Famille d'accueil - Véronique Brandy - E-Book

Famille d'accueil E-Book

Véronique Brandy

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Beschreibung

Aujourd’hui, la France compte 45 000 familles d’accueil, un nombre en décroissance constante depuis quelques années. Est-ce parce que le métier d’assistant.e familial.e est méconnu que de moins en moins de candidats répondent à l’appel ?
Véronique Brandy, assistante familiale depuis sept ans, a pris la plume pour parler et défendre ce métier pas comme les autres.
De la décision de devenir « famille d’accueil » jusqu’à l’agrément, de l’arrivée jusqu’au départ de l’enfant, l’auteure décrit avec justesse les émotions, les sentiments, les ressentis vécus grâce à cette profession qui se met au service de l’enfant, là où vie privée et vie professionnelle s’entrelacent constamment.
Elle espère que d’autres familles prendront le chemin de ce projet ; celui d’accompagner et d’accueillir des enfants qui en ont désespérément besoin.
Au travers de témoignages d’assistants familiaux, nous découvrons le vécu de ces familles dévouées, généreuses et discrètes, qui jalonnent le parcours de la vie parfois compliquée d’enfants de 0 à 18 ans.

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© La Boîte à Pandore

Paris

http ://www.laboiteapandore.fr

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ISBN : 978-2-3900-485-2 – EAN : 978239004852

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Véronique Brandy

Famille d'accueil

Les expériences avant de se lancer

À mon mari, à mes filles, à mes petits frères de cœur

PRÉAMBULE

La main s’avance et ouvre la portière. Elle esquisse un geste d’accompagnement en direction des enfants. Elle effleure les épaules, mais ne les touche pas. 

« Allez, montez ! »

La voix est douce et assurée.

La porte se referme avec un claquement plus sec que voulu. Les enfants prennent place dans leurs sièges auto. La femme s’assoit à l’avant, à côté de son mari qui l’attend au volant.

Il fait beau et chaud depuis plusieurs jours. L’air est étouffant. Mais personne n’y prête attention. Un silence lourd, chargé d’appréhension et d’espoir, enveloppe la voiture et ses occupants. Tous s’épient du coin de l’œil et chacun cherche à se rassurer dans le regard de l’autre.

Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur confirme au chauffeur que les enfants sont bien installés. Il est concentré. Le moteur vrombit, la voiture commence à reculer sur le parking.

Personne ne peut soupçonner ni deviner la foule de questions, de sentiments et d’émotions qui a envahi l’habitacle. L’ambiance est à la fois impersonnelle et intime, électrique et étrangement calme. Même le bruit du moteur paraît comme étouffé par l’atmosphère pesante. Le temps semble s’être arrêté, mais l’histoire a déjà commencé.

Le regard de la femme va d’un enfant à l’autre. Elle cache ce qu’elle pense, un nœud lui serre l’estomac. A-t-elle bien fait ? Peut-elle encore changer d’avis ? Les visages des enfants sont fermés. Impossible de deviner ce qu’ils ressentent. Ils scrutent tout ce qui les entoure et semblent communiquer en silence. Le couple non plus n’a pas besoin de se parler, ils se connaissent suffisamment pour lire sur le visage de l’autre ce qu’il pense.

Et lorsque la voiture quitte le parking, les occupants à bord, malgré l’apparence, n’ont rien d’une famille normale.

***

Ces premières lignes romancées annoncent ce que j’ai réellement vécu en accueillant une jeune fratrie. En écrivant ce livre, je n’ai pas la prétention de me comparer aux nombreux écrivains et romanciers sur la place publique pour raconter une histoire sortie de mon imaginaire ni de me mesurer à de grands sociologues ou psychologues comme Jean Epstein, Marcel Rufo, Myriam David, Françoise Dolto et bien d’autres. J’espère simplement expliquer, au travers d’anecdotes vécues ou relatées, la vie quotidienne d’une assistante familiale auprès des enfants qui lui sont confiés, sans fioriture ni fil d’or. Notre quotidien n’est pas constitué d’actions identiques à toutes les familles d’accueil. Pourtant, un profil d’accueillant se dessine au fil des histoires et des rencontres. À la lecture de ce témoignage, vous ne trouverez aucune réponse à la souffrance de ces enfants, mais des solutions plus ou moins efficaces mises en place pour un temps, sans assurance de résultat, puisqu’un enfant n’est pas l’autre et qu’il faut donc sans cesse se réinventer. Le style d’écriture de ce livre sera plus libre, moins académique que celui des auteurs reconnus. Il sera sincère et discret, même si les émotions et les sentiments restent palpables. Enfin, ce livre est un espace de paroles et de constats de certaines d’entre nous sur un métier plein de bonnes intentions, pour pallier l’un des plus vils côtés de l’humanité. En effet, l’homme est la seule espèce sur terre à pouvoir maltraiter sa progéniture. Pire peut-être, notre société individualiste nous pousse à détourner les yeux pour ne pas être impliqués. Très peu d’entre nous osent agir.

« Ce que tu feras sera dérisoire, mais il est essentiel de le faire. » Gandhi

INTRODUCTION

Lorsque j’ai choisi d’exercer cette profession, j’aurais aimé trouver plus de témoignages de professionnels du terrain qui m’auraient éclairée sur ce qui m’attendait au quotidien. Il me semble important que toutes les familles qui décideront prochainement de nous rejoindre trouvent des récits de situations réelles avant de se lancer dans l’aventure.

C’est l’un des rares métiers où le savoir pratique est plus explicite que le théorique. Écrire, c’est pouvoir coucher notre quotidien sur une feuille. C’est tenter de faire comprendre que les bonnes vieilles méthodes de nos grand-mères ne fonctionnent pas avec ces enfants traumatisés et stigmatisés. Ce qu’ils ont vécu n’a rien de comparable avec une enfance dite normale et nécessite une pédagogie constante, une formation spécifique et une solide équipe de professionnels pour y faire face.

J’ose espérer que ce livre répondra à quelques-unes des questions qui se posent naturellement quand on commence à envisager d’exercer cette profession. Il n’existe pas de référentiel pour ce métier si peu orthodoxe, car aucune définition n’est parfaite et, si le maître mot est d’accueillir un enfant, l’administration française se charge d’en modeler les règles à coup de décret. Pour preuve, il existe un guide des assistantes familiales. Sexisme ou non, les assistants familiaux n’apparaissent pas dans le titre. Le mien, édité en 2009-2010, contient 575 pages, mais, je vous rassure tout de suite, ce n’est pas mon livre de chevet préféré.

Bien sûr, chacun de nous raconte avec enthousiasme ce qu’il ou elle vit à son ou sa collègue ou son ou sa référent(e) lors des rencontres inopinées, des réunions, des groupes de paroles — peu importe le nom donné à ces moments d’échanges. Nous sommes des professionnels, et rien ne sort de notre huis clos. N’oubliez pas que le secret professionnel est le maître mot de ce métier (article L411-3 du Code de l’action sociale et des familles). Les petites joies font la richesse de ce métier, et nous les mettons en avant entre nous chaque fois que nous le pouvons.

« Je me souviens de ce jeune à la personnalité complexe. Il ne montrait aucun sentiment, aucune émotion. Un jour, il est revenu de l’école avec un petit bouquet de fleurs sauvages qu’il m’a tendu avant de se réfugier dans sa chambre sans un mot. C’était sa manière à lui de me faire comprendre qu’il était bien à la maison. Un petit signe, mais un immense espoir de le voir s’ouvrir au monde extérieur », m’a dit Viviane.

Il faut pourtant savoir que ce n’est pas notre ordinaire. Les incidents et les situations compliquées existent, mais sont moins évoqués. Pas parce que nous voulons taire la vérité, mais parce que nous sommes tenues au secret professionnel. Et quel besoin de raconter leur souffrance et notre impuissance à les soulager ? À l’extérieur, nous restons discrètes, pour eux, pour nous.

Écrire permet de mettre des mots sur toutes les émotions et les sentiments qui nous habitent. Cela a également aidé certaines d’entre nous à parler de leur vécu.

C’est aussi mon sas de décompression. Cela me permet de ne pas oublier, de me retrouver, de réfléchir à ce qui vient de se passer et à la façon dont j’ai réagi. J’espère que cela apportera un plus à celles et ceux qui liront la présentation de ce drôle de métier que nous exerçons avec nos tripes et dans lequel nous entraînons notre entourage.

Je n’ai pas la prétention de faire un livre philosophique, mais de raconter, avec mes mots, ce qu’est ce « métier impossible » comme me l’a défini Christophe, qui a travaillé dans un lieu de vie1 avec son épouse pendant plusieurs années.

Le titre que j’ai choisi résume toute l’ambiguïté de notre quotidien. Vivre avec ces enfants est une succession de possibles et d’impossibles, de réalité et d’illusions. Il faut jongler en permanence avec ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent, ce qu’ils montrent et ce qu’ils disent, ce qu’ils acceptent et ce qu’ils refusent, ce qu’ils espèrent et ce qu’ils atteignent. Mais surtout, et avant tout, il faut avoir en tête ce qu’ils taisent.

Notre devise à nous les travailleurs sociaux, sur le terrain, auprès de ces enfants, est celle-ci : « On ne peut pas tous les aider, mais il faut au moins essayer. »

1. Deux assistants familiaux, en général un couple, marié ou non, vivant sous le même toit avec ou sans leurs enfants, qui accueillent des enfants placés. Le nombre est généralement limité à trois accueils par assistant familial.

CHAPITRE 1 : LA DÉCISION

Je pense à tous ces enfants, petits et grands, qui ont croisé la route d’une famille d’accueil. J’espère humblement qu’ils auront, un jour, en lisant cet écrit, une meilleure appréhension du parcours accompli pour arriver jusqu’à eux et des difficultés rencontrées à chaque étape de leur accompagnement et bien au-delà.

À l’aube de mes 50 ans, j’ai réfléchi à l’orientation que je souhaitais donner à ma vie. L’idée de me rapprocher des enfants a naturellement surgi après la succession de plusieurs évènements comme un premier changement professionnel insatisfaisant, un deuxième frustrant, puis l’éloignement géographique de mes filles, et après des rencontres successives d’hommes et de femmes dévoués à leur travail. Mais aussi, après les retrouvailles incroyables et inespérées, trente-cinq ans après leur départ de la maison, avec Pierre et Lionel, des enfants confiés à mes parents. Ma mère n’a été famille d’accueil que le temps de leur placement à notre domicile.

J’ai grandi avec mes petits frères de cœur malgré leur absence. Placés chez mes parents pendant un temps très court, l’assistante sociale chargée de leur dossier est venue les chercher un jour, sans prévenir, sans explication. C’était la pratique dans les années soixante-dix, le service social avait tout pouvoir, et on plaçait et déplaçait les enfants à volonté, pour qu’ils ne s’attachent pas, pour les rapprocher d’un parent, etc. De brèves nouvelles à l’adolescence, par hasard, au lycée professionnel, et l’espoir ravivé de les retrouver et puis... plus rien. Jusqu’à ce triste jour où j’ai découvert l’erratum dans les faire-part de décès du journal local. Lionel venait de quitter sa famille en mettant fin à ses jours, mais moi, je venais de retrouver les maillons manquants de ma famille de cœur. J’avais gardé en moi l’espoir de les revoir, d’avoir de leurs nouvelles, de savoir s’ils allaient bien, ce qu’ils étaient devenus. Le décès de l’un d’eux m’a fait prendre conscience que j’avais trop attendu pour les retrouver. Bien plus tard, Pierre me fera comprendre ce que peut être le sentiment d’abandon pour un enfant lorsqu’il est retiré d’une famille d’accueil où il se sent bien et dont il n’a plus aucune nouvelle. Les familles y étaient contraintes à l’époque, certaines auraient voulu garder le contact, mais la loi ne le permettait pas. Aujourd’hui, ces enfants de la D.A.S.S., comme on les appelait, n’ont qu’un seul recours, celui de prendre contact eux-mêmes auprès des services sociaux pour accéder à leur dossier et retrouver des bribes d’informations. Mais le parcours est compliqué, les traumatismes ressurgissent et l’effort devient impossible pour certains. Le retour sur des moments difficiles demande une résilience infinie. Cette expérience auprès de mes petits frères de cœur, comme j’aime à les appeler, m’a marquée au plus profond de moi-même et m’a convaincue de réaliser ce rêve enfoui de devenir famille d’accueil à mon tour. Bien sûr, je n’effacerai rien du parcours de ces enfants blessés ou détruits de l’époque. Mais j’aurai au moins essayé de faire évoluer le système pendant ces années à exercer cette profession, en faisant remonter à ma hiérarchie mes observations sur l’impact des décisions prises à leur encontre.

Se tourner vers ce métier a été un choix personnel, puis familial. Il nous transforme au plus profond de ce que nous sommes, lentement et de façon irrémédiable. En côtoyant la misère familiale, la souffrance infantile, la lourdeur administrative, la stigmatisation sociale et l’omerta politique, il n’est plus possible de redevenir les quidams que nous étions.

Je n’oublierai jamais les paroles de Pierre à l’attention de ma mère, au cours du repas organisé pour se retrouver. Elles étaient celles d’un petit garçon blessé au plus profond de lui-même.

« C’était votre métier, vous étiez payée ! »

Bien sûr, c’était son métier. Mais quelque chose d’indélébile s’était passé entre lui, son frère et nous. Son jeune âge ne lui a pas permis, à l’époque, de comprendre que ma mère ne les avait pas abandonnés ni même rejetés. Jeune maman de trois enfants, elle les avait accueillis comme les siens et s’était attachée à eux. Celle qu’ils appelaient parfois « maman » avait subi autant qu’eux les affres de la séparation. Il n’y avait pas de formation pour les familles qui postulaient, aucune reconnaissance de leur rôle auprès des enfants, ni aucune participation à leur projet de vie. Il n’y avait également aucun soutien après le départ des enfants. Nous avons vécu avec non pas l’abandon, mais bien la disparition de ces enfants. Le vide laissé par l’ignorance sur leur situation et le manque d’explication sur les raisons de leur départ étaient terribles. Toute la famille s’était attachée à ces enfants en quête d’amour et d’attention, ballotés par la vie, et il nous avait été impossible de leur dire au revoir.

Vivre aux côtés de ces jeunes se révèle une source d’humilité et d’enrichissement personnel inestimables. Leurs parcours sont des chemins semés d’embûches que peu d’entre nous emprunteraient de plein gré. La force et le courage que cela leur demande méritent notre soutien, notre respect et notre engagement à leurs côtés. La vie les malmène, les décideurs les rudoient, à nous de les aimer, quelquefois malgré eux.

Valentine m’a dit :

« Depuis dix-sept ans que je fais ce métier, je me demande encore comment certains d’entre eux trouvent la force de vivre après ce qu’ils ont traversé, et je suis tout autant étonnée devant leur capacité à investir le lieu, la famille et l’équipe qui les prennent en charge. »

Pour Sofia, le choix s’est fait naturellement. Nièce d’une assistante familiale, amie d’une enfant placée, elle n’a pas cherché longtemps sa voie. Aujourd’hui, elle sourit, en me disant :

« Mon fils aîné termine ses études d’éducateur cette année. »

Ce désir d’accompagnement des enfants a toujours été présent en moi. Mon conjoint comme mes enfants ont toujours su que je porterais ce projet à son terme, à un moment de ma vie, sans que je sache vraiment sous quelle forme ni quand.

Dans un premier temps, il m’a fallu suivre un long chemin, personnel et intime, durant plusieurs mois, pour être sûre de mon dessein. Ce métier demande investissement, remise en question, disponibilité et don de soi. C’est une mise à l’épreuve permanente de nos croyances et de nos valeurs. Les situations peuvent très vite nous aspirer dans une spirale infernale d’émotions contradictoires qui nous laisseront épuisés et démunis, voire désabusés. Il faudra alors toujours trouver les ressources pour rebondir et continuer d’avancer. Ne jamais abandonner, mais passer le relais lorsqu’il le faut.

Je voulais être sûre de moi, convaincue de ma capacité à y faire face, de ma solidité à assumer cette responsabilité et de mon ouverture d’esprit, avant de m’engager. J’ai alors lu tout ce que je trouvais sur ce métier, j’ai rencontré des assistants familiaux en exercice, j’ai échangé avec des professionnels de l’enfance, éducateurs, référents, médecins, enseignants spécialisés. Je me suis imaginée dans des situations cocasses avec ces enfants. Je me suis interrogée sur mes propres limites, ce que je pensais pouvoir accepter, ce que je refusais de vivre. J’ai réfléchi à l’impact que cela aurait sur moi et à ce que j’allais faire vivre à ma propre famille.

Au-delà de notre propre engagement, c’est aussi toute la famille qui se trouve embarquée et impactée.

Françoise m’a dit :

« Les enfants nous poussent à bout quelquefois et ce sont les plus proches de nous, notre conjoint et nos enfants, qui subissent. »

Sofia m’a confié :

« Ma belle-mère n’est pas venue pendant deux ans à la maison, parce qu’elle n’acceptait pas le comportement des enfants et ne comprenait pas notre attitude envers eux. »

L’accueil permanent ne laisse aucune place au huis clos de la cellule familiale. Je connaissais suffisamment mon conjoint et mes deux filles pour penser qu’ils seraient partie prenante et un soutien de tous les instants dans mon projet. Ce que j’ignorais en revanche, c’est ce qu’impliquerait la présence quotidienne d’un enfant dans mon foyer. Bien sûr, on a tous déjà accueilli un neveu, une nièce, un copain, une copine, le temps d’un week-end ou pendant des vacances. Mais les conditions, les liens et les centres d’intérêt sont aux antipodes de ceux qui naissent et se développent au fil d’un accueil. Nous accueillons pour un temps seulement ces enfants, ces jeunes. Nous ignorons leur histoire. Ils ont été bafoués, privés, comblés à outrance jusqu’à devenir enfants rois, abandonnés. Le placement n’est pas leur choix. Il leur est imposé. Ils subissent cette mise à l’écart de leurs repères, alors qu’ils ont été reconnus victimes. Là est le paradoxe. Un délinquant est condamné et incarcéré. Il est coupable, c’est normal. Mais un enfant battu est retiré à sa famille, placé chez des inconnus ou en institution, éloigné de ses copains, de sa chambre, de ses doudous, de son univers, aussi violent soit-il. Leur faire une place est compliqué pour nous, et trouver sa place est compliqué pour eux.

Violaine témoigne de la vie de famille depuis qu’elle et son mari sont devenus famille d’accueil :

« Nos propres enfants, surtout depuis qu’on a ces trois petits, vivent “normalement” ces accueils, il y a un écart d’âge qui permet de ne pas les bousculer dans leurs propres places et dans leur quotidien. Par le passé, ils ont pu moins bien vivre d’autres accueils du même âge qu’eux. Ils aiment beaucoup les petits, ma plus grande coiffe parfois les deux filles. La cadette fait jouer les trois, mais, avec les deux plus grands, elle s’adonne souvent à des jeux éducatifs sur sa tablette. Mon fils construit des tours en Lego ou en Mécabois avec eux ou joue au loup, au ballon. Mais ils ont leur espace à eux — que les petits respectent —, et c’est souvent que les trois petits jouent ensemble pendant que les miens sont dans leurs chambres ou occupés à jouer à autre chose. Depuis qu’on a les petits, on privilégie plus de moments en famille, notamment lors de la prise des repas, le soir, entre nous, environ quatre à cinq fois par semaine, car les petits sont couchés tôt. »

Sofia m’a avoué :

« Mes enfants étaient très jeunes au moment du premier accueil, ça n’a pas posé de problème. Pour eux, il y avait de plus en plus de frères et sœurs pour jouer. J’ai vu les premières réticences à l’adolescence. »

***