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Le débat autour de la disparition du franc CFA agite avec force l’espace francophone africain, mais quelles solutions concrètes peuvent réellement émerger ? Dans cet essai incisif et éclairant, l’auteur examine avec rigueur la question de la souveraineté monétaire en Afrique centrale. Il met en lumière les limites structurelles d’une devise arrimée à l’euro, inapte à répondre aux impératifs de développement du continent. S’appuyant sur une analyse documentée et des données précises, il plaide pour l’instauration d’une monnaie commune propre à la zone CEMAC – un levier stratégique pour restaurer l’autonomie des politiques économiques, renforcer la compétitivité régionale et bâtir une stabilité durable. Un ouvrage indispensable pour celles et ceux qui aspirent à penser, comprendre et façonner l’avenir monétaire de l’Afrique francophone.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Oumarou Sanda Awal est diplômé de grandes écoles de commerce en France et en Allemagne, avec un double Master II en finance. Fort de plus de 15 ans d’expérience en finance et stratégie, il s’intéresse particulièrement à la gouvernance et à la souveraineté en Afrique. Cet ouvrage explore les alternatives monétaires africaines à travers une analyse rigoureuse et réaliste du contexte économique du continent.
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Seitenzahl: 307
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Oumarou Sanda Awal
Franc CFA, et après ?
Vers une monnaie africaine
forte et indépendante
Essai
© Lys Bleu Éditions – Oumarou Sanda Awal
ISBN : 979-10-422-7917-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Défis, indicateurs et scénarios
pour une réforme monétaire
au service du développement régional
Préface
Dans un monde économique en constante évolution, la compréhension des systèmes monétaires est cruciale, particulièrement dans le contexte africain. Ce livre vise à explorer en profondeur le franc CFA, un sujet souvent entouré de controverses et d’émotions. En tant que diplômé en finance avec une vaste expérience dans le conseil stratégique et la transformation digitale, j’ai été témoin de la complexité des enjeux économiques qui touchent notre continent.
Le franc CFA, utilisé par quatorze pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale, est bien plus qu’une simple monnaie. Il représente l’héritage colonial, les luttes pour l’indépendance économique et les aspirations vers une intégration régionale renforcée. Ce livre cherche à démystifier le franc CFA en examinant son histoire, son fonctionnement, et les débats qui l’entourent. Je suis convaincu que la connaissance est un levier essentiel pour éclairer les discussions sur la souveraineté monétaire et le développement économique.
Ma motivation personnelle pour rédiger cet ouvrage découle de mon désir de rendre la finance accessible à tous. Loin des jargons techniques, je souhaite offrir une perspective claire et compréhensible des enjeux économiques qui façonnent nos vies. À travers des exemples concrets, des analyses comparatives et des témoignages d’experts, ce livre aspire à être une ressource précieuse pour les étudiants, les professionnels et toute personne intéressée par l’économie africaine.
Je remercie tous ceux qui ont contribué à ce projet, en particulier les érudits et les praticiens qui partagent leur expertise et leurs réflexions. Ensemble, nous avons l’opportunité de contribuer à une meilleure compréhension du franc CFA et de ses implications pour l’avenir de l’Afrique.
Avec détermination et espoir,
Oumarou Sanda Awal
Introduction
Le franc CFA, monnaie héritée de l’époque coloniale, cristallise aujourd’hui de nombreux débats sur la souveraineté monétaire, l’indépendance économique et le développement de l’Afrique francophone. Dans un contexte où les anciennes colonies s’efforcent de redéfinir leurs relations économiques avec leurs anciens colonisateurs, la remise en question du franc CFA devient une question incontournable et urgente. Ce livre se veut une exploration approfondie de cette monnaie unique en son genre et de son rôle crucial dans les économies des pays africains de la zone UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, et Togo) et CEMAC1 (Cameroun, Gabon, Guinée Équatoriale, République du Congo, République centrafricaine et Tchad). Ces deux régions utilisent chacune une version du franc CFA, qui, bien que presque identique dans son fonctionnement, se distingue par son appellation : le « franc de la Communauté financière africaine » pour les pays de l’UEMOA et le « franc de la Coopération financière en Afrique centrale » pour ceux de la CEMAC. Bien que la signification des lettres « CFA » ait évolué, elles n’ont jamais été modifiées depuis l’introduction de cette monnaie, qui à l’origine signifiait « Colonies françaises d’Afrique ». Ensemble, les quatorze pays de ces deux unions, ainsi que les Comores, forment ce qu’on appelle la zone franc.
L’histoire du franc CFA est marquée par des réformes inachevées et des critiques virulentes. Il est souvent perçu comme un vestige du colonialisme, un outil de domination économique de la France sur ses anciennes colonies. Cependant, certains experts défendent son rôle stabilisateur, notamment face aux risques d’inflation et à la volatilité des monnaies. L’enjeu central de ce livre est de comprendre dans quelle mesure cette monnaie freine ou favorise le développement de la région, tout en explorant des perspectives de réforme ou de remplacement.
À travers une analyse rigoureuse des accords économiques, des statistiques monétaires et des impacts sociaux de cette monnaie, nous tenterons de répondre à plusieurs questions essentielles : quelles sont les alternatives viables au franc CFA ? Quels sont les impacts économiques d’un arrimage fixe à l’euro sur les balances commerciales et sur la compétitivité des économies de la région ? Pourquoi certains pays africains cherchent-ils à sortir de ce cadre monétaire ? Enfin, quel rôle jouent les acteurs extérieurs, comme la France, la Chine ou encore le FMI dans ces réformes ?
En 2019, la réforme annoncée de la monnaie avec l’arrivée de l’ECO a suscité l’espoir d’une plus grande souveraineté monétaire, mais cette transition reste entourée de nombreuses incertitudes. Ce livre vise à fournir une analyse complète des scénarios d’avenir, en tenant compte des enjeux politiques, de la viabilité économique d’une nouvelle monnaie et des conditions de sa réussite. Nous proposons une approche qui envisage l’indexation à un panier de devises, soutenue par des ressources naturelles, afin d’offrir une alternative solide au modèle actuel.
En parallèle, l’analyse des scénarios d’impact sur la compétitivité de la Nouvelle Monnaie (NM), notamment à travers les taux de change effectifs réels (TCER) et les taux de change effectifs nominaux (TCEE), apporte un éclairage supplémentaire sur les implications pratiques de ces choix monétaires. Les résultats de cette analyse révèlent que, indépendamment du taux de référence choisi, la NM démontre une résilience face aux fluctuations économiques, ce qui soulève des questions cruciales sur la gestion monétaire et la stabilité économique dans la région.
À travers des contributions d’experts, des témoignages d’économistes africains et des études de cas chiffrées, cet ouvrage met en lumière les enjeux contemporains du franc CFA tout en offrant un panorama des perspectives de souveraineté monétaire pour les pays africains de la zone. L’ouvrage explore également l’importance d’une coopération régionale renforcée et la nécessité de bâtir des institutions financières solides pour soutenir la transition monétaire. Que le lecteur soit économiste, acteur politique ou simplement intéressé par les questions monétaires et de développement, cet ouvrage invite à une réflexion profonde sur l’avenir économique de l’Afrique, dans un monde globalisé en constante évolution.
1
Naissance et origine du FCFA
Le franc CFA (FCFA), ou « franc des Colonies Françaises d’Afrique », a été créé en le 26 décembre 1945 après la Seconde Guerre mondiale, suite à l’ordonnance du général de Gaulle. Ce chapitre explore les raisons économiques et politiques de sa création, ainsi que la situation monétaire avant et après son introduction.
Avant la création du franc CFA en 1945, plusieurs monnaies circulaient dans les colonies françaises d’Afrique, reflétant l’évolution des politiques monétaires de la France métropolitaine.
Ce franc, institué par Napoléon Bonaparte, a été l’une des monnaies les plus stables de l’histoire française.2 Sa création a mis fin à une période d’instabilité monétaire postrévolutionnaire. Ancré à l’or et à l’argent, il garantissait une stabilité relative des prix et a servi de modèle pour d’autres systèmes monétaires à travers le monde.3
Après la Première Guerre mondiale et les crises économiques qui en ont découlé, la France a réformé sa monnaie avec le franc Poincaré.4 Ce dernier, dévalué par rapport au franc germinal, a stabilisé l’économie française tout en reflétant la réalité d’une France affaiblie par la guerre.
Avant la Seconde Guerre mondiale, les colonies françaises disposaient de leurs propres monnaies locales, souvent arrimées au franc français. Ces monnaies étaient essentielles pour faciliter les échanges commerciaux entre les colonies et la métropole. Dans plusieurs régions d’Afrique, des billets distincts étaient émis sous des appellations telles que le franc de la Banque de l’Afrique Occidentale (BAO) ou encore la livre coloniale. Ces billets permettaient de maintenir une certaine souplesse dans les transactions financières tout en renforçant les liens économiques avec la France. Les billets en circulation dans chaque région tenaient compte des spécificités locales, tout en consolidant l’autorité monétaire de la France sur ses colonies.
Ces monnaies et systèmes monétaires antérieurs sont fondamentaux pour comprendre l’importance de la création du franc CFA. Ils reflètent l’évolution des politiques monétaires de la France au cours du temps, et leur impact croissant sur les colonies. Alors que ces monnaies locales avaient un lien direct avec le franc français, elles demeuraient des instruments de domination économique, permettant à la métropole de dicter les termes de l’échange. L’établissement d’une monnaie unique comme le franc CFA n’était donc que la suite logique de cette stratégie de centralisation et de contrôle.
La monnaie a toujours été un élément central de la domination coloniale française. En imposant une monnaie unique aux colonies, la France consolidait son pouvoir et renforçait son contrôle sur les échanges économiques, financiers et commerciaux. La colonisation monétaire servait non seulement à subordonner les économies locales, mais aussi à affirmer une domination symbolique en éradiquant les monnaies locales au profit d’une devise unique, le franc français. Cette stratégie s’inscrivait dans une logique de contrôle total sur les finances des colonies, permettant à la métropole de dicter les termes du commerce et de l’investissement.
Pendant la période coloniale en Afrique, les banques, qui étaient des instruments directs du pouvoir colonial, avaient pour mission d’éliminer les diverses monnaies africaines au profit du franc. L’histoire de la Banque du Sénégal, fondée en 1855, illustre bien ce processus. Elle a été établie à la suite de l’abolition de l’esclavage et de la redistribution des paiements de réparation aux anciens esclavagistes. Ce financement a permis à la banque d’ouvrir ses portes et de faciliter les transactions commerciales au bénéfice des intérêts français dans la région. La création de cette banque n’était pas simplement une entreprise financière, mais un outil géopolitique servant à renforcer l’emprise coloniale sur l’économie locale, favorisant les exportations de matières premières africaines au profit de la métropole.
En 1901, la Banque du Sénégal fut remplacée par la Banque de l’Afrique de l’Ouest (BAO), qui devint l’institution émettrice officielle de la monnaie dans les colonies. Sous l’égide de la Banque de France5, la BAO renforçait le monopole de la métropole sur la gestion de la monnaie coloniale. Cette concentration du pouvoir économique faisait partie d’une stratégie de centralisation monétaire, utilisée pour limiter l’autonomie financière des territoires africains. Ce modèle servait à aligner les économies des colonies sur celles de la France, dans une logique de dépendance croissante.
L’esclavage, la monnaie coloniale et la domination coloniale sont ainsi des aspects inextricablement liés de cette histoire. Les banques coloniales, telles que la BAO, jouaient un rôle dans la perpétuation d’une violence économique continue : en monopolisant les flux financiers, elles limitaient toute perspective d’autonomisation des économies locales. Le contrôle monétaire assurait que les profits issus de l’exploitation des ressources naturelles africaines servaient en priorité les intérêts français.
L’histoire des banques coloniales et de l’émission monétaire en Afrique francophone est indissociable du concept de » pacte colonial ». Ce système, mis en place par la France, interdisait toute tentative d’industrialisation locale dans les colonies. Les territoires africains devaient se contenter d’exporter des matières premières brutes, en se limitant à une économie de production primaire. La France bénéficiait doublement : elle obtenait des ressources à bas prix, qu’elle transformait avant de les réexporter vers les colonies sous forme de produits manufacturés, souvent à des prix exorbitants. Ce système enfermait les colonies dans une relation de dépendance économique perpétuelle.
Le rôle des banques coloniales dans ce système était crucial. En octroyant des crédits, elles favorisaient principalement les entreprises françaises ou les entreprises extractives.6 Ainsi, les banques ne finançaient que les secteurs économiques qui profitaient directement à la métropole, écartant toute initiative locale visant à créer des infrastructures ou des industries autonomes. Ces décisions économiques empêchaient toute diversification économique dans les colonies, consolidant une économie extractive largement tournée vers l’exportation.
Le pacte colonial renforçait donc la domination française et façonnait des relations de dépendance systémique. Les conséquences de ce pacte sont encore visibles aujourd’hui, car les pays de la zone franc CFA sont parmi les moins industrialisés et les plus dépendants de l’exportation de matières premières. Ce manque d’industrialisation perpétue une vulnérabilité économique vis-à-vis des fluctuations des marchés internationaux, et l’absence de transformation locale des matières premières7 empêche une montée en valeur ajoutée au niveau régional.
La création du franc CFA intervient dans un contexte mondial profondément marqué par les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Les puissances européennes, à commencer par la France, cherchaient à stabiliser leurs économies et à renforcer leur contrôle sur leurs colonies dans un monde qui commençait à se réorganiser sous l’influence croissante des États-Unis et de l’URSS.
La Seconde Guerre mondiale a profondément bouleversé la France, tant sur le plan économique que politique. Après l’occupation allemande entre 1940 et 1944, la France est sortie du conflit affaibli, avec des infrastructures en ruines, une économie exsangue, et une place amoindrie sur la scène internationale. La priorité immédiate du gouvernement français était de reconstruire une économie dévastée par les combats, les bombardements, et les prélèvements massifs imposés par les forces d’occupation. Cette période de reconstruction, marquée par des efforts gigantesques pour restaurer le pays, fut également celle de la redéfinition des relations avec ses colonies, en particulier sur le plan monétaire.
Sur le plan économique, la déflation monétaire fut l’un des défis les plus urgents pour la France. Le franc français avait été gravement affecté par une inflation galopante, atteignant des taux d’environ 150 %. Cette crise inflationniste rendait la monnaie instable, affaiblissant encore plus la capacité du pays à relancer son économie. Pour contenir cette crise, une dévaluation s’imposait. Cependant, dans les colonies françaises, la situation monétaire était quelque peu différente. Les économies des colonies, bien que dépendantes de la France, avaient été moins touchées par l’hyperinflation. En effet, l’inflation moyenne y était estimée à environ 70 %, soit beaucoup moins que celle en France métropolitaine.
Pour résoudre cette disparité et préserver la stabilité économique des colonies, la France décida de ne pas appliquer une dévaluation uniforme du franc8 sur l’ensemble de son empire colonial. Une telle dévaluation aurait eu des répercussions néfastes pour les économies coloniales, risquant de déstabiliser leurs systèmes commerciaux et financiers. La solution fut donc la création d’une nouvelle monnaie, destinée spécifiquement aux colonies, qui permettrait à la France de protéger ses intérêts tout en maintenant un lien monétaire étroit avec ses territoires d’outre-mer.
Le 26 décembre 1945, la France créa officiellement le franc des Colonies Françaises d’Afrique (franc CFA). Cette monnaie, distincte du franc français, fut introduite dans les territoires africains pour faciliter les échanges commerciaux avec la métropole, tout en offrant à la France la possibilité de redresser son propre système monétaire sans perturber les économies coloniales. Le franc CFA était rattaché au franc français à un taux fixe, permettant aux colonies de bénéficier d’une certaine stabilité financière tout en assurant un contrôle étroit de la France sur leurs économies.
Cette décision faisait partie d’une stratégie plus vaste de la France visant à reconstruire son empire et à réaffirmer sa position mondiale après la défaite. En dépit des pressions internationales pour décoloniser, la France cherchait à maintenir une influence économique sur ses colonies à travers des mécanismes tels que le franc CFA, qui lui permettait de conserver un contrôle sur les flux financiers et commerciaux dans ces territoires. Ce contrôle monétaire faisait partie intégrante de la stratégie française de Françafrique, un système de relations étroites, bien que souvent inégales, entre la France et ses anciennes colonies, qui perdureraient longtemps après la fin officielle de la colonisation.
Le franc CFA, en tant que monnaie coloniale, devint un outil puissant dans le cadre de cette politique. En permettant une meilleure gestion des économies locales, il consolidait la dépendance financière des colonies à l’égard de la métropole, tout en protégeant les intérêts économiques français dans la région. Cette structure monétaire assura à la France un accès privilégié aux ressources naturelles des colonies, tout en renforçant son rôle de principal partenaire commercial de ces pays.
Ainsi, la création du franc CFA n’était pas simplement une mesure technique pour faire face à l’inflation. Elle représentait un instrument stratégique dans le projet de la France de restaurer son empire, tout en restructurant les relations avec ses colonies. L’histoire du franc CFA est donc indissociable de la volonté française de se redresser après la défaite et de continuer à exercer une influence économique sur ses anciennes possessions coloniales.
Ces accords9, signés un an avant la création du franc CFA, ont profondément restructuré l’économie mondiale. Les principales monnaies, dont le franc français, ont été rattachées au dollar américain, lui-même arrimé à l’or. Cette configuration a influencé les choix monétaires français, y compris la création d’une monnaie spécifique pour les colonies.
Pour la France, maintenir un contrôle sur ses colonies n’était pas seulement une question d’orgueil national. C’était aussi une nécessité économique. Le franc CFA est conçu pour servir de levier monétaire permettant de lier plus étroitement les économies africaines à celle de la métropole, tout en consolidant les intérêts économiques français sur le continent africain.
Le 26 décembre 1945, dans un contexte de reconstruction économique mondiale après la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle et son gouvernement provisoire signèrent une ordonnance officielle établissant le franc des Colonies Françaises d’Afrique (FCFA). Cette nouvelle monnaie, connue aujourd’hui sous l’acronyme franc CFA, a été créée à la suite des accords de Bretton Woods, alors que la France cherchait à stabiliser son économie et à maintenir son influence sur ses colonies africaines.
Cette décision fut présentée, en apparence, comme une initiative généreuse de la France visant à ne pas imposer aux colonies africaines les conséquences de ses propres difficultés économiques. Le ministre des Finances de l’époque, René Pleven, justifia cette création en déclarant que le franc CFA était né du désir de la France de « ne pas imposer à ses filles lointaines les conséquences de sa propre pauvreté », et qu’il avait pour objectif de respecter « les intérêts de chacun des territoires qui composent l’Union française », tout en tenant compte de « leurs besoins propres et de leurs contingences locales ».10 Ces propos visaient à apaiser les inquiétudes des territoires africains, en affirmant que leurs économies seraient traitées avec soin.
Cependant, en dépit de ce discours officiel, la réalité de la mise en œuvre du franc CFA fut bien différente. La création du franc CFA ne servait pas seulement à protéger les colonies des effets dévastateurs de l’hyperinflation française. En vérité, il s’agissait d’un instrument de contrôle monétaire destiné à maintenir les colonies africaines sous la tutelle économique de la France. Le franc CFA, arrimé à un taux de change fixe avec le franc français, fut imposé de manière uniforme dans toutes les colonies africaines, sans réelle prise en compte des particularités économiques de chaque territoire.
La décision de créer une monnaie propre aux colonies africaines reflétait la volonté de la France de garantir sa domination économique dans un contexte postcolonial imminent. Les colonies constituaient un important réservoir de matières premières nécessaires à la reconstruction de la métropole, et il était crucial pour la France de maintenir un contrôle étroit sur leurs économies. Le franc CFA, arrimé au franc français, permettait de contrôler les flux financiers entre la France et ses colonies, tout en assurant la stabilité des échanges commerciaux au bénéfice de la métropole.
Le taux de change fixe assurait également aux entreprises françaises présentes en Afrique un cadre favorable à leurs investissements, car il permettait de limiter les risques de change et d’assurer des retours sur investissement en franc français, renforçant encore l’interdépendance économique. Les autorités françaises justifiaient cette structure par la nécessité de préserver les colonies des fluctuations internationales, tout en encourageant une croissance économique qui servait aussi les intérêts de la métropole.
Le franc CFA n’était pas qu’un simple outil économique, mais un pilier central du contrôle politique de la France sur ses colonies africaines. En centralisant la gestion de la monnaie à Paris, via le Trésor français, la France exerçait une influence directe sur les choix économiques des colonies, même après les indépendances formelles. Ce système monétaire conférait à la France un rôle prédominant dans les affaires intérieures de ces pays, limitant leur capacité à prendre des décisions souveraines en matière de politiques budgétaires et monétaires.
Cette centralisation permettait à la France d’orienter les priorités économiques des colonies et d’aligner leurs politiques monétaires avec ses propres intérêts. Le franc CFA, en tant qu’instrument de la politique coloniale, jouait donc un rôle dans la préservation de l’influence française, même dans un contexte postcolonial. Cela assurait que la France puisse maintenir une présence stratégique en Afrique, à travers une domination économique déguisée en coopération monétaire, consolidant ainsi ses liens avec les pays de la zone CFA tout en répondant à ses propres objectifs géopolitiques.
Tableau 3.1 Évolution de la parité fixe entre le franc CFA (FCFA) et le franc français (FF).
Source : Kalife Nadim Michel (2016).
La parité fixe entre le franc CFA et le franc français a rapidement révélé son rôle central dans la continuation de la domination française dans les colonies. En apparence, cette parité était présentée comme un mécanisme de stabilisation monétaire pour les territoires africains, leur offrant une protection contre l’instabilité économique d’après-guerre. Cependant, elle fut également la source d’une surévaluation chronique du franc CFA par rapport à la réalité économique des colonies. Cette surévaluation n’était pas simplement un détail technique, mais un défaut fondamental qui a façonné les économies de la zone franc de manière structurellement désavantageuse.
Le franc CFA, étant artificiellement plus fort que le franc français, et donc que de nombreuses autres monnaies internationales, a eu des effets néfastes sur la balance commerciale des pays africains. Les économies locales, déjà fragiles, ont vu leurs exportations pénalisées par des coûts plus élevés sur les marchés internationaux. Les produits africains, tels que le cacao, le café, ou encore le coton, étaient soudainement moins compétitifs par rapport à ceux des pays émergents, notamment en Amérique latine, où les monnaies étaient plus faibles. En conséquence, les pays de la zone franc étaient forcés de réduire leurs exportations vers d’autres marchés mondiaux et de privilégier la métropole française comme principal acheteur, souvent à des prix nettement inférieurs à ceux qu’ils auraient pu obtenir ailleurs.
Cette surévaluation du franc CFA n’affectait pas seulement les exportations. Elle eut un effet dévastateur sur la production locale.12 Les produits importés, particulièrement ceux provenant de la France, devinrent plus abordables que les biens produits localement. Le coût élevé de la production intérieure, accentué par la surévaluation de la monnaie, rendait difficile la concurrence avec les produits manufacturés français, qui inondaient les marchés africains à des prix plus bas. Cette situation découragea les efforts d’industrialisation locale, plaçant les économies africaines dans une position de dépendance accrue envers la France, non seulement pour les exportations, mais aussi pour les importations de biens de consommation.
La création du franc CFA s’inscrivait non seulement dans une logique économique, mais également dans un cadre plus large de stratégie géopolitique pour la France. En pleine période de guerre froide, la France cherchait à conserver son influence en Afrique face aux deux grandes puissances émergentes : les États-Unis et l’URSS. Chacune de ces puissances cherchait à étendre son influence sur le continent africain, un terrain stratégique riche en ressources naturelles et en position géopolitique clé.
Pour la France, maintenir un contrôle strict sur les colonies à travers la parité fixe du franc CFA était un moyen efficace de prévenir tout rapprochement de ses anciennes colonies avec les puissances étrangères. Une monnaie commune et solidement ancrée dans l’économie française réduisait la tentation pour les pays africains de se tourner vers des blocs extérieurs, limitant ainsi leur capacité à se diversifier sur le plan économique et diplomatique.
Sur le plan économique, la parité fixe entre le franc CFA et le franc français a été largement bénéfique pour la France. Elle garantissait un accès privilégié aux ressources naturelles des colonies, telles que les matières premières, à des prix souvent avantageux. Grâce à cette parité, la France pouvait non seulement sécuriser ses approvisionnements en ressources stratégiques (comme les métaux, le pétrole, et les produits agricoles), mais aussi en contrôler les coûts. Les prix d’achat étaient en effet déconnectés des fluctuations des marchés mondiaux, permettant à la France de se procurer ces matières premières à des tarifs inférieurs à ceux pratiqués sur d’autres marchés internationaux.
Cette domination commerciale ne s’arrêtait pas là. La parité fixe transformait également les économies africaines en marchés captifs pour les produits manufacturés français. Incapables de développer leur propre production industrielle en raison de la surévaluation du franc CFA, les pays africains importaient massivement des biens manufacturés de France. Cela permettait à l’économie française de se relancer après la guerre, tout en consolidant sa mainmise économique sur ses anciennes colonies.
Toutefois, cette relation économique asymétrique a eu des conséquences graves pour les pays de la zone franc. Le franc CFA surévalué désavantageait les économies locales, les privant de toute véritable compétitivité internationale. En maintenant cette parité fixe, la France a contribué à piéger les anciennes colonies dans un système où elles restaient dépendantes de la métropole pour leurs exportations et importations.
Ce modèle, qui semblait au départ stabilisateur, s’est en fait révélé déséquilibré et inéquitable à long terme. Il a consolidé une relation de dépendance économique qui a freiné le développement des pays africains bien après leur indépendance politique.13 Incapables de développer des structures industrielles solides ou de diversifier leurs partenaires commerciaux, les pays de la zone franc se sont retrouvés enfermés dans une dynamique de sous-développement chronique, où leurs économies demeuraient orientées vers les besoins de la France, au détriment de leur propre croissance et autonomie économique.
L’histoire du franc CFA ne peut être comprise sans mentionner le franc germinal, introduit en 1803 par Napoléon Bonaparte. Ce dernier a non seulement marqué une période de stabilité monétaire en France, mais il a également servi de modèle à plusieurs monnaies coloniales, dont le franc CFA.
Le franc germinal, basé sur l’or et l’argent, offrait une stabilité sans précédent, ce qui en faisait une monnaie de référence dans les échanges commerciaux internationaux. Ce modèle monétaire a servi de cadre à la France pour gérer ses monnaies coloniales jusqu’au milieu du XXe siècle.
Bien que le franc CFA ne soit pas directement lié à l’or comme l’était le franc germinal, il héritait de cette philosophie de stabilité et de contrôle centralisé. En cela, le franc germinal peut être vu comme un ancêtre symbolique du franc CFA, qui perpétuait une tradition d’ancrage monétaire visant à stabiliser les économies sous domination française.
Dans les années 1920, le franc germinal a été remplacé par le franc Poincaré, du nom de l’ancien président Raymond Poincaré. Ce dernier a introduit une nouvelle monnaie en 1928 pour remédier à l’hyperinflation provoquée par la Première Guerre mondiale et stabiliser l’économie française.
La création du franc Poincaré, indexé à un contenu en or plus faible que le franc germinal, a permis de restaurer la confiance dans la monnaie française. Cette période de réformes monétaires est directement liée à l’histoire du franc CFA, qui sera créé quelques décennies plus tard.
Bien que la France ait traversé une période de dévaluation et d’inflation après la guerre, les colonies françaises en Afrique ont été partiellement protégées grâce à la gestion centralisée de la monnaie. La création du franc Poincaré a permis d’établir un lien stable entre les monnaies coloniales et le franc français, lien qui sera maintenu avec le franc CFA en 1945.
La création du franc CFA est également indissociable des Accords de Bretton Woods, signés en 1944, qui ont redéfini le système monétaire international.14
Les accords de Bretton Woods, signés en 1944, ont marqué une étape décisive dans l’histoire économique mondiale en établissant un système monétaire international basé sur des taux de change fixes. Dans ce cadre, le dollar américain a été désigné comme la principale monnaie de réserve, avec une convertibilité garantie en or, ce qui a renforcé sa position dominante sur la scène mondiale. Cette structure visait à créer une stabilité économique après les turbulences de la Seconde Guerre mondiale et à faciliter les échanges internationaux.15
L’influence de ce modèle sur les systèmes monétaires régionaux est significative. En particulier, la création du franc CFA (Communauté Financière Africaine) en 1945 illustre cette dynamique. Adoptant une parité fixe avec le franc français, le franc CFA a permis aux pays membres d’établir une stabilité monétaire tout en s’inscrivant dans un cadre économique plus large influencé par les principes de Bretton Woods. En effet, le franc CFA a été conçu pour offrir une protection contre les fluctuations économiques et favoriser les échanges commerciaux entre les États africains et leurs partenaires, principalement la France.
Ce système, bien qu’initialement prometteur, a également suscité des critiques concernant sa flexibilité et sa capacité à s’adapter aux réalités économiques changeantes des pays africains. Le franc CFA, par son attachement à une devise étrangère, a parfois été perçu comme limitant la souveraineté monétaire des États membres et leur capacité à réagir face à des chocs économiques.
En résumé, les accords de Bretton Woods ont non seulement façonné le paysage monétaire mondial, mais ont également servi de modèle pour des systèmes monétaires régionaux comme le franc CFA, illustrant les défis et les opportunités d’une monnaie ancrée dans un système de taux de change fixes. Cette dynamique continue d’avoir des répercussions sur les politiques monétaires et économiques des pays africains aujourd’hui.
En arrimant le franc CFA au franc français, la France a réussi à maintenir une certaine autonomie monétaire par rapport aux États-Unis tout en garantissant que ses anciennes colonies demeurent intégrées dans son espace économique. Ce choix stratégique a permis à la France de bénéficier de l’influence croissante du dollar américain, tout en préservant sa position prédominante dans ses territoires d’outre-mer.
Cette décision a eu plusieurs répercussions significatives. D’une part, en reliant le franc CFA au franc français, la France a pu stabiliser les économies des pays africains qui utilisaient cette monnaie, ce qui était essentiel pour leur développement économique à l’époque. D’autre part, cela a également permis à la France de conserver un contrôle sur les ressources économiques de ses anciennes colonies, en s’assurant qu’elles restent dépendantes du marché français.
Cette stratégie a été particulièrement efficace durant les décennies qui ont suivi l’indépendance de ces pays, car elle a permis à la France d’exercer une influence économique et politique considérable sur la région. En effet, la France a pu continuer à jouer un rôle majeur dans les affaires économiques de ses anciennes colonies, tout en se positionnant comme un acteur clé face à la montée du dollar sur le plan international. Ainsi, cette approche a renforcé non seulement la stabilité économique des pays concernés, mais a également consolidé le pouvoir et l’influence de la France dans la région.
Cette dynamique souligne l’interconnexion entre la politique monétaire et les stratégies géopolitiques, où la monnaie ne sert pas seulement d’outil d’échange, mais aussi de levier de pouvoir dans les relations internationales. En somme, l’arrimage du franc CFA au franc français a été un moyen pour la France de naviguer habilement entre l’autonomie monétaire et l’influence internationale, tout en maintenant ses liens avec ses anciennes colonies.
Avant la création du franc CFA, les colonies françaises d’Afrique utilisaient différentes monnaies, notamment le franc français ou des devises locales contrôlées par la France. Certaines colonies avaient des billets spécifiques, mais ils étaient généralement indexés sur le franc français et restaient sous le contrôle monétaire de la France.16
Avec la prise de contrôle allemande au Cameroun en 1884, la monnaie allemande fut introduite, et les transactions se firent en mark et pfennig. Cependant, l’adoption de ce système fut lente en raison de la prédominance du troc dans les échanges locaux. Ce système d’échange direct présentait de nombreux avantages pour les commerçants, permettant des transactions à moindre coût. Néanmoins, l’introduction d’une monnaie contribua à fixer la valeur des biens, facilitant sa généralisation tout au long de la période coloniale. Aucune monnaie locale spécifique au Cameroun n’a été émise sous l’administration allemande, bien que quelques billets de 5, 50 et 100 marks aient été imprimés en quantité limitée pendant la Première Guerre mondiale, ce qui en fait aujourd’hui des pièces prisées des collectionneurs.17
Après la défaite de l’Allemagne en 1918, le Cameroun passa sous administration française, et le franc français devint la monnaie principale. Cette transition permit une certaine stabilisation économique, intégrant le Cameroun au système monétaire français et simplifiant les transactions commerciales. Le franc français remplaça ainsi le mark allemand et offrit une continuité économique dans cette région en pleine transition.
L’héritage des différents systèmes monétaires a eu un impact significatif sur l’économie du Cameroun, révélant les effets de la dépendance monétaire envers les puissances coloniales. Le franc CFA fut ensuite introduit en 1945 dans les colonies françaises, renforçant l’influence économique de la France dans la région. Ces périodes successives ont marqué la structure économique du Cameroun, qui reste influencée par les choix monétaires de l’époque coloniale jusqu’à aujourd’hui.
Avant le mark allemand, la région du Cameroun n’avait pas de monnaie officielle. Le commerce se faisait principalement à travers des systèmes d’échange ou de troc, bien que certaines monnaies coloniales européennes aient pu circuler dans les régions côtières via les échanges avec les marchands européens.
En résumé, ce chapitre a tracé les contours historiques et économiques du franc CFA, en mettant en lumière ses origines dans un contexte colonial et mondial tumultueux. La transition vers le franc CFA en 1945 ne se limite pas à la simple création d’une nouvelle monnaie, mais illustre plutôt un tournant stratégique pour la France, désireuse de maintenir son influence sur ses anciennes colonies à une époque où les équilibres géopolitiques étaient en pleine mutation.
Nous avons vu comment les monnaies précédentes, comme le franc germinal et le franc Poincaré, ont façonné le paysage monétaire français et colonial, établissant des bases essentielles pour la création du FCFA. En fixant une parité favorable au franc français, la France cherchait non seulement à stabiliser les économies africaines, mais aussi à solidifier un lien économique qui lui était profitable. Ce choix a, de facto, transformé le franc CFA en un instrument de contrôle monétaire et politique, illustrant ainsi les dynamiques postcoloniales persistantes.
L’influence des accords de Bretton Woods a également été cruciale, alors que la France tentait de naviguer entre les réalités économiques de l’époque et ses aspirations impérialistes. Ce chapitre a ainsi révélé que le franc CFA, au-delà de son rôle économique, est un symbole des relations complexes entre la France et ses anciennes colonies, marquées par un héritage de dépendance et de domination.
En synthèse, la naissance du franc CFA représente un moment charnière, ancré dans une volonté de maintenir un contrôle économique tout en répondant aux défis d’un monde en transformation. Les enjeux soulevés dans ce chapitre serviront de fondement aux discussions suivantes, où nous examinerons les implications de cette monnaie pour les pays africains et les perspectives de réforme à l’heure actuelle.