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Non, c'est non ! Chacun a un destin tracé d'avance. dans le respect de ceux qui nous ont précédés. C'st comme ça que le monde tourne, sinon, ce serait la pagaille. Robert Leroy, héritier d'une longue lignée de boulangers, dans un petit village des Mauges, ne peut accepter le choix de son fils Jocelyn (en qui il met tous ses espoirs) de ne pas prolonger la longue tradition artisanale de ses ancêtres. Et pour devenir quoi? Un clown, un amuseur , un saltimbanque. Tout cela parce qu'à l'âge de sept ans il a été chamboulé par l'Auguste d'un grand cirque français de passage à Cholet. Non, c'est non.
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Seitenzahl: 266
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Du même auteur :
Des jours presque ordinaires – Editions les 2 encres (2012)
Aux confluents de la vie – Editions Les 2 encres (2013)
Je t’attends – Editions Baudelaire – BoD (2018)
C’est long l’éternité – BoD (2018)
Un village tranquille – BoD (2019)
L’homme qui voulait imiter Zorro – BoD (2020)
Le Cahier rouge – BoD (2021)
Contact auteur : joë[email protected]
A mon épouse, Denise, qui m’a accompagné et guidé par ses précieuses critiques dans l’ écriture de ce roman. A ma famille, enfants, conjoints et petits-enfants A mes amis : Dominique Berthemont et Guy Fribault Brigitte et Gérard Lefebvre Eliane et Jacques Moret Catherine et Jean Marie Raimbault… Qui ont su, comme pour chacun de mes romans, corriger mes fautes de frappe… et les autres et me témoigner leur ineffable amitié.
A tous ceux, les amis et les autres, qui m’interrogent sur le déroulement de mes écrits et attendent leur parution.
A tous ceux que j’aime.
Quand j’étais jeune, je voulais être
Ministre ou clown.
J’ai choisi la deuxième option
Car je suis un garçon sérieux.
Sim
Un homme va chez le toubib.
Il dit qu’il est déprimé
La vie lui parait dure et cruelle.
Il dit qu’il se sent tout seul
Dans un monde menaçant.
Le toubib dit :
Le remède est simple.
Le clown Paillasse est en ville. Allez le voir,
Ça vous remontera le moral.
L’homme éclate en sanglots :
Mais docteur, je suis Paillasse.
Dans le film Watch en Rorschach
De Alan Moore et Dave Gibbons
JUIN 1950
1956
1957
Les années suivantes
L’abbé Belma, vicaire de la paroisse organisait, tous les ans, pour ses paroissiens une sortie dans le courant de juin. Il avait choisi ce mois-là parce qu’il était persuadé qu’il s’agissait du plus beau mois de l’année. Ce n’était plus tout à fait le printemps et ses températures incertaines, mais pas encore l’été avec ses journées caniculaires. En homme d’église, tolérant, issu d’une famille du peuple, il invitait tous les habitants du village à participer : les pratiquants (ultras majoritaires) bien sûr, mais également ceux qui ne franchissaient jamais ou très rarement le porche de l’église, ce qui ne les empêchait pas d’être, qu’ils le veuillent ou non, des enfants de Dieu. Tout le monde lui en était reconnaissant à l’exception de quelques bigotes habillées de noir et d’hommes intolérants qui n’avaient pas compris grand-chose au message du Christ. Il y avait également, en nombre restreint, les vrais opposants à la chrétienté qui estimaient que c’était une manœuvre grossière de cet abbé, pour s’attirer les bonnes grâces des infidèles. Au-jourd’hui, comme hier, tous les avis sont dans la nature de l’homme, quand bien même ceux-ci sont injustifiés.
Les années précédentes le prêtre avait organisé une visite des châteaux de la Loire, une journée au bord de l’Atlantique à Saint-Brévin-les-Pins, la découverte de la ville d’’Angers et de son château… entre autres. Pour cette année 1950, il avait choisi d’emmener ses ouailles assister à un spectacle de cirque, et plus précisément l’un des plus grands parcourant la France : le cirque Amar, qui avait planté son chapiteau à Cholet. Quelques petits cirques étaient venus, c’est vrai, installer le leur dans le village, mais absolument rien de comparable avec cet illustre monument qu’était le cirque Amar. Chaque année, l’abbé mettait à contribution le transporteur local propriétaire de deux cars qui, avec son fils, se faisaient un plaisir d’être des acteurs de l’éveil des âmes locales. Il faut dire qu’à l’époque seules les maisons citadines, ainsi que les fermes proches du bourg, jouissaient, depuis quelques années, de l’électricité. Les autres, en attendant, s’éclairaient avec des lampes à pétrole. Leur nombre rétrécissait régulièrement, mais il en restait, cette année-là, quelques-unes, les plus lointaines, qui s’en trouvaient encore démunies. Bien sûr, on ne possédait pas de télévision. Seuls les journaux et, dans certaines demeures, les énormes postes de radio tenaient les habitants informés des nouvelles du monde. On ne trouvait le téléphone que chez certains notables et les rares commerçants. Les moyens de transport étaient rudimentaires, quelques voitures et motos sillonnaient les rues du village, les chevaux se baladaient à parité avec les engins motorisés et les bicyclettes. Les déplacements, se faisaient à pied ou à vélo, limitant considérablement les rayons d’action. Les cars Citroën desservaient, plusieurs fois par jour, certaines communes, celles situées sur les axes routiers reliant les plus grandes villes du département. Pour les autres… On vivait presque en autarcie, ce qui n’était pas toujours simple et amenait une série de conflits locaux plus ou moins importants, plus ou moins burlesques.
Cette année-là, le jeune prêtre s’était trouvé débordé. Pensez donc, un grand cirque ! Il lui avait fallu louer trois cars et donc en chercher un autre en ville, à Cholet. Loin d’en être dépité, le vicaire avait ressenti de la fierté, d’autant plus que les non pratiquants avaient répondu presque tous à son invitation et même, comble du succès, l’en avaient vivement remercié.
Le jour de l’événement, les stations météo enregistraient un pic de chaleur inhabituel. L’abbé y avait vu un signe du ciel. Une récompense divine pour son action humaine et spirituelle. Cela confinait, chez lui, à un début d’orgueil qui, comme chacun le sait, est un péché. Le propriétaire du ciel l’avait sûrement absous tant il méritait d’être fier de lui.
Sur la place du village, les participants étaient arrivés bien avant l’heure prévue. Ils s’étaient abrités du soleil sous les grands marronniers qui ombrageaient l’endroit. Les plus âgés s’étaient assis sur les bancs de bois. Les enfants couraient dans tous les sens, excités comme des poux sur un crâne chauve. On discutait en groupes. On se réjouissait à l’avance. Chacun avait revêtu ses habits du dimanche bien que nous soyons un samedi. Une fois n’est pas coutume. L’évènement en valait la peine. Les femmes portaient des robes légères laissant apercevoir les genoux, faisant aimer l’été. Les hommes arboraient des pantalons de toile et des chemisettes mettant en valeur leurs bras musclés et bronzés. Le seul et unique coiffeur de la localité avait vécu une semaine chargée, sans se plaindre évidemment de ce surplus de clientèle. Certains même avaient, volontairement, oublié les travaux des champs. Il faut dire que la canicule permettait ce relâchement. D’autres avaient fermé boutique ce qui était rare. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut profiter du spectacle d’un grand cirque. Le cirque Amar ! Vous vous rendez compte ! Cela paraissait à peine pensable pour la plupart des gens simples qui savaient vivre tout aussi simplement. Quelle occasion ! Grâce au représentant, de Dieu, en soutane. Le père curé, lui, était resté à la cure. Il n’aimait pas plus que cela se mêler à la populace. Ce genre de manifestations, extra religieuses était dévolu au vicaire. Pas au pasteur des âmes, responsable d’actions plus… sacrées. Quand on a été élevé dans un château, on n’a pas la même notion du peuple que son vicaire né roturier, ce qui est logique, à défaut de s’apparenter à la chrétienté.
L’arrivée des cars fut saluée par un tonnerre d’applaudissements. Cette fois, le rêve devenait réalité. Ce ne fut pas la ruée. On savait être respectueux dans le bocage local. On aidait les plus vieux à lever la jambe pour gravir les marches qui menaient à l’habitacle et même on leur donnait un coup de main pour qu’ils s’assoient à l’avant. Chacun savait bien qu’il aurait une place et que se précipiter, outre le fait que ce soit mal pris, était inutile, voire inconvenant. L’abbé était radieux. Rassembler les croyants et les mécréants, assis les uns à côté des autres le ravissait. C’était cela son idée du peuple, un mélange harmonieux, respectueux et festif.
Et il en était l’initiateur.
Ses mains se rejoignirent et il ne put s’empêcher de marmonner discrètement un remerciement au Créateur, bien que tout le mérite lui revienne à lui, l’un de ses représentants sur terre. Pour être certain que personne ne manquait à l’appel, et que l’on n’allait pas en laisser un ou une sur le trottoir, il était passé dans l’allée centrale de chaque car pour compter les présents. Il gratifiait les uns et les autres d’un sourire avenant comme si c’était à lui de remercier ces gens de l’avoir suivi dans cette aventure. Presque tous lui avaient rendu cette gentille attention. On avait même vu Edouard Morin, le forgeron, pas loin d’être anticlérical, lui serrer la main. Le jeune prêtre en avait ressenti des frissons et, du même coup, s’était trouvé amplement récompensé par ce geste inattendu.
Les portes des bus s’étaient refermées. Les moteurs avaient fait entendre leur ronronnement. Les passagers des trois véhicules avaient, une fois de plus, applaudi. L’aventure était en marche. Le village disparaissait rapidement, laissant la place à la campagne avant de rejoindre la ville. Dans le premier car, Marthe Corbet racontait, à qui voulait l’entendre, que cela faisait sûrement plus de quinze ans qu’elle n’avait pas mis les pieds à Cholet. A ceux qui s’en étonnaient, elle répliquait qu’elle n’avait rien à y faire, trouvant tout ce dont elle avait besoin dans son village natal et que cette grande ville la fatiguait. Certes, dans le patelin, il n’y avait pas de magasin de vêtements, par exemple, mais un camion, bien achalandé, s’arrêtait au moins une fois par semaine sur la grande place. Dans le deuxième véhicule, Léon Durand tenait, à peu près, le même discours. Il allait jusqu’à affirmer que l’air n’y était pas obligatoirement bon, soutenant que les citadins jouissaient, de ce fait, d’un temps de vie bien plus court que ceux qui vivaient à l’air pur de la campagne. Les plus jeunes avaient, discrètement, haussé les épaules en signe de désapprobation, sans oser contrecarrer les idées de l’ancêtre. Et puis ce n’était ni le moment, ni le lieu. Assis sur la banquette arrière du troisième, des adolescents chantonnaient un air d’hier, auquel s’associaient, en leur for intérieur, les plus âgés, ravis que ce chant-là soit encore prisé. Partout, on discutait à voix plus ou moins basse avec son voisin ou sa voisine, impatient d’arriver sur le lieu des réjouissances.
Lorsqu’apparurent les premières maisons de la ville, le silence, bizarrement, envahit les habitacles. On arrivait. On tutoyait le nirvana.
Sur le parking de nombreux cars et voitures étaient déjà stationnés. Pour certains, c’était bien la première fois qu’ils en voyaient autant. Seuls ceux ayant participé à un pèlerinage à Lourdes pouvaient se vanter d’avoir connu cela auparavant.
Des centaines de personnes se dirigeaient vers l’immense chapiteau rouge et blanc. Au vu de la taille de celui-ci, tout le monde était déjà impressionné. L’abbé avait demandé à ses fidèles de rester, pour l’instant, près des bus, le temps qu’il aille chercher les billets, préalablement réservés. Pas de panique. Tout était prévu y compris l’emplacement et les numéros des places occupés par le groupe. Seul le petit Armand Pernet l’avait accompagné. Il faut préciser qu’il y avait une raison à cela. Ce gamin, enfant de chœur de surcroît, avait dramatiquement perdu son père, deux ans plus tôt. Alors qu’il creusait lui-même le puits, prévu pour fournir de l’eau à la famille, ayant atteint la profondeur de cinq mètres, l’homme avait rencontré la roche ce qui nécessitait d’utiliser un explosif afin de continuer le travail. On n’a jamais su les raisons de l’explosion qui a enseveli le corps du père sous des tonnes de pierres et de terre. Ce ne sont pas les hypothèses qui avaient manqué, y compris les plus inimaginables, voire malfaisantes. Pour l’enfant, le drame ne s’était pas arrêté là. La mère, devenue folle de chagrin, dut être internée à l’hôpital psychiatrique de Sainte Gemmes, que beaucoup appelaient à l’époque : l’asile. Ce sont les grands-parents paternels qui s’occupèrent de l’enfant, aidés par l’abbé Belma. Ce dernier fut alors, selon les termes des psychiatres, l’objet d’un transfert paternel.
L’attente fut de courte durée.
C’est en procession que les paroissiens se dirigèrent vers la grande tente, selon les termes d’Eugénie Masson, les yeux grands ouverts et la tête dans les étoiles. Ça grouillait de partout. On aurait dit une ruche en effervescence. Chacun s’engouffrait sous le chapiteau avec la ferveur identique à celle de certains entrant à l’église, le dimanche matin, pour la grand’messe. Immense ! Tellement haut ! Tellement rond ! L’important groupe s’installa à droite de l’allée circulaire qui séparait les gradins de bois des chaises longeant la piste, occupées par les familles les plus aisées. Une fois encore, les personnes âgées occupèrent les bancs les plus bas. Question de mobilité. La souplesse a une fâcheuse tendance à disparaitre au fil des ans. Les jeunes, quant à eux, grimpèrent allégrement sur les bancs les plus hauts, ceux qui touchaient presque la toile, formant une sorte de dégradé bariolé, cascade humaine multicolore. Avant même le spectacle, la magie des lieux opérait. Au fur et à mesure, le chapiteau s’emplissait. Les nouveaux arrivants faisaient se lever ceux déjà installés pour rejoindre leurs places sans que cela provoque la moindre contestation. C’est dire dans quel état d’esprit la promesse de l’exhibition attendue jouait sur ce peuple habituellement râleur à la moindre contrariété ou dérangement.
Les yeux n’étaient pas assez grands pour tout voir : Les trois mâts du chapiteau, si grands, la piste si ronde, l’orchestre qui s’installait, là-haut, au-dessus de l’entrée des artistes avec ses musiciens en habits de lumière. Les vendeurs de confiserie, un panier rectangulaire pendu à leur cou par une lanière de cuir, proposaient cacahuètes, gâteaux, sucettes et diverses gâteries. D’autres offraient à la vente, des gadgets, ballons gonflables, médailles souvenirs, petits masques faciaux. J’en passe et des multiples. On devenait impatients que le vrai spectacle de cirque commence.
A vingt heures trente précises, l’orchestre avait entamé l’air traditionnel qu’il est difficile de traduire par écrit, (ce que je vais toutefois tenter : Tata… tata… ta… ta… tata… tata… etc.) De nombreux spectateurs, semblant connaitre cet air d’introduction accompagnaient les musiciens en tapant dans leurs mains. Merveilleux ! Les projecteurs tout à coup s’évanouirent plongeant l’assistance dans l’obscurité pour, aussitôt après, illuminer, de mille feux, la piste. Monsieur Loyal, fier comme Artaban, le sourire avenant, les bras accueillants, souhaita la bienvenue à tous les spectateurs. L’immense frémissement sous le chapiteau, prouvait, s’il en était besoin, la fin de la fièvre due à l’attente. On venait de libérer l’assistance. Monsieur Loyal, son travail d’introduction terminé, rejoignit ses pénates sous les applaudissements nourris. Enfin, le spectacle allait commencer.
Plus aucun bruit.
Le silence !
Entrée de la première artiste. Belle ! Jeune ! Presqu’encore une enfant ! Une funambule qui allait marcher sur un câble d’acier tendu à plus de deux mètres de haut. Les têtes se dirigèrent, en même temps, en une communion parfaite, vers le lieu du probable premier exploit de la soirée.
Le retour fut animé et bruyant. Chacune et chacun voulaient faire partager son enthousiasme au reste du car, ce qui créait une cacophonie générale mais bon enfant. Les voix les plus mâles émergeaient, vantant les trapézistes qui trônaient en haut de ce que l’on qualifierait aujourd’hui de hit-parade. Leur maestria, leur courage évident, en avaient fait de véritables héros. Tout le monde avait connu le grand frisson lorsqu’ils s’étaient élancés dans le vide, pour s’accrocher à une partie du corps de celui, resté rivé par le bout des pieds à son morceau de bois. Les spectateurs avaient émis, plus ou moins discrètement, un cri d’effroi à l’idée qu’ils pouvaient s’écraser sur la piste. De vrais grands artistes. Certains voulaient souligner l’identique courage du dompteur au milieu de ses six fauves rugissant tandis que le fouet, sans les atteindre bien sûr, tournoyait au-dessus de leurs crinières. Heureusement que l’on avait, précautionneusement, installé d’immenses et lourdes grilles entre la piste et les spectateurs. D’autres évoquaient cet éléphant qui avait posé sa grosse patte avant à quelques centimètres du visage d’une jeune femme courageuse, à moins qu’elle ait fait preuve d’inconscience… Et ce lanceur de couteaux qui, les yeux bandés, avait envoyé ses dangereux projectiles entourer le visage et le corps de sa partenaire impavide… Et le prestidigitateur et ses tourterelles apparaissant dans les endroits les plus improbables, y compris dans le public, sans que personne n’ait aperçu le moindre vol préliminaire. Et… Et… la liste semblait interminable. Seul un enfant de sept ans, le jeune Jocelyn Leroy, ne disait rien. Il gardait pour lui, et lui seul, l’émerveillement qui avait été le sien pendant le numéro de clowns. Certes celui vêtu tout de blanc, y compris le chapeau conique posé sur sa tête, et le visage couleur de neige, l’avait impressionné, mais surtout, il avait été bouleversé par l’Auguste. Ce dernier chaussé d’énormes godasses noires, au pantalon jaune usagé et trop large, à la veste bariolée trop longue, au nez rouge écarlate, au petit chapeau vert posé sur des cheveux roux, l’avait ému et transporté. Cet homme imitait les travers, les maladresses ou la stupidité de ses congénères, provoquant des catastrophes burlesques. Jamais le gamin n’avait, durant sa courte existence, ressenti pareille émotion. Ce personnage campait en permanence dans son esprit. Il n’arrivait pas à le déloger. En avait-il l’envie ? Apparemment pas. Son âge ne lui permettait pas encore d’analyser l’effet qu’il avait produit sur lui, mais il se plaisait en la compagnie de ce génial moqueur de nos comportements journaliers.
Lorsque les cars s’étaient stationnés sur la grande place du village, certains n’avaient eu aucune envie de retourner si vite chez eux. Ils voulaient prolonger cet intense moment de convivialité, d’autant plus facilement que la température, grâce à la nuit tombée, était devenue légèrement plus douce. Les lampadaires traçaient des cercles faiblards, mais suffisants pour voir celui ou celle à qui l’on se confiait. Ils étaient, heureusement aidés par un ciel où régnait une pléiade d’étoiles lumineuses, comme si le créateur voulait poursuivre la féérie de cette mémorable soirée. L’abbé Belma était aux anges. Il allait de groupe en groupe, pleinement satisfait des réactions de ses paroissiens. Une fois de plus, il avait remercié Dieu de l’avoir aidé et soutenu dans cette aventure.
La famille Leroy n’avait pas trainé. Leur boulangerie ouvrait de bonne heure le matin. Certains villageois profitaient de la première messe, à sept heures, pour s’approvisionner en pain, notamment les fermiers qui rejoignaient ensuite leurs étables pour la traite. Les vaches ne chôment pas, même le jour du Seigneur. A la question attendue que lui avaient posée ses parents, Jocelyn avait donné une réponse positive sans trop s’étendre sur le sujet. Oui, le spectacle lui avait beaucoup plu… Vraiment beaucoup plu. Le père et la mère n’étaient pas des bavards. Ils se contentèrent de cette réponse. Il était temps de rejoindre la chambre. La nuit allait être plus courte que les autres. Jocelyn eut du mal à s’endormir. Il revoyait l’Auguste, ses cheveux roux qui se dressaient vers la voute du chapiteau dès qu’il enlevait son chapeau, ses facéties, ses chutes provoquées quelquefois par le clown blanc et autoritaire, mais en fin de compte, c’est toujours lui, le facétieux, qui avait le dernier mot.
Le lendemain, avant, et surtout après la messe de dix heures trente, les spectateurs de la soirée précédente avaient, sur la place de l’église, poursuivi l’évocation de leurs émotions de la veille. Ils l’avaient fait sans réelle discrétion, avec l’intention, ou pas, de procurer des regrets à ceux qui avaient négligé l’invitation du vicaire. Cette stratégie, quelque peu tendancieuse, avait atteint son objectif pour quelques paroissiens. Elle fut également l’objet d’une presque scène de ménage entre les époux Lebreton. Madame, reprochait à monsieur de l’avoir empêchée d’assister à ce qui, d’après ce qu’elle entendait, avait été un spectacle merveilleux. Monsieur, d’un ton peu amène, avait déclaré qu’elle pouvait bien y aller toute seule et que jamais, au grand jamais, il ne lui avait interdit. Madame avait rétorqué que lorsque l’on est un couple, on sort ensemble. Monsieur avait répliqué que c’était bien là une idée de femme, avant d’entrer, l’œil mauvais, son missel à la main, dans la maison du Seigneur. Bertrand Vacher était resté muet face à ce qu’il prenait pour une provocation mais ne put s’empêcher de hausser les épaules, et lever les yeux au ciel comme pour prendre le Divin à témoin de cet acte bien peu chrétien. Il y avait eu quand même un moment où l’on n’avait pu craindre l’incident. Norbert Leneveu avait fait face à ces trublions qui vantaient le travail de ceux que lui qualifiait de nomades, les apparentant aux meillots, comme le vocabulaire local désignait les gens du voyage. Ces propos contraires à la doctrine chrétienne qui prône le : Aimez-vous les uns les autres, avaient ulcéré Charles Boiteau :
— Tu dis ça et tu vas tous les dimanches à la messe. T’as pas honte ?
L’autre avait répliqué :
— Ça n’a rien à voir. Tout le monde sait que ces gens-là sont des voleurs de poules et de bien autres choses.
Le ton était monté d’un cran. Les visages s’étaient rapprochés. Menaçants ! Anatole Lefur avait retenu le bras de Charles avant que celui-ci frappe son détracteur, tandis que Pierre Archambeau tentait d’en faire autant sur celui de Leneveu.
Ambiance !
L’abbé Belma, alerté par les éclats de voix avait surgi, vêtu de l’habit sacerdotal. Il s’était interposé entre les belligérants et avait écarté les bras, pour mettre de la distance entre les deux hommes chauffés à blanc. Charles Boiteau avait tenté d’expliquer au vicaire la cause de son différend avec ce… il avait hésité.
— Ce… sale type qui insulte son prochain.
Le prêtre avait calmement, sur un ton conciliant, exigé le retour à la sérénité et à la raison souhaitant que chacun s’exprime avec calme, sans colère et sans haine. Il avait répété ce qu’il prononçait fréquemment, comme un slogan :
— Nous sommes tous des enfants de Dieu que vous le vouliez ou non. Ayons de la tolérance. Jésus nous a montré la voie à maintes reprises.
Norbert Leneveu ne lui avait pas laissé le temps de donner des exemples. En haussant les épaules il avait argué que cela n’avait rien à voir. Les voleurs de poules restant des voleurs de poules et ça, personne ne pouvait le nier. Il avait, ensuite, pris le parti de ne pas aller plus loin prononçant simplement et seulement un :
— Bon ! Passons.
Charles Boiteau, ne voulant pas être celui par qui le scandale arrive, avait lui-même déposé les armes, en levant les bras en signe de reddition.
Et puis, chacun s’était retrouvé dans l’un des deux cafés qui jouxtaient l’église. Les femmes en avaient profité pour aller chercher le pain quotidien chez l’unique boulanger, en l’occurrence Leroy et son épouse chargée plutôt de la vente.
Pendant toute cette journée, Le jeune Jocelyn avait, à nouveau, été envahi par le souvenir du clown farceur. Il se souvenait de ses gestes, ses mimiques, ses répliques drôles et cinglantes qu’il se prit à imiter à l’abri des regards parentaux.
L’école primaire privée, seule admise dans Le village, n’était pas encore mixte mais les deux écoles, filles et garçons, organisaient conjointement, le même week-end, le troisième de juin, une fête des prix commune. Une large estrade dressée sur le pré près du patronage accueillait les personnalités : Le maire, le curé, la directrice de l’école des filles qui était alors une religieuse (sœur Marie de la Croix) et le directeur de celle des garçons, un laïc (monsieur Roblet) fier de ses vingt-deux années passées à la direction de ce qu’il appelait, avec emphase, le temple du savoir. La fanfare communale, présente en bas de l’estrade, en costume et casquette bleus, égayait l’après-midi sous la houlette du chef Hector, un vieux de la vieille, mais un musicien hors pair, pédagogue de surcroît. Après avoir présenté un spectacle de qualité inégale, chaque classe défilait sur le podium, juste avant que les dignitaires décernent les récompenses aux méritants en déposant, entre leurs mains, des livres d’auteurs connus en nombre différent selon la valeur de l’élève. Les autres, les moins bons, se contentaient d’un éventuel sourire d’encouragement des autorités.
Jocelyn, classé dans les cinq premiers de sa classe, reçut, ce jour-là, une œuvre de Victor Hugo très réputée : Les Misérables. Rien de vraiment original mais cette distinction gonflait d’importance les parents. Leur rejeton était primé. Certes ce n’était ni la Croix d’excellence, ni la Croix d’honneur, réservées respectivement au premier et au second de chaque classe, mais il était quand même sorti du rang des médiocres pour tutoyer l’élite. Cela était largement suffisant pour être fiers de la progéniture.
Après les défilés sur l’estrade, la partie officielle laissait la place à un moment plus festif. Le peuple de la paroisse pouvait se diriger vers les stands offrant plusieurs possibilités de démontrer son adresse, ou espérer un peu de chance pour ramener à la maison des cadeaux fournis, pour la plupart, par les paroissiens eux-mêmes. Cet après-midi-là, le temps incertain n’avait pas gâché pour autant la liesse populaire. Juste quelques gouttes avaient perlé des nuages mais s’étaient évaporées rapidement, parfois même avant d’avoir touché le sol. Dieu n’avait, sans doute, pas voulu nuire à l’esprit de fête de cette commune pratiquante.
Le soir, au dîner, le boulanger avait, pour la énième fois, félicité son fils ainé devant ses sœurs plus jeunes.
— Voyez, avait-il dit aux gamines, votre frère vous montre la voie. Souvenez-vous que seul le travail paye et permet à chacun d’entre nous de s’élever vers le chemin qu’il s’est choisi.
Les fillettes avaient hoché la tête, en signe d’assentiment et regardé leur ainé comme s’il était devenu un demi-dieu. Le père avait poursuivi son discours :
— L’année prochaine, après sa dernière année de primaire, Jocelyn pourra aller à la chambre des métiers où il apprendra, beaucoup mieux qu’avec moi, les nouvelles techniques du métier de boulanger pâtissier. Il sera l’avenir de notre boutique. C’est mon vœu le plus cher. Un fils doit pouvoir dépasser son père. C’est ainsi que le monde évolue. Là-bas, il bénéficiera des meilleurs maîtres qui lui permettront d’apprendre de nouvelles techniques, de nouvelles recettes dans un monde qui doit évoluer, se diversifier. Peut-être même pourrons nous, ensemble, ouvrir un ou deux magasins ou dépôts de pains dans les communes environnantes qui n’en possèdent pas.
Pour la première fois, Jocelyn entendait un discours que son père n’avait jamais tenu auparavant. Néanmoins, cela le gênait car il avait peu d’appétence pour ce métier-là. Il rêvait d’autre chose. Une carrière dont il n’osait parler et qui avait mûri progressivement dans son esprit jusqu’à devenir une évidence. Une passion. Presque une obsession. Il n’avait pas voulu empoisonner la soirée. Tout le monde semblait si heureux. Il avait offert à son géniteur, et au reste de la famille, un sourire de circonstance suffisant pour contenter tout le monde. Il ne lui restait plus, et ce n’était pas une mince affaire, qu’à réfléchir à un discours acceptable par son paternel. Rude tâche, mais indispensable réflexion tant il ne se voyait pas pétrir la pâte le reste de son existence. Il ne niait pas que boulanger était un noble métier. Nourrir ses congénères est depuis la nuit des temps, une occupation digne. Les révolutionnaires de 1789 n’étaient-ils pas allés jusqu’aux grilles du château de Versailles pour réclamer du pain ? Mais il imaginait son avenir autrement. Il était sans doute trop tôt pour en parler à sa famille, mais cela ne devait plus attendre trop longtemps. Quoique.
Cette nuit-là, il dormit mal. Dans sa tête il tentait d’échafauder moult scénarii. Ayant énormément d’amour pour ses parents, Il ne voulait pas les choquer. Il allait, c’est sûr, s’attirer les foudres de son père tant celui-ci rêvait de voir son fils lui succéder. Il ne voulait ni le froisser, et encore moins l’anéantir, mais comment faire ? Des forces qui le dépassaient l’attiraient vers un autre destin, tout aussi louable à ses yeux. Tout aussi beau. Il rêvait d’être clown dans un cirque. Il imaginait son futur dans les yeux réjouis des enfants, dans leurs rires cristallins. Aussi heureux qu’il l’avait été lui-même, quelques années plus tôt, lors de la venue du cirque Amar à Cholet. Il était sûr de lui, quand bien même il ignorait la marche à suivre pour y parvenir. Faire rire ! Faire oublier, l’espace de quelques minutes par jour, les conditions humaines et de vie, pas toujours faciles, de centaines de personnes. Les faire rêver, dépasser les aléas quotidiens, les emmener sur une autre planète, celle de l’insouciance, et de la joie, redevenir enfant quelques secondes d’éternité. Qui pouvait prétendre que ce métier-là, n’était pas un magnifique métier ? Mais il lui fallait choisir le bon moment pour dévoiler son secret, sans dévaster l’homme pour lequel il ressentait tant d’amour et de respect. Pas avant les fêtes de Noël, ni de la chandeleur, moments où la boulangerie tournait à plein régime. Pas à Pâques non plus, pour les mêmes raisons. Cette nuit-là, il fut incapable de prendre une décision. Il finit par penser qu’il lui fallait attendre plus longtemps, peut-être même quelques années, le temps d’y voir plus clair. Le temps de s’informer sur le chemin à suivre qui le mènera sur la piste ensablée d’un chapiteau. Il était encore trop jeune pour se lancer dans une telle aventure, mais il le savait, un jour, il accomplirait son rêve. Il lui fallait patienter, se préparer secrètement, ne rien laisser paraitre qui puisse alerter qui que ce soit, jouer le jeu de l’enfant docile acceptant, ou faisant semblant d’accepter la voie tracée par son géniteur. Il lui fallait apprendre à, non pas mentir, enfin pas vraiment, mais à taire ses intentions. Pas simple pour un jeune élevé dans la franchise, dans le respect de ses parents. Un véritable dilemme. Une souffrance. Pas le moyen d’agir autrement. Chacun devrait être responsable de son destin, sans avoir à subir la pression de la société ni celle de sa famille, surtout si celle-ci, comme c’était le cas, aimait sa progéniture.
La fête des écoles fut, cette année-là, absolument identique à celle de l’année précédente. Même curé, mêmes directrice et directeur d’école, même maire. La seule différence fut l’ordre du classement de Jocelyn. Bénéficiant du départ en collège des deux meilleurs élèves, il avait fini troisième de sa classe, loupant d’une marche, une médaille qui aurait comblé la famille toute entière. Troisième, c’était quand même bien et les parents s’étaient amplement satisfaits de cette place d’honneur.
Jocelyn, quant à lui, cachait sa déception, non pas celle d’être passé si près d’une médaille, ce n’était pas sa principale motivation, mais de n’avoir pas trouvé le moyen d’exposer à sa famille son désir de faire partie du monde du spectacle. Pour en parler, il eut fallu qu’il puisse proposer un vrai projet. Il semblait n’y avoir aucun centre de formation, aucune ouverture pour un garçon de son âge dans un métier apparemment réservé à la famille du cirque. Il tentait de se persuader qu’il devait accepter la proposition de son père et que la seule voie possible était celle de la boulangerie. Son âme se révoltait à cette idée, mais comme disait souvent son père en citant la fable de La Fontaine : On ne lâche pas la proie pour l’ombre. Le conseil du fabuliste, aussi sage soit-il, eut pour Jocelyn un goût amer, loin de favoriser les ambitions du jeune adolescent. Il s’apprêta donc à fréquenter la chambre des métiers de Cholet qu’il intégra en septembre. Dire que cela le passionnait serait exagéré, mais il y mit du cœur s’efforçant à suivre, à la lettre, l’enseignement de ses professeurs. Si son destin était de devenir boulanger pâtissier, autant être parmi les meilleurs.
Le seul avantage de ce projet fut qu’il reçut une mobylette Peugeot pour les trajets journaliers. Piètre consolation, mais consolation tout de même car le garçon en rêvait, enviant certains de ses camarades qui en possédaient déjà une.
Cet engin motorisé… et sonore, lui donnait un air de liberté. Le casque n’était, à l’époque, pas obligatoire. Le vent dans ses cheveux et