Le roman de la momie - Théophile Gautier - kostenlos E-Book

Le roman de la momie E-Book

Théophile Gautier

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Beschreibung

Le roman de la momie, paru en 1858 chez Hachette, c'est un chef-d'œuvre romantique où l'amour et la mort, le passé et le présent s'entremêlent admirablement. Tahoser est une momie d'une beauté extraordinaire. Lord Evandale, son découvreur, tombe follement amoureux d'elle. Le roman nous dresse un portrait fascinant et vivant de l'Égypte ancienne et témoigne de la passion égyptophile du XIXe siècle anglais.

Cette édition contient des extraits de l'essai de Henry Camille Marcel sur Théophile Gautier., et l'essay de Claudia Salvatori Immortalité et fiction historique.


Il Romanzo della mummia (1858) è un capolavoro romantico in cui si intrecciano ammirevolmente amore e morte, passato e presente. Tahoser è una mummia di straordinaria bellezza. Lord Evandale, il suo scopritore, si innamora follemente di lei. La storia è un ritratto vivo e affascinante dell'antico Egitto e testimonia la passione egittofila del XIX secolo vittoriano.

Questa edizione contiene estratti del saggio di Henry Camille Marcel su Théophile Gautier e il saggio di Claudia Salvatori Immortalità e fiction storica.

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Collana Unforgettable Iperwriters

In loving memory of Massimo Caviglione

Conception graphique pour la couverture, le logo de la série et la mise en page Max Cultural Association - Iperwriters

LE ROMAN DE LA MOMIE

IMMORTALITÉ ET FICTION HISTORIQUE

Immortels. C’est le mot que j’ai lu en travers sur une gigantesque pancarte à l’entrée du musée égyptien de Turin. Les anciens Égyptiens immortels: toujours en vie dans la mémoire historique, dans leurs arts fascinants, dans l’héritage culturel qu’ils ont laissé. Toujours en vie dans le souvenir comme l’un de nos proches décédés.

Mais les peuples du monde antique croyaient au Divin manifesté dans les forces cosmiques et la vie éternelle. Ils y croyaient comme on croit aujourd’hui à un rendez-vous au restaurant ou à un message reçu sur WhatsApp. Pour eux, l’immortalité était réelle. La vie et la mort un parcours et une seul condition de l’être.

Il est difficile d’imaginer l’existence d’un ancien Égyptien, capable de vivre une vie de fête pendant que la tombe se prépare pour l’au-delà. Une joie imprégnée de sacralité. Un sentiment qui s’est peu à peu éteint au fil des siècles. L’idée d’immortalité est le spectre d’un monde perdu.

Au XIXe et au début du XXe siècle, l’Europe (et plus tard l’Amérique) est tombée amoureuse de l’Égypte ancienne, et le fantôme de l’immortalité a commencé à habiter l’imagination des écrivains, en particulier ceux de langue anglaise. Un fantôme monstrueux et vengeur, porteur de malédictions et de toutes les horreurs du roman gothique récent.

Mais pas seulement.

Ces romantiques, au seuil d’un matérialisme qui les précipitera dans le néant, sont (consciemment ou non) du côté de la momie, c’est-à-dire de la nostalgie de l’immortalité. Souvent, leurs livres sont des rêves d’asthmatiques qui halètent pour respirer les derniers souffles de l’éternité. Des bandages putrides et effrayants s’élève alors un corps glorieux.

Dans The jewel of seven stars, de Bram Stoker, le corps glorieux est la reine Tera, une puissante sorcière en possession du secret de la résurrection. Affilié ou non à la secte Golden Dawn, Bram était bien doté d’une profonde culture hermétique et ésotérique, qu’il expose longuement dans son roman. L’archéologue devient l’interprète et l’exécuteur testamentaire de Tera dans son projet de retour à la vie.

Corps glorieux c’est aussi Tahoser, une belle momie déterrée et démêlée par un Lord anglais (comme celui qui financera les fouilles de la tombe de Toutankamon) dans Le Roman de la momie de Théophile Gautier.

La partie centrale évoque la vie de Tahoser en son temps. La capacité de Gautier à le décrire dans des scènes vives et presque hallucinatoires est impressionnante (voir par exemple le retour du pharaon au palais et le banquet qui s’ensuit). Grâce à une syntaxe et un vocabulaire magnifiques, mais aussi à une compréhension prodigieuse de l’esprit de l’Egypte pharaonique. Tahoser n’est pas ressuscitée, mais vit dans l’amour que son découvreur Lord Evandale ressent pour elle.

Louisa May Alcott n’est pas seulement l’auteur de Little Women. Dans sa nouvelle de 1868, Lost in a Pyramid, elle se livre avec succès à l’horror. Un modèle des innombrables fictions ultérieures, car elle invente la malédiction lancée par la momie sur ses profanateurs.

Mais le mérite d’avoir créé l’horreur / la science-fiction et la momie vivante revient à Jane Webb Loudon, naturaliste et peintre (les tirages de ses œuvres sont toujours en vente). Dans son The Muymmy!, qui se déroule en 2026, la technologie moderne (qu’elle a pressentie et anticipée) ressuscite Khéops. Jane ne pouvait pas savoir que le Pharaon n’habitait pas dans sa pyramide...

En 1989, Anne Rice suivra ses traces avec une double résurrection des souverains égyptiens: Ramsès et Cléopâtre.

Du côté de la momie se sont alignés des écrivains du calibre d’Arthur Conan Doyle et d’Edgar Allan Poe.

Le premier, dans The ring of Toth, nous présente un authentique immortel, un ancien Égyptien qui a vaincu la maladie et la mort grâce à la science sacrée de son temps. La momie est sa bien-aimée, qu’il veut atteindre en mourant: non pour s’anéantir, mais pour s’élever avec elle vers une dimension spirituelle supérieure. Peut-être que Conan Doyle était également affilié à la Golden Dawn, et nous savons qu’il croyait toujours aux fantômes.

Le second, dans Some words with a mummy, laisse entièrement de côté l’horreur pour raconter, sur des tons comiques, comment le noble Allamistakeo a subi une pratique d’embaumement (dans un film actuel ce serait l’hibernation) qui a permis de dormir dans un état d’animation suspendue. Réveillé, il a un vif débat avec les archéologues, ce qui montre à quel point sa culture était bien plus avancée que la nôtre. Peut-être l’avis de Poe lui-même mis dans la bouche d’une momie, qui après tout porte son nom: Allan - Mistake.

La "défaite" finale de l’Egyptien et le triomphe du scientisme est un canular.

Mais ne plaisante pas avec le charme irrésistible et l’attrait des momies. Ces messages d’immortalité qui nous appellent depuis des milliers d’années, c’est nous. L’obsession nécrophile, très profonde, cache le dévoilement d’une beauté incomparable, un chant d’espoir dans un retour du Sacré, un besoin désespéré de cette vie qui nous est refusée, dans ce monde et dans l’autre.

Avertissement

Le texte a été numérisé à partir de volumes anciens. Bien que nous ayons apporté le plus grand soin à le rendre correct et utilisable, certaines erreurs peuvent avoir échappé à notre attention. Nous nous excusons sincèrement.

M. ERNEST FEYDEAU

Je vous dédit ce livre, qui vous revient de droit; en m’ouvrant votre érudition et votre bibliothèque, vous m’avez fait croire que j’étais savant et que je connaissais assez l’antique Egypte pour la décrire; sur vos pas je me suis promené dans les temples, dans les palais, dans les hypogées, dans la cité vivante et dans la cité morte; vous avez soulevé devant moi le voile de la mystérieuse Isis et ressuscité une gigantesque civilisation disparue. L’histoire est de vous, le roman est de moi; je n’ai eu qu’à réunir par mon style, comme par un ciment de mosaïque, les pierres précieuses que vous m’apportiez.

PROLOGUE

 

 

 

 

«J’ai un pressentiment que nous trouverons dans la vallée de Biban-el-Molouk une tombe inviolée», disait à un jeune Anglais de haute mine un personnage beaucoup plus humble, en essuyant d’un gros mouchoir à carreaux bleus son front chauve, où perlaient des gouttes de sueur, comme s’il eût été modelé en argile poreuse et rempli d’eau ainsi qu’une gargoulette de Thèbes.

«Qu’Osiris vous entende», répondit au docteur allemand le jeune lord: «c’est une invocation qu’on peut se permettre en face de l’ancienne Diospolis magna; mais bien des fois déjà nous avons été déçus; les chercheurs de trésors nous ont toujours devancés».

«Une tombe que n’auront fouillée ni les rois paslears, ni les Mèdes de Cambyse, ni les Grecs, ni les Romains, ni les Arabes, et qui nous livre ses richesses intactes et son mystère vierge», continua le savant en sueur avec un enthousiasme qui faisait pétiller ses prunelles derrière les verres de ses lunettes bleues.

«Et sur laquelle vous publierez une dissertation des plus érudites, qui vous placera dans la science à côté des Champollion, des Rosellini, des Wilkinson, des Lepsius et des Belzoni», dit le jeune lord.

«Je vous la dédierai, milord, je vous la dédierai: car sans vous qui m’avez traité avec une munificence royale, je n’aurais pu corroborer mon système par la vue des monuments, et je serais mort dans ma petite ville d’Allemagne sans avoir contemplé les merveilles de cette terre antique», répondit le savant d’un ton ému.

Cette conversation avait lieu non loin du Nil, à l’entrée de la vallée de Biban-el-Molouk, entre le lord Evandale, monté sur un cheval arabe, et le docteur Rumphius, plus modestement juché sur un âne dont un fellah bâtonnait la maigre croupe; la cange qui avait amené les deux voyageurs, et qui pendant leur séjour devait leur servir de logement, était amarrée de l’autre côté du Nil, devant le village de Louqsor, ses avirons parés, ses grandes voiles triangulaires roulées et liées aux vergues.

Après avoir consacré quelques jours à la visite et à l’étude des stupéfiantes ruines de Thèbes, débris gigantesques d’un monde démesuré, ils avaient passé le fleuve sur un sandal (embarcation légère du pays), et se dirigeaient vers l’aride chaîne qui renferme dans son sein, au fond de mystérieux hypogées les anciens habitants des palais de l’autre rive.

Quelques hommes de l’équipage accompagnaient à distance lord Evandale et le docteur Rumphius, tandis que les autres, étendus sur le pont à l’ombre de la cabine, fumaient paisiblement leur pipe tout en gardant l’embarcation.

Lord Evandale était un de ces jeunes Anglais irréprochables de tout point, comme en livre à la civilisation la haute vie britannique: il portait partout avec lui la sécurité dédaigneuse que donnent une grande fortune héréditaire, un nom historique inscrit sur le livre du Peerage and Baronetage, cette seconde Bible de l’Angleterre, et une beauté dont on ne pouvait rien dire, sinon qu’elle était trop parfaite pour un homme.

En effet, sa tête pure, mais froide, semblait une copie en cire de la tcte du Méléagre ou de l’Antinous. Le rose de ses lèvres et de ses joues avait l’air d’être produit par du carmin et du fard, et ses cheveux d’un blond foncé frisaient naturellement, avec toute la correction qu’un coiffeur émérite ou un habile valet de chambre eussent pu leur imposer. Cependant le regard ferme de ses prunelles d’un bleu d’acier, et le léger mouvement de sneer qui faisait proéminer sa lèvre inférieure, corrigeaient ce que cet ensemble aurait eu de trop efféminé.

Membre du club des Yachts, le jeune lord se permettait de temps à autre le caprice d’une excursion sur son léger bâtiment appelé Puck, construit en bois de teck, aménagé comme un boudoir et conduit par un équipage peu nombreux, mais composé de marins choisis.

L’année précédente il avait visité l’Islande; cette année il visitait l’Egypte, et son yacht l’attendait dans la rade d’Alexandrie; il avait emmené avec lui un savant, un médecin, un naturaliste, un dessinateur et un photographe, pour que sa promenade ne fût pas inutile; lui-même était fort instruit, et ses succès du monde n’avaient pas fait oublier ses triomphes à l’université de Cambridge.

Il était habillé avec celte rectitude et cette propreté méticuleuse caractéristique des Anglais qui arpentent les sables du désert dans la même tenue qu’ils auraient en se promenant sur la jetée de Ramsgate ou sur les larges trottoirs du West-End. Un paletot, un gilet et un pantalon de coutil blanc, destiné à répercuter les rayons solaires, composaient son costume, que complétaient une étroite cravate bleue à pois blancs, et un chapeau de Panama d’une extrême finesse garni d’un voile de gaze.

Rumphius, l’égyptologue, conservait, même sous ce brûlant climat, l’habit noir traditionnel du savant avec ses pans flasques, son collet recroquevillé, ses boutons éraillés, dont quelquesuns s’étaient échappés de leur capsule de soie. Son pantalon noir luisait par places et laissait voir la trame; près du genou droit, l’observateur attentif eût remarqué sur le fond grisâtre de l’étoffe un travail régulier de hachures d’un ton plus vigoureux, qui témoignait chez le savant de l’habitude d’essuyer sa plume trop chargée d’encre sur cette partie de son vêtement. Sa cravate de mousseline roulée en corde flottait lâchement autour de son col, remarquable par la forte saillie de ce cartilage appelé par les bonnes femmes la pomme d’Adam.

S’il était vêtu avec une négligence scientifique, en revanche Rumplius n’était pas beau: quelques cheveux roussàtres, mélangés de fils gris, se massaient derrière ses oreilles écartées et se rebellaient contre le collet beaucoup trop haut de son habit; son crâne, entièrement dénudé, brillait comme un os et surplombait un nez d’une prodigieuse longueur, spongieux et bulbeux du bout, configuration qui, jointe aux disques bleuâtres formés par les lunettes à la place des yeux, lui donnait une vague apparence d’ibis, encore augmentée par l’enfoncement des épaules: aspect tout à fait convenable d’ailleurs et presque providentiel pour un déchiffreur d’inscriptions et de cartouches hiéroglyphiques. On eût dit un dieu ibiocéphale, comme on en voit sur les fresques funèbres, confiné dans un corps de savant par suite de quelque transmigration.

Le lord et le docteur cheminaient vers les rochers à pic qui enserrent la funèbre vallée de Biban-el-Molouk, la nécropole royale de l’ancienne Thèbes, tenant la conversation dont nous avons rapporté quelques phrases, lorsque, sortant comme un troglodyte de la gueule noire d’un sépulcre vide, habitation ordinaire des fellahs, un nouveau personnage, vêtu d’une façon assez théâtrale, fit brusquement son entrée en scène, se posa devant les voyageurs et les salua de ce gracieux salut des Orientaux, à la fois humble, caressant et digne.

C’était un Grec, entrepreneur de fouilles, marchand et fabricant d’antiquités, vendant du neuf au besoin à défaut de vieux. Rien en lui, d’ailleurs, ne sentait le vulgaire et famélique exploiteur d’étrangers. Il portait le tarbouch de feutre rouge, inondé par derrière d’une longue houppe de soie floche bleue, et laissant voir, sous l’étroit liséré blanc d’une première calotte de toile piquée, des tempes rasées aux tons de barbe fraîchement faite.

Son teint olivâtre, ses sourcils noirs, son nez crochu, ses yeux d’oiseau de proie, ses grosses moustaches, son menton presque séparé par une fossette qui avait l’air d’un coup de sabre, lui eussent donné une authentique physionomie de brigand, si la rudesse de ses traits n’eût été tempérée par l’aménité de commande et le sourire servile du spéculateur fréquemment en rapport avec le public.

Son costume était fort propre: il consistait en une veste cannelle soutachée en soie de même couleur, des cnémides ou guêtres d’étoffe pareille, un gilet blanc orné de boutons semblables à des fleurs de camomille, une large ceinture rouge et d’immenses grègues aux plis multipliés et bouffants.

Ce Grec observait depuis longtemps la cange à l’ancre devant Louqsor. A la grandeur de la barque, au nombre des rameurs, à la magnificence de l’installation, et surtout au pavillon d’Angleterre placé à la poupe, il avait subodoré avec son instinct mercantile quelque riche voyageur dont on pouvait exploiter la curiosité scientifique, et qui ne se contenterait pas des statuettes en pâte émaillée bleue ou verte, des scarabées gravés, des estampages en papier de panneaux hiéroglyphiques, et autres menus ouvrages de l’art égyptien.

Il suivait les allées et les venues des voyageurs à travers les ruines, et, sachant qu’ils ne manqueraient pas, après avoir satisfait leur curiosité, de passer le fleuve pour visiter les hypogées royaux, il les attendait sur son terrain, certain de leur tirer poil ou plume; il regardait tout ce domaine funèbre comme sa propriété, et malmenait fort les petits chacals subalternes qui s’avisaient de gratter dans les tombeaux.

Avec la finesse particulière aux Grecs, d’après l’aspect de lord Evandale, il additionna rapidement les revenus probables de Sa Seigneurie, et résolut de ne pas le tromper, calculant qu’il retirerait plus d’argent de la vérité que du mensonge. Aussi renonça-t-il à l’idée de promener le noble Anglais dans des hypogées déjà cent fois parcourus, et dédaigna-t-il de lui faire entreprendre des fouilles à des endroits où il savait qu’on ne trouverait rien, pour en avoir extrait lui-même depuis longtemps et vendu fort cher ce qu’il y avait de curieux.

Argyropoulos (c’était le nom du Grec), en explorant les recoins de la vallée moins souvent sondés que les autres, parce que jusquelà les recherches n’avaient été suivies d’aucune trouvaille, s’était dit qu’à une certaine place, derrière des rochers dont l’arrangement semblait dû au hasard, existait certainement l’entrée d’une syringe masquée avec un soin tout particulier, et que sa grande expérience en ce genre de perquisition lui avait fait reconnaître à mille indices imperceptibles pour des yeux moins clairvoyants que les siens, clairs et perçants comme ceux des gypaètes perchés sur l’entablement des temples. Depuis deux ans qu’il avait fait cette découverte, il s’était astreint à ne jamais porter ses pas ni ses regards do ce côté-là, de peur de donner l’éveil aux violateurs de tombeaux.

«Votre Seigneurie a-t-elle l’intention de se livrer à quelques recherches?» dit le Grec Argyropoulos dans une sorte de patois cosmopolite dont nous n’essayerons pas de reproduire la syntaxe bizarre et les consonnances étranges, mais que s’imagineront sans peine ceux qui ont parcouru les Échelles du Levant et ont dû avoir recours aux services de ces drogmans polyglottes qui finissent par ne savoir aucune langue.

Heureusement lord Evandale et son docte compagnon connaissaient tous les idiomes auxquels Argyropoulos faisait des emprunts.

«Je puis mettre à votre disposition une centaine de fellahs intrépides qui, sous l’impulsion du courbach et du haschich, gratteraient avec leurs ongles la terre jusqu’au centre. Nous pourrons tenter, si cela convient à Votre Seigneurie, de déblayer un sphinx enfoui, de désobstruer un naos, d’ouvrir un hypogée...»

Voyant que le lord restait impassible à cette alléchante énumération, et qu’un sourire sceptique errait sur les lèvres du savant, Argyropoulos comprit qu’il n’avait pas affaire à des dupes faciles, et il se confirma dans l’idée de vendre à l’Anglais la trouvaille sur laquelle il comptait pour parfaire sa petite fortune et doter sa fille.

«Je devine que vous êtes des savants, et non de simples voyageurs, et que de vulgaires curiosités ne sauraient vous séduire», continua-t-il en parlant un anglais beaucoup moins mélangé de grec, d’arabe et d’italien. «Je vous révélerai une tombe qui jusqu’ici a échappé aux investigations des chercheurs, et que nul ne connaît hors moi; c’est un trésor que j’ai précieusement gardé pour quelqu’un qui en fût digne».

«Et à qui vous le ferez payer fort cher», dit le lord en souriant.

«Ma franchise m’empêche de contredire Votre Seigneurie: j’espère retirer un bon prix de ma découverte: chacun vit, en ce monde, de sa petite industrie: je déterre des Pharaons, et je les vends aux étrangers. Le Pharaon se fait rare, au train dont on y va; il n’y en a pas pour tout le monde. L’article est demandé, et l’on n’en fabrique plus depuis longtemps».

«En effet, dit le savant, «il y a quelques siècles que les colchytes, les paraschites et les tarischeutes ont fermé boutique, et que les Memnonia, tranquilles quartiers des morts, ont été désertés par les vivants».

Le Grec, en entendant ces paroles, jeta sur l’Allemand un regard oblique; mais jugeant au délabrement de ses babits qu’il n’avait pas voix délibérative au chapitre, il continua à prendre le lord pour unique interlocuteur.

«Pour un tombeau de l’antiquité la plus haute, milord, et que nulle main humaine n’a troublé depuis plus de trois mille ans que les prêtres ont roulé des rochers devant son ouverture, mille guinées, est-ce trop? En vérité, c’est pour rien: car peut-être renferme-t-il des masses d’or, des colliers de diamants et de perles, des boucles d’oreilles d’escarboucle, des cachets en saphir, d’anciennes idoles de métal précieux, des monnaies dont on pourrait tirer un bon parti».

«Rusé coquin», dit Rumphius, «vous faites valoir votre marchandise; mais vous savez mieux que personne qu’on ne trouve rien de tel dans les sépultures égyptiennes».

Argyropoulos, comprenant qu’il avait affaire à forte partie, cessa ses hâbleries, et, se tournant du côté d’Evandale, il lui dit:

«Eh bien, milord, le marché vous convient-il?»

«Va pour mille guinées», répondit le jeune lord, «si la tombe n’a jamais été ouverte comme vous le prétendez; et rien... si une seule pierre a été remuée par la pince des foiiilleurs».

«Et à condition», ajouta le prudent Rumphius, «que nous emporterons tout ce qui se trouvera dans le tombeau».

«J’accepte», dit Argyropoulos avec un air de complète assurance; «Votre Seigneurie peut apprêter d’avance ses banknotes et son or».

«Mon cher monsieur Rumphius», dit lord Evandale à son acolyte, «le vœu que vous formiez tout à l’heure me paraît près de se réaliser; ce drôle semble sûr de son fait».

«Dieu le veuille!» répondit le savant en faisant remonter et redescendre plusieurs fois le collet de son habit le long de son crâne par un mouvement dubitatif et pyrrhonien; «les Grecs sont de si effrontés menteurs! Cretœ mendaces, affirme le dicton».

«Celui-ci est sans doute un Grec de la terre ferme», dit lord Evandale, «et je pense que pour cette fois seulement il a dit la vérité».

Le directeur des fouilles précédait le lord et le savant de quelques pas, en personne bien élevée et qui sait les convenances; il marchait d’un pas allègre et sûr, comme un homme qui se sent sur son terrain.

On arriva bientôt à l’étroit défilé qui donne entrée dans la vallée de Biban-el-Molouk. On eût dit une coupure pratiquée de main d’homme à travers l’épaisse muraille de la montagne, plutôt qu’une ouverture naturelle, comme si le génie de la solitude avait voulu rendre inaccessible ce séjour de la mort.

Sur les parois à pic de la roche tranchée, l’œil discernait vaguement d’informes restes de sculptures rongés par le temps et qu’on eût pu prendre pour des aspérités de la pierre, singeant les personnages frustes d’un bas-relief à demi effacé.

Au delà du passage, la vallée, s’élargissant un peu, présentait le spectacle de la plus morne désolation.

De chaque côté s’élevaient en pentes escarpées des masses énormes de roches calcaires, rugueuses, lépreuses, effritées, fendillées, pulvérulentes, en pleine décomposition sous l’implacable soleil. Ces roches ressemblaient à des ossements de mort calcinés au bûcher, bâillaient l’ennui de l’éternité par leurs lézardes profondes, et imploraient par leurs mille gerçures la goutte d’eau qui ne tombe jamais. Leurs parois montaient presque verticalement à une grande hauteur et déchiraient leurs crêtes irrégulières d’un blanc grisâtre sur un fond de ciel indigo presque noir, comme les créneaux ébréchés d’une gigantesque forteresse en ruine.

Les rayons du soleil chauffaient à blanc l’un des côtés de la vallée funèbre, dont l’autre était baigné de cette teinte crue et bleue des pays torrides, qui paraît inyraisemblable dans les pays du Nord lorsque les peintres la reproduisent, et qui se découpe aussi nettement que les ombres portées d’un plan d’architecture.

La vallée se prolongeait, tantôt faisant des coudes, tantôt s’étranglant en défilés, selon que les blocs et les mamelons de la chaîne bifurquée faisaient saillie ou retraite. Par une particularité de ces climats où l’atmosphère, entièrement privée d’humidité, reste d’une transparence parfaite, la perspective aérienne n’existait pas pour ce théâtre de désolation; tous les détails nets, précis, arides, se dessinaient, même aux derniers plans, avec une impitoyable sécheresse, et leur éloignement ne se devinait qu’à la petitesse de leur dimension, comme si la nature cruelle n’eût voulu cacher aucune misère, aucune tristesse de cette terre décharnée, plus morte encore que les morts qu’elle renfermait.

Sur la paroi éclairée ruisselait en cascade de feu une lumière aveuglante comme celle qui émane des métaux en fusion. Chaque plan de roche, métamorphose en miroir ardent, la renvoyait plus brûlante encore. Ces réverbérations croisées, jointes aux rayons cuisants qui tombaient du ciel et que le sol répercutait, développaient une chaleur égale à celle d’un four, et le pauvre docteur allemand ne pouvait suffire à éponger l’eau de sa figure avec son mouchoir à carreaux bleus, trempé comme s’il eût été plongé dans l’eau.

L’on n’eût pas trouvé dans toute la vallée une pincée de terre végétale; aussi pas un brin d’herbe, pas une ronce, pas une liane, pas même une plaque de mousse ne venait interrompre le ton uniformément blanchâtre de ce paysage torréfié. Les fentes et les anfractuosités de ces roches n’avaient pas assez de fraîcheur pour que la moindre plante pariétaire pût y suspendre sa mince racine chevelue.

On eût dit les las de cendres restés sur place d’une chaîne de montagnes brûlée au temps des catastrophes cosmiques, dans un grand incendie planétaire: pour compléter l’exactitude de la comparaison, de larges zébrures noires, pareilles à des cicatrices de cautérisation, rayaient le flanc crayeux des escarpements.

Un silence absolu régnait sur cette dévastation; aucun frémissement de vie ne le troublait, ni palpitation d’aile, ni bourdonnement d’insecte, ni fuite de lézard ou de reptile; la cigale même, cette amie des solitudes embrasées, n’y faisait pas résonner sa grêle cymbale.

Une poussière micacée, brillante, pareille à du grès broyé, formait le sol, et de loin en loin s’arrondissaient des monticules provenant des éclats de pierre arrachés aux profondeurs de la chaîne excavée par le pic opiniâtre des générations disparues, et le ciseau des ouvriers troglodytes préparant dans l’ombre la demeure éternelle des morts. Les entrailles émiettées de la montagne avaient produit d’autres montagnes, amoncellement friable de petits fragments de roc, qu’on eût pu prendre pour une chaîne naturelle.

Dans les flancs du rocher s’ouvraient çà et là aes bouches noires entourées de blocs de pierre en désordre, des trous carrés flanqués de piliers historiés d’hiéroglyphes, et dont les linteaux portaient des cartouches mystérieux où se distinguaient dans un grand disque jaune le scarabée sacré, le soleil à tête de bélier, et les déesses Isis et Nephtys agenouillées ou debout.

C’étaient les tombeaux des anciens rois de Thèbes; mais Argyropoulos ne s’y arrêta pas, et conduisit ses voyageurs par une espèce de rampe qui ne semblait d’abord qu’une écorchure au flanc de la montagne, et qu’interrompaientplusieurs fois des masses éboulées, à une sorte d’étroit plateau, de corniche en saillie sur la paroi verticale, où les rochers, en apparence groupés au hasard, avaient pourtant, en v regardant bien, une espèce de symétrie.

Lorsque le lord, rompu à toutes les prouesses de la gymnastique, et le savant, beaucoup moins agile, furent parvenus à se hisser auprès de lui, Argyropoulos désigna de sa badine une énorme pierre, et dit d’un air de satisfaction triomphale:

«C’est là!»

Argyropoulos frappa dans ses mains à la manière orientale, et aussitôt des fissures du roc, des replis de la vallée, accoururent en toute hâte des fellahs hâves et déguenillés, dont les bras couleur de bronze agitaient des leviers, des pics, des marteaux, des échelles et tous les instruments nécessaires; ils escaladèrent la pente escarpée comme une légion de noires fourmis. Ceux qui ne pouvaient trouver place sur l’étroit plateau occupé déjà par l’entrepreneur de fouilles, lord Evandale et le docteur Rumphius, se retenaient des ongles et s’arc-boutaient des pieds aux rugosités delà roche.

Le Grec fit signe à trois des plus robustes, qui glissèrent leurs leviers sous la plus grosse masse de rucher. Leurs muscles saillaient comme des cordes sur leurs bras maigres, et ils pesaient de tout leur poids au bout de leur barre de fer.

Enfin la masse s’ébranla, vacilla quelques instants comme un homme ivre, et, poussée par les efforts réunis d’Argyropoulos, de lord Evandale, de Rumphius, et de quelques Arabes qui étaient parvenus à se jucher sur le plateau, roula en rebondissant le long de la pente. Deux autres blocs de moindre dimension furent successivement écartés, et alors on put juger combien les prévisions du Grec étaient justes.

L’entrée d’un tombeau, qui avait évidemment échappé aux investigations des chercheurs de trésors, apparut dans toute son intégrité.

C’était une sorte de portique creusé carrément dans le roc vif: sur les parois latérales, deux piliers couplés présentaient leurs chapiteaux formés de têtes de vache, dont les cornes se contournaient en croissant isiaque.

Au-dessus de la porte basse, aux jambages nanqués de longs panneaux d’hiéroglyphes, se développait un large cadre emblématique; au centre d’un disque de couleur jaune, se voyait a côté d’un scarabée, signe des renaissances successives, le dieu à tête de bélier, symbole du soleil couchant. En dehors du disque, Isis et Nephtys, personnifications du commencement et de la fin, se tenaient agenouillées, une jambe repliée sous la cuisse, l’autre relevée à la hauteur du coude selon la posture égyptienne, les bras étendus en avant avec une expression d’étonnement mystérieux, et le corps serré d’un pagne étroit que sanglait une ceinture dont les bouts retombaient.

Derrière un mur de pierrailles et de briques crues qui céda promptement au pic des travailleurs, on découvrit la dalle de pierre qui formait la porte du monument souterrain.

Sur le cachet d’argile qui la scellait, le docteur allemand, familier avec les hiéroglyphes, n’eut pas de peine à lire la devise du colchyte surveillant des demeures funèbres qui avait à jamais fermé ce tombeau, dont lui seul eût pu retrouver l’emplacement mystérieux sur la carte des sépultures conservée au collège des prêtres.

«Je commence à croire», dit au jeune lord le savant transporté de joie, «que nous tenons véritablement la pie au nid, et je retire l’opinion défavorable que j’avais émise sur le compte de ce brave Grec».