour le moins curieux. Il aimerait l’interroger, sur les raisons de son travail mais elle semble si absente à son environnement que la démarche serait certainement incongrue. Peut-être même est-elle sourde ou muette. Qui sait ! En tout cas il est, tout comme Martine, certain de ne l’avoir jamais vue dans le village. Il remonte vers le sentier se remémorant que lorsqu’il était jeune, avec ses copains, ils se chronométraient pour savoir lequel battrait le record de la montée. On est cons quand on est adolescents, mais c’étaient des sacrés bons moments. Aujourd’hui il grimpe lentement en contrôlant son souffle. Son attention est soumise à rude épreuve d’autant plus que l’averse précédente a particulièrement rendu la montée glissante et dangereuse On ne peut pas être et avoir été en même temps. Il n’a plus vingt ans.
Sur le chemin du retour chez lui, son cerveau s’emplit de questions sans réponses satisfaisantes. Il déteste les devinettes. Cette gamine l’interpelle. Il veut savoir. Il saura. Aussitôt après le déjeuner, il ira chez Octave Ramin, le correspondant local de la presse écrite.