Journal de bord d'une maternité décomplexée - Déborah Laurent - E-Book

Journal de bord d'une maternité décomplexée E-Book

Déborah Laurent

0,0

Beschreibung

Un livre déculpabilisant sur la maternité.

Avant de tomber enceinte, on me demandait : « C’est pour quand ? » Je pensais que la pression allait se calmer une fois l’embryon logé au creux de mes entrailles ; j’avais tout faux. Une fois enceinte, les gens savaient mieux que moi ce qu’il fallait faire ou non. Ça ne s’est pas arrangé quand mon fils est né et pas non plus dans les années qui ont suivi sa naissance.
Être mère, c’est douter de tout et n’être sûre de rien.
C’est entendre tout et son contraire et avoir la pression, sans cesse. Vous serez jugée si vous allaitez ET si vous n’allaitez pas, si vous laissez pleurer votre bébé ET si vous accourez au premier cri, si vous travaillez trop depuis que vous êtes maman ET si vous ne travaillez pas.
Vous savez quoi ?
Vous avez le droit de n’avoir qu’un seul enfant. Et vous avez le droit d’en faire plusieurs à plus de deux ans d’intervalle.
Vous avez le droit d’être frustrée et de regretter votre vie d’avant. Vous avez le droit de refuser les visites à la maternité.
Bref, vous avez tous les droits, c’est vous la mère. Il est grand temps d’arrêter de culpabiliser.
Le livre qui vous encourage à être la mère que vous voulez être, vous moquant de ce que les autres pensent.

Découvrez le journal de bord d'une maman, ses réflexions, ses émotions, ses expériences de vie...

À PROPOS DE L'AUTEURE

Déborah Laurent - Journaliste expérimentée, j'ai travaillé et je travaille encore pour les plus grandes rédactions en Belgique. En presse écrite d'abord, en rédaction web ensuite, je sais comment raconter une histoire et comment faire pour qu'elle soit lue.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 245

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



© La Boîte à Pandore

Paris

http ://www.laboiteapandore.fr

La Boîte à Pandore est sur Facebook. Venez dialoguer avec nos auteurs, visionner leurs vidéos et partager vos impressions de lecture.

ISBN : 978-2-39009-478-4 – EAN : 9782390094784

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Déborah Laurent

Journal de bord

d’une

maternité

décomplexée

À mon fils,

Et à son formidable père.

Je suis mère et, comme vous, je fais ce que je peux

La grossesse, c’est une affaire personnelle. C’est le résultat d’un corps-à-corps, c’est la promesse d’un avenir ensemble qu’on se fait en se regardant dans le blanc des yeux. C’est toi et moi. Et bientôt, ça sera nous.

On ne sait pas à quoi s’attendre quand on tombe enceinte pour la première fois. On n’imagine surtout pas à quel point, dès qu’il se dessinera sous nos vêtements, notre ventre rond semblera appartenir à tout le monde. Je vous le dis tout de suite : votre épanouissement corporel soudain ne fera pas taire ceux qui vous demandaient encore il y a peu : « Alors, c’est pour quand ? » Ceux qui vous posaient cette question-là, oppressante et indélicate, ont une tripotée d’interrogations indiscrètes à vous poser, une tonne de remarques insupportables à vous faire, une brouette de conseils non sollicités et malvenus à vous donner.

Vous découvrirez alors à quel point l’être humain est contradictoire. Vous entendrez tout et l’inverse. Quand vous aurez le coup de fourchette généreux, on vous dira qu’il n’est pas nécessaire de manger pour deux. Quand vous éviterez le sucre parce que le diabète de grossesse menace, on vous dira de ne pas vous affamer, « parce que quand même, tu n’es plus toute seule ». On vous dira qu’un accouchement avec péridurale, franchement, ce n’est pas un vrai accouchement ; alors que d’autres vous diront qu’ils ne comprennent pas celles qui souffrent pour rien, vu tout ce que la médecine propose désormais pour soulager les contractions. « Moi, à ton époque, j’en rêvais », vous dira votre mère alors que vous lui parlez de l’existence d’une salle nature à la maternité, soit un espace qui met tout ce qu’il faut à disposition des futures mères qui souhaitent accoucher sans anesthésie.

Vous penserez qu’une fois que votre enfant sera là, vous serez enfin maître de votre destin et de vos choix. Que la société, incarnée par votre famille, vos amis, vos collègues, s’inclinera devant votre nouveau statut. Vous avez raison. Une fois que le bébé sera né, ça sera différent : ça sera pire. Tout sera sujet à discussion : ses heures de sommeil (« à cet âge, il est censé dormir douze heures, pas huit »), votre façon de le porter (« tu es certaine que c’est ergonomique pour ses hanches, ce porte-bébé ? »), de le nourrir (« tu ne l’allaites pas ? »), de le changer (« ah tu ne t’es pas encore mise aux couches jetables ? »), de l’habiller (« t’es sûre qu’il n’a pas trop chaud, là ? »). Viendront ensuite : le temps qu’il passera devant les écrans, sa façon de tenir son crayon, l’âge auquel il fera du vélo ou apprendra à nager…

Ça ne s’arrête jamais.

En 2020, la question des libertés de la femme est plus que jamais d’actualité. Dans la rue, on manifeste contre les féminicides et pour le droit des femmes à disposer de leur corps. Moi, je manifeste ici pour le droit d’élever nos enfants comme on l’entend. Parce qu’il est bien difficile de nos jours de se sentir libre quand on fait un enfant. Les sources d’informations au sujet de la maternité n’ont jamais été aussi nombreuses. Les jugements non plus. À l’heure des réseaux sociaux et des tacles en 140 signes, plus personne ne prend la peine de mettre des gants avant d’aller cracher son avis complètement dispensable à la face et au ventre rond de la future mère qui n’avait pourtant rien demandé.

J’avais 30 ans quand je suis tombée enceinte. J’ai découvert ma grossesse dans un hôtel de Los Angeles où je me trouvais dans le cadre de mon travail de journaliste. J’étais seule. Et sous le choc. J’étais presque contente d’avoir quelques jours devant moi pour assimiler l’information. Je comptais le dire à mon mari à mon retour, en face à face. Ce bébé était voulu et désiré, mais je n’étais, pour autant, pas que bonheur intense et épanouissement. Je n’étais pas triste non plus. J’avais besoin de m’acclimater à l’idée avant d’en parler publiquement. C’était déjà ma première surprise : lorsque tu tombes enceinte, la société exige de toi que tu ne sois que joie. Je me demandais dès lors si ce que je ressentais, une sorte d’anesthésie générale du cœur et du cerveau, était normal. Parce que ce n’est pas aussi simple que ce que te vendent la publicité ou les magazines féminins. J’étais pétrie d’inquiétudes sur la viabilité de cette grossesse, un peu choquée par le poids de ma nouvelle responsabilité, et surtout, j’avais besoin de silence, me doutant du tumulte, des avis, des questions, auxquelles je n’aurais probablement pas encore de réponses, que l’annonce du bébé à venir allait immanquablement provoquer. On y a toutes droit, et j’y avais assisté chez les autres.

J’avais donc envie de profiter, pendant quelques semaines, de cette nouvelle. De la formuler dans ma tête, de la faire claquer sur le bout de ma langue avant de la balancer au monde. J’aimais l’idée du secret qui nous lierait, le papa et moi. Je pensais naïvement que les gens comprendraient. Mais dès que j’ai pris un soda au lieu d’un verre de vin, j’ai eu droit aux regards suspicieux et aux commentaires insistants. J’ai pris quelques coups de coude suivis de hochements de tête entendus qui voulaient dire : « Moi, je sais. » J’ai dû demander aux gens qui se doutaient de la nouvelle d’arrêter de mettre la puce à l’oreille de tout le monde. Mon ventre ne se voyait pas encore qu’on m’avait déjà poussée dans mes derniers retranchements. On m’a gâché l’annonce de ma grossesse. Non pas que j’avais envie de grand tralala. J’avais juste envie de le dire au moment où je me sentirais prête.

À peine les gens étaient-ils au courant qu’ils s’empressaient de gâcher ma joie en me parlant du manque de sommeil à venir, de leur bébé RGO, de l’accouchement compliqué de leur femme… Ensuite, pendant les neuf mois qu’a duré l’incubation, j’ai remarqué que les gens qui m’entouraient avaient un avis sur la façon dont je faisais les choses, sur ce que je mettais dans mon assiette et puis sur ma fourchette, sur la manière dont je prévoyais d’accoucher… Ou alors, ils m’expliquaient comment je devais nourrir mon nouveau-né. Je me suis dit que peut-être, moi aussi, j’avais été comme ça. Moi aussi, alors que je n’avais jamais eu d’enfant, j’ai cru, sûrement, que je savais mieux que les parents. Je pensais, j’imagine, avoir plus de recul qu’eux, voir le tableau dans son ensemble, alors qu’eux avaient le nez dans le guidon. J’avais tort.

Autant que ceux qui m’ont pris la tête lors de ma grossesse ont eu tort.

Même s’ils étaient parents. Ce n’est pas parce qu’ils ont enfanté qu’ils détiennent LA vérité.

Je suis une rebelle. Pas pour ennuyer le monde. Pas pour me faire remarquer. C’est comme ça : je ne marche pas dans les clous. J’aime être secouée, provoquée, bousculée. Quand je suis tombée enceinte, on m’a souvent dit que j’allais voir ce que j’allais voir, que j’avais chanté tout l’été et que j’allais être bien dépourvue, avec la bise qui allait me tomber dessus. On me disait qu’avoir un enfant, ça ralentissait les projets et calmait les ardeurs. Chez moi, ça a fait exactement l’effet inverse. J’ai encore eu moins envie de rentrer dans le rang. Je marche toujours à côté des clous aujourd’hui, mais désormais, je donne la main à un petit garçon. Comme pour (me ? leur ?) prouver que la vie ne doit pas être réglée comme du papier à musique sous prétexte qu’on est devenus parents, on a quitté la Belgique pour une mission professionnelle en Californie. C’était le 4 juillet 2017, mon fils avait 18 mois. Je me suis dit que, grâce à la distance et au décalage horaire, j’allais enfin avoir le silence auquel j’aspirais. J’avais raison.

Et puis, j’ai décidé de prendre la plume pour raconter mon expérience qui est, finalement, et sans prétention aucune, celle de toutes les mères. J’ai lancé le blog Seayouson.com. J’ai discuté avec des mamans belges, des françaises, des expatriées, des sédentaires, des mères de famille nombreuse, des mamans d’enfant unique, des mamans en couple et des célibataires. Ma conclusion est la suivante : on est toutes pareilles. On dort toutes mal la nuit, on se met toutes la pression et on veut toutes le meilleur pour nos enfants. Il y a cependant plusieurs façons d’y arriver. Et aucune n’est meilleure qu’une autre.

J’aimerais vous aider, à ma petite échelle, avec mon témoignage, à dire stop à la pression et aux injonctions. N’écoutez pas ce qu’on vous dit : vous n’êtes obligée de rien. Si vous aimez votre enfant, vous saurez, dès lors, ce qui est le mieux pour lui.

Aucun enfant n’est livré avec un mode d’emploi. Il n’y a pas de canevas, pas d’explications détaillées. Il y a quelques grandes lignes directrices de base, et pour le reste, faites comme vous voulez et surtout, comme vous pouvez. Avec vos moyens émotionnels et matériels. Nos jours ici sont comptés. Mettez le temps que vous avez à profit pour accepter d’être la mère imparfaite mais aimante que vous êtes. Vous n’aurez pas de deuxième chance. Vous pourrez rattraper le coup avec un deuxième enfant, peut-être, mais vous n’aurez pas de deuxième chance avec celui que vous avez dans les bras. Votre relation avec lui dépend de la personne que vous êtes à cet instant T. Il est grand temps d’arrêter de vous laisser influencer par tous ces gens qui vous veulent tant de bien qu’ils font, en fait, exactement l’inverse. Ils n’étaient pas là le jour de votre accouchement, ils ne seront pas là quand votre enfant dormira mal la nuit. Ils ne partagent pas votre quotidien. Leurs opinions n’ont absolument aucun intérêt.

Ce livre rassemble mes articles de blog, entre autres. Après trois ans d’écriture, il apparaît comme un journal de bord d’une maternité qui rime avec liberté. Mon fils a grandi, mais mon discours n’a pas changé : je veux crier haut et fort que les mères ont le droit d’inventer leur façon de faire.

Dans ce livre donc, je vous donnerai ma vision, pas forcément très réglementaire, mais toujours sincère, de la maternité. Je ne vous oblige pas à la suivre ou à y adhérer. Le but de ce livre est justement de piocher les choses qui vous intéressent et de les assembler, bout à bout, pour définir le parent que vous avez envie d’être. De mon histoire personnelle de mère, vous tirerez, je l’espère, des réflexions et des conseils qui vous permettront de dessiner la vôtre.

Du test de grossesse positif à l’accouchement

Réflexion de la vie quotidienne

« Alors, c’est pour quand ? » 

Faire un enfant

Il n’y a pas de bon moment pour faire un enfant. On avance souvent des détails pratiques pour repousser l’échéance : on attend de déménager, de changer de job, on veut « profiter » encore un peu de son couple et de sa liberté. Mais pratiquement parlant, les choses ne s’aligneront jamais parfaitement. La vie est en perpétuel mouvement. Quand on pensera avoir atteint un point d’équilibre, un grain de sable viendra tout remettre en question.

Il n’a en fait jamais été plus difficile de faire un enfant depuis l’existence de la contraception. En nous offrant le loisir de décider du moment, elle a également généré une foule d’angoisses. C’est bien connu : choisir, c’est renoncer. Et vu que ce choix nous appartient désormais, il faut en être sûr. On voudrait des garanties. On voudrait s’assurer qu’on ne va pas le regretter.

Choisir de faire un enfant n’a rien d’évident. On est influencés par nos relations familiales, amicales, et par les normes sociales. Quand une femme dit qu’elle ne veut pas d’enfant, c’est comme une gifle dans le visage de son interlocuteur. Il est impensable, inimaginable qu’elle ne choisisse pas de passer par la case maternité pour se réaliser. Un homme peut ne pas avoir d’enfant sans qu’on s’en offusque ; une femme qui n’en a pas alors qu’elle a « passé l’âge » sera ramenée toute sa vie à cette absence.

Jennifer Aniston, à plus de 50 ans, doit, par exemple, régulièrement se justifier de ne pas avoir de progéniture. Elle s’est confiée sur ses problèmes de fertilité, mais ça n’empêche pas les gens de débattre sur sa solitude. « Personne ne sait ce qui se passe derrière les portes fermées », avait-elle déclaré dans une interview à cœur ouvert en 2019. « Personne ne considère à quel point c’est un sujet qui peut être sensible pour mon partenaire et moi. Ils ne savent pas ce que j’ai vécu médicalement ou émotionnellement. » Elle regrettait alors, à raison : « Les femmes sont poussées à être mères, et si elles ne le sont pas, elles sont considérées comme des marchandises endommagées. Peut-être que mon but sur cette planète n’est pas de procréer. Peut-être que j’ai d’autres choses à faire ? »

Décider de faire un enfant, aux yeux de la société, c’est suivre le droit chemin. Et une fois que le choix est fait, on voudrait que la nature s’exécute dans la seconde. Mais c’est bien l’une des seules choses, de nos jours, sur lesquelles on n’a pas vraiment de pouvoir : le moment où, enfin, la machine se mettra en route. Je me souviens de ma déception lorsque mes règles ont fait leur apparition, un petit mois après l’arrêt de la pilule. Une déception que je savais absurde, mais qui était pourtant bel et bien présente.

Si on cache généralement aux gens le fait qu’on ne prend plus de moyens de contraception et qu’on essaie de procréer, c’est en tout cas uniquement pour éviter les questions poussives : « Alors, toujours pas ? » Vous le savez sans doute, mais si ce n’est pas le cas, retenez-le : il faut en moyenne un an pour tomber enceinte. Celles qui répètent que « pour elles, ça a été vite », et qui tirent de leur cas une généralité, donnent de faux espoirs aux autres. D’autant que parfois, on peut aussi ne jamais y arriver. Les problèmes de fertilité, ça n’arrive pas qu’aux autres.

Il n’y a pas de bons moments pour faire un enfant. Certains vous trouveront trop jeune, d’autres trop vieille. Certains vous diront que quand même, dans cette situation professionnelle précaire, c’est risqué. Ou bien ils vous diront que décider d’élever un bébé en ville, sans jardin et avec toute cette pollution, c’est du suicide. Et puis : « Avec ce père-là, t’es sûre ? » Chacun donnera ses arguments en fonction de ses propres choix de vie. Parce que quand on critique les choix des autres, c’est généralement pour se convaincre qu’on a soi-même fait les bons. Sauf que dans ce cas-là, il n’y a pas de « bons » choix. Une femme qui attend d’avoir grimpé les échelons dans son entreprise avant de faire un bébé n’aura peut-être plus le partenaire adéquat au moment où elle atteindra le sommet et que son horloge interne aura sonné. Tandis qu’une femme qui a un bébé par accident pendant ses études se révélera peut-être être une mère présente et courageuse, parce qu’elle voudra lui montrer que, dans la vie, tout est possible.

La seule voix qui compte dans cette cacophonie, c’est celle de celui qui sera votre partenaire dans cette grande aventure. Faire un enfant, c’est signer un contrat tacite. C’est s’engager sur la durée. Ça ne veut pas dire que le couple tiendra le coup. Mais en tout cas, soyez sûre que des coups, il en prendra. Si un jour le bateau coule, il faudra malgré tout rejoindre le quai ensemble. Un enfant, c’est la promesse d’un avenir ensemble, même si on se déteste.

Communiquez. Parlez. Échangez. Un enfant, ça bouleverse notre vision de la vie, notre équilibre, les projets d’avenir. Vous changerez. L’autre changera. C’est aujourd’hui qu’il faut avoir les discussions importantes. Celles dont on se rappelle quand plus rien ne va, quand on est fatigués, quand on n’a pas de temps à se consacrer. Mettez les cartes sur la table. Il faut parler de pratique, d’organisation au moins autant que d’amour. Il faut dire ses attentes et entendre et respecter celles de l’autre. Parlez ensemble des raisons qui vous poussent à faire un enfant à deux, n’éludez pas les sujets qui blessent ou les sujets qui fâchent. Au pire, vous vous rendrez compte que la personne qui vous fait face n’est pas celle avec laquelle vous devriez faire un enfant. Et il vaut mieux s’en rendre compte avant, qu’après. Parce que tout le défi est là : même si un jour, le couple sombre, l’autre fera toujours partie du décor, et il faudra bien composer avec.

Faire un enfant, c’est un choix, mais c’est surtout un truc qu’on ressent au fond du ventre. Si vous pensez que c’est « votre bon moment », foncez. Les autres feront avec.

Réflexions de la vie quotidienne

« Pas la peine de se mettre dans des états pareils, c’était même pas encore un bébé. »

« La nature est bien faite. » 

« C’est sûrement mieux comme ça. » 

La fausse couche

J’ai cru que je n’oublierais jamais la date. Qu’elle resterait ancrée en moi pour toujours. Que j’y penserais chaque année. C’était faux. J’ai dû chercher pour la retrouver. C’était le 4 septembre 2008. Je ne me souvenais pas de la date, mais je me souviens avec précision de la fraîcheur de ma couette sur mon corps recroquevillé et des rideaux de la chambre que j’avais fermés. Je voulais empêcher la lumière d’entrer dans la pièce : elle était trop éclatante. C’était une lumière brutale, sans filtre, qui fait du bien les jours où tout va bien, mais qui brûle la rétine les jours d’anéantissement. J’avais besoin d’obscurité pour envelopper ma peur. Et la peine qui n’allait pas tarder à tout ravager.

Je me souviens de ce coup de fil qui ne venait pas. Je savais déjà ce que ma gynécologue au bout du fil allait me dire, mais je me répétais en boucle : si mon téléphone sonne dans les 10 secondes à venir, c’est que tout va bien. 1, 2, 3… 10. Le téléphone restait silencieux.

Il m’avait dit quelques semaines auparavant : « Viens, on fait un bébé. » Je m’apprêtais à quitter la pièce. La décision a été prise sur le pas de la porte. C’était un coup de tête, un coup de folie, c’était un jour heureux et ce qu’on croyait être de l’amour. C’était une autre époque et un autre amoureux.

Elle m’avait dit : « Les résultats de la prise de sang confirment ce que j’ai vu à l’échographie. Le fœtus n’est pas viable. Il va être expulsé naturellement. Vous allez perdre du sang. Si vous avez l’impression que vous en perdez trop, allez à l’hôpital vous faire ausculter. Il y aura une échographie de contrôle d’ici quelques semaines pour être sûr que tout soit bien parti. D’ici là, protégez-vous lors de vos rapports. Courage. » C’était bref. Sans émotion particulière. Lapidaire. J’étais effondrée.

Elle m’avait dit que ça ne « devrait pas tarder ». Elle avait raison. Le lendemain, je fixais ce qui aurait dû être mon bébé au fond de la cuvette des toilettes. J’étais seule, la culotte sur les chevilles, le cœur dans la gorge, les mains sur le bide.

Je me souviens de ma colère, de ma peine abyssale, mais surtout de ma culpabilité. Je me demandais sans cesse si j’avais fait quelque chose de mal. Aurais-je pu faire différemment pour faire en sorte que ça marche ? On me disait que c’était sûrement mieux comme ça. J’aurais préféré être sourde que d’entendre ça. Douze ans plus tard, je sais que c’était vrai : ce n’était pas le bon moment ni le bon amoureux, c’était vraiment mieux comme ça.

J’ai fait une fausse couche précoce. Une fausse couche qui survient avant la fin des trois premiers mois de grossesse. On m’avait dit que ça arrivait souvent, j’avais lu que ça concernait une femme sur quatre, je ne comprenais pas les statistiques. Il a fallu que je parle tout haut de la mienne pour que les langues se délient. Trois de mes copines avaient fait une fausse couche, aucune n’en avait parlé. On attend généralement trois mois avant d’évoquer une grossesse. On dit alors que le risque de fausse couche est passé. Le silence que l’on garde sert finalement à dissimuler la honte qu’on ressentira si le fœtus ne s’accroche pas. Une honte entretenue par le fait que personne ne parle de la fausse couche si elle arrive. C’est le serpent qui se mord la queue, et des milliers de femmes qui pleurent en ayant l’impression d’être seules.

L’échographie de contrôle a été faite dans un hôpital universitaire. J’avais les jambes dans les étriers, le moral à zéro et trois étudiants concentrés face à moi. J’espérais en finir, j’ai dû revenir. Une zone étrange détectée lors de l’écho. À évacuer au plus vite pour éviter l’infection.

J’ai été hospitalisée une journée. Mes souvenirs sont flous, mais je sais qu’on m’a administré un produit pour déclencher les contractions et expulser ce qui devait encore l’être. J’ai souffert, j’avais mal au ventre, mais rien n’est jamais sorti. L’étudiant qui m’avait examinée avait fait une erreur de jugement : ce qu’il avait cru voir de problématique à l’écran était en réalité tout à fait normal. On m’a dit ça en début de soirée, après une journée interminable à souffrir en écoutant des bébés nés en pleine forme s’époumoner dans la pièce à côté. « Désolée, mademoiselle, finalement tout va bien, vous pouvez rentrer chez vous. Bonne continuation. » Je suis sortie de l’hôpital encore plus seule que lorsque j’y étais rentrée.

J’ai fait une fausse couche, et c’est d’une banalité sans nom. J’ai fait une fausse couche, et personne ne prenait mon désarroi au sérieux. J’ai fait une fausse couche et j’étais en colère contre mon corps, incapable de faire ce qu’on lui demande, et contre ces femmes qui avaient le toupet d’être enceintes alors que je ne l’étais plus. J’en voyais partout, tout le temps. Je ne voyais plus que ça. Ces ventres qui grossissaient me rappelaient que le mien restait désespérément plat. J’étais en colère contre mon amoureux dont la vie avait repris son cours, comme si de rien n’était, qui continuait à rire et à m’embrasser, alors que j’avais les yeux perpétuellement embués.

On m’a dit « tu en feras d’autres », « c’était même pas encore un bébé », « la nature est bien faite », « ça va, c’est arrivé tôt », « au moins, tu peux passer à autre chose ». Personne ne m’a dit que c’était normal d’avoir mal au cœur. Personne ne m’a ouvert les bras pour me laisser pleurer un bon coup. La fausse couche, c’est une porte ouverte qu’on nous claque subitement au nez, sans explication. La fausse couche, quand elle survient si tôt, n’est concrète que pour celle qui la vit. Personne n’a vu le ventre s’arrondir, même pas le futur papa. Rien n’indiquait l’existence d’un bébé à venir. Et on ne croit que ce qu’on l’on voit, c’est bien connu.

La fausse couche est d’une banalité sans nom, et pourtant personne n’en parle. Alors je vous en parle et je vous le dis : vous n’êtes pas seule.

Réflexions de la vie quotidienne

« Non, mais tu peux le dire : t’es enceinte ? »

« Bah, attends, tu ne bois pas ! Et puis, t’as pris un peu de poids, non ? »

L’annonce de la grossesse

Quand je suis tombée enceinte au printemps de l’année 2015, j’ai à peine eu le temps de me faire à l’idée. Je venais tout juste de le dire à mon mari. J’avais envie de prendre un peu de temps avant de crier la nouvelle sur tous les toits. Pas de chance : comme c’est le cas pour à peu près toutes les filles que je connais, ceux qui m’entouraient m’ont, par leurs attitudes et remarques, forcée à annoncer ma grossesse plus tôt que je ne souhaitais le faire. Et quand j’ai enfin craché le morceau, on m’a reproché tout de suite de ne pas sembler heureuse d’être enceinte. C’est l’une des choses que j’ai franchement détestées pendant ma grossesse, plus encore que le repos forcé de mon dernier trimestre : cette obligation d’annoncer publiquement ton état alors que tu n’es pas prête du tout à le faire, juste parce que les gens te mettent une pression d’enfer.

À peine enceinte, j’avais fait jurer à mon homme de se taire et de me soutenir dans mon choix. Non pas que je voulais l’empêcher de se réjouir, mais j’avais besoin d’un peu de temps pour accepter ma nouvelle condition. Il connaissait mon passif médical, il savait que j’avais fait une fausse couche, bien des années auparavant, et il savait aussi que ça avait généré quelques inquiétudes. On sait tous que les trois premiers mois sont délicats médicalement parlant. Ils le sont encore plus quand on sait à quoi ressemblent les faux départs. Je sais que certaines ont besoin d’en parler vite et se disent que si ça se passe mal, au moins, elles seront soutenues puisque les gens étaient au courant de leur état. Je faisais à l’époque partie de l’autre bord : si ça se passait mal, je savais que ça serait plus facile à gérer si je ne m’étais pas projetée trop loin, trop vite. J’avais besoin de vivre ces premières semaines dans ma bulle, sans pensées ou conseils parasites.

Je pense aussi que ces fameux trois premiers mois permettent aussi tout simplement d’accepter l’idée que notre vie va changer drastiquement. On se fait en douceur à l’idée de ce bébé à venir, à l’idée que notre couple va devenir une famille, à l’idée que notre corps va connaître des changements profonds et inconnus. Chaque femme devrait avoir le droit d’annoncer sa grossesse quand elle se sent prête mentalement à affronter ce qui l’attend. Déjà qu’on n’est jamais assez préparée…

Mais voilà. J’ai refusé un verre de vin et j’ai tout de suite eu droit à un tonitruant : « Ouais, t’es enceinte, c’est ça ? » Une table d’yeux curieux se sont tournés vers moi. J’ai nié comme j’ai pu, et ça n’a fait qu’empirer mon cas. J’avais juste envie de me lever et de rentrer chez moi. Je n’étais tout simplement pas encore prête à me réjouir, tout était trop flou, pas assez concret, j’avais les hormones et la tête en vrac. Les jours qui ont suivi, j’ai eu droit à des allusions insupportables, à des coups de coude entendus, et j’ai fini par confirmer la nouvelle à ceux qui étaient assis ce jour-là en terrasse avec moi pour éviter que ça s’ébruite au-delà de ce cercle déjà trop large à mon goût. Avouer pour s’épargner un peu. Résultat ? On m’a dit que je n’avais « pas vraiment l’air contente ». Non, effectivement, je ne l’étais pas. Pas encore.

J’avais surtout peur, mais je n’avais absolument pas envie qu’on me rassure. Parce que je savais bien que ma peur finirait par se calmer. C’est généralement ma manière à moi d’accepter les choses : j’imagine toujours le pire et l’insensé, et une fois que j’ai tout passé en revue, je respire enfin. Comme si le fait d’avoir formulé toutes mes craintes dans ma tête empêchait le destin de les mettre sur ma route. Cette façon de faire énerve d’ailleurs très fort mon mec quand on prend l’avion et que je lui parle successivement d’attentat, d’accident ou d’atterrissage d’urgence, mais c’est un autre débat.

Je m’interroge donc sur cette pression. Pourquoi les gens veulent-ils absolument être les premiers à percer le secret, à détecter les signes d’une grossesse ? Qu’est-ce que ça peut bien leur faire ? Qu’est-ce que ça leur apporte ? Faire un bébé, c’est exceptionnel pour les deux personnes à l’origine de sa conception, c’est un énorme bouleversement, mais c’est d’une banalité sans nom à l’échelle du monde. Donc pourquoi une grossesse ne pourrait-elle pas rester de l’ordre de l’intime jusqu’à ce que les futurs parents décident d’en faire publiquement état ?

Je n’ai pas de réelle réponse, je ne pense pas qu’il y en ait une plus valable qu’une autre. Mais je suppose que certains sont un peu jaloux du couple épanoui qui leur fait face. Ils veulent venir un peu gâcher la fête. D’autres doivent ressentir une forme d’envie. Peut-être que la discussion « bébé » est en cours entre eux et qu’ils ne sont pas d’accord. Ou bien ils sont déjà passés aux travaux pratiques et ça ne fonctionne pas. Il doit aussi y avoir un peu d’ennui : ceux qui s’intéressent tant à la vie des autres n’ont probablement pas réussi la leur autant qu’ils l’espéraient…