La toison d'or - Théophile Gautier - E-Book

La toison d'or E-Book

Théophile Gautier

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Beschreibung

Tiburce, jeune esthète parisien va rechercher la blondeur de ses rêves en Belgique. Il ne parvient à trouver son idéal que dans le personnage peint de Sainte Madeleine dans le tableau La Descente de Croix de Pierre Paul Rubens dans la cathédrale Notre-Dame d'Anvers.

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La toison d'or

La toison d'orIIIIIIIVVVIPage de copyright

La toison d'or

Théophile Gautier

I

Tiburce était réellement un jeune homme fort singulier ; sa bizarrerie avait surtout l’avantage de n’être pas affectée : il ne la quittait pas comme son chapeau et ses gants en rentrant chez lui ; il était original entre quatre murs, sans spectateurs, pour lui tout seul.

N’allez pas croire, je vous prie, que Tiburce fût ridicule et qu’il eût une de ces manies agressives, insupportables à tout le monde ; il ne mangeait pas d’araignées, ne jouait d’aucun instrument et ne lisait de vers à personne ; c’était un garçon posé, tranquille, parlant peu, écoutant moins, et dont l’œil à demi ouvert semblait regarder en dedans.

Il vivait accroupi sur le coin d’un divan, étayé de chaque côté par une pile de coussins, s’inquiétant aussi peu des affaires du temps que de ce qui se passe dans la lune. — Il y avait très peu de substantifs qui fissent de l’effet sur lui, et jamais personne ne fut moins sensible aux grands mots. Il ne tenait en aucune façon à ses droits politiques et pensait que le peuple est toujours libre au cabaret.

Ses idées sur toutes choses étaient fort simples ; il aimait mieux ne rien faire que de travailler ; il préférait le bon vin à la piquette, et une belle femme à une laide ; en histoire naturelle., il avait une classification on ne peut plus succincte : ce qui se mange et ce qui ne se mange pas. — Il était d’ailleurs parfaitement détaché de toute chose humaine, et tellement raisonnable qu’il paraissait fou !

Il n’avait pas le moindre amour-propre ; il ne se croyait pas le pivot de la création, et comprenait fort bien que la terre pouvait tourner sans qu’il s’en mêlât ; il ne s’estimait pas beaucoup plus que l’acarus du fromage ou les anguilles du vinaigre ; en face de l’éternité et de l’infini, il ne se sentait pas le courage d’être vaniteux, ayant quelquefois regardé par le microscope et le télescope, il ne s’exagérait pas l’importance humaine ; sa taille était de cinq pieds quatre pouces, mais il se disait que les habitants du soleil pouvaient bien avoir huit cents lieues de haut.

Tel était notre ami Tiburce.

On aurait tort de croire, d’après ceci, que Tiburce fût dénué de passions. Sous les cendres de cette tranquillité, couvait plus d’un tison ardent. Pourtant, on ne lui connaissait pas de maîtresse en titre, et il se montrait peu galant envers les femmes. Tiburce, comme presque tous les jeunes gens d’aujourd’hui, sans être précisément un poète ou un peintre, avait lu beaucoup de romans et vu beaucoup de tableaux ; en sa qualité de paresseux, il préférait vivre sur la foi d’autrui ; il aimait avec l’amour du poète ; il regardait avec les yeux du peintre, et connaissait plus de portraits que de visages ; la réalité lui répugnait, et, à force de vivre dans les livres et les peintures, il en était arrivé à ne plus trouver la nature vraie.

Les madones de Raphaël, les courtisanes du Titien lui rendaient laides les beautés les plus notoires : la Laure de Pétrarque, la Béatrix de Dante, l’Haïdée de Byron, la Camille d’André Chénier, lui faisaient paraître vulgaires les femmes en chapeau, en robe et en mantelet dont il aurait pu devenir l’amant ; il n’exigeait cependant pas un idéal avec des ailes à plumes blanches et une auréole autour de la tête ; mais ses études sur la statuaire antique, les écoles d’Italie, la familiarité des chefs-d’œuvre de l’art, la lecture des poètes, l’avaient rendu d’une exquise délicatesse en matière de forme, et il lui eût été impossible d’aimer la plus belle âme du monde, à moins qu’elle n’eût les épaules de la Vénus de Milo. — Aussi Tiburce n’était-il amoureux de personne.

Cette préoccupation de la beauté se trahissait par la quantité de statuettes, de plâtres moulés, de dessins et de gravures qui encombraient et tapissaient sa chambre, qu’un bourgeois eut trouvé une habitation peu vraisemblable ; car il n’avait d’autres meubles que le divan cité plus haut et quelques carreaux de diverses couleurs épars sur le tapis. N’ayant pas de secrets, il se passait facilement de secrétaire, et l’incommodité des commodes était un fait démontré pour lui.

Tiburce allait rarement dans le monde, non par sauvagerie, mais par nonchalance ; il accueillait très bien ses amis et ne leur rendait jamais de visite. — Tiburce était-il heureux ? Non ; mais il n’était pas malheureux ; seulement, il aurait bien voulu pouvoir s’habiller de rouge. Les gens superficiels l’accusaient d’insensibilité, et les femmes entretenues ne lui trouvaient pas d’âme ; mais, au fond, c’était un cœur d’or, et sa recherche de la beauté physique trahissait aux yeux attentifs d’amères déceptions dans le monde de la beauté morale. — À défaut de la suavité du parfum, il cherchait l’élégance du vase ; il ne se plaignait pas ; il ne faisait pas d’élégies ; il ne portait pas ses manchettes en pleureuses ; mais l’on voyait bien qu’il avait souffert autrefois, qu’il avait été trompé, et qu’il ne voulait plus aimer qu’à bon escient.

Comme la dissimulation du corps est bien plus difficile que celle de l’âme, il s’en tenait à la perfection matérielle ; mais, hélas ! un beau corps est aussi rare qu’une belle âme.

D’ailleurs, Tiburce, dépravé par les rêveries des romanciers, vivant dans la société idéale et charmante créée par les poètes, l’œil plein des chefs-d’œuvre de la statuaire et de la peinture, avait le goût dédaigneux et superbe, et ce qu’il prenait pour de l’amour n’était que l’admiration d’artiste. — Il trouvait des fautes de dessin dans sa maîtresse ; — sans qu’il s’en doutât, la femme n’était pour lui qu’un modèle.

Un jour, ayant fumé son hooka, regardé la triple Léda du Corrège dans son cadre à filets, retourné en tous sens la dernière figurine de Pradier, pris son pied gauche dans sa main droite et son pied droit dans sa main gauche, posé ses talons sur le bord de la cheminée, Tiburce, au bout de ses moyens de distraction, fut obligé de convenir vis-à-vis de lui-même qu’il ne savait que devenir, et que les grises araignées de l’ennui descendaient le long des murailles de sa chambre toute poudreuse de somnolence.

Il demanda l’heure ; — on lui répondit qu’il était une heure moins un quart, ce qui lui parut décisif et sans réplique. Il se fit habiller et se mit à courir les rues ; en marchant, il réfléchit qu’il avait le cœur vide et sentit le besoin de faire une passion, comme on dit en argot parisien.

Cette louable résolution prise, il se posa les questions suivantes : « Aimerai-je une Espagnole au teint d’ambre, aux sourcils violents, aux cheveux de jais ? une Italienne aux linéaments antiques, aux paupières orangées cernant un regard de flamme ? une Française fluette avec un nez à la Roxelane et un pied de poupée ? une juive rouge avec une peau bleu de ciel et des yeux verts ? une négresse noire comme la nuit et luisante comme un bronze neuf ? Aurai-je une passion brune ou une passion blonde ? Perplexité grande ! »

Comme il allait tête baissée, songeant à tout cela, il se cogna contre quelque chose de dur qui fit un saut en arrière en proférant un horrible jurement. Ce quelque chose était un peintre de ses amis ; ils entrèrent tous deux au Musée. — Le peintre, grand enthousiaste de Rubens, s’arrêtait de préférence devant les toiles du Michel-Ange néerlandais qu’il louait avec une furie d’admiration tout à fait communicative. Tiburce, rassasié de la ligne grecque, du contour romain, du ton fauve des maîtres d’Italie, prenait plaisir à ces formes rebondies, à ces chairs satinées, à ces carnations épanouies comme des bouquets de fleurs, à toute cette santé luxurieuse que le peintre d’Anvers fait circuler sous la peau de ses figures en réseaux d’azur et de vermillon. Son œil caressait avec une sensualité complaisante ces belles épaules nacrées et ces croupes de sirènes inondées de cheveux d’or et de perles marines. Tiburce, qui avait une très grande faculté d’assimilation, et qui comprenait également bien les types les plus opposés, était en ce moment-là aussi flamand que s’il fût né dans les polders et n’eût jamais perdu de vue le fort de Lillo et le clocher d’Antwerpen.

« Voilà qui est convenu, se dit-il en sortant de la galerie, j’aimerai une Flamande ».

Comme Tiburce était l’homme le plus logique du monde, il se posa ce raisonnement tout à fait victorieux, à savoir que les Flamandes devaient être beaucoup plus communes en Flandre qu’ailleurs, et qu’il était urgent pour lui d’aller en Belgique — au pourchas du blond. — Ce Jason d’une nouvelle espèce, en quête d’une autre toison d’or, prit le soir même la diligence de Bruxelles avec la précipitation d’un banqueroutier las du commerce des hommes et sentant le besoin de quitter la France, cette terre classique des beaux-arts, des belles manières et des gardes du commerce.

Au bout de quelques heures, Tiburce vit paraître, non sans joie, sur les enseignes des cabarets, le lion belge sous la figure d’un caniche de nankin, accompagné de l’inévitable Verkoopt men dranken. Le lendemain soir, il se promenait à Bruxelles sur la Magdalena-Strass, gravissait la Montagne aux herbes potagères, admirait les vitraux de Sainte-Gudule et le beffroi de l’hôtel de ville, et regardait, non sans inquiétude, toutes les femmes qui passaient.

Il rencontra un nombre incalculable de négresses, de mulâtresses, de quarteronnes, de métisses, de griffes, de femmes jaunes, couleur de revers de botte, mais pas une seule blonde ; s’il avait fait un peu plus chaud, il aurait pu se croire à Séville ; rien n’y manquait, pas même la mantille noire.

Pourtant, en rentrant dans son hôtel, rue d’Or, il aperçut une jeune fille qui n’était que châtain foncé, mais elle était laide ; le lendemain, il vit aussi, près de la résidence de Laëken, une Anglaise avec des cheveux rouge carotte et des brodequins vert tendre ; mais elle avait la maigreur d’une grenouille enfermée depuis six mois dans un bocal pour servir de baromètre, ce qui la rendait peu propre à réaliser un idéal dans le goût de Rubens.