L’été du pardon - Marie-Camille Carton de Wiart - E-Book

L’été du pardon E-Book

Marie-Camille Carton de Wiart

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Beschreibung

Suite à un accident arrivé peu avant l’été, l’auteure réalise que les projets de vacances élaborés avec son époux ne pourront avoir lieu. Comment occuper l’été alors qu’ils voyagent toujours durant cette saison ?
Lui vient l’idée de rechercher, par l’écriture, la raison d’un ressentiment tenace vis-à-vis de son père décédé d’une embolie vingt ans auparavant, sans un « au revoir ». Elle entreprend alors de lui écrire. Il en résulte douze lettres, datées du premier au dernier jour de l’été. C’est l’occasion de retracer l’histoire de leur relation et de la vie de ce père : qui était-il finalement ? Mais surtout, après une série d’hypothèses posées durant ces jours de correspondance d’ici-bas vers l’au-delà, elle retrouve la racine du ressentiment dans un événement intense de l’enfance.
Le livre se termine par une réflexion sur la vérité et le pardon à la lumière de l’évangile, pour tenter de répondre à la question : « Est-il possible de se réconcilier avec ses proches alors qu’ils sont morts ? »


À PROPOS DE L'AUTEURE


Marie-Camille Carton de Wiart est psychopédagogue. Elle est née en France en 1951. Après un baccalauréat littéraire, elle suivit ses études supérieures en Belgique et au Québec. Mariée en 1975, elle a d’abord exercé le métier de professeur de psychologie et de pédagogie puis elle est devenue mère au foyer à temps plein.
En 2013, elle s’est spécialisée dans le domaine de l’accompagnement du deuil après une formation au Québec et a pratiqué le métier de thérapeute jusqu’à sa retraite en 2018. Aujourd’hui, elle continue à donner des conférences/ formations dans des paroisses et pour des associations de bénévoles, tant en Belgique qu’en France.
Elle est titulaire d’une licence en communication appliquée (IHECS 1975), d’une maîtrise en éducation, (M.Ed. Université de Montréal 1977), d’une licence complémentaire en Sciences de l’éducation pour diplômés étrangers et d’une A.E.S.S. en psychopédagogie (Université Catholique de Louvain 1979). Mariée, mère de trois fils et grand-mère de 7 petits-enfants, elle habite en Belgique, à Louvain-la-Neuve.

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L’été du pardon

Lettres à mon père

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saintlegerproductions.fr

© Saint-Léger éditions, 2023.

Tous droits réservés.

Marie-Camille Carton de Wiart

L’été du pardon

Lettres à mon père

Heureux les miséricordieux

Il leur sera fait miséricorde.

Mt 5, 7

À mes parents.

Préambule

« Est-il possible de se réconcilier avec ses proches alors qu’ils sont déjà morts ? » C’est l’enjeu de ce récit de tenter de répondre à cette question.

Mais pourquoi cette question est-elle si importante ?

Dans la pratique de mon métier d’écoute de personnes endeuillées, j’ai parfois remarqué que des conflits non résolus empêchaient d’avancer dans le processus de deuil. En effet, rester en conflit intérieur avec nos proches décédés pèse sur notre cœur et souvent, quand nous vivons ces lourdeurs, nous pensons que c’est irrémédiable puisque la mort est venue ravir celui ou celle à qui nous en voulions. Cela m’a toujours semblé injuste.

Pourquoi faut-il que ce soit le survivant qui paie ce tourment ? Pourquoi ne serait-il pas possible de faire la paix ? Mais comment ? Est-il envisageable de proposer des pistes allant en ce sens ? Pour le savoir, il me fallait tout d’abord emprunter ce chemin.

Ce chemin a duré un été et ce livre en raconte le déroulement à travers mon journal tenu au jour le jour et transformé en douze lettres à mon père.

Tous les faits évoqués au long de ces pages sont réels. Contrairement à ce qui est parfois écrit au début d’un roman, il ne serait pas fortuit de trouver des ressemblances avec des personnages ou des situations ayant existé.

Mais j’ai pris le parti de préserver l’anonymat des protagonistes principaux, tout en les laissant situés historiquement et géographiquement dans leur époque et leurs lieux du quotidien. Cependant, l’important n’est pas de reconnaître ceux qui vécurent ces faits, mais de savoir que de telles trajectoires de vie sont vraiment possibles.

La tentation du lecteur pourrait être, alors, d’aller à la recherche de plus de précisions pour vérifier l’objectivité des faits. Mais, en agissant ainsi, le but de cet ouvrage serait manqué. Car, arrivée à la fin de l’écriture, je souhaite que soient laissés là les personnages dont je parle. En effet, c’est paradoxalement pour inviter le lecteur à s’intéresser en profondeur à lui-même que j’ai accepté de partager mon histoire.

Au-delà de ce récit de souvenirs qui se déroulèrent sur près d’un siècle, il y a le désir d’emmener les lecteurs à faire de même, c’est-à-dire à aller à la rencontre de ceux qu’ils ont aimés en retraversant certains événements familiaux, afin de trouver un apaisement qui fait parfois défaut. Comment est-ce possible de faire la paix avec ceux qui ne sont plus ? Cela je ne le dis pas. Je prends simplement le parti de montrer une seule histoire, car je pense que tout parcours de vie raconté peut encourager d’autres personnes à se mettre en route sur leur propre chemin.

Un début d’été particulier

Tout avait commencé au mois de juin. Il faisait chaud. Une canicule qui, heureusement, n’a pas duré. Nous établissions nos projets pour l’été.

L’an dernier, il avait été raté pour cause d’épaule cassée, le 6 juillet. La rééducation fut longue, avec la perspective que rien ne serait plus comme avant. Réalistes, quelques mois plus tard, nous avions vendu nos vélos à assistance électrique, notre matériel de camping et notre camionnette. Passé la septantaine, il nous fallait accepter d’entrer dans le clan des « personnes raisonnables ». On s’y faisait ! Il restait la marche, les musées, le tourisme.

Le produit des ventes nous faisait imaginer des périples en France, de villes en villes, à la recherche des styles architecturaux de toutes les églises et cathédrales que nous aimions : Reims, Châlons-en-Champagne, Troyes, Sens puis Auxerre, pour y découvrir la demeure de Marie Noël. Passer par Vézelay, s’arrêter au pied de la basilique Sainte-Marie-Madeleine, entendre le son des cloches qui appellent à l’office, revoir les maisons de Jules Roy et Romain Rolland. Contempler les couchers de soleil sur la vallée, faire un tour au cimetière à la recherche de l’amour de Paul Claudel. Pour achever notre périple en Bourgogne à la redécouverte du magnifique monastère royal du Brou.

Nous avions acheté le guide Saint-Christophe. Fréquenter le réseau hôtelier que nous connaissons peu était un défi, mais une occasion en or de rendre agréable une part de handicap inhérent à notre âge. Depuis le printemps, la vie reprenait. Nous nous entraînions à la marche sur les chemins de Grande Randonnée de notre région que nous prenions enfin le temps de découvrir.

Et puis un soir, lors d’une promenade, un sol humide, un trottoir trop haut. Une nouvelle chute ! Pour protéger l’épaule fragile, c’est l’autre épaule qui a subi le choc. Après la droite, voilà l’épaule gauche cassée elle aussi, alors que la première n’était pas encore bien solide. Tous nos nouveaux projets s’effondraient !

Il nous faudrait passer l’été chez nous car peut-on encore être autonome avec deux épaules cassées ?

Je voulais bien rendre service, c’est un peu le sens que je donne à ma vie, mais je ne pouvais me résoudre au fait de devenir l’infirmière de celui avec qui tant de désirs de liberté avaient été accomplis depuis notre voyage de noces, dans une traversée de l’Irlande à vélo alors que les guides pour cyclotouristes n’existaient pas encore.

C’est alors que m’est venue l’idée folle d’écrire, sans en parler à personne si ce n’est à mon éditeur qui restait intéressé de publier ce nouveau livre puisqu’il était à l’origine de l’idée. En effet, à la fin de l’été dernier, il m’avait proposé d’écrire sur le pardon, celui que l’on attend alors que l’autre à qui l’on en veut est déjà mort !

J’avais résisté longtemps, prétextant que je n’étais pas écrivaine, que le livre1 déjà publié pendant le confinement devait être le seul et surtout que le sujet y avait déjà été abordé. Et puis, le thème me semblait inatteignable. Je n’imaginais pas alors, m’épancher encore sur des situations douloureuses du passé ou relater mon expérience, sans faire du pathos.

Non, je n’écrirai pas sur le pardon, avais-je répondu à l’éditeur l’an dernier. Il me semblait que c’était mon dernier mot sur la question.

Mais au fond de moi, je n’étais pas tranquille. C’est vrai que je gardais une sorte de ressentiment et le souvenir de rendez-vous manqués avec mon père. Je ne sais d’où me venait cette impression qu’il ne m’avait pas demandé pardon. Pardon de quoi ? J’avais beaucoup cherché et n’avais pas trouvé quel était le véritable contentieux entre nous.

Allais-je finir mes jours sur cette interrogation ?

Puisque mon époux se débattait avec son handicap particulièrement pénible physiquement et moralement, il me fallait me confronter à un autre défi, pour passer l’été chez nous, en harmonie avec lui. A-t-on déjà imaginé combien se servir de ses deux bras, où l’on veut et quand on veut, est un cadeau de chaque instant ? Je lui devais de me battre, moi aussi avec moi-même, et avancer sur le chemin du pardon. Entamer l’écriture. Je ne pouvais plus me dérober. D’une part, je réalisais bien la difficulté qui m’attendait et d’autre part, y penser me donnait des ailes. Cela devenait facile de me rendre disponible aux moindres petites choses de la vie de l’autre, celles qui demandent d’employer les deux bras en même temps.

J’étais heureuse à la pensée d’aller à la recherche de mon père pour parvenir à faire totalement la paix avec lui. Cela occupait agréablement mon esprit pendant que je m’activais, souriante, au service de ce que me demandait mon époux. J’étais devenue ses bras pour quelques semaines alors que ma tête était propulsée dans le passé.

Qui était cet homme, mon père, qui ne m’avait pas demandé pardon ?

Mon père était le plus jeune d’une fratrie de dix enfants.

Il avait quatre grands frères, tellement grands qu’un jour il avait demandé à l’aîné comment il se faisait que sa maman était aussi la sienne.

Entre ses quatre frères et lui, il y avait cinq sœurs.

Et pour parfaire le tout, une nounou dénommée Germaine, arrivée dans la famille comme « bonne d’enfants » à l’âge de quatorze ans. Elle y accompagnait tout ce petit monde dans les tribulations de la vie et les déménagements successifs dus aux vacances et à la guerre.

Mon père était un enfant très éveillé et doué, chéri de tous, avec un père assez présent dans ses jeunes années mais plus à la façon d’un grand-père. Pour rétablir l’équilibre, sa mère était doucement autoritaire.

Comme tous les enfants de sa région, il attendait saint Nicolas mais aussi les cloches de Pâques à qui il avait envoyé une lettre. Sachant tout juste écrire dans une orthographe assez personnelle, il adressa ces quelques mots à Mesdames Les Cloches, Route du ciel, Ciel (souligné trois fois) : « Mes chères cloches, je crois que se serais pas de trop 3 ou 4 choses. Se sont, dé me donner un avion à trois moteur et des outils. Je vous remercie à la vance. D. »

Mon père eut une petite enfance heureuse, interrompue à l’âge de onze ans par l’évacuation de 1939. Comme beaucoup de familles du Nord qui ne voulaient pas revivre les séparations qui leur avaient été imposées par l’occupant lors de la guerre précédente, ils se dirigèrent en plusieurs étapes vers le sud de la France.

De l’évacuation, il gardait deux souvenirs qu’il nous racontait avec émotion, celui d’avoir dû abandonner son petit chien et, suite à une chute de voiture lors de la grande traversée de la France il nous montrait souvent son auriculaire tordu.

Il vécut à Guingamp durant la drôle de guerre, prolongeant les vacances bretonnes, sans rentrer dans le Nord. Comme pour tous les enfants de cette période, s’ils en gardent des souvenirs plus ou moins traumatisants, ce fut surtout pour eux l’occasion de vivre des expériences qu’une vie en temps de paix ne leur aurait jamais permises.

De Guingamp, l’année de ses onze ans, il se souvenait essentiellement d’avoir construit un radeau sur la petite rivière Le Trieux qui traversait la localité. Avec un ami, lui aussi « réfugié », ils se prenaient pour Huck Finn et Tom Sawyer2. Aussi, quelle ne fut pas leur déception, un matin, de ne pas retrouver leur embarcation, sans doute emportée par les flots du cours d’eau impétueux. Lorsqu’il racontait cet événement, il nous semblait qu’avait sonné pour lui le glas de l’enfance.

Le temps de partir plus loin était venu pour retrouver toute la famille qui devait se rassembler dans une petite ville du Sud-Ouest de la France, autour de l’activité industrielle qui était la leur.

Lorsque je retrouve des photos d’un pique-nique familial de l’été 1940, il a onze ans, je le vois solitaire et pensif, tout de sombre habillé au milieu de femmes et de bébés, ceux de ses sœurs et belles-sœurs, vêtues de magnifiques robes claires, sous le soleil du Midi.

En septembre, venu le temps du collège, il fut heureusement admis à l’alumnat de l’abbaye d’En Calcat3, y retrouvant des compagnons de son âge.

Il raconte à un de ses oncles, sur une carte postale représentant le cortège des moines suivis d’enfants de chœur devant l’entrée de l’église abbatiale : « Je suis en pension dans cette belle abbaye et papa en venant me voir dimanche dernier m’a dit que c’était ta fête. Je te souhaite donc une bonne fête de st Albert le Grand. Nous ne sommes que 28 en tout et nous suivons beaucoup la vie des moines : Chapitre etc. nous dînons au même réfectoire. Le dimanche nous mettons une aube pour aller à l’Eglise comme tu le vois sur cette photo. Je t’envoie ci-joint la vue du monastère, côté nord. Dis bonjour à tante mimi de ma part.

Ton neveu D. »

C’était sans doute la face enchantée. Sa sœur, dans un livre de souvenirs, raconte que son frère y vécut aussi des moments difficiles dont on perçoit l’angoisse sur une photo où il se trouve au milieu d’un groupe d’enfants en aube, apprenant le grégorien. Il se sentait abandonné de tous car leurs parents se préoccupaient surtout de leurs aînés. Elle se rappelle d’une phrase dans une lettre qui l’avait attristée : « Est-ce que je peux revenir aux vacances de Pâques ? Il y a si longtemps que je ne vous ai plus vus ! ».

Après trois années passées là, dont il nous a toujours parlé avec beaucoup d’enthousiasme, la fin d’une époque s’annonce pour lui. Un épisode significatif en témoigne lors d’une visite de sa famille à En Calcat pour les fêtes pascales. La liturgie était magnifique, rapporte sa sœur. Alors que son frère chantait, de sa voix pure de soprano, les prières du Samedi saint a capella, sa maman lui chuchota à l’oreille : « Écoute bien la voix de ton frère, car l’année prochaine, avec une année de plus, sa voix ne sera plus aussi claire, il ne pourra plus chanter comme cela ! ».