Personnages
FRANZ, DUC DE REICHSTADT.
SÉRAPHIN FLAMBEAU.
LE PRINCE DE METTERNICH.
L’EMPEREUR FRANZ.
LE MARÉCHAL MARMONT.
LE TAILLEUR.
LE CHEVALIER FRÉDÉRIC DE GENTZ.
L’ATTACHÉ FRANÇAIS.
LE CHEVALIER DE PHOKESCH-OSTEN.
TIBURCE DE LORGET.
LE COMTE DE DIETRICHSTEIN, précepteur du Duc.
LE BARON D’OBENAUS.
LE COMTE DE BOMBELLES.
LE GÉNÉRAL HARTMANN.
LE DOCTEUR.
LE COMTE DE SEDLINSKY, directeur de la Police.
UN GARDE-NOBLE.
LORD COWLEY, ambassadeur d’Angleterre.
THALBERG.
FURSTENBERG.
MONTENEGRO.
UN SERGENT DU RÉGIMENT DU DUC.
LE CAPITAINE FORESTI.
UN VIEUX PAYSAN.
LE VICOMTE D’OTRANTE.
PIONNET.
GOUBEAUX.
MORCHAIN.
BOROKOWSKI.
LE VALET DE CHAMBRE DU DUC.
L’HUISSIER.
UN MONTAGNARD.
UN TYROLIEN.
UN FERMIER.
LE PRÉLAT.
MARIE-LOUISE, duchesse de Parme.
LA COMTESSE CAMÉRATA.
THÉRÈSE DE LORGET, Sœur de Tiburce.
L’ARCHIDUCHESSE.
FANNY ELSSLER.
QUELQUES BELLES DAMES DE LA COUR.
LADY COWLEY.
LES DEMOISELLES D’HONNEUR DE MARIE-LOUISE.
LA GRANDE-MAITRESSE.
PRINCESSE GRAZALCOWITCH.
UNE VIEILLE-PAYSANNE.
LA FAMILLE IMPÉRIALE.
LA MAISON MILITAIRE DU DUC.
GARDES DE L’EMPEREUR : ACIÈRES, GARDES-NOBLES, TRABANS, etc.
MASQUES ET DOMINOS : POLICHINELLES, MEZZETINS, BERGÈRES, etc.
PAYSANS ET PAYSANNES.
LE RÉGIMENT DU DUC.
Le prince pâle
À Baden, près de Vienne, en 1830.
Le salon de la villa qu’occupe Marie-Louise. Murs clairs, peinte à la fresque. Frise de sphinx.
Au fond, porte-fenêtre entre deux fenêtres. On aperçoit les balustres d’un perron formant balcon, qui descend dans le jardin. Vue de tilleuls et de sapins. Magnifique journée des premiers jours de septembre. – Mobilier Empire, citronnier à bronzes. – Un grand poêle en faïence, dans le panneau de droite, second plan. Une porte au premier plan.
À gauche, deux portes. Celle du premier plan est celle de la chambre de Marie-Louise. Devant une des fenêtres, un piano Erard de l’époque ; une harpe. – Grande salle à gauche et, contre le mur, premier plan, petite table à étagère garnie de livres. – À droite, chaise longue Récamier, et grand guéridon. – Beaucoup de fleurs dans des vases. – Gravures encadrées représentant les membres de la famille impériale d’Autriche. – Portrait de l’empereur François.
Au lever du rideau, au fond du salon, un groupe de femmes très élégantes. Deux d’entre elles, assises au piano, dos au public, jouent à quatre mains. – Une autre est à la harpe. On déchiffre. Rires ; interruptions. – Un laquais introduit une jeune fille de mise modeste, qu’accompagne un officier de cavalerie autrichienne. Les deux nouveaux venus, voyant qu’on ne les remarque pas, restent un moment debout dans un coin du salon. – À ce moment, par la porte de gauche, entre le comte de Bombelles qui se dirige vers le piano. – En passant, il aperçoit la jeune fille, et s’arrête en souriant.
Scène première
Thérèse, Tiburce, Marie-Louise, Bombelles, les dames d’honneur.
LES DAMES, au clavecin, parlant toutes à la fois, et riant comme des folles.
Elle manque tous les bémols. – C’est un scandale !
– Je prends la basse. – Un, deux ! – Harpe ! – La… la !… – Pédale.
BOMBELLES, à Thérèse.
C’est vous ?
THÉRÈSE
Bonjour, Monsieur de Bombelles.
UNE DAME, au clavecin.
Mi… sol.
THÉRÈSE
J’entre comme lectrice, aujourd’hui.
UNE AUTRE DAME, au clavecin.
Le bémol !
THÉRÈSE
Et grâce à vous : merci.
BOMBELLES
C’est tout simple, Thérèse :
Vous êtes ma parente et vous êtes Française.
THÉRÈSE, présentant l’officier.
TIBURCE
BOMBELLES
Ah ! votre frère !
Il lui tend la main. Avançant un fauteuil pour Thérèse.
Asseyez-vous un peu.
THÉRÈSE
Oh ! je suis très émue !
BOMBELLES, souriant.
Et de quoi donc, mon Dieu ?
THÉRÈSE
Mais d’approcher tout ce qui reste sur la terre
De l’Empereur !…
BOMBELLES
Vraiment ? C’est de cela, ma chère ?
TIBURCE, d’un ton agacé.
Les nôtres détestaient Bonaparte, jadis !
THÉRÈSE
Je sais… mais voir…
TIBURCE, un peu dédaigneux.
Sa veuve !…
THÉRÈSE
Et peut-être… son fils ?
THÉRÈSE
Ce serait n’avoir pas plus, je pense,
D’âme… que de lecture, et n’être pas de France,
Et n’avoir pas mon âge, enfin, que de pouvoir
Ne pas trembler, Monsieur, au moment de les voir.
– Est-elle belle ?
THÉRÈSE
La duchesse de Parme !
THÉRÈSE, vivement.
Elle est malheureuse, et c’est un bien grand charme !
BOMBELLES
Mais je ne comprends pas ! Vous l’avez vue ?
TIBURCE
Non ! on nous introduit à peine en ce salon…
BOMBELLES, souriant.
Oui, mais…
TIBURCE, regardant du côté des musiciennes.
Nous avons craint de déranger ces dames,
Dont le rire ajoutait au clavecin des gammes…
THÉRÈSE
J’attends Sa Majesté, là, dans mon coin.
BOMBELLES
Comment ?
Mais c’est elle qui fait la basse en ce moment !
THÉRÈSE, se levant, saisie.
L’Imp…
BOMBELLES
Je vais l’avertir.
Il va vers le piano et parle bas à une des dames qui jouent.
MARIE-LOUISE, se retournant.
Ah ! c’est cette petite ?…
Histoire très touchante… oui… vous me l’avez dite…
Un frère qui…
BOMBELLES
Fils d’émigré, reste émigré.
TIBURCE, s’avançant, d’un ton dégagé.
L’uniforme autrichien est assez de mon gré ;
Puis il y a la chasse au renard que j’adore.
MARIE-LOUISE, à Thérèse.
Le voilà, ce mauvais garnement qui dévore
Tout le peu qui vous reste…
THÉRÈSE, voulant excuser Tiburce.
Oh ! mon frère…
MARIE-LOUISE
Un vaurien
Qui vous ruina ! mais vous l’excusez, c’est très bien.
– Thérèse de Lorget, je vous trouve charmante.
Elle lui prend les mains et la fait asseoir près d’elle sur le canapé Bombelles et Tiburce se retirent en causant, vers le fond.
Vous voilà donc parmi mes dames. Je me vante
D’être assez agréable… un peu triste depuis…
– Hélas !
THÉRÈSE, émue.
Je suis troublée au point que je ne puis
Exprimer…
MARIE-LOUISE, s’essuyant les yeux.
… Oui, ce fut une bien grande perte !
On a trop peu connu cette belle âme !
THÉRÈSE, frémissante.
Oh ! certes !
MARIE-LOUISE, se retournant, à Bombelles.
Je viens d’écrire pour qu’on garde son cheval !
à Thérèse.
Depuis la mort du général…
THÉRÈSE, étonnée.
Du général ?
MARIE-LOUISE, s’essuyant les yeux.
Il conservait ce titre.
THÉRÈSE
Ah ! Je comprends !
MARIE-LOUISE
… je pleure !
THÉRÈSE
Ce titre n’est-il pas sa gloire la meilleure ?
MARIE-LOUISE
On ne peut pas savoir d’abord tout ce qu’on perd :
J’ai tout perdu, perdant le général Neipperg !
MARIE-LOUISE
Je suis venue à Baden me distraire.
C’est bien. Tout près de Vienne. Une heure. Ah ! Dieu ! ma chère.
J’ai les nerfs !… On prétend depuis que j’ai maigri
Que je ressemble à la duchesse de Berry :
Vitrolles m’a dit ça. – Maintenant je me frise
Regardant autour d’elle.
Comme elle. – Pourquoi Dieu ! ne m’a-t-il pas reprise ? –
C’est petit, mais ce n’est pas mal, cette villa.
– Metternich est notre hôte en passant. – Il est là.
Il part ce soir. – La vie à Baden n’est pas triste.
Nous avons les Sandor, et Thalberg, le pianiste.
On fait chanter, en espagnol, Montenegro ;
Puis Fontana nous hurle un air de Figaro ;
L’archiduchesse vient avec l’ambassadrice
D’Angleterre ; et l’on sort en landau… Mais tout glisse
Sur mon chagrin ! – Ah ! si ce pauvre général !…
– Est-ce que vous comptez ce soir venir au bal ?
THÉRÈSE, qui la regarde avec une stupéfaction croissante.
Mais…
MARIE-LOUISE, impétueusement.
Chez les Meyendorff. Strauss arrive de Vienne.
– Bombelles, n’est-ce pas, il faudra qu’elle vienne ?
THÉRÈSE
Pourrai-je demander à Votre Majesté
Des nouvelles du duc de Reichstadt ?
MARIE-LOUISE
Sa santé
Est bonne. Il tousse un peu… Mais l’air est si suave
À Baden… Un jeune homme ! Il touche à l’heure grave :
Les débuts dans le monde ! – Et quand je pense, ô ciel !
Que le voilà déjà lieutenant-colonel !
Mais croiriez-vous – pour moi c’est un chagrin énorme !
Que je n’ai jamais pu le voir en uniforme !…
Entrent deux Messieurs portant des boîtes.
Ah ! c’est pour lui, tenez !
Scène III
Metternich, Gentz, puis un officier français attaché à l’ambassade de France.
METTERNICH
Bonjour, Gentz. Vous savez que je rentre aujourd’hui,
L’empereur me rappelle à Vienne.
METTERNICH
Quel ennui !
Vienne en cette saison !
GENTZ
Vide comme ma poche !
METTERNICH
Oh ! ça, ce n’est pas vrai, car soit dit sans reproche…
Le gouvernement russe a dû…
METTERNICH
Soyez franc :
Vous venez de vous vendre encore.
GENTZ, très tranquillement croquant un bonbon.
Au plus offrant.
METTERNICH
Mais pourquoi cet argent ?
GENTZ, respirant un flacon de parfum.
Pour faire la débauche !
METTERNICH
Et vous passez pour mon bras droit !
GENTZ
Votre main gauche
Doit ignorer ce que votre droite reçoit.
METTERNICH
Des bonbons ! des parfums ! Oh !
GENTZ
Cela va de soi !
J’ai de l’argent : bonbons, parfums. Je les adore
Je suis un vieil enfant faisandé.
METTERNICH
Pose encore,
Fanfaron du mépris de soi-même !…
Brusquement.
Fanny ?
GENTZ
Elssler ?… Ne m’aime pas. Oh ! je n’ai pas fini
D’être grotesque. C’est le duc dont elle est folle.
Je suis un paravent qui souffre, – et se console
En songeant qu’après tout, il vaut mieux, pour l’État,
Que le duc soit distrait. Je fais donc le bêta :
J’escorte la danseuse en ville, à la campagne,
Elle veut que ce soir, ici, je l’accompagne
Pour surprendre le duc.
METTERNICH, qui pendant ce temps a signé diverses pièces.
Vous me scandalisez !
GENTZ
Ce soir la mère sort. Il y a bal.
Il lui tend une lettre prise dans son portefeuille.
Lisez,
C’est du fils de Fouché.
METTERNICH, lisant la lettre.
Vingt août, mil huit cent trente…
GENTZ
Il s’offre à transformer.
METTERNICH, souriant.
Bon vicomte d’Otrante !
GENTZ
Notre duc de Reichstadt en Napoléon Deux.
METTERNICH
Des noms de partisans…
METTERNICH
Se souvenir d’eux.
Il lui rend la lettre.
– Notez !
GENTZ, remettant la lettre dans son portefeuille.
Nous refusons ?
METTERNICH
Sans tuer l’espérance !
Ah ! mais c’est qu’il me sert à diriger la France,
Mon petit colonel ! Car de sa boîte – cric ! –
Je le sors aussitôt qu’oubliant Metternich,
On penche à gauche, et – crac ! – dès qu’on revient à droite
Je rentre mon petit colonel dans sa boîte.
GENTZ, amusée.
Quand peut-on voir jouer le ressort ?
METTERNICH
Pas plus tard
Qu’à l’instant…
Il sonne, un laquais paraît.
L’envoyé du général Belliard !
L’envoyé entre, salue. – Metternich lui tend des documents.
Bonjour, Monsieur. Voici les papiers. – En principe,
Nous avons reconnu le roi Louis-Philippe.
Mais ne donnez pas trop dans le quatre-vingt-neuf,
Ou bien nous briserions la coquille d’un œuf…
L’ATTACHÉ, immédiatement inquiet.
Est-ce une allusion au prince François-Charles ?…
METTERNICH
Duc de Reichstadt ?… Je n’admets pas, moi qui vous parle,
Que son père ait jamais régné !
L’ATTACHÉ, avec une générosité ironique.
Moi, je l’admets.
METTERNICH
Je ne ferai donc rien pour le duc. Mais… mais…
METTERNICH
Mais si la liberté chez vous devient trop grande,
Si vous vous permettez la moindre propagande,
Mais si vous laissez trop Monsieur Royer-Collard
Venir devant le roi déplier son foulard ;
Si votre royauté fait trop la République ;
Nous pourrons – n’étant pas d’une humeur angélique ! –
Nous souvenir que Frantz est notre petit fils…
L’ATTACHÉ
Nous ne laisserons pas rougir nos lys.
METTERNICH
Vos lys,
S’ils savent rester blancs, ignoreront l’abeille.
L’ATTACHÉ, se rapprochant et baissant la voix.
On craint que malgré vous l’espoir du duc s’éveille,
L’ATTACHÉ
Les évènements ?
METTERNICH
Je les lui filtre.
L’ATTACHÉ
Quoi ?
Ignore-t-il qu’en France, on a changé de roi ?
METTERNICH
Oh ! non ! Mais le détail qu’il ne sait pas encore
C’est qu’on a rétabli le drapeau tricolore.
Il sera toujours temps…
L’ATTACHÉ
Cela pourrait, c’est vrai,
L’enivrer !
METTERNICH
Oh ! le duc n’est jamais enivré.
L’ATTACHÉ
Je trouve qu’à Baden sa garde est moins sévère.
METTERNICH
Oh ! ici ! rien à craindre : il est avec sa mère.
METTERNICH
Quel policier aurait plus d’intérêt
Qu’elle a le surveiller ? Tout complot troublerait
Son beau calme…
L’ATTACHÉ
Ce calme est peut-être une embûche !
Elle ne doit penser qu’a l’aiglon !…
MARIE-LOUISE, entrant en coup de vent.
Ma perruche !
Scène IV
Les mêmes, Marie-Louise un instant, et les dames d’honneur qui la suivent affolées.
MARIE-LOUISE, à Metternich.
Margharitina, Prince, qui s’envola !
MARIE-LOUISE
Margharitina ! Ma perruche !
Elle remonte vers le perron Les dames d’honneur se dispersent dans le parc, à la poursuite de l’oiseau.
METTERNICH, tranquillement à l’attaché qui le regarde avec stupeur.
Voilà.
L’ATTACHÉ, à Marie-Louise.
Si Son Altesse veut que je cherche ?
MARIE-LOUISE, s’arrête, le toise et sèchement.
Non !
Puis elle rentre dans son appartement après l’avoir foudroyé du regard. La porte claque.
L’ATTACHÉ, de plus en plus ahuri, à Metternich.
Qu’est-ce ?
METTERNICH
On dit « Sa Majesté ». Vous dites « Son Altesse » !
L’ATTACHÉ
L’empereur n’ayant pas régné : « Sa Majesté »
Ne peut rester à la Duchesse !
L’ATTACHÉ
Alors voilà pourquoi ce regard de colère ?
METTERNICH
C’est une question toute… protocolaire !
L’ATTACHÉ, salue pour prendre congé, puis avant de sortir, demande.
Est-ce que l’ambassade à partir d’aujourd’hui
Peut prendre la cocarde aux trois couleurs ?
METTERNICH, avec un soupir.
Mais oui…
Puisqu’on est d’accord…
Aussitôt l’attaché jette sans rien dire la cocarde blanche de son chapeau et la remplace par une tricolore qu’il sort de sa poche. Metternich se lève en disant :
Oh !… sans perdre une seconde !
Bruits de grelots au-dehors.
Qu’est-ce ?
GENTZ, qui est sur le balcon.
L’archiduchesse arrive avec du monde :
Les Meyendorff, Cowley, Thalberg !…
BOMBELLES, qui au bruit des grelots est vivement entré par la gauche suivi de Tiburce.
Recevons-les !
Au moment où il se précipite vers la porte, l’Archiduchesse paraît sur le perron entourée d’un flot d’élégants et d’élégantes en costume de ville d’eau. – Des Grévedon et des Deveris. – Robes claires. Ombrelles. Grands chapeaux. – Un petit archiduc, de cinq à six ans, en uniforme de hussard, une minuscule pelisse sur l’épaule, deux petites archiduchesses dans ces extraordinaires robes de petites filles de l’époque.
Scène V
LES MÊMES, BOMBELLES, TIBURCE, L’ARCHIDUCHESSE, DES DAMES, DES MESSIEURS, LORD COWLEY, CHALBERG, SANDOR, MONTÉNÉGRO, etc… puis THÉRÈSE, SCARAMPI, UNE DAME D’HONNEUR.
L’ARCHIDUCHESSE, à Bombelles, Metternich, Gentz, Tiburce qui s’avancent cérémonieusement.
Non ! c’est une villa ! ce n’est pas un palais ;
Pas de façons !
Le salon est envahi. À un jeune homme.
Thalberg ! vite ma tarentelle !
Thalberg se met au piano et joue. À Metternich.
Sa Majesté ma belle-sœur, où donc et-elle ?
UNE DAME
Nous venions l’enlever en passant !
UNE AUTRE.
Nous allons
Courir en char à bancs à travers les vallons ;
C’est Sandor qui conduit !
UNE VOIX D’HOMME, continuant une conversation commencée.
Il faut dans son cratère.
Lui renfoncer sa lave !
L’ARCHIDUCHESSE, se tournant vers le groupe des causeurs.
Oh ! voulez-vous vous taire !
À Metternich, en riant.
Ces Messieurs ont parlé tout le temps de volcan !
BOMBELLES
Ce volcan quel est-il ?
UNE DAME, à une autre.
Cet hiver, l’astrakan ?
SANDOR, répondant à Bombelles.
Mais le libéralisme !
LORD COWLEY
Ou plutôt la France !
METTERNICH, à l’attaché français, d’un air sévère.
Vous l’entendez ?
UNE DAME, à un jeune homme qu’elle entraîne par le bras vers le clavecin.
Monténégro, votre romance !
Tout bas rien que pour moi !…
MONTÉNÉGRO, que Thalberg accompagne, chantant tout bas.
… Corazon…
Il continue très doucement.
UNE AUTRE DAME, à Gentz.
Gentz, bonjour !
Elle fouille dans son réticule.
J’ai des bonbons pour vous,
GENTZ
Vous êtes un amour !
UNE AUTRE, même jeu.
Un parfum de Paris !
Elle tire un petit flacon et le lui donne
METTERNICH, qui a vu le flacon, vivement à Gentz.
Arrachez l’étiquette !
Eau du duc de Reichstadt !
GENTZ, respirant le parfum.
Ça sent la violette !
METTERNICH, lui arrachant le flacon et le grattant avec des ciseaux pris sur la table.
Si le duc survenait, il verrait qu’à Paris…
UNE VOIX, dans le groupe d’hommes au fond.
Elle redresse encore la tête !
UNE DAME
Nos maris
Parlent de l’hydre !
LORD COWLEY
Il faut qu’elle soit étouffée !
L’ARCHIDUCHESSE
C’est un volcan… ou bien c’est une hydre !
UNE DAME D’HONNEUR DE MARIE-LOUISE, suivie par un domestique qui porte sur un plateau de grands verres de café au lait glacé.
Eis-Kaffée ?
L’ARCHIDUCHESSE, assise, à une jeune femme.
Dis-nous des vers, Olga !
GENTZ
Si vous lui demandiez
De l’Henri Heine ?…
PLUSIEURS VOIX
Oui ! oui !
OLGA, se levant.
Quoi ? Les deux grenadiers ?
METTERNICH, vivement.
Oh ! non !
SCARAMPI, sortant de l’appartement de Marie-Louise.
Sa Majesté vient dans une minute.
Salutations. – Rires. – Conversations et froufrous.
SANDOR, au fond, dans un groupe.
Nous irons jusqu’à la Krainerrhütte.
Et ces dames prendront sur l’herbe leurs ébats !
METTERNICH
Gentz, qu’est-ce que tu lis dans ton coin ?
LORD COWLEY, nonchalamment
La politique ?
L’ARCHIDUCHESSE
Bien futile !
GENTZ
Savez-vous ce qu’on va jouer au Vaudeville ?
METTERNICH, avec indifférence.
Ah ! ah !
GENTZ
Bonaparte. – Aux Variétés ?… Napoléon.
Le Luxembourg promet : Quatorze Ans de sa vie
Le Gymnase reprend : Le Retour de Russie
Qu’est-ce que la Gaîté jouera cette saison ?
Le Cocher de Napoléon. – La Malmaison
Un jeune auteur vient de terminer : Sainte-Hélène.
La Porte Saint-Martin commence à mettre en scène
Napoléon.
LORD COWLEY
C’est une mode !
GENTZ
À l’Ambigu : Murat ; au Cirque : l’Empereur.
GENTZ
Une mode, je pense,
Qu’on verra revenir de temps en temps en France.
UNE DAME, lisant le journal par-dessus l’épaule de Gentz, avec sa face à main.
On veut faire rentrer les cendres.
METTERNICH
Le Phénix
Peut en renaître, – mais pas l’aigle !
TIBURCE
Quel grand X
Que l’avenir de cette France !
METTERNICH
Non, jeune homme.
Moi je sais.
UNE DAME
Parlez donc, prophète qu’on renomme !
L’ARCHIDUCHESSE
Ses arrêts sont coulés en bronze !
GENTZ, entre ses dents.
Ou bien en zinc !
LORD COWLEY
Qui sera le sauveur de la France ?
METTERNICH
Henri V.
Avec un geste de dédain.
Le reste, mode !
THÉRÈSE
C’est un nom qu’il est commode
De donner quelquefois à la gloire, la mode !
METTERNICH
Tant que l’on ne criera d’ailleurs qu’à l’Odéon,
Je crois qu’il n’y a pas…
UNE VOIXde tonnerre, au-dehors.
Vive Napoléon !
Panique. – Lord Cowley s’étrangle dans son verre. Toutes les femmes.
TOUT LE MONDE
Hein ? – À Baden ! – Comment ? – Ici ?
METTERNICH
C’est ridicule !
N’ayez pas peur !
LORD COWLEY
Si tout le monde se bouscule
Parce qu’on crie un nom !
TIBURCE, qui était sur le balcon, redescendant.
Ce n’est rien !
TIBURCE
C’est un soldat autrichien.
TIBURCE
Même deux. J’étais là. J’ai tout vu.
Scène VI
Les mêmes, Marie-Louise, puis un soldat autrichien.
MARIE-LOUISE, entrant brusquement à gauche, tout pâle.
Avez-vous entendu ? Oh ! c’est épouvantable !
Ça me rappelle… un jour, la foule s’amassa
Autour de ma voiture à Parme, –
Elle tombe défaillante sur la chaise longue.
en criant ça !
On veut troubler ma vie !
METTERNICH
Enfin, ce cri, qu’était-ce ?
TIBURCE
Servant tous deux au régiment de Son Altesse
Deux hommes, en congé, marchaient d’un pas distrait,
Quand ils ont vu le duc de Reichstadt qui rentrait ;
Vous savez qu’un fossé profond longe la rue ?
Le duc veut le franchir, son cheval pointe, rue,
Se dérobe. Le duc le ramène. Et : hop là !
Alors pour l’applaudir, ils ont crié, voilà.
METTERNICH
Faites-m’en monter un, vite !
MARIE-LOUISE, à qui ou fait respirer des sels.
On veut que je meure !
Entre un sergent-major du régiment du duc. Il salue gauchement, intimidé par tout ce beau monde.
METTERNICH
Un sergent ! Pourquoi donc avez, tout à l’heure,
Poussé ce cri !
LE SERGENT
Je ne sais pas.
METTERNICH
Tu ne sais pas ?
LE SERGENT
Le caporal non plus avec lequel, en bas,
J’ai crié, ne sait pas, ça nous a pris. Le prince
Était si jeune sur son cheval, et si mince !…
Et puis l’on est flatté d’avoir pour colonel
Le fils de…
METTERNICH
Bien, c’est bien.
LE SERGENT
Ce calme avec lequel
Il a franchi l’obstacle. Et blond comme un saint George !…
Alors, ça nous a pris tous les deux à la gorge,
Un attendrissement… une admiration…
Et nous avons crié : « Vive… »
METTERNICH
C’est bon ! c’est bon !
Et : « Vive le duc de Reichstadt », triple imbécile,
C’est donc plus difficile à crier ?
LE SERGENT
« Vive le duc de Reichstadt » !… Ça fait moins bien
Que… : Vive…
METTERNICH
Allons, c’est bon, va-t’-en ! Ne criez rien !
TIBURCE, au soldat quand il passe près de lui pour sortir.
Idiot !