L'Art d'Aimer - Ovide - E-Book

L'Art d'Aimer E-Book

Ovide

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Beschreibung

A la fois drôle et sérieux, découvrez l’un des plus vieux textes érotiques existants

L´Art d´Aimer est une œuvre en vers écrite à Rome vers l´an 1 de notre ère. Elle demeure un des textes érotiques parmi les plus célèbres au monde. Le poète Ovide s´adresse à nous comme à des élèves, garçons et filles, auxquels il va enseigner l´art d´aimer et de séduire, d´abord aux hommes dans les deux premiers livres, puis aux femmes dans le dernier. À partir de conseils pratiques, il prodigue à ses « élèves » une éducation étonnamment moderne. Vous voulez savoir ce qu´il faut faire, dire, ce qu´il ne faut surtout ni faire, ni dire, connaître le bon moment pour agir… Ovide y répond !

Facétieux, ce qu´il apprend aux hommes, il le révèle aux femmes et les met en garde contre les stratégies masculines… qu´il leur a inculquées ! Œuvre parodique, l´Art d´Aimer connaît un grand succès auprès de ses contemporains qui y voient une caricature de leurs propres mœurs. L´Art d´Aimer est aussi pour Ovide un moyen d´affirmer ses convictions sur l´amour, vu comme valeur fondamentale, et la liberté des individus sans distinction de sexe. D´une modernité surprenante, il place les amants sur un plan d´égalité et affirme qu´il dépend du talent de l´homme ou de la femme de susciter l´amour et d´en entretenir la flamme.

Après 2 000 ans de succès ininterrompu, c´est pour vous le moment de découvrir l´Art d´Aimer. En bonus, vous trouverez Ars Amatoria, le texte intégral en latin, après la version française. Latinistes de tous poils, à vos Gaffiot !

Un classique célèbre et indémodable !

EXTRAIT

L’amour est de nature peu traitable ; souvent même il me résiste ; mais c’est un enfant ; cet âge est souple et facile à diriger. Chiron éleva le jeune Achille aux sons de la lyre, et, par cet art paisible, dompta son naturel sauvage : celui qui tant de fois fit trembler ses ennemis, qui tant de fois effraya même ses compagnons d’armes, on le vit, dit-on, craintif devant un faible vieillard et docile à la voix de son maître, tendre au châtiment des mains dont Hector devait sentir le poids. Chiron fut le précepteur du fils de Pélée ; moi je suis celui de l’amour ; tous deux enfants redoutables, tous deux fils d’une déesse. Mais on soumet au joug le front du fier taureau ; le coursier généreux broie en vain sous sa dent le frein qui l’asservit : moi aussi, je réduirai l’Amour, bien que son arc blesse mon cœur, et qu’il secoue sur moi sa torche enflammée. Plus ses traits sont aigus, plus ses feux sont brillants, plus ils m’excitent à venger mes blessures. Je ne chercherai point, Phébus, à faire croire que je tiens de toi l’art que j’enseigne : ce n’est point le chant des oiseaux qui me l’a révélé ; Clio et ses sœurs ne me sont point apparues, comme à Hésiode, lorsqu’il paissait son troupeau dans les vallons d’Accra. L’expérience est mon guide ; obéissez au poète qui possède à fond son sujet. La vérité préside à mes chants ; toi, mère des amours, seconde mes efforts !

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L'Art d'Aimer Ovide

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Livre I

Si parmi vous, Romains, quelqu’un ignore l’art d’aimer, qu’il lise mes vers ; qu’il s’instruise en les lisant, et qu’il aime. Aidé de la voile et de la rame, l’art fait voguer la nef agile ; l’art guide les chars légers : l’art doit aussi guider l’amour. Automédon, habile écuyer, sut manier les rênes flexibles ; Tiphys fut le pilote du vaisseau des Argonautes. Moi, Vénus m’a donné pour maître à son jeune fils : on m’appellera le Tiphys et l’Automédon de l’amour.

L’amour est de nature peu traitable ; souvent même il me résiste ; mais c’est un enfant ; cet âge est souple et facile à diriger. Chiron éleva le jeune Achille aux sons de la lyre, et, par cet art paisible, dompta son naturel sauvage : celui qui tant de fois fit trembler ses ennemis, qui tant de fois effraya même ses compagnons d’armes, on le vit, dit-on, craintif devant un faible vieillard et docile à la voix de son maître, tendre au châtiment des mains dont Hector devait sentir le poids. Chiron fut le précepteur du fils de Pélée ; moi je suis celui de l’amour ; tous deux enfants redoutables, tous deux fils d’une déesse. Mais on soumet au joug le front du fier taureau ; le coursier généreux broie en vain sous sa dent le frein qui l’asservit : moi aussi, je réduirai l’Amour, bien que son arc blesse mon cœur, et qu’il secoue sur moi sa torche enflammée. Plus ses traits sont aigus, plus ses feux sont brillants, plus ils m’excitent à venger mes blessures. Je ne chercherai point, Phébus, à faire croire que je tiens de toi l’art que j’enseigne : ce n’est point le chant des oiseaux qui me l’a révélé ; Clio et ses sœurs ne me sont point apparues, comme à Hésiode, lorsqu’il paissait son troupeau dans les vallons d’Accra. L’expérience est mon guide ; obéissez au poète qui possède à fond son sujet. La vérité préside à mes chants ; toi, mère des amours, seconde mes efforts !

Loin d’ici, bandelettes légères, insignes de la pudeur, et vous, robes traînantes, qui cachez à moitié les pieds de nos matrones ! Je chante des plaisirs sans danger et des larcins permis : mes vers seront exempts de toute coupable intention.

Soldat novice qui veux t’enrôler sous les drapeaux de Vénus, occupe-toi d’abord de chercher celle que tu dois aimer ; ton second soin est de fléchir la femme qui t’a plu ; et le troisième, de faire en sorte que cet amour soit durable. Tel est mon plan, telle est la carrière que mon char va parcourir, tel est le but qu’il doit atteindre. Tandis que tu es libre encor de tout lien, voici l’instant propice pour choisir celle à qui tu diras : " Toi seule as su me plaire. " Elle ne te viendra pas du ciel sur l’aile des vents ; la belle qui te convient, ce sont tes yeux qui doivent la chercher. Le chasseur sait où il doit tendre ses filets aux cerfs ; il sait dans quel vallon le sanglier farouche a sa bauge. L’oiseleur connaît les broussailles propices à ses gluaux, et le pécheur n’ignore pas quelles sont les eaux où les poissons se trouvent en plus grand nombre.

Toi qui cherches l’objet d’un amour durable, apprends aussi à connaître les lieux les plus fréquentés par les belles. Tu n’auras point besoin, pour les trouver, de mettre à la voile, ni d’entreprendre de lointains voyages. Que Persée ramène son Andromède du fond des Indes brûlées par le soleil ; que le berger phrygien aille jusqu’en Grèce ravir son Hélène ; Rome seule t’offrira d’aussi belles femmes, et en si grand nombre, que tu seras forcé d’avouer qu’elle réunit dans son sein tout ce que l’univers a de plus aimable. Autant le Gargare compte d’épis, Méthymne de raisins, l’Océan de poissons, les bocages d’oiseaux, le ciel d’étoiles, autant notre Rome compte de jeunes beautés : Vénus a fixé son empire dans la ville de son cher Énée.

Si pour te captiver, il faut une beauté naissante, dans la fleur de l’adolescence, une fille vraiment novice viendra s’offrir à tes yeux ; si tu préfères une beauté un peu plus formée, mille jeunes femmes te plairont, et tu n’auras que l’embarras du choix. Mais peut-être un âge plus mûr, plus raisonnable, a pour toi plus d’attraits ? alors, crois-moi, la foule sera encore plus nombreuse.

Lorsque le soleil entre dans le signe du Lion, tu n’auras qu’à te promener à pas lents sous le frais portique de Pompée, ou près de ce monument enrichi de marbres étrangers que fit construire une tendre mère, joignant ses dons à ceux d’un fils pieux. Ne néglige pas de visiter cette galerie qui, remplie de tableaux antiques, porte le nom de Livie, sa fondatrice ; tu y verras les Danaïdes conspirant la mort de leurs infortunés cousins, et leur barbare père, tenant à la main une épée nue. N’oublie pas non plus les fêtes d’Adonis pleuré par Vénus, et les solennités que célèbre tous les sept jours le juif syrien. Pourquoi fuirais-tu le temple de la génisse de Memphis, de cette Isis qui, séduite par Jupiter, engage tant de femmes à suivre son exemple ?

Le Forum même (qui pourrait le croire ?) est propice aux amours : plus d’une flamme a pris naissance au milieu des discussions du barreau. Près du temple de marbre consacré à Vénus, en ce lieu où la fontaine Appienne fait jaillir ses eaux, souvent plus d’un jurisconsulte se laisse prendre à l’amour ; et celui qui défendit les autres ne peut se défendre lui-même. Là, souvent les paroles manquent à l’orateur le plus éloquent : de nouveaux intérêts l’occupent, et c’est sa propre cause qu’il est forcé de plaider. De son temple voisin, Vénus rit de son embarras : naguère patron, il n’aspire plus qu’à être client.

Mais c’est surtout au théâtre qu’il faut tendre tes filets : le théâtre est l’endroit le plus fertile en occasions propices. Tu y trouveras telle beauté qui te séduira, telle autre que tu pourras tromper, telle qui ne sera pour toi qu’un caprice passager, telle enfin que tu voudras fixer. Comme, en longs bataillons, les fourmis vont et reviennent sans cesse chargées de grains, leur nourriture ordinaire ; ou bien encore comme les abeilles, lorsqu’elles ont trouvé, pour butiner, des plantes odorantes, voltigent sur la cime du thym et des fleurs ; telles, et non moins nombreuses, on voit des femmes brillamment parées courir aux spectacles où la foule se porte. Là, souvent leur multitude a tenu mon choix en suspens. Elles viennent pour voir, elles viennent surtout pour être vues : c’est là que vient échouer l’innocente pudeur.

C’est toi, Romulus, qui mêlas le premier aux jeux publics les soucis de l’amour, lorsque l’enlèvement des Sabines donna enfin des épouses à tes guerriers. Alors la toile, en rideaux suspendue, ne décorait pas des théâtres de marbre ; le safran liquide ne rougissait pas encore la scène. Alors des guirlandes de feuillage, dépouille des bois du mont Palatin, étaient l’unique ornement d’un théâtre sans art. Sur des bancs de gazon, disposés en gradins, était assis le peuple, les cheveux négligemment couverts. Déjà chaque Romain regarde autour de soi, marque de l’œil la jeune fille qu’il convoite, et roule en secret dans son cœur mille pensées diverses. Tandis qu’aux sons rustiques d’un chalumeau toscan un histrion frappe trois fois du pied le sol aplani, au milieu des applaudissements d’un peuple qui ne les vendait pas alors, Romulus donne à ses sujets le signal attendu pour saisir leur proie. Soudain ils s’élancent avec des cris qui trahissent leur dessein, et ils jettent leurs mains avides sur les jeunes vierges. Ainsi que des colombes, troupe faible et craintive, fuient devant un aigle, ainsi qu’un tendre agneau fuit à l’aspect du loup, ainsi tremblèrent les Sabines, en voyant fondre sur elles ces farouches guerriers. Tous les fronts ont pâli : l’épouvante est partout la même, mais les symptômes en sont différents. Les unes s’arrachent les cheveux, les autres tombent sans connaissance ; celle-ci pleure et se tait ; celle-là appelle en vain sa mère d’autres poussent des sanglots, d’autres restent plongées dans la stupeur. L’une demeure immobile, l’autre fuit. Les Romains cependant entraînent les jeunes filles, douce proie destinée à leur couche, et plus d’une s’embellit encore de sa frayeur même. Si quelqu’une se montre trop rebelle et refuse de suivre son ravisseur, il l’enlève, et la pressant avec amour sur son sein " Pourquoi, lui dit-il, ternir ainsi par des pleurs l’éclat de tes beaux yeux ? Ce que ton père est pour ta mère, moi, je le serai pour toi. " Ô Romulus ! Toi seul as su dignement récompenser tes soldats : à ce prix, je m’enrôlerais volontiers sous tes drapeaux.

Depuis, fidèles à cette coutume antique, les théâtres n’ont pas cessé, jusqu’à ce jour, de tendre des pièges à la beauté.

N’oublie pas l’arène où de généreux coursiers disputent le prix de la course ; ce cirque, où se rassemble un peuple immense, est très favorable aux amours. Là, pour exprimer tes secrets sentiments, tu n’as pas besoin de recourir au langage des doigts, ou d’épier les signes, interprètes des pensées de ta belle. Assieds-toi près d’elle, côte à côte, le plus près que tu pourras : rien ne s’y oppose ; le peu d’espace te force à la presser, et lui fait, heureusement pour toi, une loi de le souffrir. Cherche alors un motif pour lier conversation avec elle, et ne lui tiens d’abord que les propos usités en pareil cas. Des chevaux entrent dans le cirque : demande-lui le nom de leur maître ; et, quel que soit celui qu’elle favorise, range-toi aussitôt de son parti. Mais, lorsqu’en pompe solennelle s’avanceront les statues d’ivoire des dieux de la patrie, applaudis avec enthousiasme à Vénus, ta protectrice.

Si, par un hasard assez commun, un grain de poussière volait sur le sein de ta belle, enlève-le d’un doigt léger ; s’il n’y a rien, ôte-le toujours : tout doit servir de prétexte à tes soins officieux. Le pan de sa robe traîne-t-il à terre ? Relève-le, et fais en sorte que rien ne le puisse salir. Déjà, pour prix de ta complaisance, peut-être t’accordera-t-elle la faveur d’apercevoir sa jambe.

Tu dois en outre faire attention aux spectateurs assis derrière elle, de peur qu’un genou trop avancé ne touche à ses tendres épaules. Un rien suffit pour gagner ces esprits légers : que d’amants ont réussi près d’une belle, en arrangeant un coussin d’une main prévenante, en agitant l’air autour d’elle avec un éventail, ou en plaçant un tabouret sous ses pieds délicats !

Toutes ces occasions de captiver une belle, tu les trouveras aux jeux du cirque, aussi bien qu’au forum, cette arène qu’attristent les soucis de la chicane. Souvent l’amour se plaît à y combattre : là tel qui regardait les blessures d’autrui s’est senti blessé lui-même ; et tandis qu’il parle, qu’il parie pour tel ou tel athlète, qu’il touche la main de son adversaire, et que, déposant le gage du pari, il s’informe du parti vainqueur, un trait rapide le transperce ; il pousse un gémissement ; et, d’abord simple spectateur du combat, il en devient une des victimes.

N’est-ce pas ce qu’on a vu naguère, lorsque César nous offrit l’image d’un combat naval, où parurent les vaisseaux des Perses luttant contre ceux d’Athènes ? À ce spectacle la jeunesse des deux sexes accourut des rivages de l’un et de l’autre océan : Rome, en ce jour, semblait être le rendez-vous de l’univers. Qui de nous, dans cette foule immense, n’a pas trouvé un objet digne de son amour ? Combien, hélas ! furent brûlés d’une flamme étrangère !

Mais César se dispose à achever la conquête du monde : contrées lointaines de l’Aurore, vous subirez nos lois ; tu seras puni, Parthe insolent ! Mânes des Crassus, réjouissez-vous ! et vous, aigles romaines, honteuses d’être encore aux mains des barbares, votre vengeur s’avance ! À peine à ses premières armes, il promet un héros ; enfant, il dirige déjà des guerres interdites à l’enfance. Esprits timides, cessez de calculer l’âge des dieux : la vertu, dans les Césars, n’attend pas les années. Leur céleste génie devance les temps, et s’indigne, impatient des lenteurs d’un tardif accroissement. Hercule n’était encore qu’un enfant, et déjà ses mains étouffaient des serpents : il fut, dès son berceau, le digne fils de Jupiter. Et toi, toujours brillant des grâces de l’enfance, Bacchus, que tu fus grand à cet âge, lorsque l’Inde trembla devant tes thyrses victorieux !

Jeune Caïus, c’est sous les auspices de ton père, c’est animé du même courage que tu prendras les armes ; et tu vaincras sous les auspices et avec le courage de ton père : un tel début convient au grand nom que tu portes. Aujourd’hui prince de la jeunesse, tu le seras un jour des vieillards. Frère généreux, venge l’injure faite à tes frères ; fils reconnaissant, défends les droits de ton père. C’est ton père, c’est le père de la patrie qui t’a mis les armes à la main, tandis que ton ennemi a violemment arraché le trône à l’auteur de ses jours. La sainteté de ta cause triomphera de ses flèches parjures : la justice et la piété se rangeront sous tes drapeaux. Déjà vaincus par le droit, que les Parthes le soient aussi par les armes ; et que mon jeune héros aux richesses du Latium ajoute celles de l’Orient ! Mars, son père, et toi, César, son père aussi, soyez ses dieux tutélaires ! l’un de vous est déjà dieu, l’autre un jour doit l’être. Je lis dans l’avenir : oui, tu vaincras, Caïus ; mes vers acquitteront les vœux que je fais pour ta gloire, et s’élèveront pour te chanter au ton le plus sublime. Je te peindrai debout, animant tes phalanges au combat. Puissent alors mes vers ne pas être indignes de ton courage ! Je dirai le Parthe tournant le dos, et le Romain opposant sa poitrine aux traits que l’ennemi lui lance en fuyant. Toi qui fuis pour vaincre, ô Parthe, que laisses-tu à faire au vaincu ? Parthe, désormais pour toi Mars n’a plus que de funestes présages.

Il viendra donc, ô le plus beau des mortels, ce jour où, brillant d’or et traîné par quatre chevaux blancs, tu t’avanceras dans nos murs ! Devant toi marcheront, le cou chargé de chaînes, les généraux ennemis : ils ne pourront plus, comme naguère, chercher leur salut dans la fuite. Les jeunes garçons, avec les jeunes filles, assisteront joyeux à ce spectacle, et ce jour épanouira tous les cœurs. Alors, si quelque belle te demande le nom des rois vaincus, quels sont ces pays, ces montagnes, ces fleuves dont on porte en trophée les images, il faut répondre à tout, prévenir même ses questions, affirmer avec assurance ce que tu ne sais pas, comme si tu le savais à merveille. Voici l’Euphrate, au front ceint de roseaux ; ce vieillard à la chevelure azurée, c’est le Tigre ; ceux-là… suppose que ce sont les Arméniens. Cette femme représente la Perside, où naquit le fils de Danaé. Cette ville s’élevait naguère dans les vallées de l’Achéménie ; ce captif, cet autre étaient des généraux ; et, ce disant, tu les désigneras par leurs noms, si tu le peux, ou, s’ils te sont inconnus, par quelque nom qui leur convienne.

La table et les festins offrent aussi près des belles un facile accès, et le plaisir de boire n’est pas le seul qu’on y trouve. Là, souvent l’Amour aux joues empourprées presse dans ses faibles bras l’amphore de Bacchus. Dès que ses ailes sont imbibées de vin, Cupidon, appesanti, reste immobile à sa place. Mais bientôt il secoue ses ailes humides, et malheur à celui dont le cœur est atteint de cette brûlante rosée ! Le vin dispose le cœur à la tendresse et le rend propre à s’enflammer ; les soucis disparaissent, dissipés par d’abondantes libations. Alors viennent les ris ; alors le pauvre reprend courage et se croit riche : plus de chagrins, d’inquiétudes ; le front se déride, le cœur s’épanouit, et la franchise, aujourd’hui si rare, en bannit l’artifice. Souvent, à table, les jeunes filles ont captivé notre âme : Vénus dans le vin, c’est le feu dans le feu.

Défie-toi alors de la clarté trompeuse des flambeaux : pour juger de la beauté, la nuit et le vin sont de mauvais conseillers. Ce fut au jour, à la clarté des cieux, que Pâris vit les trois déesses, et dit à Vénus : " Tu l’emportes sur tes deux rivales. " La nuit efface bien des taches et cache bien des imperfections ; alors il n’est point de femme laide. C’est en plein jour qu’on juge les pierres précieuses et les étoffes de pourpre ; c’est en plein jour aussi qu’il faut juger le visage et la beauté du corps.

Compterai-je toutes ces réunions propres à la chasse aux belles ? J’aurais plutôt compté les sables de la mer. Parlerai-je de Baïes, de ses rivages toujours couverts de voiles, de ses bains où bouillonne et fume une onde sulfureuse ? Plus d’un baigneur, atteint d’une blessure nouvelle, a dit en la quittant " Ces eaux vantées ne sont point aussi salubres qu’on le dit. "

Non loin des portes de Rome, voici le temple de Diane, ombragé par les bois, et cet empire acquis par le glaive et par des luttes sanglantes. Parce qu’elle est vierge, parce qu’elle hait les traits de l’amour, Diane a fait bien des blessures ; et elle en fera bien d’autres encore.

Jusqu’ici ma muse, portée sur un char aux roues inégales, t’a indiqué les lieux ou tu dois tendre tes filets et choisir une maîtresse. Maintenant, je vais t’apprendre par quel art tu captiveras celle qui t’a charmé ; c’est ici le point la plus important de mes leçons. Amants de tous pays, prêtez à ma voix une oreille attentive ; et que mes promesses trouvent un auditoire favorable.

Sois d’abord bien persuadé qu’il n’est point de femmes qu’on ne puisse vaincre, et tu seras vainqueur : tends seulement tes filets. Le printemps cessera d’entendre le chant des oiseaux, l’été celui de la cigale ; le lièvre chassera devant lui le chien du Ménale, avant qu’une femme résiste aux tendres sollicitations d’un jeune amant. Celle que tu croiras peut-être ne pas vouloir se rendre le voudra secrètement. L’amour furtif n’a pas moins d’attraits pour les femmes que pour nous. L’homme sait mal déguiser, et la femme dissimule mieux ses désirs. Si les hommes s’entendaient pour ne plus faire les premières avances, bientôt nous verrions à nos pieds les femmes vaincues et suppliantes. Dans les molles prairies, la génisse mugit d’amour pour le taureau ; la cavale hennit à l’approche de l’étalon. Chez nous, l’amour a plus de retenue, et la passion est moins furieuse. Le feu qui nous brûle ne s’écarte jamais des lois de la nature.

Citerai-je Byblis, qui brûla pour son frère d’une flamme incestueuse, et, suspendue à un gibet volontaire, se punit bravement de son crime ?

Myrrha, qui conçut pour son père des sentiments trop tendres, et maintenant cache sa honte sous l’écorce qui la couvre ? Arbre odoriférant, les larmes qu’elle distille nous servent de parfums et conservent le nom de cette infortunée.

Un jour, dans les vallées ombreuses de l’Ida couvert de forêts, paissait un taureau blanc, l’orgueil du troupeau. Son front était marqué d’une petite tache noire, d’une seule, entre les deux cornes ; tout le reste de son corps avait la blancheur du lait. Les génisses de Gnosse et de Cydon se disputèrent à l’envi ses caresses. Pasiphaé se réjouissait d’être son amante ; elle voyait d’un œil jaloux les génisses qui lui semblaient les plus belles. C’est un fait avéré : la Crète aux cent villes, la Crète, toute menteuse qu’elle est, ne peut le nier. On dit que Pasiphaé, d’une main non accoutumée à de pareils soins, dépouillait les arbres de leurs tendres feuillages, les prés de leurs herbes nouvelles, pour les offrir à son cher taureau. Attachée à ses pas, rien ne l’arrête : elle oublie son époux : un taureau l’emporte sur Minos ! Pourquoi, Pasiphaé, te parer de ces habits précieux ? Ton amant connaît-il le prix des richesses ? Pourquoi, le miroir à la main, suivre les troupeaux jusqu’au sommet des montagnes ? Insensée ! Pourquoi sans cesse rajuster ta coiffure ? Ah ! du moins, crois-en ton miroir : il te dira que tu n’es pas une génisse. Oh ! combien tu voudrais que la nature eût armé ton front de cornes ! Si Minos t’est cher encore, renonce à tout amour adultère ; ou, si tu veux tromper ton époux, que ce soit du moins avec un homme. Mais non, transfuge de sa couche royale, elle court de forêts en forêts, pareille à la Bacchante pleine du dieu qui l’agite. Que de fois, jetant sur une génisse des regards courroucés, elle s’écria : " Qu’a-t-elle donc pour lui plaire ? Voyez comme à ses côtés elle bondit sur l’herbe tendre ! L’insensée ! Elle croit sans doute en paraître plus aimable. " Elle dit ; et, par son ordre, arrachée du nombreux troupeau, l’innocente génisse allait courber sa tête sous le joug, ou, dans un faux sacrifice, tomber aux pieds des autels ; puis la cruelle touchait avec joie les entrailles de sa rivale. Que de fois, immolant de semblables victimes, elle apaisa le prétendu courroux des dieux, et tenant en main de pareils trophées : " Allez maintenant, dit-elle, allez plaire à mon amant ! " Tantôt, elle voudrait être Europe ; tantôt, elle envie le sort d’Io : l’une, parce qu’elle fut génisse, l’autre, parce qu’un taureau la porta sur son dos. Cependant, abusé par le simulacre d’une vache d’érable, le roi du troupeau couvrit Pasiphaé ; et le fruit qu’elle mit au jour trahit l’auteur de sa honte.

Si cette autre Crétoise eût su se défendre d’aimer Thyeste, (mais qu’il est difficile à une femme de ne plaire qu’à un seul homme !), Phébus, au milieu de sa course, n’eût point fait rebrousser chemin à ses coursiers, et ramené son char du couchant à l’aurore. La fille de Nisus, pour avoir dérobé à son père le cheveu fatal, tomba de la poupe d’un vaisseau, et fut transformée en oiseau.

Échappé sur terre à la colère de Mars, et sur mer à celle de Neptune, le fils d’Atrée périt sous le poignard de sa cruelle épouse.

Qui n’a donné des larmes aux amours de Créuse de Corinthe ? Qui n’a détesté les fureurs de Médée, de cette mère souillée du sang de ses enfants ?

Les yeux de Phénix, privés de la lumière, versèrent des larmes.

Et vous, coursiers d’Hippolyte, dans votre épouvante, vous mîtes en pièces le corps de votre maître !

Phinée, pourquoi crever les yeux de tes fils innocents ? Le même châtiment va retomber sur ta tête.

Tels sont, chez les femmes, les excès d’un amour effréné ; plus ardentes que les nôtres, leurs passions sont aussi plus furieuses. Courage donc ! Présente-toi au combat avec la certitude de vaincre ; et, sur mille femmes, une à peine pourra te résister. Qu’une belle accorde ou refuse une faveur, elle aime qu’on la lui demande. Fusses-tu repoussé, un tel refus est pour toi sans danger. Mais pourquoi un refus ? On ne résiste pas aux attraits d’un plaisir nouveau : le bien d’autrui nous sourit toujours plus que le nôtre : la moisson nous semble toujours plus riche dans le champ du voisin, et son troupeau plus fécond.

Mais ton premier soin doit être de lier connaissance avec la suivante de la belle que tu courtises : c’est elle qui te facilitera l’accès de la maison. Informe-toi si elle a l’entière confiance de sa maîtresse, si elle est la fidèle complice de ses secrets plaisirs. Promesses, prières, n’épargne rien pour la gagner. Ton triomphe alors sera facile ; tout dépend de sa volonté. Qu’elle prenne bien son temps (c’est une précaution qu’observent les médecins) ; qu’elle profite du moment où sa maîtresse est d’une humeur plus facile, plus accessible à la séduction. Ce moment, c’est celui où tout semble lui sourire, où la gaieté brille dans ses yeux comme les épis dorés dans un champ fertile.

Quand le cœur est joyeux, quand il n’est point resserré par la douleur, il s’épanouit ; c’est alors que Vénus se glisse doucement dans ses plus secrets replis. Tant qu’Ilion fut plongée dans le deuil, ses armes repoussèrent les efforts des Grecs ; et ce fut dans un jour d’allégresse qu’elle reçut dans ses murs ce cheval aux flancs chargés de guerriers.

Choisis encore l’instant où ta belle gémit de l’affront qu’elle a reçu d’une rivale, et fais en sorte qu’elle trouve en toi un vengeur. Le matin, à sa toilette, en arrangeant ses cheveux, la suivante irritera son courroux ; pour te servir, elle s’aidera de la voile et de la rame, et dira tout bas, en soupirant : " Je doute que vous puissiez rendre la pareille à l’ingrat qui vous trahit. " C’est l’instant propice pour parler de toi : qu’elle emploie en ta faveur les discours les plus persuasifs ; qu’elle jure que tu meurs d’un amour insensé. Mais il faut se hâter, de peur que le vent ne se retire et ne laisse retomber les voiles. Semblable à la glace fragile, le courroux d’une belle est de courte durée.