Guillaume Apollinaire - Jean-François Robin - E-Book

Guillaume Apollinaire E-Book

Jean-François Robin

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Beschreibung

Wilhelm de Kostrowitsky, qui prit le nom d'Apollinaire, découvrit sa vocation de poète dès l'âge de sept ans.

À sept ans, Wilhelm de Kostrowitsky se découvre une vocation de poète, à douze ans une vocation de journaliste en créant un journal dans son lycée, et à vingt ans une vocation de critique d’art après avoir rencontré Picasso et Braque.
Il prend alors le nom d’Apollinaire. Guillaume Apollinaire.
Jean-François Robin fait de cette « naissance d’une vocation » une biographie romancée, où il suit pas à pas l’évolution et l’oeuvre du poète en se glissant dans la peau des acteurs qui l’ont vécue. Apollinaire se raconte, mais aussi tous ceux de son entourage : sa mère joueuse et aventurière qu’il suit au gré des casinos, son frère, sage employé de banque, et surtout ses amis de lycée qu’il gardera tout au long de sa vie.
Tous racontent la bataille incessante qu’il a dû mener pour s’imposer dans le paysage littéraire du Paris de cette époque bohème, une époque qu’il a su égayer de ses excentricités, de son génie, de son humour, de ses amours impossibles et de son art de vivre, jusqu’à cette guerre qui l’a blessé avant que la grippe espagnole n’achève une vie trop courte.
Cent ans plus tard, la poésie d’Apollinaire ne nous a pas quitté, elle continue sa chanson immortelle.

Une biographie romancée qui vous contera la bataille incessante du poète pour s'imposer dans le paysage littéraire parisien, ponctuée d'excentricités, de génie, d'humour, d'amours impossibles et d'art de vivre.

EXTRAIT

Au collège où je suis en pension, la religion tient une belle place. Je peux au moins me réfugier auprès de Dieu et j’en suis heureux. Ma maîtresse s’appelle Sœur Odile et je ne suis pas un mauvais élève. Lorsqu’elle le peut, ma mère vient me chercher au collège et je suis fier d’avoir une belle maman que mes copains regardent avec admiration et envie. Mais la plupart du temps, lorsqu’elle s’absente, je reste seul et les fins de semaine dans le collège vidé de ses élèves me semblent bien tristes.
Comme c’est la tradition, après une belle retraite, j’ai fait ma première communion. Elle portait bien son nom, elle fut solennelle, j’en ai gardé la photographie. Albert m’a offert un livre pieux et maman m’a écrit sur la couverture de son cadeau, le Paroissien romain : « À mon cher enfant en souvenir du plus beau jour de sa vie et qu’il n’oublie pas sa maman dans ses prières ». J’essaierai de n’y manquer jamais.
Vêtus de la tunique du collège avec un nœud en satin, d’un col et d’un brassard blancs, nous avions vraiment l’air d’être de dignes enfants de Dieu. La Congrégation de L’Immaculée Conception fondée au collège pour célébrer la Sainte Vierge m’accueille en son sein depuis six mois, j’y suis d’abord aspirant puis rapidement secrétaire. Là encore une photographie où assis au bureau, je tiens la plume, a immortalisé l’épisode. Si je rédige des comptes rendus très sérieux des réunions de la congrégation, cela ne m’empêche pas de caricaturer discrètement les professeurs et de jouer à la petite guerre avec des soldats de carton peints à l’aquarelle par les camarades Tamburini et Lempereur.
Ces soldats, il faut les renverser avec des catapultes en élastique qu’on se lance à travers la classe. Inutile d’ajouter que nos soldats et les munitions finissent généralement entre les mains des surveillants qui nous les confisquent.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après des études de physique, Jean-François Robin a été directeur de la photographie sur de nombreux films ( Claude Sautet, Jacques Demy, Alain Cavalier ou Jean-Jacques Beineix). Il est l'auteur de plusieurs essais et romans dont La Disgrâce de Jean Sébastien Bach (prix de l’Académie Française en 2003) et, chez Riveneuve dans la collection Naissance d’une vocation, de Bach Jean-Sébastien (2014) et André-Marie Ampère (2016).

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Couverture

Page de titre

« Hommes de l’avenir souvenez vous de moi »

(Alcools)

À Sophie D.

Wilhelm

Je m’appelle Kostrowitzky, Wilhelm Kostrowitzky. Pas facile à écrire ni à prononcer, ce nom vient de ma mère Angélica, née en 1858 en Lituanie dans une famille de la vieille noblesse polonaise.

Après une insurrection contre l’occupant russe, et pour échapper au sort de ses frères exilés en Sibérie, mon grand-père Apollinaris s’enfuit avec sa jeune femme italienne jusqu’à Rome et leur fille.

Apollinaris, grâce à ses origines nobles et polonaises, réussit à se faire engager au service du pape et devient « camérier d’honneur de cape et d’épée » au Vatican, tâche plus honorifique qu’indispensable.

Ma mère, grâce au soutien et aux relations de son père devient pensionnaire au Couvent des Dames Françaises du Sacré-Cœur et réussit malgré les contraintes et la discipline qu’elle hait comme je la hais, à rester jusqu’à seize ans dans cet établissement réputé pour l’excellence de son éducation. Elle y apprend les bonnes manières et la maîtrise du français.

Voilà pourquoi à six ans je parle l’italien, la langue que j’entends autour de moi, le français, un français parfait, la langue que ma mère m’a apprise et quelques mots de polonais qu’elle n’aime plus trop parler.

Angélica

On ne peut pas tout dire à ses enfants. À six ans, mon fils doit s’interroger sur cette mère qui n’arrête pas de voyager. Je dis mon fils, parce que je ne sais jamais si je dois l’appeler Guillaume, Guillermo ou Wilhelm, son équivalent dans ma famille polonaise.

Après Rome, où ma vie n’était guère conforme aux usages de cette famille très proche du Vatican, j’ai rencontré Francesco Flugi d’Aspermont, un officier volage qui m’a laissé avec un enfant et a disparu. D’abord, j’ai eu honte, je n’ai pas osé le déclarer, c’est la nourrice qui s’en est chargée et lui a même donné un nom, Dulcigni, et un prénom Guillermo. Mais je n’ai pas supporté d’avoir un fils qui porte un nom différent du mien. Six mois plus tard, j’ai donc régularisé la situation devant notaire et j’ai désormais un fils au nom magnifique : Wilhelm Vladimiro Apollinaris Kostrowitzky.

Après un séjour à Bologne me voilà à Monaco. Avec un deuxième fils Alberto, né un an plus tôt, dont le père est probablement le même que celui de Wilhelm. Mais peu importe leur père, puisque mes deux fils portent mon nom.

Monaco est une belle ville. Dans le quartier de Monte Carlo il y a un casino tout neuf et j’ai toujours aimé les casinos.

Je suis venue ici parce que je sais que Dom Romarino, le frère du père de mes enfants, occupe la charge d’évêque du diocèse de Monaco. C’est un homme généreux et son soutien peut m’être précieux.

Et il l’a été puisque j’ai pu grâce à lui, mettre Wilhelm au collège Saint Charles, chez les marianistes. Je sais qu’il s’y sent un peu seul, surtout les fins de semaine où je suis absente et qu’il reste à la pension. Toujours joyeux, avec une imagination débordante, il aime à se raconter des histoires et personne du collège Saint Charles ne s’en est jamais plaint.

À cause de son prénom à la sonorité bizarre, il s’est un peu fait chahuter au début, pendant les récréations les garçons lui chantaient Wilhelm, vilaine grimace ! Mais très vite grâce à sa bonne humeur et à son talent de conteur, il a retourné la situation à son avantage et s’est vite fait des amis. Il me l’a raconté en riant, signe qu’il n’en a pas été trop affecté.

À la distribution des prix, Wilhelm a été cité sept fois, Prix d’honneur, Prix d’excellence, Prix de Français et d’exercice religieux… Je ne suis pas peu fière de toutes ces récompenses.

Ici la vie est précaire et la roue de la chance ne tourne pas tous les jours, surtout au casino, parfois je suis un peu juste pour payer le loyer.

Pour faire plus chic, à mon arrivée, j’ai changé de prénom, d’Angélica Kostrowitzka je suis devenue Olga de Kostrowitzky, un nom noble à la sonorité plus slave. Ainsi je peux affirmer que je suis la fille d’un prince russe, ce qui n’est pas complètement faux.

Je n’ai pas de mari mais j’ai beaucoup d’amis qui me font voyager à travers la France des casinos et je me sens plutôt bien avec eux.

Il y a peu, j’ai eu quelques ennuis avec le gouverneur de Monaco. Il a carrément refusé de renouveler mon permis de séjour en me traitant de dame galante. Moi ! Une fille de prince russe dont le père qui fut ami du prince Radziwill, était camérier d’honneur au Vatican. Tout ça à cause d’une catin qui ne cessait de me chercher noise. Mais j’ai su me défendre.

Grâce à mes « divines » protections, cette infamie n’a duré heureusement que huit jours et tout est rentré dans l’ordre. L’avis d’expulsion a été levé.

Mes fils pensionnaires à Saint Charles n’ont rien su de cette ignominie. Ma réputation de mère attentive à l’éducation de ses enfants, m’a bien aidée.

Wilhelm

Au collège où je suis en pension, la religion tient une belle place. Je peux au moins me réfugier auprès de Dieu et j’en suis heureux.

Ma maîtresse s’appelle Sœur Odile et je ne suis pas un mauvais élève.

Lorsqu’elle le peut, ma mère vient me chercher au collège et je suis fier d’avoir une belle maman que mes copains regardent avec admiration et envie. Mais la plupart du temps, lorsqu’elle s’absente, je reste seul et les fins de semaine dans le collège vidé de ses élèves me semblent bien tristes.

Comme c’est la tradition, après une belle retraite, j’ai fait ma première communion. Elle portait bien son nom, elle fut solennelle, j’en ai gardé la photographie. Albert m’a offert un livre pieux et maman m’a écrit sur la couverture de son cadeau, le Paroissien romain : « À mon cher enfant en souvenir du plus beau jour de sa vie et qu’il n’oublie pas sa maman dans ses prières ». J’essaierai de n’y manquer jamais.

Vêtus de la tunique du collège avec un nœud en satin, d’un col et d’un brassard blancs, nous avions vraiment l’air d’être de dignes enfants de Dieu.

La Congrégation de L’Immaculée Conception fondée au collège pour célébrer la Sainte Vierge m’accueille en son sein depuis six mois, j’y suis d’abord aspirant puis rapidement secrétaire. Là encore une photographie où assis au bureau, je tiens la plume, a immortalisé l’épisode.

Si je rédige des comptes rendus très sérieux des réunions de la congrégation, cela ne m’empêche pas de caricaturer discrètement les professeurs et de jouer à la petite guerre avec des soldats de carton peints à l’aquarelle par les camarades Tamburini et Lempereur.

Ces soldats, il faut les renverser avec des catapultes en élastique qu’on se lance à travers la classe. Inutile d’ajouter que nos soldats et les munitions finissent généralement entre les mains des surveillants qui nous les confisquent.

Ma mère déménage souvent et nous habitons soit à Monaco dans un appartement de trois pièces, villa Canis, soit en France à la Turbie à quelques kilomètres. Elle se plaint souvent de manquer d’argent alors nous vivons au rythme de ses fortunes et de ses infortunes mais l’argent n’est pas un sujet dont elle nous entretient.

Sur sa vie en général, elle reste muette, ses fréquentations ou ses destinations diverses nous restent inconnues. Mon frère et moi n’avons jamais droit à ses confidences.

Quant à mon père, elle refuse obstinément de nous en parler. Peut-être en saurai-je plus un jour ?

Entre l’absence de ce père, l’italien, le français, le polonais, mes prénoms et les incessants voyages que ma mère effectue je ne sais où, je me sens parfois comme un bateau livré à lui-même sur la Méditerranée.

En quatrième, j’ai coupé mes boucles et l’enseignement classique du collège commence à m’ennuyer. Dès que je le peux, je cours à la bibliothèque où j’ai découvert Jules Verne. Je le lis jusqu’à plus soif.

Grâce à ces lectures, je me suis fait un ami, James Onimus qui aime Jules Verne autant que moi. James est mon premier vrai ami, avec lui je partage les lectures et je peux lui faire lire des petits bouts-rimés que je griffonne dans les marges de mes cahiers.

J’aime écrire, j’aime dessiner et je ne m’en prive pas.

James Onimus

Élève au collège Saint Charles, avec Wilhelm Kostrowitzky, nous sommes devenus amis très vite, nous aimons les mêmes choses, les mêmes livres surtout.

Nous nous écrivons des lettres, nous échangeons de petits textes que Wilhelm écrit avec une incroyable aisance. Il sera écrivain, c’est sûr, d’ailleurs un professeur lui a prédit un brillant avenir dans la littérature et nous avons décidé d’écrire un roman d’aventures ensemble. Nous avons déjà le titre : Orindiculo. L’histoire se passe entre la France et les savanes d’Amérique, et Wilhelm décore le texte avec des décalcomanies qu’il dessine lui-même.

Un soir, le préfet des études nous surprend en pleine activité et la sanction tombe, impitoyable : le manuscrit est confisqué. Il disparaît à jamais.

Ma famille a la chance d’habiter une grande maison située sur la corniche, dans le parc de la clinique de mon père Ernest Onimus. Il a tout de l’homme dont le métier de médecin oblige à être respectable, digne et sérieux. Wilhelm toujours à l’aise avec tout le monde, a séduit mon père qui se prend de sympathie pour ce garçon qu’il trouve « très éveillé et curieux de tout ». Et les voilà qui discutent longuement de sujets aussi divers que les mythologies indiennes, des dernières inventions ou d’ouvrages que Wilhelm a lus et dont je n’ai jamais entendu parler.

C’est surtout la bibliothèque familiale qui le fascine. Il y a libre accès. Il découvre dans les rayons des trésors et dévore tout ce qui l’intéresse, de Racine à Goethe en passant par Shakespeare ou Ronsard.

Il parle rarement de sa famille, on aperçoit quelquefois sa mère, une femme superbe, fantasque, haute en couleurs et même un peu excentrique.

Personne ne connaît son père, il m’a même confié un jour en désignant le mien, « voilà un homme idéal, l’homme que j’aurais voulu avoir comme père, qu’en est-il du mien ? Je ne le saurai peut-être jamais, mais il me manque. Et je ne pense pas que ma mère m’en parlera un jour. »

Albert et Wilhelm viennent presque chaque semaine à la maison, nous allons naviguer sur le pointu de la famille, nous déambulons dans les rues de la ville en regardant les filles, Wilhelm aime bien regarder les filles, particulièrement la petite Henriette, la cadette de nos métayers. À l’entendre, il aimerait toutes les séduire alors qu’il reste bien raisonnable, comme nous le sommes tous.

Monseigneur Theuret, le directeur-fondateur de l’école ne l’a pas annoncé officiellement mais les rumeurs vont bon train, il semblerait que l’établissement va définitivement fermer ses portes, les dettes sont devenues trop importantes et le nombre d’élèves insuffisant ne permet plus d’assurer la bonne marche du collège Saint Charles.

Wilhelm

Après que le collège de Monaco a fermé et malgré son manque de moyens, maman nous inscrit au collège Stanislas de Cannes, je crois que son nouvel ami a contribué largement à notre entrée dans cet établissement. L’ambiance y diffère sensiblement de celle de Saint Charles à Monaco. Ici nous sommes dans un collège qu’on pourrait qualifier de chic.

Heureusement, je retrouve là mes amis de Saint Charles et très vite nous reformons un petit groupe avec James Onimus et René Dupuy qui fut le complice de nos jeux au collège.

À quoi ressemble plus la vie dans une école que celle d’une autre école ? Il faut y apprendre les mêmes choses et se conformer au même règlement, je m’y conforme donc pour faire bonne impression, et je suis même inscrit au tableau d’honneur en mars.

Puisque la mode est ici aux noms à particule et aux noms étrangers, (au collège se côtoient beaucoup de fils de riches résidents étrangers en villégiature sur la Riviera) le mien se décline dans les mêmes sonorités. Facile alors de se faire passer pour le fils naturel d’un prince, qu’il fût de Monaco ou de Russie, le subterfuge réussit parfaitement ce qui me donne une certaine considération !

Statut qui dure jusqu’au mois de mai où pour avoir commis une sottise, je suis renvoyé du collège. On a trouvé dans mon casier des brochures qui n’ont pas leur place dans un tel établissement. Il est vrai qu’avec quelques amis, le trafic de revues légèrement polissonnes comme Frisson ou le Jupon rouge va bon train. Elles nous font rire et frémir.

Je quitte le collège, j’ai juste quinze ans et mon humeur n’est pas au beau fixe. Maman, absente comme d’habitude, n’en saura rien avant un moment. Elle s’est encore évaporée avec son nouvel ami Jules Weil, pas antipathique par ailleurs, mais il n’est pas mon père et jamais il ne le sera.

Je sens qu’avec ce renvoi, si je perds mon prestige scolaire, je gagne une liberté inestimable. À moi les rues de Cannes, la plage et les jolies jeunes filles que je ne dédaigne pas de regarder.

Juste avant qu’on me congédie, j’ai fait lire à James Onimus mon véritable premier poème Un peu en tremblant, j’avais le trac, comme un acteur. C’est un poème avec quelques dessins à la plume, un poème de quatre strophes d’octosyllabes en forme de rondel, ces poésies du Moyen Âge qui comprennent un refrain et des rimes imposées au début et à la fin.

Noël1

… Songeais-tu que la chevelure

Blonde de ta mère si pure

Bientôt après dans la souillure

Près des croix traînerait hélas ?

Contemplais-tu sa lèvre belle

Rouge d’un rouge de spinelle

S’ouvrant sur des dents de dentelle ?

Écoutais-tu te parlant bas,

Sa voix si douce et cristalline

Comme une sonnette argentine

Tintant au loin dans la bruine,

Sonnant la joie et non le glas

Songeais-tu que la chevelure

Blonde de ta mère si pure

Bientôt après dans la souillure

Près des croix traînerait hélas.

Je ne sais si j’ai pensé un peu trop fort aux absences répétées de ma mère, mais ces mots-là se sont imposés à moi.

Je crois que je me suis vraiment mis à la poésie, et tous ces poèmes, je les écris dans un album que j’ai commencé en 1893, il n’est pas terminé, il reste une dizaine de pages. Le papier, suffisamment épais, supporte à la fois l’écriture, le dessin à la plume et l’aquarelle.

Sans que ma mère s’inquiète (comme au jeu, elle passe et ne se fixe jamais) ni que mon frère m’interroge, j’ai donc flâné sur la côte et dans la ville, de-ci de-là, jusqu’à la fin des vacances où nous sommes devenus Albert et moi élèves du lycée de Nice. Établissement public donc gratuit, ce qui a soulagé ma mère de charges qu’elle était obligée de quémander à quelques connaissances pour que nous soyons présentables. Je suis en classe de rhétorique, celle du baccalauréat. Pour la première fois, je ne suis pas insensible à la bonne parole d’un professeur. Georges Doublet qui enseigne le français nous fait découvrir avec délices les poèmes de Verlaine. Plutôt inattendu dans une classe de rhétorique !

Ici pas de religion, je peux enfin affirmer, afficher mes idées et clamer une sympathie naissante pour l’anarchie, cette théorie que j’ai découverte à la bibliothèque. Dans cette affaire Dreyfus qui divise la France, je me range évidemment du côté de Zola et de son J’accuse… ! qui m’a beaucoup impressionné.

Comme au collège Saint Charles ou à Stanislas, les amis sont là, je retrouve leur chaleur et leurs enthousiasmes, Onimus, Louis Frick et un nouvel arrivant, Toussaint Luca avec lequel je me découvre immédiatement des affinités. Toussaint n’hésite pas à écrire des dissertations dans un style fantaisiste qui me sidère, il écrit aussi bien comme Clément Marot que comme Mallarmé, ce qui ne fait pas l’unanimité des professeurs. Évidemment, je me sens immédiatement proche de ce dissident du style.

Je me souviens de notre première conversation à la sortie du lycée.

– Tu connais Mallarmé ?

– Oh ! Peu.

– Henri de Régnier ?

– Je suis enthousiasmé par L’Homme et la Sirène

– Viélé – Griffin ?

– Oui, je voudrais écrire un poème comme La chevauchée d’Ylédis !

– Eh bien moi, je les ai tous lus. Et puis il faut lire aussi Rémy de Gourmont.

Ces quelques mots furent suffisants pour sceller une vraie amitié. Si je suis pensionnaire, lui ne l’est pas.

Chaque matin, il m’apporte des journaux et chaque soir avant de partir, il me donne quelques cigarettes que je vais fumer en cachette, pendant l’étude.

Nous avons décidé d’associer nos talents en créant un journal interne au lycée, le Transigeant, un journal à quatre mains écrit à la main justement, qui prend le contre-pied de l’Intransigeant, le journal à la mode de Henri Rochefort qui a sombré dans le nationalisme avant de devenir nettement antidreyfusard. Inutile de dire qu’il n’est pas notre ami. Nous ne vendons pas le Transigeant,