La Lumière sous la Porte - Pascal Demeure - E-Book

La Lumière sous la Porte E-Book

Pascal Demeure

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Beschreibung

La fin du monde est proche...

C’est en travaillant à son bureau que Frédéric comprend que rien n’est plus comme avant. Tout paraît pourtant normal mais en ouvrant son agenda, l’angoisse l’envahit instantanément : le dernier jour inscrit est le 31 juillet ! Et nous sommes le 25 ! Plus que six jours, déjà le compte à rebours commence.
Armé de toute sa force, entouré des siens mais pourtant de plus en plus seul, Fred essaie de freiner cette machine infernale qui a pour seul but de l’anéantir.
Tout bascule, sa vie se transforme alors en véritable cauchemar. Pour s’en sortir, il n’a qu’une solution ! Malgré tout ce que cela implique, il doit franchir la porte...

Une intrigue haletante où se mêlent émotion et suspens !

EXTRAIT

Je suis bien ici, insouciant, comme léger ! J’oublie tout, enfin j’essaie ! Je suis seul à présent, tranquille mais bien. Ils pensent tous que je suis dingue, ils ont peut-être raison, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui je dois choisir ma route, la bonne, si possible ! Mais quelle est la bonne ?
Qui peut prétendre connaître le bon et le mauvais, qui peut être certain de ne pas se tromper et de prendre la décision qu’il faut ? Pas moi en tout cas, je n’ai même plus le courage d’y réfléchir.
Qu’on est bien ici ! Comme j’aime cette vallée où le Rhône s’étend entre Valence et Avignon ; c’est chez moi, c’est là que je dois mourir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gérant d’entreprise, Pascal Demeure vit en Provence au milieu des vignes et des oliviers. Il est originaire de Savoie, théâtre de la Série Tom Anquette dont le premier épisode L’Affaire de la lettre est paru aux Editions Sudarènes en 2014. Le secret de l'ordre est son sixième roman et le second de la série Tom Anquette.
Double vue... est son premier roman.
Pascal Demeure se lance un nouveau défi : une série policière moderne, dynamique et enjouée pour les jeunes lecteurs. Le Moulin Secret est le premier épisode de la série Bob et Rafy - Les mini-détectives. Tatus perd la boule est le deuxième épisode de la série Bob et Rafy - Les mini-détectives.
Délaissant temporairement les séries Tom Anquette et Bob & Rafy, Pascal Demeure nous propose une nouvelle version remaniée de son second roman Une lumière sous la porte, . Il embarque le lecteur dans une histoire mystérieuse au final surprenant. À découvrir ou redécouvrir !

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Les personnes que l’on enterre ne sont pas mortes, elles sont absentes…

Je suis bien ici, insouciant, comme léger ! J’oublie tout, enfin j’essaie ! Je suis seul à présent, tranquille mais bien. Ils pensent tous que je suis dingue, ils ont peut-être raison, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui je dois choisir ma route, la bonne, si possible ! Mais quelle est la bonne ?

Qui peut prétendre connaître le bon et le mauvais, qui peut être certain de ne pas se tromper et de prendre la décision qu’il faut ? Pas moi en tout cas, je n’ai même plus le courage d’y réfléchir.

Qu’on est bien ici ! Comme j’aime cette vallée où le Rhône s’étend entre Valence et Avignon ; c’est chez moi, c’est là que je dois mourir.

D’où je suis, ce sera vite fait, je ne me rendrai compte de rien, vite bouclé et on n’en parlera plus ; terminé ! Je n’ai qu’un pas à faire ! Du haut de ses remparts, la Forteresse de Mornas offre la possibilité d’en finir rapidement, il n’y a qu’à sauter !

Si seulement j’avais pu résister, ne pas me laisser entraîner et surtout ne pas céder à l’invitation de traverser ; je n’ai rien compris, du moins pas tout de suite, dommage !

Domi et les autres ne comprennent toujours pas, il vaut certainement mieux pour eux. Bon Dieu qu’on était heureux, tout est démoli, détruit ; à cause de moi, ils ne seront jamais plus comme avant.

Si je pouvais revenir en arrière ! Mon Dieu, aidez-moi, donnez-moi le courage nécessaire, je ne veux plus, je n’en peux plus et ne sais plus où j’en suis ! Est-ce la seule issue, j’ai trop mal…

Jeudi 25 juillet.

Déjà ce matin en se levant, Frédéric avait ressenti une certaine gêne, une angoisse même, sans qu’il ne sache vraiment à quoi attribuer cet état. Tout allait pourtant bien pour lui, son travail comme sa vie de couple partagée avec la charmante Dominique. Il n’avait pas de soucis d’aucun ordre, menant la vie tranquille et rangée d’un quadragénaire quelque peu embourgeoisé, toujours prêt à s’enflammer pour une cause ou une autre, sans jamais s’impliquer vraiment.

En rentrant de sa réunion hier soir, il n’était pas comme ça, il était plus décontracté, plus serein que ce matin et, pourtant, il n’avait pas passé une mauvaise nuit.

Il avait toutefois fait un rêve étrange, peut-être était-ce cela qui le tracassait maintenant, mais, après tout, ce n’était qu’un rêve. Un rêve, même cauchemardesque, n’est jamais qu’un rêve ! Il fallait qu’il se secoue, alors il allait se secouer.

Pourtant, l’annonce de l’accident de Jean-François Henner revint aussitôt à ses pensées, et c’est le regard soucieux et le sourire figé qu’il pénétra à l’intérieur de l’agence qu’il dirigeait.

Brièvement il salua ses collègues et s’enferma immédiatement dans son bureau. Là, il s’assit et jeta un regard machinal sur un dossier laissé nonchalamment sur sa table de travail, dossier l’ayant aidé à préparer sa réunion d’hier soir avec sa Direction Générale.

On frappa à sa porte. Sa secrétaire venait lui proposer son café habituel, que ce matin, il refusa. Depuis près de cinq ans qu’il était au service de cette entreprise de transports à Valence, il n’avait jamais dérogé à la règle de commencer sa journée par un bon café partagé avec les autres membres du personnel de l’agence. Jamais, sauf aujourd’hui !

Nadine, sa secrétaire, ne manqua pas de lui demander s’il se sentait bien, surprise du refus radical de son patron. Il ne répondit même pas, se contentant de lui adresser un léger sourire. Elle était sa collaboratrice depuis le début, il l’avait engagée immédiatement après son arrivée ici.

Grande, brune et mince, elle abordait avec sérénité sa prochaine trentaine ; elle n’était pas du genre à se lamenter sur les années qui passent, sa principale devise étant « qu’il vaut mieux en profiter pendant qu’il est temps, on ne sait pas ce que demain nous réserve ».

Dynamique, sérieuse et dévouée, Nadine était mariée à un enseignant et mère d’un petit garçon, Jérémy, âgé de huit ans.

Elle aimait bien Frédéric. Non qu’elle fût attirée par cet homme, mais elle appréciait sa personnalité, son humour et sa joie de vivre qui avaient déteint sur l’agence entière. De plus, elle savait fort bien que son patron s’était maintes fois battu afin de défendre son agence et son personnel, et elle lui en était très reconnaissante. D’autres l’auraient fait certainement tout aussi bien, mais voilà, c’était de lui, de Frédéric Desage qu’il s’agissait et pas d’un autre.

De le voir comme ce matin ne la rassura donc pas, elle était certaine qu’il avait dû se passer quelque chose depuis hier soir, peut-être avec la Direction Générale, ou bien peut-être Frédéric avait-il des ennuis d’ordre privé ; lui en parler serait un moyen de savoir et qui sait, de l’aider.

L’envie prit à Fred d’appeler ses parents, retraités à deux pas de Lyon. Il n’avait rien de très spécial à leur annoncer, mais il avait besoin de les entendre, cela lui ferait du bien.

Jean et Françoise Desage étaient tous deux retraités de l’enseignement. Une vie entière au service de l’éducation des enfants, une carrière exemplaire sans jamais le moindre problème avec l’Académie, deux instituteurs sans reproche ayant une adoration sans borne pour Frédéric, leur fils unique.

Lorsqu’il naquit, le 12 septembre 1957, ils étaient tous deux en poste à Valence. Ils restèrent là jusqu’au jour de leur retraite qu’ils désiraient plus proche de Lyon, laissant dans la Drôme leur fils et sa petite famille. Valence-Lyon, ce n’est pas si loin, une petite heure d’autoroute leur permettrait de se retrouver souvent. Ils ne s’en privaient pas et toujours avec le même plaisir.

Tourmenté ou inquiet, énervé ou stressé, c’est avec un bourdonnement étrange dans la tête que Fred composa leur numéro.

Ils n’étaient pas chez eux ! Où étaient-ils, si tôt dans la matinée ? Les pensées les plus folles traversèrent son esprit et il se sentit soudainement prit d’une panique qu’il ne parvint pas à contrôler. Ce n’était pourtant pas son genre, lui si calme et réfléchi habituellement, aujourd’hui si fragile et craintif !

Il aurait tant aimé être en ce moment même avec son père ! Se retrouver blotti dans ses bras comme par le passé, lorsqu’il n’était qu’un petit garçon fasciné par cet homme qui le lui rendait si bien. Fasciné, c’était bien le mot !

A l’époque, il recevait de ses parents et de son père en particulier, une véritable leçon de vie, et ce, chaque jour, chaque minute pendant lesquels ils étaient ensemble.

Enfant ou adolescent, son plus cher désir était de se retrouver, de se balader, d’aller à la pêche avec lui, afin que tous deux, seuls, puissent bavarder inlassablement sur les choses de la vie, la façon de ne pas être malheureux ou mieux encore, la façon d’être heureux.

De tout cela, Fred en avait retiré une hygiène de vie, une mentalité et un état d’esprit d’homme bien dans sa tête, bien dans ses souliers.

Bien ? Pas depuis hier soir… Et ses parents qui ne répondent pas ! Où peuvent-ils bien être enfin ?

Il consulta son agenda de la journée, il avait rendez-vous ce matin même vers neuf heures, à Montélimar. Il était déjà bien en retard, et tout en demandant à Nadine d’aviser le client de son arrivée tardive, il se précipita vers sa voiture, attacha sa ceinture et démarra rapidement en direction de l’autoroute.

Il aimait bien se rendre dans cette région de la Drôme et envisagea de s’offrir à midi un petit déjeuner sympa du côté de Grignan, village qui représentait à ses yeux le parfait endroit où couler des jours paisibles.

Mais midi était encore loin.

Machinalement, il alluma son autoradio.

L’animateur, visiblement ému, parlait du terrible accident de voiture ayant causé la mort de Jean-François Henner.

2.

Lorsqu’elle entra dans la famille Desage, il y a près de quinze ans, Dominique avait alors vingt-trois ans et terminait des études de marketing. Originaire de la Loire, elle avait rencontré Fred lors d’une journée de promenade en Chartreuse organisée par des amis communs.

Ils ne s’étaient guère parlés ce jour-là, mais elle l’avait remarqué et avait immédiatement su qu’elle le reverrait, tant il semblait différent des autres, à part, comme sur son nuage. Cela l’avait amusée, elle avait immédiatement souhaité mieux le connaitre.

Quelques semaines plus tard, ce fut chose faite.

Une autre rencontre, un dîner puis l’enchaînement normal des choses jusqu’au mariage quelques mois après.

La rapidité avec laquelle se passèrent les événements étonna quelque peu les parents de Dominique, moins, toutefois, que ceux de son jeune mari.

Jean avait été perturbé par l’annonce du mariage de son fils.

Il savait fort bien que Fred devait faire sa vie mais il avait eu du mal à accepter Dominique, du moins au début de leur relation même si celle-ci lui témoigna, dès les premiers jours, beaucoup de tendresse et de gentillesse.

Mais il n’avait que faire de sa gentillesse, elle lui prenait son fils, c’était un peu comme si elle lui enlevait une partie de lui-même. Cette situation avait duré plusieurs longs mois, jusqu’à la venue rapide de Damien, sur qui Jean reporta tout son amour.

Dominique était belle ! De grands yeux bleus ornaient un visage aux traits fins et à la chevelure bouclée et brune. Son corps avait été musclé dans sa jeunesse par des compétitions de gymnastique, et elle gardait encore la silhouette de ses vingt ans, un corps bien fait, des formes enviables, le tout couronné par une tête bien remplie et un sourire radieux.

Intelligente et perspicace, elle faisait vite la part des choses.

Ce matin-là, elle avala son petit-déjeuner et accompagna Damien chez un copain, se prépara et décida d’aller faire quelques courses en ville, non sans passer préalablement à l’agence de son mari.

Elle enfila un tailleur noir en toile sur un chemisier bleu ciel, et sortit de la maison.

Fred et elle avaient déniché cette vieille bâtisse en pierre de taille, en plein centre du village de La Roche de Glun, petite bourgade située à une vingtaine de kilomètres au nord de Valence.

Ce village avait immédiatement retenu les faveurs de la famille Desage ; Fred adorait ses ruelles, s’y promener ou courir autour du bassin des Musards pour son jogging matinal.

D’un côté l’Ardèche, de l’autre la Drôme ! Autour, des vignes et des champs d’abricotiers ou de cerisiers. Au-dessus, le ciel bleu balayé de ces nuages venant de Lyon par le mistral démarrant ici sa folle course provençale. Et presque toujours, le soleil inondant de sa chaleur ce paysage de tranquillité et de quiétude.

Venant de Firminy dans la Loire, Dominique avait rapidement adopté cette région où, disait-elle, elle se croyait en vacances à longueur d’année.

Lorsqu’elle gara sa voiture sur le parking de l’agence, elle s’aperçut tout de suite que son mari n’était pas là.

Elle alla jusqu’au bureau de Nadine et fut surprise de ce qu’elle entendait : tout le monde ici parlait de l’accident stupide de Jean-François Henner.

« Incroyable, pensa-t-elle, comme les gens sont attirés par la vie ou la mort de personnes connues ! Il y a tout de même plus important, me semble-t-il, que la mort de ce type ! »

Nadine salua l’arrivée de madame Desage par un large sourire.

— Désolée, dit-elle, mais il est parti, il n’y a pas très longtemps et je pense qu’on ne le reverra pas avant la fin de la matinée.

— Tant pis, répondit Dominique, rien de bien important ! Vous allez bien ?

— Oui, merci, mais dites-moi, il n’avait pas l’air très en forme Frédéric ce matin !

— Je sais, approuva Dominique. C’était justement le but de mon passage, je voulais m’assurer que tout aille bien. Vous a-t-il dit quelque chose ?

— Non, non ! répliqua la secrétaire. Justement, il n’a pas dit grand chose, c’est cela qui surprend chez lui.

Domi esquissa un timide sourire, cette simple phrase résumant à elle seule une partie de la personnalité de son mari.

— C’est vrai ! se contenta-t-elle de répondre. Bon, puisqu’il n’est pas là, je ne vous dérange pas plus longtemps ; vous pouvez lui dire que je suis passée ?

Et sans attendre la moindre réponse de Nadine, elle la salua et quitta le bureau.

Elle se dirigea vers le centre de Valence où un peu de shopping l’attendait.

Ensuite, il serait temps de se rendre à son travail, elle occupait le poste de déléguée commerciale au sein d’une agence immobilière.

Il était près de neuf heures trente.

En conduisant, elle ne pouvait s’empêcher de repenser à Fred.

Il ne s’était pas plaint, mais quelque chose le tracassait. Il n’avait presque rien pris ce matin à part son café, et ce n’était pas dans ses habitudes.

Depuis sa plus petite enfance, on lui avait inculqué que pour bien commencer sa journée, il devait automatiquement prendre un petit-déjeuner complet, avec tout ce qu’il faut de sucre, d’eau et de laitage, et ce, même s’il n’avait pas faim !

Et c’est ce qu’il avait toujours fait.

Cela faisait partie des choses que son père lui avait enseignées et qu’il avait mises en application instantanément.

Sur ce sujet, Domi ne le comprenait pas vraiment. Pourquoi un homme aussi doué, aussi ouvert, aussi large d’esprit que son mari devait-il appliquer à la lettre, sans jamais y déroger, de tels usages ?

Même s’ils sont bons pour la santé et le bien-être, on peut de temps en temps s’en écarter.

Mais de cela, il n’en était pas question pour Frédéric !

De cela, et de beaucoup d’autres choses… Dominique le déplorait. Elle avait essayé plusieurs fois de lui en parler, mais la tentative était restée vaine.

Du moment que son père le disait, il avait raison, c’était parole d’évangile.

« Ce n’est pas normal qu’un homme soit à ce point sous l’influence d’un autre ! » pensait-elle souvent.

Des disputes eurent lieu fréquemment entre Fred et elle à ce propos.

Jusqu’à ce qu’elle accepte et capitule, pour la tranquillité de leur couple et de leur vie de famille.

Tant que cela ne prenait pas de proportions démesurées ou ne concernait pas l’éducation de Damien car là, elle saurait s’imposer !

Mais au fond d’elle-même, elle avait un peu peur, parce qu’elle savait qu’elle n’avait pas encore tout vu et que malgré l’amour immense qu’elle avait pour son mari, elle n’était pas au bout de ses peines…

3.

Après son rendez-vous, vers onze heures, Frédéric téléphona à sa secrétaire afin de connaître la teneur des appels de la matinée. Il fut surpris d’apprendre que Dominique était passée à l’agence, car ce n’était pas son habitude.

— Que voulait-elle ? questionna-t-il.

— Vous voir, et surtout savoir comment vous alliez ! Mais au fait, comment allez-vous ? insistait Nadine.

« Comment vais-je ? » Il était tout dans ses pensées en prenant la direction de Grignan, à la hauteur de Montélimar sud, sur la RN7.

Son entretien avec le client lui avait fait du bien.

Il paraissait plus calme, plus serein que ce matin en arrivant au bureau.

Retrouver son environnement professionnel l’apaisait, le rassurait.

Il s’arrêta un instant sur le bas-côté de la route et tenta de réfléchir.

Ce rêve, il ne l’avait jamais fait ; c’était impressionnant !

Il lui avait semblé flotter, voler sur il ne savait quelle surface, plus rien de ce qu’il connaissait n’avait forme, la terre, le ciel ou le soleil n’existaient plus. Le néant, l’abstrait remplaçaient le concret. Il n’avait plus de repère, ne sachant où aller et avait déambulé ainsi une bonne partie de la nuit, mais sans jamais avoir eu peur.

Ce n’était pas un cauchemar, ni un rêve, juste un voyage dans un univers dont il ignorait tout jusqu’à présent.

Certains éléments lui revenaient maintenant à l’esprit, mais il ne savait pas comment les interpréter.

Il revoyait bien des touches, que cela pouvait-il bien être ?

Des lettres et des chiffres, comme un clavier d’ordinateur ou de machine à écrire, et puis une main ! Oui, c’est bien ça, une main avec une bague, énorme, beaucoup trop grosse cette bague…

Et puis il y avait eu ce tunnel dans lequel il avait failli s’engouffrer. Il avait eu beaucoup de mal pour résister mais était tout de même parvenu à ne pas y pénétrer.

Installé confortablement dans sa voiture, il lui semblait avoir encore aux oreilles cette musique bizarre qui jouait presque faux, qu’il avait entendue à l’entrée du tunnel.

Plus il s’en approchait, plus la musique était fausse, il n’y avait plus de mélodie, un vrai vacarme, une véritable cacophonie.

Un frisson le traversa malgré la matinée chaude qui régnait sur la région. Il se redressa sur son siège et redémarra, légèrement étourdi, sans prendre le soin de regarder dans son rétroviseur, ce qui lui valut un magistral coup de klaxon de la voiture qui venait derrière.

Il eut au moins le mérite de le faire revenir dans la réalité de sa journée, à savoir le déjeuner qu’il allait s’offrir à Grignan, puis le retour au bureau cet après-midi et enfin la soirée qu’il partagerait avec Domi et Damien.

« Pauvre Domi, pensa-t-il, elle doit se faire du souci ! »

Arrivé au centre de Grignan, il se gara au bas des remparts et entreprit de grimper jusqu’au château, ayant un peu de temps devant lui.

Il n’y avait pas de visite à cette heure de la journée, mais il en profita néanmoins pour se diriger jusqu’aux terrasses des jardins, entièrement refaites, et d’où l’on a une vue superbe sur la région.

Cet endroit, ce château, il les adorait. Plusieurs fois, il y était venu avec Domi ou avec des amis pour visiter les appartements de la Marquise de Sévigné.

Contrairement à de nombreux autres monuments qu’il avait visités, il lui semblait que celui-ci était encore habité, comme si les occupants de l’époque ne l’avaient quitté que depuis quelques jours seulement, comme si Madame de Sévigné n’allait pas tarder à y refaire son apparition.

Son ombre, sa présence flânaient encore ici, peut-être son fantôme.

La dernière fois qu’il est venu ici, c’était avec ses parents !

Ses parents…

Ils devraient être de retour chez eux à cette heure-ci ?

Il composa à nouveau leur numéro, mais personne ne répondit. Il commença à s’inquiéter sérieusement.

Généralement, ils ne s’absentaient jamais sans le lui dire ! Il tenta de se rassurer en se disant qu’ils étaient peut-être partis seulement pour la matinée, voire la journée, mais rien ne l’apaisait.

Il tenterait à nouveau plus tard dans l’après-midi, de son bureau.

Il s’installa au Relais du Château, se commanda le premier menu, celui à deux plats, le dégusta d’un bon appétit puis prit un café.

Il faisait chaud, il avait déjeuné en terrasse, et la chaleur du soleil de cette mi-journée se faisait fortement sentir.

Il dégrafa un bouton de sa chemise et ôta sa cravate. Il portait un pantalon de toile beige mais aurait à ce moment précis préféré un short ; il transpirait.

Impossible de chasser de ses pensées le vécu de sa nuit ; tout lui revenait une fois de plus, sans qu’il ne comprenne davantage que tout à l’heure.

Fatigué, las, il décida de reprendre sans délai le chemin de l’agence, puis il téléphonerait à son médecin pour un rendez-vous le soir même. S’il y avait une chose qu’il détestait, c’était de se sentir comme aujourd’hui, mou, fatigué, inefficace.

Sans trop de raison, il appela Domi depuis son portable.

Elle lui demanda de ses nouvelles l’assurant que, pour elle, tout allait bien.

Le voyage de retour se passa sans encombre ; il arriva sur le parking de l’agence quelques minutes après quatorze heures trente.

Nadine n’était pas là ; il prit connaissance des papiers laissés sur son bureau et commença à travailler sur un projet important discuté la veille avec la Direction descendue spécialement de Paris.

Il avait du mal à se concentrer et au bout d’un moment, décida de refermer ce dossier qu’il verrait plus tard.

Sa secrétaire arriva et vint spontanément prendre de ses nouvelles. Elle ne feignait pas ses sentiments, le voir comme ce matin l’avait surprise et tracassée.

Elle fut satisfaite de constater que Frédéric semblait plus en forme cet après-midi, mais ses craintes revinrent lorsqu’il lui annonça qu’il ne voulait pas être dérangé jusqu’à son départ ce soir, et que de toute façon il ne partirait pas tard.

La décision de Fred étonna Nadine, lui qui s’était toujours fait fort d’assister aux fins de journée, aux départs des véhicules, ainsi qu’à la fermeture des quais. Elle l’avait fréquemment entendu dire aux stagiaires et aux nouveaux recrutés, que chez un transporteur, il y a deux points forts dans la journée, le matin à l’arrivée des tractions et le soir à leur départ.

Ce soir, le patron ne serait pas là, c’était un signe mais elle ne savait pas lequel.

Lorsque Fred se retrouva seul dans son bureau, il commença par appeler son médecin qui lui fixa un rendez-vous, pour le lendemain matin seulement. Tout était complet pour le soir même. En plein mois de juillet, Fred ne comprit pas pourquoi ! Puis il essaya de recontacter ses parents, laissa sonner plus d’une dizaine de fois avant de raccrocher, de plus en plus soucieux.

L’après-midi se déroula calmement, Nadine ne transmettant aucun appel.

Elle lui passa seulement le siège parisien qui voulait quelques informations complémentaires sur leur discussion de la veille.

Une nouvelle réunion aurait lieu à la rentrée de septembre et c’est en voulant noter cette information sur son agenda, qu’il faillit défaillir !

Une angoisse extrême s’empara de lui au point qu’il lui sembla manquer d’air un instant !

Il tournait et retournait les feuilles de son agenda et ne comprenait plus rien.

Brusquement, en renversant sa poubelle, il se dirigea vers le calendrier mural et tourna les pages…un cri d’effroi sortit de sa bouche.

Affolée, Nadine entra en trombe dans le bureau du patron.

— Nadine, demanda Fred, qui est entré ici pendant mon absence ?

— Personne Frédéric. Qu’y-a-t-il ? demanda la secrétaire, perplexe.

— Quelqu’un est venu ici et a saccagé mes papiers.

— Quoi ? Mais c’est impossible, j’ai été présente toute la matinée et la porte de mon bureau est fermée entre midi et deux. Vous seul, à part moi, avez la clé.

— Je sais.

— Impossible je vous dis. Qu’est-ce qui se passe enfin ?

— Regardez ! répondit simplement Frédéric Desage.

A mesure qu’il lui montrait ce qu’il venait de découvrir, les yeux de Nadine s’écarquillaient, puis se plissaient, laissant apparaître dans son regard une interrogation mêlée de stupeur.

Frédéric était en train de soulever la page de juillet de son calendrier mural. Les pages suivantes étaient blanches. Elles y étaient toutes, il y en avait bien cinq correspondantes aux cinq derniers mois de l’année, mais elles étaient vierges de toute inscription.

Désespérément blanches !

Nadine s’assit sur le fauteuil visiteur et prit l’agenda que lui tendait Frédéric.

Elle était éberluée !

Le dernier jour inscrit sur l’agenda de Frédéric Desage était le 31 juillet !

Vendredi 26 juillet.

Tous les gros titres de la presse, tous les flashs radio, tous les journaux télévisés du matin parlaient encore aujourd’hui de la mort accidentelle de Jean-François Henner.

Des journalistes de tous bords avaient fait le déplacement depuis avant-hier soir, et étaient descendus de la capitale pour obtenir des renseignements à vif, pour prendre des photos de la voiture accidentée de Jean-François, de manière à alimenter leurs rédactions respectives.

Et ils s’en étaient donné à cœur joie, chacun essayant d’obtenir le scoop d’une information ou d’un indice de la gendarmerie permettant ainsi d’expliquer ce qui s’était passé.

Mais, en ce matin chaud et ensoleillé, personne ne comprenait comment la voiture de Jean-François avait pu se couper littéralement en deux sous le choc de la collision.

« Ils devaient rouler vite ! », telle était la pensée de tous.

Animateur chéri des téléspectateurs de la chaîne Fréquence Variétés, Jean-François faisait, depuis plus de quatre ans, les beaux mercredis soir de la station grâce à son émission fétiche A toi la vie.

Sa production mêlait fiction et réalité, offrant ainsi aux personnes sélectionnées la possibilité de réaliser leurs rêves les plus fous. Les gagnants du soir commençaient par passer un week-end de stars dans la capitale, avant de partir, tous frais payés, à la découverte de leurs désirs.

Entrecoupée de chansons de qualité, cette émission remportait un vif succès auprès d’un public sans cesse croissant.

Il faut dire que ce succès était en grande partie dû à l’animateur.

Ce n’était pas un présentateur comme les autres ! Mi-mage, mi-magicien, tout était conçu sur le plateau pour envoûter les participants.

Du décor aux tenues de Jean-François, en passant par la musique, tout était propice à transporter les candidats dans un monde quelque peu en dehors de la réalité. Et c’était surtout ce qui plaisait.

Jean-François jouait dans le créneau de la faiblesse des hommes ; il savait fort bien que plus la vie est dure, plus les gens ont besoin d’évasion. Moins ils ont d’argent, plus ils jouent. Moins ils ont la possibilité de s’évader, plus ils ont envie de s’enfuir.

Alors il aidait certains d’entre eux, ceux qui avaient eu la chance d’être sélectionnés.

La sélection justement, elle se passait souvent en province et Jean-François en personne venait y participer.

Il se déplaçait donc régulièrement en dehors de Paris, allant à la rencontre de ses prochains invités, avec toujours la même aura autour de lui.

Certains s’amusaient à le comparer à un voyant, d’autres à un gourou d’une quelconque secte prônant une vie facile loin des soucis quotidiens et inutiles, d’autres encore ne voyaient en lui qu’un simple présentateur télé se faisant de l’argent avec la naïveté de son public.

Ils ne sauront jamais qui il était vraiment.

Tout ce qu’ils savent aujourd’hui, c’est qu’il est mort dans un foudroyant accident de voiture, sur la route nationale, à l’entrée sud de Valence, où devait avoir lieu une prochaine sélection. Le choc a été terrible, la voiture de l’animateur a été pratiquement tranchée en deux.

L’autre véhicule a été projeté contre un mur et a terminé sa course contre une troisième automobile garée sur le côté de la route. Heureusement, elle était vide.

Quant à l’autre conducteur, il a été immédiatement conduit au Centre Hospitalier où il a été admis dans un état très critique.

Accident stupide, rien à dire de plus !

5.

— Papa, comment va pépé, tu as téléphoné ce matin ?

— Non Damien, pas ce matin, mais je vais à Lyon tout de suite après mon rendez-vous chez Jean-Michel. Je te téléphonerai à midi pour te donner de ses nouvelles.

C’est sur le comptoir de leur cuisine américaine que les Desage prenaient chaque matin leur petit-déjeuner. Mais aujourd’hui, l’humeur n’y était pas.

Frédéric avait reçu le coup de grâce hier en rentrant du bureau, en apprenant la raison pour laquelle il n’avait pas réussi à joindre ses parents durant toute la journée.

Son père avait été victime d’un malaise cardiaque et admis dans une clinique pour des examens plus approfondis. Sa mère avait essayé, en vain, de les contacter afin de les prévenir.

Rien ne paraissait trop grave, les médecins semblaient plutôt confiants, une opération n’était pas envisagée.

Frédéric prit sa matinée et se rendit à Lyon voir son père sitôt sa consultation médicale terminée.

Comme la nuit précédente, il avait tourné et retourné dans son lit ne parvenant pas à trouver le sommeil, le souci occasionné par le malaise de son père étant une raison de plus à ses nuits insomniaques.

Dominique était déjà partie pour une journée de formation à Avignon, elle ne rentrerait que tard ce soir.

Damien aurait aimé accompagner son père, mais celui-ci ne le souhaita pas. Il téléphonerait pour donner des nouvelles, c’était mieux comme ça !

Sitôt le repas du matin terminé, il se doucha, s’habilla, jean et chemisette, et ne se trouva pas mauvaise mine. Il lui semblait même être en meilleure forme que la veille, à tel point qu’il trouva le rendez-vous avec le médecin exagéré et voulut un instant l’annuler. Mais il se résigna et fila après avoir embrassé Damien.

— Que vas-tu faire aujourd’hui ? demanda-t-il avant de le quitter.

— De la musique avec les copains, on répète une dernière fois avant que chacun ne parte en vacances.

Les vacances ! Oubliées !

Dans quelques jours, ils partiraient tous les trois en Corse où ils avaient réservé un séjour dans un hôtel en bord de mer.

Fallait-il tout annuler ?

Frédéric démarra et prit la direction de Valence où l’attendait Jean-Michel, son médecin et néanmoins ami.

Il était environ neuf heures trente lorsqu’il ressortit du cabinet l’air plutôt grave, et qu’il s’engagea sans attendre sur l’autoroute de Lyon pour rejoindre son père.

Pendant la bonne heure que dura le trajet, Frédéric fit un voyage au cœur de sa mémoire tout en écoutant un CD des années 70, les années heureuses de son adolescence.

Il aimait souvent revenir sur cette époque, soit en en parlant avec son père, soit en y pensant, seul. Mais aujourd’hui, lui revenaient en mémoire des détails, des choses auxquels il n’avait plus songé depuis des années. Cette fois, c’était plus fort, plus intense que d’habitude.

Il se revoyait chez lui, avec ses parents, il était heureux, insouciant et protégé par leur amour, couvé même. Certaines bribes de conversations échangées avec son père lui revinrent, c’était un soir d’hiver où il faisait bien froid dehors, trop froid pour la région.

« Tu vois fiston, si tu veux vivre heureux, il faut vivre tes rêves … »

Comme il avait raison !

Un rêve permanent, voilà ce qu’avait été la vie de Fred durant toute sa jeunesse. Plusieurs fois, il s’était amusé à associer certains de ses faits et gestes à cette phrase, cette maxime de son père.

Il se souvenait par exemple avoir rêvé une nuit, étant gamin, qu’il découvrait la Californie.

L’été d’après, il partait un mois à côté de San Francisco, chez un correspondant, pour parfaire son anglais.

Beaucoup plus tard, il rêva qu’il se mariait avec une fille brune aux yeux bleus ; il était littéralement tombé amoureux d’une actrice américaine brune aux yeux bleus en voyant un film à la télé.

Quelques mois après, il rencontra celle qui devint sa femme et ne fut pas surpris de constater qu’elle était conforme à ses attentes, brune aux yeux bleus.

« Que des coïncidences », s’était-il entendu dire à chaque fois qu’il osait en parler à Domi ou à des amis.

Au fond de lui-même, le doute était présent !

Coïncidences ? Peut-être pas !

Sa vie jusqu’alors avait toujours été heureuse, tout lui avait réussi. Tout ce qu’il avait entrepris avait été un succès, tous ses rêves les plus fous s’étaient réalisés, de manière que jour après jour, mois après mois, année après année, cette maxime de son père devint sa ligne de conduite, sa raison d’agir, la seule, la vraie.

Il en avait parlé plusieurs fois à Jean-Michel qui n’y avait vu là qu’un pur hasard.

« Fais attention, lui avait-il dit un jour avec humour, de ne pas te mettre à faire des cauchemars ! »

Arrivé à proximité de Feyzin, la vitesse commença à se réduire, il y avait de plus en plus de monde à mesure que l’on s’approchait de Lyon.

Fred ne tarda pas à s’énerver, pensant qu’il allait perdre un temps précieux dans les embouteillages, temps qui aurait été plus utile au chevet de son père.

Machinalement, il se regarda dans le rétroviseur. Il s’examina bizarrement, se trouvant une couleur étrange dans le blanc des yeux. Il n’y avait pas prêté attention jusqu’à cet instant, mais ses yeux ou son regard, le laissaient perplexe !

S’examiner, c’est vrai qu’il avait l’habitude de le faire, ayant perpétuellement fait attention à son look, sa tenue, son poids, ses cheveux blancs….

Il était d’ailleurs assez fier d’être arrivé à la quarantaine dans son état.

Un mètre quatre-vingt-cinq, soixante-seize kilos, une allure sportive, une démarche énergique et élégante, il représentait à lui seul l’image type du bon chic bon genre de l’encadrement supérieur.

Seulement, ses yeux, il ne les avait jamais vus comme cela…

A hauteur de Gerland, où les voitures venant du Pont Pasteur s’engouffrent sur l’autoroute, il y avait, comme souvent, un bouchon, et ce n’est pas à pas qu’il parvint au Tunnel de Fourvière.

Il ne savait pas trop où se trouvait la clinique et sur les conseils de Jean-Michel, décida de rester sur l’autoroute jusqu’à la sortie Ecully.

Une bonne quinzaine de minutes passèrent avant qu’il ne parvienne à l’entrée du tunnel.

Malgré les différentes bifurcations à cet endroit, il y avait toujours autant de voitures et la vitesse diminua.

Fred était énervé ; il se voyait bien passer la plupart de sa matinée dans ce trou noir, coupé de toute lumière naturelle, de tout air frais, de tout soleil, comme emprisonné.

Seul au volant, il angoissa !

Il sentit son rythme cardiaque augmenter et son cœur battre de plus en plus fort dans sa poitrine.

Une certaine anxiété l’envahit sans qu’il ne sache comment la contrôler. Rarement, il n’avait ressenti une pareille émotion, une gêne d’aucune raison apparente, un état de nervosité intense que rien ne semblait pouvoir apaiser.

Il essaya de se raisonner, mais en vain. Plus les secondes défilaient, plus il paniquait, seul à l’intérieur de sa voiture.

Il crut étouffer et ouvrit la fenêtre qu’il referma aussitôt, les gaz d’échappement s’introduisant rapidement à l’intérieur de l’habitacle.

Il tenta de mettre un cd afin de se changer les idées, en vain. Des perles de sueur apparurent sur son front.

Il se sentait prisonnier de ce tunnel et l’espace d’un éclair, se souvint du rêve de l’autre nuit : le tunnel, la musique…

Instinctivement, il tendit l’oreille.

La musique, elle était bien présente, comme dans son rêve, là-bas, à l’autre bout !

Qu’est-ce qu’elle voulait dire cette musique, pourquoi était-elle là, à la sortie, il y avait sans doute une raison ! Laquelle ?

Pris de panique, il arrêta le moteur du véhicule et sortit. Il était comme fou, il ne pouvait plus respirer cet air puant dont il avait l’odeur plein les narines.

Il se mit à avancer, à courir vers la sortie. Plus il courait, plus les sons disgracieux de la musique augmentaient.

Il prit une quinte de toux ; un autre automobiliste le voyant arriver dans son rétroviseur, sortit et lui demanda ce qui n’allait pas. Il voulut l’aider mais Frédéric passa à ses côtés sans s’arrêter, en le bousculant même, la démarche hésitante et le regard vide.

— Va te faire voir ! lui avait lancé l’autre.

Il fallait qu’il sorte de cet endroit et vite, sinon il allait y rester !

A mesure que ses pas chancelants le conduisaient vers l’extrémité du tunnel, la luminosité se faisait de plus en plus grande.

Il avançait, encore, et la musique devenait plus forte, presque inaudible.

Ce qu’il découvrit à l’extérieur le laissa muet, il se calma, reprit son souffle et tenta d’analyser la situation.

La bretelle de sortie de Lyon-Vaise était bloquée par des camions, des ambulances, des hommes et des femmes tous en blanc.

Il ne comprenait rien.

Il eut enfin l’explication attendue.

Une grève, voilà ce qui bloquait l’autoroute ce matin, une grève des ambulanciers soutenus dans leur action par les infirmiers. Une manifestation avec tout ce qu’il faut de slogans, de bruit et de monde, de haut-parleurs scandant des revendications.

Frédéric retrouvait lentement tous ses moyens.

Il devait retourner chercher sa voiture !

Il pénétra à nouveau à l’intérieur du tunnel, et malgré ses efforts à penser à autre chose, sentit la panique revenir en lui, pareille à tout à l’heure !

La circulation se fluidifia légèrement, il quitta cet endroit malsain quelques minutes plus tard.

En passant devant le cortège de manifestants, il réfléchit un instant à cette panique qu’il venait de vivre et ne put manquer de la comparer avec son dernier rêve.

Se pourrait-il que sa fiction, que son rêve, prenne le pas sur sa réalité ?

Tout à l’heure encore, il se souvenait de certains cas, jugés hasardeux par Jean-Michel, mais qui pourraient fort bien venir corroborer cette hypothèse dont il ne parvenait plus à se défaire.

Serait-ce possible que sa vie soit dictée par ses pensées ?

Son esprit s’évada un court instant sous l’annonce d’un ambulancier syndiqué qui hurlait dans le micro.

Frédéric leva les yeux vers cet homme qui était entouré par ses collègues. Il se sentit lui-même encerclé par les infirmiers et les ambulanciers.

Il n’avait jamais tant vu de blouses blanches ; il y en avait partout autour de lui !

6.

— Madame Desage, je vous passe votre communication, la cabine, ici ! »

L’hôtesse du Novotel appelait Dominique qui avait profité d’une pause dans la matinée pour téléphoner à Jean-Michel. Avoir des nouvelles de son mari était devenu une idée fixe qui ne l’avait pas quittée depuis son arrivée à Avignon.

Entendre la voix de leur ami estompa légèrement son anxiété.

Il faut dire que Jean-Michel n’était pas tout à fait un médecin comme les autres.

Grand, costaud et des plus sympathiques, il était très aimé par ses patients qu’il rassurait non sans leur administrer des traitements de choc lorsque cela le nécessitait.

Jean-Michel voyait toujours les choses du bon côté, c’était son tempérament. A force de côtoyer des malades, il avait acquit une philosophie de perpétuel optimiste, sachant très bien qu’à un âge avancé, comme pratiquement tous les hommes, il souffrirait de la prostate.

C’était fatal, la prostate ou autre chose !

Il aimait plaisanter ainsi, comme pour conjurer le sort.

Mais cet âge était encore loin, alors il profitait du présent, essayant de rendre ses journées les plus agréables possible, enjolivant du même coup la vie de son entourage.

Il aimait beaucoup Fred et Domi et était assez soucieux de l’état de son ami. Il ne l’avait pas ménagé et avait tenté de le secouer mais il s’était rapidement rendu compte que cela ne servirait à rien. Le problème était beaucoup plus profond.

— Je ne sais pas trop qu’en penser, dit-il à Domi. Il n’a rien, en apparence, il ne souffre d’aucun mal, à part un mal de vivre peut-être.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? répondit-elle.

— Je l’ai trouvé étrangement calme et lointain, je ne sais pas moi, comme s’il était ailleurs, détaché de lui-même. Pas nerveux du tout bien au contraire. S’est-il passé quelque chose qui ait pu provoquer en lui un tel comportement ?