L'âme de la maison - Théophile Gautier - E-Book

L'âme de la maison E-Book

Théophile Gautier

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Beschreibung

L'âme de la maison est une nouvelle fantastique de Théophile Gautier publiée pour la première fois dans son intégralité en novembre 1839 dans La Presse.

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L'âme de la maison

L'âme de la maisonIIIIIIIVVVIVIIPage de copyright

L'âme de la maison

Théophile Gautier

I

Lorsque je suis seul, et que je n’ai rien à faire, ce qui m’arrive souvent, je me jette dans un fauteuil, je croise les bras ; puis, les yeux au plafond, je passe ma vie en revue.

Ma mémoire, pittoresque magicienne, prend la palette, trace, à grands traits et à larges touches, une suite de tableaux diaprés des couleurs les plus étincelantes et les plus diverses ; car, bien que mon existence extérieure ait été presque nulle, au dedans j’ai beaucoup vécu.

Ce qui me plaît surtout dans ce panorama, ce sont les derniers plans, la bande qui bleuit et touche à l’horizon, les lointains ébauchés dans la vapeur, vague comme le souvenir d’un rêve, doux à l’œil et au cœur.

Mon enfance est là, joueuse et candide, belle de la beauté d’une matinée d’avril, vierge de corps et d’âme, souriant à la vie comme à une bonne chose. Hélas ! mon regard s’arrête complaisamment à cette représentation de mon moi d’alors, qui n’est plus mon moi d’aujourd’hui ! J’éprouve, en me voyant, une espèce d’hésitation ; comme lorsqu’on rencontre par hasard un ami ou un parent, après une si longue absence qu’on a eu le temps d’oublier ses traits, j’ai quelquefois toutes les peines du monde à me reconnaître. À dire vrai, je ne me ressemble guère.

Depuis, tant de choses ont passé par ma pauvre tête ! Ma physionomie physique et morale est totalement changée.

Au souffle glacial du prosaïsme, j’ai perdu une à une toutes mes illusions ; elles sont tombées de mon âme, comme les fleurs de l’amandier par une bise froide, et les hommes ont marché dessus avec leurs pieds de fange ; ma pensée adolescente, touchée et polluée par leurs mains grossières, n’a rien conservé de sa fraîcheur et de sa pureté primitives ; sa fleur, son velouté, son éclat, tout a disparu ; comme l’aile de papillon qui laisse aux doigts une poussière d’or, d’azur et de carmin, elle a laissé son principe odorant sur l’index et le pouce de ceux qui voulaient la saisir dans son vol de sylphide.

Avec la jeunesse de ma pensée, celle de mon corps s’en est allée aussi ; mes joues, rebondies et roses comme des pommes, se sont profondément creusées ; ma bouche, qui riait toujours, et que l’on eût prise pour un coquelicot noyé dans une jatte de lait, est devenue horizontale et pâle ; mon profil se dessine en méplats fortement accusés ; une ride précoce commence à se dessiner sur mon front ; mes yeux n’ont plus cette humidité limpide qui les faisait briller comme deux sources où le soleil donne ; les veilles, les chagrins les ont fatigués et rougis, leur orbite s’est cavée, de sorte qu’on peut déjà comprendre les os sous la chair, c’est-à-dire le cadavre sous l’homme, le néant sous la vie.

Oh ! s’il m’était donné de revenir sur moi-même ! Mais ce qui est fait est fait, n’y pensons plus.

Parmi tous ces tableaux, un surtout se détache nettement, de même qu’au bout d’une plaine uniforme, un bouquet de bois, une flèche d’église dorée par le couchant.

C’est le prieuré de mon oncle le chanoine ; je le vois encore d’ici, au revers de la colline, entre les grands châtaigniers, à deux pas de la chapelle de Saint-Caribert.

Il me semble être en ce moment dans la cuisine ; je reconnais le plafond rayé de solives de chêne noircies par la fumée ; la lourde table aux pieds massifs ; la fenêtre étroite taillée à vitraux qui ne laissent passer qu’un demi-jour vague et mystérieux, digne d’un intérieur de Rembrandt ; les tablettes disposées par étages qui soutiennent une grande quantité d’ustensiles de cuivre jaune et rouge, de formes bizarres, les unes fondues dans l’ombre, les autres se détachant du fond, une paillette saillante sur la partie lumineuse et des reflets sur le bord ; rien n’est changé ! Les assiettes, les plats d’étain, clairs comme de l’argent ; les pots de faïence à fleurs ; les bouteilles à large ventre ; les fioles grêles à goulot allongé, ainsi qu’on les trouve dans les tableaux de vieux maîtres flamands ; tout est à la même place, le petit détail est minutieusement conservé. À l’angle du mur, irisée par un rayon de soleil, j’aperçois la toile de l’araignée à qui, tout enfant, je donnais des mouches après leur avoir coupé les ailes, et le profil grotesque de Jacobus Pragmater, sur une porte condamnée où le plâtre est plus blanc. Le feu brille dans la cheminée ; la fumée monte en tourbillonnant le long de la plaque armoriée aux armes de France ; des gerbes d’étincelles s’échappent des tisons qui craquent ; la fine poularde, préparée pour le dîner de mon oncle, tourne lentement devant la flamme. J’entends le tic tac du tourne-broche, le pétillement des charbons, et le grésillement de la graisse qui tombe goutte à goutte dans la lèchefrite brûlante.

Berthe, son tablier blanc retroussé sur la hanche, l’arrose de temps en temps avec une cuiller de bois et veille sur elle comme une mère sur sa fille.