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Dans les années 80, Emmanuelle, lycéenne de seize ans, tombe enceinte et choisit par entêtement de mener sa grossesse à son terme. Bien qu’entourée de sa mère, Brigitte, et de sa petite sœur Sylvie, les doutes s’emparent d’elle. A-t-elle pris la bonne décision en refusant l’avortement ? Quelles seront les conséquences de cette obstination sur sa vie et celle de son enfant ? Tels sont les tourments qui la rongeront pendant neuf mois.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Mère adolescente, Aline Thibaut comprend et partage le dilemme de ces très jeunes femmes séparées de leurs enfants à leur naissance. J’ai accouché d’un enfant né sous « X » vient répondre aux questions déchirantes qu’elles se posent. Des questions qui auraient pu être les siennes et celles de son enfant.
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Seitenzahl: 235
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Aline Thibaut
J’ai accouché d’un enfant
né sous « X »
Roman
© Lys Bleu Éditions – Aline Thibaut
ISBN : 979-10-377-6150-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Comme à chaque séance, les dessins d’Emmanuel, dix ans, sont lourds de noirceur, et laissent sa pédopsychiatre, madame Orsano, dans l’expectative.
Les maisons sont sans toit, les prés d’herbes grises, les enfants sans mains, les voitures sans capot, le ciel sans soleil, les animaux d’une extrême maigreur, les visages sans yeux, ni bouche, ni nez, les plages sans baigneurs. Seul lien commun entre toutes ces œuvres enfantines, une pluie blanche tombe sur eux.
Blanche comme du lait, que l’enfant concrétise par des cercles de crayon à papier dans lesquels il ne met pas de couleur, ni noire ni grise.
— C’est de la neige ? se risque madame Orsano.
— Non Madame, c’est du lait…
Cette soirée aurait pu être une soirée ordinaire, faite, comme ces derniers jours du mois de septembre, de chaleur écrasante et d’attentes interminables.
Bien qu’entourée et choyée par sa sœur cadette Sylvie, et sa mère qui partagent son anxiété et son tourment, Emmanuelle renferme une angoisse grandissante au fur et à mesure que le terme s’approche.
Aujourd’hui, elle décide de mettre en pratique un conseil qu’elle a lu cette semaine, dans une revue prénatale, à laquelle elle s’est abonnée depuis quelques mois.
« Remplir sa baignoire d’une eau à 40°. S’y glisser pendant 5 minutes. Cette chaleur aidera votre corps à se détendre ainsi qu’à dilater le col de l’utérus, et donc à déclencher le travail. Ne surtout pas dépasser les 5 minutes d’immersion, la poche des eaux pourrait être rompue sans que vous vous en rendiez compte et le bébé pourrait se noyer. »
Les trois femmes de la maison sont réunies dans la salle de bain embuée de ce petit pavillon de banlieue bordelaise.
La baignoire remplie aux trois quarts d’une eau bien plus chaude que quiconque n’a l’habitude d’utiliser dégage une brume flottante dans la petite pièce, le grand miroir en est opaque, il refuse de renvoyer toute image.
Emmanuelle plonge un orteil hésitant et le retire aussitôt.
— Aaah ! C’est bouillant. Maman, je ne vais jamais pouvoir glisser mon gros corps de baleine là-dedans, s’exclame-t-elle.
— Ma chérie, on va le faire ensemble. Je mets un bout de pied et toi aussi, voilà c’est bien, dit-elle, joignant le geste à la parole. Allez, un peu plus loin, le pied entier, puis jusqu’au mollet, ça y est ton pied, comme le mien touche le fond de la baignoire, on passe au suivant.
Brigitte fait preuve d’une grande patience pour accompagner sa fille. Emmanuelle est si jeune, pense-t-elle, pour vivre cette épreuve.
Elle se fait souvent des reproches face à cette situation.
Qu’a-t-elle loupé ? À quel moment a-t-elle perdu le contrôle ? Est-ce un problème d’éducation, de partage, d’absence de dialogue avec sa fille ?
Oui, s’avoue-t-elle. La boutique me prend beaucoup de temps, la gestion de mes trois filles adolescentes aussi, entre les courses, la préparation des repas, les réunions parents-profs, mes cours de gym, les loisirs.
Tout cela fait qu’on finit par survoler sa vie, sans vraiment se poser et surtout sans se poser la bonne question : est-ce que j’agis bien pour mes enfants qui sont dans l’âge délicat de l’adolescence ? Mais surtout, pense-t-elle, on croit que comme tout ce qui est grave, ça n’arrive qu’aux autres.
Brigitte est loin d’oublier ce samedi ensoleillé du mois de février dernier.
Elle a, comme à son habitude après le repas, rejoint le salon pour regarder le journal télévisé.
C’est un petit moment de détente qu’elle s’accorde.
Elle sait que ses filles aiment bien se retrouver toutes les trois dans la cuisine, à ce moment-là.
Le canapé en cuir marron est bien vieillissant, se dit-elle en s’asseyant, il faudra songer à le changer.
Le journal d’aujourd’hui ne parle quasiment que des élections municipales, le premier tour est pour demain.
Elle profite de ce moment de détente pour recoudre son chemisier décousu sur un côté. J’ai pris un peu de volume ces temps-ci, il va falloir que je redouble d’efforts à la gym, pense-t-elle en souriant.
Elle sait très bien qu’elle n’a rien d’une grassouillette, mais elle n’a quand même pas tort de penser ainsi ; à la quarantaine, il faut doubler d’attention pour ne pas se laisser aller.
Les trois filles, quant à elles, sont, comme à leur habitude après le repas, dans la cuisine en train de faire la vaisselle. Très organisées, chacune sa tâche, avec un roulement hebdomadaire. Cette corvée n’en est finalement pas une, car elles aiment bien, toutes les trois, être ensemble. C’est leur moment de papotages, de confidences, souvent d’éclats de rire aussi.
Pourtant, ce jour-là, dans cette pièce éclairée par les rayons obliques du soleil de février, l’ambiance est un peu tendue.
— Ça fait au moins une semaine que tu dois lui en parler, qu’est-ce que tu attends ? s’inquiète Christelle, la sœur ainée.
— Oui, je sais, je vais lui dire…
Emmanuelle recule chaque jour l’échéance. Elle appréhende la réaction de sa mère. Mais surtout, elle a encore du mal à réaliser que dans son ventre grandit un enfant.
— Si tu ne lui dis pas aujourd’hui, c’est moi qui le fais, insiste Christelle.
— Mais laisse-la, la pauvre, ce n’est pas facile à dire, je voudrais bien t’y voir, proteste Sylvie, toujours prête à prendre la défense d’Emmanuelle.
Pendant quelques instants, on n’entend plus que le bruit des assiettes et des couverts qui se rencontrent dans l’égouttoir à vaisselle. Emmanuelle est cette semaine à l’essuyage. Elle passe machinalement le torchon sur chaque ustensile que sa sœur a lavé puis rincé.
Ses idées noires viennent parfois bousculer son optimisme.
Christelle a terminé le lavage, elle prend l’essuie-mains, se sèche les mains, le repose à son crochet et se dirige vers la porte de la cuisine, depuis laquelle elle dit en direction du salon :
— Maman, tu peux venir s’il te plaît ?
— Oui, je finis mon aiguillée et j’arrive.
Brigitte pénètre dans la cuisine dont le rangement est presque terminé.
— Qu’y a-t-il, mes filles ?
— Emma a quelque chose à te dire, annonce Christelle.
Ses deux sœurs la fusillent du regard, incrédules de ce qu’elle vient de faire.
Une panique s’empare d’Emmanuelle, le feu lui monte aux joues, l’angoisse lui serre la gorge, elle voudrait disparaître, là, sur l’instant, échapper à la colère de sa mère qu’elle redoute, elle a aussi honte de son état face à sa maman. Quel va être son jugement ? pense-t-elle.
Elle sait qu’elle ne peut plus reculer, sa sœur l’a mise au pied du mur. Puisant tout le courage qu’elle n’a pas, elle lance d’un trait :
— Je suis enceinte…
L’adolescente ne pensait pas que prononcer ces mots face à sa mère pourrait lui procurer un si grand soulagement. Elle a l’impression que ça y est, elle est débarrassée d’un lourd fardeau.
Brigitte a bien entendu ce qu’Emmanuelle vient de lui dire, mais ne parvient pas à réaliser ni à réagir, et reste interdite.
Ce n’est pas possible, pense-t-elle. Ma petite fille, maman ? Mais elle a à peine seize ans ! C’est encore une enfant ! Elle vient juste d’être admise au lycée, elle ne peut pas déjà entrer dans une vie d’adulte.
Et ce bébé, que pourrait-il lui apporter ? Elle n’a pas la maturité d’une mère…
Au bout de quelques instants, qui paraissent à Emmanuelle et à ses deux sœurs interminables, Brigitte prend sa fille dans ses bras.
— Ma chère petite fille, ne t’inquiète pas, je suis avec toi, je vais t’accompagner dans cette épreuve, du mieux que je peux, finit par prononcer Brigitte.
Ses yeux sont toutefois aussi rougis par l’émotion que ceux d’Emmanuelle.
Sylvie se rapproche à cet instant d’elles et se mêle à leur étreinte.
Bientôt, Christelle les rejoint et c’est dans ce transport d’émotions affectives que les quatre femmes de la maison soudent un peu plus le lien de leur sensibilité.
Les jours qui suivent ne se jouent pas sur la même octave.
Ayant compris que le géniteur de ce bébé ne prendrait pas ses responsabilités, Brigitte essaie d’influencer sa fille de ne pas garder l’enfant, ses huit semaines de grossesse permettent encore la solution de l’avortement.
C’est à nouveau dans la cuisine que se déroule cette conversation, Brigitte est en train de préparer un pot-au-feu. Elle a, à dessein, demandé à Emmanuelle de venir l’aider.
— Tu sais, ma chérie, je me suis renseignée et j’ai appris que tu as encore le temps de recourir à l’IVG.
L’adolescente jette violemment sur la table le navet qu’elle a dans les mains et fait face à sa mère.
— Il est hors de question que je tue cet enfant, s’emballe-t-elle. Je dois et je vais prendre mes responsabilités ! Je ne te permets pas de me dicter ce que j’ai à faire, c’est mon enfant, c’est ma vie ! Emmanuelle s’est exprimée fougueusement face à sa mère. Celle-ci a, depuis quelque temps, du mal à reconnaitre sa douce et gentille Emmanuelle, comme si elle n’avait accepté sa grossesse qu’à partir du jour où sa mère l’a su, et que depuis, elle laisse libre cours à ses sautes d’humeur, sa colère, la tenant, en apparence, pour responsable de son état.
Brigitte met cette attitude sur le dos du chamboulement hormonal qui est en train de s’opérer dans le corps de sa petite fille.
— Emmanuelle, répond calmement Brigitte, ton état aussi perturbant soit-il pour toi ne te donne en rien le droit de me parler ainsi. Si tu ne souhaites pas avorter, très bien, c’est ton choix, tu as raison, c’est ta vie. Mais réfléchis un peu, quelle vie ? Quel avenir pour toi et cet enfant ? Tu es en classe de seconde, encore deux années avant d’obtenir ton BAC. Que vas-tu offrir comme vie à ce bébé ? Ne perds pas de vue que si tu n’as pas de diplôme, tu n’auras pas un bon travail et donc ce ne sera que précarité pour vous deux.
Emmanuelle se rend compte de son attitude injustifiée envers sa maman et vient se blottir dans ses bras en lui demandant pardon, de grands sanglots déversent leur torrent de larmes salées jusqu’à leurs lèvres.
Tout comme elles couleront pour elle tous les jours de cette grossesse, et même au-delà…
— Je suis désolée maman et je sais que tu as raison, mais tu verras, je vais m’en sortir, je vais nous préparer une jolie vie à cet enfant et à moi.
— Je te le souhaite sincèrement, ma chérie.
C’est le retour des vacances scolaires de février, Emmanuelle voit son corps se transformer de jour en jour. Il lui devient difficile de dissimuler ses dix semaines de grossesse au lycée. La saison et la mode lui permettent toutefois de mettre de grands pulls par-dessus ses jeans qu’elle ne ferme plus qu’avec la ceinture. Pour l’instant, ça passe…
Ça lui fait du bien de retrouver cette ambiance plus décontractée qu’elle ne l’est à la maison depuis peu.
Sur les conseils de son amie Alexandra, elle en parle à son professeur de français qui est aussi leur professeur principal, madame Caraso, qu’elle affectionne particulièrement. En effet, son amie, avec le recul du spectateur, s’inquiète de la situation face aux regards des autres d’ici la fin de l’année scolaire.
Les deux jeunes filles trainent à la fin du cours de français, de façon à se retrouver seules avec madame Caroso dans la classe enfin désertée du brouhaha de trente élèves.
Elles s’approchent de son bureau.
— C’est toi qui lui dis.
— Ah non, Emma, c’est à toi de le faire, je reste là mais c’est toi qui dois lui annoncer, ne t’inquiète pas, je te soutiens, lui dit Alexandra, ses mots accompagnés d’un clin d’œil.
Madame Caraso, surprise dans un premier temps de l’aveu d’Emmanuelle, compatit à l’angoisse de la jeune fille qu’elle a déjà classée dans les bons élèves.
— Ne t’inquiète pas, nous, le corps enseignant et je parle au nom de mes collègues, allons faire notre possible pour que les quelques mois qu’il reste avant la fin de l’année scolaire se passent au mieux pour toi et pour les élèves de la classe, dit-elle d’un air empathique. Toutefois, je dois en informer Monsieur Dupuch, lui seul peut décider de te garder ou non dans son établissement, ajoute-t-elle posant une main délicate sur son bras.
— Merci Madame, répond Emmanuelle, soulagée de l’avoir enfin avoué.
Deux jours plus tard, elle reçoit, à son domicile une convocation l’invitant à se présenter dans le bureau de monsieur Dupuch, le proviseur.
Elle s’y rend accompagnée de sa mère, le vendredi suivant après les cours. Toutes les deux traversent la grande cour du lycée dont les arbres dégarnis de leur feuillage sont semblables à des fantômes aux bras levés dont leurs draps blancs se seraient envolés, laissant juste apparaitre leur carcasse décharnée. Quelques élèves en attente d’amis ou de l’heure d’un bus trainent çà et là sur un banc, d’autres se dirigent vers la sortie opposée. On a l’impression que, dans cette cour faite de coins et de recoins, il y a toujours quelqu’un qui s’y promène ou qui l’habite. Plusieurs bâtiments composent l’ensemble de ce lycée.
Emmanuelle est contente de faire visiter son nouveau domaine à sa maman.
— Tu vois ce long bâtiment blanc sur la gauche, c’est celui où on fait les cours de techno, biologie, SVT. Celui-là, c’est celui du réfectoire, et au premier étage il y a les salles d’économie et de comptabilité, je crois. Tu verrais comme il est vieux ce bâtiment. Le plancher craque sous les pas, à gauche c’est l’internat.
Brigitte se laisse guider par sa fille qu’elle sent fière de montrer son domaine mais insouciante du but de la visite. C’est vraiment encore une enfant pense-t-elle.
L’administration est concentrée dans un bâtiment de style chartreuse.
Brigitte et Emmanuelle sont priées de patienter quelques instants dans le corridor dont la hauteur paraît vertigineuse, renforcée par l’étroitesse de ce grand couloir.
— Hum, ça sent bon la cire, remarque Emmanuelle, en remuant son petit nez.
Au bout de quelques minutes, elles sont appelées à entrer dans le bureau de monsieur le proviseur.
Cette immense pièce est lambrissée de sapin miellé des murs au plafond et son plancher est en chêne.
C’est la première fois qu’Emmanuelle entre dans ce bureau. Son regard, stupéfait, se pose sur une série de meubles anciens qu’elle n’a pas l’habitude de voir.
L’armoire, assortie au bureau est d’un bois foncé, presque de brou de noix. De hautes colonnes doublement torsadées, de style Louis XIII encadrent ses portes, décorées de motifs de chasse.
Le bureau, très lourd en style est décoré par un délicat sous-main en cuir de couleur vert olive, bordé d’une fine dorure. Les deux fauteuils assortis face au bureau achèvent de donner à l’ensemble une impression de sévérité. L’odeur de cire et de térébenthine, prenante, y est encore plus forte que dans l’entrée.
Monsieur Dupuch les invite à s’assoir, puis s’assied à son tour.
S’adressant à Brigitte :
— Je vous remercie Madame, d’avoir répondu à ma convocation. Je ne vous cache pas que je suis un peu embarrassé par cette situation, c’est la première fois qu’il m’est donné de gérer un tel cas dans mon établissement. Déontologiquement, votre fille ne devrait plus être acceptée dans le lycée.
On sait très bien que les autres élèves de sa classe peuvent, par curiosité pour certains, par méchanceté ou jalousie d’intérêt pour d’autres, perturber les cours. Cette situation inhabituelle dans une classe ne doit en rien déranger l’enseignement des professeurs.
Brigitte se sent un peu gênée, un peu honteuse aussi d’être mise face à son manque d’assiduité dans l’éducation de sa fille.
Emmanuelle réalise aussi à cet instant que tout commence à se compliquer. Si elle ne peut plus aller en cours, que va-t-il se passer ? Jusqu’à présent, elle n’avait fait aucun lien entre le bébé dans son ventre et ses cours au lycée. C’était pour elle, deux mondes parallèles, elle n’avait pas pensé que ces deux mondes pouvaient se rejoindre et n’en faire qu’un.
Il y avait sa grossesse à la maison entourée de sa mère et ses sœurs, au quotidien légèrement perturbé et il y avait sa grossesse à l’école dont très peu de personnes étaient au courant et où sa vie continuait très normalement.
Monsieur Dupuch la sort de ses pensées et lui demande quel est son avis sur ce qu’il vient de dire.
Qu’a-t-il dit déjà ? pense-t-elle.
Emmanuelle réfléchit un peu et lui répond :
— Oui Monsieur le Proviseur, je vous comprends mais je vais en parler à mes camarades de classe et vous promets de faire de mon mieux afin que les cours ne soient pas perturbés.
— Très bien. Quelle est l’orientation d’études que tu envisageais de prendre ?
— Je veux faire L, monsieur. Je veux devenir journaliste puis rédactrice, je ne sais pas encore dans quelle catégorie de presse. Je suis également passionnée d’histoire littéraire, alors je compte sur les rencontres de ma vie pour être aiguillée le mieux possible.
Monsieur Dupuch est très surpris d’entendre les propos de cette jeune fille, elle a l’air tellement déterminée dans le choix de sa carrière, peut-être inconsciente de son état face aux longues études qui l’attendent. Si elle y parvient, pense-t-il.
— Emmanuelle, je vais te laisser une chance d’aller au bout de tes rêves. Je compte sur toi pour faire en sorte que ce ne soit pas la pagaille en cours à cause de ton état. Tu peux poursuivre ta scolarité dans mon établissement, j’espère ne pas avoir à regretter ma décision d’aujourd’hui. Dès lundi, j’en informerai ton professeur principal, et je vous ferai rapidement part de sa décision, ajoute-t-il en s’adressant à Brigitte.
— Merci Monsieur le Proviseur. Désolée de vous mettre dans l’embarras, remercie Brigitte, soulagée.
— Je vous en prie, je pense que votre fille, et je ne dis pas cela parce qu’elle est présente, est un très bon élément, et je ne voudrais pas être responsable, en partie, de l’échec professionnel de sa vie, pour une décision prise trop hâtivement et de manière irréfléchie. Il y a des protocoles qu’il faut parfois savoir bousculer pour des personnes qui en valent la peine.
Brigitte est à la limite des larmes, monsieur Dupuch le voit bien, ses yeux se cachent derrière un léger rideau mouillé. Les paroles du proviseur viennent bouleverser cette mère qui comprend de plus en plus chaque jour que l’avenir professionnel de sa fille est menacé ; il est tellement difficile d’allier un métier de journaliste avec une vie de maman célibataire.
L’entretien terminé, les trois personnes se lèvent de leur siège, monsieur Dupuch les raccompagne courtoisement jusqu’à la porte du bureau.
Elles y sont entrées craintives et incertaines, elles en ressortent rassurées et émues.
— Merci encore, Monsieur le Proviseur d’accepter que ma fille poursuive ses cours dans votre établissement, dit Brigitte en lui serrant la main.
— Je vous en prie, répond-il, bon courage à vous et à toi surtout, Emmanuelle.
— Merci, Monsieur le Proviseur, répondent-elles en cœur.
Lorsqu’elles se retrouvent dans la cour du lycée, Brigitte ressent une envie incontrôlable de serrer sa fille dans ses bras. Et c’est ce qu’elle fait. Sa petite fille, son enfant… Une foule d’émotions traversent son esprit.
Emmanuelle en est émue mais pense avant tout à la super décision prise par le proviseur.
— Maman, c’est génial, je vais pouvoir continuer mes études et, tu verras, je deviendrais une grande journaliste.
— Oui ma chérie, je te le souhaite. Ce petit bouchon qui grandit en toi sera fier lui aussi de sa maman.
La jeune fille ne répond pas, elle ne s’est pas encore projetée dans cette vie-là, c’est tellement loin…
Madame Caraso, informée par le proviseur de sa décision n’a, bien sûr, également pas émis d’objection à ce qu’Emmanuelle poursuive son année de seconde dans sa classe, c’est ainsi que la petite vie scolaire reprend comme si de rien n’était.
Enfin, presque.
Emmanuelle devient peu à peu beaucoup moins assidue dans ses devoirs, son attention est de plus en plus difficile à capturer par les professeurs.
Elle a très souvent la tête ailleurs, on peut la comprendre, on le serait à moins.
Toutefois, elle se réjouit de pouvoir tenir la promesse qu’elle a faite au proviseur : pas d’incidence due à son état vis-à-vis des élèves pendant les cours.
Ses amis du lycée sont aux petits soins avec elle, même ceux qui ne lui avaient jamais adressé la parole avant de savoir. Cette situation déplacée dans une école entraine une grande part de curiosité, de compassion aussi.
C’est surtout son amie Alexandra qui l’entoure de beaucoup d’attentions.
Elles ne se connaissent que depuis le début de cette année scolaire, mais elles ont rapidement créé un lien amical. Depuis qu’Alexandra est au courant de la situation de son amie, elle en a d’ailleurs été la première informée, ce sentiment réciproque d’affection est croissant.
Emmanuelle se confie beaucoup à sa camarade, celle-ci sait l’écouter et souvent lui changer ses idées grises.
— Viens, le prof de sport est absent, je t’amène chez mes parents, ils ont une boulangerie dans le quartier des Chartrons, tu verras ils sont sympas.
Elles partent toutes les deux sur le CIAO d’Alexandra à travers les rues de Bordeaux, Emmanuelle sur le porte-bagage.
— Ou là, tu as pris du poids ma grande depuis la dernière fois, plaisante Alexandra, en faisant semblant de ne plus pouvoir avancer.
Cette fille est un vrai bout en train, elle a aussi un cœur d’or, Emmanuelle l’apprécie beaucoup.
Depuis qu’elle sait que son amie est enceinte, elle ne la lâche pas, toujours en train de lui remonter le moral et de lui mettre en évidence le côté positif de la situation.
— Tu te rends compte, c’est génial, tu vas être une jeune maman, quand ton enfant aura vingt ans tu en auras seulement trente-six, peut-être même que si ta fille ou ton fils est aussi précoce que toi tu pourras être une grand-mère de moins de quarante ans ajoute-t-elle en riant. Bon, je pense que ce ne sont pas les seuls avantages, mais ça en fait partie. C’est sûr que pour les cours, ça va être un peu moins drôle, mais je suis là, je t’aiderai.
L’esprit espiègle, Alexandra a toujours une idée en tête pour distraire son entourage, et adore amuser la galerie.
Elles sont presque arrivées à la boulangerie familiale, lorsqu’Emmanuelle est prise de nausée.
— Arrête-toi, crie-t-elle à son amie.
Elle descend de la mobylette blanche et se s’assied sur les marches d’une échoppe qui se trouve à proximité, elle est transpirante malgré la température de cette fin d’hiver. La contraction de son estomac se fait de plus en plus pressante, elle sent qu’elle va vomir, elle n’a pas d’autre choix que de le faire dans la rue, sur ce trottoir. Et elle le fait.
À la vue de ce spectacle et bien que son estomac se soulève aussi, Alexandra s’approche d’elle et lorsque son amie a terminé sa petite affaire qui n’a duré que quelques instants, elle lui tend un mouchoir en papier.
— Tiens, essuie-toi. Ça va mieux ? Tu veux attendre un peu avant d’y aller ? Si tu veux, on peut remettre à un autre jour la visite chez moi.
— Non, ça va aller. Désolée, c’est arrivé d’un coup. Merci pour le mouchoir, répond Emmanuelle, un peu gênée.
— Pas grave, c’est surtout embêtant pour toi. Tiens, c’est un des avantages auquel je n’avais pas pensé, plaisante-t-elle.
Elles en rient et reprennent la route direction les Chartrons.
C’est ainsi qu’Emmanuelle fait la connaissance de la famille d’Alexandra. Leur entrée dans la boutique est signalée par une sonnerie claire déclenchée par l’ouverture de la porte. « Ding ».
Emmanuelle est émerveillée par la décoration en place, c’est vrai que c’est bientôt Pâques, pense-t-elle.
Des œufs, des cloches et des cocottes en carton ornent tous les endroits où il est possible d’en placer.
Ces couleurs vives et dorées donnent un air de fête au magasin.
Sa mère, une petite femme, est derrière le comptoir, en train de faire le réassort des viennoiseries pour l’après-midi.
— Bonjour maman, je te présente Emmanuelle, l’amie dont je t’ai parlé, le prof de sport est absent, on a deux heures de libres, alors j’ai pensé qu’on pourrait venir prendre notre goûter au chaud.
— Tu as bien fait, ma chérie. Bonjour Emmanuelle, tu as un petit creux toi aussi ? demande sa mère, le sourire aux lèvres.
— Bonjour madame, pourquoi pas, merci, répond timidement la concernée.
— Alexandra, je te laisse t’occuper de ton amie, je dois terminer le réapprovisionnement, ton frère vient de m’amener toutes ces chocolatines et pains aux raisins à mettre en place.
— OK maman, merci, on y va.
Les deux adolescentes se dirigent vers l’arrière-boutique, une grande pièce un peu sombre où sont alignées des étagères des deux côtés du mur ; sur celles de droite, des cartons entiers de bonbons et de barres chocolatées, Emmanuelle n’en a jamais vu autant réunis en un seul endroit. Ses yeux se posent sur une grosse boite de Mars. Humm, mes préférés se dit-elle, gourmande. Sur le mur gauche de la réserve, elle devine un stock de boites à gâteaux pliées et empilées attendant d’être utilisées pour la vente des pâtisseries. L’écart entre les deux rangées est assez large, Alexandra lui explique que c’est pour faciliter le passage des chariots à pains.
Après cette traversée enchanteresse, elles arrivent dans l’antre du boulanger : le fournil, qui est par définition le lieu où se trouve le four et où on pétrit la pâte.
Cet endroit est deux fois plus grand que le magasin. Emmanuelle a l’impression d’être dans un léger nuage blanc, tout est recouvert d’une mince pellicule de farine.
Le four, au fond de la pièce, est un immense meuble métallique, composé en façade de quatre grandes portes horizontales vitrées, au travers desquelles des dizaines de baguettes allongées sont en train de dorer. Elle est fascinée par cette scène. L’odeur qui s’en dégage fait frémir ses papilles.
À l’avant du four elle voit un chariot sur roulettes recouvert d’une toile épaisse qui permet, elle le comprendra en voyant le père d’Alexandra l’actionner, de sortir les baguettes cuites puis d’introduire la fournée suivante de pâte crue.
Ses frères, Jean-Luc et Bruno sentant une présence derrière eux, se retournent vers les deux adolescentes lorsqu’elles entrent dans le fournil.
— Bonjour les gars, s’exclame-t-elle. Bonjour mon papounet, je ne veux pas vous déranger dans votre travail mais je viens vous présenter mon amie Emmanuelle.
— Bonjour Mademoiselle, répondent-ils presque en cœur.
Emmanuelle un peu gênée de cette intrusion, sourit et les salue à son tour. Elle se demande s’ils savent…
— Allez, ne fais pas ta timide, viens on va voir si les chocolatines sont encore chaudes, c’est là qu’elles sont les meilleures.
Alexandra l’amène vers le fond du fournil où se trouvent des chariots de clayettes recouvertes de viennoiseries, c’est à cet instant qu’Emmanuelle a droit à son baptême des boulangers.
Les garçons lui lancent en riant des mini pâtons enrobés de farine ; en un rien de temps, ses vêtements sombres virent au blanc, ses cheveux châtains sont grisonnants.
Comprenant la plaisanterie, elle se mêle à leurs rires. Malgré les éclaboussures qu’elle a reçues, Alexandra qui était de connivence avec eux est pliée en deux.
— Voilà ma grande, tu viens d’être baptisée, bienvenue dans la famille des boulangers, s’exclame Alexandra, fière de son coup.
Emmanuelle ressent à cet instant la chaleur et l’union de cette famille ; elle comprend pourquoi son amie est si riche d’esprit et de cœur.
— Tiens, lui dit-elle en lui tendant une appétissante chocolatine bien dorée qui va s’avérer aussi bonne que belle, tu l’as bien méritée. Puis, s’adressant à sa petite famille, bon, on vous laisse, on a cours dans une demi-heure.
— Merci pour votre accueil, leur lance Emmanuelle en souriant, ainsi que pour la chocolatine, elle est délicieuse.
— Enchanté d’avoir fait ta connaissance, tu reviens quand tu veux, promis, il n’y aura plus de baptême, lui répond le père dans un sourire plein de gentillesse.