Histoire et doctrines des Rose-Croix - Paul Sédir - E-Book

Histoire et doctrines des Rose-Croix E-Book

Paul Sédir

0,0

Beschreibung

RÉSUMÉ : "Histoire et doctrines des Rose-Croix" de Paul Sédir explore l'univers mystérieux et fascinant de l'Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (A.M.O.R.C.) ainsi que la tradition rosicrucienne. Cet ouvrage se propose d'offrir une introduction détaillée à ce mouvement philosophique et initiatique, en retraçant ses origines, ses principes fondamentaux et son développement à travers les siècles. L'auteur, connu pour sa rigueur et sa profondeur d'analyse, guide le lecteur à travers les méandres de l'ésotérisme, en mettant en lumière les enseignements spirituels et mystiques qui ont façonné la pensée rosicrucienne. À travers une approche historique et doctrinale, Sédir examine les influences culturelles et religieuses qui ont contribué à l'émergence de ce courant, tout en soulignant l'impact durable qu'il a eu sur la spiritualité occidentale. Ce livre s'adresse autant aux néophytes curieux qu'aux initiés désireux d'approfondir leurs connaissances, en offrant une perspective éclairée et nuancée sur un sujet souvent entouré de mystère. En intégrant des éléments historiques et des analyses philosophiques, Sédir parvient à démystifier les croyances et pratiques rosicruciennes, tout en respectant leur complexité et leur richesse. Ainsi, "Histoire et doctrines des Rose-Croix" se révèle être une ressource précieuse pour quiconque souhaite explorer les profondeurs de cette tradition ésotérique et comprendre son influence sur la pensée contemporaine. L'AUTEUR : Paul Sédir, de son vrai nom Yvon Le Loup, est né en 1871 à Dinan, en France. Il est reconnu comme l'une des figures majeures de l'ésotérisme français du début du XXe siècle. Après des études en pharmacie, il se tourne rapidement vers les sciences occultes et la mystique chrétienne. Sédir a été un disciple de Papus (Gérard Encausse), un autre grand nom de l'occultisme, et a été fortement influencé par ses enseignements. Il a rejoint plusieurs sociétés ésotériques et a contribué à la diffusion de leurs doctrines à travers ses écrits. Auteur prolifique, Sédir a publié de nombreux ouvrages sur des sujets allant de la mystique chrétienne à l'alchimie, en passant par l'hermétisme et la théosophie. Sa capacité à synthétiser des concepts complexes et à les rendre accessibles à un public plus large lui a valu une reconnaissance durable dans le domaine de l'ésotérisme.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 516

Veröffentlichungsjahr: 2020

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



À ROBERT DE BIL

qui connaît et qui comprend l’âme musulmane où resplendirent autrefois, où s’abritent encore aujourd’hui des témoins de l’antique cohorte rosicrucienne. En signe de très reconnaissante sympathie

Sédir

Table des matières

Préface

PREMIÈRE PARTIE — HISTOIRE DES ROSE-CROIX

Introduction : Les sociétés secrètes

Chapitre I : Les prédécesseurs des Rose-Croix

Chapitre II : Origine des Rose-Croix

Chapitre III : Les documents Fondamentaux des Rose-Croix

Chapitre IV : Symbolisme de la Rose-Croix

Chapitre V : Les Rose-Croix au XVII

e

Siècle

Chapitre VI : Les Rose-Croix du XVIII

e

siècle à nos jours

Chapitre VII : De l’initiation Rosicrucienne

DEUXIÈME PARTIE — DOCTRINE DES ROSE-CROIX

Chapitre I : Théologie

Chapitre II : Cosmologie

Chapitre III : Physiogonie

Chapitre IV : Sociologie

Chapitre V : Recettes et Technique des Rose-Croix

Chapitre VI : La Rose-croix essentielle

Chapitre VII : Comment devenir initiable à la Fraternité des Rose-Croix

Conclusion

Appendice, Notices Biographiques

PRÉFACE

On ne trouve nulle part d’étude complète sur la fraternité mystérieuse de la Rose-Croix. Ceux qui en parlent au XVIIe siècle le font dans un style trop allégorique pour être compréhensible ; au XVIIIe siècle, on méconnaît ces adeptes en abusant du prestige de leur légende ; au XIXe siècle, des érudits, comme Buhle1, ou des occultistes, comme les écrivains anglais récents, n’ont su ou voulu présenter qu’un côté de la question.

Semler2 les a étudiés avec l’intérêt d’un sociologue et d’un curieux de la Nature ; il était bon chrétien et tenait l’alchimie pour une science respectable et pleine de découvertes utiles. Buhle ne s’est intéressé aux Rose-Croix qu’en simple érudit. Il pense que Francs-Maçons et Rose-Croix ne faisaient qu’un à l’origine, et qu’ils se sont disjoints pour propager, quant aux premiers, les idées philosophiques, la philanthropie, la liberté religieuse, le cosmopolitisme ; quant aux seconds, pour continuer les rêveries kabbalistiques, alchimiques et magiques de leurs prédécesseurs.

Bien que professant une doctrine interprétative du christianisme beaucoup plus pure et plus haute que celle des prêtres, les Rose-Croix, à l’existance desquels le moyen âge et la Renaissance crurent généralement, étaient tenus par tout le monde comme magiciens et sorciers d’une grande puissance.

Il faut bien constater que la science officielle toute entière professe, sur les doctrines des sociétés secrètes, des opinions aussi remarquables par l’ignorance que par l’animosité qu’elles décèlent.

L’Encyclopædia Britannica3 accorde aux Rose-Croix, pour tout mérite, celui d’exprimer les idées les plus incompréhensibles dans le style le plus obscur et le plus étrange.

Pour rester dans le vraisemblable, il faut reconnaître à ces illuminés plusieurs caractères : celui de gardiens de la tradition ésotérique ; celui d’interprètes de la lumière des Évangiles ; celui de médecins des corps, des âmes et des sociétés ; celui enfin d’éclaireurs, d’annonciateurs de la venue du Saint-Esprit.

« Vous imaginez-vous, dit Mejnour, dans Zanoni, qu’il n’y avait aucune association mystique et solennelle d’hommes cherchant un même but par les mêmes moyens, avant que les Arabes de Damas, en 1378, eussent enseigné à un voyageur germain les secrets qui servirent de fondement à l’Institut des Rose-Croix ? J’admets cependant que les Roses-Croix formaient une secte dérivée de la première, de la grande école… Ils étaient plus sages que les alchimistes ; mais leurs maîtres sont plus sages qu’eux. »4

« Un halo d’une poétique splendeur, dit Heckethorn5, auréole l’ordre des Rose-Croix ; la lumière fascinante du fantastique joue autour de leurs rêves gracieux, tandis que le mystère dans lequel ils s’enveloppent prête un nouvel attrait à leur histoire. Mais leur splendeur fut celle d’un météore. Elle fulgura soudainement dans les royaumes de l’imaginaire et de la pensée, puis disparut pour toujours, non cependant sans laisser derrière elle des traces durables de son rapide éclat… La poésie et le roman doivent aux Rose-Croix plus d’un type original ; la littérature de tous les pays d’Europe contient des centaines de fictions basées sur leur système de philosophie, depuis qu’il n’occupe plus l’attention des savants. »

Quant au rôle particulier joué par le Saint-Esprit dans la fraternité rosicrucienne, de Guaita, seul parmi les écrivains spéciaux, l’a fait ressortir à propos des théories peu orthodoxes qu’elle professa sur l’Église de Rome.

« Le vocable de Rose-Croix ne porte pas bonheur aux ultramontains ; par prudence, tout au moins, ils devraient s’abstenir d’y toucher… Des Jésuites ne sont-ils pas les auteurs du grade maçonnique de R∴C∴ (18e de l’actuel Ecossisme) ? C’est un fait connu. Par cette innovation et quelques autre les Jésuites expéraient, en donnant le change sur leurs intentions, accaparer, en mode indirect, les forces vives d’un ordre florissant. Ce sont d’habiles meneurs que les Jésuites. Mais l’abstrait du nom ainsi exploité fut plus fort que ces politiques sournois ; cet occulte agent s’empara de leur œuvre et lui fit faire volte-face, en sorte que le grade maç∴ de Rose-Croix, fondé par les Jésuites au dernier siècle, étoile actuellement de sa quincaillerie symbolique la poitrine de leurs pires ennemis !

« Et, comme c’est une loi de nature que la réaction soit proportionnelle à l’action, l’agnosticisme ultramontains des fondateurs a fait place à l’agnosticisme matérialiste de leurs héritiers du jour.

« Sans le savoir, les Jésuites avaient évoqué le fantôme lointain d’Elie Artiste. Elie Artiste parut un instant, retourna leur institution comme on retourne un gant, puis disparut aussitôt, laissant l’œuvre de ces fanatiques en proie à l’envhissement du fanatisme contraire. »

Hargrave Jennings a écrit une page magnifique sur le caractère des Rose-Croix considérés en tant qu’adeptes de l’antique et vénérable magie.

« Leur existence, dit-il, quoique historiquement incertaine, est entourée d’un tel prestige qu’elle emporte de force l’assentiment et conquiert l’admiration. Ils parlent de l’humanité comme infiniment au-dessous d’eux ; leur fierté est grande, quoique leur extérieur soit modeste. Ils aiment la pauvreté et déclarent qu’elle est pour eux une obligation, quoiqu’ils puissent disposer d’immenses richesses. Ils se refusent aux affections humaines ou ne s’y soumettent que comme à des obligations de convenance que nécessite leur séjour dans le monde. Ils se comportent très courtoisement dans la société des femmes, quoiqu’ils soient incapables de tendresse et qu’ils les considèrent comme des êtres inférieurs. Ils sont simples et déférents à l’extérieur, mais leur confiance en eux-mêmes, qui gonfle leurs cœurs, ne cesse de rayonner qu’en face de l’infini des cieux. Ce sont les gens les plus sincères du monde, mais le granit est tendre en comparaison de leur impénétrabilité. Auprès de ces adeptes, les monarques sont pauvres ; à côté de ces théosophes, les plus savants sont stupides ; ils ne font jamais un pas vers la réputation, parce qu’ils la dédaignent ; et, s’ils deviennent célèbres, c’est comme malgré eux ; ils ne recherchent pas les honneurs, parce qu’aucune gloire humaine n’est convenable pour eux. Leur grand désir est de se promener incognito à travers le monde ; ainsi ils sont négatifs devant l’humanité, et positifs envers toutes les autres choses ; auto-entraînés, auto-illuminés, eux-mêmes en tout, mais prêts à bien faire autant qu’il est possible.

« Quelle mesure peut être appliquée à cette immense exaltation ? Les concepts critiques s’évanouissent en face d’elle. L’état de ces philosophes est le sublime ou l’absurde. Ne pouvant comprendre ni leur âme ni leur but, le monde déclare que l’un et l’autre sont futiles. Cependant les traités de ces écrivains profonds abondent en discours subtils sur les sujets les plus arides et contiennent des pages magnifiques sur tous les sujets : sur les métaux, sur la médecine, sur les propriétés des simples, sur la théologie et l’ontologie ; dans toutes ces matières ils élargissent à l’infini l’horizon intellectuel. »

Cette esquisse, dessinée de main de maître, ne montre cependant qu’un des aspects du type initiatique de la Rose-Croix. L’homme est ainsi fait, le plus sage même et le plus savant, qu’il emploie toujours, pour réaliser son idéal, les moyens diamétralement opposés à cet idéal. L’idéal du chrétien est la douceur et l’amour ; aussi nulle religion n’a versé le sang avec plus d’abondance, nulle n’est plus dure envers l’amour. L’idéal du bouddhiste est l’immutabilité froide et adamantine du Nirvâna ; aussi est-il doux et humble comme un agneau. L’initiation antique, la magie faisait de ces hommes semblables au type décrit plus haut, au maître Janus d’Axël ; son symbole est la fleur de beauté, la Rose. La véritable initiation évangélique, si peu connue après dixneuf siècles qu’à peine cent personnes la suivent en Europe, cette doctrine d'immolation constante, dont le fidèle marche comme ivre d’amour parmi les malades, les pauvres, les désespérés, a pour hiéroglyphe la croix froide et nue. La réunion des deux symboles est la rose crucifère.

Telles sont les idées que nous voudrions exposer à nouveau et développer. Sans être certain de réussir dans cette tâche, à cause de la faiblesse de nos capacités et d’une discrétion que nous imposent non pas des serments, mais des motifs de haute convenance, nous l’avons tout de même entreprise avec quelque témérité. Remercions ici ceux qui nous en ont fourni les matériaux : les patients érudits des siècles passés ; et les contemporains qui, avec un désintéressement fraternel, nous ont fait part du fruit de leurs conquêtes, comme le docteur Marc Haven, à qui nous devons tout le côté archéologique et bibliographique de ce livre ; comme l’adepte qui se dissimule sous le pseudonyme de Jacob. Rendons enfin un hommage pieux à ces flambeaux par qui quelques lumières de l’Esprit sont descendues jusqu’à nous, à nos maîtres morts, à notre Maître toujours vivant.

1 JOHANN GOTTLIEB BUHLE : Ueber den Ursprung and die vornehmsten Schicksale der Orden der Rosenkreuzer and Freymaurer. Gottingen (J. F. Röwer), 1804.

2 JOHANN SALOMO SEMLER : Unparteische Samlungen zur Historie der Rosenkreuzer, 3 parties, Leipzig (G. E. Beer), 1786-1788.

3 HARGRAVE JENNINGS : The Rosicrucians in The Enevelopædio britanica. Londres (Cambridge University Press) 1911. vol. 23. – Voir également, du même auteur : The Rosicrucians, their rites and mysteries. Londres (Jonh Camden Hotten) 1870.

4 SIR EDWARD BULWER LYTTON : Zanoni traduction P. Lorain. Paris (Hachette) 1882. t. II p. 18.

5 W. C. HECKETHORN : The secret Societies of all Ages and Countries. Londres 1875. 2 vol.

PREMIÈRE PARTIE — HISTOIRE DES ROSE-CROIX

INTRODUCTION : LES SOCIÉTÉS SECRÈTES

On a beaucoup écrit sur ce sujet, et on s’est très peu demandé pourquoi il y a eu et il a partout des sociétés secrètes. Sans prétendre répondre complètement à la question, nous essaierons d’étudier l’ontologie de ces formes sociales sous deux points de vue : celui du corps social et celui de l’individu.

Les membres d’une société sont toujours répartis en trois classes :

Le peuple,

la bourgeoisie,

les classes dirigeantes.

Dans le peuple se recrutent les éléments matériels de toute société ; dans la bourgeoisie se trouve le système sanguin social : le commerce par qui circule l’argent dans les classes dirigeantes, le système nerveux social.

De plus, le peuple est préservé des attaques intérieures par l’armée, comme fait le foie dans le corps individuel ; il est préservé de ses poisons propres par la magistrature (rate).

Le commerce se développe par le mouvement qu’il donne, soit à la matière travaillée par le peuple (industrie), soit à la pensée religieuse ou scientifique, rendue sensible à la foule (l’art).

Le gouvernement, enfin, dirige tout, aidé soit par les découvertes de la pensée (science), soit par les lumières morales (religion).

D’où le tableau suivant6:

(Foie) Armée

(Estomac) Peuple

(Rate) Magistrature

Poumon droit) Industrie

(Cœur) Commerce

(Poumon gauche) Art

(Yeux) Université

(Cerveau) Gouvernement

(Oreilles) Clergé

Le lecteur qui s’intéresse à ces rapprochements trouvera sans peine les organes de l’homme social que représentent la police, les paysans, les ouvriers, les capitalistes, l’armée de terre et celle de mer, les diverses classes d’artistes, les inventeurs, les explorateurs, les moines, etc., etc.

On remarquera de même que tout ce travail matériel, cette richesse financière et cette pensée – lymphe, sang et force nerveuse du corps social – appartient exclusivement au plan physique, soit par l’utilisation de la matière, soit par l’observation des lois qui la régissent. Mais les relations de l’Invisible avec l’homme, reconnues de tous quand il s’agit de l’individu, sont ignorées quand il s’agit du collectif.

Dans une société parfaite, la gérance de ces rapports du collectif invisible avec le collectif visible est confiée au clergé ; malheureusement, aujourd’hui, les clergés, quels qu’ils soient, ne possèdent plus guère que la notion de l’invisible, au lieu d’en avoir la connaissance. De sorte que, dans leur rôle de médiateurs, ils ne remplissent plus que la partie organique des fonctions du cervelet : à savoir la tonalisation et la régularisation des mouvements de la vie végétative ; un en mot, ils essaient que les cellules sociales ne s’entredévorent pas trop. Mais ils ne savent plus faire passer dans le collectif social confié à leurs soins les forces vitales vivantes qui s’offrent pour le nourrir. C’est pour suppléer à cette lacune que furent instituées et que se fondent encore journellement les sociétés secrètes. Les amis des clergés remarqueront ici que nous ne disons pas que ces associations occultes remplissent intégralement leur fonction ; elles s’efforcent simplement, à l’insu de leurs membres et même quelquefois de leurs chefs, à combler les lacunes de la vie religieuse7.

Étudions ensuite la genèse de la société secrète au point de vue de l’homme personnel.

Le travail a été fait par Hœné Wronski. Nous nous contenterons de présenter sous une forme moins mystérieuse les schémas que donne ce géant intellectuel, en les accompagnant de quelques modestes explications.

Le principe de l’homme, d’après lui, est la réalisation finale de la liberté créée ; en outre, lui sont donnés :

un élément éleuthérique, la personnalité ;

un élément physique, l’animalité.

Ces trois éléments réagissent les une sur les autres.

La liberté agissant sur la personnalité donne l’âme.

La liberté agissant sur l’animalité donne le corps.

L’âme faisant fonction de corps développe la stase psychique.

Le corps faisant fonction d’âme, la stase somatique

À la stase psychique appartiennent le songe, la fureur ou l’enthousiasme, le ravissement.

À la stase somatique appartiennent le pressentiment, la prévision, la divination.

La première se cultive par la thaumaturgie, la seconde par le somnambulisme magnétique.

Ces principes posés, il faut voir comment se développent dans l’homme les pouvoirs d’extase, de thaumaturgie et de magie. Notons que le principe divin de liberté reste témoin impassible des mouvements coordonnés de la personne et de l’animal humain.

L’équilibre de l’organisme et du psychisme, c’est la veille.

Leur dispolarisation, c’est l’extase.

Leur dépolarisation, c’est la léthargie.

Si la veille agit sur l’extase, il y a exaltation.

Si elle agit sur la léthargie, il y a sommeil.

Quand l’homme, par suite d ’entraînements, parvient à recomposer ces quatre pôles :

Extase,

Léthargie,

Exaltation,

Sommeil,

de manière à ce qu’ils coexistent dans la veille, il est libéré de la matière, il est capable de thaumaturgie.

Le facteur de ce dernier art est l’esprit. L’homme n’est pas capable d’être à tout moment pénétré par l’esprit ; il y a donc une limitation de capacité spirituelle entre un + (prestation) et un - (privation). L’art d’utiliser ces ondes spirituelles dans toutes leurs variabilités constitue la magie. Sont compris sous ce terme : pythonisme, fascination, inspiration, prestige, enchantement, divination et magnétisme éleuthérique.

Mais l’esprit, grand facteur magique, n’est lui-même que le pôle positif de la vie, dont le pôle négatif est le néant :

Si l’homme appelle la vie dans l’esprit, il obtient l’évocation des agathodémons ; s’il appelle la vie dans le néant, c’est l’évocation des cacodémons. La conjuration de ces deux sortes de puissances amène leur collaboration (théurgie ou goétie) ; ces actes constituent la pratique du mysticisme ou de la théosophie.

Or, quelles sont les fins des associations mystiques, ou sociétés secrètes ? Ce sont :

1o Participer à la marche de la création en limitant, matérialisant, ou incarnant, si l’on peut dire, la réalité absolue par l’exercice des sentiments et des actes surnaturels ;

2o Participer en particulier sur la terre à cette marche de la création, en dirigeant les destinées de notre planète, tant religieuses et politiques qu’économiques et intellectuelles.

Voici ce qu’avance textuellement Wronski à ce sujet :

« Le but principal de l’association mystique résulte immédiatement de la détermination théorique du mysticisme, telle que nous l’avons donnée plus haut, comme consistant dans la limitation mystique de la réalité absolue, en observant que la limitation forme en général la neutralisation entre la privation et la prestation de la réalité et c’est en suivant ce but principal que les sociétés mystiques, pour prendre part à la création, cultivent les sciences et les arts surnaturels, tels que l’autopsie, la poésie télétique, la philosophie hermétique, les guérisons magnétiques, la palingénésie etc., et certains mystères de génération physique.

« Ne pouvant pratiquer ni discuter publiquement les efforts surnaturels que fait l’association mystique pour prendre part à la création, parce que, pour le moins, le public en rirait : ne pouvant non plus diriger ouvertement les destinées terrestres, parce que les gouvernements s’y opposeraient, cette association mystérieuse ne peut agir autrement que par le moyen des sociétés secrètes. Ainsi, comme on le conçoit actuellement, c’est dans la scène du mysticisme que naissent toutes les sociétés qui ont existé et existent encore sur notre globe, et qui, toutes, mues par de tels ressorts mystérieux, ont dominé et continuent encore, malgré les gouvernements, à dominer le monde.

« Ces sociétés secrètes, créées à mesure qu’on en a besoin, sont détachées par bandes distinctes et opposées en apparence, professant respectivement et tour à tour les opinions du jour les plus contraires, pour diriger séparément et avec confiance tous les partis politiques, religieux, économiques et littéraires, et elles sont rattachées, pour y recevoir une direction commune, à un centre inconnu où est caché le ressort puissant qui cherche ainsi à mouvoir invisiblement tous les spectres de la terre.

« Par exemple les deux partis politiques, des libéraux, droit humain, et des royalistes, droit divin, qui se partagent aujourd’hui le monde, ont respectivement leurs sociétés secrètes dont ils reçoivent l’impulsion et la direction ; et, sans qu’elles puissent s’en douter, ces sociétés secrètes, les unes comme les autres, sont elles-même, par l’habileté de quelques chefs, mues et dirigées suivant les vues d’un comité suprême et inconnu qui gouverne le monde.

« La condition de possibilité des œuvres mystiques consiste dans un ordre de vie élevé, que nous avons déjà mentionné plus haut, en annonçant que nous le désignerions du nom de stase vitale. Tout se réduit donc à savoir jusqu’à quel point la nature humaine, c’est-à-dire la nature de l’être raisonnable sur la terre, sur notre globe, est susceptible de rehausser sa stase vitale pour s’élever aux régions des œuvres mystiques. Et cette question décisive ne peut être résolue qu’a posteriori ou par le fait.

« Il en résulte, pour la philosophie, deux conséquences majeures. La première est que, par le pressentiment que l’homme a de cette vocation mystérieuse de sa nature, vocation qui vient d’être légitimée par la raison, il ne peut refuser absolument toute foi aux œuvres mystiques ; et que, par suite de cette disposition humaine, d’innombrables fourbes et imposteurs abusant d’une ineffable crédulité ont sans cesse trompé les hommes par de prétendues œuvres mystiques.

« La seconde conséquence, philosophique est que nulle œuvre de mysticisme, fût-elle de la moindre valeur, par exemple un simple fait de magnétisme éleuthérique, ne doit être admise comme telle qu’avec la critique la plus sévère et que, pour obvier à de grave inconvénients, il est plus profitable à la raison humaine de méconnaître les véritables œuvres mystiques, s’il en existe sur notre globe, que de se livrer à une trop grande crédulité à leur égard. »

Enfin, pour ne rien oublier, rappelons que ce n’est pas seulement parmi les intelligences d’une capacité supérieure que les sociétés se recrutent ; au contraire, la grande masse de leurs adhérents vient d’en bas, des couches profondes. La foule de ceux qui peinent pour un salaire dérisoire, des serviteurs que la nécessité soumet à des humiliations constantes, de ceux dont l’exaltation sentimentale est brutalement rabaissée à chaque pas qu’ils font dans la vie, tous essaient d’échapper à leurs douleurs ou bien par l’abrutissement volontaire, ou par la résignation que leur procurent les secours de la religion ou enfin par cette espérance de l’Impossible, par cette intuition de l’Au-delà, secret mobile de tous ceux qui s’adonnent à l’étude des sciences occultes.

Dans ce dernier cas, ils ont choisi une route encore plus dure. Ils oublieront leurs premières souffrances en se vouant à d’autres et plus cuisantes douleurs. Car le voile qui sépare l’Occulte du Patent se lève sur deux abîmes : celui de la Lumière et celui des Ténèbres. La plupart du temps, c’est dans ce dernier que les malheureux dont nous parlons seront précipités ; car les premiers hiérophantes que l’on rencontre sur la route du Temple sont des êtres de volonté, dont l’exaltation personnelle fait toute la force ; ils apprendront à leurs disciples à gouverner quelques parties du moi physique ; ils les inclineront à prendre les forces de l’égoïsme et quelquefois même celles de la passion pour les rayonnements d’une pensée soi-disant libre.

Souvenons-nous que l’action de la société secrète est liée au rattachement de ses membres à l’Invisible et que dans l’Invisible se déroule une bataille perpétuelle entre les soldats du Christ et ceux de l’Adversaire. Les événements de l’histoire mystique sont le résultat matériel des incidents de cette lutte. Il suit de là qu’à la porte de tous les appartements du Temple il y a des corrupteurs à l’affût des arrivants, et qui font tous leurs efforts pour les jeter dans la voie de gauche, par la séduction ou par la violence. Or, comme les soldats du mal sont puissants dans le royaume de l’ombre, et que les rites des sociétés secrètes s’appuient forcément sur la lumière noire, ainsi que toute magie cérémonielle, l’esprit du Christ s’est retiré peu à peu des caractères, des invocations et des pentacles. Aujourd’hui les sociétés secrètes sont, quoi qu’en disent leurs chefs, dans la période de vieillesse, tout au moins dans nos pays ; les peuples sont lentement transformés dans leurs organismes collectifs et deviennent peu à peu capables d’établir au grand jour dans leur conscience des communications avec l’Invisible. Ces développements sont destinés à s’accroître sans cesse jusqu’à l’aurore bénie où le nom du Père sera sanctifié sur la terre comme au ciel.

Il est bien entendu que tout ce que nous venons de dire s’applique aux véritables sociétés secrètes, celles dont le recrutement ne s’effectue pas par de la propagande ou des appâts matériels, mais dont, au contraire, les membres répondent, en s’y enrôlant, à l’appel d’une puissance invisible.

L’Initiation, bonne ou mauvaise, en est toujours réelle et non pas symbolique ou simplement orale. Tels sont, dans notre Occident, les centres d’illuminisme, christiques ou anti-christiques, et les fraternités orientales qui ne font pas exclusivement de la politique. La suite de cette étude montrera, dans les Rose-Croix, les défenseurs dévoués du Christ et les chefs de son Église intérieure.

6 Dr JEAN MALFATTI DE MONTEREGGIO : Études sur le Malhèse ou Anarchie et hiérarchie de la science, avec une application spéciale à la médecine, traduction de Christian Ostrowiski. Paris (A. Frank) 1849.

7 Jacob : Esquisse hermétique du Tout universel, d’après la théosophie chrétienne. Paris (Chacornac) 1902.

CHAPITRE I : LES PRÉDÉCESSEURS DES ROSE-CROIX

Avant toute chose, il faut se rendre compte d’un fait qui domine pour ainsi dire l’histoire de l’esprit humain : c’est la perpétuation de l’ésotérisme à toutes les époques et chez tous les peuples. Nous laisserons de côté ici la légende historique des Rose-Croix pour nous en occuper à la fin de la première partie de notre étude.

Dans notre Occident, à partir de l’ère chrétienne on peut distinguer, avec Papus8, trois courants traditionnels :

1o Celui du gnosticisme, continué par les Cathares, les Vaudois, les Albigeois et les Templiers, et dont le génial interprète est Dante ;

2o Celui de l’Église catholique (les moines) ;

3o Celui des initiés hermétistes et alchimistes, parmi lesquels il faut compter beaucoup de juifs kabbalistes.

Le courant maçonnique, dans ses origines, est dérivé de la fusion des gnostiques (sous leur forme templière) et des hermétistes.

Le courant rosicrucien est la synthèse des trois traditions, synthèse donnée, imposée même, mais non cherchée expressément par des écoles antérieures.

I. – Les Gnostiques

Les théories gnostiques sont des débris de l’ancien polythéisme oriental qui, lui-même, est une dégénérescence du monothéisme des Chaldéens9 et des Kabbalistes, des Brahmes et des fils de Fo-Hi, revivifiées par l’Évangile. Pour les saisir dans leur développement, il ne faut pas, comme l’ont fait les savants, les étudier à l’époque de leur chaos, pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne ; il faut attendre que le temps les ait mûries, que leurs imaginations excessives se soient flétries, que leurs aberrations se soient réduites. Leur épanouissement le plus parfait est la Divine Comédie.

Bossuet dit que c’est à l’époque où l’Église s’établit à Rome, au temps du pape Sylvestre et de l’empereur Constantin, que les Vaudois prétendaient s’être retirés de l’Église romaine, lorsque, « sous le pape Sylvestre 1er, elle avait accepté les biens corporels que lui donna Constantin, premier empereur chrétien. » Et il ajoute : « Cette cause de rupture est si vaine et cette prétention est d’ailleurs si ridicule, qu’elle ne mérite pas d’être réfutée. »10

Notons simplement, sans la qualifier, cette prétention comme la plus ancienne trace de l’attitude que les futurs Rose-Croix auront contre l’Église de Rome.

« On a multiplié les commentaires et les études sur l’œuvre de Dante, et personne, que nous sachions, n’en a signalé le véritable caractère. L’œuvre du grand Gibelin est une déclaration de guerre à la papauté par la révélation hardie des mystères. L’épopée de Dante est joaniste et gnostique ; c’est une application hardie des figures et des nombres de la kabbale aux dogmes chrétiens et une négation secrète de tout ce qu’il y a d’absolu dans ces dogmes. Son voyage à travers les mondes surnaturels s’accomplit comme l’initiation aux mystères d’Eleusis et de Thèbes. C’est Virgile qui le conduit et le protège dans les cercles du nouveau Tartare, comme si Virgile, le tendre et mélancolique prophète des destinées du fils de Pollion, était aux yeux du poète florentin le père illégitime, mais véritable de l’épopée chrétienne. Grâce au génie païen de Virgile, Dante échappe à ce gouffre sur la porte duquel il avait lu une sentence de désespoir ; il y échappe en mettant sa tête à la place de ses pieds et ses pieds à la place de sa tête, c’est-à-dire en prenant le contre-pied du dogme, et alors il remonte à la lumière en se servant du démon lui-même comme d’une échelle monstrueuse ; il échappe à l’épouvante à force d’épouvante, à l’horrible à force d’horreur. L’enfer, semble-t-il dire, n’est qu’une impasse que pour ceux qui ne savent pas se retourner ; il prend le diable à rebroussepoil, s’il m’est permis d’employer ici cette expression familière, et s’émancipe par son audace. C’est déjà le protestantisme dépassé, et le poète des ennemis de Rome a déjà deviné Faust montant au ciel sur la tête de Méphistophélès vaincu. Remarquons aussi que l’enfer de Dante n’est qu’un purgatoire négatif. Expliquons-nous : son purgatoire semble s’être formé dans son enfer comme dans un moule, c’est le couvercle et comme le bouchon du gouffre, et l’on comprend que le titan florentin, en escaladant le paradis, voudrait jeter d’un coup de pied le purgatoire dans l’enfer.

« Son ciel se compose d’une série de signes kabbalistiques divisés par une croix comme le pentacle d’Ezéchiel : au centre de cette croix fleurit une rose, et nous voyons apparaître pour la première fois, exposé publiquement et presque catégoriquement expliqué, le symbole des Rose-Croix. »11

Il résulte des consciencieux travaux d’E. Aroux que Dante a vécu en relations intimes avec des sectes gnostiques d’Albigeois ; c’est dans leur enseignement qu’il a puisé sa haine contre la papauté et l’Église de Rome, ainsi que les théories occultes que l’on retrouve à chaque ligne de son épopée. Le même érudit nous laisse entrevoir les mouvements profonds que les restes de l’Ordre du Temple provoquaient dans le peuple.

L’Enfer représente le monde profane, le Purgatoire comprend les épreuves initiatiques, et le Ciel est le séjour des Parfaits, chez qui se trouvent réunis et portés à leur zénith l’intelligence et l’amour.

Les Cathares avaient, dès le douzième siècle, des signes de reconnaissance, des mots de passe, une doctrine astrologique ; ils faisaient leurs initiations à l’équinoxe de printemps ; ils y employaient trois lumières ; leur système scientifique était fondé sur la doctrine des correspondances :

À la lune correspondait la Grammaire

à Mercure

Dialectique

à Vénus

Rhétorique

à Mars

Musique

à Jupiter

Géométrie

à Saturne

Astronomie

au Soleil

Raison illuminée ou Arithmétique

12

La ronde céleste que décrit Dante13 « commence aux plus hauts séraphins, alti serafini, qui sont les princes célestes, principi celesti, et finit aux derniers rangs du ciel. Or, il se trouve aussi que certains dignitaires inférieurs de la maçonnerie écossaise, qui prétend remonter aux Templiers, et dont Zerbino, le prince écossais, l’amant d’Isabelle de Galice, est la personnification dans le Roland furieux de l’Aristote, s’intitulent aussi princes de Mercy ; que leur assemblée ou chapitre a nom le troisième ciel ; qu’ils ont pour symbole un palladium, ou statue de la vérité revêtue comme Béatrice des trois couleurs verte, blanche et rouge, que leur Vénérable, portant une flèche en main et sur la poitrine un cœur dans un triangle, est une personnification de l’amour ; que le nombre mystérieux de neuf, dont « Béatrice est particulièrement aimée », Béatrice, « qu’il faut appeler Amour », dit Dante dans la Vita nuova, est aussi affectée à ce Vénérable, entouré de neuf colonnes, de neuf flambeaux à neuf branches et à neuf lumières, âgé enfin de quatre-vingt-un ans, multiple de neuf14, quand Béatrice est censée mourir dans la quatre-vingt-unième année du siècle. »

E. Aroux remarque entre les neufs cieux que parcourt Dante avec Béatrice et certains grades de l’Ecossisme une parfaite analogie.

Au reste, dans il Convito15, Dante déclare expressément que par ciel, il entend la science et, par cieux, les sciences, c’est-à-dire les sept arts libéraux que nous venons de mentionner en parlant des Cathares, mais entendus certainement dans un sens plus profond que l’acception habituelle.

Selon Dante, le huitième ciel du paradis, le ciel étoilé, est le ciel des Rose-Croix ; les parfaits y sont vêtus de blancs ; ils y exposent un symbolisme analogue à celui des chevaliers d’Heredom, ils y professent la « doctrine évangélique », celle même de Luther, opposée à la doctrine catholique romaine.

On verra plus loin que les Rose-Croix du commencement du XVIIe siècle étaient franchement antipapistes.

Cieux

Couleurs

GradesM\

Tachetée

Les profanes

Chevalier du Soleil

Vert, blanc, rouge

Prince de Mercy

Grand Architecte ou Noachite

Rouge et croix blanche

G Ecossais de Saint-André ou patriarche des croisades

Blanc

Chevalier de l’Aigle noir et blanc, Kadosh

Echelle d’or

« Dans les XXIVe et XXVe chant du Paradis on retrouve le triple baiser du prince Rose-Croix, le pélican, les tuniques blanches, les mêmes que celles des vieillards de l’Apocalypse16, les bâtons de cire à cacheter, symboles de discrétion, les trois vertus théologales des chapitres maçonniques, car la fleur symbolique des Rose-Croix a été adoptée par l’Église de Rome comme la figure de la mère du Sauveur, et par celle de Toulouse comme le type mystérieux de l’assemblée générale des Fidèles d’Amour. Ces métaphores étaient déjà employées par les Pauliciens, prédécesseurs des Cathares des Xe et XIe siècles. »17

Ces deux grandes écoles d’initiation, l’orthodoxe et l’hérétique, qui luttaient d’ailleurs l’une contre l’autre à grand renfort de meurtres et d’intrigues, ne laissaient pas que de se pénétrer mutuellement, à l’insu de leurs chefs, et d’échanger des théories et des lumières.

On ne sait généralement pas jusqu’à quel point le monde et l’Église profanes ont été travaillés par des courants occultes, s’il faut en croire E. Aroux, qui accumule d’ailleurs une foule de preuves de ses opinions : le catharisme avait pénétré très avant dans le clergé du moyen âge. Albert le Grand, son élève saint Thomas d’Aquin, Pierre de Lombard, Richard de Saint-Victor, saint François d’Assise, sainte Claire, le Tiers Ordre tout entier professèrent des doctrines gnostiques. « À l’origine, tel que saint François l’organisa, tel que les empereurs d’Allemagne le combattirent, le Tiers Ordre n’était pas seulement une confrérie pieuse, c’était une association gigantesque, qui embrassa toute l’Italie, puis bientôt toute la chrétienté, et dans laquelle les membres, en s’astreignant à quelques rares pratiques religieuses, s’imposaient avant tout l’obligation de travailler vigoureusement et en commun à l’œuvre politique. Et, en effet, on peut dire à bien des égards que c’est le Tiers Ordre qui a vaincu la féodalité, que c’est du Tiers Ordre qu’est sorti le Tiers État. »18

Les tentatives de fusion entre les archives doctrinales de l’antique Orient et les intuitions spontanées de la race blanche ou celtique remontent plus haut que ne semblent le dire les magistes contemporains qui ont parlé de la Rose-Croix de 1610. Dès l’origine de la culture littéraire de l’Europe on trouve les preuves les plus convaincantes de ce double courant ; les historiens les plus sérieux, Michelet et Henri Martin entre autres, ont reconnu que les romans de chevalerie sont une mine inexplorée de renseignements sur l’histoire mystérieuse de notre pays.

« Dans le Titurel, dit H. Martin, la légende du Graal atteint sa dernière et splendide transfiguration sous l’influence d’idées que Wolfram19 semblerait avoir puisées en France et particulièrement chez les Templiers du midi de la France. Un héros appelé Titurel fonde un temple pour y déposer le saint Vessel, et c’est le prophète Merlin qui dirige cette construction mystérieuse, initié qu’il a été par Joseph d’Arimathie en personne au plan du temple de Salomon. La chevalerie du Graal devient ici la Massenie, c’est-à-dire une franc-maçonnerie ascétique, dont les membres se nomment les Templistes, et l’on peut saisir ici l’intention de relier à un centre commun, figuré par ce temple idéal, l’Ordre des Templiers et les nombreuses confréries de constructeurs qui renouvellent alors l’architecture du moyen-âge. On entrevoit là bien des ouvertures sur ce qu’on pourrait nommer l’histoire souterraine de ces temps, beaucoup plus complexe qu’on ne le croit généralement. Ce qui est bien curieux et dont on ne peut guère douter, c’est que la Franc-Maçonnerie moderne remonte d’échelon en échelon jusqu’à la Massenie du saint Graal. »20

L’Église, d’ailleurs, protégea et favorisa les premiers développements du Temple et de la Maçonnerie, sans se douter qu’elle allaitait ses plus cruels ennemis.

Le concile de Troyes ne semble pas s’être occupé d’autre chose que de faire rédiger par saint Bernard la règle des chevaliers du temple sur le modèle de celle de l’Ordre de saint Benoît.

Dante, prôné par Rome comme presque saint, était, selon toute vraisemblance, un chef des Fidèles d’Amour.

Buhle, von Murr et quelques autres auteurs disent que l’Ordre des Francs-Maçons eut pour berceau l’association des maîtres constructeurs qui édifia la cathédrale de Strasbourg au commencement du quatorzième siècle. Il y eut à Ratisbonne, le 25 avril 1459, une réunion des chefs des loges éparses en Allemagne et en Hongrie ; on y élabora les premiers statuts de l’Ordre ; l’architecte de Starsbourg était le chef de toute la fraternité. Il y eut aussi des assemblées provinciales en 1464 et en 1469. Le 4 octobre 1498, l’empereur Maximilien21 prit la société sous sa protection et lui donna un privilège. Le 29 septembre 1563, les délégués de vingt-sept loges, réunis à Bâle, rédigèrent de nouveaux statuts. Il y avait alors trois grands centres, à Vienne, à Cologne et à Zurich ; l’Ordre comprenait des apprentis, des compagnons et des maîtres, avec des mots de passe, des signes de reconnaissance.

On n’a rien de précis sur l’histoire de la maçonnerie en Angleterre avant le quinzième siècle. On sait que, sous Henri VI, il y avait une Cæmentariorum societas composée d’Italiens et favorisée d’une bulle papale et que Ashmole, qui entra dans l’Ordre en 1646, le qualifie de très ancien.

II. – Moines

Le recueillement des cloîtres au moyen âge fut éminemment favorable au développement de la pensée mystique en occultiste. Les religieux qui ont laissé un nom dans l’histoire de l’ésotérisme sont nombreux : saint Thomas d’Aquin, Arnaud de Villeneuve, Albert le Grand, les Lulle, saint Bonaventure et beaucoup d’autres sont encore étudiés de nos jours comme des maîtres en la matière.

Le clergé séculier leur accordait d’ailleurs aide et protection ; les papes eux-mêmes s’occupaient de ces branches secrètes de la science.

En 1386, l’archevêque de Trèves, comte de Falkenstein, fait composer par Jean Dumbeler, Anglais, une compilation de l’Ortholain22. Est-ce un ancêtre de ce comte de Falkenstein dont Karl Kiesewetter raconte l’histoire23 ? Nous n’avons pas eu les moyens de vérifier cette généalogie.

On trouve dans la collection de Rymer un grand nombre de lettres royales assurant aux alchimistes anglais aide et protection24. Le plus ancien de ces documents est daté de 1444, sous le règne d’Henri VI, et l’un d’eux mentionne déjà le rite d’Heredom. Le lieu de réunion de ces alchimistes était, comme le confirme Georges Ripley, l’église de Westminster.

Trithème écrit, le 10 mai 1503, une lettre à Johann de Westerburg pour le prier de le défendre contre des accusations de sorcellerie. Il reconnaît avoir lu et compris beaucoup de livres de magie et de conjurations, mais déclare que toutes ces études n’ont fait qu’affermir en lui la foi chrétienne.

Le Colloquim spiritus mercurii cum fratre Alberto Bayero sive Bauaro, monacho carmelitano, imprimé à la suite de la Lucerna salis philosophorum secundum mentem Sendivogil, geberi et aliorum, Amsterdam 165825 prouve encore que les moines s’occupaient avec zèle d’alchimie ainsi que de conjurations, à cause des exorcismes, comme l’auteur l’a vu en Espagne et en Italie.

Lucerna a tous les caractères d’un ouvrage rosicrucien ; on y parle de vieux livres égyptiens qui pouvaient être simplement des manuscrits, comme l’ouvrage de Zozime le Panopolitain dont Anatole France a rajeuni le nom dans la Rotisserie de la Reine Pédauque.

Enfin l’organon mystique de l’enseignement chrétien résume ses plus merveilleux efforts dans le livre splendide de l’Imitation de Jésus-Christ que les Rose-Croix de 1614 prendront comme leur bréviaire et proposeront à leurs néophytes comme un guide infaillible. Ces adeptes affirment ainsi leur créance au Verbe fait chair, leur synthétisme permanent et la notion expérimentale qu’ils possédaient du rôle de Notre Sauveur comme chef et centre de tous les mondes.

III. – Hermétistes

Eliphas Lévi pense que le Roman de la Rose et le poème de Dante sont deux formes opposées d’une même œuvre : l’initiation à l’indépendance intellectuelle, la satire des institutions contemporaines et la formule allégorique des grands secrets de la société rosicrucienne. « Ces importantes manifestations de l’occultisme coïncident avec l’époque de la chute des Templiers, tandis que Jean de Meung et Clopinel26, contemporains de Dante, florissaient à la cour brillante de Philippe le Bel27. Le Roman de la Rose est le poème épique de l’ancienne France ; c’est une œuvre profonde sous des dehors triviaux ; c’est une exposition des mystères de l’occultisme aussi savante que celle d’Apulée. La rose de Flamel, celle de Jean de Mung et celle de Dante fleurissent sur le même arbre. »

On a des raisons de penser qu’il existait à cette époque, en Italie, une société de physiciens, un rex physicorum devant quelques membres de laquelle Lulle teignit du mercure vulgaire28. D’autre part, Arnaud de Villeneuve a été en relations suivies avec Robert, roi de Naples et comte de Provence et, Raymond Lulle étant son principal disciple, il n’est pas invraisemblable de supposer quelques rapports entre cette société de physiciens et Arnaud. Or, Lulle l’avait rencontré à Rome en 1288 ; le médecin provençal s’était abouché avce les fraternités pythagoriciennes de Naples29, et il avait effectué à Rome, en 1288, une transmutation célèbre. Il resta à Naples avec Lulle de 1309 à 1311. On pourrait donc trouver fort bien là l’origine des méthodes pythagoriciennes et de tendances alchimiques de la Rose-Croix.

D’ailleurs, on remarque dans le Lullius redivivus denudatus oder neu belebter und grünlich erkläter Lullius30 plusieurs passages faisant mention d’associés. Comme chacun sait, les couvents fournissent un grand nombre de philosophes hermétiques. Semler en cite quelques-uns : les moines de Saint-Bertin, Basile Valentin, le prieur de Walkenried31, dom Gilbert, surnommé Abbas Aureus (1264), l’abbé Alelmus I, Albert le Grand. Les Avantures du Philosophe inconnu à la recherche et en l’invention de la pierre philosophale32 parlent d’un congrès de douze alchimistes, parmi lesquels deux bénédictins. Le Chymischen unterirdischen Sonnenglanz33 raconte la même chose. Denis Zachaire travailla, au seizième siècle, avec un abbé. Trithème est trop connu pour que nous parlions de lui ; Albertus Bayer donne le récit détaillé de ses travaux en collaboration avec son abbé, vers la fin du seizième siècle.

Cardiluccio34, Jean Lasnier, vers 1448, jean de Pavie (ou Ticinensis), à la même époque, s’élèvent contre une société chimique qui publie des livres pour ses seuls élèves : les mots y sont détournés de leur signification et la véritable voie n’y est point indiquée. Dans le même tome III du Theatrum chymicum latin35, un traité anonyme36 fait mention d’un parlement philosophique ou hermétique en France, dont l’auteur était membre, et qui fonctionnait vers le milieu du quinzième siècle.

En 1586 se réunit à Lunéville une militia crucifera evangelica qui semblait n’être qu’une secte protestante37. On la connaît par l’œuvre d’un théosophe inconnu : Naometria, seu nuda et prima Libri intus et foris scripti per clavum Davidis et calamum Virgæ similem apertio38. Il s’agit ici de la mesure du temple mystique, du livre écrit à l’intérieur et à l’extérieur : l’auteur parle de la Rose, de la Croix, du renouvellement de la terre, de la réforme générale.

Dans la Thesaurinella chymica aurea tripartita de Benedict Figulus39, dédié à l’empereur Rodolphe II, on trouve, après des éloges variés sur les maîtres de l’alchimie, que Bernard le Trévisan, qui florissait vers 1453, a connu en Italie quatorze ou quinze philosophes, possesseurs de la pierre, formant une société.

Ce même Figulus, dans la troisième partie de cet ouvrage, a écrit une élégie dédiée à Jean-Baptiste de Seebach, alchimiste, dans laquelle il prophétise, après Paracelse, la venue D’ELIAS ARTISTE (constituet regimen Christus in orbe nouum).

Semler, à qui nous empruntons ces renseignements, se lance ici dans une parenthèse naïve sur la signification de ces mots qui terminent le titre de l’opuscule en question : Sub regimine vero gubernatoris olympici, Angeli Hagith, anno centesimo XCVII, etc. Hagith n’est pas le nom symbolique d’une fraternité secrète, mais simplement le nom d’un génie planétaire, ainsi qu’on peut le voir dans la Magie d’Arbatel, que nous étudierons ultérieurement.

8Traité méthodique de science occulte. Paris (Georges Carré) 1891.

9 Les Chaldéens n’étaient pas un peuple, mais l’ensemble des corps savants de Babylone.

10Histoire des variations des Églises protestantes, livre XI.

11 ELIPHAS LÉVI : Histoire de la Magie. Paris (Germer Baillière) 1860 p. 358, 359.

12 E. AROUX : La Comédie de Dante, traduite en vers selon la lettre et commentée selon l’esprit ; suivie de la clé du langage symbolique des Fidèles d’Amour. Paris (Renouard) 1856, 2 vol.

13Paradis, ch. VIII.

14Light on Masonry p. 250 ; et VUILLIAUME : Manuel maçonnique. 1830. Cités par E. AROUX : La Comédie de Dante.

15 t. II ch. XIV.

16 Ch. VII.

17 CHARLES SCHMIDT : Histoire et Doctrine de la Secte des Cathares ou Albigeois. Genève 1848. Voir également, du même auteur : Plaintes d’un laïque allemand du XIVe siècle sur la décadence de la chrétienté. Strasbourg 1840.

18 FRÉDÉRIC MORIN : Saint François et les Franciscains, p. 72. Cf. Les livres de Paul Sabatier et de Jörgensen consacrés à saint François.

19 Le templier souabe Wolfram d’Eschenbach, auteur de Porceval, imitateur du bénédictin satirique Guyot de Provins.

20 HENRI MARTIN : Histoire de France, t. III, p. 398.

21 Etudier, au point de vue symbolique, la suite des planches d’Albert Dürer : Le Triomphe de Maximilien.

22 L’ouvrage le plus important de cet alchimiste célèbre est intitulé : Pratica vera alchimica. 1338 (in Theatrum chymicum.)

23 KARL KIESEWETTER : Histoire de l’Ordre de la Rose-Croix dans l’Initiation (Juillet 1898).

24Rymeri fœdera, 3e éd. La Haye 1741, tome V, part. I et II, p. 136. (D’après SEMLER III, p. 2).

25 D’après LANGLET DU FRESNOY : Histoire de la Philosophie hermétique. Paris (Coustellier) 1742, t. III, p. 210 et 298, l’auteur serait Jean Harprecht, de Tubingue.

26 Relevons, en passant, une erreur : Jean de Meung et Clopinel sont un même personnage.

27 On trouve d’ailleurs dans ce poème des concordances remarquables avec la théosophie de Te et du Kang-Ing de Lao-Tzeu. Faut-il rappeller que Philippe le Bel fut en correspondance avec Argoun, vice-roi occidental du célèbre Koubilaï, premier empereur mongol de la Chine.

28 On trouve, en effet, dans les œuvres de Raymond Lulle, le passage suivant : « Et procerto, in præsentia et voluntate certorum sociorum argentum vivum vulgare congelavimus, per suum menstruale ; et allasi, uni de sociis nostris, in cuius eramus socletate, expresse, quasi ad duas Leucas prope Neapolim. In quo loco, in præsentia phisici Regis, et unius fratris de sancto Iohanne de Rhodis et Bernardi de la Bret, et aliorum, congelari fecimus argentum vivum, per suam menstrualem naturam. Et quamvis hoc vidissent, et manifeste palpassent, tamen scire non potuerunt quid esset ; nisi simpliciter solummodo, et rustico more, regia majestate salua. Et si realiter ac philosophice cognoscere potuissent, per speculationem intellectivæ virtuitis dictum menstruale ac suas virtutes : artem atque scientiam absque dublo habuissent, prout dicti socii ; qui per nos multum bene intellexerunt manifeste, et habuerunt, etc. » in Theatrum chimicum precipuos Selectorum auctorum Traciatus de Chimia et de Lapidis Phisici compositione, continen. Strasbourg 1613-1622 – vol. 4, p. 139.

29 MARC HAVEN : La vie et les œuvres de maître Arnaud de Villeneuve. Paris (Chamuel) 1896.

30Theatrum chimicum, 4e partie.

31 Manuscrit de 1430 sur les propriétés de l’Elixir.

32 Paris 1674. D’après ANT.-ALEX. BARBIER : Dictionnaire des ouvrages anonymes. Paris (Paul Daffis) 1872, t. I col. 343, l’auteur de ce traité serait dom Albert Belin, bénédictin et évêque de Bellay.

33 Francfort et Leipzig, 1728, p. 265 et suiv.

34Magnalia mediochymica continuata. Nuremberg 1680, p. 425.

35Tractatus secundus aureus de lapide philosophica in Theatrum chymicum latin, p. 657, 818 et suiv.

36Antiqui philosophi galli Delphinatis anonymi, liber secreti maximi totius mundanæ Gloriæ.

37 BUHLE : op. cit. p. 119.

38 1604. Voir à ce propos une notice parue dans le Wirtembergisches Repertorium des Literatur. Stuttgart 1783. III, p. 323 et suiv. Et aussi CHRIST. GOTTI. VON MURR : Abhandlung über den wahren Ursprung des Rosenkreuzer-und des Freymaurerordens. Sulzbach 1803. – L’auteur de ce traité serait Simon Studion.

39 Terminé à Haguenau le 3 octobre 1607 et publié à Francfort-sur-le-Mein en 1608.

CHAPITRE II : ORIGINE DES ROSE-CROIX

Récapitulons les sources de la tradition occidentale vers le seizième siècle :

1o Les Gnostiques (Kabbale et Mazdéisme informés par l’Évangile) ;

2o Docteurs de l’Église catholique ;

3o Alchimistes (étudiant la Nature) ;

4o Kabbalistes espagnols ;

5o Traditions autochtones (légende du Graal), ou druidiques ;

6o Courant arabe.

La manifestation de la Rose-Croix latente va donner la magnifique synthèse de tous ces courants Nous sommes personnellement certain que cette Fraternité existait tout au moins dès l’ère chrétienne Nous allons donner les présomptions historiques que nous avons pu recueillir

Voici ce que dit l’auteur anonyme d’une étude parue dans Le lotus bleu (27 septembre 1895) :

« Les Rose-Croix ont formé et forment peut-être encore la Fraternité la plus mystérieuse qui se soit jamais établie sur le sol occidental ; nul homme au monde n’a connu consciemment un vrai Rose-Croix, et la torture à laquelle l’Église a mis parfois quelques-uns de leurs membres n’a arraché de leurs lèvres que quelques trompeuses confessions.

« Les Druzes initiés forment encore une fraternité secondaire, à laquelle appartiennent certains Occidentaux ; mais leur champ d’action est limité à l’Asie Mineure, à l’Arabie et à l’Abyssinie. »

Mackenzie parle en ces termes de la Fraternité hermétique d’Égypte dans son Encyclopédie : « Il est une Fraternité qui s’est propagée jusqu’à nos jours et dont l’origine remonte à une époque très reculée. Elle a ses officiers, ses secrets, ses mots de passe, sa méthode particulière dans l’enseignement de la science, de la philosophie et de la religion… Si l’on en croit ses membres actuels, la pierre philosophale, l’élixir de vie, l’art de se rendre invisible, le pouvoir de communiquer directement avec l’autre monde seraient une partie de l’héritage de leur société. J’ai rencontré trois personnes seulement qui m’ont affirmé l’existence actuelle de cette corporation religieuse de philosophes, et qui m’ont laissé deviner qu’ils en faisaient partie eux-mêmes. Je n’ai pas eu de raison de douter de leur bonne foi. Ils ne paraissaient pas se connaître, ils avaient une honnête aisance, une conduite exemplaire, des manières austères, des habitudes presque ascétiques. Ils me parurent âgés de 40 à 45 ans, posséder une vaste érudition… avoir une connaissance parfaite des langues… Ils ne demeuraient jamais longtemps dans le même lieu et s’en allaient sans attirer l’attention. »

Paul Lucas40 rencontra, à Bournous Bachy, un groupe de quatre derviches qui faisaient partie d’une Fraternité orientale et qui l’étonnèrent énormément. Ils habitaient la mosquée et attendaient, à ce rendez-vous, les trois autres compagnons qui complétaient ce groupe. Ils parlaient également bien toutes les langues des nations civilisées ; ils paraissaient âgés d’une trentaine d’années, mais leur érudition, leur science encyclopédique semblaient attester une vie de plusieurs siècles. La chimie, l’alchimie, la kabbale, la médecine, la philosophie, les religions leur étaient prodigieusement familières ; l’un d’eux, avec qui Lucas s’était plus particulièrement lié, lui assura que la pierre philosophale permettait de vivre un millier (?) d’années. Il lui raconta l’histoire de Nicolas Flamel, qu’on croyait mort et qui, disait-il, vivait aux Indes avec sa femme. À travers ces quelques exagérations on peut reconnaître que Paul Lucas s’était trouvé en contact avec des Initiés.

« Dans le Theatrum chemicum (éd. de 1613, p. 1028), un évêque de Trèves, le comte de Falkenstein, est nommé, au seizième siècle, Illustrissimus et serenissimus princeps et pater philosophorum. Or, il était un officier supérieur des Rose-Croix, ainsi qu’il résulte du titre d’un manuscrit actuellement en ma possession, et que voici : Compendium totius philosophiæ et Alchymiæ Fraternitatis Roseæ Crucis, ex mandato Serenissimi Comitis de Falkenstein, Imperatoris nostri, anno Domini 1574.

« Ce manuscrit contient des théories alchimiques dans le sens de ce temps et une collection de procédés précieux pour la connaissance de l’Alchimie pratique. Il ne faudrait pas y chercher une philosophie ou théosophie dans le sens attribué de nos jours à ces termes ; le mot Philosophia n’y est pris que dans l’acception d’Alchimia ou de Physica. Toutefois, ce manuscrit offre encore un intérêt historique particulier en ce que ce comte Falkenstein y est pour la première fois désigné par ce titre d’Imperator, qui devait subsister à travers les siècles, et surtout parce que la dénomination de Fraternitas Roseæ Crucis y apparaît pour la première fois aussi. Il est vraisemblable que la Fraternité secrète des Alchimistes et des Mages avait consacré sa dénomination par le symbole, si fréquent dans ce temps, de Rosaria comme l’écrivaient Arnaud, Lulle, Ortholain, Roger Bacon et d’autres encore. C’est celui qui est figuré par la Rosace, où la plénitude de la magnificence s’ajoute au symbole de la foi chrétienne : la Croix. »41

Buhle affirme que les Thérapeutes et les Esséniens furent les véritables ancêtres des Rose-Croix ; le néo-platonisme d’Alexandrie, conservé par les Arabes, aurait également eu une part prépondérante dans leur doctrine. La philosophie de l’Islam exerçait, il faut le reconnaître, vers la fin du seizième siècle, époque où fut constituée la légende de Rosenkreutz, sur les amants du mystère la même attraction que fait aujourd’hui la philosophie de l’Inde. Cette remarque prend beaucoup de vraisemblance si l’on se rappelle qu’à cette époque des relations de voyages aux pays musulmans avaient pu donne l’éveil à des esprits curieux ; l’étude de la langue et de la philosophie arabes était même inscrite aux programmes de la science officielle. Un phénomène identique s’est reproduit, en particulier chez les Anglo-Saxons, depuis une vingtaine d’années, à propos des mystérieux Mahatmas du Thibet.

Il faut noter ici, quant à l’origine de la Rose-Croix sous sa forme moderne, que les Noces chymiques42 disent qu’en 1459 Chr. Rosenkreutz obtint la Toison d’or. C’est le premier signe de la tendance qu’ont montré les Rose-Croix jusqu’au dix-huitième siècle.

Il est parlé de la Toison d’or dans les Noces chymiques (p. 44 et 45) à côté d’un Lion volant. Au dix-huitième siècle les Rose-Croix ont encore essayé de se confondre avec l’Ordre bourguignon, ainsi qu’en témoigne le livre intitulé Wasserstein der Weysen43. Hermann Fictuld a fait imprimer l’Aureum Vellus44 avec son traité Azoth et Ignis45 pour confondre l’Ordre de Chevalerie fondé en 1430 avec le secret de l’or potable. Un peu plus tard, Semler aurait pu lire comment le bénédictin Pernety explique alchimiquement la conquête du Jason. Cette explication se trouve déjà, d’ailleurs, dans Paracelse.

Enfin Aloisius Marlianus a laissé un traité alchimique appelé Aureum Vellus46.

Dans le livre de Naturæ secretis quibusdam ad Vulcaniam Artis chymiæ ante omnia necessariis47 on trouve à la dernière page la mention : Datum inter Toringam et Cemanam sylvam post Salvatoris nativitem 1617 ; et, à l’avant-dernière page, la requête aux Frères de rompre leur silence, de se montrer compatissants envers les gens de cœur et, en particulier, de publier ce catalogue de « livres pseudo-chimiques » dont il est parlé dans la Fama, que Christian Rosenkreuzt avait promis, 188 ans auparavant, de donner.

Si l’on retranche, de 1618, 188 ans, on trouve 1430, date de la fondation de l’Ordre de la Toison d’or.

Le nom même de la Toison d’or, aureum vellus en latin, goldenes Vlies en allemand, peut facilement devenir goldener Fluss, or liquide ou potable.

Semler48 suppose qu’un signe se trouvant dans les Noces chymiques, page 89, indique la période de 1420 à 1520, où vécut Paracelse.

Le même auteur pense que la légende rosicrucienne date du quinzième siècle et qu’elle a emprunté à un chevalier de l’Ordre de la Toison d’or son nom de Rosenkreutz, opinion que confirme la fameuse inscription du caveau : Post CXX annos patebo, car, en déduisant 120 ans de 1613, on se trouve reporté au temps de Paracelse. De sorte, conclut-il, qu’une société rosicrucienne existait en Italie vers 1410, une dans les Flandres vers 1430 et une en Allemagne vers 1459 ; il y aurait eu un Caspar Rosenkreutz érudit, auteur des Noces chymiques, et un Christian réalisateur. L’Elucidarius major49 et l’Elucidarius chimicus50 de Ratichs Brotoffer auraient été composés pour fondre les deux légendes.

C.-J. Fortuijn51 affirme qu’il y avait des Rose-Croix dès 1484 au Sleswig. Kazauer fait remonter l’origine des Rose-Croix entre 1570 et 1580. Michel Maïer donne la date de 141352.

Il y eut ainsi des essais, des ébauches de Rose-Croix, premiers efforts vers l’idéal d’une société secrète, c’est-à-dire d’une assemblée où soient réunis les types les plus purs de la science et de sainteté.

Les écrits de Denis Zachaire, qui ont été souvent reproduits dans le Petit Paysan53 et dans d’autres livres allemands, font une mention détaillée des protecteurs de l’alchimie en France : la reine de Navarre, le cardinal de Lorraine, le cardinal de Tournon, comme du grand nombre de tromperies auxquelles ces recherches donnaient lieu.

Barnaud54, avant de publier ses appels en faveur des Rose-Croix, avait voyagé pendant quarante ans, c’est-à-dire depuis 1560, en Espagne et dans presque tous les pays d’Europe, comme médecin, recherchant les amateurs de chimie, pour les entretenir de ses projets en les trouvant parfois jusque sur les trônes. Ainsi Semler55 affirme que, dès 1575, l’électeur de Saxe, Auguste, connaissait le procédé de la transmutation. Barnaud cite, comme s’intéressant à ces études, le chef du Saint-Empire, le duc de Bavière, Frédéric, duc de Wurtemberg ; Henri Jules, duc de Brunwick ; Maurice, landgrave de Hesse ; et d’autres seigneurs de l’ordre temporel comme de l’ordre spirituel. Reinhard cite en 160656, parmi les protecteurs des alchimistes, Frédéric, duc de Wurtemberg ; Maurice, landgrave de Hesse, et, en 1608, l’empereur, l’électeur de Cologne et le duc de Brünswick.

Ægidius Gutman, qui vécut en Souabe, à Augsbourg, de 1490 à 1584 et qui avait écrit dès 1575 deux énormes in-quarto intitulés Offenbarung der göttlichen Majestät57 passe pour avoir été un Rose-Croix. Gottfried Arnold58 l’affirme, sur le témoignage de Brecklingius.

Thomas a Kempis, Matthia Kornax, Wigelius, Geber, Lulle, Arnaud de Villeneuve, Paracelse auraient également appartenu à cette fraternité.

D’après Johann Heinrich Cohausen59, l’alchimiste Artephius, qui vécut plus de trois cents ans, est le patron des Rose-Croix ; il eut pour maître Bolenus.

Ludwig Conrad Montanus (von Bergen)60 raconte qu’il a connu les premiers Rose-Croix, qu’il a souvent assisté à leurs réunions et qu’il a été renvoyé de chez eux, en 1622, à Haag, pour un motif futile. Ils l’avaient induit en erreur pendant trente ans ; leurs Noces chimiques ne sont qu’un tissu de mensonges. Si nous ne nous occupons que du point de vue historique, il résulte de ce passage que Montanus a commencé à travailler avec les Rose-Croix en 1592, qui est l’époque où Barnaud était dans les Pays-Bas. La Société d’Isaac le Hollandais serait ainsi la mère de la Société germanique. Hermann Fictuld dit dans le même sens61 qu’ « après la mort du duc Charles de Bourgogne, les possesseurs du grand secret se retirèrent avec leur haute science, et qu’alors un nouvel Ordre fut fondé par les détenteurs de la science hermétique, sous le nom de Société ou Fraternité des Rose-Croix d’Or, nom qui a été conservé jusqu’à ce jour. »62

Von Murr a eu entre les mains une correspondance chimique antre Crollius, Zatzer, Scherer et Heyden, chambellan de l’empereur Rodolphe II, s’étendant de 1594 à 1596. On y fait mention d’aucune société rosicrucienne63. Cela prouve simplement soit que ces chimistes n’ont pas connu de société semblable, soit qu’en connaissant une, ils n’ont point voulu en parler.

À la même époque, Agrippa écrit :

« Il existe aujourd’hui quelques hommes remplis de sagesse, d’une science unique, doués de grandes vertus et de grands pouvoirs. Leur vie et leurs mœurs sont intègres, leur prudence sans défaut. Par leur âge et leur force ils seraient à même de rendre de grands services dans les conseils pour la chose publique ; mais les gens de cour les méprisent, parce qu’ils sont trop différents d’eux, qui n’ont pour sagesse que l’intrigue et la malice, et dont tous les desseins procèdent de l’astuce, de la ruse qui est toute leur science, comme la perfidie leur prudence, et la superstition leur religion. » (Cité par Fludd)

Dans l’édition de Leipzig, 1658, de l’Aperta Arca arcani artificiosissimi64, etc. on trouve deux réponses des Rose-Croix à leurs disciples. Le livre luimême est rosicrucien. La première partie du Petit Paysan est datée du 9 juillet 1598. De toutes ces conjectures Semler tire la conclusion que dès l’an 1597 une société de savants pris dans toutes les classes de la société s’est constitue, que les membres s’en sont partagé la besogne pour écrire des livres de magie, de polémique, d’alchimie ou de théosophie.

D’autre part, si nous lisons le Prodromus Fr. R. C.65 page 3 et 4, nous y trouvons une théorie de l’indication d’un nouveau commentaire sur la Genèse que les frères se proposent de publier, dans lequel on expliquera quelle est la matière des cieux et de l’univers, de quelle façon l’eau s’est coagulée etc… ; toutes choses qui sont expliquées dans le livre de Gutman.

Le chimiste Johann Schaubert, de Nordhausen, dans la préface d’un livre édité par lui en 160066, parle de vagabonds trompeurs, d’alchimistes indignes, de blancs-becs, qui veulent se rassembler et qui prétendent lui avoir appris ce qu’il sait, tandis qu’il a des lettres d’eux à lui, datées de 1590. il termine en louant Paracelse et Léonhard Thurneisser, Semler67 pense que ces « blancsbecs » désignent les Rose-Croix.

D’autre part, Julius Sperber, d’Anhalt-Dessau, auteur de l’Echo der von Gott erleuchteten Fraternität68 imprimé en 1620 à Dantzig, date la première préface du 1er