Et si les animaux nous rendaient moins bêtes ? - Régine Vandamme - E-Book

Et si les animaux nous rendaient moins bêtes ? E-Book

Régine Vandamme

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Beschreibung

En 2019, confrontée la même semaine à la mort de son chat et de son chien, l’auteure s’est interrogée sur le rapport que les hommes et les femmes entretiennent avec les animaux. Elle est allée chercher chez tous ceux qui ont bien voulu se confier des histoires de vie, des anecdotes, des faits et gestes de la vie animale, des histoires vraies, inoubliables et incroyables. Parfois drôles, parfois cruelles ou tragiques, toutes ont un point commun : le lien même furtif entre l’homme et l’animal qui élève le premier, lui apprend à communiquer sans les mots et à regarder le monde à travers les yeux de l’animal. Ces histoires se lisent comme des nouvelles : chien, chat, cochon, mouche, taupe, cheval, tous ont leur petite minute de gloire dans ce livre bourré de tendresse.

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Et si les animaux nous rendaient moins bêtes ?

Renaissance du Livre

Drève Richelle, 159 – 1410 Waterloo

www.renaissancedulivre.be

Et si les animaux nous rendaient moins bêtes ?

Édition : Valérie Calvez

Photo de couverture : Rudy Degraeve

Dessins de couverture : 123rf

Corrections : Catherine Meeùs

ISBN : 9782507057572

Dépôt légal : D/2022/12.763/11

Tous droits réservés. Aucun élément de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans une banque de données ni publié sous quelque forme que ce soit, soit électronique, soit mécanique ou de toute autre manière, sans l’accord écrit et préalable de l’éditeur.

Régine Vandamme & Cie

Et si les animaux nous rendaient moins bêtes ?

Histoires vraies

L’abeille morte à l’aube des années 1960

Si je ne me trompe pas, je n’ai été piqué qu’une seule fois par une abeille. Dans la ferme de mes grands-parents. Et pourtant, les abeilles, ce n’était pas ça qui manquait : un bon tiers de ma famille faisait dans l’apiculture. Rien que pour aller aux toilettes, dans un coin du jardin aux lapins, il fallait se faufiler parmi un demi-millier de mouches à miel. Quand elles étaient de mauvaise humeur, elles piquaient même les vaches. Mais pas moi, peut-être parce que j’ai toujours eu la chance d’être ailleurs, ces jours-là. Ou parce que je disais tout haut, et c’était vrai, que j’adorais le miel.

Toujours est-il qu’un matin, dans la grande cuisine, je me suis penché, puis j’ai mis un genou à terre. Pas longtemps. Je me suis relevé en criant : “mon genou !” Une abeille venait de le piquer. Et cette abeille, c’était une abeille morte, qui gisait là. C’était peut-être pour la regarder que je m’étais baissé ; j’avais plutôt l’habitude de voir ce genre d’insecte dans un mouvement perpétuel.

La seule abeille à ne m’avoir jamais piqué est une abeille morte. Je me demande si ça veut dire quelque chose, et je me demande pourquoi j’y pense aujourd’hui, au seuil de l’hiver et du long sommeil des abeilles.

Triple alliance

Les faits remontent à plus d’un demi-siècle, bientôt trois quarts…

Si je suis au centre de l’histoire, je n’en ai aucun souvenir. Elle m’a été contée.

Nous sommes en Afrique. Au cœur de l’Afrique. Même pas dans un village. Au milieu de “la brousse”, autant dire au milieu de nulle part. Dans une jolie maison, totalement isolée, entourée de quelques huttes et cabanons. Elle n’a pour limite que l’étendue infinie de la savane. Un lieu où l’on pourrait voir flâner, à la tombée du jour, le lion et son harem. Un lieu où il ne fait pas bon se promener seul, sans fusil.

À quelques mètres de la maison, un vieil arbre, imposant, à peine feuillu tant il fait chaud.

Il est midi, l’heure de la sieste, celle où tout s’arrête ; le moindre effort, même celui de tendre la main vers un verre d’eau, est insupportable. Les mouches se sont assoupies. Les criquets ont cessé de bruisser. Seules les fourmis cheminent dans la poussière, entre les brins d’herbe épars.

Le bébé a été déposé dans son berceau à l’ombre de la pergola. Un fifrelin de brise, un soupir, fait mousser le voile tendu au-dessus du petit lit. L’enfant dort paisiblement. À l’intérieur, dans la pièce qui jouxte la terrasse, la maman somnole, épuisée par la touffeur et ses trois autres enfants qui n’ont pas cessé de se chamailler.

Bébé, épargné par ses aînés, dort toujours. À ses pieds, Laïka, la fidèle, veille d’un œil sur son sommeil paisible. À sa tête, tout contre l’osier de la nacelle, Odilon ronronne d’aise. Lui, la chaleur, il aime ça. Il est dans son élément.

Les fourmis se hâtent. Beaucoup de travail les attend encore. Quand soudain, parmi elles, se glisse un nouvel hôte. Descendu sans bruit de son arbre, il progresse, tout en souplesse. Son corps ondule, rampe, joue de ses anneaux. Son ombre, cachée sous lui, ne peut le trahir. Lentement, le traître avance.

Les oreilles de Laïka frémissent. Son instinct l’avertit : il se passe quelque chose.

L’intrus se hisse sur la terrasse, laissant derrière lui, une à une, les marches qui mènent à la maison. Déjà il atteint le garde-corps du balcon, s’enroule autour de la rambarde, tout à côté du meuble où repose le berceau. Il est maintenant sur la table. Laïka cette fois, gronde. D’un bond elle se dresse. Odilon de son côté se hérisse, arque le dos, souffle et crache. L’ennemi n’en a cure. Alléché par l’odeur du lait, il dodeline de la tête, oscille, se tend vers le berceau où il rêve de s’enfouir. Les draps ont légèrement glissé ; il pense avoir trouvé la faille. Et son corps danse, macabre ; il triomphe ; de sa langue acérée, il siffle déjà ce qu’il croit être la victoire. Laïka maintenant aboie, rugit, court du lit à la porte close, de la porte close au lit, aboie encore son horreur, menace l’envahisseur de ses crocs, trop loin cependant pour pouvoir l’inquiéter. Odilon, vif et malin comme un singe, saisit l’urgence. Sans hésiter, il prend le relais. Saute sur le bras en osier du moïse, se dandine, nargue le serpent. Il fait mine de jouer avec lui, titille sa queue ; lui lance une patte intrépide, à la manière d’un boxeur aguerri, la retire ensuite prestement d’un geste averti. Un coup par-ci, un coup par là. Le tout est de détourner l’attention du python. De l’attirer vers lui alors que le chien se charge d’éveiller la maisonnée que rien ne semble pouvoir ébranler…

Comme il paraît long, le temps, quand le danger menace !

Enfin, du bruit provient de la chambre parentale. La mère accourt, affolée. Que se passe-t-il en ces lieux qu’elle a quittés paisibles il y a un instant à peine ? Elle découvre horrifiée le tableau. Hurle, appelle au secours. Des gardes armés de machettes arrivent aussitôt. Ils se figent pourtant devant la taille de l’adversaire. Le plus jeune d’entre eux cependant s’élance, courageux, et, d’un coup de lame précis, décapite l’ennemi. L’enfant est sauf. Sauvé par l’alliance inédite d’un chien et d’un chat.

C’est ainsi, m’a-t-on raconté, que je dois la vie à mes fidèles compagnons… Et à un jeune garçon dont le nom s’est effacé, gommé par la négligence de l’oubli.

Noisette, ange-gardienne

Il y a une quinzaine d’années, nous avions deux chiens : Doudou, airedale, et Noisette, croisée airedale.

Ils nous ont malheureusement quittés et on a toujours la larme à l’œil quand on parle d’eux.

Noisette et Doudou étaient, comme pratiquement tous les chiens qui ont vécu et vivent avec nous, des fugueurs invétérés et un portail mal fermé ou un trou dans le grillage faisait leur bonheur. Pour la énième fois, les voilà partis en vadrouille, comme toujours, ensemble.

Deux ou trois heures après leur disparition, on a entendu Noisette aboyer dans la rue, seule.

Nous sommes sortis pour la récupérer, mais elle ne voulait pas se laisser prendre et a continué à aboyer en s’éloignant. Nous avons pris la voiture et avons roulé derrière elle sur environ cinq cents mètres, jusqu’à ce qu’elle prenne un chemin menant à un terrain de stockage de matériel de construction. Nous avons continué à pied et aperçu Doudou pris dans une mare emplie d’un mélange de boue et de béton, totalement incapable d’en sortir.

Dotée d’une formidable intelligence et aussi d’une grande douceur, Noisette a sauvé la vie de Doudou, qui, sans elle, serait sûrement mort d’épuisement.

Quelques années plus tard, elle a probablement aussi sauvé Vadrouille, le successeur de Doudou, autre airedale amateur d’escampette. Heurté par une voiture, il gisait, blessé, dans les buissons le long de la petite route qui traverse le bois près de chez nous. Noisette est restée auprès de lui, aboyant lorsqu’une voiture venait à passer pour appeler à l’aide. C’est comme ça qu’on a fini par les trouver…

Blanchette

Je venais d’avoir dix ans. Mes sœurs étaient, elles, âgées respectivement de huit et trois ans quand nous déposâmes meubles et bagages rue Chèvrefeuille, dans notre nouvelle demeure, une petite ferme depuis longtemps inexploitée.

Mon père n’avait aucune expérience comme agriculteur, ma mère à peine plus. Le Flamand Wauters, l’un des derniers fermiers de Marcinelle, vint saluer les nouveaux venus dans le métier et demanda qu’on lui permît de faire paître quelques-unes de ses bêtes dans notre prairie inoccupée.

— D’accord, dit papa, ie tè laisse l’herbe. Twa me donne à moi dou fouin et de la paille. Yè vè achètè oune vache. Tou a pas oune à vendre ?

Wauters nous vendit Blanchette, une génisse aux yeux langoureux. Elle prit ses quartiers dans l’ancienne écurie et fut l’hiver durant l’objet de toutes les attentions. Elle était étrillée chaque jour et profitait largement de nos caresses. La propreté de sa litière aurait fait pâlir d’envie ses congénères de par le monde. Celles-ci furent quatre ou cinq quand l’exploitation fut à son apogée. Mais seule Blanchette resta avec nous jusqu’au bout de notre aventure agronomique ; elle faisait partie de la famille.

Blanchette se révéla très bonne laitière. Traite aux aurores et le soir, elle donnait ses trente litres de lait bien épais. Au petit-déjeuner, maman en faisait bouillir un bon litre puis en balayait la surface pour récolter le voile de crème. Rien que pour moi, elle l’étalait ensuite sur une tartine qu’elle saupoudrait de cassonade. Mes sœurs trouvaient la préparation dégoûtante ; jamais je n’eus à partager la friandise. J’ai gardé tard cette habitude de tartiner de crème tiède une tranche de pain au petit-déjeuner, jusqu’à mes quarante ans passés et qu’un médecin homéopathe me déconseille la consommation de produits lactés. Mais de temps en temps, je l’avoue, je déroge. Je me rends à la ferme Romain pour y acheter une bouteille de lait trait le matin même. Je m’attable ensuite pour savourer lentement chaque bouchée qui me ramène au temps béni de la rue Chèvrefeuille, à Blanchette, notre vache, une beauté, je vous l’assure.

J’ai essayé la préparation avec du lait pasteurisé du supermarché, mais le résultat est autre. Je ne saurais dire en quoi exactement. Quelque chose manque. Font défaut ces odeurs à peine perceptibles, très légères, mais pourtant bien présentes, de fumier, de foin, de tripes. Est absent aussi l’effluve subtilement acide d’herbe ruminée. Cette exhalaison émanant de la bête vautrée qui mâche lentement et te regarde, l’œil torve, indifférente.

Le camionneur aux mésanges

Un voyage en voiture, de Tournai à Lyon via Paris, et c’est l’heure du pique-nique. Je range sagement la Citroën Berlingo juste après la quinzaine de poids lourds bien alignés comme des soldats de plomb. C’est dimanche et c’est le mois de mai.

Il reste un banc libre sur cette aire d’autoroute qui dégage l’habituelle odeur d’asphalte. Des biscuits et un litre d’eau pétillante : la halte s’annonce bienfaisante. Les camionneurs ont, semble-t-il, déjà mangé. Quelques-uns s’affairent au lavage de la cabine, des vitres ou au rinçage de la vaisselle. Les points d’eau jouxtent le vaste parking. Une chemise sèche, des moteurs prennent l’air, sous les doigts d’un chauffeur mécanicien. Les travailleurs forcés à l’inactivité profitent de la journée d’arrêt obligatoire : les voilà occupés à tricoter leur dimanche, jusqu’au bout de la nuit.

Que manigance l’homme à la salopette, celui du troisième camion bleu ? Il a ouvert le capot et la portière, semble vouloir poser un objet sur l’énorme rétroviseur. Trois mésanges s’en approchent aussitôt et, en vol, picorent une pâte qui leur plaît. Elles y retournent. L’une, peu farouche, se pose à quelques mètres de mon banc pour manger son butin : un morceau de pomme de terre.

À l’aide de son smartphone, le camionneur filme la scène, assis à sa place, dans le poids lourd. Le manège se poursuit et il a le sourire. Sous le capot, la casserole qui a servi à la cuisson des pommes de terre fume encore.

Le butin a disparu, englouti par une série de becs affamés. Mon repas se termine également. J’ai repéré que le camion bleu est immatriculé en Hongrie et m’approche du conducteur à bretelles. Dans un français fleuri, je l’interroge à propos des mésanges filmées. En route vers Paris lui aussi, avant de gagner la Bretagne pour une livraison, il m’explique qu’il envoie une carte postale à ses enfants restés au pays : un ballet de passereaux face au ciel bleu, avec pour décor le grand rétroviseur. Il s’arrête régulièrement sur cette aire d’autoroute et, avec les mésanges qui le reconnaissent, s’est créée une petite famille. Il est heureux d’envoyer des images, de les partager avec les siens.

Sur son bras gauche, un superbe tatouage rappelle la rose des vents.

Ricochets de canard blanc, au fil de l’eau et du temps

Pour faire des ricochets, il suffit d’avoir de l’eau et des cailloux plats. Un peu d’adresse aussi, et du temps, évidemment. J’étais en vacances et j’avais tout cela à ma disposition.

J’étais seul, je m’ennuyais, et je faisais rebondir des cailloux sur la rivière qui coulait à deux pas de la maison de ma grand-mère. Un matin, on m’a demandé de jouer à autre chose. La veille, un de mes cailloux avait fait un ricochet de trop : il avait assommé un canard et l’animal s’était noyé. Les voisins de ma grand-mère m’avaient vu et c’était un canard à eux. Moi, je n’avais rien remarqué. Il a fallu payer le canard et une de mes tantes, pour me rassurer, m’a dit que ce n’étaient pas de braves gens et que le canard, ils l’auraient de toute façon tué un jour ou l’autre.

J’ai arrêté les ricochets et les autres jeux auxquels on peut jouer quand on est seul. Sans regret : j’avais une caisse de livres prêtés par ma plus jolie cousine. À part lire, je n’ai pas fait grand-chose. J’ai essayé, vainement, de me consoler de la mort de ce pauvre canard en me disant que ce n’était qu’un canard blanc comme il y en a tant. Et maintenant, je me console en me disant que c’était il y a très très longtemps.

Désobéissance canine

Le point commun entre tous les chiens qui m’ont accompagné dès l’enfance, c’est qu’aucun ne m’obéissait ! Ce furent des amis, avec qui je partageais mes réflexions et mes états d’âme. Jamais je ne voulais qu’ils se couchent, s’aplatissent, soient soumis à un ordre de ma part. Je ne les voulais pas inférieurs.

Arithmétique des chats

Une petite noiraude et blanche genre pub Félix. Surnoms divers.

Au début “Le Chat”, puis une foule d’autres.

Laissée par une fille à la maison.

Un jour, chatière et quartier de faubourgs obligent, arrive une tigrée grise superbe.

Deux dames, donc.

Trois avec moi qui fais la jeune.

Rencontre avec un homme.

Qui veut partir vivre au Mexique.

Il doit le faire.

C’est pour dans trois jours.

C’est pour demain.

Le soir, dernier resto avant les dernières baises à tous les étages du parquet de la chambre du salon de la cuisine des recoins du grand loft partout.

Au moment de la pause vitale (clope, eau, champ’, clope, lèvres, champ’), s’apercevoir que là, sur ce fauteuil colonial, est installé un splendide chat roux.

Pattes croisées.

Chez lui chez moi.

C’est le même que celui de la voisine gouine qui me hait sauf quand on parle chats. On la surnomme “la Colonelle”, c’est dire.

Enfin une belle occase de rattraper toutes les fois où je burine tout le dixième avec mes enceintes à mille watts chacune.

Le lendemain matin, tout le monde fait moins le malin. Nous, les humains, parce que c’est le départ et que j’ai mal aux cuisses. Les chats parce que deux femelles et un mâle (j’ai vérifié, il a deux belles burnes), ça se bastonne direct la part de canap’, même s’il y en a trois.

Une fois le mâle (humain) parti, je reste avec mon mal aux cuisses et les bêtes.

Aller rapporter le rouquin à sa proprio, ça va faire une récré à mes neurones qui pisseraient bien un peu d’iode.

La bête dans les bras, je sonne, le sourire victorieux de celle qui vient de toper l’extra-ball. La Colonelle sourit. Son rouquin à elle est bien vautré dans sa chaise en osier.

Bien.

Un mâle de perdu, un de trouvé, trois chats plus les cinq du voisin du dessous qui squattent (merci les chatières), ça fait du monde, même dans un grand grand cube.

Trouver une famille adoptante. Mission de la journée (oublier ma chatte cramée).

Le soir, une fois les annonces posées, les coups de fil passés, sortir.

Boire et sortir, ne pas choisir.

Rentrer, ne plus savoir exactement très bien tout à fait comment mais rentrer.

Dormir. Écraser… plus juste.

Au réveil, sensation lourde, stress, gestion globale, plus le dossier chats…

Wake-up.

Au pied du lit. La splendide tigrée est là. Allongée sur le flanc gauche. La langue de travers. Les yeux ouverts. Dure. Morte.

Résumons : un mâle est parti, un autre est arrivé la veille dont il faut se débarrasser, une des femelles meurt le soir même (l’autopsie révélera un empoisonnement par mort aux rats).

Bienvenue, Garfield ! Qui a bien manigancé son coup, l’enculé.

Ça va durer treize ans, cette affaire. Treize ans de cohabitation sauvage entre madame Black-and-Wild et le rouquin magnifique. Treize ans de guerre de territoire. Treize ans de trouver un pigeon pour s’occuper des chats quand on s’en va.

Et puis Rose.

Appréhension de jeune parente, bien poivrée par l’entourage “attention, chats, étouffements, allergies, griffes, bébé, danger, etc.” non stop.

Flipper, donc.

Présenter l’objet-fille dans les règles.

Fermer les fenêtres des chambres. Verrouiller.

À la première occasion, Black-and-Wild est sur la table à langer, Garfield dans le berceau col de cygne, mais cool. Jamais une griffe plus haute que l’autre. À peine un peu de dédain. Et une augmentation substantielle du taux de croquettes.

Rose a cinq mois quand je tombe à nouveau enceinte.

Et que Garfield commence à dégueuler. Dégueuler, dégueuler, dégueuler, maigrir, fondre, se cacher.

Véto emergency.

Cancer.

Chimio des chats.

Ça peut marcher. Ça marche deux jours, la bête reprend du poil.

Quatre jours après, c’est l’enfer. Même Black-and-Wild est triste.

Véto.

Piquer.

Vous voulez sortir ?

Non.

Tenir mon amour orange dans mes bras. Qui lutte. Qui se tord et se débat. Qui meurt en me regardant droit.

Chagrin de brute. Brute épaisse.

Grossesse avance. Ventre me précède d’au moins trente ou quarante centimètres.

Sept mois.

Black-and-Wild blanchit.

Son poil lustré se ternit.

Se met à chier partout.

Ce qui va mal avec l’esprit casa baby tout bô tout joli tu lèches par terre.

Se vide.

Autre véto.

Même combat.

Même sentence.

Même épouvante.

Même désir d’assumer.

Dans mes bras, dans nos yeux. Et des promesses de paradis pour se retrouver.

Deux enfants. Moins deux chats. En deux ans.

Est-ce qu’ils n’ont pas supporté ?

Est-ce qu’ils ont laissé la place ?

Est-ce qu’ils se sont sentis de trop ?

Est-ce que je les ai tués ?

Je l’ignore.

Je continue d’ignorer.

Ascendant cheval

Petite, je tournais tout le temps autour de la table en faisant le cheval. Mes parents devenaient dingues. À chaque fête foraine, je restais scotchée aux poneys. De guerre lasse, mon père m’a amenée dans un manège pour que je prenne un cours. Quand il m’a vue sur un cheval, il a été très ému. C’est comme ça que ça a commencé. Après un an, j’ai changé de manège. Je voulais un prof en particulier. J’ai vite atteint un niveau de concours. Mais ce n’était pas ça qui me poussait à me dépasser, c’était le lien avec les chevaux. J’avais enfin trouvé ma tribu. C’est comme une langue, la tienne, ou comme un pays où tu te sens chez toi. Les chevaux donnent les codes pour communiquer au-delà des mots, il suffit de pouvoir entrer dans leur vibration énergétique. Enfin, quand je dis il suffit, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est toute la différence entre une personne qui monte à cheval et une personne qui descend du cheval. Je suis née fille-cheval.

Le chien qui court

Tu es là, tu me dévores fixement des yeux, attendant le sésame magique. Dans tes pupilles se mirent les champs, les arbres et l’eau des ruisseaux. Dans tes naseaux se mêlent les odeurs de lapins, de faisans, de chevreuils que tu n’attrapes jamais. Que tu poursuis, juste pour le plaisir de courir à perdre haleine. Et tu ne me reviens que lorsque ta langue touche terre et que ton cœur explose ta poitrine. Dans cet instant-là, je puise dans tes pupilles le bonheur d’être au monde, vivante, à tes côtés.

Un bonheur que tu me rapportes, serré, dans ta gueule. Comme si tu me disais : “Rejoins-moi dans ma course effrénée. Moi, je peux. Viens, je t’emmène !”

Et là, alors que je te regarde t’éloigner vers la crête de l’horizon, nous ne faisons plus qu’un. Je sens mes jambes qui se délient, mes muscles qui se détendent. Je sens le vent qui me fouette les joues, le nez, les cheveux. Je sens mon pouls qui s’accélère à mesure que nous gagnons en vitesse et en liberté. Le paysage défile, les lignes des champs se font rails ; les épis de blé, couleur. Je suis le vent qui frôle la terre, l’eau qui chante le lit du ruisseau, la forêt qui pépie, la glace qui fond au printemps revenu. Je suis le chien qui court.

La chienne du restaurant

Un jour, nous avons été invités à un mariage dans un joli restaurant de campagne. À peine arrivés une border collie bleu merle est venue à ma rencontre. Nos regards se sont croisés et nous avons su immédiatement, elle comme moi, que nous nous comprenions parfaitement. J’ai aimé cette petite chienne tout de suite, alors que je déteste les chiens : je les trouve stupides, mendiants, puants, remuants, bruyants, espérant toujours quelque chose. Bref, je suis une femme à chats mais cette chienne-là, je l’aurais adoptée sur-le-champ. Comment expliquer ça ?

Nous avons dîné avec une soixantaine de personnes et à la fin de la soirée, j’ai retrouvé la petite chienne qui attendait sagement que tout ce monde s’en aille et à nouveau, nos yeux ont entamé une conversation très douce et intelligente. Je ne saurais dire autrement. Je l’ai quittée à regret et y pense encore des années après alors qu’elle doit être morte depuis longtemps.

Chito

Début des années 1970, cela se passe en Uruguay, à Montevideo, dans ma maison d’enfance.

Eduardo, mon père, jeune biologiste et médecin en devenir, est fanatique d’animaux, insectes, reptiles, etc. Il passe son temps libre à arpenter les routes de campagne au milieu de la pampa uruguayenne sur sa Vespa avec un pote arrimé à l’arrière. Leur mission : ramasser les animaux éclopés ou en danger et les mettre en sécurité, à la maison.

La maison est celle de mes grands-parents maternels : Alcides et Delia, grands intellectuels admiratifs de celui qu’ils appellent el doctorcito1, ce gendre qui les touche tant par ses lectures qu’avec ses bestioles qui confèrent une dimension singulière à leur quotidien.

Dans cette maison familiale, il y a deux tortues terrestres, deux mygales, un tatou, des couleuvres, un singe saïmiri et deux chiens, un petit et un grand : Miliki et Candy.

On a appelé le singe Chito (pour faire écho à Chita, la chimpanzée dans Tarzan). Il vit principalement dehors, dans le patio de la maison, dont une bonne moitié est recouverte d’une pergola dans laquelle prospère une vigne qui donne de bons raisins. Chito est attaché à une chaîne assez longue pour qu’il puisse aller et venir sans se sentir entravé. Mon père a aménagé un cabinet de travail au bout du patio et Chito y dort la nuit, je pense.

Bien entendu, ce singe fait ses besoins, ce qui oblige ma grand-mère à nettoyer régulièrement les dalles du patio. L’histoire dit qu’un jour, Delia, qui est ingénieuse, décide d’affubler le singe de couches façonnées dans nos pull-overs usés. Les pattes arrière passées dans les manches, Chito peut se soulager dans ces pulls ainsi ajustés qui sont ensuite lessivés.

La longueur de la chaîne permet à Chito de rentrer dans la maison, notamment dans la cuisine qui donne directement sur le patio. Là aussi, l’histoire dit qu’un jour, mon grand-père rentre et le trouve assis au sommet du frigo, là où ma grand-mère entrepose les œufs frais. Il demande à Chito de descendre. Le singe ne bouge pas, mais trouve amusant de prendre un œuf en main et de l’envoyer à Alcides, qui le rattrape in extremis. Chito, heureux de cette réplique positive, continue en lançant un deuxième œuf puis un troisième, entraînant Alcides dans un numéro de cirque qui amuse ma grand-mère quand elle les surprend… mais qui lui cause une séance de nettoyage d’un autre ordre, cette fois.

1. “le petit docteur”.

Bibintje & Cie

D’aussi loin que je me souvienne, nos plus belles histoires d’amour, à ma sœur et à moi, ont tourné autour d’animaux. Elle adorait les bêtes et moi, je dévorais les livres dont ils sont les héros : Les mémoires d’un âne, Le Lion ou Le Vieil Homme et la mer… mais aussi la collection des Martine où ils tiennent de beaux rôles.

Nous avons vécu entourées d’animaux. À commencer par les vaches de chez Gilbert et Maria, les fermiers d’en face. Maman a souvent raconté l’histoire tragique d’une vache approchée de trop près par l’un des nôtres. Heureusement que Gilbert était passé par là et avait entendu une petite voix qui disait : “Qu’il fait chaud dans les boyaux de la vache !”

— Alors Gilbert prit un grand couteau… Maman a traumatisé ainsi deux générations d’enfants et chacun en parle encore aujourd’hui avec émotion.

Un canari nous a fait connaître dans tout le quartier. Il avait décidé de faire la belle et nous étions passés de jardin en jardin guidés par son chant. À la tombée de la nuit, les recherches avaient cessé. Le lendemain à l’aube, des voisins nous ont appelés. Le canari chanteur attiré par des graines jetées au sol dans leur garage s’y était retrouvé piégé… Après cet épisode, nous avons baptisé ces voisins M. et Mme CuiCui. Un an plus tard, à la mort du canari, on a appris qu’ils nous surnommaient M. et Mme Canari.

À chaque visite au marché, on revenait avec un poussin… Mais Petit-Poussin devenait grand et parfois agressif.

Un jour, ma sœur a eu envie d’une tortue. C’était un vieux rêve. À l’époque, on pouvait encore en acheter. Sa marraine (de Bruxelles) a décidé de lui en offrir une. Caroline (à l’époque toutes les tortues s’appelaient Caroline) a été acheminée chez nous dans le coffre de la voiture. À son arrivée, elle était asphyxiée. On n’avait pas vraiment eu le temps de la connaître…

Quelques semaines plus tard, un voisin qui travaillait à la sncb en a trouvé une coincée dans les rails de chemin de fer et nous l’a apportée. C’était en 1962… Au début, elle se contentait d’herbe, mais à force de bons soins et d’attentions, elle est devenue plus exigeante et a doublé de volume. Elle surprend tout le monde par son agilité, sa vitesse de croisière et cette nette impression qu’elle répond à son prénom : Bibintje, diminutif flamand de Sabine, parente plus ou moins éloignée, née le jour de son adoption.

Aujourd’hui, Bibintje, mascotte de la famille, a soixante-sept ans.

L’oreille en coin

Fin de journée, promenade de printemps au Rouge-Cloître2. On a laissé la Maison du meunier dans le dos, la forêt s’élève à gauche, l’étang du Moulin s’étire à notre droite, nous marchons en bavardant. Tout à coup, mon compagnon n’est plus à côté de moi. Je m’arrête, me retourne et le vois arracher ses chaussures, ses chaussettes, son pantalon ! En quatre foulées, il saute la haie, traverse l’allée des pêcheurs et descend dans l’étang. Il a de l’eau aux genoux, pas plus. Il brasse l’air pour se hâter vers l’angle où, c’est vrai, je le remarque enfin, on entend un fameux tapage.