Jour de fête et autres nouvelles - Alain Kauffmann - E-Book

Jour de fête et autres nouvelles E-Book

Alain Kauffmann

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Beschreibung

« Un anniversaire où l’homme de la soirée n’est pas à la fête, quatre comédiens sans scénario pour les sortir d’une situation étonnante. Le conte du petit chaperon rouge revisité, des pigeons surpris par le locataire du cinquième, des amours détonantes ou encore les douze coups de minuit qui refusent de résonner, voici six nouvelles qui se jouent de toute vraisemblance. »

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Alain Kauffmann

Jour de fête

Et autres nouvelles

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Alain Kauffmann

ISBN : 979-10-377-3366-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Un anniversaire où l’homme de la soirée n’est pas à la fête, quatre comédiens sans scénario pour les sortir d’une situation étonnante. Le conte du petit chaperon rouge revisité, des pigeons surpris par le locataire du cinquième, des amours détonantes ou encore les douze coups de minuit qui refusent de résonner, voici six nouvelles qui se jouent de toute vraisemblance.

Jour de fête

J’ai la mémoire qui flanche

17 juillet, nous étions le 17 juillet, je m’efforçais de graver cette date dans ma mémoire, sinon cet anniversaire risquait fort d’être ma fête si, par hasard, je l’oubliais. Évelyne avait la marotte des commémorations en tout genre, première rencontre, premier je t’aime, premier bisou, premier baiser, premier…

Au début, je trouvais charmant qu’elle fasse un évènement de tout ce qui fait le quotidien. Une façon de l’enjoliver à sa guise, de donner de l’importance à ces choses qui petit à petit se métamorphosent d’ordinaire en souvenirs fugaces, bribes de vie qui se détricotent, se décolorent et disparaissent à tout jamais. C’est triste d’oublier ou plutôt de ne plus se souvenir d’un rire, d’une caresse, d’un moment de mélancolie, d’un baiser plus tendre ou plus sincère que les autres. Les albums de photos sont pleins d’un passé stéréotypé, naissance, communion, mariage, la Baule en famille, ce tonton formidable dont l’humour réputé était taillé pour par ses envolées grotesques mais incontournables de fins de repas de noces, ou cette improbable arrière-cousine qui, bien que vieille fille, faisait preuve d’une étonnante vitalité qui aurait certainement fait le bonheur du plus exigeant. À ne surtout pas oublier, ces visages figés, ridiculement démodés, étrangers.

Des tranches de vie désincarnées, identiques d’un album à l’autre, d’une famille à l’autre quel que soit la décennie ou le siècle qui fut le leur. Des souvenirs fossilisés dans l’hyposulfite, lavés de tous sentiments, fixés une fois pour toutes.

Fini, l’album de famille, maintenant il faut subir, quand on se rend chez ses proches, après les vacances, une naissance ou un mariage d’interminables défilés de photos. La règle du jeu semble consister à réaliser un maximum de prises de vue. Donc, nous subissons la plage sous tous ses angles, l’inévitable couché de soleil et le summum, la totalité des plats et mets ingérés durant toutes ces semaines de congés payés.

Évelyne, elle, collectionnait les bouts de ficelles de la vie, les triait, les répertoriait et leur accordait systématiquement une valeur sentimentale bien définie. Il en résultait une kyrielle de dates anniversaires dont chacune correspondait à un rituel bien établi.

Quand l’échéance de l’un de ces fameux jours « J » arrivait, et ils étaient nombreux, cela allait de l’évocation émue de tel ou tel moment de notre vie commune à la commémoration solennelle et néanmoins repentie d’une réconciliation marquante après une scène de ménage qui devait l’être tout autant. Entre ces deux extrêmes, j’avais le choix parmi une large palette de manifestations rigoureusement codifiées par la mise en place de rites soigneusement élaborés, tous significatifs de l’importance à accorder au souvenir dont il était impératif de raviver la flamme.

Le seul problème en l’occurrence c’était que le calendrier comptait invariablement 365 jours et que les années bissextiles faisaient, on s’en serait douté, l’objet d’un anniversaire tout particulier.

Ainsi, pour caser l’évocation, le rappel, le recueillement, le souvenir de moments précis, badins ou exceptionnels, il fallait tenir compte, non seulement de la date, mais aussi de l’heure. Cela nous permettait de fêter dans le meilleur ou le pire des cas jusqu’à trois anniversaires quotidiens.

Cette manie tournait à la plus totale des frénésies et occupait même certaines de nos nuits en souvenir de celle, par exemple, ou comptant fleurette à Évelyne de manière plus ardente encore elle perdit la sienne sur le coup de trois heures du matin. La seule chose qui commençait à m’inquiéter sérieusement résidait dans le rythme que prenait la chose après deux ans à peine de vie commune. Chaque heure, chaque minute qui passaient pouvaient se révéler d’une soudaine importance qu’il fallait aussitôt cataloguer, répertorier, étiqueter et conserver définitivement.

Certains collectionnent les timbres, les vases de la dynastie Ming ou plus prosaïquement des boîtes de camembert, Évelyne, elle, faisait la moisson de ses propres souvenirs, à tel point qu’elle ne pouvait commencer une phrase sans la faire précéder par un fatidique « tu te souviens ? ». L’autre aspect du problème résidait dans le choix du cadeau, parce qui dit anniversaire dit cadeau bien évidemment. Ceux-ci devaient à chaque fois être en adéquation avec le thème de nos petites sauteries et, accessoirement, avec mon modeste budget.

Le pire étant que certains de ces cadeaux devenaient à leur tour sujets à manifestation du souvenir comme la fois où, pour fêter notre première rencontre qui eut lieu un dimanche d’été dans le square Eugène Sue, je lui offris un petit chien.

Ce jour-là, désœuvré et solitaire encore, je décidais de dissiper des brumes fortement alcoolisées, une solide migraine et une amère contrariété sentimentale, les pires lorsqu’elles sont associées à d’autres contrariétés d’ordres hépatiques, bien que souvent il y ait une évidente mais désastreuse cause à effet.

Après avoir titubé quelques instants sous l’effet toujours vivace d’innombrables décilitres de whisky de 15 ans d’âge qui avaient cependant réussi à m’en faire prendre vingt dans la soirée, le tout ravivé par un air vif, je pris enfin le parti de m’affaler sur un banc afin de sauver les apparences. Je rouvris les yeux lorsque le banc s’arrêta enfin de tanguer. À ma gauche, il y avait le regard réprobateur d’une dame complètement décalcifiée mais digne encore, certainement pleine de principes qui réprouvaient la vue d’un jeune homme tel que moi, dont l’aspect tout entier trahissait une nuit de libation. Pour prendre une contenance je me tournais sur ma droite ou une petite boulotte en charge de trois gamins qu’elle houspillait pour un rien, débordait néanmoins d’affection pour une boule de graisse pleine de poils que l’on appelle communément chien-chien à sa mémère. Ces deux races, le chien-chien et sa mémère, étant réputées inoffensives, je me fendis d’un « oh-le-jo-li chien-chien, c’est-une-fille-ou-un-garçon ? ». Une voix fit échos à la mienne, ce fut celle d’Évelyne, paf, nous venions de programmer notre première date anniversaire, celle de notre rencontre.

Donc, un an après j’offris un chien-chien à celle qui heureusement n’était pas encore une mémère. Presque humain, d’après le dire de nos proches et tout particulièrement d’après ceux d’Évelyne, il ne lui manquait que la parole. Un être doué de tant de sensibilité, d’intuition, d’intelligence avait à son tour droit à un anniversaire en bonne et due forme. De toute façon, si j’avais offert ce jour-là une potiche ou une fleur séchée, je pense que la suite aurait été la même, le processus était déjà solidement enclenché. Quoique, pour tout dire le chien fut particulièrement gâté puisque furent inscrits au calendrier des réjouissances le jour de sa naissance et le jour de son arrivée dans notre vie qui vint se cumuler avec la commémoration de notre première rencontre.

Ce jour du dix-sept juillet s’avérait particulièrement important pour Évelyne puisque le dix-sept juillet deux mille quinze fut le jour où elle décrocha son bac, deux ans après jour pour jour elle échoua lors de sa première tentative d’obtention du permis de conduire. Enfin, c’est toujours un dix-sept juillet qu’elle partit pour la première fois en vacances sans ses parents. Mais pour faire bonne mesure et ne pas friser la manie maladive elle eut la sagesse de regrouper ces trois évènements incontournables de sa vie au chapitre adolescence ce qui nous laissait du mou pour l’avenir mais pas dans l’immédiat en ce qui me concernait, parce qu’il fallait que je trouve encore quel cadeau lui faire à cette occasion.

Bon, question cadeau, j’étais plutôt satisfait de ma trouvaille, j’avais réussi à racheter auprès d’un boutiquier incertain qui faisait commerce d’articles aussi hétéroclites qu’inutiles trois cent cinquante-cinq numéros de notre vaillant quotidien local. Je possédais ainsi la totalité des éditions de toute l’année mille neuf cent quatre-vingt-huit, année de sa naissance.

Un peu jauni, craquelant comme de vieux parchemins, je possédais là trois cent cinquante-cinq idées de cadeaux correspondant à chaque fois aux nombreux jours anniversaires qui continueraient à être immanquablement célébrés.

Comme à peu près un soir sur deux dans le meilleur des cas, c’est-à-dire chaque fois que nous fêtions un quelconque souvenir, Évelyne avait recouvert la table d’une nappe brodée des mains de sa grand-mère enlevée subitement à son affection dans sa quatre-vingt-huitième année, deux jours seulement après avoir achevée la réalisation de cette œuvre pénélopesque, ce qui me valait, à vingt-quatre heures d’intervalle, deux veillées sanglotantes ou Évelyne refaisait alors l’oraison de son aïeule bien-aimée.

Des bougies, bien entamées déjà attendaient d’être allumées pour l’occasion. Évelyne, bien que faisant une étonnante consommation de chandelles en ce début du vingt et unième siècle, savait, en parfaite maîtresse de maison, se montrer malgré tout économe et n’allumait leurs mèches noircies qu’au début du repas commémoratif proprement dit.

Bisou de circonstance, mains derrière le dos pour cacher de manière évidente la bonne surprise qu’elle ne tarderait plus à recevoir et, enfin, je lui brandis le plus joyeusement possible le premier trois cents cinquante-cinquième exemplaire de ma trouvaille, véritable cadeau à mouvement perpétuel pour une bonne année tout au moins. Elle eut, pour la énième fois depuis notre rencontre, cet air enjoué et surpris en s’exclamant comme il était désormais de coutume : « Oh, comme c’est gentil, tu n’as pas oublié, mon amour ».

Oui, son amour n’avait pas oublié et même il avait pris une sérieuse avance pour ces prochains mois. Son amour était merveilleux d’imagination, ce qui s’avérait d’une importance capitale étant donné que nous résidions dans une bourgade de quatre mille cinq cents âmes, nantie pour tout commerce de luxe d’une quincaillerie du centre, d’une boutique pompeusement baptisée « à la mode de Paris » qui faisait aussi office d’une modeste parfumerie lorsqu’on se contentait d’explorer les sombres étalages du fond, mais qui demeurait une droguerie, marchand de couleurs en ce qui concernait les rayons principaux.

N’oublions pas tout de même le tabac/P.M.U./cadeaux ainsi que les quelques colifichets que vendait occasionnellement la patronne du salon « Mireille Coiffure » qui était certainement coiffeuse réputée excellente au demeurant, mais ne se prénommant pas du tout Mireille.

Le stratagème du cadeau inépuisable durait déjà depuis une dizaine de jours environ : Évelyne était aux anges. Elle décelait dans ce genre de présent une attention de ma part toute en finesse qui lui permettait de démarrer une vaste collection proportionnellement aussi importante que l’ensemble des dates qu’elle avait décidé de vénérer. Une façon pour elle de stigmatiser ces moments forts qui lui tenaient tant à cœur.

Bien Sûr, dans l’espoir de donner une certaine valeur ajoutée à ces cadeaux somme toute modestes et, afin de ne pas lui donner l’impression de sombrer dans la facilité en me contentant d’un systématisme routinier, je me plaisais à lui faire croire qu’à chaque fois je m’échinais, me démenais auprès de brocanteurs, de collectionneurs de mes relations et auprès de vieux bouquinistes consciencieux afin de trouver et lui rapporter le jour dit, le numéro correspondant à la date qu’il fallait fêter ce jour-là. J’ajoutais, pour faire bonne mesure, que je mettais un point d’honneur à ce qu’ils fussent tous bien édités au cours de l’année mille neuf cent quatre-vingt-huit, année de la naissance d’Évelyne.

Mon bonheur, et par conséquent celui d’Évelyne, dura jusqu’au 17 juillet.

Ce jour-là, ou ce soir-là plutôt, alors qu’Évelyne n’allait pas tarder à rentrer, son panier rempli de victuailles et très certainement d’un nouveau stock de chandelles, parce qu’il y avait inévitablement un anniversaire au programme, je m’aperçus avec effroi que le numéro du dix-sept manquait. Plusieurs fois, je refis l’inventaire de mon stock sans succès. Dix-neuf heures trente, la quincaillerie, la parfumerie marchand de couleurs et Mireille Coiffure avaient tous baissé leur rideau de fer respectif. Le centre-ville avait très certainement cessé de bien porter son nom pour se transformer en sinistre no man’s land aussi imprécis qu’une lointaine banlieue.

J’étais consterné, Évelyne, dont j’entendais maintenant le pas dans l’escalier, ne s’en remettrait pas. Fébrilement, le 17 juillet, je refis mentalement une dernière fois l’inventaire de la pile de ces foutus journaux auxquels je ne pris même plus la peine de toucher, sûr désormais du désastre.

Le bruit de la clé dans la serrure, au bout de la clé Évelyne, Évelyne et ses foutus bordels d’anniversaires de merde.

Vite. Retarder la catastrophe. Après tout, habituellement je n’étais pas encore de retour à cette heure-ci. Mon apparente absence me sauvera provisoirement et me laissera le temps peut-être de trouver la solution. Je me précipitais vers la cuisine. Non. Les toilettes ? Pas d’avantage, Évelyne ne jouissait que d’une autonomie restreinte et son premier souci en rentrant chez elle consistait d’abord à se libérer la vessie sans plus attendre. Le grenier. Évelyne ne m’y découvrira pas, ne m’imaginera même pas là-bas, nous n’y allions jamais.

Je m’assis sur une malle poussiéreuse et soupçonnais, dans l’obscurité, la danse horrible d’araignées perfides. J’en avais la trouille. Que voulez-vous à quarante berges on ne se refait pas. Nous étions le dix-sept juillet qui, une fois de plus, se révélait être une date à retenir bien que je ne me souvenais plus avec précision de la nature de l’évènement qu’il fallait célébrer. J’étais assis dans le noir le plus complet, pris au piège comme un gamin, tremblant de peur à cause d’invisibles araignées : il sera dit que le dix-sept juillet 2020 fut le jour où j’eus vraiment l’air d’un con.