Incendie sur la prairie - Zachary Comeaux - E-Book

Incendie sur la prairie E-Book

Zachary Comeaux

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Beschreibung

Un recueil de nouvelles qui retracent l'histoire de l'osthéopathie.

Une série de 23 nouvelles historiques et richement documentées vous permettra de vous asseoir à côté du vieux docteur Still, fondateur de l’ostéopathie. Là, vous vivrez l’évocation de son quotidien, de sa pensée, de son enfance et de ses relations à ses contemporains. Vous partagerez sa vision politique et philosophique, ainsi que son approche de l’enseignement de l’ostéopathie : l’anatomie, la physiologie, Littlejohn et les autres... Enfi n, vous suivrez les grandes étapes du combat et de l’essor de l’ostéopathie comme nouveau concept de la santé, aux États-Unis puis en Europe.
23 nouvelles historiques sur la vie du Dr Still, l'American School of Osteopathy et le développement de cette nouvelle thérapie aux USA et en Europe.

Cette approche romancée est une voie ludique pour aborder l’histoire de Still, personnage haut en couleur, et pour appréhender les grands combats qui ont marqué les débuts de l’ostéopathie.

EXTRAIT

Still s’avança sous le porche, enfila son chapeau et s’assit sur la dernière marche pour resserrer les lacets de ses bottes. Puis, rajustant son chapeau, il prit sa canne, se leva et retourna vers le dispensaire.
Les conversations du matin avaient fait remonter bien des souvenirs et d’autres continuaient d’affluer. Il se rappela l’époque de son adolescence au Missouri, avant le déménagement vers le Kansas en 1953. Accompagnant son père, il essayait d’apprendre quelques bribes de médecine en feuilletant de temps en temps l’exemplaire du New domestic physician, or Home book of Health de Gunn que possédait son frère Edward. L’ouvrage suivait les colons partout, parfois pour une utilisation divertissante, parfois pour des études plus sérieuses. Still se rappelait le mélange de médecine populaire et d’utilisation aveugle de produits chimiques agressifs. Les soirs d’hiver, après diner, lorsque Martha tricotait près du feu, le petit Drew jetait un coup d’œil furtif aux livres d’Edward, grappillant dans ces pages ce qu’il pouvait.
Il apprit également qu’une arme à feu pouvait servir à autre chose qu’à se nourrir, comme se défendre contre la pression politique, par exemple. Le jeune homme gardait tout cela en tête pour améliorer son adresse au tir et ses talents de cavalier.

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Seitenzahl: 453

Veröffentlichungsjahr: 2018

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Couverture

Page de titre

NOTES DE L’ÉDITEUR ET CONVENTIONS

Cet ouvrage fait référence à l’histoire des États-Unis d’Amérique et met en scène des personnages qui ont jalonné l’histoire de ce pays, de l’ostéopathie ou de la vie du Dr A.T. Still lui même.

Afin de faciliter la lecture et la compréhension de cette traduction, nous avons fait le choix de marquer certains noms propres d’un astérisque (*) qui renvoie en fin d’ouvrage à l’index des noms propres. Des notes de bas de page viennent ponctuer la lecture afin de donner un éclairage spécifique. Enfin, une chronologie de la vie de Still se trouve à la fin de cet ouvrage afin de donner au lecteur des repères pratiques.

L’ensemble de ces annotations, index et chronologie est le fruit du travail de Pierre Tricot, traducteur de la première édition de ce roman et traducteur incontournable de la littérature ostéopathique. Par ces quelques lignes, nous tenons à lui rendre hommage et nous le remercions pour son apport. Sans lui ce projet de traduction n’aurait pas vu le jour.

Cet ouvrage est dédié à mes maîtres à penser :

Andrew Still, William Sutherland, Robert Fulford,

Anthony Chila et David Patriquin,

ainsi qu’à mon épouse si patiente, Linda.

INTRODUCTION

Difficultés et aubaines de la frontière (1) américaine, adversité et désolation de la guerre de Sécession, inventivité du désespoir, romance ; voilà qui rythmait la vie d’Andrew Still, l’homme qui a élaboré l’approche ostéopathique de la médecine.

L’Amérique contemporaine est mondialement connue pour vouloir être à la pointe de la technologie moderne et pour sa conception de la République démocratique. Nous oublions cependant d’autres contributions importantes de la culture américaine au monde, comme l’exploitation commerciale de l’électricité, l’automobile ou encore les télécommunications. L’ostéopathie en tant qu’approche holistique de la santé fait également partie de cette contribution américaine au monde.

Quelques lecteurs peu familiers du Dr Still pourront être surpris par certaines idées, certains discours ou thèmes développés dans cette histoire. Certes, ce genre littéraire permet quelques libertés, mais nous avons été particulièrement attentifs à demeurer fidèles à la personne de Still ainsi qu’à l’authenticité de ses propos et de ses actes. La plupart des situations et dialogues sont directement tirés d’une étude très méticuleuse de son Autobiographie, des premiers numéros du Journal of Osteopathy, de notes d’étudiants tels qu’Ernest E. Tucker* et Arthur Hildreth*, mais aussi des manuscrits personnels de Still, consultables au musée de la médecine ostéopathique de l’Université A.T. Still (A.T.S.U. – Museum of Osteopathic Medicine). Les observations et recherches d’autres auteurs ont également été consultées. La liste de ces sources est proposée en annexe du présent ouvrage. Par ailleurs, les dialogues reposent, dans la mesure du possible, sur des discours enregistrés, ceux du domaine public étant souvent directement cités. Si, en tant que lecteur, vous sentez naitre un quelconque désaccord par rapport à un nom, un événement ou une tournure de dialogue, je vous invite à effectuer quelques recherches ou à contacter le personnel du musée ; vous risquez d’être surpris.

Progressivement, une vision stéréotypée de Still a émergé, le présentant comme un excentrique intelligent et obstiné, rustre et à moitié illettré. Non seulement cette vision fait insulte à l’homme, mais elle tend également à nous éloigner de ce qui constitue son génie. Mon but n’est pas de placer Still sur un piédestal, mais plutôt de le replacer dans son contexte historique et intellectuel pour le présenter comme quelqu’un de perspicace ayant contribué de manière profonde et positive au perfectionnement de la culture médicale occidentale.

Mon intention ici n’est pas d’ériger un monument à la gloire d’un défunt. En décrivant sa vie, j’essaie d’encourager une jeunesse rêveuse, intellectuelle et novatrice à perpétuer son audace, ses efforts et ses idéaux qui font partie intégrante d’une tradition vivante de bienveillance, de courage, et d’expérimentation, le tout visant à poursuivre la recherche de la Vérité sur notre nature profonde. Ceux qui ont connu la pensée originale de Still peuvent la propager, parce qu’ils se rendent compte du prix humain qu’elle implique.

La santé n’est pas une disposition statique, mais un processus dynamique. Les soins médicaux, envisagés au niveau culturel, sont également un processus dynamique. Une partie de cette dynamique en médecine, tout comme en ostéopathie, est sous-tendue par la passion. Et c’est ainsi qu’en ostéopathie, la science, en tant que connaissance, se mêle sans cesse aux aspirations de l’esprit humain. Tout cela transparait dans le contexte des personnalités individuelles comme dans les exigences au niveau des relations humaines.

Tout comme nous le sommes aujourd’hui, Still était tributaire d’un contexte historique l’obligeant à exprimer sa plus profonde expérience en termes compatibles avec le langage de son temps. L’expression n’est pas l’expérience. Il utilisa le langage le plus complet possible (Esprit de Dieu, philosophie, ensemble corps-esprit, homme en tant que machine, et biogène (2)) pour tenter de transmettre au mieux son expérience intime. Mais à l’instar du verre qui perd sa fluidité et se fige lorsqu’il refroidit, l’expression fige ou limite les intuitions et les aventures phénoménologiques d’un esprit vif. Toute sa vie, Still, comme la plupart des auteurs et enseignants, dut composer avec cette tension. Pour Still, cette dichotomie fut aggravée par l’hostilité dans laquelle ses idées se développèrent au sein d’une institution étendue à l’échelle internationale. Ce récit, conçu comme une fiction, tente de capturer cette tension sans cesse présente dans la vie de ce grand humaniste, génie et penseur, ainsi que de la profession qu’il a créée.

Au fur et à mesure que le projet se développait, j’ai dû faire attention à bien négocier les intrusions de mes propres attitudes ou expériences, chose impossible à éviter tant elles constituent l’apport caché de tout auteur, même d’une fiction historique. Je me rends compte que dans ma vie consciente, je partage avec Still la poursuite d’une compréhension mystique de la Nature. Dès le commencement de mes années d’étude ostéopathique, voilà maintenant plus de 25 ans, la lecture de son Autobiographie m’a connecté à Still. J’ai transféré cette attitude de quête et de perception subtile dans ma pratique clinique. Il me semble finalement que mon expérience est naturellement proche de celle de Still ; mon “interprétation” peut donc se voir plutôt comme une partie commune que comme une simple projection. Sa validité lui est inhérente. L’expérience de l’épilogue reflète ma lecture de l’ouvrage de Still Recherche et pratique au sommet d’une montagne de West Virginia lors d’une vivifiante nuit d’octobre, il y a bien longtemps.

De toute manière, mes amis, l’ouvrage est ce qu’il est. Je souhaite qu’il permette à l’ostéopathe d’approfondir son point de vue sur la position que nous partageons. Au lecteur qui ne connait rien à l’approche ostéopathique de la médecine, j’espère qu’il permettra d’entamer une recherche vers cette approche du soin.

Le 27 septembre 2007

Lewisburg, West Virginia

1 Frontière, Frontalier : Dans la culture américaine, le mot “frontière” ne signifie pas seulement une limite, entre deux pays par exemple, mais plus généralement, une limite atteinte dans un domaine particulier, ici la colonisation. Les territoires atteints n’étaient pas à proprement parler des pays différents, mais des régions non colonisées généralement occupées par différentes tribus indiennes.

2 Biogène : Ce mot, imaginé par Elliot Coues (1842-1899), correspond en partie à l’application du concept vitaliste à l’ostéopathie. Le vitalisme est une doctrine biologique selon laquelle les êtres vivants, aussi simples soient-ils, se distinguent des entités non vivantes par la manifestation d’une “force vitale” ou “principe vital” non réductible à des lois physiques et chimiques. Les vitalistes n’attribuent pas nécessairement la force vitale à l’action d’un Créateur divin. Still, en revanche, insiste tout au long de son œuvre sur la filiation divine de l’Homme, en bon méthodiste qu’il était.

I LE RENDEZ-VOUS

Ce matin-là, mardi 2 mai 1899, John Freeman remontait Harrison Street, à Kirksville, dans le Missouri. Le soleil matinal faisait luire le pommeau poli de sa canne. Beaucoup d’attelages circulaient dans la rue, aujourd’hui particulièrement animée. Bouillant d’impatience, lissant le côté de sa veste, il tira de la poche de son pantalon une montre gousset. Neuf heures dix-huit. Le carton de rendez-vous dépassant de la poche de sa chemise indiquait 10 heures du matin. En haut étaient inscrits les mots : “Dispensaire A.S.O.”. Finalement, il avait réussi à obtenir un rendez-vous de dernière minute avec Andrew Still à l’American School of Osteopathy (A.S.O.).

Homme trapu, trop orgueilleux pour abandonner sa ferme du Kansas, Freeman était obligé de compter sur sa famille pour nourrir le bétail et semer le grain. Pour tous, le labeur était particulièrement dur. Il fallait vraiment changer quelque chose et c’est ce qui l’avait poussé à surmonter son amour propre et à venir. Sa démarche claudicante évoquait ses douleurs au bas du dos et à la hanche.

À la pensée de son rendez-vous, une foule d’émotions se bousculait dans sa tête concernant les noms dont on affublait aujourd’hui le vieux docteur. Prophète, faiseur de miracles, fou, fanatique. Chez lui, les prêcheurs qui avaient entendu parler de son projet de voyage avaient tenté de le dissuader de venir composer avec celui qu’ils décrivaient comme un “serviteur du diable”.

Pour John, la situation semblait sans issue. C’est pourquoi son entourage, fatigué de le voir souffrir à cause de cette jambe handicapée, de le voir se décourager, de voir la ferme péricliter et d’être témoins de toutes ces années de traitements à l’opium et à la gnôle, lui avait conseillé d’aller chercher l’aide de Still. John avait, lui aussi, des doutes par rapport à cette idée ; pourtant, il était venu. Après tout, il était désespéré, mais que risquait-il ? Et comme pour des milliers d’autres, l’ostéopathie semblait être son dernier espoir. Mais cette vieille blessure à la jambe masquait un autre fardeau, bien plus lourd que la douleur et la boiterie. Cette blessure beaucoup plus profonde le rongeait encore, malgré le nombre des années. Still accepterait-il cette partie secrète de son “histoire médicale” ? Cette question et une certaine honte rongeaient son esprit.

En approchant du dispensaire, son cœur s’emballa. Lorsqu’il l’aperçut, la bâtisse lui parut plus impressionnante que la plupart des constructions de la frontière. Et en se rapprochant, le sol recouvert de macadam lui donnait une sensation de contact inhabituel au niveau des pieds, sa surface lisse facilitant curieusement sa marche. Il pensa que ceux qui avaient conçu cet endroit savaient ce qu’ils faisaient. Chez lui, le sol n’était fait que d’ornières dans une pairie bosselée, truffée de terriers d’écureuils. Entrait-il dans un Nouveau Monde ?

À l’intérieur, les boiseries fraichement huilées et les vastes baies vitrées donnaient une impression de luminosité et de fraicheur. Et puis, l’électricité et l’eau chaude et froide dans toutes les pièces faisaient de ce lieu le nec plus ultra de la modernité, le tout malgré la présence de tant de malades. Il se sentit un peu remonté lorsqu’il traversa le vestibule.

Les familles sur les bancs dans les salles d’attente, les patients assistés dans les chambres ou en fauteuils roulants rendaient évidente la raison de leur visite. C’était une entreprise sérieuse même si beaucoup, à l’image de Freeman, oscillaient entre doutes et espoirs. La médecine en était encore à un niveau très primitif. Le microscope était maintenant un objet courant, mais le diagnostic ne se faisait qu’à partir de signes et de symptômes physiques.

Traditionnellement, les médecines étaient peu nombreuses et peu différentes des phytothérapies. Suite à la guerre entre les États, infirmes et estropiés étaient nombreux et si la morphine constituait une avancée par rapport à l’opium, elle générait le même genre de dépendance, rendant esclaves nombre de ceux qui avaient combattu contre l’esclavage de leurs congénères. Les promesses de la médecine étaient fort nombreuses, mais les améliorations bien rares. Et beaucoup mouraient sur la table d’opération.

Les gens disaient qu’ici, l’approche était différente. On parlait de “chirurgie sans effusion de sang”, de l’utilisation de la “chimie du corps” comme remède, de la chirurgie comme ultime recours pour sauver la vie. Ces affirmations audacieuses s’opposaient à la médecine habituelle, mais la Wabash Railroad conduisait quotidiennement des centaines de personnes espérant au moins un soulagement, à défaut d’une guérison complète.

« John Freeman ? Monsieur John Freeman ? »

Freeman hocha la tête en signe d’acquiescement à la femme assise derrière le guichet d’enregistrement.

« Bien. Venez au guichet, s’il vous plaît, demanda Sally Taylor d’une voix plaisante. »

« Nous demandons un dépôt de neuf dollars pour les trois premiers traitements la première semaine. Ensuite, le traitement coute vingt-cinq dollars par mois. Si vous décidez de rester, le dépôt sera déduit des honoraires du premier mois. Vous pouvez rester à l’hôtel Poole où vous êtes descendu, ou chercher une pension de famille, ce qui sera plus pratique si votre séjour doit durer plus longtemps que prévu. Si une chambre est disponible, le gite de Ma Scott est l’un des meilleurs. L’hôtel vous coute dix dollars par mois ; toute autre chambre libre ou pension de famille vous coutera entre trois et cinq dollars. Donc, c’est à vous de voir. Vous avez le temps de vous faire une idée. Mais pour l’instant, occupons-nous de vos renseignements et de votre dépôt. »

Après la transaction, Sally poursuivit : « Merci. Voilà votre reçu. Cette jeune personne va vous indiquer où aller. »

« Bonjour, M. Freeman. Veuillez me suivre ? Je suis votre infirmière, Mlle Shreve. »

L’infirmière Shreve, habituée au brouhaha incessant et au rythme journalier du lieu, conduisit M. Freeman le long d’un vaste couloir vers une salle de consultation. Tout d’abord, il s’assit sur une chaise et inspecta l’endroit. Près des deux chaises et d’une écritoire, une vaste fenêtre dominait la pièce et inondait les lieux d’air et de lumière. Bien que laissant entrer un peu de la rumeur de la rue, elle était placée suffisamment haut pour la préserver des regards de la rue.

L’objectif de la table d’examen et du petit tabouret semblait évident, mais il remarqua un drôle d’ustensile. Pour Freeman, ça ressemblait en partie à une chaise, en partie à un piège à souris, avec des rembourrages réglables sur l’arrière.

L’infirmière nota sa curiosité. « N’ayez pas peur, ce n’est pas méchant et ce n’est pas un instrument de torture. C’est une chaise spéciale dessinée par le Dr Still pour appliquer la force correctrice exactement là où elle doit l’être. S’il l’utilise, le docteur vous expliquera exactement ce qu’il fait. À présent, nous avons quelques formulaires à remplir avant l’arrivée du docteur. »

L’infirmière passa en revue un questionnaire standard concernant la plainte, d’éventuelles maladies, le régime et les autres consultations médicales, puis demanda d’une voix ferme : « Y a-t-il quelque chose d’autre que nous devrions savoir à propos de votre passé médical ? »

Hésitant, commençant à transpirer, Freeman répondit : « Il y a un autre problème, mais je voudrais en parler directement avec le Dr Still. »

« S’il vous plaît, monsieur », dit l’infirmière d’un ton persuasif, « il est vraiment important pour le Dr Still d’avoir à l’avance toute information vous concernant. »

« Je pense que cela ne concerne que le Dr Still », rétorqua Freeman en commençant à grommeler.

« Mais, monsieur… reprit » l’infirmière d’un ton plus sévère.

Oubliant ses manières citadines et reprenant le ton qui colle à ses mains de fermier, Freeman haussa la voix, à la limite de l’agressivité, et insista : « Je sais ce que je dis, mademoiselle, et ma décision est ferme… Je préfère voir cela directement avec le Dr Still ! »

L’infirmière répondit alors timidement : « Très bien, comme vous voudrez. » Elle invita le patient à se déshabiller derrière le rideau et à troquer ses vêtements de ville contre le peignoir d’examen accroché au portemanteau. Puis, elle se retourna, fit retentir la sonnette de service, et se dirigea vers la porte.

Freeman, désormais en sueur, s’assit dans un silence nerveux pour ce qui lui parut durer une heure. Après quelques minutes, le Dr Still, mince, élancé, 1,80 mètre, du même âge que le patient, entra.

« Bonjour. M. Freeman, à ce que j’ai entendu. »

« Bonjour, docteur. Oui. Freeman, John Freeman. »

Still s’assit au bureau, frotta une barbe hirsute en examinant rapidement les notes de l’infirmière.

« Bon, voyons ça… La hanche, le dos, hum… »

Le docteur marqua une pause et examina l’homme qui lui faisait face. Freeman fut impressionné par le regard pénétrant et puissant de ces yeux gris.

« Bien. D’après ce que je vois, ça a commencé par une douleur dans la jambe gauche conséquente d’une chute il y a quelques années. Mais il y a plus dans votre âme, l’ami. Qu’est-ce qui vous perturbe ainsi ? »

Freeman attendait ce moment depuis si longtemps qu’il se retrouva désorienté, ne sachant par où commencer. Évidemment, il y avait la douleur, la frustration de la jeunesse et de la virilité perdues, mais plus profonde encore, une plaie bouillonnante. « Docteur, j’ai effectivement besoin d’aide concernant ma jambe, mais il y a un autre problème antérieur à évoquer, une autre blessure à traiter avant ma jambe. »

« De quoi s’agit-il, l’ami ? »

« Avant de m’appeler l’ami, vous devez savoir que nous nous sommes déjà rencontrés. C’était à Little Blue. Vous combattiez Price*. »

Le temps s’arrêta un instant et chacun des deux hommes se retira dans ses pensées. Ils repartirent dans leur jeunesse, trente années en arrière. Little Blue, une rivière boueuse au sud-ouest de Westport, au sud de Kansas City, côté Missouri.

Still se rappelait cette journée. Son unité, la 21e milice du Kansas, avait été appelée en renfort pour aider le général de l’Union Totten à rassembler une armée de 35 000 hommes afin d’affronter Price*, le général des Confédérés. Avant cela, les voisins abolitionnistes de Still s’étaient plus ou moins organisés sous la bannière de James Lane* et avaient essentiellement servi pour des états d’alerte, des intimidations défensives sur la majorité des voisins pro-esclavagistes et pour répondre à la tactique de guérilla instaurée par l’armée de Quantrell, particulièrement après la mise à sac de Lawrence, une communauté proche et bastion abolitionniste.

Bien que le 36e parallèle (la frontière Sud du Missouri) ait été établi comme la limite septentrionale du Sud esclavagiste, le Missouri fut ultérieurement, en 1820, admis au sein de l’Union en tant qu’État esclavagiste, un compromis mis en place pour contrebalancer l’admission du Maine, un État non esclavagiste. En 1855, le décret du Kansas-Nebraska abolit l’inviolabilité du 36e parallèle, ouvrant les territoires du Nord à l’esclavage. En 1862, il était encore en vigueur.

Les colons des deux bords, pro-esclavagistes et abolitionnistes, s’étaient engagés par anticipation, espérant que la politique pencherait de leur côté. Les tensions s’exacerbèrent. Les heurts entre voisins le long de la ligne Missouri-Kansas devinrent fréquents et le travail quotidien exigeait beaucoup de vigilance. Still se rappelait bien des moments difficiles qui ont suivi l’intrusion d’unités confédérées s’entrainant dans les bois.

Un tourbillon de tendances idéologiques, politiques et pratiques était chauffé à blanc par la ferveur religieuse. Des prêcheurs comme John Brown et Henry Ward Beecher poussèrent la minorité abolitionniste à la croisade. Beecher alla même jusqu’à prêcher pour lever des fonds en vue de l’achat de fusils, que l’on appela Bibles de Beecher. Brown poussa parents et voisins à s’armer pour se battre les uns contre les autres.

De son père Abraham Still, prêcheur méthodiste itinérant, Still avait reçu “l’aspiration” à des valeurs plus élevées incluant la liberté pour toutes les créatures de Dieu. Les convictions de Still père l’avaient rendu très impopulaire au sein de la majorité de sa circonscription méthodiste, ce qui l’avait obligé, pour des raisons de sécurité, à déménager à Baldwin, dans le Kansas, dont la communauté épousait davantage ses vues. Cependant, la sécurité était toute relative. Missouri et Kansas devinrent un échiquier où se jouaient des intérêts de politique nationale.

Les côlons de la prairie étant des hommes de caractère, d’endurance et de conviction, les passions s’enflammèrent des deux côtés. William Clarke Quantrell, suivant la volonté de la majorité au Kansas, se mit en campagne et en aout 1855, incendia et pilla la communauté libre de Lawrence, juste au nord-est de Baldwin. Brown organisa une riposte et ses partisans massacrèrent des familles pro-esclavagistes le long de Pottawatomie Creek, chassant dans la nuit les habitants non armés et les molestant avec des sabres de cavalerie.

Telle fut cette époque. Les blessures guérissaient lentement et des années durant, beaucoup d’hommes se tordaient encore de douleur au cours de la nuit, incapables d’exprimer leurs souvenirs inquiétants à ceux qui reposaient à leur côté.

Still et Freeman continuaient tous deux à chercher le regard de l’autre, reconnaissant la froide discipline de la mémoire refoulée.

Still avait été nommé chef de groupe et assistant-chirurgien. Son détachement de volontaires, plus habitué à engager de petites unités, prit l’ascendant sur l’ennemi en le pressant immédiatement devant lui, mais ce faisant, ils se retrouvèrent très en arrière de la ligne de front du gros de l’armée confédérée en retraite. Ils étaient coupés du corps principal des forces de l’Union.

Le combat faisait rage et Drew et sa mule esquivaient les balles qui les frôlaient. Sa veste était trouée en plusieurs endroits, mais la chair n’était pas atteinte. Cependant, par déférence, chance ou maladresse, son adversaire atteignit la mule au lieu du cavalier et quand l’animal tomba, il roula en immobilisant Drew sous lui. Alors qu’il gisait dans la douleur et à moitié inconscient, il sut qu’il n’était pas en position de se défendre. Ses compagnons l’avaient laissé pour mort et c’est sans doute ce qui allait lui arriver. Mais lutter pendant cet échange de plomb attirerait certainement l’attention de quelque lame ou balle. En état de choc et en désespoir de décision, Drew perdit progressivement connaissance, dérivant hors du temps.

« Tout ira bien, contente-toi de rentrer à la maison », murmurait une douce voix dans la quiétude de son âme.

« Mary ? »

L’esprit de sa défunte première épouse, semblait le réconforter.

Drew gisait dans l’obscurité, immobile et abasourdi, se demandant ce qui s’était passé. Le crépitement des coups de feu et l’odeur de la poudre brulée, de la boue, de la sueur et du sang envahissaient ses sens dans un tourbillon de conscience brumeuse. Le poids écrasant de la mule le pressait au sol, alors qu’une fulgurante sensation de chaleur progressait comme le feu vers sa jambe droite. Lorsque les décharges devinrent moins intenses et moins fréquentes, Drew commença à remettre de l’ordre dans ses idées.

« Suis-je blessé ? Qui a gagné ? » se demanda-t-il. Il devint vite évident que tel qu’il gisait là, il ne pouvait pas y avoir de réponse certaine.

Un calme pesant avait envahi la clairière. « Drew, lève-toi, sauve-toi ; tu as encore beaucoup à faire. » À nouveau, une voix familière réveilla l’homme épuisé, mais en regardant alentour, il n’y avait personne près de son oreille. Était-ce son épouse, sa très chère défunte ? Était-ce Mary ? Non, elle n’était certainement pas là. Était-ce le choc et la folie ? La voix sonnait très clairement. Comme Drew continuait d’être attentif, la scène autour de lui recolla à la réalité. Les soupirs et les gémissements des mourants remplaçaient maintenant le sifflement et le crépitement des armes. La fumée de la bataille avait laissé place à la brume du crépuscule. Drew se rendit compte de son abandon à la rêverie et de la venue de la nuit. La gravité de son inconfortable situation lui devint tout à fait évidente et il commença à se reprendre pour survivre. Il était grand temps de décamper. Drew crut entendre la voix de son père : « Tu dois te débrouiller tout seul, mon gars. » Fort heureusement, Drew était coincé entre le champ boueux et la partie la plus souple du flanc de la mule. Il parvint donc, au prix d’efforts pénibles, à se dégager peu à peu de la bête inerte, d’abord les épaules, puis la poitrine, le bassin et enfin les jambes.

Lorsqu’il se leva, il se rendit compte qu’il était blessé. Par chance, ce n’était que des contusions ; pas de fracture ni de blessure par balle. La douleur lancinante dans son aine droite se révéla être une hernie. Bien qu’ils aient obligé Price* à battre en retraite, le prix à payer était lourd pour beaucoup. Autour de lui, certains compagnons n’avaient pas été aussi chanceux en ne souffrant que d’éraflures vestimentaires. Il reconnut quelques voisins, aussi bien des abolitionnistes que des confédérés, mais Drew ne trouva personne pour qui être de quelque secours.

Il s’était écoulé moins de temps qu’il ne le croyait. Ses hommes attendaient un ordre. Il commanda au clairon de rameuter les troupes et de resserrer les rangs. Ils rassemblèrent quelques chevaux ennemis. Un soldat amena un cheval à Still et il l’enfourcha. Ils chevauchèrent pour suivre l’armée en retraite, mais ne firent rien pour les attaquer. Après avoir campé pour la nuit, la poursuite reprit au matin avec quelques escarmouches dans la journée. Le point ayant été fait, on laissa l’ennemi s’échapper.

Assis sur la table d’examen du dispensaire, Freeman repensait également à cette journée. Lui et ses voisins avaient sympathisé avec Quantrell et la cause confédérée. La plupart d’entre eux avaient émigré vers l’ouest pour la liberté, celle promise par les fondateurs du territoire et qui semblait s’éroder dans l’Est à cause de l’intrusion du gouvernement de l’État puis de la fédération. Les arguments concernant l’infériorité des noirs semblaient relativement secondaires par rapport au problème des droits des États. Dans l’Illinois, Stephen Douglas clamait : « Laissez le pouvoir au peuple. » La tension à propos de la question de l’esclavage n’était ressentie de manière aussi aiguë qu’au Kansas.

Abolitionnistes et partisans de l’État libre étaient perçus comme des fanatiques menaçant l’ordre des choses et ce qu’elles devaient être. Leur passion ne pouvait être réfrénée que par la poudre et le plomb.

Leurs regards toujours rivés l’un sur l’autre, John Freeman réfléchissait aussi. Ce jour de mai, Freeman et deux de ses frères avaient rejoint un groupe fidèle à Quantrell et faisant partie de l’armée des généraux Shelby et Price*, à Westport, du côté du Missouri. Les troupes régulières de l’Union et les milices associées leur opposèrent une farouche résistance. Tout au long de l’après-midi, ils se cachèrent ici et là dans les bosquets d’aulnes, attaquant l’ennemi le long d’une ligne reliant Westport à Little Blue Creek.

À l’occasion, l’ennemi se composait de voisins du Kansas reconnaissables, combattant eux aussi pour ce qu’ils croyaient. Mais ils se battaient pour leurs vies et dans l’ardeur du moment, il leur arrivait de tirer. Freeman s’étonna lorsque son regard tomba sur la silhouette caracolant de Drew Still, le médecin respecté de Baldwin. Distrait par le dilemme qui s’imposa à lui, il hésita suffisamment longtemps à presser la détente pour rater son coup. Il tira tout de même et vit la mule et son cavalier s’écrouler. La situation progressait rapidement et dans la fumée des tirs, il entendit son clairon sonner la retraite le poussant à partir plus à l’est, pour suivre l’armée du général Price*. Des mois durant, il repensa avec des sentiments partagés aux conséquences de ce tir. D’une manière ou d’une autre, cela mettait l’horreur de la guerre au premier plan de son esprit et venait bien trop souvent troubler son sommeil.

Dans la salle d’examen, Freeman fut le premier à rompre le silence.

« Docteur, major, monsieur, je fus un piètre tireur ce jour-là. Je visais l’homme et j’ai abattu la mule. »

« Je vois », reprit Still d’une voix sérieuse et profondément en baissant les yeux. La signification de la réserve de son patient lui devint évidente. Après un long moment, il releva les yeux. « Sale époque. Frères contre frères, voisins contre voisins, mais pour quelque raison qui nous dépassait, il devait en être ainsi. Chacun de nous a fait ce qu’il estimait devoir faire… Enfin, vous avez manqué votre coup pour un quelconque dessein supérieur ce jour-là, vous ne croyez pas ? Allez, occupons-nous de cette jambe. »

Still se mit à observer la cuisse et la jambe de Freeman, à palper sa surface, tantôt la pressant, tantôt la tractant. Il parlait tout en travaillant : « Je crois me rappeler quelques Freeman du côté de Bucyrus. C’est votre famille ? »

« Oui, monsieur, c’est bien nous. »

« Dites-moi, comment va votre frère Charles ? »

« Mes frères ont tous les deux été tués à la guerre. »

« Et votre épouse, comment va-t-elle ? »

« Morte aussi, de la méningite. »

Still, méditatif, manifesta de la compassion. « Oui, j’ai perdu ma première épouse deux mois après la naissance de notre dernier enfant en 1859. La méningite nous les a tous pris à l’exception d’un seul. La vie rurale peut être particulièrement rude pour les hommes, mais il faut persister. »

Un silence entendu et sympathique s’installa dans la pièce.

« Bon, marchez un peu pour voir ; je crois savoir par où commencer pour vous. Cela étant, cette condition dure depuis de nombreuses années, mais je vois quelque chose sur quoi agir. »

Tout en mobilisant la hanche et la jambe du patient dans différentes directions, le médecin continuait de parler. « Où êtes-vous descendu ? Je dis généralement qu’il faut une semaine de traitement pour rétablir une blessure vieille d’un an. Dans votre cas, nous pouvons espérer aller plus vite parce que vous êtes demeuré plutôt actif. Vous serez traité trois fois par semaine soit par moi, soit par un de mes assistants. Tous sont diplômés de mon école et sont d’excellents praticiens. »

« Vous pouvez loger à l’école si vous voulez. Dans les appartements, il y a des bains avec eau chaude, évidemment, et de bons repas. Si vous désirez parler des conditions concernant les prestations, demandez à mon fils, Charles. L’infirmière que vous avez vue en arrivant vous remettra un exemplaire du règlement intérieur du dispensaire. Et plus important, essayez de garder vos questions pour la salle de consultation. Si nous nous croisons dans la rue, traitez-moi comme un étranger courtois. Étant donné que chaque homme est différent, ne discutez pas de votre traitement avec les autres patients. Chacun a un parcours différent. Est-ce clair ? Des questions ? »

« Non, major, docteur, j’appréhende mieux la “consultation” ; la blessure commence à guérir. »

Les deux hommes se regardèrent droit dans les yeux et s’étreignirent.

« N’oubliez pas, John », dit Still de son ton doux et grave, « le passé est le passé. Ici, maintenant et à l’avenir, nous resterons des frères. Seul le Tout-Puissant peut connaitre le sens des choses qui se déroulent ici-bas. Je n’ai aucun ressentiment. »

Le Dr Still se dirigea vers la porte. Freeman se tourna pour se rhabiller, mais en le regardant, il remarqua sa canne.

Le vieux Doc continua d’examiner une série de patients que ses associés de l’école lui avaient adressés. Une fois son devoir accompli, Still se dirigea vers le porche dans le soleil de la fin de la matinée. S’asseyant sur un banc proche, encore plongé dans sa conversation avec John Freeman, il se rappela les suites de Little Blue.

Après avoir repris ses esprits, Still regroupa la compagnie et ils chevauchèrent aux trousses de l’armée en retraite, sans toutefois les attaquer. Le lendemain, ils continuèrent la poursuite pour récupérer le territoire et mettre de la distance entre les forces confédérées et les colonies du Kansas, puis cessèrent la poursuite. Les trainards confédérés furent autorisés à enterrer leurs morts. Pour ce faire, 140 confédérés vinrent avec le drapeau blanc de la trêve.

« Où en êtes-vous de la nourriture ? » lança Still aux deux hommes qui lui furent amenés sous la menace des fusils.

« Presque plus rien, major », répondit le porte-parole de la troupe, inquiet.

« Je veux que vous m’écoutiez très attentivement », commença sévèrement Still du haut de son cheval. « La guerre est une chose horrible. D’un côté, nous sommes guidés par la loyauté envers les nôtres et des choses qui existent depuis aussi longtemps que nous pouvons nous rappeler. D’un autre côté, nous sommes guidés par la faim et l’ambition, suivant les instructions de ceux qui éprouvent le besoin de contrôler la politique. Dans les deux cas, l’intention n’est pas de tuer notre frère ou notre voisin, mais aveuglés par ces autres facteurs, nous tuons. J’ai appris que vous autres, les Confédérés, aviez abattu plusieurs des nôtres de l’Union alors même qu’ils se présentaient avec le drapeau blanc. Qu’est-ce qui a résulté d’un tel traitement ? Avez-vous retiré le moindre plaisir à tuer ainsi ? »

« Je vous ai vus arriver aujourd’hui et avec tout cela en tête, j’ai eu l’intention de vous tuer. Et je pense que je devrais… tuer ce chagrin avec du café et de la nourriture, pour que la joie reprenne le dessus. À présent, fichez le camp. Trainez vos sales carcasses à l’intendance, et rassasiez-vous. » Les fronts soucieux des désespérés firent place aux sourires de soulagement.

Le lendemain, le détachement suivit les troupes de Price* et vit le panache de poussière de leur progression vers l’est. Ils les suivirent sur environ 150 kilomètres après avoir passé la ligne entre le Missouri et le Kansas.

Très vite, Still reçut l’ordre de dissoudre sa compagnie de volontaires et de renvoyer les hommes chez eux pour un repos bien mérité et pour rassembler leurs familles, dans la mesure du possible. Sur la frontière, la guerre fut telle que beaucoup conservèrent leur style de vie, leur point de vue, envisageant le monde comme un lieu de liberté, évitant les obligations de l’Est ou du Sud. La pression sur les familles fut énorme, même lorsqu’elles n’étaient pas engagées dans la guerre. À pousser les hommes à avancer, sans relâche, on risquait de les faire déserter, de les démoraliser et d’être en désaccord avec de l’essence même de ce qui faisait de ces hommes les rudes gaillards qu’ils étaient. Ils se battaient pour l’Union, mais ils se battaient aussi pour leur vision du monde ; un monde libre.

Il avait reçu cet ordre de dissolution, mais l’humeur de Drew et son caractère ne lui permettaient pas de l’exécuter immédiatement. Il rassembla la compagnie pour une mise à l’épreuve.

« Je viens de dire que je refusais que ceux d’entre vous ne se sentant pas de taille à endurer la marche épuisante et le terrible conflit qui nous attendent s’engagent. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Si, parmi vous, il en est qui sont trop malades, trop faibles ou trop épuisés pour nous accompagner, et qui, pour quelque autre raison, ne se sentent pas capables de résister à la rudesse et au danger, rien ne les oblige à y aller. Que tous ceux qui sont volontaires pour m’accompagner à travers les épreuves et le danger fassent six pas en avant ! »

« Combien parmi vous sont désireux de m’accompagner ? Combien ont le courage et la détermination d’aller jusqu’au bout ? »

Un moment solennel et étouffé s’ensuivit. Beaucoup de têtes s’inclinèrent, les hommes interrogeant leur âme. Le souvenir de la famille, les blessures, la fatigue, la faim, la lassitude de tuer leurs jeunes voisins… Beaucoup n’avaient plus le cœur à cela.

« Combien ? Faites six pas en avant ! »

Après un long silence plein d’hésitation, un homme s’avança, puis plusieurs suivirent ; au final, un tiers de l’effectif s’avança.

« Très bien, les garçons. Mais nous avons d’autres ordres ; nous rentrons à la maison. » Still se fendit d’un large sourire qui, rapidement, gagna toute la troupe. Des tirs de fusils retentirent et des chapeaux volèrent en l’air, les chevaux hennissaient.

Au côté de Still, le lieutenant Brandon commenta : « Bien joué, major ». Et il s’éloigna. Still contint sa monture impatiente, et pendant un moment, il regarda pensivement les hommes s’éloigner. Puis il dirigea délibérément son destrier vers l’ouest (1).

Ces pensées semblaient le submerger alors que Still était assis sur ce banc, profitant du soleil printanier en ce mois de mai 1899. Il se rappela la voix qui l’avait ramené à la conscience ce jour-là. « Merci d’avoir été là pour moi ce jour-là, Mary. Merci d’être là pour moi aujourd’hui. » La vie se fait si remplie et si étrange, pensa-t-il. Après toutes ces années, et son bon remariage avec Mary Turner, sa première épouse, Mary Vaughn, lui apparaissait toujours comme une âme sœur, une compagne de tous les instants. Il lui parlait souvent et cela lui semblait tout à fait naturel.

1 Cet épisode est relaté par Still au chapitre V de son Autobiographie.

II UN MATIN DORÉ

Les rayons du soleil matinal traversaient le tamis de la frondaison. Bien que connu du jeune Drew Still, âgé de sept ans, ce sentier des bois de Virginie lui paraissait presque surréaliste ce matin-là. Une légère brume persistait, diffusant la lumière et donnant à l’air de la forêt une délicate fraicheur. Tout semblait différent, magique. Émerveillé, le garçon admirait la beauté et la sérénité de ce paysage. Quelle somptueuse création ! À n’en pas douter, c’était l’œuvre d’un Créateur particulièrement sage et généreux. Il s’engagea dans le sentier s’enfonçant dans le vallon et menant au petit ruisseau qui coulait en contrebas, sous l’arête rocheuse. De nouveaux sentiments naquirent en lui. Pourtant, c’était un sentier qu’il avait souvent emprunté avec ses frères Edward et James. C’était un mélange de peur et de l’appréhension, peut-être aussi d’inconnu. La peur était bien réelle. Des ours, des lynx, des couguars, même, rôdaient dans les parages. Mais quelque chose le poussait à continuer.

Il y avait aussi la rencontre possible avec des chasseurs indigènes. La famille Still et ses voisins des alentours de Jonesville partageaient le domaine forestier avec les Cherokees. Dans le sillage d’explorateurs et de “grands chasseurs” comme Daniel Boone et Bigfoot Spencer s’était créée, en 1775, la Piste sauvage (1) conduisant vers l’ouest. Le territoire indien avait été annexé sans aucune contrepartie. La communauté autour de Jonesville recevait la plupart de ses informations par les voyageurs de la piste, cheminant vers le col du Cumberland et qui s’arrêtaient pour se reposer et s’approvisionner. Depuis les conflits d’il y a quarante ans, les peuplades autochtones se montraient plutôt tolérantes, mais l’agitation grandissait depuis le vote de l’Indian Removal Act en 1830 (2). On ne savait pas encore que cette piste essentielle serait appelée plus tard la Piste des Larmes (3).

Mais un enfant de sept ans n’a que faire de ces préoccupations d’adultes. La curiosité et le ravissement que suscitent la beauté et le silence environnants le stimulaient. Habituellement, les excursions en forêt étaient planifiées et se faisaient en famille, mais ce matin, c’était spontané. Il voulait aller de l’avant et explorer. Il avançait avec précaution, les sens en alerte. Tout en avançant sur le chemin bien tracé, ses doigts s’accrochaient aux feuillages.

Soudain, Drew sentit couler sur son épaule une douche de copeaux de coques de noix, trahissant la présence d’un écureuil gris qui agitait l’extrémité d’une petite branche avec sa queue, tout en croquant une noix de pécan mure. Drew pouvait sentir l’odeur de gingembre de l’écale décortiquée. Ce discret bruit de feuilles au-dessus de sa tête trahit la position du fourrageur poilu. S’il avait été à l’affut, armé de son fusil, l’écureuil se serait transformé en repas. Drew bougea, ce qui fit crisser des feuilles sèches sous son pied. L’écureuil sursauta et s’enfuit, gagnant un perchoir plus élevé et plus sûr. Ressentant l’intrusion, un geai appela ses compagnons qui lui répondirent et s’envolèrent vers la clairière, distrayant le garçon. Puis le silence.

Les choses les plus simples semblaient merveilleuses ce matin. La queue de l’écureuil lui était bien utile pour monter aux arbres. Drew en était jaloux. Pour lui, monter aux arbres était difficile. À ce niveau, l’écureuil était vraiment avantagé. Le geai avait des ailes. Drew avait eu entre les mains la chair de chacun de ces animaux après qu’ils aient apparu dans la mire de son fusil. Si différents vivants et morts. De la fourrure et des plumes, ça change assurément. Les os, quasiment les mêmes, mais adaptés à la besogne et à l’ouvrage. Chacun semblait refléter différentes fantaisies d’un même Créateur, ô combien astucieux !

Drew atteignit le ruisseau, mais resta sur le versant escarpé. Il désirait se rendre au lieu de rencontre secret sur la corniche, près du pont naturel. Il suivit le ruisseau qui murmurait gentiment sur les rochers à travers le tunnel des broussailles verdoyantes. Plus loin s’étendaient le vaste étang et au-delà, le merveilleux pont de pierre naturelle. Drew s’assit sur un rocher moussu et apprécia la fraicheur et l’écho lointain de la grive des bois. Avec un bâton, il agita la surface réfléchissante de l’étang et remua quelques pierres au fond du ruisseau, expulsant une écrevisse qui se propulsa de refuge en refuge. Dans le profond calme matinal, les flancs du vallon renvoyaient le roulement des pierres et le bruit des éclaboussures.

Finalement, il atteignit le pont, tunnel naturel de roche calcaire, et s’assit à l’ombre de la vaste grotte. Les eaux ruisselantes avaient ciselé dans la roche de curieuses formes, luisant dans la pénombre, à l’entrée du monde souterrain. Par-dessus le flot ruisselant, ses frères lui racontaient les aventures et les exploits d’Indiens, récits tout droit sortis de l’imagination débridée d’enfants. Quelque chose de mystérieux se dégageait de cet endroit.

Ce matin, dans sa rêverie, l’extérieur devint bientôt indiscernable de l’intérieur et la chaleur du soleil se mêla à la chaleur de la magnificence et de l’émerveillement qui l’emplissaient. Il entama un laïus pour remercier le Créateur pour tous Ses présents, ce monde, lui-même, sa famille.

Drew se leva et descendit le sentier par une boucle qui finalement, le ramènerait à la ferme, au sommet de la colline rocheuse. Tout en s’enfonçant plus profondément dans la forêt, il réfléchissait sur leur vie : les absences de son père, engagé dans “le Monde”, les contacts avec les indigènes, la difficulté de l’apprentissage scolaire, sous la férule du professeur “Spankenberg (4)”. La vie était rude ; lorsqu’il était à la maison, Drew devait s’acquitter de sa kyrielle de corvées : biner, nourrir les volailles, étriller le cheval. En contribuant ainsi pour la famille, il savait que, comme l’écureuil, il préparait la venue de l’hiver.

Il s’inquiétait des propos entendus dans plusieurs familles et qui parlaient de déménagement. Il se demandait pour combien de temps ces bois seraient encore son foyer. La vallée s’étendant entre les montagnes fournissait l’étendue de terre la plus plate de la région, mais la finesse du limon recouvrant les affleurements calcaires rendait problématique l’obtention de bonnes récoltes. Ses propres parents avaient évoqué la possibilité de partir pour le Missouri, quelque part vers l’ouest. Il se demandait si dans cette région, il y avait des écureuils, des lapins, des dindons et des cerfs. Drew se trouvait très bien dans son monde, en Virginie, le monde de la Nature qui lui parlait d’ordre et de beauté, de sagesse bienveillante. C’est ce qu’il connaissait. Il lui donnait le sens d’un lieu, d’une connexion. Il lui promettait plein de choses à apprendre.

Mais dans l’immédiat, il terminait sa promenade et, grimpant vers la crête, laissant les bois, il rejoignit la clairière de la ferme.

« Pa ! »

À la surprise de Drew, Abram Still parut au coin de la courbe du coteau, se dirigeant d’un galop tranquille vers la maison.

« Tu es en avance d’une semaine ! Comme je suis content de te voir. »

Ma lâcha son linge dans la bassine sous le porche et courut à la rencontre de son époux. Abram mit pied à terre pour amener son cheval à l’attache. Tendant les rênes à Drew, il répondit à l’étreinte de son épouse et tapota la tête de son plus jeune enfant.

« Vous avez bien aidé votre mère ? Martha, ils t’ont bien aidée à la cuisine ? James, la propriété est en ordre ? Vous et ce lieu êtes surement prisés par les yeux fatigués. La route décharge son fardeau sur un homme, sur son esprit, vous savez, et il n’est jamais certain de ce que les kilomètres et le jour lui réservent. Mais les gens ont été gentils et mon voyage s’est bien passé. Drew, tu m’as l’air en forme. Tu as réussi à protéger les poules de la fouine ? Tu as aidé tes frères à gratter les racines de ce maïs ? »

« Tout va bien, Pa. On a seulement perdu une poule à cause des petites brutes du troupeau ; ils l’ont becquetée, c’est comme ça qu’ils ont fait. La fouine n’a rien pris. On a ramassé suffisamment d’œufs pour en vendre quelques-uns. On a récupéré quatre dollars ! »

« Le seigneur a été bon pour nous cette année à la ferme. Sur la route, il m’a protégé des barbares et des intempéries. Prions le Seigneur. Maintenant, y aurait-il de quoi manger par ici pour un homme affamé ? »

« Entre donc, je vais te préparer un bon souper », répondit Martha.

« Merci, chérie, j’ai une faim de loup. »

Le crépuscule assombrissant les coins de la pièce, les lampes furent allumées et la famille se rassembla autour du père pour l’écouter raconter ses aventures de la piste. Drew était accroché au coude de son père, attendant qu’il parle. Il ne connaissait pas la presse. Malgré la lassitude, le père dut chercher dans son souvenir ce qu’il allait raconter et comment il allait le faire. Drew savait que son père ne disait pas tout pour ne pas effrayer les siens. Tous ressentaient cela.

« Un soir, je dois admettre que j’ai eu vraiment peur. Il était tard et j’ai dû calmer le cheval pour lui faire traverser la rivière afin de camper sur l’autre rive. Nous nous retrouvâmes de l’autre côté, tous deux trempés et fatigués et alors que j’allumai un feu, j’entendis hurler un loup. Il n’y a jamais de loup par ici. »

Drew écarquilla les yeux, suspendu à la moindre parole de son père. Abram poursuivit.

« J’étais effrayé. Oui, j’avais peur, mais j’avais la foi. Je savais que les loups n’aiment pas le feu. J’allumai alors et entretins quatre feux pour créer un périmètre de protection. Puis, j’entonnai On Jordon’s bank(5), aussi fort que je pus. Nul besoin de préciser que la nuit me parut fort longue. Qui des bêtes ou de moi serait le plus têtu ? Plus les loups hurlaient, plus je chantais fort. Enfin, le Bon Dieu fit poindre la lumière de l’aube, avant que je ne sois complètement épuisé. Nous chevauchâmes quelques heures et trouvâmes un asile et un peu de repos auprès d’une famille de vieille connaissance. »

« Oh, Pa, si de telles choses doivent être endurées », s’écria Ma à moitié sérieuse, « épargne-nous les détails ! »

« Ma foi », poursuivit Abram, « les garçons doivent apprendre les choses concernant la réalité de la foi, mais pas uniquement dans les livres, fût-ce le Grand Livre. Ils doivent apprendre qu’il faut vivre avec la foi. Elle nous emplit, nous dépasse. »

Il dirigea son regard vers Andrew. « Drew, un homme doit vivre ses convictions. Il n’y a pas d’autre chemin. La vie est trop courte. » Il s’arrêta un moment, plongé dans ses pensées. « Je sais que bien des gens alentour considèrent mon prêche itinérant comme un abandon. Je sais que cela vous impose une charge de travail supplémentaire. Je le sais, mais je dois le faire ; c’est ma vocation. Il y a en moi une voix persistante qui ne se tait jamais. Elle dit que le monde que nous voyons, que cette vie de labeur et de tracas, n’est pas ce qu’elle semble. Il y a plus. Il y a de l’espoir, il y a un au-delà et notre Sauveur nous montre le chemin. Il me l’a montré d’une manière aussi claire que le jour. Il me pousse à le partager avec d’autres. De plus, lorsque je chevauche, je peux apporter de l’aide au corps aussi bien qu’à l’âme, comme nous l’a suggéré John Wesley*. »

« Un homme peut ignorer sa voix intérieure », poursuivit Pa, « mais dans ce cas, il meurt avant son heure et ne devient que l’ombre de lui-même. Beaucoup n’entendent jamais cette voix. Ils sont encore à naitre et vivent une vie futile. Drew, nous n’avons pas tous le même chemin, mais tu dois suivre cette voix intérieure. La vérité est trop précieuse pour être ignorée. Cette voix et la grâce qui l’accompagne, elle est à l’homme ce que la pluie est au maïs. Elle nous nourrit, elle est la vie elle-même. Le danger et l’adversité ne sont rien face à l’appel de cette voix intérieure. »

Abram entoura son jeune fils de son bras. Drew s’inclina vers lui, timidement. Le père continua : « Je te vois dans les bois et les champs. Une partie de ton esprit est toujours en éveil, cherchant le comment et le pourquoi des choses. Tu lis la Nature, comme un livre. Cela te servira beaucoup. »

« Un homme doit déchiffrer la sagesse du Créateur, dans la Nature, dans les fleuves, dans les bois et dans les montagnes, et trouver sa place. Si tu restes sincère envers toi-même et fidèle à ta voix intérieure, tu t’en sortiras bien. Tu parviendras à quelque chose et tu aideras les autres. Je sais que cela s’avèrera. Maintenant, viens, levons-nous et montre-moi ton cheptel. Merci, Ma, ton diner fut royal. »

« Tant mieux, ça a été un plaisir. Je suis heureuse que tu l’aies apprécié. » Martha entoura de ses bras le cou de son époux. « Tu sais, tu es mon prince. Mais je m’inquiète pour toi. »

Pa déposa un baiser sur la joue de son épouse et changea d’attitude. « Je voulais parler de ça plus tard, mais j’ai besoin de le dire maintenant pour me soulager d’un poids. Comme tu le sais, l’église (6) envisage d’ouvrir une nouvelle école, meilleure et mieux adaptée, à New Market, dans le Tennessee. Elle s’appellera Séminaire de Holton (7). Le directoire du congrès m’a demandé si je désirais participer au comité chargé de sa création. J’envisage sérieusement cette opportunité. Si nous faisons ce choix, cela impliquera un déménagement, mais aussi une meilleure instruction pour les enfants et peut-être moins de temps à chevaucher pour moi. Je serais davantage à la maison. »

Ma écoutait très attentivement : « Déménager ? Nous avions évoqué l’idée de déménager un jour vers l’ouest, mais… un jour, pas tout de suite. »

« Je sais que ce n’est pas aussi simple que ça. Nous en reparlerons. Je n’ai pas rendu de décision. J’ai jusqu’à la fin du mois. Prions pour cela. Allez, Drew, montre-moi la bassecour. »

1 Wilderness Road : En 1775, pour la compagnie Transylvanienne, Daniel Boone, traça une piste qui allait de Fort Chiswell, en Virginie vers le centre du Kentucky en passant à travers le col du Cumberland. On l’appela Piste Sauvage et pendant plus de 50 ans, elle fut le principal chemin utilisé par les colons pour atteindre le Kentucky. Elle fut ultérieurement prolongée pour suivre l’avancée des colons et atteindre les chutes de l’Ohio, à Louisville. La Piste Sauvage était escarpée et accidentée et ne pouvait être empruntée qu’à pied ou à cheval. Pourtant, des milliers de personnes l’utilisèrent. En 1792, la nouvelle législature du Kentucky libéra des fonds pour son amélioration. En 1796 une route nettement améliorée, permettant le passage de fourgons et de charriots et la circulation par tous les temps fut ouverte. La piste fut abandonnée vers 1840. Les routes actuelles suivent en grande partie son tracé

2 Indian Removal Act : Loi sur le déplacement des Indiens. Loi américaine datant du 26 mai 1830, proposée par le président Andrew Jackson et ordonnant la déportation des Indiens d’Amérique vivant dans les territoires compris entre les treize États fondateurs et le Mississippi, vers un territoire situé à l’ouest de ce fleuve. Elle concernait 60 000 indiens d’Amérique.

3 La Piste des Larmes : l’Indian Removal Act aboutit à une véritable déportation des Indiens, menée par l’armée américaine, avec rassemblements préliminaires dans des forts, concentration dans de vastes camps et convoyage. Particulièrement brutale, cette déportation s’effectua à marches forcées. Des milliers d’Indiens périrent au long du parcours, notamment dans la tribu des Indiens Cherokees, ce qui conduisit à appeler cette piste la Piste des Larmes.

4 Dans Autobiographie, (p. 23) Still écrit qu’il fut enseigné par une personne brutale, nommé Vandeburgh. Dans Naissance de l’ostéopathie, Carol Trowbridge (p. 37) dit que plus tard, Andrew l’appela professeur « Spank-him-berg », jeu de mots difficilement traduisible reposant sur to spank, “donner la fessée” et sur berg, diminutif d’iceberg pour froid.

5On Jordon’s bank, hymne des églises primitives traduit en anglais vers la fin du XVIIe siècle.

6 Il s’agit du directoire de l’Église méthodiste.

7 Le Holton (ou Holston) est une région entourée de hautes montagnes qui coupe à travers plusieurs frontières d’États et inclut des parties de la Virginie, de la Caroline du Nord, de la Caroline du Sud, du Tennessee et de la Géorgie.

III TENNESSEE

Le Séminaire de Holton était un projet d’essai pour Abram. L’idée était de créer une école d’obligations dans laquelle les élèves travailleraient la terre pour contribuer à la vie de l’institution (1). New Market se trouvait dans une vallée, le long de ce qu’on appelait Lost Creek, profondément encaissé dans les montagnes Appalaches. Le pays était escarpé et difficile à cultiver, encore plus que les collines et les cuvettes du comté de Lee, en Virginie. Et les choses n’allèrent pas sans anicroche.

Creed Fulton, le prêcheur référent du directoire de Holton, fut désigné comme mandataire unique pour mener la besogne. Dons et engagements arrivèrent, mais selon la rumeur, il fut impossible de trouver un terrain pour y implanter une école pleinement fonctionnelle. Les choses s’envenimèrent. Alors que Fulton s’orientait vers un nouveau projet, une seconde école d’obligations, on découvrit qu’il avait fait disparaitre les traces d’offres de terrains proposés par des fermiers locaux, offres qui avaient été éludées sans raison apparente. L’école de New Market était en chute libre.