Itinéraire d'un entrepreneur bousculateur d'ordre établi - Claude Robin - E-Book

Itinéraire d'un entrepreneur bousculateur d'ordre établi E-Book

Claude Robin

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Beschreibung

À la fin des années 90, dernier bastion sans doute de l'entreprise traditionnelle, l'expertise comptable doit évoluer si elle veut pouvoir suivre les entreprises qu’elle accompagne. Comment se libérer des codes et carcans qui empêchent l’expert-comptable de produire plus, mais moins cher, avec plus de conseil, mais aussi toujours plus de clients ? Disrupter le modèle s’impose. Dans un petit bureau niché au-dessus d’un cabinet dentaire, un jeune expert-comptable a quelques idées… 
Parti de rien, sans capitaux et sans réseaux, Claude Robin crée Amarris, la première société d’une longue série. Conception de la première plateforme collaborative métier, délocalisation et filialisation, simplification des process traditionnels, libération du management et gestion entrepreneuriale du cabinet… Il prépare le terrain fertile pour co-fonder en 2008, ECL Direct, pionner et leader de l’expertise comptable en ligne en France. Une success story qu’il faudra défendre becs et ongles, envers et contre tous et en 1er lieu les experts-comptables eux-mêmes, puis les fonds d’investissement…
Mais comme une belle aventure ne s’arrête jamais vraiment, bien d’autres vont suivre : création d’un nouveau pure player dans l’immobilier (+7 millions d’euros en 5 ans), association et développements en Belgique et même au beau milieu de l’Atlantique… Autant de rebondissements qui permettent aujourd’hui à ces sociétés unies en un seul groupe de se positionner parmi les 30 premiers cabinets français indépendants et de simplifier, chaque jour, la comptabilité de plusieurs milliers de dirigeants de TPE/PME. 

Avec humour et simplicité, Claude Robin revient dans ce témoignage sur 20 ans d’entreprises audacieuses, en partie libérées et toujours à contre-courant des modes de développement traditionnels.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Robin, expert-comptable, Président-fondateur du Groupe Amarris cofonde, entre autres ECL Direct, premier cabinet 100 % en ligne qui révolutionna le marché de l’expertise comptable. Une vision entrepreneuriale novatrice qui fédère et propose de nouveaux leviers de croissance en organisant le groupe en entreprise de services. Il emploie aujourd’hui 500 salariés pour plus de 34 millions d’euros de chiffre d’affaires.

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CLAUDEROBIN

ITINÉRAIRE D’UN ENTREPRENEUR BOUSCULATEUR D’ORDRE ÉTABLI

Ça tombait bien, on avait un petit creux d’activité…

INTRODUCTION

Le marché de l’expertise comptable est réglementé. L’Ordre des experts-comptables a été créé le 12 septembre 1945. La France était en reconstruction et l’État devait financer de nombreux travaux. Pour cela, il fallait sécuriser les rentrées fiscales. L’administration ne pouvait pas contrôler l’ensemble des comptes des entreprises et l’État donna donc pour mission aux experts-comptables de vérifier, apprécier, redresser les comptabilités et d’analyser la situation économique, juridique et financière des entreprises. En contrepartie de cette mission, il leur accorda le monopole de la tenue comptable. Seuls les experts-comptables peuvent réaliser des prestations de tenue comptable. L’expertise comptable est donc régie par l’Ordre des experts-comptables qui est placé sous la tutelle des ministres de l’Économie et des Finances. L’Ordre est composé d’un Conseil supérieur et de 23 conseils régionaux.

Pour plus de 2 millions d’entreprises clientes et des dizaines de milliers de particuliers, l’expertise comptable est exercée sur l’ensemble du territoire français par environ :

20 000 experts-comptables ;

17 000 sociétés d’expertise comptable ;

223 associations de gestion et de comptabilité.

Un expert-comptable est un professionnel, titulaire du diplôme français d’expertise comptable, obtenu après un cursus de 8 ans dont 3 ans de stage en cabinet. Il est inscrit au tableau de l’Ordre des experts-comptables. Il est soumis à un code de déontologie et à des normes professionnelles.

Ce marché est encore très traditionnel dans son mode de fonctionnement, très « profession libérale ». Plus de 85 % des cabinets d’expertise comptable ont un effectif inférieur à dix.

Pourtant la profession au fil des années a su se réformer et s’est adaptée au monde moderne. Elle a libéré certaines pratiques commerciales. C’est ainsi qu’en 2004, les experts-comptables ont été autorisés à faire de la publicité, mais aussi à réaliser des missions juridiques accessoires à leur mission principale (création d’entreprise, etc.). En 2014, le démarchage est autorisé (activité consistant à proposer un service commercial non sollicité par le client).

C’est dans ce monde et celui de la création d’entreprise que je vous propose de passer un moment. Je suis parti de rien sans aucun réseau sur lequel m’appuyer, mon père était ouvrier et je n’étais pas prédestiné à vivre cette aventure entrepreneuriale. C’est après avoir obtenu mon diplôme d’expertise comptable que tout commença. Vous allez vivre vingt ans d’entrepreneuriat avec d’abord la création d’une première entreprise, Amarris, puis vous verrez comment dans un secteur traditionnel, nous allons révolutionner le métier par la création d’ECL direct, le pionnier et le leader de l’expertise comptable en ligne.

J’ai commencé à écrire pour évacuer certains moments difficiles, vécus ces dernières années. C’était comme une thérapie. Chaque fin de semaine, j’évacuais le stress en prenant ma plume, plus exactement mon smartphone. Cela me permettait de repartir la semaine suivante en ayant éliminé les ondes négatives et permettait également de se rappeler d’un certain nombre de moments qui se seraient estompés avec le temps. Au fur et à mesure de ces rédactions, je me suis dit qu’il serait pas mal de partager tout cela avec des collaborateurs du Groupe et avec des lecteurs intéressés par l’entrepreneuriat et la création d’entreprise.

C’est ainsi que je me suis lancé plus généralement dans l’histoire du Groupe Amarris qui va fêter ses vingt ans cette année. Cette tranche de vie illustre toutes les difficultés et toutes les satisfactions quand on entreprend. Les prises de risque sont notre quotidien, mais quel bonheur quand cela fonctionne. Même dans un marché bien établi, il y a de nombreuses opportunités à saisir. Il faut les prendre quand elles sont là et ne pas hésiter. Vous vivrez au travers de tous ces chapitres une aventure humaine et managériale. Aujourd’hui, le Groupe Amarris est composé de plus de 500 collaborateurs et se positionne dans les trente premiers cabinets français indépendants. C’est cette aventure que je souhaite maintenant vous faire partager. J’espère qu’elle sera inspirante pour vous. Je vous montrerai que tout est possible et qu’il n’existe pas de plafond de verre.

1AVANT AMARRIS

L’enfance de mon père a basculé lorsque le sien est décédé d’un cancer. Il avait 10 ans. Ils vivaient dans le Maine-et-Loire. Le frère de son père était prêtre à Saint-André des Eaux, en Loire-Atlantique. Il proposa d’accueillir sa mère et ses deux fils chez lui à la cure. Ma grand-mère accepta et déménagea en1948.

Mon père a vécu une enfance studieuse auprès de son oncle qui lui apprit rapidement l’orgue. À 11 ans, il jouait sa première messe et n’a plus cessé jusqu’à son décès en2015.

Son oncle était un érudit, entouré de centaines de livres. Il connaissait tout sur tout, des sciences de l’ingénieur à la littérature.

Dans ce contexte, mon père a sauté 2 classes. Il était « l’intello », jusqu’au jour où il craqua. Il ne voulait plus de cette charge de travail, être en décalage avec ses copains. À 16 ans, il quitta le petit séminaire de Guérande pour entrer en apprentissage aux chantiers de l’Atlantique (constructeur de paquebots, pétroliers et méthaniers). C’était l’employeur de la région (plus de 12 000 salariés à cette époque).

Et puis, ce fut l’Algérie. Quand il sut que son neveu était mobilisé, l’oncle curé trouva une jeune fille pour le remplacer à l’orgue. N’ayant aucune notion de solfège et de piano, mon père lui apprit par cœur des morceaux. Il prit étonnamment goût à cet apprentissage à tel point, qu’à son retour d’Algérie en 1960, cette pianiste en herbe devint sa femme.

Ma mère de son côté est la fille d’un couple d’agriculteurs de Saint-André des Eaux. C’est une famille de cinq enfants, quatre filles et un garçon.

Les études n’étaient pas la règle. Pourtant, elle se débrouillait bien à l’école et termina première du canton à son certificat d’études.

Malheureusement, elle arrêta l’école à 14 ans, car elle devait travailler pour ramener quelques sous à la maison. Ce sentiment de sacrifice, de ne pas avoir pu étudier fut assez présent et je l’entendis souvent de sa bouche durant mon enfance.

Mon père et ma mère se sont donc mariés en 1960 et eurent trois enfants. J’étais le dernier, mon frère et ma sœur ayant cinq et six ans deplus.

Ma mère est restée au foyer. C’était un peu la coutume à l’époque. Mon père a réintégré le chantier de l’Atlantique en 1960 et ne l’a quitté qu’en1995.

Mon père a toujours été frustré dans son travail, car ses capacités intellectuelles dépassaient largement le travail qu’il faisait. Il avait toujours le sentiment d’être dirigé par des gens qui ne le méritaient pas forcément, mais qui étaient diplômés.

Il exploitait ses capacités ailleurs et avait de multiples responsabilités dans la commune au conseil municipal, à la direction du club de foot dans lequel nous avons passé toute notre enfance, à l’organisation de kermesses, à l’animation de la fête annuelle de Brière, etc. Bref, c’était quelqu’un de respecté, d’aimé. Il trouvait sa reconnaissance ailleurs que dans le travail.

Mon père et ma mère nous ont tout le temps inculqué les valeurs du travail. Mon père avait des fonctions syndicales au début de sa carrière. Nous avons entendu toute notre enfance de longues discussions politiques avec leurs amis. Il avait toujours des arguments, se documentait. Rapidement pourtant, il s’est éloigné des syndicats qui selon lui ne faisaient pas leur boulot et n’étaient pas objectifs face à la réalité du travail. Il avait des valeurs et n’y dérogeait pas, des valeurs universelles de respect de l’autre, de travail, de bienveillance. Il disait que c’était des valeurs de gauche, mais j’ai toujours trouvé que c’était des valeurs universelles. Il paya souvent sa droiture dans son travail, car il disait ce qu’il pensait. Pourtant, malgré cette frustration de ne jamais avoir eu le sentiment d’être à sa place, il ne quitta jamais cette entreprise. Comme de nombreuses personnes qui travaillaient à bord dans les années 60, il se « chopa » de l’amiante qu’il porta toute sa vie dans les poumons. Comme les mineurs, c’était la fatalité, c’était commeça.

Je pense que c’est tout cela qui m’a conduit à l’avenir à ne jamais être fataliste, à prendre des risques et à me dire que tout est possible dans la vie quand on le veut et quand on s’en donne les moyens. Les barrières sociales sont importantes en France et il est important qu’elles soient plus poreuses. C’est sans doute pour cela que je lutte toujours contre la sélection par les diplômes.

En France, quand on n’a pas eu la chance de poursuivre des études, on doit souvent se contenter d’un travail lié à son niveau et l’ascenseur social devient très difficile. J’ai toujours lutté contre cela.

Chez Amarris, c’est une de nos valeurs fondamentales : ne pas donner d’importance aux diplômes, notamment au diplôme d’expertise comptable, et donner la chance aux gens en fonction de leur potentiel. Dans notre profession où tout est lié au diplôme, nous sommes complètement atypiques. Traditionnellement, il y a les experts-comptables et les autres, les autres étant souvent moins considérés. C’est pour cela que dans les organisations traditionnelles, les experts-comptables sont au cœur de tout, ils recrutent, rencontrent les prospects, managent les équipes, conseillent, ils sont les seuls associés,etc.

Chez nous, c’est tout autre chose. Nous sommes aujourd’hui seize associés dont quatre experts-comptables. J’ai donné la chance à de nombreuses personnes non diplômées qui sont responsables de business unit (centre de profit), directeur de production, etc. Je me repose uniquement sur leurs qualités humaines et intellectuelles, leur motivation à participer à une aventure, leur potentiel, et leur capacité à emmener leurs équipes vers le haut. Toutes les personnes occupant des postes clés de l’entreprise sont associées dans le Groupe.

Mes parents ont toujours voulu qu’on fasse des études, c’était important et ils ont toujours tout fait financièrement pour qu’on y arrive. C’était comme s’ils voulaient exorciser leur frustration de ne pas avoir fait d’études. Nous nous débrouillions bien à l’école. On était aussi un peu pris pour les « intellos ». À l’époque de mon frère, ils étaient trois à passer un bac général à Saint-André des Eaux. Ce fut un peu moins vrai pourmoi.

Après un bac D (le bac S d’aujourd’hui), et une année de fac de science-éco bâclée, je voulais intégrer une école de commerce postbac à Paris, l’École Supérieure de Gestion. Je ne sais pas pourquoi, mais j’étais attiré par le commerce, la finance alors que personne dans mon entourage n’était dans ce secteur.

J’ai réussi à l’intégrer et suis parti sur Paris en septembre 1986 pour quatre ans d’études. Ce fut le démarrage d’une nouvelle vie. Elle m’a permis d’abord de rencontrer ma femme, Nathalie, qui a fait la même école que moi et de petit à petit choisir un métier qui ne me quitteraplus.

Parallèlement aux examens de l’école, je passais les différentes matières qui m’ont permis d’être diplômé d’expertise comptable en1996.

À la fin de l’ESG et après quelques mois à l’armée, j’ai intégré un cabinet d’audit parisien pendant 2 ans (1991/1993).

Nathalie et moi travaillions à Paris et nous habitions en proche banlieue. Nos temps de transport étaient importants. Nous venions d’avoir une petite fille et avions du mal à en profiter. Nous avons décidé de quitter Paris pour nous installer à Nantes. Nous avons toujours attaché beaucoup d’importance à la gestion famille/travail. L’un ne doit jamais empiéter sur l’autre. J’ai alors intégré un cabinet régional d’une vingtaine de personnes. C’était un cabinet conventionnel qui se développait grâce aux nombreux réseaux que les deux associés fondateurs exploitaient. L’un d’eux avait hérité de la clientèle de son père et avait bien su la développer, l’autre bénéficiait du réseau catholique nantais. La moitié de la clientèle avait un nom à particule, cela m’avait beaucoup étonné quand j’ai intégré ce cabinet. J’y ai beaucoup appris, mais j’avais besoin d’espace, de liberté et dès l’obtention de mon diplôme, sésame obligatoire pour me mettre à mon compte, cette idée m’a trotté dans la tête. Petit à petit, le trot se transforma en galop.

Après l’obtention de mon diplôme, je rentrais étonnement dans une nouvelle caste et le tutoiement avec les associés fondateurs devenait la règle. Encore une fois, ces diplômes qui changent le regard des autres m’agacent énormément. Les titres m’agacent. Je n’ai jamais réussi à appeler un notaire ou un avocat Maître, un médecin Docteur. Il y a juste à l’armée où on était obligé d’appeler nos supérieurs par leur grade. Je ne comprends pas qu’on puisse mettre sa fonction dans les faire-part de mariage. Quand on est ajusteur comme mon père, on ne le met pas, bizarre non ?

Bref, il fallait que je tente l’aventure entrepreneuriale pour ne pas avoir de regrets.

Début 99, les associés du cabinet dans lequel je travaille expriment la volonté de m’associer. Nous sommes sur Nantes et je leur propose d’ouvrir un bureau à Guérande, à 70 km de Nantes. Je connais bien cette région qui a du potentiel. C’est une ville de 16 000 habitants et il n’y a qu’un seul cabinet. Il est présent depuis vingt ans, en situation de monopole. Il y a évidemment de la place pour un deuxième acteur.

Je propose à mes employeurs la création d’une filiale dans laquelle ils auraient 51 % et moi 49 %. Ils réfléchissent et font travailler un avocat.

En mai 1999, le projet rédigé m’est proposé et je découvre une répartition du capital ultra majoritaire pour eux, sans aucune explication de leur part. En résumé, je développe mon affaire et ils possèdent tout. Ce n’était pas le deal de départ. Je ressens un peu cela comme une trahison. Je le vis mal et ai le moral dans les chaussettes. J’avais à l’époque de grosses chaussettes en coton et il y avait de la place pour le moral. Il n’existait pas de mesures comme aujourd’hui pour pouvoir bénéficier du chômage pour créer sa boîte.

Nathalie travaillait en CDD dans une banque. S’il n’était pas renouvelé, c’était risqué de me lancer à mon compte. Nous avions deux petites bouches à nourrir : Marine (sept ans) et Charlotte (quatre ans). Mais pendant l’été 99, on y réfléchit beaucoup. Ma femme voit bien que j’ai besoin de sortir du cadre, besoin de liberté, besoin de tenter l’aventure. Plein d’idées fourmillent dans ma tête et on décide ensemble que si elle signe un CDI avec la banque, je me lance dans l’aventure.

Par chance, la bonne nouvelle arrivera fin août. Le lendemain, je donnais ma démission et leur annonçais que je m’installais à Guérande.

Je me souviendrai toujours du regard de stupéfaction d’un de mes boss à qui j’ai remis ma lettre de démission. Il avait une pensée interrogative. « OK, on prend acte, mais comment tu vas faire ? », sous-entendu, tu n’as pas de clients et tu n’as pas de relations. Pour moi, cela voulait dire, tu es malné.

Le fait d’avoir pu donner cette démission était un soulagement, une nouvelle vie s’ouvrait. Évidemment, étant d’un milieu où l’entrepreneuriat n’est pas présent, tout le monde me disait que j’étais fou. Cela ne marchait pas comme ça, me disait-on. Quand on veut créer sa boîte, donner sa démission et quitter le statut de salarié est un acte courageux. Tous les créateurs vous le diront. Mais paradoxalement, cela ne fait pas peur. C’est un saut dans le vide, mais cela vous donne un sentiment de liberté immense, et cela n’a pas de prix. Vous êtes libre, votre propre maître. Plus de comptes à ne rendre à personne, à part à vos clients. C’est un sentiment fort.

Vous créez votre boîte !

C’est un accouchement parfois douloureux, car c’est la conclusion d’un processus qui peut être long et c’est la naissance d’une nouvelle personne, certes morale, mais quand même. Ce n’est pas rien. Vous lui donnez un nom, qui ensuite aura sa propre vie. Par la suite, c’est étonnant d’entendre Amarris dans la bouche de milliers de personnes. Un mot qui est sorti de notre tête, un peu comme un compositeur qui entend sa chanson fredonnée par des inconnus.

C’est donc assez jouissif et vous dites « merde » à tout le monde. Reste à prouver ensuite que c’était le bon choix, même sans le réseau qui vabien.

Avec du recul, ne pas avoir de réseau accéléra la réussite du groupe Amarris. En effet, quand on a un réseau, on se repose sur lui. C’est plus facile. Il suffit de bien faire son boulot et tout va bien. On se développe alors gentiment, le réseau appelant le réseau.

Quand on ne connaît pas grand monde, le succès ne peut passer que par l’offre que l’on propose, la qualité de notre travail, l’optimisation de nos process qui nous permet de proposer des tarifs compétitifs pour une prestation plus complète. Cela passe par de l’innovation, par du culot, par des stratégies de niche, par la capacité à emmener des gens avec nous dans des aventures qu’ils n’auraient pas connues ailleurs. Cela passe par de la provocation, parfois, dans un marché hyper traditionnel. Quand on devient grand, on a alors notre réseau. Et c’est ça notre principal risque. Il est facile de s’endormir et de ne pas continuer à être un jeune trublion. Si l’on veut réussir dans le temps, il faut rester jeune, un peu fou, innovant. C’est cela qui permettra à l’entreprise de conserver sonADN.

2CRÉATION D’AMARRIS

J’avais trois mois pour m’organiser. Le départ était prévu le 1er décembre99.

Il fallait trouver un nom de cabinet, des locaux, des bureaux, un copieur… et des clients accessoirement.

Pour choisir le nom, il fallait que ça commence par A pour être bien placé dans l’annuaire. Cela paraît dingue maintenant, mais nous étions au début d’Internet et les pages jaunes avaient un rôle important encore dans les recherches d’un prestataire. Je rappelle que Google n’avait qu’un an et que la célèbre barre de recherche a vu son apparition en 2000. Nous étions en francs et disposions de connexion Internet à faible débit grâce à des modems au célèbre bruit.

Revenons au choix du nom. Après deux heures de brainstorming et quelques apéros, les esprits se libèrent. On voulait quelque chose qui se rapproche de la mer (sentiment de liberté), mais aussi qu’il y ait un ancrage, quelque chose de rassurant, comme un bateau amarré au port. Comme à l’époque, les mots qui se terminent en is (isse) faisaient bien, on a finalement créé AMARRIS. Ça sonnaitbien.

Il était important de tout de suite créer une identité. J’aurais pu choisir la solution de facilité en créant le Cabinet Robin. Mais c’est un choix un peu égocentrique qui ne me ressemble pas, sans compter que cela nous associait aux pratiques des professions libérales. Je voulais dès le début qu’Amarris soit une entreprise de services d’expertise comptable et qu’elle ait sa propre identité, indépendante de moi. Nous aurions l’air fins aujourd’hui avec cenom !

J’ai trouvé des locaux dans la vieille ville de Guérande, intra-muros au-dessus d’un dentiste. Je disposais de deux bureaux et d’un coin archives avec copieur. Ah, cette odeur du dentiste quand on rentrait dans le bâtiment et le bruit de la roulette. Tout le monde a en tête ces souvenirs olfactifs et sonores du dentiste. Eh bien, c’était l’entrée d’Amarris.

Pendant ces trois mois, quelques clients m’ont suivi (des clients qui ne connaissaient que moi) et certaines personnes de ma connaissance qui s’installaient, dont ma coiffeuse qui est toujours cliente aujourd’hui. Sa fille, qui avait cinq ans à l’époque, est salariée d’ECL aujourd’hui. Cela ne nous rajeunitpas.

Le mardi 30 novembre 1999, je quittais le cabinet dans lequel j’avais une place confortable et bien payée. Le mercredi 1er décembre 99, je démarrais dans mes bureaux à Guérande. C’est bizarre. Il y a tout d’abord un sentiment de vide. On est seul dans son bureau. Aucun bruit, à part celui du dentiste. Comme dans Le Père-Noël est une ordure, je vérifie si le téléphone est bien raccroché. Il l’est, mais il ne sonne pas. Pour être moins seul, je prends les services d’un secrétariat à distance. Même si je ne suis pas au bureau, il y aura toujours quelqu’un qui répondra professionnellement. Il fallait consulter les messages pris sur Minitel. Cela paraît être l’âge de pierre. J’habite Nantes (70 km de Guérande), mais quand je ne suis pas en déplacement, je me rends toujours au bureau plutôt que de rester chez moi. C’était important, même sans rendez-vous programmés.

Je partais avec 50 000 francs d’honoraires (7 500 €). De janvier à mars 2000, j’avais négocié avec mon ancien cabinet quelques dossiers en sous-traitance. Cela n’a pas duré longtemps, car mes anciens employeurs ne voulaient pas que la relation perdure avec leurs clients, ce qui est compréhensible. Cela s’est donc arrêté très tôt, mais cela a mis du beurre dans les épinards.

Une fois quitté mon ancien cabinet, je me suis refusé de faire la moindre démarche pour récupérer des clients, je n’ai jamais reçu aucune aide de qui que ce soit dans la profession et je ne me suis fâché avec personne. C’est important de ne pas se fâcher, surtout par la suite quand on invente un nouveau concept qui disruptera le marché.

Amarris s’installe sur un terrain monopolistique et je ne suis pas très bien accueilli. Perturber un marché bien établi me plaît. C’est ce qui se passe à Guérande d’abord puis à l’échelle nationale, lorsque je cofonderai ECL Direct dès 2008/2009, premier cabinet d’expertise comptable 100 % en ligne.

Le côté perturbateur, agitateur, est dans nos gènes. On pourrait utiliser une belle baseline : « bousculateur d’ordre établi ». Je n’aime pas les barons (sauf le Baron de Lestac, en cubi) et les comportements de baronnie. Il faut bien avouer que le cabinet voisin agissait comme tel en régnant complètement sur la région. Quand je touchais à un de leur client, on me faisait remarquer que ce n’était pasbien.

Petit à petit, je réussis à récupérer malgré tout certains clients, le dentiste, sa femme, un copain,etc.

Concours de circonstances, fin décembre, deux tempêtes balaient la France et l’Erika déverse son pétrole sur toutes les côtes proches de Guérande jusqu’au Croisic. C’était sinistre et de nombreux commerçants ne s’en sont jamais remis. La période n’était pas très bonne pour les affaires. Mais je réussissais à rencontrer des prospects en tenant toujours un discours différenciant. La comptabilité doit servir à quelque chose. Elle ne doit pas servir à faire une liasse fiscale trois mois après la date de clôture, mais doit servir à piloter l’entreprise. Je vendais donc la plupart du temps de l’accompagnement tout au long de l’année par le biais de rendez-vous ou de tableaux de bord. Je me servais de la comptabilité pour créer le plus de points de contact. De la même manière, j’ai vendu des paies tout de suite, car c’est notre cœur de métier et c’est extrêmement fidélisant.

Mais à un moment donné, il faut bien produire ce que l’on a vendu ! Je me suis donc rapidement retrouvé à devoir faire des choses que je n’avais jamais faites. Fin janvier, je devais faire des paies, parce que je revendiquais que j’étais un spécialiste de la paie, bien que je n’en aie jamais fait de mavie.

Face à cette problématique, j’ai demandé à la responsable des paies de mon ancien cabinet de venir m’aider. Elle m’aimait bien et prit une journée de congé pour me faire les paies et m’expliquer comment cela fonctionnait. Ses employeurs n’en ont jamais rien su, mais cela m’a sauvé la vie. Je l’ai appelée de nombreuses fois pour résoudre certaines questions des clients. Je peux raconter aujourd’hui cette histoire, car elle est à la retraite et je la remercie encore millefois.

Il fallait aussi que je fasse de nombreuses tenues de comptabilité et je n’avais pas le temps. Je connaissais quelqu’un qui pour arrondir ses fins de mois, m’a traité quelques dossiers. On se donnait rendez-vous le soir sur le parking d’un centre commercial pour lui donner les documents. Je lui avais installé le logiciel de compta sur son ordinateur et je récupérais les comptabilités la semaine suivante. Je ne suis pas très fier de cela, c’est un peu limite sur le plan déontologique, mais ce qui est important pour le client, c’est que sa compta soit réalisée et que sa TVA soit déclarée et payée dans les temps. De toute façon, je n’avais pas le choix et cela m’a permis de passer le premier semestre.

En septembre 2000, soit neuf mois plus tard, j’embauchais mon premier salarié. Ce fut une délivrance, car ce collaborateur avait une compétence complète, de la comptabilité à lapaie.

Dans mon précédent cabinet, j’avais passé beaucoup de temps chez un client à Angers qui travaillait dans le domaine des énergies. J’avais d’ailleurs rédigé mon mémoire d’expertise comptable sur leur activité très particulière d’installation de centrales de cogénération. Avant mon départ, compte tenu de la taille de l’entreprise, ils avaient internalisé l’ensemble des fonctions administratives (directeur financier et service comptable) et ne faisaient donc plus appel à nos services. J’entretenais de très bonnes relations avec les dirigeants. La société qu’ils avaient créée était devenue une filiale de GDF et début 2000, des désaccords profonds avec les actionnaires entraînèrent leur départ. Ils créèrent aussitôt plusieurs activités dans le domaine des énergies et me confièrent l’expertise comptable de leurs sociétés. C’était une grande marque de confiance. J’y ai passé beaucoup de temps les deux premières années et cela m’a permis de dégager mes premiers revenus.

En 2001, les dirigeants de GDF décident de faire mourir la filiale énergétique dont je me suis occupé pendant plusieurs années, les contrats en cours basculeraient au fur et à mesure dans d’autres entités du Groupe. C’était les grandes manœuvres et ils décidèrent de se séparer du directeur financier et du service comptable pour tout externaliser. KPMG (l’un des Big Four) était dans la place et réalisait le bilan de la société.

Pourtant, quand GDF lança son appel d’offres, le nouveau directeur opérationnel me demanda d’y répondre pour mettre en concurrence KPMG. Je ne faisais pas le poids. Mon seul atout était la maîtrise de tous les rouages et du fonctionnement de tous les contrats mis en place pour installer les centrales électriques chez les clients. C’était très particulier et j’ai fait en sorte d’amplifier cette complexité. J’ai donc répondu, sans aucun complexe. J’ai rencontré le dirigeant et expliqué pourquoi il devait nous choisir. En parallèle, j’étais en relation avec un de mes anciens collègues qui était parti comme responsable administratif et financier dans une petite PME. C’était la personne idéale pour le poste externalisé à temps partiel. Je l’ai convaincu de me rejoindre et nous avons remporté le contrat face à KPMG. Ce fut une grande satisfaction, car c’était le contrat qui me permettait d’embaucher à la fois sur Nantes un collaborateur aux nombreux atouts qui allait, en parallèle de cette mission d’externalisation, développer commercialement l’activité sur Nantes. Cela me permettait enfin de recruter une collaboratrice spécialisée dans les paies sur Guérande. Ces deux personnes sont arrivées en septembre 2001 et j’ouvrais le bureau de Nantes à la même époque en partageant des bureaux avec un autre expert-comptable.

3AMARRIS DÉCOLLE

C’était parti, Amarris prenait réellement son envol. Je me partageais entre Nantes et Guérande. La mission d’externalisation se passait très bien. Nous facturions tous les mois au temps passé et les budgets de GDF étaient intéressants. Cela nous a permis de passer une année 2001/2002 plutôt confortable. En septembre 2002, nous emménagions dans nos propres locaux à Nantes et embauchions une assistante. Les locaux étaient un peu grands pour trois personnes, mais cela ne dura pas longtemps.

Les espaces partagés de coworking n’existaient pas et nous étions obligés de prendre des surfaces plus grandes si nous ne voulions pas changer de locaux tous les six mois. Fin juin 2003, nous étions sept personnes. L’objectif était toujours d’embaucher bien avant que nous soyons débordés. Cela nous permettait d’absorber la croissance et les nouveaux dossiers.

Pendant la première année d’Amarris, j’avais suivi un Mastere spécialisé dans le consulting auprès des PME/PMI organisé par Sup de co Reims et l’Ordre des experts-comptables. C’était un cursus de deux jours par mois pendant un an. C’était des cours très intéressants et cela me permettait aussi de rencontrer d’autres experts-comptables, de partager nos expériences. Je n’ai pas réalisé le mémoire qui était demandé pour être diplômé, car je n’avais pas le temps. J’étais un peu atypique dans ce groupe, car tous étaient dirigeants de cabinets bien installés depuis des années. J’étais le seul petit Poucet qui venait de s’installer sans salarié et sans clientèle. Je détonais un peu, mais ils m’ont bien accepté.

En juillet 2003, l’un des participants m’appelle pour me dire qu’il souhaite arrêter l’expertise comptable. Il avait une équipe de sept personnes et ne s’en sortait plus. Il voulait prendre du recul, faire autre chose, marre de travailler H24 et le week-end. Il sentait le burn out venir. Il avait eu des signaux d’alerte et ne souhaitait pas aller plusloin.

Je le rencontre une première fois. Son portefeuille était intéressant, il avait une belle clientèle et des clients PME à potentiel que nous n’avions pas sur Nantes. Il utilisait le même outil métier. Tout concordait à une bonne intégration. Je décidais d’aller plus loin. Cela nous faisait doubler de taille, nous permettait de sécuriser quelques postes comme celui de gestionnaire de paie avec l’intégration d’une nouvelle personne.