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Arianisme, apollinarisme, donatisme, priscillianisme, le quatrième siècle a été celui des grandes hérésies trinitaires, et des âpres luttes qu'elles provoquèrent dans l'Église. Avec clarté et relative concision l'auteur nous en rapporte les péripéties dans son deuxième tome de l'histoire des dogmes. Il le termine par la théologie de saint Augustin, et par sa confrontation avec le pélagianisme. C'est alors que, par réaction, l'évêque d'Hippone développe sa conception d'une prédestination absolue des hommes au salut, idée qui sera reprise mille deux cents ans plus tard par Jean Calvin. En conséquence, Augustin n'hésite pas à damner tous les enfants morts sans baptême, puisque leur sort ne dépend nullement d'une prévision de leurs mérites ou démérites, s'ils avaient vécu. Cependant, dans certains textes, le saint docteur exprime comme un doute... ses contemporains aussi ; doute qui se traduira bientôt par l'apparition du semi-pélagianisme, doctrine qui sera examinée dans le troisième et dernier tome. Cette numérisation ThéoTeX reprend le texte de 1924.
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Seitenzahl: 680
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322473380
Auteur Joseph Tixeront. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]L'objet de ce volume est de conduire l'histoire des dogmes dans l'antiquité chrétienne depuis saint Athanase jusqu'à la mort de saint Augustin.
La date de 430, adoptée ici comme point de coupure entre les tomes deuxième et troisième de cette étude, offrait de multiples avantages qu'il est inutile d'énumérer. Elle présente l'inconvénient de séparer de l'histoire des controverses pélagiennes celle des disputes semi-pélagiennes qui en sont la continuation et dont saint Augustin a vu les commencements. A cet inconvénient je n'ai trouvé nul remède. Admettre dans le présent volume l'histoire du semi-pélagianisme eût été le grossir démesurément. C'eût été aussi anticiper de près d'un siècle sur l'ordre chronologique auquel il y a des raisons de rester fidèle. Le plus simple est que le lecteur veuille bien considérer le futur volume — quand il l'aura entre mains — comme faisant étroitement suite à celui-ci, et prendre la peine de s'y reporter quand la chose sera nécessaire.
Les principes qui ont dirigé la composition de la Théologie anténicéenne ont aussi présidé à celle du présent ouvrage. J'ai procédé par tableaux d'ensemble, et, après avoir traité des controverses spéciales soit à l'Orient soit à l'Occident, décrit, en deux chapitres généraux, l'état des doctrines chrétiennes au ive siècle, soit dans l'Église grecque, soit dans l'Église latine, en prenant pour point de départ ces doctrines elles-mêmes. Exception a été faite seulement pour les Pères syriens, isolés dans leur langue, et pour saint Augustin qu'il fallait mettre hors cadre. La table analytique des matières tiendra compte de cette disposition. Rédigée en partie double, elle permettra, pour la période qui va de 318 à 430, ou de reconstruire l'enseignement total de chaque écrivain sur les divers points de la théologie, ou de retrouver l'expression de chaque point de la doctrine dans les écrivains qui en ont traité.
Avec le ive siècle commence, dans l'histoire des dogmes, ce que l'on est convenu d'appeler la période des grandes controverses. L'Église cependant avait connu, avant l'arianisme, des conflits doctrinaux importants qui avaient agité sa foi: même au milieu des persécutions, nous l'avons vu, l'esprit chrétien n'est pas resté inactif. Mais ces controverses, si l'on excepte celle du gnosticisme, n'avaient pas provoqué de ces troubles profonds qui bouleversent pour longtemps une société; elles n'avaient pas occasionné de ces grandes réunions d'évêques si fréquentes depuis, et groupant au même lieu la moitié de l'Église. Empêchée par sa situation vis-à-vis de l'État et par la pénurie de ses ressources de manifester sa puissance d'enseignement dans des assemblées plénières — auxquelles d'ailleurs on ne paraît pas avoir songé, — c'est par l'autorité de son magistère quotidien, renforcée parfois de celle de conciles régionaux, que cette Église avait éliminé de son sein les erreurs qui cherchaient à s'y glisser, et tracé aux fidèles la ligne de leur croyance. Après la paix de Constantin, cet état de choses fut modifié. L'existence et la vie matérielle de la société chrétienne étant désormais assurées, le cauchemar des persécutions définitivement écarté dans l'empire, certains esprits se portèrent, chez les Grecs surtout, avec une curiosité avide à l'examen de leurs croyances religieuses, et, continuant l'œuvre commencée par les alexandrins, s'efforcèrent de découvrir de plus en plus, dans la langue et les concepts abstraits de la philosophie, des concepts et des formules capables de traduire les données de leur foi. Or il était impossible que, dans ce travail, il ne se produisît pas des méprises, qu'il ne s'y énonçât pas des contre-vérités, et d'autant plus dangereuses qu'elles étaient le fait d'hommes plus instruits ou plus influents. C'est ce qu'on a appelé les grandes hérésies: grandes non seulement par leur objet, mais surtout par les mouvements qu'elles ont suscités, les déchirements qu'elles ont occasionnés, par les champions qui se sont mêlés à ces querelles, par les écrits qu'elles ont provoqués et les décisions qui les ont closes. A ces hérésies en effet l'Église n'opposa plus seulement l'autorité de son magistère ordinaire: elle opposa la force de ses évêques assemblés et de ses conciles. De leurs décisions et des études qui les ont préparées ou suivies les dogmes trinitaire et christologique, le dogme de la grâce sont sortis presque entièrement définis et achevés; d'autres, moins importants, en ont été singulièrement précisés et éclaircis.
Mais, par là même que le dogme se définissait, une sélection se fit dans les opinions ayant cours jusque-là, et beaucoup d'interprétations tombèrent qui s'étaient jusqu'alors produites sans obstacle. Pendant trois cents ans, une première poussée de recherches doctrinales avait multiplié dans tous les sens les aperçus et les solutions. Au ive siècle, on commence à émonder cette végétation folle, et à retrancher ou mieux à laisser mourir les opinions reconnues caduques. Le dogme se resserre en se formulant. Ce n'est pas que l'on ne retrouve — et plus fréquemment qu'on ne le croit d'ordinaire — même dans les écrivains de cette époque, des restes des incertitudes et des bégaiements de l'époque précédente. Mais on constate en eux une certaine maturité d'esprit chrétien qui n'a plus rien de l'enfance, une certaine fermeté qui leur fait envisager les problèmes nouveaux avec une sérénité et une confiance toute viriles. Ces écrivains sont bien par excellence des Pères de l'Église, comme on a commencé à les désigner dès le ve siècle. Hommes en grand nombre de haute culture et de haute sainteté, ils ont vraiment nourri l'Église de leur doctrine et de leurs enseignements. Aucune époque de son histoire n'égale à ce point de vue celle qui va du ive au milieu du ve siècle, de saint Athanase à saint Léon. Dans les siècles suivants, l'originalité décroît, et d'autres courants viennent d'ailleurs solliciter la dialectique chrétienne. La vérité cependant trouve toujours des défenseurs, et la tradition des Basile et des Augustin ne reste jamais sans quelques représentants. La tâche de ceux-ci est d'achever l'œuvre des maîtres, et ils s'y emploient avec ardeur sinon toujours avec éclat. Leurs efforts, en tout cas, méritent qu'on les apprécie et que l'on reconnaisse le complément de lumières qu'ils ont apporté aux solutions de leurs devanciers.
Ce volume et le suivant vont étudier, au point de vue de l'histoire des dogmes, cette époque des Pères, cette période des grandes hérésies. Il n'en est pas de plus importante, ni peut-être de plus mouvementée.
Géographiquement, les Pères grecs du ive siècle forment quatre groupes distincts.
Le premier groupe est le groupe alexandrin: il comprend, avec l'évêque Alexandre, saint Athanase, Didyme l'aveugle et quelques autres écrivains, tels que Sérapion et Macaire d'Alexandrie.
Le second est le groupe palestinien. Saint Cyrille de Jérusalem en est comme le centre: mais on lui peut rapporter l'historien Eusèbe de Césarée, et l'évêque de Constantia, saint Epiphane, né tout près d'Éleuthéropolis.
Plus au nord, nous trouvons le groupe des antiochéniens, Eustathe d'Antioche, puis Diodore de Tarse, Théodore de Mopsueste, saint Jean Chrysostome. Sauf le premier, ils ne prennent, comme évêques, qu'une faible part aux controverses trinitaires, mais l'importance de Diodore et de Théodore sera grande dans les questions christologiques que soulèvera le siècle suivant.
Enfin, le quatrième groupe est celui des cappadociens, saint Basile, les deux Grégoire de Nazianze et de Nysse, et l'évêque d'Iconium, Amphiloque.
Telle est la distribution géographique. Mais le fait seul que, dans cette nomenclature, le nom d'Eusèbe se trouve rapproché de celui de saint Épiphane, montre assez que nous en devons adopter une autre, si nous voulons tenir compte des tendances intellectuelles et théologiques de nos auteurs. A ce point de vue, deux écoles se dessinent d'abord dont les divergences s'accentueront par la suite, l'école d'Alexandrie et l'école d'Antioche. Athanase (v. 295-373) ne représente qu'imparfaitement la première. Bien qu'il plaide pour Origène et Denys d'Alexandrie, et que ses deux traités de jeunesse Contra gentes et Oratio de incarnatione Verbi trahissent l'influence d'Origène, saint Athanase se porte de préférence, autant par inclination d'un génie tout positif que par nécessité de controverse, vers une action théologique où la spéculation pure a peu de part, mais où la rigueur de la pensée et la précision des termes jouent un rôle capital. Ce grand lutteur n'est pas, autant qu'on l'a dit, l'esclave ou l'inflexible champion d'un mot: c'est, au contraire, un génie très souple qui voit les idées sous les mots et qui excelle, au besoin, à manier les hommes comme les idées. Esprit net plutôt qu'étendu, ennemi des équivoques, d'une logique droite et ferme, il est surtout un caractère. De là sa haute autorité, et l'ardente vénération ou la haine furieuse dont il a été l'objet.
[Les œuvres de saint Athanase sont citées ici d'après l'édition de la Patrologie grecque, t. XXV-XXVIII. On trouvera dans Loofs, Leitfaden zum Studium der Dogmengeschichte, 4e édit., p. 237, note 2, la chronologie des œuvres de saint Athanase. Indépendamment des écrits reconnus depuis longtemps comme n'étant pas authentiques (par exemple le Contra Apollinarium), M. Loofs écarte l'Oratio IVa contra arianos, le Sermo maior de fide, le traité sur Matthieu.11.27 et l'Expositio fidei. — Travaux: II. Voigt, Die Lehre des Athanasius von Alexandrien, Bremen, 1861. L. Atzberger, Die Logoslehre des hl. Athanasius, Munchen, 1880. A. Pell, Die Lehre des hl. Athanasius von der Sünde und Erlösung, Passau, 1889. H. Straeter, Vie Erlosungslehre des hl. Athanasius, Freiburg im Br., 1894 P. Lauchert, Die Lehre des hl. Athanasius des Grossen, Leipzig, 1895. A. Stuelcken, Athanasiana, Leipzig, 1899. F. Cavallera, Saint Athanase, Paris, 1908. G. Bardy, Saint Athanase, Paris, 1914.]
Le vrai continuateur à Alexandrie de l'œuvre d'Origène au ive siècle est Didyme l'aveugle (†v. 395). Son nom se trouve joint à celui de son maître dans les condamnations portées par les sixième et septième conciles généraux. D'autre part, nous savons par saint Jérôme qu'il avait écrit sur le Περὶ ἀρχῶν de brefs commentaires, où il s'efforçait d'interpréter dans un sens orthodoxe les erreurs d'Origène sur la Trinité. Le même saint Jérôme cite de lui une réponse à Rufin d'où il appert que Didyme, comme Origène, admettait et que les âmes ont préexisté, et qu'elles ont péché dans cet état, et que leur union subséquente à des corps est une punition de cette faute. De ces erreurs toutefois c'est à peine si on trouve des traces incertaines dans les ouvrages de Didyme qui ont survécu. Ce qu'on y admire plutôt, est l'étonnante et quelque peu tumultueuse érudition scripturaire qu'il y déploie. Dans le De Trinitate et le De Spiritu Sancto, les textes succèdent aux textes sans répit, traités parfois avec profondeur, mais souvent aussi avec un dogmatisme arrêté qui les tourne sans autre façon à ses vues.
Des alexandrins et de leur école il faut rapprocher d'abord Eusèbe de Césarée (v. 265-340), l'auteur, de concert avec Pamphile, de l'Apologie pour Origène. Origène avait passé une partie de sa vie et avait tenu école à Césarée, et l'influence de son enseignement, fortifiée par la présence de Pamphile, le disciple de Pierius, fut toujours très grande en Palestine. On le vit bien dans les controverses origénistes postérieures. La curiosité d'Eusèbe se sentait d'ailleurs naturellement, attirée par l'immense érudition du grand alexandrin, et son esprit théologique, qui fut toujours incertain et timide, s'accommodait des contradictions qui se rencontraient dans l'œuvre du maître. Son œuvre à lui fut surtout historique et apologétique. Il ne se trouva à l'aise dans la controverse dogmatique que dans ses réfutations de Marcel d'Ancyre.
Des alexandrins encore il faut rapprocher les cappadociens. Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze ont écrit la Philocalie, recueil des meilleurs passages d'Origène, et, s'ils n'ont point adopté ses doctrines compromettantes, ils se sont du moins pénétrés de son esprit, et ont partagé sa belle confiance dans le rôle réservé à la raison dans l'éclaircissement et l'exposé des vérités de la foi. L'un et l'autre ont été nourris des littérateurs et des philosophes grecs. Mais saint Basile (v. 331-379), homme avant tout de gouvernement et d'action, esprit d'ailleurs plus fort et plus positif, en a moins subi ou moins trahi l'influence. Elle paraît davantage dans saint Grégoire de Nazianze (v. 330-390), caractère un peu faible et inconstant, penseur peu original, mais le théologien orateur par excellence, d'une clarté merveilleuse, sachant mettre à la portée des plus humbles intelligences les plus hauts mystères de la foi. Quant à saint Grégoire de Nysse (évêque en 371, mort v. 395), c'est proprement un philosophe et un origéniste. Il ne saurait faire un pas sans disserter, et s'il n'a pas suivi Origène dans ses plus graves erreurs, il en a cependant retenu assez pour qu'il soit impossible, en deux ou trois points, de pallier ses écarts. Il était contre les eunomiens ergoteurs, l'adversaire qu'il fallait; mais en lui le bel équilibre qui existait chez son frère Basile est rompu: l'éloquence devient rhétorique; la philosophie prend le pas sur la révélation, et le raisonnement à outrance obscurcit de temps à autre, plus qu'il ne les sert, les données de la foi.
[Les cappadociens sont cités ici d'après les éditions de la P. G., saint Basile, t. XXIX-XXXU; saint Grégoire de Nazianze, 1. XXXV-XXXVIII; saint Grégoire de Nysse, t. XLIV-XLVI; Amphiloque, t. XXX, et pour ce dernier, joindre K. Holl, op. infr. cit., qui a édité une septième homélie. Travaux: Sur saint Basile, P. Allard, Saint Basile, Paris, 1899. — Sur saint Grégoire de Nazianze, A. Benoît, Saint Grégoire de Naz., sa vie, ses œuvres et son époque, 2e édit., Paris 1885. — Sur Amphiloque, L. Saltet, La théologie d'Amphiloque, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1903, pp. 121-127.]
Les cappadociens forment comme un moyen terme entre l'école d'Alexandrie, dont ils dépendent cependant davantage, et l'école d'Antioche. Celle-ci regarde, en exégèse, l'interprétation littérale comme à peu près seule admissible; elle incline, dans sa doctrine christologique, à séparer en Jésus-Christ l'élément humain de l'élément divin; dans sa doctrine de la grâce, à maintenir la spontanéité et l'autonomie de la liberté humaine vis-à-vis de l'action de Dieu. Ces tendances se trahissent déjà dans ce qui nous reste des œuvres d'Eustache d'Antioche (†337): elles s'étalent à l'aise dans celles de Diodore de Tarse (évêque v. 378, mort v. 393) et surtout de Théodore de Mopsueste (évêque en 392, mort en 428)a. Elles ne sont pas absentes non plus des homélies de saint Jean Chrysostome (344-407), le disciple de Diodore et l'ami de Théodore. Heureusement, les nécessités de son ministère de prédicateur et le caractère tout pratique de sa parole ont éloigné le grand orateur des spéculations dogmatiques, et lui ont fait tempérer ce qu'il y avait d'excessif dans les principes de son ami et de son maître. Homéliste plus que théologien, et moins théoricien que moraliste, saint Chrysostome n'occupe d'ailleurs dans l'histoire des dogmes qu'une place secondaire, bien inférieure à celle que lui a attribuée dans l'histoire de l'éloquence chrétienne l'admiration de ses contemporains et de tous les âgesb.
Saint Cyrille de Jérusalem (v. 315 †386) et saint Épiphane (évêque en 367, mort en 403) sont restés en dehors de cette classification. S'il fallait assigner une place au premier, c'est évidemment près des cappadociens qu'il le faudrait mettre, dans ce milieu qui tient à la fois d'Antioche et d'Alexandrie, plus d'Alexandrie que d'Antioche. Mais ses vingt-quatre catéchèses, son principal ouvrage, ne lui ont guère donné l'occasion de pousser à fond sa théologie. Nicéen timide que l'ὁμοούσιος effraie — il l'évite formellement dans ses catéchèses — et qui a horreur des controverses — il a cependant réfuté énergiquement les manichéens et Marcel d'Ancyre, — il se livre plus volontiers à des développements instructifs et pieux sur des sujets moins ardus. L'esprit éprouve un vrai repos à parcourir, au milieu de la littérature de bataille du ive siècle, ces pages d'une beauté si calme, écrites en un style tempéré et précis, mais qui ne manque ni de souplesse ni d'émotion vraiec.
Quant à saint Epiphane, il ne veut être d'aucune école, mais orthodoxe simplement et au sens le plus étroit. Cela même toutefois l'arme contre toutes les hérésies ou ce qu'il croit tel, et fait de lui un infatigable polémiste. Il a combattu les ariens, les apollinaristes; il a soutenu d'abord Paulin contre Mélèce et a poursuivi de ses arguments des erreurs qu'il est presque seul à nous faire connaître; mais surtout il a attaqué Origène, à ses yeux le principe et l'auteur de toutes les hérésies de son temps. Son zèle souvent l'a emporté trop loin et l'a entraîné à des fautes dont il n'a pas eu conscience. Saint Epiphane n'est pas un théologien original: il craindrait de l'être; souvent il n'a visé qu'à reproduire, en une langue diffuse et en d'interminables dissertations, les vues d'Athanase et des Cappadociens. Homme d'église par-dessus tout, il a tenu à justifier toutes les coutumes de cette Église, et a travaillé notamment à développer les tendances ascétiques qui commençaient à prendre corps un peu partout dans les institutions monastiques. Mais si saint Épiphane n'est pas un penseur personnel, il est un auteur érudit, et, à cause de cela, apporte, sur plus d'un point, une contribution précieuse à l'histoire des idées chrétiennes du ive siècle. Ajoutons que, grâce à ses rapports avec l'Occident, certaines conceptions ou coutumes latines ont fait par lui leur entrée dans l'Église grecque à laquelle il appartenaitd.
Tels sont les principaux écrivains grecs du ive siècle dont nous aurons ici à étudier la doctrine; nombre d'autres cependant seront nommés que nous nous abstenons de caractériser plus au long, et pour lesquels on voudra bien recourir aux ouvrages de patrologie.
Bien que les auteurs ecclésiastiques du ive siècle ne soient pas absolument d'accord entre eux sur le canon du Nouveau et de l'Ancien Testament, et que certains excluent du catalogue des livres inspirés des ouvrages acceptés par d'autres (H.E.3.25), ces auteurs sont unanimes cependant à regarder l'inspiration, là où ils l'admettent, comme une action de Dieu parlant et s'exprimant par les écrivains sacrés. Ces écrivains sont ϑεόπνευστοι, leurs paroles sont les paroles mêmes du Saint-Esprit, τοῦ Πνεύματος τοῦ ἁγίου ῥήματα (Chrysost.In Genesim, hom. XV, 1).
En quoi consiste précisément cette inspiration? Quand elle atteint son plus haut degré, chez les prophètes par exemple, Théodore de Mopsueste pense qu'elle est un état d'extase dans lequel le prophète, ses sens étant fermés à la terre, reçoit en lui des impressions spirituelles des choses à venir ou cachées. Le prophète traduit ces impressions par les mots voir, entendre, comme si des tableaux sensibles lui étaient présentés ou des paroles sensibles lui étaient dites, mais d'ailleurs tout se passe dans son intelligence. On sait, d'autre part, que le même Théodore n'accordait aux Proverbes et peut-être à l'Ecclésiaste, qu'une inspiration de second ordre, l'esprit de prudence, très différent de l'extase du prophète. Saint Jean Chrysostome, qui a touché le même sujet, semble parfois représenter l'inspiration comme un envahissement total par le Saint-Esprit des facultés de l'écrivain, envahissement qui réduirait celui-ci à un état purement passif; mais ce n'est pas l'idée qu'il s'en fait d'ordinaire. Il met précisément cette différence entre la prophétie et la divination païenne, que le devin ou la pythonisse sont passifs et hors d'eux-mêmes, tandis que le prophète reste maître de soi et conscient de ce qu'il annonce. Il maintient à l'auteur humain, dans la composition des Livres saints, une part qui explique les différences ou même les divergences que présentent ces livres. Théoriquement, saint Chrysostome semble admettre que ces divergences peuvent être réelles bien que légères; pratiquement, il s'efforce de montrer qu'elles ne sont qu'apparentes.
Quant à la méthode d'interprétation de l'Écriture, on sait assez que l'école d'Alexandrie inclinait vers celle qui admet largement le sens spirituel ou même purement allégorique, tandis que l'école d'Antioche — nous l'avons dit — tenait avant tout pour le sens littéral et historique. La première est représentée, au ive siècle, surtout par saint Grégoire de Nysse; la seconde par saint Basile, qui repousse nettement le pur allégorisme ou symbolisme, et principalement par les antiochéniens. Eusèbe rapporte de Dorothée, l'un des premiers maîtres de l'école exégétique d'Antioche, qu'il interprétait l'Écriture μετρίως. L'évêque Eustathe a laissé, sur le sujet de la pythonisse, un petit traité d'un caractère antiallégorique prononcé. Socrate a dit de Diodore de Tarse qu'il s'appliquait uniquement à la lettre des Saintes Écritures, négligeant leur sens spirituel: ψιλῷ τῷ γράμματι τῶν ϑείων προσέχων γραφῶν, τὰς ϑεωρίας αὐτῶν ἐκτρεπόμενος (H.E.6.13). Théodore de Mopsueste est assez connu pour son littéralisme rigide, et quant à saint Jean Chrysostome, s'il est moins exclusif que son ami et, en sa qualité d'orateur et de moraliste, admet une certaine mesure d'allégorie et d'applications figurées, il n'en déclare pas moins préférer, et il pratique en effet une exégèse plus sévère et moins capricieuse: Ἐγὼ δὲ οὔτε ταύτην ἀτιμάζω τὴν ἐξήγησιν (l'exégèse allégorique) καὶ τὴν ἑτέραν ἀληϑεστέραν εἶναι φημι (In Isaïam, cap I, 22).
Cependant, quoi qu'il en soit de ces diverses tendances, tous nos auteurs s'accordent à voir dans l'Écriture la première source où il faut aller puiser la foi. A prendre à la lettre certaines de leurs déclarations, il semblerait même que, à leur gré, c'est assez des Livres saints pour nous enseigner ce que nous devons croire. «Les Écritures saintes et inspirées, dit saint Athanase, suffisent à la définition de la vérité». Elles sont plus aptes que les autres écrits à édifier la foi, et il faut donc les lire. «N'attends pas un autre maître, déclare saint Chrysostome; tu possèdes les paroles de Dieu, nul ne t'instruira comme elles». Et saint Basile expose qu'en effet l'Écriture doit être juge quand il s'agit de trancher entre des coutumes ou des traditions dissemblables. La raison très simple qu'en apporte saint Épiphane est que l'Écriture ne saurait errer: πάντα γὰρ ἀληϑεύει ἡ ϑεία γραφή. Mais on se tromperait si l'on pensait que les Pères grecs du ive siècle excluent par là une autre source d'information plus accessible aux humbles. Ces Pères ont le sentiment un peu confus d'un développement qui s'accomplit à leur époque dans la théologie ecclésiastiquea. Des dogmes sont mis en lumière — celui de la divinité du Saint-Esprit par exemple, — des formules sont adoptées — comme l'ὁμοούσιος — des usages liturgiques et rituels prévalent et se multiplient dont l'Écriture ne fait nulle mention, ou qu'elle n'enseigne que d'une façon incomplète et obscure. Il faut cependant les justifier contre les adversaires, et cette nécessité amène nos auteurs à insister, plus qu'on ne l'a fait jusqu'à eux, sur un enseignement, une tradition orale distincte de l'Écriture et parvenue des apôtres jusqu'à nous. C'est la παράδοσις ἄγραφος τῶν ἀποστόλων, τῶν πατέρων dont les apôtres et leurs successeurs se sont servis pour nous transmettre ce qu'ils n'ont point confié à l'Écriture. Saint Chrysostome la mentionne comme saint Epiphane, comme les cappadociens. Cette tradition orale offre les mêmes garanties de vérité que l'Écriture. Les hérétiques la rejettent: ils ont tort. Elle est ἀξιόπιστος, déclare saint Chrysostome: παράδοσίς ἐστι, μηδὲν πλέον ζήτει (In II Thess., hom. iv, 2; In ad Philipp., hom. iii, 4). Et saint Grégoire de Nysse: «Il suffit, pour démontrer notre affirmation, que nous ayons [en notre faveur] la tradition des Pères parvenue jusqu'à nous comme une sorte d'héritage qui nous a été transmis par les saints successeurs et héritiers des apôtres».
Cette tradition orale ne se confond pas encore, pour les Pères grecs du ive siècle, avec le magistère ordinaire de l'Église. Cependant, on trouve déjà dans saint Epiphane une idée qui conduira pratiquement à cette identification. Il remarque que cette tradition, les hérétiques ne l'ont point reçue et ne la conservent point: seule, l'Église l'a reçue et la transmet. Il en conclut que l'enseignement et les décisions de l'Église suffisent à établir la vérité. Si tous nos auteurs ne font pas le même raisonnement, ils en admettent tous au moins la conclusion. Le droit de l'Église à trancher les controverses, à condamner l'erreur, à décider de la foi, son infaillibilité dans l'exercice de ce droit sont pour eux des principes reconnus, indiscutables, et toute l'histoire des controverses et des conciles du ive siècle serait absolument inexplicable si on ne les supposait admis en effet de la généralité des évêques. Saint Cyrille de Jérusalem veut qu'on reçoive de l'Église même le canon des Écritures, et il ajoute que, comme beaucoup de chrétiens se trouvent, par suite de leur ignorance ou de leurs occupations, dans l'impossibilité d'étudier les Écritures pour s'en assimiler la doctrine, cette Église a concentré cette doctrine en un symbole de foi qu'il faut religieusement retenir et conserver, car elle enseigne sans défaillance (ἀνελειπῶς) le dogme qu'il est utile aux hommes de connaître. Saint Chrysostome s'exprime au fond de même sur cette infaillibilité; et quant à saint Épiphane, c'est avec un vrai lyrisme qu'il célèbre les beautés de cette Église, unique épouse du Fils de Dieu, vierge, sainte, immaculée, qui a gardé absolument pur (ἀχράντως) l'enseignement des apôtres, qui a conservé par sa vérité la foi, l'espérance, le salut, autorité souveraine dont la croyance ancienne suffit à établir ce qu'il faut croire: Οὕτω γὰρ δοξάζει ἡ ἁγία τοῦ ϑεοῦ ἐκκλησία ἀπὸ τῶν ἀνέκαϑεν.
Sur cette question de principe nulle difficulté. Les difficultés commençaient quand on se demandait par quels organes, en dehors des symboles reconnus, s'exprimait cette foi de l'Église, et quelle était, en particulier, la mesure d'autorité que l'on devait accorder aux conciles. La distinction des conciles généraux et des conciles particuliers n'était pas faite en Orient, ou, si le mot d'œcuménique y était connu, on n'avait pas explicitement déterminé quelles conditions étaient requises et suffisantes pour qu'un concile fût réellement tel. Rien n'établit notamment que l'avis du pape Sylvestre ait été pris pour la tenue du concile de Nicée, et quant au concile de Constantinople de 381, le pape n'y fut même pas convoqué. Le nombre et surtout la valeur personnelle des évêques présents décidaient de l'autorité du concile, et si celui de Nicée en conquit très vite une irréfragable et hors de pair, il le dut sans aucun doute à la sainteté et à la science de plusieurs de ses membres, au grand nombre des prélats qui y siégèrent, et aussi à la présence de l'empereur qui en sanctionna les décrets. Saint Basile n'hésite pas à dire que ce n'est pas «sans être mus par le Saint-Esprit» que les 318 Pères ont parlé (Epist.cxiv). Cette expression est très forte; cependant elle ne précise rien. — Quant à l'autorité des docteurs ou évêques pris isolément, on commence, au ive siècle, à en faire état dans les discussions, et l'on voit saint Athanase et saint Basile invoquer le témoignage d'Origène et de ses successeurs dans les controverses arienne et macédonienne. Ce n'est toutefois qu'au siècle suivant, que l'argument tiré des Pères prit toute sa force et reçut sa définitive consécration.
Reste à examiner quelle attitude les Pères grecs du ive siècle ont observée vis-à-vis de la philosophie, et quelle part ils ont attribuée à cette science dans la mise en œuvre et l'explication des données de la foi. Gardons-nous d'abord de conclure que cette part a été fort grande, de ce fait que les mots entrés dans les formules théologiques, οὐσία, ὑπόστασις, φύσις, etc. sont des mots d'origine philosophique. Ils ont sans doute une origine philosophique; mais ils étaient, en somme, tombés dans le domaine commun à tous les esprits cultivés, et, en les adoptant, les Pères ne leur ont point donné d'autre sens que celui qui leur était généralement reconnu, ni n'ont prétendu, en aucune façon, légitimer les théories philosophiques auxquelles ils se rattachaient. D'autre part, il est vrai que le souci de présenter la foi chrétienne comme une doctrine cohérente et conforme, bien que les dépassant, aux postulats de la raison, le souci de découvrir le côté rationnel des données chrétiennes est visible dans les traités de jeunesse de saint Athanase et dans les écrits des cappadociens. Saint Chrysostome s'y est aussi appliqué, mais surtout pour montrer comment cette même foi satisfait les besoins du cœur. C'est là, si l'on veut, de la philosophie, mais une philosophie qui ne part point d'un système, et qui se confond avec l'effort de la raison cherchant à comprendre et à mieux pénétrer la foi. De philosophie proprement dite, de métaphysique et de dialectique soutenue, on n'en trouve que dans le traité de saint Basile contre Eunomiusb, et dans saint Grégoire de Nysse qui en abuse un peu partout. Précisément parce que les ariens, les anoméens et les manichéens s'appuyaient sur la philosophie, les orthodoxes s'en défiaient, et saint Grégoire de Nazianze allait jusqu'à dire que son introduction dans l'Église était comparable à une plaie d'Égypte. Mais, d'autre part, il fallait, pour réfuter ces mêmes hérétiques, que les Pères les suivissent sur leur terrain, et détruisissent leurs arguments par des arguments analogues à ceux qu'ils produisaient. C'est ce qu'ils font à l'occasion, sans prétendre par là écrire précisément une métaphysique ou une méthodologie de leurs croyances.
[Il n'entre pas dans le cadre de ce livre de raconter en détail l'histoire proprement dite de l'arianisme. Sur cette hérésie en général on consultera les anciens historiens de l'Église, Eusèbe, Socrate, Sozomène, Théodoret, Gélase de Cyzique, saint Epiphane, Philostorge, Sulpice Sévère; puis les écrivains contemporains qui l'ont combattue, saint Athanase, saint Hilaire, les Cappadociens, Didyme, saint Jérôme, saint Ambroise. — Les travaux abondent. Les notices des éditions bénédictines et les recherches de Tillemont sont toujours à consulter, et forment une base très solide. Comme ouvrages plus récents on doit indiquer: J. H. Newman, The arians of the fourth Century, 4e édit., London, 1876. H. M. Gwatkin, Studies of arianism, Cambridge, 1882,2e édit., 1900, The arian controversy, London, 1889, 4e édit.; L. Duchesne, Histoire ancienne de l'Église, t. II, Paris, 1907.]
Cette théologie grecque du ive siècle dont on vient d'indiquer brièvement les principes, les sources et les méthodes, allait, dès le premier quart de ce siècle, entrer en conflit avec l'hérésie sur un point fondamental du dogme chrétien, la question de la divinité vraie et pleine du Verbe, et par conséquent de Jésus-Christ.
Jusqu'ici l'Église avait plusieurs fois affirmé, contre les adoptianistes, sa croyance en la divinité de Jésus-Christ. D'autre part cependant, un système, dont nous suivons la trace depuis saint Justin et les apologistes jusqu'à Origène et Lactance, enseignait, parallèlement à sa divinité, une subordination du Fils, comme Dieu, au Père. Le Fils est Dieu, réellement Dieu, mais il est inférieur au Père. Entre ces deux propositions, si on les prend à la rigueur, il y a contradiction. Si le Fils est vraiment et essentiellement Dieu, il est l'être suprême, et n'est par conséquent inférieur à rien ni à personne: s'il est vraiment inférieur au Père, il n'est plus l'être suprême, il n'est plus Dieu. L'école subordinatienne croyait pourtant qu'il fallait maintenir ensemble ces deux affirmations, si l'on ne voulait pas compromettre la monarchie divine et introduire dans le monde plusieurs principes premiers. Mais l'arianisme allait forcer les théologiens à regarder les choses de plus près et à se prononcer entre la divinité pleine et absolue ou consubstantialité du Fils, et sa subordination essentielle ou sa création. Arius et les ariens purs se prononceront pour la création du Fils; Athanase et les nicéens pour sa consubstantialité. Toutefois, entre ces deux partis extrêmes et seuls logiques, une masse d'évêques indolents et conservateurs de mauvais aloi, ou bien esprits timides et plus érudits que penseurs, trouveront mieux de rester dans la confusion, et ne voudront ni du consubstantiel ni de l'arianisme. Ils formeront la grande armée des eusébiens, homéens, homoiousiens, semi-ariens, quel que soit le nom qu'on leur donne. Entre ces trois partis une lutte s'engagera qui remplira, en Orient, environ les deux tiers du ive siècle, depuis l'an 318 jusqu'à l'an 382 ou 383.
A en croire saint Épiphane, l'arianisme aurait eu pour auteurs premiers Origène et Lucien d'Antioche. C'est une opinion au moins fort discutable en ce qui regarde Origène, mais exacte en ce qui concerne Lucien. Lucien, né peut-être lui-même à Samosate et élevé à Edesse, était, vers l'an 260, le compagnon de l'évêque d'Antioche, Paul de Samosate. Celui-ci fut, comme on sait, condamné pour hétérodoxie en 267 ou 268, et, pendant les discussions que souleva son procès, Lucien paraît avoir été soupçonné de partager ses erreurs. Toujours est-il qu'il vécut excommunié sous les trois évêques successeurs de Paul, Domnus, Timaeus et Cyrille, s'occupant de critique biblique et d'exégèse. Sous l'épiscopat de Tyrannus, il fut réconcilié avec l'Église. En 312, dans la persécution de Dioclétien, il mourut martyr et fut honoré comme un saint. Des œuvres de Lucien il ne reste que peu de chose. Le concile eusébien d'Antioche de 341 lui attribua un symbole dont saint Athanase a conservé le texte et duquel toute précision dogmatique est soigneusement écartée; mais l'authenticité en est fort douteuse. Il n'en demeure pas moins certain que Lucien — d'une façon plus ou moins consciente — a été le vrai père de l'arianisme. Les ariens de la première heure et les plus en vue ont été presque tous ses disciples et se réclament de lui. Ecrivant à Eusèbe de Nicomédie, Arius appelle son correspondant son cher collucianiste (συλλουκιανιστά), et Philostorge a laissé sur cette relation entre Lucien et l'arianisme des indications non équivoques.
Nous ne connaissons pas en détail la doctrine de Lucien; mais on peut aisément comprendre, s'il favorisait plus ou moins ouvertement l'adoptianisme, que ses disciples, enjoignant à cette théorie la notion d'un logos personnel inférieur à Dieu et vivant en Jésus-Christ, aient glissé tout naturellement dans l'arianisme.
Celui qui devait donner son nom à cette dernière hérésie était né en Libye ou même à Alexandrie, vers l'an 256, et, devenu prêtre, se trouvait, en 313, spécialement affecté par l'évêque Alexandre à la direction de l'église de Baucalis. De mœurs graves et d'un extérieur imposant, d'une conversation affable et attirante, esprit brillant et souple, mais d'ailleurs vain et entêté, rompu à la dialectique aristotélicienne et aux détours du syllogisme, Arius avait tout ce qu'il fallait pour se concilier à la fois les ignorants et les savants. On va voir dans quelle mesure il y réussit.
Les historiens ne s'accordent pas sur l'occasion qui fit éclater ses sentiments intimes. Il semble, d'après Socrate, que l'évêque d'Alexandrie. Alexandre, ait réuni de temps à autre chez lui le clergé de la ville pour lui donner quelques directions doctrinales et disciplinaires. Dans une de ces réunions, tenue vers l'an 318, Alexandre ayant parlé de la trinité des personnes divines et de l'unité qui existe entre elles, Arius pensa découvrir dans ses paroles le sabellianisme et contredit vivement l'évêque, en ajoutant que le Fils n'avait pas toujours existé, et avait été tiré du néantc. D'autres historiens ont raconté la chose de façon un peu différente. Quoi qu'il en soit, on crut d'abord possible d'étouffer l'affaire et de ramener Arius par des voies de douceur. Ce fut en vain. Arius songeait bien plutôt à se créer des partisans. Il gagna en effet à lui deux évêques, Theonas et Secundus, et quelques diacres. Un premier concile, qui compta cent évêques de l'Égypte et de la Libye, et se tint à Alexandrie en l'an 320 ou 321, l'excommunia. Il put cependant se maintenir quelque temps encore dans la ville et y continuer son ministère; mais, à la suite d'une nouvelle assemblée du clergé alexandrin et maréotique, dans laquelle Alexandre fit souscrire son Epistula encyclica, Arius dut s'exiler. Retiré d'abord en Palestine, puis à Nicomédie, il y écrivit sa Thalie et des chants populaires propres à disséminer ses erreurs. La controverse s'engagea un peu partout en Orient autour des questions soulevées. D'une part, Alexandre ne laissa pas sans réponse les plaintes qu'Arius répandait contre lui, et adressa à l'ensemble des évêques, et plus particulièrement peut-être aux évêques de Thrace son Epistula ad Alexandrum constantinopolitanum où il remettait les choses au point. D'autre part, au rapport de Socrate, un synode se serait réuni vers cette époque (322-324), et aurait pris fait et cause pour Arius. La confusion croissait toujours. Constantin, qui venait de triompher de Licinius (323), et qui désirait ramener la paix dans l'Église comme dans l'Etat, pensa d'abord qu'un accord était possible entre les deux partis moyennant quelques concessions mutuelles, et écrivit dans ce sens à Alexandre une lettre qu'Eusèbe a conservée. Sa teneur montre assez que l'empereur ne comprenait rien à la gravité du problème. La lettre fut portée par Hosius de Cordoue qui devait d'ailleurs s'offrir comme médiateur. Hosius ne réussit pas à faire entrer Alexandre dans les vues de Constantin: peut-être même déjà les deux évêques se mirent-ils d'accord pour condamner Arius. Les troubles augmentant, Constantin — sur le conseil d'Hosius, on peut le croire — résolut de convoquer un concile général. Ce fut celui de Nicée.
Avant d'en aborder l'histoire, nous devons dire d'une façon précise: 1o quelle était la doctrine d'Arius; 2o quel enseignement lui opposait l'évêque Alexandre.
Nous sommes parfaitement renseignés au moins sur les grandes lignes du système d'Arius; car les sources pour le connaître ne manquent pas, et, bien que l'hérésiarque n'ait pas laissé d'exposé didactique de ses idées, ses affirmations — ou ses négations — sont suffisamment nettes, et ses conceptions assez enchaînées pour qu'on en puisse suivre aisément la trame. La reconstitution qu'on va lire est basée exclusivement sur ce qui reste de ses ouvrages.
[Les sources principales pour connaître la doctrine d'Arius sont: 1o Les écrits mêmes d'Arius: a) sa lettre à Eusèbe de Nicomédie conservée par saint Epiphane, Haer. LXIX, 6, et par Théodoret, Hist. eccl., I, 4; b) sa lettre à Alexandre d'Alexandrie conservée par saint Athanase, De synodis, 10, et par saint Epiphane, Haer. LXIX, 7, 8; c) les fragments de la Thalie conservés par saint Athanase, Contra arianos, Or. 1, 5, 3, 9; De synodis, 15; d) la profession de foi d'Arius à Constantin conservée par Socrate, Hist. eccl., I, 25, et Sozomène, Hist eccl., II, 27; e) enfin les citations textuelles reproduites par saint Athanase, Epist. encycl. ad episcop. Ægypti, 12, et De sententia Dionysii, 23. — 2o Les exposés de la doctrine d'Arius faits par ses premiers opposants, notamment par saint Alexandre, Epistula encyclica, 3, reproduite par Socrate, Hist. eccl., I, 6, saint Athanase et les autres. — 3o Enfin les renseignements fournis par les historiens, Socrate, Sozomène, saint Epiphane, Philostorge, etc.]
Dieu est unique: il est seul inengendré, éternel, sans principe, vraiment Dieu. Ce Dieu absolu ne saurait communiquer son être, sa substance, soit parce qu'une pareille communication ou génération supposerait qu'il est composé, divisible, muable, et, en somme, corps, ce qu'il n'est pas; soit parce qu'un Dieu engendré ou produit par communication de substance serait une contradiction dans les termes, Dieu étant par définition ἀγέννητος. Il faut donc absolument condamner les expressions qui supposent cette communication ou génération, telles que προβολή, μέρος ὁμοούσιον, λύχνον ἀπὸ λύχνου. Tout ce qui est en dehors du Dieu unique est créé, créé ex nihilo par la volonté de Dieu.
Ce Dieu donc a voulu produire le monde. Pour ce faire, il a préalablement créé, pour être l'instrument de la création, un être supérieur, celui que nous appelons Verbe. Le Verbe est intermédiaire entre Dieu et le monde. Bien qu'il ne soit pas Dieu, il n'entre pas cependant dans le système du monde: il est avant les créatures proprement dites, avant le temps et avant les siècles (ἀχρόνως, πρὸ αἰώνων), car ceux-ci ne commencent qu'avec le monde, et ont, comme lui, le Verbe pour auteur immédiat. Mais le Verbe n'est pas éternel (ἀΐδιος ἢ συνἀΐδιος), car il n'a pas toujours été: il y a eu un moment de la durée — non du temps — où il n'était pas; il a passé du non-être à l'être: ἦν ποτε ὅτε οὐκ ἦν, καὶ ἦν πρὶν γένηται, ἀλλ᾽ ἀρχὴν τοῦ κτίζεσϑαι ἔσχε καὶ αὐτός. (Thalie, C. arianos, Or I, 5)
[Le sophiste arien Asterius justifiait celle création préalable du Verbe par cette considération que le monde n'aurait pu porter le poids de l'action directe de Dieu: μὴ ἐδύνατο τὰ λοιπὰ κτίσματα τῆς ἀκράτου χειρὸς τοῦ ἀγεννήτου ἐργασίαν βαστάξαι (Athanase, De decretis, 8).]
Le Verbe est donc vraiment créé (ἐξ οὐκ ὄντων γέγονε) il n'est pas de la substance de Dieu, mais existe par la volonté de Dieu. Arius emploie sans doute, pour marquer l'opération qui fait exister le Verbe, l'expression γεννήσαντα, ἐγέννησεν, γεννηϑείς: mais, outre que le mot n'avait pas encore le sens exclusif qu'on lui donna plus tard et se confondait souvent avec le mot γέννητος, l'hérésiarque ne laisse aucun doute sur la façon dont il l'entend. Dès lors, le Verbe n'est pas fils naturel mais seulement adoptif (κατὰ χάριν) de Dieu qui l'a adopté en prévision de ses mérites. Il n'est pas vraiment Dieu (ϑεὸς ἀληϑινός) mais seulement dans le sens où l'Écriture appelle ainsi les justes, car il est d'ailleurs étranger et dissemblable en tout à la substance et à la personnalité du Père (ἀλλότριος μὲν καὶ ἀνόμοιος κατὰ τῆς τοῦ πατρὸς οὐσίας καὶ ίδιότητος). Bien qu'on le nomme Verbe et Sagesse, ces attributs ne lui conviennent qu'autant qu'il participe à la sagesse et à la raison incréées qui sont en Dieu. En soi, il est une des multiples puissances créées dont Dieu se sert, une cause seconde comme le criquet et la sauterelle, agents des volontés divines.
Les conséquences de ces prémisses sont claires. Créature, le Verbe est soumis à Dieu: il ne le connaît et ne se connaît lui-même qu'imparfaitement; par nature il est changeant et faillible (τρεπτός). Dans sa lettre à Alexandre, Arius paraît sans doute affirmer l'immutabilité morale du Verbe; mais on voit, par d'autres passages, qu'il s'agit seulement d'une impeccabilité de fait due à l'effort de sa volonté libre. Dieu a prévu cette droiture de volonté, et en ce sens uniquement on peut dire qu'il a fait le Verbe immuable et impeccable.
Créature, le Verbe n'est pourtant pas une créature comme les autres: c'est une créature parfaite (κτίσμα τοῦ ϑεοῦ τέλειον): Dieu peut bien produire une créature qui soit égale au Logos, mais non qui lui soit supérieure. Le Logos d'ailleurs a toujours crû en grâces et en mérites: il s'est développé, et s'est ainsi rendu digne de la gloire, des hommages et du nom même de Dieu que le Père et l'Église lui ont attribués.
Quant à son rôle ad extra, il a consisté, comme nous l'avons dit, à être l'agent immédiat de la création. Il a consisté aussi à être l'agent de la rédemption. Pour cela le Verbe s'est incarné. La doctrine de Lucien d'Antioche, préludant à celle d'Apollinaire, était que le Verbe avait pris un corps sans âme (ἄψυχον). Les fragments qui ont survécu des œuvres d'Arius ne contiennent rien sur ce point précis, mais on sait par les auteurs que tel était aussi son enseignement. Ce fut certainement celui de sa secte et des anoméens postérieurs. Cet enseignement cadrait du reste avec l'ensemble du système et servait à l'étayer, puisque, si le Verbe est en soi passible et changeant, il peut dans le corps tenir la place et remplir le rôle de l'âme, et qu'il devient loisible dès lors de rejeter sur lui les émotions et les faiblesses attribuées par l'Écriture à l'humanité de Jésus.
[Dans l'Exposé de foi qu'il présenta à Théodose en 383 (Socrate, H. E-, VII, 12), et que Valois a reproduit dans ses notes à Socrate, Eunomius affirme cependant (est-ce palinodie?) que Jésus-Christ a pris une humanité composée de corps et d'âme (ψυχή non pas νοῦς). En revanche, le symbole d'Eudosius de Constantinople est formel: σαρκοϑέντα, οὐκ ἐνανϑρωπήσαντα, οὔτε γὰρ ψυχὴν ἀνϑρωπίνην ἀνείληφεν:] (Caspari, Quellen, IV, p. 178 et suiv.).]
Sur le Saint-Esprit les fragments d'Arius sont peu explicites. Il en admet l'hypostase comme formant avec le Père et le Fils une trinité. Mais le Saint-Esprit est, d'après lui, infiniment éloigné, séparé des deux autres personnes: il leur est étranger par l'essence: il ne possède ni même substance ni même gloire. Arius en faisait probablement une créature du Fils. Ce point de sa doctrine resta toutefois dans l'ombre jusqu'au moment où il fut mis en évidence par l'hérésie macédonienne.
Tel était, dans ses traits principaux, le système d'Arius. Ce système reposait tout entier sur cette conception que Dieu est absolument transcendant, unique, incapable de se communiquer autrement que par voie de création. Au point de vue philosophique, l'hérésiarque et ses sectateurs se rattachaient à Aristote, à sa méthode et à sa dialectique. Mais ils s'efforçaient de donner à leurs erreurs une base scripturaire en rappelant les textes qui attribuent à Jésus-Christ ou au Fils une infériorité, des passions, des infirmités, l'ignorance même de certaines choses. Ils entendaient tous ces textes du Verbe et y voyaient des preuves de sa condition d'être créé.
[Didyme l'aveugle a consacré à la discussion de ces textes le livre III de son De Trinitate. On en trouvera l'énumération dans J. Turmel, Histoire de la théologie positive, I, Paris, 1904, p. 27, et plus complètement dans Bethune-Baker, An introduction to the early history of Christian doctrine, p. 161, 162, texte et note.]
On remarquera que la doctrine d'Arius a été, pour ainsi dire, parfaite dès le principe, et n'a point subi de développement. Si plus tard les anoméens l'ont étayée de plus d'arguments, ils ne l'ont pas précisément amplifiée. Après le concile de Nicée, les eusébiens la modifièrent, mais pour l'atténuer. Quant à ceux qui l'acceptèrent d'abord, Eusèbe de Nicomédie, Eusèbe de Césarée, Athanase d'Anazarbus, Georges prêtre d'Alexandrie, Asterius de Cappadoce, des citations faites par saint Athanase prouvent qu'ils la professaient telle qu'Arius l'avait émise. Peut-être devrait-on cependant excepter l'évêque de Césarée dont la pensée semble avoir été plus flottante.
Quel enseignement opposait à cette doctrine le patriarche d'Alexandrie, Alexandre? Il importe, on le conçoit, de le savoir, si l'on veut connaître exactement ce que pensait de la question en litige l'orthodoxie grecque à ce moment précis qui va de 320 à 325. Or nous sommes assez bien renseignés sur les sentiments d'Alexandre par les deux lettres dont il a été plus haut question. L'une est l'Epistula encyclica conservée par Socrate (H. E.,i, 6); l'autre, qui porte l'inscription douteuse Epistula ad Alexandrum constantinopolitanum, est probablement aussi une lettre encyclique. Elle se trouve reproduite dans Théodoret (H. E., 1.3). Le patriarche, dans ces deux documents, montre qu'il comprend parfaitement l'importance de la crise arienne et le danger qu'elle fait courir à l'essence même du christianisme. Mais d'ailleurs il discute peu: il enseigne et décide, et déclare qu'il ne faut pas essayer d'expliquer ces mystères.
L'Epistula encyclica est la plus courte. Après un bon résumé des erreurs d'Arius, le patriarche affirme, en s'appuyant sur l'Écriture, l'éternité du Fils, sa non-création, sa ressemblance au Père en substance, son immutabilité. Si le Fils, ajoute-t-il, n'était pas éternel, le Père se serait trouvé à un moment ἄλογος καὶ ἄσοφος, ce qu'on ne saurait concevoir. Le Fils est élément intime, essentiel de l'être du Père. Au no 5 il est dit que le Fils connaît parfaitement le Père: Sicut novit me Pater et ego agnosco Patrem (Jean.10.15).
L'Epistula ad Alexandrum est plus complète: elle présente une réfutation en règle de l'arianisme et un exposé précis de la doctrine d'Alexandre. Voici cette doctrine.
Le Fils n'est pas ex nihilo; il n'est pas de la nature des choses faites et créées (4). Il n'y a pas eu de moment où il n'était pas: οὔτε ἦν ποτε ὅτε οὐκ ἦν (4, 6): le Père a toujours été Père; ce serait le détruire que de supposer qu'il n'a pas toujours eu avec lui son Fils qui est sa splendeur et son image (7). Ils sont, le Fils et lui, inséparables (ἀλλήλων ἀχώριστα πράγματα δύο): on ne peut, même par la pensée, imaginer entre eux un intervalle quelconque (4). Le Fils est immuable, parfait dès le principe; il ne saurait progresser ni devenir meilleur; à plus forte raison ne saurait-il faillir (7); car du reste il est fils par nature et non par adoption (8), image parfaite du Père (ἀπαράλλακτος εἰκών). Qui honore le Fils honore le Père, et réciproquement (9).
Cependant, bien qu'étroitement unis, le Père et le Fils sont distincts: le Père seul est inengendré, ἀγέννητος, le Fils ne l'est pas (4). Les ariens en concluent que celui-ci est une créature; mais ils se trompent. Entre le Père inengendré et les créatures, il y a la nature du Fils unique engendrée de l'être même du Père, et par laquelle il fait sortir l'univers du néant: ὧν μεσιτεύουσα φύσις μονογενής, δι᾽ ἧς τὰ ὅλα ἐξ οὐκ ὄντων ἐποίησεν ὁ πατὴρ τοῦ ϑεοῦ λόγου, ἐξ αὐτοῦ τοῦ ὄντος πατρὸς γεγέννηται (11). Voilà ce que l'on peut dire: quant à percer le mystère de cette génération, il y faut renoncer (5).
Au no 12, Alexandre donne un symbole de foi, vraisemblablement celui de son église expliqué et développé. Il y insiste sur la distinction du Père et du Fils. En nous servant des mots ἦν, ἀεί, πρὸ αἰώνων, pour qualifier l'existence du Fils, dit-il, nous ne voulons pas faire entendre qu'il est ἀγέννητος: il ne l'est pas, et c'est en cela, mais en cela seulement qu'il est inférieur au Père: μόνῳ τῷ ἀγεννήτω λειπομένον ἐκείνου. Il faut conserver au Père sa dignité propre (οἰκείον ἀξίωμα): il n'a pas de principe et n'est pas produit; mais il faut aussi rendre au Fils l'honneur qui lui convient (τὴν ἁρμόζουσαν τιμήν).
Le symbole se termine par la confession de l'Esprit-Saint qui a inspiré les prophètes et les apôtres; de l'Église, de la résurrection des morts, de l'incarnation de Jésus-Christ ἐκ τῆς ϑεοτόκου Μαρίας des principaux événements de sa vie, de sa mort et de son triomphe (12).
Cet exposé de la foi chrétienne sur la question soulevée par Arius ne manque, quoi qu'on en ait dit, ni de netteté ni de force. Alexandre était très explicite sur la non-création, sur l'éternité, sur la divinité du Fils, ce qui était, en somme, tout l'objet du débat. Il marquait très exactement en quoi et dans quelle mesure on pouvait dire le Fils inférieur au Père (μόνῳ τῷ ἀγεννήτῳ). Si l'ὁμοούσιος ne paraissait pas encore, l'ἐκ τῆς οὐσίας se rencontrait presque équivalemment dans la formule ἐξ αὐτοῦ τοῦ ὄντος πατρός. Le mystère n'était sans doute pas expliqué, mais il était, en définitive, exactement formulé et présenté dans ses lignes principales. Ce n'était pas si peu de chose.
[Sources: Avant tout le symbole, les canons et le décret synodal du concile. Puis Saint Athanase, surtout De decretis Nicaenae synodi (v. 351) et Epistula ad Afros (v. 389); Eusèbe, Vita Constantini; Socrate, Sozomène, Théodoret, Rufin dans leurs Histoires ecclésiastiques, et Gélase de Cyzique dans son Histoire du concile de Nicée. — Travaux: les mêmes que sur l'arianisme en général, et Hefele, Histoire des conciles, 2e édit., traduct. franc., tom. I, 1.]
Le concile dont il a été question plus haut fut convoqué par Constantin à Nicée, en Bithynie. Trois cent dix-huit évêques environ s'y réunirent, presque tous orientaux. Les occidentaux se réduisaient à Hosius de Cordoue, aux deux prêtres Vitus et Vincent, représentants du pape Sylvestre, à Cécilien de Carthage, Marc de Calabre et Domnus de Stridon. Après les deux patriarches, Alexandre d'Alexandrie et Eustathe d'Antioche, les évêques les plus en vue étaient le métropolitain de Césarée en Cappadoce, Leontius, et les deux Eusèbe de Nicomédie et de Césarée. Le diacre Athanase avait accompagné son évêque Alexandre.
Le concile dut s'ouvrir vers le milieu de juin pour se clôturer au milieu de juillet 325. Il ne fit probablement point rédiger de procès-verbaux de ses séances; et ainsi les moyens nous manquent de suivre exactement le progrès de ses discussions. Nous ne pouvons que très sommairement en reconstituer la physionomie.
Des sortes de conférences préliminaires précédèrent, semble-t-il, les premières sessions de l'assemblée. Les partisans d'Arius s'y déclarèrent. Ils étaient, au témoignage de Rufin, dix-sept en tout. Puis le concile fut solennellement ouvert par Constantin. Il est probable qu'Hosius le présida, assisté des deux prêtres Vitus et Vincent. Quoi qu'il en soit, les débats étant commencés, et la discussion s'échauffant entre ariens et orthodoxes, on vit rapidement se former un tiers-parti, à qui Athanase donne le nom d'eusébien (οἱ περὶ Εὐσέβιον), dont le but était de sauver l'arianisme en adoucissant ses formules et surtout d'éviter des déclarations dogmatiques trop catégoriques et trop nettes. Le chef en était Eusèbe de Nicomédie, un des prélats les plus intelligents et les plus adroits, mais un des plus ambitieux et des moins consciencieux de son temps. Eusèbe de Césarée y siégeait aussi, toutefois avec une attitude plus réservée.
Un premier symbole fut proposé par l'évêque de Nicomédie. On le repoussa comme trop favorable aux ariens. Un second, qui était peut-être le symbole baptismal de l'église de Césarée, fut proposé par son évêque, Eusèbe. Le Verbe y était dit «Dieu de Dieu, lumière de lumière, vie de vie, Fils unique, premier-né de toute créature, engendré du Père avant tous les siècles, par qui tout a été fait». Une pareille formule n'eût rien décidé. Constantin, cependant, au dire d'Eusèbe, s'en serait contenté, à la condition d'y introduire le mot ὁμοούσιος. Mais les orthodoxes furent plus exigeants. Tout en acceptant le symbole d'Eusèbe, ils voulurent en préciser les termes. On pensa d'abord à déclarer que le Verbe est de Dieu (ἐκ τοῦ ϑεοῦ), la vertu vraie de Dieu, l'image du Père, parfaitement semblable au Père, immuable et toujours sans division dans le Père: mais on s'aperçut que les ariens trouvaient moyen de ramener ces expressions à leur sentiment; et l'on s'arrêta enfin aux mots ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ πατρός et ὁμοούσιος comme ne donnant lieu à aucune ambiguïté.
Ils ne furent pas adoptés sans difficulté. Les eusébiens objectaient que ces mots ramenaient le système émanatiste des gnostiques et supposaient Dieu un être matériel; que I'ὁμοούσιος surtout était sabellien