Je suis mousse - Véronique Lurois - E-Book

Je suis mousse E-Book

Véronique Lurois

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Beschreibung

Après un démarrage difficile dès son plus jeune âge et une séparation déchirante, ce jeune garçon évoluera avec l’aide de son oncle et sa tante vers un destin qui lui sera propre. Un parcours semé d’embûches, jalonné de joies, de surprises et de déceptions.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Un livre dans les mains dès l’apprentissage de la lecture et un gout prononcé pour l’écriture, Véronique Lurois a voulu partager avec vous l’histoire de ce très bon ami qu’elle a trouvé digne d’intérêt.

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Véronique Lurois

JE SUIS MOUSSE

 

La Mère

Je fais partie d’une famille de onze chérubins, j’ai l’énorme chance d’avoir dix frères et sœurs vivants, ma mère ayant porté dix-sept enfants. Je ne suis ni le plus âgé, ni le plus jeune.

Nous vivons à Algrange dans l’est de la France également appelé Algring durant l’occupation Allemande, ce qui nous donne l’avantage d’être bilingue. C’est un petit village situé dans une vallée étroite d’environ six-mille habitants. D’un côté de la vallée, la colline et sa forêt, de l’autre, les plaines. Terrain de jeux immense où je laisse libre cours à mes rêveries, mes escapades et à mes courses effrénées. Lieu de recueil où je m’invente une vie meilleure, une vie de petit garçon comme les autres qui n’aurait pas à taire les turpitudes d’un homme qui se dit être père. Endroit d’évasion et de rires où les jeux bercent mes rares moments de liberté durant mon enfance. Un village avec son histoire, son abbaye, ses mines racontées par une fresque le long des murs.

C’est ici que démarrent mes souvenirs. Ma grand-mère a la bonté de nous héberger dans sa cave que nous avons aménagée. Pour l’année de mes trois ans, nous emménageons dans les HLM aux sorties du bourg. C’est plus spacieux et même si nous ne sommes pas encore tous nés car connaissant les conditions de la fécondation conjugale spécifique à notre famille, je sais déjà que j’aurai d’autres frères et sœurs.

Il sort, il voit ses copains, il boit, il s’enivre et il rentre complètement soul. Il hurle, il insulte, il menace, il frappe, il prend ce qui lui revient de droit comme il aime le dire, il pénètre et il éjacule. Il n’y a pas de place pour les préliminaires, pas de place pour le respect ou la tendresse. Notre mère n’a droit qu’à la sauvagerie, le dédain et la force. Cette manière de faire le détend, il s’endort, il ronfle. Maman a mal dans son intérieur, dans ses tripes mais surtout mal dans son cœur. Ce rituel est très fréquent d’où la multitude d’autres bébés qui viendront agrandir cette grande famille, cette famille nombreuse comme les gens nous appellent. Pour nous, les enfants, ce mode de procréation particulier n’a jamais amené d’animosité. Tout nouveau-né sera immédiatement protégé par les grands et nous serons tous envahis par le désir de sortir de cette spirale de violence.

Malgré notre mode de vie qui aurait pu nous rendre soupçonneux, c’est avec délectation que nous profitons de ce logement, même si nous nous bousculons à chaque croisement, un sentiment d’espace nous envahit dès notre première visite. Un sentiment qui sera vite terni par les élucubrations et les excès du soi-disant paternel.

 

Notre mère est une femme très courageuse, brune aux cheveux longs légèrement bouclés et épais. Détachés, ils courent sur ses épaules et viennent finir leur course au milieu de son corsage. En chignon, elle les attache simplement avec une barrette ce qui fait ressortir ses lèvres minces et un sourire qui en dit beaucoup sur cette vie qu’elle aurait aimé autre. Cette jouvencelle a dans les années cinquante la charge d’une famille nombreuse. Une femme a peine sortie de l’adolescence qui fera face aux grossesses à répétition et qui subira les assauts d’un mari ivrogne et violent.

Le conjoint de ma mère est un homme grand, aux cheveux courts, ondulés et coiffés en arrière. Alcoolique, cet être possède également un côté sadique. Pas assez satisfait des violences physiques exercées sur sa femme et ses onze enfants, la blessure psychologique atteint son apogée lorsque celui-ci oblige ses progénitures, dans le silence et assis sur une chaise, à assister au déroulement d’une scène rythmée au gré de ses envies de cogner, d’insulter et malmener son épouse. Beaucoup de sentiments cruels feront face, des sentiments dont nous ignorions l’existence. La haine, la colère, l’envie de vengeance mais aussi l’amour, la joie (malgré notre misère, nous restons des enfants) et bien d’autres apparaitront dans notre imagination. Le rêve nous permet de tenir.

L’année de mes dix ans nous apprenons avec horreur, comme si les raclées quotidiennes ne suffisaient pas, que ma sœur ainée a été violée par son propre père. La petite de six ans a su malgré son âge et avec un reste d’innocence, comprendre qu’il ne s’agissait pas des coups douloureux habituels. Les plaintes, les cris, les gémissements ainsi que les pleurs étaient déchirants.

Ma mère porte plainte, son mari est incarcéré pour six mois. Nous sommes sous tutelle de l’état. Durant la fin de cette période, notre mère fatiguée est hospitalisée pour une grippe, les médecins découvrent également une phlébite puis un cancer du sein. Les grands prennent soin des petits. Mon frère aîné travaille pour subvenir aux besoins de la fratrie. Ma sœur de seize ans a alors la charge de la famille avec les tout-petits. Pendant un mois, nous avons réussi, onze enfants à la maison, les uns choyés, les autres devant faire face à une situation allant de mal en pis, à nouer solidement les liens qui nous unissent encore aujourd’hui quarante ans après, et jamais nous n’oublierons, même si nous l’avons compris bien plus tard, le courage de nos ainés. Puis arrive la rupture. Peu de temps avant la libération du vieux, les services de l’état se présentent pour emmener nos six sœurs et les deux plus petits des garçons. Le plus grand de nous tous, avec le soutien de ses dix frères et sœurs, refuse d’ouvrir la porte aux gendarmes, l’intervention d’un serrurier sera nécessaire. Nos ainés ne comprennent pas. Encore aujourd’hui, je me souviens du manque ressenti le premier soir.

Pour leur sécurité, les filles et les plus jeunes sont placés dans des familles d’accueil, les plus grands réapprennent, dans la douleur, à vivre sans leurs cadets et sans le soutien de notre sœur qui a toujours su nous entourer. Notre sœur mère à qui encore aujourd’hui, nous vouons un attachement particulier que nous avons développé au fil de toutes ces années durant lesquelles nous avons été séparés. Cette jeune fille blessée n’a pas hésité à donner toute son énergie pour s’occuper des petits et comme elle continue ses études, c’est notre frère de quatorze ans Sylvain qui reste à la maison pour s’occuper des bébés, le plus grand d’entre nous travaille toute la journée.

Puis, l’homme est libéré, il s’installe de nouveau à la maison. Nous ne sommes plus que trois garçons et nous vivons dans l’angoisse à ses côtés. J’ai interdiction d’aller rendre visite à ma mère à l’hôpital et je n’ai que très peu de nouvelles. Elle me manque. Je ne vais plus à l’école, le matin, je pars avec mon cartable et vais la voir en cachette. Elle aussi a besoin d’un peu de réconfort. Elle s’inquiète de notre devenir car elle sait qu’elle nous laisse entre les mains d’un individu grossier et cynique. Alors je la rassure, je lui raconte de bien belles histoires auxquelles elle ne croit pas mais qui la font sourire. Sans jamais mentionner le nom du mâle qui ne lui a alloué que peur et souffrance, j’invente un bel avenir pour ses onze enfants.

Elle s’endort et je retrouve les copains qui chapardent une pomme, une banane ou un morceau de pain à la cantine et me les donnent le midi.

Durant les neuf mois de son hospitalisation, la santé de ma mère ne fait que décliner. À la maison, elle est très vite remplacée par la nouvelle compagne de son mari. Ils se sont trouvés sur annonces. Notre vie est difficile, je ne m’entends pas avec la nouvelle venue et ses quatre enfants. Pendant ce temps, ma mère agonise et décède à l’âge de quarante-deux ans. Le plus âgé d’entre nous a dix-huit ans, le plus jeune, quatorze mois. Je tairais la colère qui se transformera en haine. Mon corps entier est envahi par la fatigue, une lassitude qui mettra des jours à disparaître. Un grand sentiment d’isolement, une perte énorme, un gouffre dans lequel le moindre souffle pourra me précipiter sur les mauvais chemins de la vie. Encore aujourd’hui, je n’éprouve que de la rancœur envers cet individu.

Ce soir-là, je ne rentre pas à la maison car je sais que plus aucun frein n’arrêtera les excès de cette créature dans ses moments de grands égarements, ce sont les gendarmes qui me ramènent.

Enfin, notre géniteur est déchu de ses droits paternels et dès lors, je rentre dans les rouages de l’assistance publique, nous sommes séparés. J’ai alors quatorze ans.

Mes deux frères restent à la maison car le plus âgé a atteint sa majorité et le second en est très proche. Ils partiront dès que possible, les souvenirs étant bien trop douloureux.

 

Bonjour, je m’appelle Guytou et voici quelques mots sur ma petite enfance.

Niort

Je suis placé chez mon oncle et ma tante, la sœur de ma mère, qui à plusieurs reprises ont bien essayé de prendre sous leur tutelle plusieurs d’entre nous, mais sans jamais réussir malgré toutes les démarches et les insistances auprès des services de l’état. Notre cas ne devait pas être assez grave. Ils connaissaient notre condition, en étaient bouleversés et souffraient terriblement de notre situation. Après le décès de sa sœur et avec tout le soutien de son mari, ma chère tantine réussit enfin à récupérer un de ses neveux. Je serai le seul, mes autres frères et sœurs ayant été placés avant le repos éternel de notre mère. C’est avec un énorme plaisir que je quitte l’appartement détestable où j’ai été obligé de survivre durant ces premières années. Ma fratrie me manque déjà.

Je pars donc pour Niort, un chamboulement brutal car c’est une ville d’environ soixante-mille habitants, mais je suis heureux de quitter ce village encore habité par cet être ignoble qui nous aura donné que malheur, larmes et effrois.

Je découvre alors cette grande agglomération mais également l’entourage et l’amour de mon oncle et ma tante et surtout celui de ma cousine qui mettra tout en œuvre pour me faire découvrir la vie d’adolescent que je n’aurai jamais pu connaître si j’étais resté à Algrange. Leur fils et les deux autres filles ont déjà quitté le domicile familial et commencé une histoire qui leur sera spécifique. Lui est amputé d’une jambe. Cela s’est passé durant son service militaire à Madagascar. Il est grand et ressemble à Jean Gabin ce qui le rend encore plus chaleureux qu’il ne l’est déjà. Cette cordialité n’a d’égal que sa gentillesse, son bon sens et l’envie de bien faire vis-à-vis d’un enfant que l’on vient d’arracher aux siens, à ses frères et sœurs qui étaient le seul lien affectif qu’il connaissait. Un jeune être blessé par la disparition dramatique de sa mère, un préado rempli de colère envers un scélérat puant qui continuera à mener une vie en toute impunité.

Elle, petite, aux cheveux mi-longs, rondouillarde et d’une ressemblance frappante avec ma mère, m’entourera de l’affection qu’elle aurait destinée à nous tous, les pauvres petits comme elle nous appelait, ce qui peu à peu effacera sa tristesse. Sa grisaille causée par l’angoisse de voir ses neveux et nièces subir les tromperies perfides d’un traitre autorisé à être de nouveau auprès d’une femme avec gamins disparaitra au fur et à mesure de mon évolution.

Ma cousine, grande et plantureuse sera mon alliée, mon amie durant tout mon séjour dans cette délicieuse maisonnée. J’ai le droit de parler, rire, exprimer les joies et mes peines. On m’embrasse, on me sourit et je suis choyé. Les repas sont des instants de détente, la nuit je dors profondément. Je n’ai aucune inquiétude pour le lendemain sur le déroulement de ma journée. Alors je reprends goût à la vie, je me repose et même si je n’envisage pas encore un avenir, j’ai l’immense plaisir de profiter de tous les bons moments que nous octroie notre destin. Les mots de bienvenue fusent dès mon arrivée. Ma tante :

– Rentre Guy tu es ici chez toi, je te présente ta cousine, vous allez faire un bout de chemin sous le même toit.

Ma cousine :

– Je vais te présenter tous mes amis. Nous avons beaucoup de choses à faire ensemble. Tu verras, tu seras très bien ici chez toi.

Mon oncle :

– Ta chambre, tes cousins ne vivent plus ici, cette pièce est tout à toi.

Que de bonnes attentions, je ne suis pas habitué mais très rapidement je m’adapte à ce nouveau mode de vie qui me permet d’envisager un futur meilleur et plein de surprises qui feront de moi celui que je suis devenu aujourd’hui.

Je prendrais quelques lignes afin de remercier du plus profond de mon âme cette famille délicieuse qui aura mis tous les moyens pour me faire oublier mes premières années fatales et tragiques. Je suis entouré, guidé, protégé mais surtout cajolé. Je fais maintenant partie d’une parenté comme les autres. Je ne parle pas du passé mais vis au jour le jour durant les premières semaines encore incapable d’imaginer le fait que je ne reverrais plus l’abominable créature qui a contribué à ma venue sur terre. Je pense beaucoup à ma mère et mes frères et sœurs. Où sont-ils, que font-ils, ont-ils eux la même possibilité que moi. Où sont les petits, les bébés, se rappelleront-ils de nous, ils étaient tellement jeunes quand nous avons été séparés. Et toi ma chère sœur, que deviens-tu ? Mais toutes ces questions quittent peu à peu mon esprit car j’ai beaucoup de choses à découvrir.

Je vais au collège à Niort, je suis un élève médiocre, mais je chante sur le chemin de l’école. Mon oncle et ma tante sont bien plus inquiets sur mon devenir. Je m’habitue petit à petit à vivre dans une grande ville la semaine car tous les week-ends, nous partons dans la maison de campagne située à Sainte-Pezenne, agglomération qui jouxte Niort et où je retrouve les joies de la liberté bucolique.

Sainte-Pezenne, son église, ses jardins ouvriers, ses écluses et ses espaces de verdure immenses. J’apprends le jardinage, le potager, passion qui ne me quittera plus. Je retrouve mes courses effrénées, mes constructions audacieuses et me donne entièrement durant tous ces moments d’autonomie en découvrant mes premiers flirts, mes premières convoitises. Je passerais des instants idylliques qui se tariront quelques jours plus tard avant de rependre avec une autre bienfaitrice qui aura su m’attirer avec un simple sourire. Je veux tout découvrir car j’ai l’étrange sentiment d’être passé à côté de toutes ces choses que font les garçons durant leur apprentissage pubère.

Je me sens fort et puissant et sans m’en apercevoir, je vais bientôt faire mes premiers pas dans le monde des adultes toujours accompagné par ces bienfaiteurs que sont mon oncle et ma tante. Discrètement et sans déchirures ils parviendront à secourir cet enfant apeuré que j’étais lors de mon arrivée en un garçon confiant et ouvert. Dans la tendresse de leur regard, je vois l’apaisement d’un couple qui aura su porter sur le droit chemin un rejeton à l’envol plus qu’incertain. Je fais complètement partie de leur famille, je suis enfin heureux ce qui ne m’empêche pas chaque jour, d’avoir une pensée pour tous les miens, ma fratrie.

Le saisissement

Vu mon épanouissement, je vais chez les commerçants faire quelques emplettes. J’éprouve de la fierté et déambule avec allégresse chez l’épicier, le crémier ou le boulanger.

Un matin, alors que je vais chercher le pain, la boulangère me sourit, ravie de me revoir.

– Bonjour Benoît en vacances ?

– Bonjour madame, je ne m’appelle pas Benoît, mais Guy.

Surprise, elle me donnera ce que je suis venu chercher et me dira au revoir avec un sourire consterné et lourd de contrariété. De retour à la maison, je fais part de l’incident à ma tante, content que les commerçants me confondent avec un autre.

Je rencontrerais Benoît quelques jours plus tard. Est-ce une coïncidence, le destin ou un évènement provoqué ? La stupeur, nous sommes des jumeaux avec un an de différence. Nous sommes deux sosies, seul un « oh » sortira de notre bouche.

Notre reproducteur a eu la cruauté durant l’époque où ma mère étant encore en vie d’abuser d’une de ses sœurs quand nous vivions dans la cave de notre grand-mère.

À cette période, aucune plainte n’a été déposée. Le sujet était tabou, personne n’a jamais chuchoté le moindre mot sur cette agression. Pour ne pas salir le nom de la famille et pour cacher une grossesse défendue, mon autre tante et marraine sera envoyée à Paris. Elle passera tous ses congés en Normandie en essayant d’estomper ce mal qui la ronge, oublier ce traumatisme, et donnera malgré cela un amour maternel colossal à son fils, seule, sans jamais refaire sa vie.

Quand j’apprends cette abomination, pour moi rien ne change mais ne fait qu’accroître le sentiment d’aversion et de répugnance que j’éprouve pour celui qui n’aura déversé que salauderies sur son entourage.

J’aimerais d’autant plus ce cousin, ce frère et jamais je me permettrais d’entacher son enthousiasme et sa joie de vivre qu’il me communiquera. Je deviens protecteur de ce cadet souriant et mon cœur se gonfle chaque fois que nous partons ensemble pour nos virées distractives.

En aucun cas nous ne parlerons de ces évènements avec Benoît et immédiatement nous deviendrons les meilleurs amis du monde durant ces deux années de complicité et de plaisir. Nous nous verrons chaque week-end et toutes les vacances scolaires. Nous partagerons tout comme deux frères séparés depuis toujours. Deux frères qui courent après tout ce temps perdu. Je n’oublierais jamais la stupéfaction causée par l’étrange sentiment de regarder notre reflet projeté en pleine face lors de notre première rencontre ainsi que ce lien indestructible qui nous unira. Cette recherche d’amusement, cette avidité simultanée de béatitude chaque fin de semaine quand nous courons l’un vers l’autre pour nous serrer dans les bras en se disant que ces deux jours passeront trop vite.

À ce jour, je ne sais pas s’il connait notre véritable origine et je garde un profond respect pour celui qui aura su consciemment ou non me faire comprendre que nous devions malgré notre passé continuer à avancer sans perdre de vue que nous venons d’un environnement différent de celui des autres. Cette atmosphère, si pénible qu’elle soit, doit nous permettre d’acquérir une volonté honnête, nous rappeler d’où l’on vient, mais surtout ne pas influer avec nocivité sur notre avenir. Je retiens délibérément cette mise en garde et mon lendemain sera sous l’emprise de ce raisonnement.

Maintenant je sais ce que je veux être.

Nous nous perdrons de vue dès lors où je choisirais d’entrer à l’école des mousses.

L’école des mousses

Je finis ma deuxième année scolaire toujours dans la médiocrité, ils envisagent pour moi, un apprentissage dans la mécanique. Cette idée ne me convient pas du tout. Depuis plusieurs années déjà, je rêve de devenir mousse. Peut-être à cause de ce que j’ai vécu et subi. J’ai terriblement besoin d’air, de grands espaces et je pense que seule la mer me permettra d’estomper ce triste passé. Aller sur l’océan, naviguer, observer et pêcher, je l’ai souvent imaginé. Je me suis construit une envie, un désir, une nécessité.

« Non ! je ne ferais pas de mécanique, je veux être mousse. » Ce sera ma seule réplique.

Grâce à ses connaissances, mon oncle me fait intégrer l’école d’apprentissage maritime de La Rochelle, Port Neuf exactement. J’ai besoin d’un trousseau, c’est ma tante, cette femme dévouée, avec toute sa bienveillance maternelle qui accomplira cette besogne. Chaque drap ainsi que l’indispensable (linge de bain) sera brodé, chaque vêtement marqué. Je passe mon brevet de natation, obligatoire pour intégrer l’école.

C’est un déchirement pour ma tante, je quitte la maison et part pour l’internat effectuer ma formation. Je découvre un endroit qui me semble magique et qui change mon a priori. Un pensionnat où l’aménagement a été reproduit à l’identique d’un bateau. Cinq dortoirs de douze élèves appelés canots pour la pêche et cinq dortoirs pour la conchyliculture. Tous les ateliers d’enseignement sont conçus comme sur une embarcation. Une barre pour initier à la navigation, un mât, une salle des machines que l’on peut atteindre en descendant par une échelle étroite.

Les professeurs sont d’anciens marins qui connaissent la mer et ses dangers. Des matelots bénévoles viendront aussi nous guider pour cette profession que nous avons privilégiée. Toute cette multitude de personnes nous transmettra son savoir, nous avertira sur les difficultés à venir, nous éclairera sur le déroulement de notre futur travail.

Des techniciens de la mer qui nous épauleront afin que nous devenions des loups des mers responsables et avisés. Tous nous communiqueront la cruauté du métier et l’élégance de son environnement. Ils nous avertiront également sur l’entourage, intraitable mais combien passionné et héroïque, ces mâles robustes qui dans toutes circonstances protégeront la vie de leurs compagnons.

Je veux ressembler à ces hommes, changer et pouvoir dire : je suis un marin, mon métier c’est la mer.

L’Apprentissage

Comme je l’ai dit, nous devons vivre comme sur un bateau. Je partage le dortoir, la classe et le réfectoire toujours avec les mêmes compagnons.

Nous sommes environ cent quarante internes, de toutes catégories. Il est inutile d’essayer d’établir une hiérarchie, il n’y a pas de place pour la disparité sociale. Il y a toutes sortes de gamins, des grands costaux, des petits freluquets, certains sont limite délinquants et une chose est sûre, nous sommes tous turbulents.

Le premier jour, on nous présente le bataillon qui nous encerclera durant toute la durée de notre présence en ces lieux sans omettre de nous assigner les règles qui feront partie de notre quotidien.

L’éducation est très stricte. Lever à 6 heures du matin et passage à la salle de bains. Ne jamais arriver le dernier à la cantine, la part des retardataires est avalé par les plus grands. Le premier jour sans déjeuner est traditionnellement le dernier. Il n’est pas utile ni avantageux de se plaindre. D’une part car les enseignants n’aiment pas les donneurs cela n’existe pas sur les rafiots et de plus, les cafards sont bien malmenés par le reste de la chambrée. Puis, nettoyage de l’internat (toilettes, douches, classes, cuisine et vaisselle). Ces corvées sont attribuées chaque semaine. À 8 heures, l’appel, sonné à la corne de brume, rassemblement général dans la cour. C’est aussi le moment de la mise au point. Tout ce qui ne va pas, tout ce qui n’a pas été et particulièrement toutes les critiques sur le déploiement d’excentricité affichée durant la nuit.

Nous sommes alignés et nommés un par un. Distribution du courrier pour ceux qui ont le bonheur d’avoir des correspondants. J’en fais partie, je reçois des babillardes de ma cousine, mon oncle et ma tante. Cours jusqu’à midi puis nous bénéficions d’une demi-heure de détente.

Douze heures trente, déjeuner. Encore une fois se précipiter afin de ne pas camper devant une assiette vide, ensuite vaisselle et curetage du réfectoire.

Fin des cours à 18 heures et nous avons quartiers libres jusqu’à 19 heures dans l’enceinte de l’établissement. Aucune sortie n’est autorisée et gare à celui qui enfreindra les lois. À dix-neuf heures trente, appel du soir, même rituel pour chaque repas : je cours, re-ménage. Ensuite, nous avons le droit aux divertissements que nous propose l’établissement et ce toujours sous encadrement : baby-foot, cinéma, modélisme, maquette, peinture.

Vingt et une heures, toilette et à vingt et une heures trente, extinction des feux. Il est bien entendu que toutes ces occupations doivent se dérouler sans accrochage et dans le calme ce qui de temps en temps est irrationnellement difficile pour une meute de jeunes garçons soucieux d’affirmer leur suprématie.

Le week-end, retour dans nos foyers pour très peu d’entre nous car nous n’avions pas tous l’aubaine de résider à proximité et nous rentrions chez nous qu’une fois par mois ou seulement durant les vacances scolaires. Les pions sont logés à la même enseigne et malheureux sont les pensionnaires qui subissent sans intermède le conformisme de nos gardiens ce qui, je dois bien le dire provoquait certaines tensions lors du retour des « déserteurs » dont j’ai pu faire partie quelques fois. Je suis rentré chez moi peu de week-ends, mon oncle et ma tante n’ayant pas les moyens de me payer le train ou de venir me chercher. Ce couple qui a pris soin de moi durant cette période n’a tout de même pas hésité à se soulager de quelques deniers afin de me soutenir durant cette époque, un appui nécessaire.

Au cours des samedis et dimanches passés au pensionnat, notre cargaison, linge de toilette, vêtements et draps de lit était décrassée par la buanderie. J’appréciais singulièrement les quelques fins de semaine où je rentrais car ma seule préoccupation était de passer deux jours agréables loin des obligations ménagères.