L’Escalier d’or - Edmond Jaloux - E-Book

L’Escalier d’or E-Book

Edmond Jaloux

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Beschreibung

L’Escalier d’or est un roman d'Edmond Jaloux publié en 1919.
Présentation
Extrait
| Nous croyons, en général, que nous n'avons aucune prescience de l'avenir; mais, si nous réfléchissions mieux, nous nous rendrions compte que, sans savoir exactement ce qui va nous arriver, nous avons, à certains moments de notre destinée, une sorte de pressentiment, non une vision précise et limitée, mais une sensation confuse, indéfinie comme une ombre, intense, pénétrante, de certains états d'esprit, que les circonstances vont bientôt développer en nous. S'il en était autrement, pourquoi aurais-je ressenti une telle mélancolie en entrant dans le petit appartement de mon vieux poète, pourquoi une impression de tristesse aussi morbide, aussi continue, m'aurait-elle accompagné durant ces heures nocturnes, - et pourquoi chacun de nous semblait-il mal à l'aise, troublé, frémissant, au lieu d'éprouver l'aimable et puérile gaîté que nous manifestions d'habitude dans ces invraisemblables réunions?...|

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SOMMMAIRE

Préface

CHAPITRE PREMIER Dans lequel le lecteur sera admis à faire la connaissance des deux personnages les plus épisodiques de ce roman.

CHAPITRE II Portrait d'un homme inactuel.

CHAPITRE III Où l'on passe rapidement de ce qui est a ce qui n'est pas.

CHAPITRE IV Dans lequel apparaît l'insaisissable figure qui donnera de l'unité à ce récit.

CHAPITRE V Petit essai sur les moeurs du Palais-Royal.

CHAPITRE VI Qui traite de la prévision, de la prudence et de la modération.

CHAPITRE VII Dans lequel l'invraisemblable devient quotidien.

CHAPITRE VIII Où le lecteur commencera de savoir où mène l'escalier d'or.

CHAPITRE IX Origines de M. Valère Bouldouyr.

CHAPITRE X Nouvel essai sur les moeurs du Palais-Royal.

CHAPITRE XI Coup d'oeil général sur le passé.

CHAPITRE XII Les promenades de Lucien Béchard.

CHAPITRE XIII Qui pose un point d'interrogation redoutable.

CHAPITRE XIV Dans lequel Valère Bouldouyr perd quelque peu de sa personnalité.

CHAPITRE XV Ici M. Valère Bouldouyr se peint au naturel.

CHAPITRE XVI La dernière fête.

CHAPITRE XVII Le départ et l'adieu.

CHAPITRE XVIII Après lequel le pauvre lecteur n'aura plus grand'chose a apprendre.

CHAPITRE XIX Le testament de Françoise.

CHAPITRE XX Qu'est devenu Pizzicato?

CHAPITRE XXI Fragment d'une histoire éternelle.

CHAPITRE XXII La contagion.

CHAPITRE XXIII Dans lequel M. Delavigne s'élève aux plus hautes conceptions philosophiques et promène un regard d'aigle sur le champ de la vie humaine.

CHAPITRE XXIV Où le retour est plus mélancolique que l'adieu.

CHAPITRE XXV Que contient la leçon de ce livre?

EDMOND JALOUX

L'ESCALIER D'OR

ROMAN

1919

Raanan Éditeur

Livre 807| édition1

Préface

À Camille Mauclair

Acceptez la dédicace de ce petit ouvrage, non seulement comme un gage de mon admiration pour l’artiste et le critique à qui nous devons tant de belles pages, mais aussi de mon affection pour l’ami qui m’accueillait, avec tant de cordiale sympathie, il y a plus de vingt ans, à Marseille, quand je n’étais encore qu’un tout jeune homme inconnu passionnément épris de littérature. Vous souvenez-vous de ce petit salon du boulevard des Dames, tout tendu d’étoffes rouges et par la fenêtre duquel, en se penchant, on voyait défiler vers la gare tant d’Orientaux fantastiques qui montaient du port ? Que d’ardentes conversations n’avons-nous pas tenues dans cette pièce intime et fleurie à laquelle je ne peux songer sans un plaisir ému ! Vous souvenez-vous aussi de ce petit jardin de Saint-Loup, tout en terrasses, où nous allions admirer les ors et les brumes d’un incomparable automne ? Vous me parliez des grands poètes dont vous étiez l’ami, de Stéphane Mallarmé et d’Élémir Bourges, dont je rêvais d’approcher un jour. Aussi ai-je voulu, en souvenir de ces temps lointains, vous offrir ce portrait d’un de leurs frères obscurs, d’un de ceux qui n’ont pas eu le bonheur, comme eux, de donner une forme au monde qu’ils portaient dans leur cœur et dans leur esprit. Puissiez-vous accorder à mon héros un peu de la généreuse amitié que vous m’avez accordée alors et dont je vous serai toujours reconnaissant !

E. J.

CHAPITRE PREMIERDans lequel le lecteur sera admis à faire la connaissance des deux personnages les plus épisodiques de ce roman.

"La différence de peuple à peuple n'est pas moins forte d'homme à homme." Rivarol.

J'ai toujours été curieux. La curiosité est, depuis mon plus jeune âge, la passion dominante de ma vie. Je l'avoue ici, parce qu'il me faut bien expliquer comment j'ai été mêlé aux événements dont j'ai résolu de faire le récit; mais je l'avoue sans honte, ni complaisance. Je ne peux voir dans ce trait essentiel de mon caractère ni un travers, ni une qualité, et les moralistes perdraient leur temps avec moi, soit qu'ils eussent l'intention de me blâmer, soit de me donner en exemple à autrui.

Je dois ajouter cependant, par égard pour certains esprits scrupuleux, que cette curiosité est absolument désintéressée. Mes amis goûtent mon silence, et ce que je sais ne court pas les routes. Elle n'a pas non plus ce caractère douteux ou équivoque qu'elle prend volontiers chez eux qui la pratiquent exclusivement. Aucune malveillance, aucune bassesse d'esprit ne se mêlent à elle. Je crois qu'elle provient uniquement du goût que j'ai pour la vie humaine. Une sorte de sympathie irrésistible n'a toujours entraîné vers tous ceux que le hasard des circonstances me faisait rencontrer. Chez la plupart des êtres, cette sympathie repose sur des affinités intellectuelles ou morales, des parentés de goût ou de nature. Pour moi, rien de tout cela ne compte. Je me plais avec les gens que je rencontre parce qu'ils sont là, en face de moi, eux-mêmes et personne d'autre, et que ce qui me paraît alors le plus passionnant, c'est justement ce qu'ils possèdent d'essentiel, d'unique, a forme spéciale de leur esprit, de leur caractère et de leur destinée.

Au fond, c'est pour moi un véritable plaisir que de m'introduire dans la vie d'autrui. Je le fais spontanément et sans le vouloir. Il me serait agréable d'aider de mon expérience ou de mon appui ces inconnus qui deviennent si vite mes amis, de travailler à leur bonheur. J'oublie mes soucis, mes chagrins, je partage leurs joies, leurs peines, je les aime en un mot, et je vis ainsi mille vies, toutes plus belles, plus variées, plus émouvantes les unes que les autres!

Cette étrange passion m'a donné de curieuses relations, des amitiés précieuses et bizarres, et j'aurais un fort gros volume à écrire si je voulais en faire un récit complet; mais mon ambition ne s'élève pas si haut: il me suffira de relater ici aussi rapidement que possible ce que j'ai appris des moeurs et du caractère de M. Valère Bouldouyr, afin d'aider les chroniqueurs, si jamais il s'en trouve un qui, à l'exemple de Paul de Musset ou de Charles Monselet, veuille tracer une galerie de portraits d'après les excentriques de notre temps.

A l'époque où je fis sa connaissance, je venais de quitter l'appartement que j'habitais dans l'île Saint-Louis pour me fixer au Palais-Royal.

Ce quartier me plaisait parce qu'il a à la fois d'isolé et de populaire. Les maisons qui encadrent le jardin ont belle apparence, avec leurs façades régulières, leurs pilastres, et ce balcon qui court sur trois côtés, exhaussant, à intervalles égaux, un vase noirci par le temps; mais tout autour, ce ne sont encore que rues étroites et tournantes, places provinciales, passages vitrés aux boutiques vieillottes, recoins bizarres, boutiques inattendues. Les gens du quartier semblent y vivre, comme ils le feraient à Castres ou à Langres, sans rien savoir de l'énorme vie qui grouille à deux pas d'eux, et à laquelle ils ne s'intéressent guère. Ils ont tous, plus ou moins, des choses de ce monde la même opinion que mon coiffeur, M. Delavigne, qui, un matin où un ministre de la Guerre, alors fameux, fut tué en assistant à un départ d'aéroplanes, se pencha vers moi et me dit, tout ému, tandis qu'il me barbouillait le menton de mousse:

--Quand on pense, monsieur, que cela aurait pu arriver à quelqu'un du quartier!

Delavigne fut le premier d'ailleurs à me faire apprécier les charmes du mien. Il tenait boutique dans un de ces passages que j'ai cités tantôt et que beaucoup de Parisiens ne connaissent même pas. Sa devanture attirait les regards par une grande assemblée de ces têtes de cire au visage si inexpressif qu'on peut les coiffer de n'importe quelle perruque sans modifier en rien leur physionomie.

Quand on entrait dans le magasin, il était généralement vide; M. Delavigne se souciait peu d'attendre des heures entières des chalands incertains. Lorsqu'il sortait, il ne fermait même pas sa porte, tant il avait confiance dans l'honnêteté de ses voisins. D'ailleurs, qu'eût-on volé à M. Delavigne?

Trois pièces, qui se suivaient et qui étaient fort exiguës, composaient tout son domaine. La première contenait les lavabos; la seconde, des armoires où j'appris plus tard qu'il enfermait ses postiches; pour la troisième, je n'ai jamais su à quoi elle pouvait servir.

Trouvait-on M. Delavigne? Il vous recevait avec un sourire suave et vous priait de l'attendre, car il était en général fort occupé à de copieux bavardages. De curieuses personnes causaient avec lui dans l'arrière-boutique, quelquefois, de bonnes gens qui venaient chercher perruque, mais aussi des marchandes à la toilette, des courtières du Mont-de-Piété, de vieux beaux encore solennels. J'ai souvent soupçonné M. Delavigne de faire un peu tous les métiers; mais je dois avouer que je n'ai rien surpris de suspect dans ses actes, et je crois qu'il avait seulement l'amour immodéré des dominos, passion à laquelle il se livrait dans un café voisin, qui s'appelait et s'appelle encore: _A la Promenade de Vénus._ Je n'ais jamais pu passer devant cet endroit sans imaginer que j'allais débarquer à Paphos ou à Amathonte.

--Monsieur, me disait souvent M. Delavigne avec mélancolie, il n'y a vraiment qu'un emploi pour lequel je ne me sente aucune disposition: c'est celui que j'exerce! Rien ne m'ennuie plus que de faire un "complet", ou même une barbe, et à la seule idée d'un shampoing, sauf votre respect, le coeur me lève de dégoût!

--Aviez-vous une autre vocation, monsieur Delavigne?

--Aucune, monsieur Salerne, mais j'aimerais assez être souffleur à la Comédie-Française, ou, sauf votre respect, greffier du tribunal. Je crois que, dans ce métier-là, on a un costume étonnant, avec de l'hermine qui pend quelque part. Il me plairait aussi beaucoup d'être poète comme cet écrivain dont je porte le nom, paraît-il, et qui était peut-être un de mes ancêtres...

--Poète, monsieur Delavigne? Peste! Vous voici bien ambitieux!

--Monsieur Salerne croit-il que je suis insensible? Non, non, on peut être coiffeur et avoir ses déceptions, ses désillusions, tout comme un autre. Nous habitons un monde, monsieur, où le coeur n'a pas sa récompense!

On le voit, je prenais plaisir aux propos de M. Delavigne. Sous cette fleur de bonne compagnie, qui leur donnait tant de charme, je retrouvais un type en quelque sorte national, sentencieux, aimant à moraliser, vaniteux, au moment même qu'il méprisait le plus son caractère et son état; avec cela, sentimental et toujours déçu par quelque chose. Deux ou trois journaux traînaient dans sa boutique, dont j'ai su depuis qu'il ne lisait que les renseignements mondains.

--Monsieur Salerne, me disait-il, voyez-vous, ce que j'aurais aimé dans la vie, moi, c'est la société des gens du monde. Je n'étais pas né pour remplir un rôle social aussi infime.

Et il répétait comme un morceau poétique, comme le refrain d'une romance, un écho recueilli dans _le Gaulois_ ou dans _Excelsior:_ "Grand bal hier donné chez la princesse Lannes…"

Ses distractions étaient honnêtes il se plaisait à passer la soirée au cinéma ou au café-concert. Et souvent, en me faisant la barbe, me chantait-il quelque couplet tendre ou galant, d'une voix juste, mais un peu chevrotante. Le printemps venu, chaque dimanche, il courait la banlieue, sans doute avec d'aimables personnes, dont il n'osait pas me parler autrement que par des allusions mystérieuses; et le lundi, je voyais sa boutique toute fleurie de ces grandes branches de lilas, que la poussière et les cahots du chemin de fer ont fripées et qui pendent.

--J'ai la superstition du lilas, me confiait-il alors, celle du muguet aussi. Quand j'en cueille, - et je sais ce que les désillusions ont de plus amer, monsieur, - eh bien! je ne peux pas croire que l'amour ne finira pas par me rendre heureux! J'ai un ami à _La Promenade de Vénus,_ qui me raille quand je parle ainsi, mais est-ce un mal que de garder sa pointe d'illusion? Je peux vous avouer cela, n'est-ce pas? Monsieur, car je vous connais bien, malgré votre réserve, vous êtes un délicat comme moi!

Avouez-le, comment n'eussé-je pas été flatté par une telle appréciation?

Le jour même où elle me fut faite, je rencontrai pour la première fois M. Valère Bouldouyr.

CHAPITRE IIPortrait d'un homme inactuel.

"La méditation a perdu toute sa dignité de forme; on a tourné en ridicule le cérémonial et l'attitude solennelle de celui qui réfléchit, et l'on ne tolérerait plus un homme sage du vieux style. Nietzsche.

 

J'étais, en effet, assis dans la boutique de M. Delavigne, ligoté comme un prisonnier par les noeuds d'une serviette si humide qu'elle risquait fort de me donner des rhumatismes, et mon geôlier jouait à faire pousser sur mes joues une mousse de plus en plus légère, quand la sonnette de l'établissement, qui avait, je ne sais pourquoi, un timbre rustique, tinta doucement. Mon regard plongeait dans la glace qui faisait face à la porte. Je vis entrer un personnage qui me parut curieux, au premier abord, sans que je comprisse exactement pourquoi.

Il était corpulent, de taille moyenne, d'aspect un peu lourd. Son front bombé, ses petits yeux vifs, se joues rondes et creusées d'une fossette, son nez pointu aux narines vibrantes, une lèvre rasée, un collier de barbe qui grisonnait, me rappelèrent très vite un visage bien connu; mais il y avait dans ses traits quelque chose d'amollli, de lâche, de détendu. L'inconnu ressemblait certainement à Stendhal, mais à un Stendhal en décalcomanie. Il portait un vieux feutre sans fraîcheur et un gros pardessus bourru, de couleur marron, qui laissait voir un col mou et une cravate usée, mais dont les couleurs autrefois vives révélaient d'anciennes prétentions. Il s'assit dans un coin, après avoir échangé avec M. Delavigne un salut cordial. Au bout d'un moment, le voyant désoeuvré, le coiffeur lui offrit un journal.

Mais le client refusa majestueusement cette proposition:

--Vous savez bien, dit-il, que je ne lis jamais de journaux, jamais! Pourquoi faire? Je n'ignore pas grand'chose des turpitudes qui peuvent se passer dans ce bas-monde. En quoi pourraient-elles m'intéresser?... Vous, monsieur Delavigne, voulez-vous me dire ce qui vous intéresse dans un journal?

--Mais les crimes, par exemple, dit M. Delavigne, décontenancé.

--Les crimes? Ils sont déjà tous dans la Bible! Ils ne varient que par le nom de la localité où ils ont été commis.

--La politique...

--La politique? Parlez-vous sérieusement, monsieur Delavigne? La politique? Vous tenez sincèrement à savoir par quel procédé vous serez tracassé, volé, martyrisé et réduit en esclavage? Moi, ça m'est égal! Les moutons ne seront jamais tondus que par les bergers. Maintenant, si vous préférez un berger qui porte un nom de famille à un berger qui porte un numéro, c'est votre affaire. Une affaire purement personnelle, monsieur Delavigne, ne l'oublions pas!

--Enfin, j'aime à savoir ce qui se passe!

--Moi aussi! Ou plutôt, j'aimerais à savoir ce qui se passe, s'il se passait quelque chose. Mais il ne se passe rien, vous entendez bien, rien!

Il s'enfonça de nouveau dans sa méditation, et M. Delavigne me fit plusieurs petits signes du coin de l'oeil, pour me signaler qu'il avait affaire à un original, un fameux original! Je m'en apercevais, parbleu! Bien.

Je clignai de la paupière à mon tour, afin d'engager M. Delavigne à reprendre sa conversation avec le faux Stendhal.

Après quelques instants de silence, le coiffeur débuta ainsi:

--Si vous ne vous intéressez pas aux journaux, ni aux crimes, ni à la politique, monsieur Bouldouyr, à quoi donc vous intéressez-vous?

Bouldouyr ne répondit pas tout de suite. Il nous regardait alternativement, le coiffeur et moi. Puis un sourire de mépris doucement apitoyé erra sur ses lèvres gourmandes.

--Vous, monsieur Delavigne, vous aimez à jouer aux dominos à _La Promenade de Vénus,_ vous ne dédaignez pas le cinéma et vous nourrissez, chaque printemps, une passion nouvelle pour quelque aimable nymphe du quartier. Si j'avais n'importe lequel de ces goûts charmants, vous pourriez apprécier ce qui m'intéresse, mais la vérité me force à confesser que tout cela m'est souverainement indifférent. Presque tout d'ailleurs m'est indifférent, et ce qui me passionne, moi, n'a de signification pour personne.

--J'ai connu un philatéliste qui raisonnait à peu près comme vous.

--Un philatéliste! S'écria M. Bouldouyr, qui devint soudain rouge de colère, je vous prie, n'est-ce pas, de ne pas me confondre avec un imbécile de cette sorte! Un philatéliste! Pourquoi pas un conchyliologue, puisque vous y êtes?

--Je vous demande pardon, monsieur, je ne croyais pas vous fâcher...

--C'est bon, c'est bon, dit M. Bouldouyr, en se levant. Je vais prendre l'air, je reviendrai tantôt.

Et il sortit en faisant claquer la porte.

--Il est un petit peu piqué, dit M. Delavigne, en souriant. Mais ce n'est pas un méchant homme. Il s'appelle Valère Bouldouyr. Un drôle de nom, n'est ce pas? Et puis, vous savez quand il dit que rien ne l'intéresse, il se moque de nous. Il se promène souvent au Palais-Royal avec une jeunesse, qui a l'air joliment agréable. Et vous savez, ajouta indiscrètement M. Delavigne, en se penchant vers mon oreille, il est plus vieux qu'il n'en a l'air. C'est moi qui lui ai fourni son postiche et la lotion avec laquelle il noircit à demi sa barbe, qui est toute blanche...

Ces détails me gênèrent un peu. Je demandai à m. Delavigne à quoi M. Bouldouyr était occupé.

--A rien, c'est un ancien employé du ministère de la Marine. Maintenant il est à la retraite.

Je quittai la boutique de M. Delavigne. Je croisai M. Bouldouyr, qui s'acheminait de nouveau vers elle. Il marchait lourdement, et il me parut voûté, mais peut-être était-ce l'influence du coiffeur qui me le faisait voir ainsi.

 

Je gagnai le Palais-Royal et je traversai le jardin. C'était un jour de printemps. Le paulownia noir et tordu portait comme un madrépore ses fleurs vivantes et qui durent si peu. Un gros pigeon gris reposait sur la tête de l'éphèbe qui joue de la flûte. Camille Desmoulins, vêtu de sa redingote de bronze, commençait la Révolution en s'attaquant d'abord aux chaises.

En regardant machinalement ces choses habituelles, je songeais à Valère Bouldouyr. Son nom ne m'était pas inconnu, mais où l'avais-je entendu déjà?