Guillery, le capitaine des voleurs - Yvon Marquis - E-Book

Guillery, le capitaine des voleurs E-Book

Yvon Marquis

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Beschreibung

Brigand aux allures de Robin des Bois, Guillery a marqué les esprits par ses exploits et son charme.

Comment un malfaiteur notoire, ennemi public N° 1 sous le roi Henri IV, condamné à être roué vif en place publique, a-t-il pu devenir le gentil chasseur de la comptine que chantent encore les enfants dans les cours de récréation 500 ans après ses exploits ? C'est parce que les petites gens qui ont tissé sa légende n'ont pas eu à souffrir de ses méfaits, bien au contraire. À l'instar de Robin des Bois, il défiait, ridiculisait, et détroussait de préférence les collecteurs d'impôts, qu'ils fussent du roi ou du clergé, ceux-là mêmes qui les écrasaient de charges et les acculaient à la misère. Mieux, il rétrocédait en partie aux pauvres le fruit de ses rapines. Pas étonnant, dès lors, qu'ils aient magnifié et transformé en saga ses innombrables délits. C'était leur façon de se venger des avanies qu'ils subissaient leur vie durant sous le joug des puissants, à une époque où les journaux satiriques et les ronds-points n'exis­taient pas. Il reste aujourd'hui l'histoire d'un personnage truculent, séduisant, joyeux, dont les exploits réjouiront les lecteurs petits ou grands. Peut-être, à la fin de leur lecture, se diront-ils que rien n'a vraiment changé en 500 ans, et que Guillery ne serait pas totalement dépaysé à notre époque ...

Découvrez l'histoire de ce héros picaresque, justicier de la plèbe, racontée par un de ses acolytes !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Séduisant, amical, heureux et bon vivant. Un bonheur à lire ; on se prend à rêver de faire partie de sa troupe ou être soi même un Guillery, un Robin des bois ou un Mandrin!
J'ai adoré!" vicpau, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Yvon Marquis est né en 1950 à La Caillère, petit village au cœur du bocage vendéen. Après avoir écrit des ouvrages empreints de son expatriation en Afrique,

il laisse ici son territoire natal reprendre le dessus. Son dernier ouvrage, Au service du Roy paru aux éditions La Geste, a reçu le prix 2016 de la Société des écrivains de Vendée. Il réside actuellement à Lanzac, dans le Lot.

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Guillery

le capitaine des voleurs

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© – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Yvon MARQUIS

Guillery

le capitaine des voleurs

A Mo Duin.

Nos ancêtres, amateurs de la franche justice,

Avaient, de fâcheux noms, nommé l’horrible vice :

Ils appelaient brigand ce qu’on dit entre nous

Homme qui s’accommode, et ce nom est plus doux,

[…]

Ils nommaient trahison ce qui est un bon tour,

Ils appelaient putain une femme d’amour.

AGRIPPA D’AUBIGNÉ, Les Princes, Livre second

vv. 241-244, 247-8.

Préambule

Qui ne connaît la comptine « Il était un p’tit homme, qui s’app’lait Guilleri, carabi… », que les enfants chantaient naguère dans les cours d’école ? Cette innocente ballade est tout ce qui reste à notre époque de ce personnage de la fin du xvie siècle. Pourtant, depuis sa mort en 1608, un grand nombre de livres ont retracé sa vie tumultueuse, et ce, en termes bien moins anodins. Car Philippe Guillery était un aventurier, un brigand, un meurtrier, un pillard ; ses méfaits ont eu un tel retentissement qu’il est parvenu à défrayer la chronique à une époque où l’insécurité dans les provinces de France était considérée comme un mal commun au même titre que les épidémies ou les famines. Et c’est de son vivant même qu’a commencé à se tisser la légende qui allait faire de lui un héros picaresque extrêmement populaire.

Pour autant, évoquer le destin de Philippe Guillery n’est pas tâche aisée, tellement, dans les ouvrages qui lui ont été consacrés, les faits véridiques et la légende s’imbriquent étroitement. Dès l’origine, plusieurs écrits relatant ses « cautèles, finesses et subtiles inventions de volerie », publiés juste après sa mort, faisaient apparaître des variations sur sa naissance, le nombre de ses complices, le lieu de sa capture, la date de son exécution… Ces imprécisions ont, d’emblée, nimbé son personnage d’un mystère qui, par la suite, n’irait qu’en s’épaississant. Car les versions successives qui ont été données de ses exploits n’ont cessé de s’enrichir d’affirmations infondées et de faits imaginaires allant tous dans le sens de la chanson de geste plutôt que de la biographie. Plus on s’est éloigné dans le temps, plus la réalité a fait place à la fiction et à la légende.

Gibier de potence pour les uns, redresseur de torts pour les autres, Guillery fut sans doute l’un et l’autre.

À cette époque troublée par les Guerres de Religion, des hordes de mercenaires des deux partis – catholiques et huguenots – écumaient le pays et pratiquaient le brigandage entre deux batailles, que ce fût pour se payer en nature de soldes qui n’arrivaient pas toujours à temps ou par simple goût du pillage. Soldat en rupture de ban, Guillery était un de ceux-là, et de la pire espèce. Les riches qui faisaient les frais de ses débordements étaient excédés. Leurs plaintes remontèrent jusqu’au roi Henri IV. En retour, des instructions fermes furent données aux sénéchaux afin que l’ordre fût rétabli. En témoigne cette lettre, reçue par le sieur David Trottereau, prévôt de Thouars : « Monsieur le prévôt, les voleurs qui courent en Bas-Poitou font tant et si grandes meschancetéz, que je désire que vous vous y transportiez en diligence. Les prévôtz de Poictiers et de Fontenay-le-Comte sont aussy ordonnez pour y faire acheminer leurs compagnies. Ne manquez pas de les fortifier de la vostre, et, donnant ordre tous ensemble à retrancher les vivres auxdits voleurs et en les empêchant de se sauver en d’autres provinces, ne retournez poinct en voz deppartements que vous ne les ayez exterminez ou par la justice ou par voz armes. […] De Paris, ce 29e novembre 1605, Rosny1. Pour les tenants de l’ordre, Guillery était incontestablement un malfaisant qu’il fallait à tout prix mettre hors d’état de nuire.

Cependant, si les textes citent en abondance les exactions auxquelles il se serait livré sur les bourgeois, les prévôts et les nobliaux, ils ne font état d’aucun rançonnement de petites gens, bien au contraire. Guillery faisait placarder sur les chemins des écriteaux sur lesquels il déclarait qu’il voulait « la justice, l’argent des marchands et le pillage et la rançon des gentilshommes ». Cette devise ne pouvait que plaire au petit peuple, écrasé de taxes et d’impôts par les seigneurs, par le clergé et par l’état. Connaissant leurs sentiments, Sully les soupçonnait d’ailleurs de cacher et de renseigner Guillery, ainsi qu’en témoignent ces instructions qu’il donna au prévôt de Fontenay-le-Comte : « [Ordre…] de se transporter avec sa troupe entière aux environs des forests et en tels autres lieux qu’il adviendra nécessaire pour courir sus aux voleurs qui se sont rassemblés en grand nombre dans les forests où ils font leur séjour et où ils sont habitués soit par la négligence des officiers, soit par la connivence et la malice de certains habitants qui les retirent… » (22 novembre 1605). Ce soupçon était sans doute infondé, car Guillery connaissait à fond la région où il opérait et n’avait pas besoin de l’assistance des villageois. Néanmoins, les prévôts et les archers qui menaient la traque ne manquaient pas de rudoyer les manants pour tirer d’eux des renseignements qu’ils n’avaient pas. Ceci s’ajoutant à cela, il n’est donc pas étonnant que Guillery soit devenu le héros du menu peuple.

Au début du xviiie siècle, un siècle plus tard donc, la légende de Guillery étant bien constituée, elle fut largement répandue au travers d’opuscules que les colporteurs qui sillonnaient les campagnes vendaient en même temps que les aiguilles, les boutons et les rubans de leur étal portatif. La misère n’y avait pas diminué, les paysans étant toujours plus pressurés de charges. Les pauvres devaient alors se sentir amplement vengés en écoutant le récit des pantalonnades, tours pendables et humiliations que Guillery était supposé avoir fait subir aux prévôts et aux nobles, ceux-là mêmes qui les opprimaient.

Curieusement, aucun des récits de la vie de Guillery n’évoque ses relations féminines. Alors, Guillery était-il un grand séducteur au même titre qu’un bandit au grand cœur ? Deux indices donnent à penser que sa paillardise faisait s’esbaudir le public tout autant que les frasques qu’on lui prête.

D’abord, les deux derniers couplets de la comptine, auxquels parviennent rarement les enfants :

« Pour remercier ces dames

Guillery les embrassit

Carabi !

On voit que par les femmes

L’homme est terjou guari

Carabi ! »

Ensuite, le nom même de notre héros qui sonne assez comme un pseudonyme, puisque l’incertitude règne sur son véritable patronyme. Selon les auteurs, il se serait nommé Guallery, Gallery, Guilhery et même Gwilhern. Par une étrange coïncidence, le guilleri (avec un « i » comme dans la comptine) désignait au xviie siècle le sexe masculin en son usage « ludique »2. De là on peut aisément imaginer que Guillery est un nom d’emprunt, éventuellement proche du vrai, mais plus en phase avec la dimension légendaire du personnage.

Certains historiographes ont fait naître Guillery en Bretagne, issu de famille noble, d’autres, roturier et originaire d’un hameau appelé Les Landes, paroisse de Boulogne (près des Essarts en Vendée). Cette dernière hypothèse semble de loin la plus vraisemblable, pour deux raisons :

• Guillery fut exécuté par le supplice de la roue. Ce type de châtiment était réservé aux voleurs de grand chemin et aux meurtriers. Les nobles, eux, même dévoyés, avaient droit à la décapitation, mort plus rapide et moins infâmante.

• Son origine roturière est attestée par celui qui rassembla sur lui le dossier certainement le plus complet : le vice-sénéchal de Fontenay-le Comte, Messire Le Geay de la Gestière. Il poursuivit Guillery pendant quatre ans, ayant fait une affaire personnelle de sa capture et de son jugement. En effet, dans son rapport final, il écrivit : « Philippe Guillery, en son temps capitaine des voleurs du Bas-Poitou, estoit fils d’un nommé Guillerye, masson de son mestyer, demeurant en ung village appelé Les Landes, paroisse du bourg de Boullongne, au-dit pays de bas-Poictou ». Plus loin, il précisa que Philippe et ses frères avaient été journaliers chez un sieur Garnaud, gentilhomme de Saint-Christophe-du-Ligneron, localité située à une lieue de Legé.

Il faut dire que ce rapport, qui tord le cou à toutes les autres thèses, n’a été mis au jour que tardivement (1857), ce qui a largement laissé aux exégètes le temps de spéculer sur le mystère Guillery. Néanmoins, tardif ou pas, il atteste de l’origine vendéenne de notre héros.

Comment démêler le vrai du faux dans tous ces ouvrages écrits sur Guillery, où l’approximation et l’attrait du sensationnel priment sur une vérité historique ne se fondant que sur de minces indices ?

Lorsqu’il fut arrêté, Guillery était un homme seul et traqué. Avec son exécution, le sénéchal Le Geay pensait en avoir terminé définitivement avec l’ennemi public et sa bande. Un de ses membres, et non des moindres, était cependant passé au travers du filet : Armand La Mothe, propre beau-frère de Guillery et fidèle compagnon de toutes ses errances.

Après la mort de son chef, La Mothe se fondit dans un prudent anonymat et se convertit en honnête drapier – son premier état – grâce à la part de butin qu’il avait pu sauver de la débâcle. Cette conduite avisée lui permit de couler des jours paisibles jusqu’à une fin plus naturelle que celle du gibet. Quelques années plus tard, il décida de rédiger ses mémoires, afin de donner sa part de vérité sur Guillery.

Ses souvenirs, – bien qu’apocryphes – sont fondés sur ce que Guillery a bien voulu lui dévoiler de son passé avant qu’ils deviennent compagnons et sur ce qu’il a lui-même vécu à ses côtés ; ils se veulent un témoignage fidèle de ce que fut la véritable personnalité du célèbre bandit. Et s’agissant de Mémoires, par essence subjectifs, qui en voudra à leur auteur de n’avoir su résister au désir de magnifier et d’enjoliver les actions d’un homme qu’il admirait et affectionnait au plus haut point ? On voit bien que la légende pousse sa corne aux détours de sa narration. Mais devait-il réduire à sa simple dimension humaine un personnage qui a égayé tant de chaumières par ses frasques et fait chanter tant de rondes d’enfants ?

Le lecteur en jugera. Place, donc, au récit d’Armand La Mothe.

1. Maximilien de Béthune, marquis de Rosny, duc de Sully. Le célèbre ministre du roi Henri IV. (NdA).

2. Le guilleri désignait le chant du moineau et, par extension, le moineau lui-même. Louis XIII, enfant, aimait, paraît-il, à jouer avec son petit oiseau, son guilleri, croyant même qu’il y avait un os dedans. Terme également utilisé par Rabelais. (NdA).

I

Voici bientôt quatre années que j’ai assisté, tout chaffourré de chagrin et d’impuissance au supplice de mon maître et ami, Philippe Guillery, le 4 décembre 1608.

La nouvelle de son arrestation le 25 novembre à Brannes, non loin de Bordeaux, s’était, je ne sais par quel miracle, répandue comme une traînée de poudre, et m’avait atteint dans ma retraite de Surgères.

Agissant comme je le fis quelques mois plus tôt, Philippe s’était retiré dans cette bourgade, loin du théâtre de ses exploits, espérant ainsi dérouter les limiers de Le Geay qui aboyaient un peu trop près de ses chausses. Il serait sans doute parvenu, comme moi, à semer ses poursuiveurs si, par un malencontreux hasard, un bourgeois qu’il avait détroussé ne l’avait reconnu dans la rue. C’étaient, en tout cas, les on-dit que colportait avec gourmandise la pratique de mon échoppe de drapier. Je leur prêtais, comme bien on s’en doute, une oreille très intéressée, quoique sans y ajouter mon grain de sel. Toujours selon les dires des commères, le quidam alerta aussitôt la prévôté du Poitou, qui tendit une souricière dans laquelle mon maître, se croyant assez en sécurité, ne manqua pas de tomber ; en sortant d’une boutique où il avait acheté pour son déjeuner quelques canaulets, petits gâteaux très prisés dans les alentours de Bordeaux3, il s’était vu soudain entouré par un cercle de piques.

Les caquets disaient encore que Guillery prit le temps de déguster posément un de ses gâteaux avant de s’enquérir avec placidité de la raison de ce remue-ménage. Je ne sais si ce détail est vrai – la rumeur étant si prompte à exagérer les faits – mais il ne m’étonnerait guère de la part de mon maître. Se sachant perdu, il n’aurait pas résisté au plaisir de narguer les gens d’armes une dernière fois. Le face-à-face de Guillery et des archers fut rompu par un prévôt qui s’ouvrit un passage dans la haie de cuirasses, suivi du bourgeois dénonciateur.

Se tournant vers ce dernier, il lui demanda :

— Est-ce là l’homme que vous accusez de vous avoir volé ?

— Si fait, je le reconnais, sa figure est gravée là, dit l’homme en se tapotant le front. C’est lui-même qui m’a dit, après m’avoir dépouillé : « Bourgeois, tu te souviendras de Guillery ! ». Il riait de me voir en chemise !

Rouge de colère, les poings brandis, l’homme s’avança vers Philippe en l’apostrophant avec violence.

— Brigand, rends-moi les écus que tu m’as robés sur le chemin de La Rochelle !

Le prévôt l’écarta et s’adressa à Philippe.

— Êtes-vous le dénommé Philippe Guillery ?

Sachant qu’il ne servirait à rien de nier, Philippe redressa les épaules et prit une attitude de défi.

— Oui-da, c’est je, répondit-il, impassible.

— Au nom du Roi, je vous arrête ! Gardes, saisissez-vous de lui !

Selon les dires, Guillery se serait alors jeté sur lui, il se peut pour s’en faire un otage, dans une tentative désespérée pour se sortir de ce mauvais pas. Et c’est au cours de la confusion qui s’ensuivit qu’il aurait été blessé au bras par une pique.

Dès que je sus que mon maître serait transféré à La Rochelle pour y être jugé, je résolus de m’y rendre pour, à défaut de pouvoir tenter de le libérer, étant seul, l’assister de mon soutien moral.

Arrivé à La Rochelle le 30 novembre, Guillery fut jugé dès le lendemain. Le procès fut expéditif, tellement les charges qui pesaient sur lui étaient nombreuses et édifiantes. Appuyant le témoignage du bourgeois, celui de Le Geay, qui conta avec délectation au tribunal la traque de quatre ans à laquelle il avait consacré toute son énergie, suffit à emporter la sentence. Mon maître fut condamné à être roué vif en place publique.

Je me souviens encore de ce froidureux après-midi du 4 décembre. Un grand concours de gens s’était rassemblé autour de l’échafaud, bravant les bourrasques de bise aigre qui balayaient la place où devait avoir lieu l’exécution. Je m’y étais mêlé pour accompagner mon maître dans son ultime voyage. Je m’étais enveloppé d’une houppelande, le capuchon rabattu sur les yeux afin d’éviter tout risque qu’on me reconnût moi aussi. La populace était fort excitée à la perspective du spectacle imminent ; une exécution est toujours un divertissement très prisé. Des gamins portant un plateau accroché au cou par une sangle vendaient oublies, beignets et pâtés à la viande pour faire patienter les spectateurs. Excités, échangeant plaisanteries et railleries, ceux-ci se délectaient à l’avance des hurlements que le condamné ne faillirait pas à lâcher sous la douleur. Cependant, j’entendais aussi, çà et là, des commentaires de commisération. Guillery n’avait jamais porté atteinte aux petites gens, bien au contraire. Il ne s’en prenait qu’aux riches et aux nantis. Les villageois n’avaient pâti de ses méfaits que par ricochet, car les prévôts les croyaient connivents avec les brigands et les rudoyaient pour tirer d’eux des renseignements sur ses caches. Près de moi, une commère ne s’y trompait pas :

— Si çui-là disparaît, que la benoîte Vierge le protège, qui donc va maintenant nous revenger de notre misère ?

— Ah ça !, répondit une autre d’un air entendu, d’aucuns sont pour sûr bien pire bandits que lui, mais ceux-là, c’est au nom de not’bon roi qu’ils nous pillent !

La pulsation grandissante d’un pas cadencé en provenance d’une rue adjacente instaura progressivement le silence dans la foule. Je ne fis qu’apercevoir Philippe, seul au mitan d’un fort contingent de soldats. La sénéchaussée devait excessivement craindre un coup de main de ses complices pour opérer un tel déploiement de forces. Telle était la renommée de Guillery. On le croyait à la tête d’une véritable armée de spadassins, et capable de se sortir de tous les pièges, tellement il en avait déjoué ces dernières années.

La troupe se répartit autour de l’échafaud et Guillery fut enfin visible, encadré seulement de deux archers. Les pieds enchaînés, un bras en écharpe, il m’apparut d’une pâleur mortelle, mais digne et le dos droit. Le bourreau l’attendait au sommet de l’escalier qui menait à la plate-forme surélevée où se trouvaient les instruments du supplice. C’étaient, posée au sol sur des cales, une croix de Saint-André faite de chevrons assemblés par le milieu, et, un peu à l’écart, une petite roue de carrosse enfichée à plat sur un pivot de trois pieds de long. Les deux soldats poussèrent Guillery dans l’escalier, défirent ses chaînes, et, le livrèrent au bourreau.

Celui-ci, comme c’était le cas la plupart du temps, était un colosse tout en muscles, dont la face impassible et affable ne laissait rien percer de ses sentiments, si d’aventure il en éprouvait. Il avait une tâche à accomplir et, à l’instar de ses congénères, devait probablement mettre un point d’honneur à appliquer la justice du roi aussi bien à la satisfaction de ses employeurs qu’à celle de ses clients.

Avec une douceur inattendue, il dépouilla Guillery de son pourpoint et de ses chausses, ne lui laissant que sa chemise, et l’entraîna vers la croix de Saint-André où il l’attacha, face vers le ciel, par les poignets et les chevilles. Puis il alla quérir dans un coin la lourde barre de fer carrée avec laquelle il allait appliquer les 11 coups réglementaires, deux sur chaque membre et trois sur la poitrine. Un aumônier s’approcha de Guillery et lui murmura quelques mots à l’oreille, suite à quoi Philippe fit un geste de dénégation. Alors l’aumônier s’éloigna. Le bourreau soupesa sa barre de fer dans la main deux ou trois fois, puis, avec un « ahan » qui s’entendit jusque dans la foule, l’abattit sur un des tibias de Guillery. Son corps s’arqua sous l’atroce douleur et il poussa un cri inhumain. Sans pauser entre chaque coup, le bourreau poursuivit sa tâche infâme par la cuisse, puis l’autre jambe et ensuite les bras. Dès le troisième impact, le corps de Guillery ne réagit plus que par de faibles soubresauts ; j’espérais et priais le Ciel qu’il fût déjà plongé dans une miséricordieuse pâmoison. On entendit distinctement craquer les côtes sous le premier coup asséné à la poitrine, les suivants n’entraînant qu’un bruit mou de chairs broyées.

Sa besogne, terminée, le bourreau détacha le corps de la croix de Saint-André et alla le porter sur la roue ; il rassembla sous lui ses membres désarticulés, où les os brisés pointaient à travers les chairs, et les lia par les extrémités. La tête de Guillery pendait la bouche ouverte sur un cri muet, les cheveux hérissés et trempés de sueur. S’il n’était pas encore mort, il allait agoniser là pendant des heures à moins que le jugement eût été assorti d’un retentum4, ce dont je doutais fort, tant Guillery avait exaspéré et ridiculisé la justice de son vivant.

C’en était fini. Le tribunal et la troupe se retiraient chacun de son côté, tandis que la foule s’égaillait par les rues en maugréant sur la mauvaise volonté du condamné à hurler sa souffrance. En effet, à l’exception de son premier cri, Guillery n’avait laissé échapper que des plaintes, frustrant ces manants de se sentir pleinement vivants face à la mort en marche. Pour ma part, je m’acagnardai dans une encoignure de porte et attendis.

Le bourreau rangea son matériel, quitta sa tenue noire d’exécuteur de haute justice, revêtit son pourpoint de brave citoyen, et attendit l’arrivée des factionnaires qui monteraient la garde près du gibet. Ceux-ci ayant pris leur poste un moment plus tard, il s’éloigna et je le suivis à quelque distance.

La nuit tombait déjà sous le ciel chargé de nuages et, la rue étant devenue assez obscure pour mon dessein, je pressai le pas afin de le rattraper. Quand je l’interpellai, il eut un sursaut et se retourna, une expression inquiète sur son visage avenant. Bien que cela ne fût guère fréquent, il arrivait qu’un bourreau fût pris à partie par des proches du condamné, mais c’était lorsqu’il avait fait preuve d’incompétence ou de maladresse.

— Que me veux-tu, maraud ?, cracha-t-il, sur la défensive.

— Paix, l’homme, je ne te veux pas de mal, juste une confidence. Y avait-il un retentum sur l’édit de condamnation ?

— Pourquoi devrais-je vous le dire ? C’est chose cachée. Et d’abord, qui êtes-vous, de quel droit me demandez-vous cela ?

— Peu importe qui je suis. J’ai là cinq écus dans mon escarcelle. Ils sont à toi si tu abrèges les souffrances de l’homme que tu viens d’exécuter, retentum ou pas.

Une lueur de cupidité passa dans le regard de l’homme, et son attitude se fit moins défiante.

— Cinq écus !? C’est prou ! Ce Guillery devait donc être un très bon ami à vous.

— Il se peut. Alors, ces cinq écus ?

— Ah ! Je les prendrais volontiers, n’étant pas de mon état très étoffé. Mais aussi, suis-je honnête. Vos cinq écus sont bien inutiles car votre ami avait déjà passé quand je l’ai enlevé des bois.

— En es-tu sûr ?

— Je connais mon office, messire !, se rebiffa l’homme. Et quoique bourreau, je suis bon homme. Je n’ai pas appétit à faire souffrir mes clients au-delà de ce qui est nécessaire ; je sais où et comment je dois user de mon instrument.

— Je n’en doute pas, mon brave ! Cependant t’es-tu assuré du trépas de ton patient ?

— Oui-da, messire ! Quand je l’ai porté à la roue, j’ai vérifié en douce que son cœur ne battait plus. Vous pouvez tenir pour sûr que votre ami est bien défunt.

Je n’osai insister. L’homme avait l’air sûr de lui, et je n’aurais pas obtenu de meilleure certitude en argumentant plus avant. Je décidai de briser là.

— Grand merci à toi, l’ami, lui dis-je aimablement. Tiens, prends ces écus quand même pour prix de ta bienveillance. Adieu !

Je lui fourrai les pièces dans la main et me fondis dans l’obscurité, laissant l’homme ébahi au milieu du pavé.

J’avais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour m’assurer que le trépas de Philippe avait été rapide. Quant à tenter de récupérer son corps pour lui donner une sépulture chrétienne, il n’en était évidemment pas question. Il allait demeurer plusieurs jours là, sur cette roue, pour témoigner de la justice du roi, becqueté par les corbeaux et ses chairs se délitant ; puis lorsque l’odeur deviendrait trop gênante pour les passants, il serait jeté à la fosse commune.

Mes derniers devoirs accomplis, il ne me restait plus qu’à retourner en ma retraite de Surgères et continuer à me faire oublier…

Voilà donc quatre années que j’ai assisté à cette scène macabre qui n’a depuis pas quitté ma mémoire. Quatre années que je lis et entends les relations les plus fantaisistes de ce que fut Philippe Guillery : qu’il était né noble de Bretagne, qu’il était cruel, qu’il possédait plusieurs forteresses, que sais-je encore ?… Alors, pour lui rendre justice, j’ai résolu de coucher par écrit le dit véritable de son existence.

Après la mort de Guillery, Le Geay proclama urbi et orbi que la bande dont Philippe était le capitaine avait été anéantie jusqu’au dernier. Ce ne sont que billes vezées ! Nous étions plus d’une quinzaine à avoir échappé au filet. Ce n’est pas si peu si l’on considère que nous n’avons jamais été 400, comme ce coquefredouille l’a prétendu, mais tout au plus une centaine, et encore, disséminés en petits groupes. Mais il lui fallait une victoire aussi éclatante que totale.

Car Le Geay rêvait, par l’effet d’un titre nobiliaire aussi petit fût-il, d’accoler son nom au domaine de La Gestière qu’il avait acquis à Saint-Georges-de-Montaigu. La charge de prévôt (qu’il avait également achetée) mettait cette ambition à portée de main. En effet, être détenteur d’un office royal était, en dehors d’un mariage avec une fille noble désargentée, le meilleur moyen d’accéder à la noblesse. Ne manquaient que les arguments à faire valoir pour légitimer l’octroi du titre.

L’annihilation prétendument définitive des guilleris venait à point nommé pour faire avancer ses prétentions à l’anoblissement. À la demande de la sénéchaussée, il adressa au Roi un rapport complet de la traque qui avait abouti à l’arrestation et à l’exécution de Guillery. Il ne manqua pas de souligner le succès absolu de l’opération et d’y mettre en exergue le rôle essentiel qu’il avait joué, dût-il pour cela minimiser certains faits et en grossir d’autres, comme on le verra par la suite.

À ce rapport, était joint le mémoire des frais qu’il avait engagés sur ses propres deniers, s’élevant à 4 000 livres – lesquelles ayant, se peut, pris du ventre à l’occasion – et dont il demandait le remboursement.

Le tout adressé à un souverain débonnaire mais impécunieux emporta l’affaire. En 1609, le roi Henri IV, par lettre patente datée de Fontainebleau, l’éleva à la dignité de baron, ce qui était une manière élégante, par un simple paraphe, d’exprimer d’un coup sa satisfaction et de régler ses dettes sans débourser un écu. Le Geay, en effet, eût été fort mal venu, suite à la munificence royale, de réclamer son dû.

La mort de Guillery eut pour conséquence heureuse – que Dieu me pardonne cette expression – de mettre fin aux poursuites engagées contre nous. Le Geay savait pertinemment qu’il restait des membres de la bande dans la nature, mais ne se souciait pas de continuer à les chercher. En outre, sans leur chef, ils ne présentaient plus une menace pour la quiétude de la province. En capturer encore après avoir clamé les avoir tous occis, eût été avouer qu’il en avait menti au Roi et qu’il s’était imprudemment vanté, ce qui eût été de nature à ternir quelque peu l’émail de son blason tout neuf5. Nous étions donc assurés, sauf imprudence, de bénéficier d’une certaine quiétude.

Cependant, des quinze que j’ai dit, la plupart se retrouvait sans pécunes, ayant dilapidé leur part de picorée aux dés au fur et à mesure des coups qu’organisait le capitaine. Bien moins encore pouvaient comme moi, se prévaloir d’un état qui leur eût permis de se faire oublier en exerçant un honnête labeur. Presque tous avaient été enrôlés dès la sortie de l’enfance dans les armées des princes qui se faisaient la guerre et ne savaient, de leurs dix doigts, que manier la dague ou l’arquebuse. Plusieurs compains se firent donc prendre dans les mois qui suivirent la mort de Guillery. Qu’ils eussent été soumis à la question avant que d’être pendus, et eussent avoué leur ancienne appartenance à ses troupes, nul n’en sut jamais rien. Guillery et ses carabins étaient réputés avoir été anéantis.

Pour ma part, au fil des ans, j’ai acquis la réputation d’un maître-drapier probe et compétent. Les années, en me blanchissant le chef, m’ont aussi inculqué une certaine sagesse. Adonc, je sais bien qu’une enseigne honorable, une douce épouse et de beaux enfants, me sont assurément une richesse plus gratifiante que celle que j’ai acquise par la roberie de mes semblables. Ayant eu l’heur de donner à ma vie un cours qui me permet de présent d’en croquer toute la chair jusqu’au noyau, il m’est aisé de dire que je ne regrette rien des années que j’ai passées en compagnie de Guillery. Et en effet, ce fruit-là aussi était savoureux.

Mais si j’avais été pris par les archers en ce temps-là, nul doute qu’au moment où le bourreau m’aurait passé la hart autour du col, les vers de Villon me seraient revenus à la mémoire : « … Si j’eusse estudié au temps de ma jeunesse folle, et à bonnes mœurs dédié, j’eusse maison et couche molle. Mais quoy, je fuyais l’escolle, comme fait le mauvais enfant… ».

Il fallait bien en effet que nous fussions fols comme de jeunes chiens pour faire ce que nous avons fait…

3. L’ancêtre lointain du canelé bordelais.

4. Additif confidentiel à la sentence de condamnation, par lequel les juges ordonnent au bourreau d’étrangler le condamné après un temps plus ou moins long.

5. D’azur à un pin de sinople rehaussé d’un croissant et d’un geai de sable.

II

Lorsque je fis la connaissance de Philippe Guillery, j’étais commis dans l’affaire de tissus de mon père, étienne La Mothe, maître drapier à Legé. Mon travail consistait à tenir l’échoppe paternelle et à servir la pratique pendant que lui-même et ma jeune sœur Marguerite faisaient les foires des environs.

Je m’ennuyais mortellement dans mon emploi. Je passais mes journées dans cette boutique sombre, à écouter les commérages des clientes et à leur minauder les conseils qu’elles requéraient de moi. Ce n’était vraiment pas ce à quoi j’avais rêvé de consacrer mon existence. Si encore, de temps à autre une jolie garce6 avait illuminé mon repaire de sa fraîcheur et de sa beauté ! Mais c’était aussi fréquent que neige en juillet. Ma pratique n’était constituée que de matrones hors d’âge aux appas effondrés. À 25 ans, la moitié de mon temps sur terre déjà écoulée, je me morfondais de vieillir ainsi, étiolé et blafard, à parcourir ma vie comme limace sur laitue.