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L’aventure parentale vue par le prisme de deux couples à des stades différents, nous amène à réfléchir sur notre façon d’appréhender l’attente. On se positionne. On cautionne, ou pas… On réfléchit. On pleure. On s’émeut. Devenir parent, ce n’est jamais évident…
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Seitenzahl: 275
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Noëlle BARDIN
Cet ouvrage a été imprimé en France par Copymédia
Et composé par les Éditions La Grande Vague
Site : www.editions-lagrandevague.fr
3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau
ISBN numérique : 978-2-38460-087-8
Dépôt légal : Mars 2023
Les Éditions La Grande Vague, 2023
Toute ressemblance avec des personnages fictifs, des personnes ou évènements existants ou ayant existé est purement fortuite.
Pour Mael et Meïlane,
Chapitre I
Plus, plus, moins. Cette comptine résonne comme un tic-tac. Plus, plus, moins. Elle n’a jamais aimé attendre. Le simple fait de regarder le temps passer lui est insupportable. Léna a un sentiment de perte de temps, de vide. Plus, plus, moins. L'attente est une chose sur laquelle elle n'a pas de prise, le temps s'écoule et elle n'y peut rien. Ces cinq minutes lui paraissent interminables. Plus, plus, moins. Vingt jours auparavant, la jeune femme a enfin dit oui pour le deuxième. Cela fait trois ans qu’il attend, qu’il espère. Un soir, sur un coup de tête, elle a finalement accepté.
Les souvenirs traumatisants de la première grossesse se sont-ils estompés ? Peut-être. L’envie de s’engager dans une nouvelle aventure ? Elle ne saurait le dire. Elle est prête, malgré tout, à recommencer.
Plus, plus, moins.
Ces cinq minutes ne s’achèveront-elles donc jamais ? Les secondes s'écoulent, quatre minutes cinquante-neuf... Cinq minutes. Enfin ! La trentenaire prend une grande inspiration, s'assied sur la méridienne et prend le bâtonnet.
Elle ose à peine le regarder. Elle sent qu'il est là. Son « Coca light » quotidien lui a semblé tellement atroce ce matin. Cela ne peut être que ça. L’occasion d'arrêter ? Elle esquisse une moue amusée. Combien de fois a-t-elle dit qu'elle arrêterait le Coca ? Des centaines. Non, elle n’arrêtera pas. Pas cette fois-ci. Elle regarde le test.
Plus, plus.
Un grand sourire illumine ses yeux mordorés. Léna regarde le témoin avec davantage d'attention. C'est un plus, tout ce qu'il y a de plus. Elle se vautre, dans un soupir de contentement, au fond de son canapé.
Songeuse, elle contemple le sixième arrondissement de Lyon qui s'étend à ses pieds. Une certitude l’étreint : cette grossesse sera un véritable bonheur. Pas de nausées, de diabète, d'hypertension, de vomissements ni de prééclampsie. Rien. Il lui semble impossible de faire pire que la précédente. Elle est heureuse et confiante. L'avenir s'annonce radieux.
La jeune femme reste un moment allongée au fond de son canapé, à sa place près de la fenêtre. C'est sa place ! L'empreinte de ses fesses s’est imprimée dans la méridienne. Elle aime cet endroit quilui permet de rêver confortablement, en regardant la ville s'étendre à ses pieds. Elle peut voir Antoine s'activer en cuisine et son petit garçon faire des allers-retours entre le salon et sa chambre.
Il s’agit dulieu le plus stratégique de l'appartement. Nul n'a l'idée de le lui prendre. Si par mégarde un individu se risque à s’y asseoir, il se lève dès qu’elle entre dans le salon. Elle n'a rien à dire.
Les choses se font automatiquement. Dans ce coin de canapé, il y a son odeur, sa signature génétique.
Elle réfléchit un instant à tout ce qu'implique ce plus. Tout va s’enchaîner : les prises de sang, l'inscription en maternité, les annonces aux uns et aux autres. Dans sept à huit mois, ce petit bébé pointera le bout de son nez. Ils seront quatre désormais, le cliché de la famille nucléaire française.
Elle fronce les narines. Les stéréotypes lui glacent le sang. Ils sont le fruit de statistiques et de calculs simplistes. Elle ne peut concevoir que la vie, l’amour et le bonheur puissent être chiffrés, mis dans des cases. C'est comme mesurer du chaud avec du froid : celalui semble absurde. Toute sa vie, elle a contré les statistiques et fait la nique aux calculs. Elle a passé son temps à faire exactement l'inverse de ce qu'on attendait d'elle. Un grand sourire éclaire son visage. Oui, vraiment, elle vient de passer plus de la moitié de son existence à être là où on ne l’attendait pas. Elle a toujours aimé ça. Elle a fini par lasser tout le monde. Personne ne l'attend plus nulle part. Elle est libre, enfin, de devenir elle-même.
Bip, bip, bip.
Anne va-t-elle enfin décrocher ? L’attente. Elle a des choses à dire. Elle doit s'exprimer, parler, pleurer, rire aussi. Toutes ses émotions doivent sortir.
Enfin !
La rouquine éclate en sanglots, rendant ses propos inaudibles.
Anne et sa voiture, c'est un véritable roman ! Tous ses problèmes se règlent en voiture. La plupart de ses conversations ont lieu en voiture. Elle gère sa vie de sa voiture. Les deux sœurs s'appellent tous les soirs. Elles se racontent leurs journées tout en ne comprenant qu'un mot sur deux. La première qui en a assez trouve une excuse bidon et raccroche en grognant. Le même scénario se répète invariablement. Néanmoins, elles adorent ce moment.
Antoine, tiens, c'est exact. Elle aurait pu l'appeler quand même. Ce sont des choses qui se font : appeler le père en premier.
Oui, c'est vrai que ce n'est pas très correct. Mais Antoine est en déplacement, injoignable. Quand Léna a quelque chose à dire, tout devient immédiat.
La fin de sa phrase se perd dans un atroce grésillement téléphonique. Léna raccroche rageusement. Elle tente de rappeler sa sœur une dizaine de fois, en vain. Ces problèmes de réseau sont vraiment insupportables. La jeune femme reste sur sa faim. Qui peut-elle appeler ? Il faut qu'elle parle à quelqu'un.
Bip, bip, bip.
Le répondeur lui fait part de l'absence de disponibilité de son mari. Elle s'en doutait. Cependant, qu'il ne réponde pas à cet appel lui est particulièrement désagréable. Il ne peut pas ne pas répondre… Il attend cela depuis si longtemps ! Il est impensable qu’il ne réponde pas au moment précis où elle souhaite lui annoncer sa nouvelle paternité. Léna fulmine. Qui appeler ? Personne. Sa sœur est au fin fond d'un trou picard, au milieu des grésillements téléphoniques. Son frère a profité de son jour de congé pour dévaler les pistes de ski des Alpes-Maritimes. Tout aussi injoignable ! Sa mère… Non, pas sa mère, pas comme ça. En désespoir de cause, la jeune femme enfile rapidement ses vieilles baskets et file faire trois tours de parc. La brise hivernale lui fouette le visage. Elle marche rapidement pour se réchauffer. Léna a toujours aimé marcher.
C'est ainsi que son cerveau fonctionne le mieux. La marche lui apporte les réponses aux questions qu'elle se pose. Quand elle désire créer, elle commence par aller se promener. Elle a besoin de sentir la morsure du vent sur son visage. Elle regarde les écureuils se faufiler le long des branches et observe les gens courir, marcher, discuter. Elle aime capter ces moments de vie. Elle s'attendrit à la vue d’un bébé faisant ses premiers pas. Elle rit sous cape devant les facéties des enfants. Parfois, elle se demande si un jour, elle deviendra réellement adulte. Elle aime tellement les pantalonnades et la provocation ! Elle a déjà eu cette conversation avec son père qui lui avait confié ne jamais s’être senti adulte. Cet aveu l'avait marquée, comme tant d’autres choses qu'il lui avait dites. Elle s’arrête un instant.
C’est une question qu’elle ne s’était jamais posée. Qu’est-ce qu’un adulte ? Elle réfléchit pendant un tour de parc, soit un peu moins de quatre kilomètres. Son petit garçon est élevé à peu près correctement et semble heureux. Son ménage se porte bien. Elle a un toit sur la tête et s’acquitte de ses factures chaque mois. Malgré tout cela, non, décidément, elle ne se sent pas adulte. Cemot lui déplaît. Il implique une rigueur, une tristesse et une absence de fantaisie qui l’importunent au plus haut point. Elle est elle-même : un mélange d'adulte, d'adolescente, d'enfant, d'elfe, de gobelin et autres lutins. Vraiment, elle n'aime pas qu'on la mette dans des cases. Toute à ses réflexions, elle n'a pas vu l'heure tourner. Il est temps d'aller chercher sa terreur blonde à l'école. Elle accélère le pas. À son arrivée, les portes sont fermées. Ouf ! Un sourire lumineux l'accueille à la sortie des classes. Le petit garçon se jette à son cou et commence à babiller joyeusement.
Léna a un sourire amusé. Cela fait six mois que son petit bonhomme est entré à l'école.
La réponse est sempiternellement la même. L'école des secrets ! « Tout ce qui se passe à l'école, reste à l’école. » À croire que de génération en génération, les enfants se donnent le mot. On ne parle pas de l'école.
Heureusement, les professeurs ne semblent pas faire partie du pacte et des bribes d'informations parviennent ainsi aux parents.
Le petit garçon fait une moue boudeuse.
L'enfant la regarde en soulevant un sourcil intéressé.
Un pain au chocolat.
Léna serre les dents. Rien n'est jamais acquis avec cet enfant. Un jour il raffole des pains au chocolat, le lendemain il les déteste et veut des pains au lait. Elle ne se laisse pas abattre.
L'enfant se jette sur la viennoiserie comme la vérole sur le bas clergé.
Il se couvre de chocolat en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Elle a toujours trouvé extraordinaire la faculté qu'a son fils à se salir. Il est « cracra ». Le matin, trois minutes après la toilette quotidienne, il est déjà noir. Un jour, sa mère lui a dit : « Il y a des enfants comme ça, incapables de rester propres. »
Elle le regarde de la tête aux pieds en pénétrant dans l'ascenseur.
Un énorme trou trône au niveau du genou. Il n'a plus un pantalon correct, ce qui devient problématique. Elle se promet de jeter un œil dans la cour le lendemain. Comment s'y prend-il pour les trouer aussi rapidement ? Le petit garçon observe sa mère avec des yeux de chien battu et s'excuse platement. La jeune femme éclate de rire. La similitude entre le regard de son fils penaud et celui du chat Potté vient de lui sauter aux yeux. Elle le prend dans ses bras et le couvre de baisers.
Promesse de Gascon, elle n'en croit pas un mot. Aucune importance. Cela fait partie des choses qu'elle aime chez les bambins. Ils promettent avec sincérité et oublient aussitôt. Après tout, ce n'est qu'un pantalon. Elle installe le petit garçon avec son goûter et son biberon devant la petite table et retrouve sa place sur la méridienne. Elle en a presque oublié le merveilleux plus. Elle regarde son fils boire son chocolat chaud. Le goulot du biberon est mal vissé, le lait lui dégouline le long du cou. Décidément, il sera bon pour le karcher d'ici peu. Elle aurait aimé lui parler de ce bébé qui va arriver dans sa vie. Ce n'est pas une bonne idée, il est trop petit. Il ne manquerait pas de lui casser les pieds tous les jours jusqu’à l'accouchement.
Léna sourit. Pas de télé avant la nuit. Efficace en septembre, cette règle perd son efficience en ce mois de février. Il lui faut trouver une feinte afin que l'enfant ne s'abrutisse pas des heures devant l'écran.
Le petit garçon se roule par terre, exprimant tout le désespoir de l'enfant contrarié dans ses projets. Frustration. Le sacro-saint « non ». Décidément, l'arrivée de ce bébé tombe à pic. Mael commence à avoir des réactions d'enfant gâté qui l’exaspère.
Il va chercher sa caisse de Lego et la vide d'un coup dans le salon. Il reprend le château abandonné ce matin et les histoires commencent à fuser. Léna observe son fils quelques instants. Elle aime le regarder jouer. Les histoires qu'il crée sont de plus en plus complexes, toutefois, invariablement, les personnages finissent par se battre. Elle regarde sa montre. Dans une heure, son mari rentrera à la maison. Anne est sans doute rentrée chez elle mais demeure probablement injoignable.
Entre dix-huit heures et vingt heures trente, réussir à parler à sa sœur est une vue de l'esprit.
Plongée dans les devoirs, les bains et le dîner de ses deux enfants, la fin de journée est bien chargée chez les Grente. L'envie irrépressible de parler à quelqu'un est passée. Elle gardera son secret pour elle encore quelque temps, une heure tout au plus. Le retour d'Antoine est imminent. Comment lui annoncer d'une manière amusante cette jolie nouvelle ? Elle se souvient de ce tee-shirt blanc acheté à Mael deux jours auparavant. Il fera très bien l'affaire, le petit garçon ne sachant pas encore lire. Léna entreprend de dessiner un œuf indiquant « voir avec le fabriquant ». Elle regarde son œuvre et grimace franchement. Elle n'est décidément pas douée en dessin ! Tant pis… Cela fera l'affaire.
Parfait, le tour est joué. Il se précipitera sur son père dès qu’il mettra un pied dans l'appartement. Le tee-shirt parlera de lui-même. Enchantée de sa trouvaille, elle va faire la vaisselle. Elle a encore les mains dans l’évier quand la porte d'entrée s'ouvre délicatement. Une voix grave et douce salue la maisonnée. Léna prend une grande inspiration pour s’imprégner de la sensation de chaleur venant de pénétrer l'appartement. Antoine fait partie de ces personnes qui enveloppent ceux qui les approchent d'une aura de chaleur, de douceur. Beau brun aux merveilleux yeux émeraude, il attire les autres comme des aimants par la bienveillance qui émane de lui. Calme et mesuré, il est l'opposé de Léna, toujours occupée à courir après quarante projets à la fois. Il fait les choses lentement, une par une, avec méthode et application. Il est l'eau, elle est le feu et ils se complètent parfaitement.
Le petit garçon saute dans les bras de son père. Mael l’adore. Patient et souvent prêt à jouer avec son fils, Antoine élève très peu la voix. Contrairement à lui, Léna et Mael ont des caractères similaires. Excessifs en tout, ils sont hypersensibles à l'extrême et passent beaucoup de temps à se chipoter. La jeune femme essaie de se raisonner. Elle a parfois l'impression d'avoir un jumeau de trois ans. Néanmoins, malgré des tempéraments très affirmés, l'empathie reste un trait majeur de leur caractère. Quand l'un des deux se met à pleurer, ils tombent systématiquement dans les bras l'un de l'autre pour se consoler mutuellement.
Antoine adresse un regard rayonnant de bonheur à son épouse.
La jeune femme dépose un baiser dans la chevelure blonde de son fils puis un autre sur la joue de son époux, en lui lançant un clin d'œil. L'enfant se débat pour se libérer des bras de son père. Il se précipite dans sa chambre pour lui montrer ses dernières œuvres graphiques.
Léna adresse un regard surpris à son mari, prête à riposter vertement. Il lui adresse un sourire espiègle et reprend, lui chuchotant au creux de l’oreille :
La jeune femme éclate de rire et se blottit contre l'épaule de son époux.
Mael, voyant ses parents enlacés, se précipite entre leurs pattes.
Les amoureux se regardent en souriant et prennent le petit garçon dans leurs bras. Ils ont fait un trait sur un moment d’intimité quand leur fils est dans les parages. Sitôt que le bambin perçoit un rapprochement corporel entre ses parents, il ne manque jamais une occasion de se faufiler entre eux. D'aucuns y verraient un moyen d'éloigner son père de sa mère dans la grande tradition œdipienne. Que nenni, Mael écarte sa mère de son père. Lassée de recevoir les petites mains poisseuses de son fils dans la figure, la jeune femme rend les armes et va se réfugier sur la méridienne.
Bip, bip, bip.
Les pistes de ski sont fermées depuis longtemps. Wilhem devrait être rentré chez lui.
Léna sourit. La voix chaude et souriante de son frère la rassérène systématiquement.
Elle n'a pas l'habitude d'y aller par quatre chemins. Cependant, sur l'instant, elle se dit qu'elle aurait pu demander davantage de nouvelles.
Léna éclate de rire.
Elle esquisse un sourire. Wilhem a raison, les retards d'Antoine sont devenus proverbiaux. En dix ans de vie commune, il a été deux fois à l’heure : la première lors de la naissance de leur fils, pile au moment où la jeune femme commençait la poussée ; la seconde pour leur mariage. Il avait marqué les esprits en arrivant en avance. Trois ans plus tard, personne ne s'en est encore remis et on en parle encore dans les dîners familiaux.
Les deux jeunes gens échangent quelques minutes et raccrochent. Immédiatement, la Valse des fleurs de Casse-noisette se fait entendre. Léna regarde son téléphone et sourit en réalisant qu’il s’agit de Marie. Cela fait un moment qu'elle n'a pas entendu la voix de la jolie brune.
Léna s'allonge sur son canapé en regardant le plafond. D'ici quelques semaines, elle sentira de petites bulles crépiter dans son ventre. Elle pousse un soupir angoissé. Pourvu que tout se passe bien.
Chapitre II
Le téléphone trône au milieu du lit. Cela fait près de cinq minutes que Marie le regarde. Elle se sent frustrée. Elle aurait aimé discuter avec Léna. Depuis que Sarah évoque de plus en plus souvent son désir d'enfant, des milliers d'interrogations assaillent la jeune femme. Elle a besoin de parler, d'éclaircir certaines choses, de se confier. Le téléphone ? Non. Finalement, elle a besoin de voir Léna.
L'annonce de la grossesse de son amie la projette dans un futur possible : excitant, angoissant. Elle ne veut pas gâcher ce moment avec ses digressions. Gâcher. Elle se reprend. Ce n'est pas gâcher un moment que d'évoquer ses rêves, ses interrogations et ses envies. Elle envoie un coup de pied dans le téléphone qui vole à l'autre bout de la pièce. Un miaulement irrité retentit. Zabou, le chat de la jeune femme, fait irruption en miaulant hors de sa cachette et lance un regard noir à sa maîtresse. Elle sort de la chambre.
Marie pousse un grand soupir et suit le félin dans la cuisine. Sarah ne va pas tarder à rentrer. Elle pourra ainsi passer sa frustration sur sa compagne. La jeune femme se prépare un grand café bien corsé, puis libère sa longue chevelure jais qui lui tombe en cascade sur les reins. Elle attrape son vieux pyjama et file se pelotonner sous sa couverture, dans le canapé. En allumant la télé, Marie tombe sur un documentaire sur les poissons. Zabou se jette avidement sur le téléviseur et s’écrase lamentablement le museau sur la surface froide. La brunette ne peut réprimer un gloussement. Cette dernière adore les chats : leurs ronronnements l'apaisent. Quelque temps auparavant, elle se serait bien vue terminant sa vie entourée de matous miaulants, telle une vieille à chats.
Mais l'arrivée de Sarah dans sa vie a contrecarré ses plans. Cette dernière ne les apprécie pas spécialement. Il faut dire que la spécialité de Zabou est de monter sur l’étagère au-dessus du lit et de sauter sur l'estomac du visiteur qui a eu la mauvaise idée de se tenir dessous. Le réveil, souffle coupé, est immédiat. Sarah préfère sortir de son sommeil avec douceur : l’odeur du café qui vient lui chatouiller les narines ; celle de la brioche chaude sortant du grille-pain, accompagnée de beurre et de miel artisanal.
Une clé tourne dans la porte. Marie et Zabou haussent, de concert, le sourcil droit. Sarah entre, accrochant soigneusement son manteau à sa place.
Marie lui lance un regard interrogateur.
Marie se sent dépitée. Sarah s'approche d’elle, se love dans la couverture et prend la jeune femme dans ses bras.
Un énorme soupir de soulagement sort de la bouche de Marie.
Sarah prend doucement le visage de sa compagne entre ses mains et la regarde intensément.
Marie s'écroule en larmes.
Sarah la prend dans ses bras, comme une enfant. Baisant doucement son front, elle lui dit que tout ira bien et qu'elle sera toujours là. Elle berce doucement la jeune femme, répétant comme une litanie que tout ira bien. Marie se calme peu à peu. Elle love sa tête au creux de l'épaule de sa compagne. La bouche de Marie effleure doucement le cou de Sarah.
Elle respire la délicate odeur de jasmin qui se dégage des boucles brunes de son amie. Ses lèvres courent sur sa nuque, la respiration de Sarah se fait plus profonde. Rejetant sa tête en arrière, elle se laisse aller dans le canapé. Marie prend possession du corps de sa compagne. Elle descend doucement le long de la poitrine de Sarah, la dépouillant de son chemisier strict et de sa jupe droite. La plantureuse brune lui apparaît alors dans tout son éclat. La blancheur opalescente de sa peau contraste avec le bleu lapis du canapé. Ses seins dressés vers le ciel durcissent sous la torture que lui infligent les lèvres incarnates de Marie. Sarah attire Marie jusqu'à sa bouche et l'embrasse avec passion.
Elle entreprend alors de la déshabiller rapidement, caressant le corps bronzé de son amie. Ses petits seins dressés au contact de la main douce et fraîche, Marie laisse échapper un soupir de désir. Les lèvres de Sarah parcourent le ventre plat et les petites fesses de son amoureuse. Sa main prend possession de son intimité. Marie caresse les seins galbés de Sarah, ses fesses bombées, puis trouve rapidement le chemin de sa féminité. Les deux femmes s'embrassent et se caressent intensément. S’enlaçant l’une l’autre, elles s'aiment. Leurs joues prennent peu à peu une délicate couleur rosée. Leurs souffles se font courts. Sarah atteint l'orgasme en premier, mordant l'épaule de sa compagne. Marie la suit de peu, lui griffant les fesses. Elles retombent dans le canapé, essoufflées, les joues en feu. Elles s'embrassent doucement : un baiser de soie. Allongée sur le sofa et la tête posée sur le ventre doux de Sarah, Marie regarde le plafond.
Sarah se lève et file dans la cuisine en se tortillant et lançant des regards lascifs à Marie.
Marie plisse son nez dans une moue boudeuse.
Il n’est pas peu dire que Marie apprécie les grasses matinées. Joyeuse, joueuse et bonne vivante, la jeune femme adore faire la fête. Fréquentant assidûment les bars, elle a la capacité stupéfiante de se lier avec tous ceux qu'elle rencontre. Sans préjugé d’aucune sorte, elle respecte profondément les gens.
Rien ne la blesse davantage que de constater que la réciproque n'est pas forcément vraie. Souriante et ouverte, Marie possède un esprit critique toujours constructif qu’elle double d'un sens aigu de la diplomatie.
Les bars fermant tard et le sommeil étant primordial pour la jeune femme, elle profite allègrement de son lit les doux matins dominicaux. Matins qui peuvent se prolonger tard dans la journée. Elle aime passionnément son lit et rien ne l'angoisse plus que de devoir diminuer son quota de sommeil.
Sarah passe la tête à travers la porte de la cuisine.
La jeune femme regarde le plafond. Elle ne sait plus où elle en est. Cela fait plusieurs semaines que le désir d’enfant de Sarah devient plus prégnant. Elle lui en parle constamment. Avant qu'elles ne se rencontrent, cela faisait déjà partie de son projet de vie. Sarah ne se voyait pas finir sa vie sans enfants. Le fait qu'elle soit à présent avec Marie ne change rien. Elle souhaite devenir mère et elle se voit vieillir. Le temps se rappelle à elle, insidieusement.
Marie réfléchit. L'idée fait son chemin, petit à petit. Elle a besoin d’y penser. Il lui faut analyser les tenants et les aboutissants. Pour ceux qui la connaissent peu, la jeune femme est un joli papillon virevoltant. Elle a des idées hors normes et tente des choses qui font fuir les plus coriaces. Elle semble être au premier abord une adorable évaporée, légèrement inconsciente, voguant au gré d'un destin dans lequel elle ne maîtrise rien. S'arrêter à cette impression, c'est passer complètement à côté du personnage.
En réalité, Marie est une angoissée. La vie lui semble tellement compliquée à gérer qu'un jour son cerveau et son corps se sont, en quelque sorte, désolidarisés l'un de l'autre. Son esprit semble errer à quelques mètres au-dessus d'elle. Cela lui donne une grâce infinie. Son corps tente constamment de rattraper cet esprit qui s'envole parfois un peu trop haut. Elle semble flotter en continu. De temps en temps, elle parvient à ce que ces deux entités soient en harmonie et cohabitent, mais cela ne dure jamais longtemps. En vieillissant et en travaillant intensément sur le sujet, elle parvient à se retrouver de plus en plus souvent. Sujette à des crises d’angoisse récurrentes, Marie ne voit pas comment elle pourrait gérer à la fois un enfant, ses appréhensions ainsi que ce travail sur la réunion de son esprit et de son corps. Cela fait beaucoup. Elle sait Sarah solide et parfaitement équilibrée. Sa compagne pourra la guider dans cette aventure maternelle. Néanmoins, ses propres déficiences la terrorisent.
Cependant, voir grandir un enfant et l’élever serait une expérience merveilleuse. Quelle place prendrait-elle ? Elle ne le porterait pas. Comment créer ce lien unique ? Elle adore jouer avec les progénitures de ses amis, retrouvant l’enfant pas si lointaine qui volait, là-haut, dans son esprit. Nul mieux qu’elle n'est apte à la faire sortir et à jouer indéfiniment avec les petits. Toutes ses interrogations se bousculent. Oui, non, oui, non. Peut-être que oui. Peut-être que non. Le choix est cornélien. La raison, le désir. La peur. Cette peur irrépressible qui lui broie les entrailles. Cette terreur qui la tue à chaque crise.
Et si la meilleure manière de vaincre cette anxiété était de la contrer en osant dire oui et en se lançant sans filet dans l'aventure de sa vie ? Il est temps de prendre le taureau par les cornes. Elle doit encore réfléchir. Cette peur et cette angoisse qui lui pourrissent la vie depuis des décennies : n’est-il pas temps de dire stop ? Pourquoi serait-elle une plus mauvaise mère qu'une autre ? Ce choix pourrait, peut-être, devenir un remède à son anxiété. Une seconde inquiétude surgit alors dans son esprit : si elle transmettait cette angoisse insupportable à son enfant ?
Marie sursaute.