Frida Kahlo - Pierre Clavilier - E-Book

Frida Kahlo E-Book

Pierre Clavilier

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Beschreibung

Biographie de l’une des femmes les plus marquantes de l’ère révolutionnaire mexicaine.

Rebelle dès son jeune âge, Frida Kahlo mène sa vie avec force et passion. Engagée dans le combat politique, proche des idéaux communistes, elle est l’une des femmes les plus marquantes de l’ère révolutionnaire mexicaine. Émancipée, elle ne veut pas suivre le chemin tout tracé de la femme mexicaine du début du siècle. Elle veut étudier, elle veut voyager, elle veut la liberté et le plaisir ! Elle lutte aussi pour la défense des plus démunis et pour la reconnaissance des anciennes cultures mexicaines. Après une maladie d’enfance et un terrible accident, elle met en scène son corps et sa souffrance dans ses tableaux : son style de peinture, les thèmes qu’elle aborde dans ses toiles la mèneront à la célébrité. D’André Breton à Picasso, de Henry Ford à Trotski, Frida Kahlo a croisé les plus grands esprits de l’époque, qui ont tous vu en cette femme un être d’exception !

« le plus grand peintre du monde » le peintre muraliste Diego Rivera

« un ruban autour d'une bombe » André Breton

« Elle ne vit pas avec son temps, elle le précède » Pierre Clavilier

Plongez dans l'autobiographie de cette femme d'exception et découvrez son parcours de vie, entre souffrances physiques, liberté, combats politiques et émancipation !

EXTRAIT

Cet été, Frida est de plus en plus nostalgique. Elle veut repartir. Pour sa part, son mari est persuadé que la Révolution prolétarienne planétaire, inspirée des valeurs de Marx et de Lénine, verra le jour aux États-Unis ; aussi exige-t-il de rester sur place. Absent du Mexique pendant la Révolution de 1910, absent de Moscou au soulèvement de 1917, Rivera ne veut pas manquer un troisième rendez-vous historique. Frida se contente donc de rêver parfois à son retour au pays natal, et c’est un sujet de disputes régulières avec Diego qu’elle admire pourtant comme au premier jour.
Le 20 décembre 1933, les deux artistes mexicains embarquent sur l’Oriente à destination de Veracruz, via La Havane.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pierre Clavilier est historien, poète « pour élargir le temps ». Il s’enflamme pour la culture espagnole et principalement sa littérature. Voyageur, il s’envole vers le Mexique où il découvre un pays d’une grande richesse culturelle : ses poètes, ses romanciers, ses compositeurs, ses photographes, ses architectes et ses peintres l’éblouissent. À Mexico, il visite la Maison bleue où naquit en 1907 Frida Kahlo, s’enthousiasme pour ses œuvres, et se passionne immédiatement pour sa vie. « La première fois que j’ai rencontré Frida Kahlo, elle était accrochée à un mur », dit-il sur le ton de la plaisanterie, avant de préciser « Son musée lui ressemble tellement que j’ai eu l’impression que cet autoportrait était là pour m’accueillir, moi, le visiteur anonyme. » Dès lors, on comprend aisément la volonté de Pierre Clavilier de partager avec nous son exaltation pour cette femme artiste, militante, féministe et rebelle.

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Couverture

Du même auteur

L’auteur

Pierre Clavilier est historien, poète « pour élargir le temps ». Il s’enflamme pour la culture espagnole et principalement sa littérature. Voyageur, il s’envole vers le Mexique où il découvre un pays d’une grande richesse culturelle : ses poètes, ses romanciers, ses compositeurs, ses photographes, ses architectes et ses peintres l’éblouissent. À Mexico, il visite la Maison bleue où naquit en 1907 Frida Kahlo, s’enthousiasme pour ses œuvres, et se passionne immédiatement pour sa vie. « La première fois que j’ai rencontré Frida Kahlo, elle était accrochée à un mur », dit-il sur le ton de la plaisanterie, avant de préciser « Son musée lui ressemble tellement que j’ai eu l’impression que cet autoportrait était là pour m’accueillir, moi, le visiteur anonyme. » Dès lors, on comprend aisément la volonté de Pierre Clavilier de partager avec nous son exaltation pour cette femme artiste, militante, féministe et rebelle.

Du même auteur

El rey del pais de Nishadhas,Linajes editores (Mexico, 2004). Épopée adaptée du Mâhâbârata écrite en espagnol

De vent et de pierres,éditions Béréwwnice (Paris, 2005). Poésie

La course contre la honte,éditions Tribord (Bruxelles, 2006). L’histoire de la peine de mort et de son abolition

Palabras de fuego / Mots de feu, El Taller del poeta, Pontevedra, 2012

Jean Jaurès, l’éveilleur des consciences, Éditions du Jasmin, 2013

Titre

Copyright

COLLECTION SIGNES DE VIE

1.

Van Gogh, la course vers le soleil

José Féron Romano

& Lise Martin

2.

Jacob et Wilhelm Grimm, il était une fois…

François Mathieu

3.

George Sand, le défi d’une femme

Séverine Forlani

4.

Frida Kahlo, les ailes froissées

Pierre Clavilier

5.

Simone de Beauvoir, une femme engagée

M. Stjepanovic-Pauly

6.

Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes et au-delà

M. Stjepanovic-Pauly

7.

Frédéric Chopin, l’âme du piano

Claude Clément

8.

André Malraux, un combattant sans frontières

Marie Geffray

9.

San Martín, à rebours des conquistadors

Denise Anne Clavilier

10.

Beaumarchais, ou l’irrévérence

Marie Geffray

11.

Jean Jaurès, l’éveilleur des consciences

Pierre Clavilier

12.

Jacques Prévert, les mots à la bouche

Daniel Chocron

13.

Romain Gary, la mélancolie de l’enchanteur

M. Stjepanovic-Pauly

Tous droits de reproduction, de traduction

et d’adaptation réservés pour tous pays

©2014 Éditions du Jasmin

www.editions-du-jasmin.com

Dépôt légal 2etrimestre 2014

ISBN : 978-2-35284-453-2

Avec le soutien du

Exergue

« Elle a passé sa vie à mourir. »

Andrés Henestrosa

« Le beau n’est que le seuil du terrible que nous

Dédicace

À Ambre, ma fille.

P. C.

Première partie 1907-1929

Des origines multiples

« Ses peintures sont sa biographie. », affirme en 1953 dans les colonnes deNovedades*José Moreno Villa, peintre, poète et critique de grande notoriété. À quarante-cinq ans, Frida Kahlo est déchirée par la vie. Chacun devine l’imminence de sa mort. C’est pourquoi l’une de ses amies, assistée par l’époux de l’artiste, organise une rétrospective autour de ses créations. Moreno Villa a raison, l’œuvre de Frida Kahlo, à l’écart de tout mouvement artistique, recèle des zones mystérieuses qui font écho aux périodes sombres de sa vie. La richesse des couleurs transpose à la fois ses plus vives douleurs et son insatiable enthousiasme. Dans ses tableaux-miroirs, Frida inscrit l’énigme de sa destinée.

C’est à Mexico que Frida Kahlo voit le jour le 6 juillet 1907. Sa mère, Matilde Calderón y González, est née en 1876 à Oaxaca, au sud-ouest du Mexique**. Les civilisations zapotèques, mixtèques et aztèques ont fait autrefois de cette région l’une des plus importantes du Mexique précolombien. Au début duXXesiècle, sa capitale est souvent appeléeville de jadeà cause de la pigmentation verte des pierres de la plupart de ses édifices. Matilde Calderón y González est l’enfant d’Isabel González y González, dont le père est un général espagnol et d’Antonio Calderón, Indien natif de Morelia, dans le Michoacán, au sud-est sur la côte Pacifique du Mexique. Isabel González y González est écartelée entre son attachement à son origine européenne et son amour pour son mari. Depuis quatre siècles en effet, les Espagnols mènent la vie dure aux populations indigènes dont son époux est l’héritier. Ce déchirement s’ancre dans son comportement quotidien. Elle le lègue à Matilde, sa fille aînée qui, à son tour, le transmet à Frida. Cette dernière sublime cette névrose, devenue patrimoine familial.

En ce temps-là, au Mexique, posséder du sang indien rend difficile l’accès à des situations honorables. La majorité métisse, qui recherche une reconnaissance sociale, dissimule ses origines indiennes, comme le fait lui-même le président Porfirio Diaz dont trois grands-parents sont amérindiens. Pour cela, les métis ont recours à des artifices. Ainsi, certains recouvrent d’une poudre blanche leur peau cuivrée. C’est le cas d’Antonio Calderón, le grand-père indien de Frida, qui est photographe de daguerréotypes. Ses activités professionnelles le contraignent bien vite à s’installer à Mexico. Pour son épouse, cet exil est une véritable blessure. Éloignée d’Oaxaca et de sa cathédrale où régulièrement, elle se rendait pour prononcer des prières à laVierge brune, elle n’a plus pour repère que ses douze enfants, tout particulièrement Matilde, l’aînée. La fillette ne s’attarde pas à l’école : elle doit s’occuper de sa fratrie avec sa mère. Dans son journal***, Frida nous apprend qu’adulte, sa mère compense son manque d’instruction par une croyance sans limites. Puis d’ajouter, avec une ironie féroce : « Elle ne savait ni lire ni écrire : elle savait seulement compter l’argent ».

Fils de Jakob Heinrich Kahlo, bijoutier et vendeur de matériel photographique, et d’Henriette Kaufmann Kahlo, Wilhelm Kahlo, le père de Frida, naît en 1872 à Baden-Baden, en Allemagne. Ses parents sont des Juifs immigrés d’Arad****en Autriche-Hongrie. Adolescent, Wilhelm perd sa mère. C’est pour lui une blessure impossible à cicatriser. Un an après le drame, Heinrich Kahlo convole en secondes noces. Le jeune Kahlo se sent trahi. Il n’apprécie pas la deuxième épouse de son père et se querelle avec elle. Pour fuir les disputes incessantes, il déserte sa ville natale et part étudier à Nuremberg, qui devient son refuge, son havre de paix. La vie semble lui sourire. Il respire. Loin des souvenirs qui le hantent, l’étudiant se révèle à lui-même. Éloigné de l’ombre de ces jours de deuil, il veut réussir professionnellement et familialement. Il veut une femme et au moins un fils à ses côtés. Un avenir souriant lui tend les bras. Pourtant, en 1890, il est victime d’une lourde chute de cheval qui le contraint à interrompre ses cours. De graves lésions cérébrales entraînent une immobilisation et des crises d’épilepsie qui le poursuivront toute sa vie.

Une année s’écoule : Wilhelm Kahlo n’a plus envie de reprendre les cours à l’université. Il s’interroge sur son avenir. Doit-il retourner chez son père et cohabiter avec une marâtre qu’il déteste ? Doit-il trouver un emploi ? Quelle orientation prendre ? Il veut devenir quelqu’un de respecté, mais qui l’acceptera sans diplôme ? De nature aventureuse, trop fier pour faire marche arrière, il décide d’aller à Baden-Baden dans l’intention, non de s’y établir, mais de s’entretenir avec son père. Il lui annonce sa volonté de quitter rapidement l’Allemagne. Où ira-t-il ? Loin, très loin même, hors des frontières de l’Europe. Il voyagera par-delà les étendues bleues pour rejoindre le Mexique. Même s’il ne doit jamais en revenir, le jeune Kahlo devine que sa vie l’appelle là-bas. À Jakob Heinrich Kahlo qui formule quelques réserves, le jeune homme explique que comme nombre de ses compatriotes, il réussira dans ce pays même s’il n’en parle pas la langue. Après moins d’une semaine de réflexion, le bijoutier qui a lui-même connu l’émigration, et dont la loyauté est l’une des plus grandes vertus, réunit l’argent pour offrir le voyage à son fils. Avant le départ, il dit à son enfant que malgré la distance, il reste à ses côtés. Les deux hommes s’étreignent sur le quai de la gare. Ils ignorent encore qu’ils ne se reverront pas.

Après de longues semaines de traversée maritime, le jeune émigrant arrive aux portes du Mexique, où règne en maître absolu le général Porfirio Diaz. Élu en 1876, puis en 1884 à la présidence de la République, celui-ci conserve le pouvoir de longues années dans la plus grande illégitimité. Il sera renversé par la Révolution en 1911.

Dans son journal, Frida décrit ce père auquel elle voue un véritable culte : « Ses gestes et sa démarche étaient assez élégants. Il était tranquille, travailleur, vaillant. » Sitôt débarqué, l’aventurier rencontre la communauté allemande expatriée. Embauché d’abord comme caissier à la verrerieLoed, il devient ensuite libraire. Grand amateur de lecture, il se constitue une bibliothèque où abondent des livres rares et précieux qu’il conservera toute sa vie. En 1894, trois ans après son arrivée au Mexique, adapté à son nouveau pays, Wilhelm Kahlo épouse une Mexicaine. Dès lors, il ne songe plus à retourner vivre en Europe. De son mariage, naît une première fille, objet de sa fierté. Devenu l’employé de la bijouterieLa Perla, fondée par des compagnons de voyage, plus fortuné que deux ans auparavant, et surtout impatient d’avoir un garçon, Kahlo conçoit un nouvel enfant. La vie est belle, répète-t-il à ses amis, il va être de nouveau père. Cette perspective l’enchante ! Le jour de la naissance du bébé, la fatalité le rattrape. C’est encore une fille qui voit le jour. María Cárdena, son épouse, épuisée par les efforts de l’enfantement, meurt en couches. Le sourire du père s’efface ; en proie à un vif chagrin, il fait appel à Matilde Calderón et à sa mère pour l’aider.

En 1898, le père de Frida, que l’on appelle désormais Guillermo et même parfois don Guillermo, épouse Matilde Calderón. Cependant, c’est sous de mauvais augures que les deux époux se promettent amour, fidélité et assistance mutuelle. En effet, Guillermo se sent responsable de la disparition de sa première femme, María Cárdena, et Matilde Calderón pour sa part, n’a pas réellement fait le deuil d’un premier échec amoureux. Frida, quant à elle, doutera toute sa vie qu’il ait existé un véritable penchant entre ces deux êtres si différents l’un de l’autre. Matilde est une femme charmante ; son mari est laid. Elle est catholique et pieuse ; lui, d’origine juive, est un athée convaincu. À l’époque, une Mexicaine qui épouse un Européen monte dans l’échelle sociale. De surcroît, Guillermo Kahlo possède une belle situation professionnelle et financière. Et puis la jeune mariée a dépassé l’âge habituel du mariage. Tout cela n’est-il pas suffisant pour dire oui ?

Cherchant un successeur digne de confiance, Antonio Calderón incite son gendre à changer de métier. Pour vaincre ses dernières réticences, il demande à sa fille de persuader son mari. Kahlo s’abandonne aux arguments de chacun et renonce à regret à la bijouterie.

De son beau-père, le jeune marié apprend à photographier. Tout le matériel que Jakob Heinrich Kahlo vendait à Baden-Baden prend vie entre les mains d’Antonio Calderón. Curieux, don Guillermo part à la découverte du pays, accomplissant consciencieusement sa fonction de photographe. Il s’épanouit dans cette activité moderne. Il épie le moindre détail tel un peintre. Il s’adonne d’ailleurs de temps en temps à la peinture.

Parfois, sa profession l’oblige à partir quelques jours bien loin de sa femme et de ses fillettes. En dépit de ses origines religieuses et de son athéisme, il confie ses filles à la garde de nonnes cloîtrées. Il sait qu’elles recevront au sein de ce couvent une bonne éducation. Guillermo peut maintenant, librement, accompagner son beau-père dans chaque État mexicain. Pour certains voyages, il est même contraint de remplacer le vieil homme déjà fatigué. Rapidement reconnu comme l’un des photographes les plus talentueux du pays, Guillermo Kahlo est célébré par ceux qui le reçoivent. Quelques années s’écoulent ; il accepte une importante commande du ministre des Finances. La mission consiste à photographier l’ensemble du patrimoine architectural indigène ou colonial de toute la République. On lui explique que les images illustreront de somptueux ouvrages publiés en 1910 qui commémoreront le centenairedel Grito*****. On a pensé à lui pour ce travail d’inventaire puisqu’il détient maintenant le titre de premier photographe officiel du patrimoine culturel du Mexique. Entre 1904 et 1910, il est de plus en plus souvent absent de son foyer.

Magdalena Carmen Frieda Kahlo Calderón voit le jour le 6 juillet 1907. C’est la troisième fille de Guillermo Kahlo et Matilde Calderón. Les deux premiers prénoms de l’enfant ouvrent les portes au baptême auquel son père se résigne. C’est néanmoins par son dernier prénom qu’elle est appelée.Friede, « paix » en allemand se prononce « frida » en espagnol. Aussi la peintre n’orthographiera-t-elle plus son prénom « Frieda » à l’avènement du nazisme. C’est là un acte significatif d’un combat politique qu’elle poursuivra assidûment jusqu’à la mort.

* Grand journal mexicain de l’époque.

** Avant l’arrivée des Espagnols, ces terres étaient appelées par les Aztèques Huawyacac : endroit où pousse la calebasse.

*** Il est présenté aujourd’hui au musée qui porte son nom à Mexico.

**** Aujourd’hui cette ville se situe en Roumanie.

***** Le cri : appel à l’insurrection lancé depuis sa chaire par le prêtre Miguel Hidalgo, débouchant sur l’indépendance du Mexique, le 16 septembre 1810.

Une enfant blessée

Peu après la naissance de Frida, Matilde Calderón tombe gravement malade. Elle ne peut plus allaiter sa fille, que l’on confie alors à une nourrice originaire du Yucatán, une péninsule au sud-est du Mexique. Suspicieux, les parents doutent de la bonne hygiène de l’indigène. Ils exigent que le sein de la femme soit soigneusement savonné avant chaque tétée. Pour apaiser la petite, l’Indienne lui chante des berceuses traditionnelles, qui lui ouvrent l’esprit à une culture qui n’est pas celle de sa classe sociale ni de sa famille. Plus tard, l’artiste tirera beaucoup de fierté de ce moment de sa vie. Le tableau intituléMa nourrice et moi(1937) le souligne particulièrement. Tout le mystère et la puissance de l’univers esthétique et la vie de Frida Kahlo se retrouvent dans cette œuvre. La créatrice y est représentée en poupon au visage d’adulte prenant le sein d’une femme portant un masque de pierre de Teotihuacán*. La peinture matérialise ainsi ses racines indiennes, revendiquées dans son expression artistique. À bien y regarder, le masque comporte les sourcils caractéristiques de la peintre. Cet artifice lui permet de s’approprier la culture de la nourrice. Au sens propre comme au sens figuré, la partie amérindienne de Frida alimente sa partie européenne. Les deux origines appellent le thème de la dualité qui, s’il est bien présent dans les croyances ancestrales du Mexique, demeure un élément constitutif de l’identité de la créatrice, dans son œuvre comme dans sa vie. Frida le traduit à la perfection dans l’un de ses plus fameux tableaux,Les deux Frida(1939).

Onze mois après la naissance de Frida, Matilde Calderón, toujours affaiblie, donne le jour à Cristina. L’artiste la considérera comme son double, et le très faible écart d’âge qui sépare les deux sœurs augmente leur complicité. Ni Frida, ni sa cadette, ne savent si la santé défaillante de leur mère est une cause ou un prétexte pour marquer ses distances avec elles. Celle-ci reste profondément meurtrie par la disparition prématurée d’un frère aîné des petites. Cette mort représente pour elle un échec qui l’obsédera jusqu’à la fin de ses jours. Même s’il n’en dit jamais rien, don Guillermo en souffre aussi. Les ambitions sociales qu’il nourrissait depuis longtemps pour un fils sont reportées sur Frida, la seule de ses filles dont l’homme se sente proche. On l’entend souvent dire que sa fille lui ressemble.

Le photographe, pourtant distant avec ses enfants, manifeste sa préférence pour Frida en lui donnant à lire des livres de sa propre bibliothèque. Ce favoritisme s’explique par le regard de Frida, qui rappelle à son père celui de sa propre mère. La fillette, en effet, possède l’implantation de sourcils de sa grand-mère paternelle.

Ce sont les aînées, Matilde et Adriana, qui s’occupent le plus de leurs cadettes. Elles leur prodiguent des soins presque maternels et trouvent l’aide ponctuelle de leurs demi-sœurs María Luisa et Margarita quand ces dernières sortent du couvent.

Frida a un peu plus de trois ans en octobre 1910 lorsque la Révolution éclate au Mexique. Dans cette contrée propice aux tremblements de terre, ce soulèvement est un séisme politique et culturel. Il provoque une lame de fond qui emporte tous les soubassements sur lesquels repose la société depuis des siècles. Les répercussions pour la famille Kahlo y Calderón sont désastreuses. La soudaine précarité du foyer laisse des blessures inconscientes à Frida. « C’est avec la plus grande difficulté que nous parvenions à vivre […] », affirme-t-elle des décennies plus tard. En quelques mois le régime en place depuis des décennies s’est effondré : le 4 octobre 1910, le général Diaz est déclaré élu pour un mandat présidentiel qui court jusqu’en 1916. Le lendemain, Madero, un des adversaires du vieux despote ‒ candidat malheureux d’abord incarcéré par les forces au pouvoir puis libéré ‒ en appelle aux armes. Il lance ce que l’on nommele plan de San Luís, déclarant le scrutin nul et non avenu. Ce coup de tonnerre trouve écho dans tout le pays. Madero proclame alors la non-réélection comme loi suprême. Si rien n’est fait le 20 novembre, un soulèvement général aura lieu. La situation n’ayant pas évolué à cette date, le peuple se mutine : la révolte dure six mois. On compte un million de morts. Le 21 mai 1911, intervient l’accord deCiudad Juarez. Contraint à l’exil, Diaz embarque pour l’Europe**. La chute du despote entraîne la fin des commandes d’État et de la période prospère qui a permis, en 1904, à Guillermo Kahlo d’acquérir, dans le quartier de Coyoacán un superbe terrain. À cette époque Coyoacán est un village proche de la capitale. Là où s’élevait autrefois un couvent, cet athée a édifié une vaste maison aux murs bleus. Modifiée au fil des années, cette somptueuse demeure est l’épicentre de la vie mouvementée de Frida. C’est maintenant un musée qui lui est consacré.

Si plus tard, Frida dit être née le 6 juillet 1910, c’est précisément pour s’assimiler à cette révolution qui débouche sur la renaissance mexicaine. « Elle appartient à la génération qui est née avec la Révolution et a grandi avec elle. Les idées nouvelles, elle les porte dans sa chair, dans ses sentiments », affirme J.-M. G. Le Clézio.

En 1914, les habitants sont toujours en révolte, le pays se déchire. On ne compte plus les factions, les meurtres, les revendications et les combats. Enfant joufflue bravant les dangers, Frida a l’habitude de se promener avec son père dans les bois de Chapultepec*****. Un jour, la petite fait une lourde chute. Le lendemain, elle ne parvient pas à se lever. Sa cuisse droite et sa jambe la font souffrir. Pour éviter le retour de la malédiction qui frappe la famille, Kahlo presse un médecin au chevet de son enfant. Tandis que la mère catastrophée dit des prières, le père est à côté de l’homme qui ausculte sa fille sans force. Atteinte de poliomyélite, Frida est dans l’obligation d’interrompre sa scolarité. Il lui faut garder la chambre pendant neuf longs mois. La maladie entraîne des séquelles : une jambe plus mince que l’autre cachée toute sa vie par l’artiste, ainsi qu’une claudication dont l’intensité varie avec la fatigue. Don Guillermo est inquiet. Bien que travaillant dans un petit studio à une heure de la maison, où il réalise des portraits de communiants, il se montre très proche de sa fille malade. Enfermée dans sa chambre, l’enfant emprunte les sentiers de l’imagination : « Je dois avoir six ans lorsque je vécus intensément une amitié imaginaire avec une petite fille […] Elle était souple et elle dansait comme si elle avait été en état d’apesanteur. » Cette camarade chimérique réalise ce qui est impossible à Frida. Elle la poursuivra, revêtant différentes apparences, le reste de ses jours. « Je la suivais dans ses mouvements et lui racontais, tandis qu’elle dansait, mes problèmes secrets. Lesquels ? Je ne m’en souviens pas. Sur la verrière qui était alors ma chambre […] je faisais de la buée. Et, d’un doigt, je dessinais une porte. Par cette porte, je m’échappais en rêve, avec une grande joie et une urgence […] »

Sur le conseil des médecins, Guillermo Kahlo décide que sa fille exercera des sports ordinairement réservés aux garçons. Aussi Frida pratique-t-elle le football, la natation ‒ discipline qui possède sa préférence ‒, la lutte et la boxe. Comme les enfants de la rue lui donnent le sobriquet deFrida l’estropiéeouFrida-jambe-de-bois, son amour-propre est blessé. Lorsqu’elle retrouve le chemin de l’école, sa jambe droite est déformée et l’un de ses pieds est plus petit que l’autre. Bien qu’elle fasse tout son possible pour le cacher, Frida est tout de même différente de ses camarades et cela la pousse à se replier sur elle-même. Dans son tableauQuatre habitants du Mexique(1938), elle représente cet isolement sous les traits d’une petite fille retirée du groupe, portant son propre visage. La solitude qui la frappe enfant est manifeste aussi sur une photographie de famille. À droite du cliché, la jeune malade apparaît maintenue à l’écart de tous. Un bosquet camoufle soigneusement sa jambe déformée. La douleur de Frida se transforme en un terreau fertile qui ouvre les portes de l’extravagance à ses errances créatrices.

Au cours de sa huitième année, Frida commet l’irréparable. Sa sœur aînée Matita est amoureuse. Ses parents ne la comprennent pas, aussi aspire-t-elle à quitter la Maison bleue pour vivre avec celui dont elle est éprise. C’est en sa cadette qu’elle trouve une alliée. À quinze ans, elle abandonne secrètement la demeure familiale, en passant par la fenêtre du balcon. Frida, déjà soldat de la liberté, la referme avant de retourner dans sa chambre poursuivre son sommeil. Le lendemain matin, la maison est en état d’alerte. On interroge les fillettes. Tandis que son aînée est en chemin pour Veracruz, la complice affirme ne rien savoir.