L'affaire de la lettre - Pascal Demeure - E-Book

L'affaire de la lettre E-Book

Pascal Demeure

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Beschreibung

Enquête en Savoie

Saint-Genix-sur-Guiers, petit village Savoyard endormi dans la froideur de l’hiver. Pourquoi Josselin a-t-il disparu ? Où est passé ce gosse du village ? Quel effroyable secret cache sa famille ? Voilà qu’un mauvais plaisantin a accroché une boîte aux lettres aux grilles du cimetière. Pour qui ? Pourquoi ?
Deux insupportables villageoises, rivales et loufoques, tenteront à leur manière d’apporter leur aide au privé. Tom Anquette, ex flic de la PJ de Marseille, bourru et solitaire, en aura bien besoin pour élucider tous ces mystères.
Un improbable trio est né !

Le premier volet des investigations du détective privé Tom Anquette, à lire sans hésitation !

EXTRAIT

Quel était le plaisantin qui s’était amusé à faire une telle blague ? Le curé ressortit à cet instant de la chapelle. Crépin l’appela et lui demanda de s’approcher.
— Qu’y a-t-il pour ton service ? questionna-t-il.
— Regardez, monsieur le curé, c’est incroyable, non ?
Quatre yeux étaient fixés sur une banale boîte aux lettres en fer qui allait devenir rapidement la vedette locale du moment. Crépin voulut l’ouvrir, le curé l’en dissuada.
— Allons voir le maire, il saura dire ce que nous devons faire !
Ils se précipitèrent tous deux jusqu’au bureau du premier magistrat de la ville qui ne sembla pas s’inquiéter outre mesure et demanda à Crépin de vérifier les prochains jours si les farceurs ne poussaient pas la plaisanterie jusqu’à mettre du courrier à l’intérieur.
— Rien de bien méchant, les rassura-t-il, pas de très bon goût, j’en conviens, mais pas très grave, croyez-moi !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une écriture agréable, une trame qui tient le lecteur, des anecdotes qui s'entremêlent et dévoilent leur importance au fil du roman, d'autres qui ne sont là que pour faire rire, bref un livre sympathique et un auteur qui se fait une place. - Le Régional.fr

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire du Dauphiné, Pascal Demeure, chef d'entreprise, vit en Provence. L'affaire de la lettre est son cinquième roman et le premier de la série Tom Anquette.

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À Lulu.

Introduction

Je me présente. Thomassin Anquette, flic à la retraite…enfin, presque ! Drôle de prénom, je sais ! Il me vient de mon père, riche héritier des Laboratoires Anquette qui ont fait fureur dans les années quatre-vingt en lançant les premiers produits que l’on dit aujourd’hui diététiques. Il avait la folie des grandeurs mon paternel, d’où ce prénom complètement débile qu’il a été chercher je ne sais pas où ! Alors appelez-moi Tom s’il vous plaît, Tom Anquette, c’est mieux. Mon père et moi, ça n’a pas toujours été facile. Étant jeune, je faisais conne-rie sur connerie alors j’ai eu droit à tout : la pension, l’internat, les vacances à l’étranger pour apprendre l’anglais, tu parles de vacances ! Moi, je m’en foutais, je voulais être flic. Alors quand je suis rentré dans la police, j’ai jamais plus entendu parler de lui. Je crois même qu’il m’a déshérité mais ça n’a pas d’importance, son fric, j’en voulais pas de toute façon. Plus de vingt ans dans la police judiciaire, j’en suis fier. Toute ma vie je me suis fait chambrer avec mon nom : Anquette, pour un flic, ça faisait rire. Pas moi ! Enfin, au début oui, mais à force !…Bien dans mon boulot, j’ai connu le grand amour avec Virginie. Elle m’a donné un fils appelé Victor. Avec eux, c’était le vrai bonheur jusqu’à la descente aux enfers. Un pu-tain de camion qui ne respecte pas la priorité et qui écrase la bagnole de ma femme contre un mur, comme une crêpe. Ils n’avaient aucune chance, ils ne pouvaient pas s’en sortir. Je me suis retrouvé veuf l’année de mes cinquante ans, joyeux anniversaire ! Alors tout a changé. L’alcool, la fumée, les mauvaises fréquentations, tout ce qui fait qu’on perd pied sans pouvoir vraiment réagir. Le boulot bâclé, les enquêtes conclues trop vite, j’avais plus la cote à Marseille et je sentais bien qu’il fallait que je me barre. J’ai tenu quatre ans et j’ai donné ma démission le 17 juin dernier. Ça fait dix mois maintenant. Si je vous raconte tout ça, c’est pour mieux se connaître parce qu’on va plus se quitter à présent, enfin j’espère ! Il s’en est passé des choses dans ma vie depuis quelques mois, rendez-vous compte un peu…

En pleine déprime, une fois ma démission avalée, je décide de tout bazarder à Marseille et de quitter cette ville dans laquelle j’étais plus en odeur de sainteté. O.K. mais aller où et faire quoi ? J’ai jamais été d’une nature très romantique mais quand je suis arrivé dans cette petite bourgade de Savoie, je suis tombé sur le cul et me serais cru au milieu d’un décor de carte postale. Bon Dieu que c’était beau et calme. J’ai décidé instantanément d’y passer quelques jours, depuis, j’en suis jamais reparti. Et je vous le dis, je suis bien ici ! Côté crèche, c’était réglé, restait à faire rentrer le pognon. Les enquêtes, ça s’oublie pas et le métier, il est là, dans mes tripes. Ma carrière dans la police aidant, ma licence en droit me l’autorisant, j’ai donc décidé d’ouvrir ma propre agence de filatures. Regardez, là sur ma carte : Tom Anquette – Détective – Filatures. Ça en jette, hein ? J’étais pas installé depuis deux jours, la peinture était même pas sèche que le maire de St-Genix arrive tout affolé avec ma première affaire. Remarquez, je commençais à trouver le temps long, le téléphone qui sonnait pas ! Bref, le maire se met à m’expliquer, l’affaire semblait sérieuse, il ne rigolait pas. Dès ses premières paroles, j’ai senti qu’il se passait quelque chose de curieux, les détails recueillis par la suite me confortèrent dans ma première impression. L’affaire était importante, je tenais là mon premier grand dossier de détective privé mais, si vous avez un moment, je vais vous raconter…

L’AFFAIRE DE LA LETTRE Episode 1

1

C’était quelques jours seulement après Noël. Le village semblait être en hibernation constante sous une neige abondante. Crépin semblait encore plus vieux et plus voûté que d’habitude. Il avait du mal à monter la route verglacée qui le menait au cimetière. Là, comme chaque jour depuis près de trente ans, il arpentait les allées les unes après les autres afin de vérifier que tout était propre et bien rangé. L’été, les fleurs devaient être bien arrosées et les mauvaises herbes arrachées sur les tombes où il ne venait jamais plus personne. Des amis, il en avait vu des tas se laisser glisser au fond du trou et il avait la conviction de ne jamais les avoir réellement quittés. Il parlait à certains d’entre eux, leur disant que bientôt, il viendrait les rejoindre. Mais ce jour-là n’arrivait pas et la fatigue continuait de s’amonceler sur ses épaules qui semblaient porter dorénavant tout le poids du monde. Il faisait froid ce matin-là, un vent glacial passait à travers les mailles de son vieux gilet. Il arrangea ici et là quelques pots, rattrapa un arrosoir qui s’envolait sous les rafales et décida de ne pas trop s’attarder. Il n’y aurait pas d’enterrement aujourd’hui et il n’aurait donc pas à remonter ici ce soir. Crépin habitait le cœur du village, juste à côté de la place de l’église, dans une petite ruelle mal ensoleillée. Il n’avait jamais été marié, s’était intéressé à des tas de choses mais n’avait jamais eu le courage de quitter St-Genix pour tenter sa chance ailleurs. Il n’était pas malheureux, avait toujours mangé à sa faim même pendant la guerre et n’enviait rien ni personne. Il voulait simplement vivre paisiblement et qu’on lui foute la paix. Il remonta jusqu’à la grille et aperçut le curé qui se rendait à la chapelle de Pigneux. Les deux hommes se saluèrent d’un hochement de tête, le curé pénétra rapidement à l’intérieur de la petite église. Crépin, quant à lui, tira énergiquement sur le portail afin qu’il ne se rouvre pas au premier coup de vent. Il n’y fit d’abord pas attention et commença sa descente vers le village en veillant à ne pas poser le pied sur une plaque de verglas. Ce n’est qu’au bout de quelques mètres qu’il s’arrêta net et, lentement se retourna. Non, il n’avait pas rêvé ! Avec une agilité dont il ne se serait pas cru encore capable, il rebroussa chemin et écarquilla davantage les yeux. Elle n’y était pas hier, il en aurait mis sa main à couper. Quel était le plaisantin qui s’était amusé à faire une telle blague ? Le curé ressortit à cet instant de la chapelle. Crépin l’appela et lui demanda de s’approcher.

— Qu’y a-t-il pour ton service ? questionna-t-il.

— Regardez, monsieur le curé, c’est incroyable, non ?

Quatre yeux étaient fixés sur une banale boîte aux lettres en fer qui allait devenir rapidement la vedette locale du moment. Crépin voulut l’ouvrir, le curé l’en dissuada.

— Allons voir le maire, il saura dire ce que nous devons faire !

Ils se précipitèrent tous deux jusqu’au bureau du premier magistrat de la ville qui ne sembla pas s’inquiéter outre mesure et demanda à Crépin de vérifier les prochains jours si les farceurs ne poussaient pas la plaisanterie jusqu’à mettre du courrier à l’intérieur.

— Rien de bien méchant, les rassura-t-il, pas de très bon goût, j’en conviens, mais pas très grave, croyez-moi !

Crépin voulut croire le maire mais une impression bizarre commençait à l’habiter. De tels faits ne sont jamais anodins, c’était étrange tout de même ! Et c’est le cœur haletant qu’il se retrouva le lendemain matin aux grilles du cimetière. Sans réfléchir un quart de seconde supplémentaire, il ouvrit la boîte et constata presque avec déception que rien ne se trouvait à l’intérieur. Ses pensées restèrent fixées sur elle durant tout son travail. Les quelques personnes qui s’étaient décidées à affronter le froid toujours persistant afin de rendre visite à leur mort ne parvinrent pas à le distraire de cet objet insignifiant qui envahissait son esprit. Faut-il être con, songeait-il, sans pour autant parvenir à chasser ses idées farfelues. Parce qu’il était persuadé que quelque chose allait se produire, il trouvait cela presque amusant, en tout cas excitant, ne doutant pas un seul instant que cette plaisanterie ne se voulait pas méchante et n’était que le fruit de l’imagination de gamins oisifs cherchant à s’occuper pendant leurs vacances de Noël. Au fond, l’idée qu’un cimetière ait un endroit afin d’y déposer des lettres destinées à ses occupants lui plaisait. Son caractère inventif certainement ! Lorsqu’il tira le portail derrière lui en fin d’après-midi, c’est presque naturellement qu’il ouvrit la boîte, comme s’il vérifiait, chez lui, son propre courrier. Rien ! Toujours rien, peut-être demain. La même scène se reproduisit plusieurs jours, jusqu’au samedi suivant. Il y avait un enterrement ce matin-là. Une cérémonie émouvante puisqu’un enfant de treize ans rejoignait ses grands-parents dans le caveau familial, sous les pleurs de sa mère qui se débattait dans les bras de son époux pour embrasser, une dernière fois, le cercueil de son fils. Crépin assista à la scène, le cœur chamboulé. Des larmes lui vinrent aux yeux, il les essuya d’un geste maladroit, il n’avait pas l’habitude de pleurer. Une heure après leur arrivée au cimetière, chaque membre de la famille endeuillée remontait lentement les allées, suivi des amis et connaissances ayant désiré partager le chagrin de ces parents complètement perdus. Lorsque les dernières intonations de voix se firent entendre, Crépin se trouva, seul, à côté de la tombe du jeune homme. Son travail commençait. Il devait rendre au lieu son apparence calme d’une éternelle sérénité. Il arrangea la pierre tombale, déposa dessus toutes les fleurs apportées par le fleuriste qui devait encore remercier le ciel d’une journée si lucrative. Un dernier coup de balai, puis de râteau pour effacer les mouvements de pas sur le gravier, l’allée était redevenue propre, nette, silencieuse. Le froid pinçait, le vent sifflait, il devait rentrer pour se réchauffer s’il ne voulait pas attraper la mort. Là où il se trouvait, c’était plutôt facile ! Les grilles grincèrent une nouvelle fois, il ouvrit la boîte aux lettres presque machinalement lorsqu’un bruit sourd sortit de sa gorge sans qu’il ne s’en rende compte. Une lettre ! Il y avait un courrier à l’intérieur du petit caisson. Les doigts tremblants, il attrapa l’enveloppe fébrilement, la retourna et faillit s’évanouir à la lecture des mots qui y étaient écrits. Deux simples mots, un nom et un prénom : Léo Gérand. Ceux du jeune homme qui venait d’être enterré aujourd’hui même ! Crépin fourra la lettre à l’intérieur de son veston défraîchi et descendit en trombe au village. Ses articulations ne lui faisaient plus mal, il semblait porté par une force venue d’ailleurs. Arrivé à l’hôtel de ville, il se rendit directement devant la porte du maire et frappa. Sans en attendre l’autorisation, il pénétra à l’intérieur du bureau. Son occupant était au téléphone ; il invita d’un geste de la main son visiteur à s’avancer.

— Tu pourrais attendre qu’on te dise d’entrer, dit-il en raccrochant. Qu’y avait-il de si urgent ?

— Ça ! rétorqua Crépin en déposant le courrier sur la table de travail.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une lettre.

— Je vois bien, tu me prends pour un imbécile ?

— Je l’ai trouvée dans la boîte du cimetière.

— Nom de Dieu !

— Vous pouvez le dire ! Regardez à qui elle est destinée.

Le maire parcourut le recto de l’enveloppe.

— C’est…

— C’est le gamin qui a été enterré aujourd’hui.

— Il… il reçoit déjà du courrier ! ironisa le maire.

— C’est intelligent… venant de vous, vraiment !

— Excuse-moi, je ne sais pas ce qui m’a pris !

— Vous ne l’ouvrez pas ?

— Non, enfin… j’en sais rien… le mieux serait peut-être qu’on la remette à ses parents, à la famille, enfin je ne sais pas moi !

— Si la personne qui l’a écrite avait voulu l’adresser à la famille du petit, il ne l’aurait pas déposée dans la boîte du cimetière.

— Tu as raison.

— Alors ouvrez-la, ordonna Crépin.

— Écoute, je ne sais pas. Laisse-la moi, je vais réfléchir et je te dirai, tu es d’accord ?

— C’est vous qui décidez…

— Je… je te tiens au courant, conclut le maire, hésitant et visiblement gêné.

Lorsque son visiteur prit congé, il enfila son manteau et se précipita hors de son bureau. La secrétaire de mairie, en conversation avec un administré, n’eut pas le temps de lui demander l’heure de son retour. Il avait disparu en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Dehors, le vent raviva la circulation de son sang et ses pommettes prirent rapidement une couleur pourpre. Des petits vaisseaux s’illuminèrent sur son nez, lui donnant l’aspect d’un alcoolique presque en rémission. Ses pas énergiques le conduisirent rapidement jusqu’à la toute nouvelle boutique qui venait d’ouvrir au village. Il poussa la porte et aperçut Tom Anquette en train de vérifier si une tonalité s’échappait bien de son combiné lorsqu’il le décrochait. À l’arrivée du maire, il se leva.

— Quel bon vent vous amène, monsieur le maire ? Je suis heureux de vous voir !

— Moi aussi, mais pas de mondanité… c’est au flic que je suis venu parler.

— Au détective, s’il vous plaît, terminé le flic… Tom Anquette, détective privé, pour vous servir.

Tom avait répété cette phrase à maintes reprises. Il commençait à désespérer de pouvoir la prononcer un jour. Il était toutefois surpris que son premier client, enfin la première personne qui réclamait son aide, soit le maire du village. Ce dernier, sans y avoir été invité, approcha une chaise du bureau de Tom, s’y installa et jeta l’enveloppe sur le bureau du privé.

— C’est une lettre…

— Je vois, merci !

— Je vous explique…

— … S’il vous plaît.

Le maire raconta en détail l’installation de la boîte aux lettres sur le portail du cimetière jusqu’à la trouvaille de Crépin, aujourd’hui même.

— Je voudrais un conseil de spécialiste, demanda-t-il. Pensez-vous que nous devrions la porter à la famille, cette missive ?

— Je ne crois pas, répondit Tom. Si son expéditeur avait voulu l’envoyer à la famille, il l’aurait fait !

— D’accord… alors nous, qu’est-ce qu’on fait avec ?

— Eh ben on va l’ouvrir, monsieur le maire.

— Arrêtez de m’appeler ainsi, j’ai un prénom comme tout le monde, c’est Gabriel.

— Je savais.

— Vous l’ouvrez ?

— Immédiatement, rétorqua Tom, heureux d’utiliser pour la première fois le coupe-papier flambant neuf qui scintillait dans son pot à crayons. Vous connaissez la famille de ce garçon ? demanda-t-il au maire qui fixait du regard l’enveloppe qui s’ouvrait lentement.

— Oui, bien entendu, c’est une vieille famille du village.

Tom retira le papier qui se trouvait à l’intérieur, le déplia et le tendit au maire.

— Non, vous… allez-y.

Le détective parcourut les trois lignes écrites à la machine, retira ses lunettes qu’il déposa sur son bureau et soupira.

— On n’est pas dans la merde ! dit-il en guise de fatalité.

Le maire s’empara de la feuille de papier, chaussa lui aussi ses lunettes et lut le courrier. Il semblait décontenancé, dégoûté, lorsqu’il leva ses yeux sur Tom.

— Que comptez-vous faire ?

— Ça dépend de vous.

— C’est-à-dire ?

— Soit vous prévenez la gendarmerie et je fais rien, répondit Anquette, soit vous ne dites rien… enfin rien pour le moment et j’essaie de comprendre ce qui se passe, de fouiller un peu, de faire mon métier quoi !

— Et qu’allez-vous trouver ?

— Ça, monsieur le maire… heu, Gabriel, j’en sais rien. C’est toujours en cherchant qu’on trouve, il faut que je cherche… alors je pourrai répondre à votre question. Combien de temps vous me donnez ?

— On va tenir cette histoire secrète, il faut d’ailleurs que je prévienne Crépin. Si personne n’est au courant, on a le temps. Prenez le temps qu’il vous faut… mais faites vite tout de même !

Le maire prit congé. Tom promit de le tenir rapidement au courant de ses investigations et, une fois seul, relut une nouvelle fois les lignes qui défilaient sous ses yeux… Il en avait vu dans sa carrière de flic marseillais, mais cette histoire avait quelque chose d’inhabituel qu’il ne parvenait pas encore à cerner. Peut-être ne détenait-il encore que la première pièce d’un puzzle morbide et infernal ? Il n’en savait rien. Il avancerait dans cette affaire comme dans toutes les autres, pas à pas, étape après étape, jusqu’à la découverte de la vérité, quelle qu’elle soit ! Il le devait, ne serait-ce que pour ce gamin qui voulait simplement vivre mais pour qui le destin en avait décidé autrement.

2

Le dimanche avait été calme, trop calme pour Tom qui trépignait de ne pouvoir commencer à enquêter sur l’affaire de la lettre du cimetière. Il ne sortit pas de la journée qu’il passa à bricoler, terminant, une bonne fois pour toutes, son placard d’entrée commencé il y a plus d’un mois maintenant. Son agence se trouvait juste en dessous de son petit trois-pièces, une chambre, un séjour et une cuisine, le tout ne représentant pas plus de soixante mètres carrés, mais il ne lui en fallait pas plus pour qu’il soit satisfait de son sort. Lorsqu’il y réfléchissait, seul, au seuil d’une soirée qui allait être plus longue que d’habitude, il se revoyait alors à Marseille avec sa femme et son fils, ses deux êtres chers qui lui manquaient terriblement. Là-bas, ils habitaient un grand appartement situé à la Viste, juste au-dessus de l’Estaque. De sa terrasse continuellement fleurie, il avait une vue superbe sur le château d’If et sur l’île du Frioul. Combien de pastis avait-il bus à cet endroit, admirant sans s’en lasser ce paysage paradisiaque ! C’était le temps du bonheur, un bonheur à trois que rien ne semblait pouvoir détruire. Il était si heureux, si fier de son fils, de la réussite de son boulot, de son amour partagé avec Virginie… Lorsqu’ils se rencontrèrent la première fois, jamais Tom n’aurait pu imaginer qu’elle deviendrait sa femme. Comment un mec comme lui avait-il pu lui plaire ? À trente ans déjà, un certain embonpoint l’enveloppait. Du haut de son mètre soixante, il devait lever la tête pour regarder sa princesse dans les yeux. C’était une très belle femme sur laquelle le temps ne semblait pas laisser de trace. Optimiste, souriante, elle donnait confiance à son entourage et plus particulièrement à son mari qui tirait de leur union toute l’énergie nécessaire pour mener à bien ses enquêtes. Tom n’aimait pas son propre corps, il ne se trouvait pas beau et débordait d’humour et de gentillesse pour compenser ses carences physiques. Un visage rond, le nez pointu mais l’œil lumineux, il se trouvait beaucoup trop petit et pataud, se refusait à faire le moindre sport collectif et préférait les balades solitaires en vélo ou à pied même si de récents problèmes d’articulations l’obligeaient à en espacer la cadence. Il était par contre incollable en musique classique et avait eu à ce sujet d’intéressantes discussions avec Virginie dont la grand-mère avait été une violoniste de renom. Il n’aura fallu qu’un court instant d’inattention d’un chauffeur de poids lourd pour que tout s’écroule et qu’il se retrouve seul, perdu devant le vide qu’était dorénavant devenue sa vie. Le téléphone sonna à son bureau, le tirant momentanément de sa réflexion. À peine descendit-il trois marches de l’escalier reliant son appartement à son agence que, déjà, la sonnerie s’interrompait. Il pensa à une erreur, n’imaginant pas une seule seconde que ce put être un éventuel client venant lui demander son aide. Tom remonta lentement les marches, ferma la porte derrière lui et reprit son tournevis en main.

Le jour n’était pas encore levé que déjà les lumières de l’agence brillaient, rivalisant de tous leurs feux avec celles du boulanger voisin et de la seule épicerie fine du village ouverte le lundi. Tom descendit d’un pas alerte l’escalier en colimaçon, se dirigea vers la porte d’entrée qu’il déverrouilla et s’assit à son bureau, échafaudant un plan d’action lui permettant de démarrer son travail d’une façon méthodique et professionnelle. Discrètement, il devait questionner le voisinage et la famille du jeune homme décédé afin de tenter de comprendre pourquoi ce mot lui avait été adressé. Une fois sa méthodologie couchée sur sa feuille, il s’étira sur son fauteuil et décida de se faire couler un petit café. Il n’était même pas huit heures, la nuit enveloppait encore les rues désertes, il n’allait pas se pointer maintenant chez des gens et leur poser des questions inattendues qui ne manqueraient pas d’éveiller leur inquiétude. Son regard traversa la pièce. Il trouvait son agence agréable, coquette et s’y sentait bien. Autrefois, le lieu avait servi à une cordonnerie. Il y avait eu ici des chaussures partout, mais également des sacs, ceintures et autres objets en cuir. La boutique ferma à la mort du cordonnier et resta inoccupée plus d’un an. Trop petit pour abriter un magasin, cet espace commençait à coûter cher à son propriétaire qui accueillit donc la proposition de Tom d’y créer une agence de filatures avec, d’abord, une énorme satisfaction. Puis des doutes vinrent à son esprit : une telle agence ici, à Saint-Genix, cela marcherait-il ? Il verrait bien, si cet ancien flic marseillais ne pouvait pas payer le loyer, il y aurait bien une solution… Du coup, il lui loua également le studio à l’étage que Tom Anquette transforma en appartement douillet, une garçonnière en quelque sorte. Sauf que, depuis qu’il y habitait, aucune femme n’en avait encore franchi le seuil. Toujours inconsolable, il n’était pas prêt à refaire sa vie avec une autre, il aurait l’impression de tromper Virginie. Depuis ces dernières années, il n’avait connu que des aventures sans lendemain, des filles faciles ou des putes avec lesquelles il n’était allé que pour le besoin physique, sans autre désir que de tirer son coup et de les larguer une fois l’éjaculation terminée. Il contempla le décor qui l’entourait, un léger sourire de satisfaction au coin des lèvres. Il avait installé deux bureaux, un pour lui et le second pour sa future secrétaire. Quand les affaires décolleraient, il se mettrait à la recherche de la perle rare. Pour l’heure, la place était inoccupée. Le mobilier de l’agence était également constitué de deux armoires hautes et de quatre chaises visiteurs. Un petit salon d’attente avait été installé à gauche de la porte d’entrée ; à droite trônait une superbe plante qu’il allait sans doute oublier d’arroser. Elle crèverait certainement, il la remplacerait alors par une de ces décorations en plastique qui, quelquefois, sont si trompeuses qu’on ne peut s’empêcher de les toucher afin de vérifier si elles sont réelles ou pas. Le café qui coulait lentement embaumait la pièce, donnant à l’endroit une impression de bienêtre contrastant avec la lumière pâle du jour qui tardait à se lever. La mère du boulanger passa devant l’agence et lui adressa son bonjour d’un signe de la main. Il le lui rendit en levant sa tasse, comme s’il trinquait à sa santé. Le téléphone sonna, Tom regarda sa montre, sept heures cinquante six, il décrocha. Gabriel, le maire, tenait à lui recommander de travailler en toute discrétion afin de ne pas créer de panique inutile. Tom le rassura par quelques mots et raccrocha en maugréant ; Gabriel, tout maire qu’il fut, n’allait tout de même pas lui apprendre à faire son boulot. Presque vexé, il se versa une seconde tasse de café. Vers neuf heures, il enfila sa parka, mit un bonnet de laine sur le haut du crâne et sortit après avoir activé son répondeur téléphonique. Le froid glacial lui givra le sang dans les veines, il fourra ses mains bien profondément dans ses poches et partit en direction du centre ville. Saint-Genix-sur-Guiers était une petite bourgade appréciée des Lyonnais qui ne manquaient pas de s’y arrêter lorsqu’ils se trouvaient sur la route de la Savoie, de ses montagnes et de ses stations. L’hiver, un ballet incessant de voitures ignorant l’autoroute, se faufilait ainsi dans les ruelles du village pour y faire une pause et déguster la spécialité locale, une brioche pralinée au parfum unique. Tom ne l’appréciait pourtant pas et ne comprenait pas cet engouement pour ce gâteau qu’il qualifiait de quelconque. Il eut, à ce propos, de longues discussions avec le pâtissier qui avait, depuis, renoncé à en faire un amateur supplémentaire. Tom passa à proximité de la mairie et constata que ses bureaux étaient déjà ouverts. Il s’engouffra à l’intérieur, n’y vit personne et se dirigea, seul, vers le bureau de Gabriel. Il avait besoin de renseignements sur la famille du jeune homme ; le maire répondit pratiquement à toutes ses questions. L’adresse en poche, il décida de s’y rendre immédiatement.

— Allez-y doucement….insista le magistrat.

— Pour qui me prenez-vous ? Je ne vais pas débarquer mitraillette au poing, faites-moi confiance !

La maison familiale des Gérand se trouvait à la sortie du village en direction de Chambéry, au lieu-dit Truison. Une grande bâtisse en pierre surplombait un grand potager avec, en contre-bas, un lavoir comme on en trouve encore quelquefois dans nos campagnes. Plusieurs voitures étaient garées dans la cour. Tom hésita un instant et faillit rebrousser chemin, gêné d’avance du malaise qu’il allait immanquablement causer. Une porte s’ouvrit. Une femme pleurait à l’intérieur, ses plaintes s’entendaient du dehors. Un homme, le père de famille certainement, referma derrière lui et monta dans sa voiture. Le visage figé, les traits marqués, il ne remarqua même pas le détective qui montait lentement l’allée ; en tout cas, il ne le regarda pas. Silencieusement, Tom marchait, col relevé, mains bien au chaud dans ses poches. Une sonnerie étouffée troubla l’étrange ambiance de ce matin d’hiver. En sortant son portable de sa poche intérieure, Tom ne put s’empêcher de scruter autour de lui, comme s’il s’excusait de déranger le silence régnant. Le numéro entrant commençait par 04.91. C’était Marseille. La voix ensoleillée de Tony le réchauffa. C’était un pote de longue date, un collègue avec lequel il avait bossé sur de nombreuses affaires. Il l’avait invité à venir passer quelques jours ici ; ça ne s’était pas encore fait mais le projet tenait toujours.

— Je ne te réveille pas, au moins ? lui lança son ami.

— T’inquiète ! J’allais sonner chez des gens quand j’ai entendu ton appel.

— Déjà au boulot ! Qu’est-ce qui te prend ? Tu es tombé sur la tête ou quoi ? Avec le vent qu’il fait ici, je n’ose même pas imaginer le froid que tu dois avoir ! Pauvres de nous, aller vivre en Savoie… l’été, je veux bien, mais l’hiver…

— Et tu m’appelles un lundi à l’aube pour me demander le temps qu’il fait ! Tu travailles plus à la P.J. ? Tu es à Météo France maintenant ?

— Je t’appelle du bureau… d’ailleurs les potes te donnent le bonjour… non, je voulais te parler d’une sale affaire dont on s’est occupé tous les deux… tu te souviens de la famille Carléand, ça te parle ?

— Carléand… répéta Tom, c’est pas les deux frangins de Martigues qu’on a coffrés pour exhibitionnisme sur la voie publique et chez qui on a retrouvé des cassettes pornos tournées avec des mômes ?

— Exact, répondit Tony, même qu’ils en ont pris pour quinze ans sans qu’on ait pu leur mettre sur le dos le meurtre de deux gamines, retrouvées mutilées et violées dans un terrain vague à deux pas de chez eux.

— Ouais, dit Tom, pensif, c’est vrai que leur culpabilité n’a jamais pu être prouvée. Pourtant, moi, je suis toujours certain que ce sont ces deux monstres qui ont fait le coup. La preuve, c’est que l’affaire a été classée sans que jamais le coupable n’aille derrière les barreaux.

— Ce n’est pas une preuve.

— Tu as raison, mais j’ai ma conviction et je crois me souvenir que tu partageais mon point de vue, non ?

— C’est vrai, répondit Tony, tout portait à croire…

— Et qu’est-ce qu’ils deviennent, ces frangins ? Toujours à Luynes, je suppose !

— Eh ben non, et c’est pour ça que je t’appelle. Ils ont été libérés pour bonne conduite et sont sortis juste avant les fêtes.

— Il leur restait combien à faire ?

— Dix-huit mois.

— N’importe quoi, s’offusqua Tom. Être libéré pour bonne conduite quand on sait ce qu’ils sont capables de faire. Il faudrait leur couper les couilles, au moins, ils ne seraient plus dangereux. Pourquoi tu me racontes tout ça ? J’ai décroché, j’y peux plus rien !

— Un gardien de Luynes a entendu, par hasard, une conversation qu’ils ont eue la veille de leur sortie avec un autre détenu.

— Et alors ? s’inquiéta Tom.

— Je ne sais pas si on doit y attacher une grande importance mais il paraît qu’ils se sont inquiétés de savoir ce qu’on devenait.

— Pour quelle raison ?

— Notre acharnement à vouloir leur faire porter le chapeau du meurtre des gamines a jeté un flou complet sur cette affaire. Tu te souviens, les journaux en avaient parlé à l’époque, c’était parti en vrille rapidement, tout le monde semblait persuadé que les deux affaires étaient mêlées. Les frères Carléand ont Toujours clamé leur innocence pour les crimes, seulement ils prétendent, qu’à cause de nous, ils ont fait beaucoup plus de taule qu’il n’auraient dû ; se montrer à poil dans la rue et détenir des cassettes pornos avec des mineurs ne valant pas, d’après eux, quinze ans de prison.

— Leur avocat leur avait déconseillé de faire appel… De quoi ils se plaignent ? Même lui n’était pas convaincu. Et qu’est-ce qu’on y peut aujourd’hui, ils ont purgé leur peine, alors basta…

— Je pense que tu as raison, répondit Tony, mais je voulais simplement te tenir au jus de la suite de cette histoire. On était deux dans le coup, c’était toi le chef, ils doivent t’en vouloir comme à moi ; je voulais te prévenir, t’informer, c’est tout.

— Je t’en remercie mais tu sais, ici, je ne risque rien !

— C’est vrai que les frères Carléand sont tout de même pas des truands de grande envergure mais s’ils venaient à savoir où tu es aujourd’hui, ils pourraient t’emmerder d’une façon ou d’une autre et là-bas, dans le froid où tu te trouves, on n’est pas avec toi pour t’aider au cas où !

— T’inquiète pas, s’exclama Tom d’une voix anormalement enjouée, je risque rien, je te dis !

— Fais gaffe quand même…