L’examen clinique de la personnalité avec le MMPI-2 et le MMPI-A - Daniel Ruchenne - E-Book

L’examen clinique de la personnalité avec le MMPI-2 et le MMPI-A E-Book

Daniel Ruchenne

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Beschreibung

Quel est le meilleur moyen à ce jour d'évaluer la personnalité d'un patient ?

Le MMPI-2 est le test de personnalité le plus fréquemment utilisé au monde. Fiable et valide, il fait l’objet de recherches continues. Outil puissant, il est prioritairement employé par les professionnels de la santé mentale pour l’évaluation, le diagnostic et l’établissement du traitement. Considéré comme un test objectif de personnalité par les professionnels, le MMPI-2 est en fait plutôt un questionnaire multidimensionnel de psychopathologie. Il permet l’évaluation d’un éventail très large de troubles, d’attitudes, de traits et de comportements tant dans les populations normales que pathologiques. Bien que ce test soit largement utilisé, les livres de référence et sources écrites en français à son sujet sont rares. Ce manuel pratique est le plus exhaustif à destination des praticiens francophones. Il vise à leur présenter le MMPI-2 et ses conditions d’utilisation. La première partie de l’ouvrage offre un point de vue historique sur la construction du MMPI ainsi que son développement. L’auteur expose ensuite les données techniques permettant aux praticiens d’utiliser l’inventaire de personnalité. Le manuel fourmille en outre de nombreuses illustrations et tableaux qui aideront les thérapeutes dans leur travail. Les dernières parties de l’ouvrage abordent largement le MMPI-A (version pour adolescents) et envisagent la place du MMPI-2-RF sous un angle critique. Ce manuel, à mettre entre les mains de tous les praticiens, offre donc un large panorama sur la question.

Rédigé par un psychologue clinicien, ce manuel pratique et complet présente, à l'aide de multiples illustrations et tableaux, le test MMPI-2 et ses conditions d'application.

EXTRAIT

Le temps d’achèvement de l’inventaire devrait toujours être secondaire à la précision, aussi pour les patients très perturbés, des breaks, ou même une passation distribuée sur plusieurs jours, peuvent être nécessaires. Néanmoins, on gardera à l’esprit que les états émotionnels et les attitudes des patients sont très fluctuants et il paraît judicieux de privilégier une passation en un seul bloc de temps, avec d’éventuels courts breaks, plutôt que l’étalement dans le temps (même au cours d’une seule journée) pour conserver au test son unité. Un temps de passation trop long ou trop court peut avoir une signification diagnostique pour tous les participants. Par exemple, un temps trop court peut refléter de l’impulsivité ou de la non-coopération, tandis qu’un temps trop long peut être un signe d’obsessionnalité, de retard psychomoteur ou de problèmes de motivation.
En ce qui me concerne, pour éviter les erreurs lors du passage du livret à la feuille réponse (sur laquelle il faut cocher les items, ces derniers étant particulièrement ramassés) et rendre la passation plus confortable, j’ai réalisé un livret à usage unique. Il reste ensuite à encoder les réponses dans l’ordinateur. Les consignes sont un moment important d’échange entre le patient et l’examinateur. Dans ma pratique, il m’est apparu que prendre ce temps améliorait la participation, favorisait la transparence, mettait le sujet en confiance et permettait d’accéder à plus de profils valides.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Daniel Ruchenne est psychologue clinicien au sein d’établissements psychiatriques de la Province de Liège (Belgique). Ses fonctions lui ont permis l’accès à des populations psychiatriques hospitalisées ainsi qu’ambulatoires, multiples et variées. Il a également pratiqué l’expertise psycho-légale durant une dizaine d’années et a une activité en cabinet privé.

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L’examen clinique de la personnalité avec le MMPI-2 et le MMPI-A

Daniel Ruchenne

L’examen clinique de la personnalité avec le MMPI-2 et le MMPI-A

Fondements et Méthode

À mon grand-père, Jacques « Lambert » Médard (1901-1997), homme droit, résistant et rescapé des camps de concentration nazis.

À mes Trois Grâces : So-Yung, mon inspiratrice et épouse, Gladys, ma fille adorée et Marie-Claire Médard, ma mère.

«To tûzant, sire.»1

«When a true genius appears in the world, you may know him by this sign, that the dunces are all in confederacy against him.»

Jonathan Swift (1667-1745)

1. « En réfléchissant, sire. » : réponse en wallon liégeois de Rennequin Sualem (orthographié quelquefois en Renkin Sualem) (Samuel Rennequin en français), 1645-1708, maître-charpentier et mécanicien liégeois, à Louis XIV l’interrogeant sur la conception et la construction de la Machine de Marly.

Préface

Traduite de l’anglais par Elisabeth Mol

La nouveauté joue un rôle important dans le succès d’une publication académique, surtout lorsqu’il existe déjà une longue tradition de contributions écrites sur le même sujet. Le livre de Daniel Ruchenne n’est pas un simple manuel destiné à mieux comprendre les outils MMPI et les apports du MMPI-2 à l’examen clinique de la personnalité. Le travail du psychologue inscrit l’évaluation de la personnalité dans un contexte historique précieux, fournit la description indispensable des différentes applications contemporaines du test psychologique et dresse un portrait biographique vivant des professionnels de la santé mentale qui ont contribué à l’évaluation de la personnalité à travers les époques. Daniel Ruchenne s’intéresse plus particulièrement aux psychologues qui ont fait évoluer l’application du Minnesota Multiphasic Personality Inventory (les MMPI et MMPI-2) au cours de sa longue histoire. Son travail de recherche approfondi sur l’examen clinique s’accompagne donc d’une analyse détaillée de ces contributions à la psychologie de l’évaluation et d’une description précise des outils mis en place.

Outre cette étude sur les instruments MMPI, Daniel Ruchenne fournit aussi une précieuse description de nombreux autres outils d’évaluation de la personnalité, tels que le California Psychological Inventory (CPI) mis au point par Harrison Gould Gough, le Neuroticism-Extraversion-Openness Inventory (NEO-PI) mis au point par Costa et McCrae, ou le Butcher’s Treatment Planning Inventory (BTPI) conçu pour fournir aux psychologues une grille de lecture des différentes approches de l’évaluation de la personnalité. Cet ouvrage se révèle particulièrement utile, car il informe le lecteur sur l’utilisation des outils de mesure disponibles dans les différentes situations d’évaluation.

Le point capital de ce livre concerne l’histoire et le développement du MMPI et de ses successeurs, le MMPI-2 et le MMPI-A. Ruchenne décrit dans un cadre historique les tests de la personnalité au début du xxe siècle et présente les premiers outils d’évaluation de la personnalité tels que le Woodworth Personal Data Sheet et le Humm-Wadsworth Temperament Scale, qui influenceront par la suite la mise au point du premier MMPI par Starke Hathaway et John Charnley McKinley. L’auteur détaille aussi les différentes applications du test et le développement du MMPI-2 en 1989. Il décrit avec force détails la structure du test, les données des échelles ainsi que la fiabilité et la validité des résultats obtenus avec les outils de mesure du MMPI-2, qui ont évolué depuis la publication du MMPI en 1942 et sa révision en 1989. Il fournit de nombreuses données d’interprétation que les praticiens peuvent utiliser pour interpréter les échelles du MMPI-2 lors d’évaluations pratiques. Il convoque également plusieurs études de cas pour illustrer les différentes interprétations des échelles.

Dans son ouvrage, Daniel Ruchenne a pris la décision importante et judicieuse de ne pas prendre de parti clair concernant le controversé MMPI-2-RF, publié en 2008. Si l’appellation de cet instrument renvoie directement au MMPI-2, les nouvelles échelles qu’il comporte sont très différentes de celles utilisées dans le MMPI-2 classique. Ruchenne n’a intégré aucune stratégie d’interprétation de cette version, car les mesures qu’elle propose sont trop éloignées de celles du MMPI-2.

L’auteur souligne les différents problèmes rencontrés avec cet outil controversé et s’attèle à décrire ses failles à travers la mention de nombreux travaux mettant en garde contre son utilisation, tels que l’influent manuel écrit par Friedman, Bolinskey, Levak et Nichols en 2015.

En résumé, l’ouvrage de Daniel Ruchenne fournit la démonstration de l’utilité du MMPI-2 dans le cadre d’évaluations empiriques. Il présente au lecteur une histoire détaillée de l’évaluation psychologique et le contexte pertinent pour mieux comprendre les échelles du MMPI-2.

Je suis ravi que la traduction française du MMPI-2 soit accessible aux psychologues belges et français, et qu’elle soit aujourd’hui largement utilisée comme outil d’évaluation de la personnalité. L’ouvrage de Daniel Ruchenne constituera une ressource essentielle pour les psychologues européens chargés de mener des évaluations psychologiques, car il fournit un aperçu précieux des évolutions de l’examen clinique. L’auteur y ajoute sa touche personnelle à travers les nombreux portraits de psychologues ayant contribué à l’évaluation de la personnalité, qu’il a lui-même dessinés.

James N. Butcher, PhD

Professeur émérite

Université du Minnesota

Note au lecteur

L’intention de cet ouvrage est plurielle. Par conséquent, il n’a pas pour vocation unique de proposer une source pratique pour l’analyse du MMPI-2 et MMPI-A – quoiqu’il pallie certainement le manque étonnant de ressources en français les concernant.

Le MMPI-2, malgré son utilisation courante en milieu clinique et sa puissance en tant qu’outil d’aide au diagnostic, à la prise en charge et au suivi des patients, ne semble pas jouir de l’intérêt que suscitent certaines épreuves projectives. Ainsi, la formation universitaire, qui orientera la pratique de bien des futurs professionnels, apparaît bien pauvre le concernant. Pour tenter de clarifier cet état, un détour par l’épistémologie m’a semblé nécessaire.

Le MMPI est attaché à l’histoire de la psychologie américaine et, bien entendu, n’a pas éclos telle une génération spontanée. Des rudiments concernant l’étude de la personnalité seront proposés dans la Partie I. Cette même partie se polarisera ensuite sur les ascendants directs du MMPI pour se terminer par une description historico-sociologique de l’émergence du test de masse.

Mis à part certaines icônes, la plus célèbre dans nos contrées étant probablement Freud, dont la médiatisation de l’image se confond parfois, faussement, avec la psychologie elle-même, les psychologues illustres du champ, passé et présent, sont réduits à la calligraphie désincarnée de leur nom.

Un segment de la pratique du psychologue, notamment clinicien, consiste à établir un « portrait biographique et psychologique » complexe du patient ayant recours à ses services. Aussi, passionné de biographies et de dessin, l’idée m’est venue d’illustrer le texte par des portraits afin de faire connaître l’apparence de ces pionniers – l’humain derrière l’œuvre. Le visage de certains de ces scientifiques n’est, au reste, peu, voire pas connu des spécialistes américains eux-mêmes. Mon espoir est également de rendre ainsi la lecture plus attrayante.

La Partie II retracera l’histoire du MMPI, de ses créateurs et continuateurs principaux. Elle est agrémentée de biographies plus longues et d’arrêts sur certains instruments affiliés, d’une façon ou d’une autre, au MMPI et au MMPI-2.

C’est à partir de la Partie III que débutera l’aspect d’utilité pratique : administration, cotation, démarche d’interprétation, description, etc.

La Partie IV est consacrée à différentes questions spécifiques concernant tant le test lui-même que son rapport avec le Rorschach.

Le MMPI-A fera l’objet de la Partie V avec, là aussi, des éléments auparavant indisponibles en français.

Enfin, une présentation succincte du controversé MMPI-2-RF constituera la Partie VI.

En annexe, vous trouverez une ligne historique reprenant chronologiquement les grandes étapes de la psychologie en regard d’événements marquants profanes.

Introduction

Le MMPI-2, cet inventaire de personnalité au nom de satellite, est largement utilisé à l’échelle planétaire. Son succès, tant dans la pratique clinique que dans la recherche, est probablement dû à l’analyse fine et pertinente qu’il permet, ainsi qu’à sa valeur prédictive puissante. C’est une aide précieuse au diagnostic psychiatrique, et il se révèle très utile pour l’établissement des modalités thérapeutiques et le jaugeage des progrès du patient.

Malgré ces qualités et cette reconnaissance mondiale, les sources françaises sont désespérément rares pour une épreuve qui jouit d’une littérature (de recherche notamment) abondante par ailleurs. Comment alors promouvoir l’utilisation d’un outil sophistiqué, rapide et fiable, mais sans accès direct en français face à d’autres qui jouissent d’écrits dans une mesure inversement proportionnelle à leur pertinence ? C’est le propos de ce volume qui a pour objectif de faciliter l’accès, dans la langue de Molière, à une part du vaste matériel concernant le test et d’en favoriser l’emploi.

Il convient de préciser que l’instrument a évolué depuis la création du MMPI par Hathaway et McKinley (1942). En effet, il a été modifié pour aboutir au MMPI-2 (1989). Le MMPI-2-RF (2008) est un nouveau développement (controversé) de cet inventaire : il fournit des éléments complémentaires au MMPI-2, ce dernier restant incontournable. Enfin, il existe le MMPI-A (1992 – James N. Butcher, Carolyn L. Williams, John R. Graham, Robert P. Archer, Auke Tellegen, Yossef S. Ben-Porath, Beverly Kaemmer), la version pour adolescents, et, depuis 2016 aux États-Unis, le MMPI-A-RF (Robert P. Archer, Richard W. Handel, Yossef S. Ben-Porath, Auke Tellegen).

Le MMPI-2 est composé de plus de 120 échelles qui constituent le socle de l’analyse. Cela permet l’accès à une constellation de données informatives qu’il s’agira, de plus, de croiser entre elles. Bien que pouvant sembler, au premier abord, facilement interprétable, la prise en compte, à la fois des relations entre données et des incohérences apparaissant parfois entre elles aspire l’analyste dans une production d’hypothèses dont la confirmation devra être recherchée, tant au sein des résultats disponibles que dans la confrontation avec le patient et avec les éléments cliniques accessibles.

Cette complexité peut paraître rebutante, voire effrayante, mais reflète simplement le degré de subtilité de la mesure appliquée à une réalité qui l’est plus encore.

La synthèse de ce corpus en une forme communicable est une autre gageure à relever.

Par contre, le traitement des données est aujourd’hui facilité par l’utilisation de l’outil informatique qui libère le psychologue d’une tâche longue et ennuyeuse (et lui évite des erreurs).

Lorsque j’ai débuté, le MMPI original se présentait sous forme de fiches que le patient devait classer selon trois critères (Vrai/Faux/Je ne sais pas). Plus tard, elles ont fait place à un cahier de passation avec remplissage de la feuille de réponses par le patient. Quel que soit le type d’administration, le psychologue était astreint à effectuer le dépouillement. Les notes brutes obtenues étaient transformées en notes standards (certaines après l’application d’une correction K) et il restait à tracer à la main la courbe sur la « feuille de profil ». L’analyse proprement dite pouvait alors être entamée. Ces manipulations étaient contraignantes et prenaient du temps, mais donnaient une bonne idée du mécanisme et des éléments qui débouchaient sur le tracé du profil, ce qui peut échapper lors d’une analyse automatisée.

Les traductions françaises ont toujours été très limitées et proposées avec un décalage temporel important face au développement de l’outil. L’ère Internet a heureusement permis l’accès à une foule de références internationales.

Que d’aberrations peut-on lire suite à des interprétations maladroites ! Et avec des conséquences parfois tragiques (je pense notamment aux expertises psycholégales). En effet, le leurre présenté par le test réside dans son apparente facilité d’analyse, d’où des conclusions non nuancées sont souvent tirées par méconnaissance de l’outil lui-même, de sa complexité et de ses limites.

Le présent ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité des données disponibles, loin s’en faut. Il se veut un support à la formation et un outil donnant l’accès aux données permettant une analyse la plus rigoureuse possible.

Partie I

Histoire et préhistoire

Chapitre 1

La personnalité préhistorique

1. Les Juges et les Grecs

Les techniques d’observation du comportement en vue d’évaluer la personnalité sont vraisemblablement très anciennes. En 1965, Hathaway2 releva d’ailleurs que, dans l’Ancien Testament, Gédéon observait le tremblement de peur et la façon de boire de l’eau pour sélectionner les soldats avant la bataille.3

C’est dans le Livre biblique des Juges qu’il est fait mention de Gédéon (Gideôn en hébreu), grand juge d’Israël. Il fut appelé par l’Ange de Dieu à combattre les Madianites. Afin de prouver, sans aucun doute, que la victoire d’Israël était Son action directe, Yahvé dit à Gédéon de réduire ses troupes déjà sous-numéraires à celles de l’ennemi. Réduite à la moitié d’une cohorte, son armée affronta l’ennemi fort de 135 000 hommes. Cependant, c’est la procédure de sélection de ces soldats d’élite, réalisée par Dieu lui-même, qui nous intéresse plus spécialement ici. Si nous prenons la traduction de Louis Segond (1810-1885, théologien suisse), cela donne ceci :

7 :2 L’Éternel dit à Gédéon : Le peuple que tu as avec toi est trop nombreux pour que je livre Madian entre ses mains ; il pourrait en tirer gloire contre moi, et dire : C’est ma main qui m’a délivré. 7 :3 Publie donc ceci aux oreilles du peuple : Que celui qui est craintif et qui a peur s’en retourne et s’éloigne de la montagne de Galaad. Vingt-deux mille hommes parmi le peuple s’en retournèrent, et il en resta dix mille.

7 :4 L’Éternel dit à Gédéon : Le peuple est encore trop nombreux. Fais-les descendre vers l’eau, et là je t’en ferai le triage ; celui dont je te dirai : Que celui-ci aille avec toi, ira avec toi ; et celui dont je te dirai : Que celui-ci n’aille pas avec toi, n’ira pas avec toi. 7 :5 Gédéon fit descendre le peuple vers l’eau, et l’Éternel dit à Gédéon : Tous ceux qui laperont l’eau avec la langue comme lape le chien, tu les sépareras de tous ceux qui se mettront à genoux pour boire. 7 :6 Ceux qui lapèrent l’eau en la portant à la bouche avec leur main furent au nombre de trois cents hommes, et tout le reste du peuple se mit à genoux pour boire.2 7 :7 Et l’Éternel dit à Gédéon : C’est par les trois cents hommes qui ont lapé, que je vous sauverai et que je livrerai Madian entre tes mains. Que tout le reste du peuple s’en aille chacun chez soi. 7 :8 On prit les vivres du peuple et ses trompettes. Puis Gédéon renvoya tous les hommes d’Israël chacun dans sa tente, et il retint les trois cents hommes. Le camp de Madian était au-dessous de lui dans la vallée.

Des traces de ces tentatives peuvent également être retrouvées chez les anciens Grecs et Romains. Citons, entre autres, les deux sources que constituent Hippocrate et ses fluides influençant le tempérament, ainsi que Soranus et ses descriptions concernant les troubles mentaux.

Hippocrate de Cos (env. –460 – env. -370) était un médecin grec dont Galien (Claudius Galenus, env. 131 – env. 201, médecin et physiologiste grec) diffusa l’œuvre, notamment la théorie hippocratique des quatre humeurs (sang, phlegme, bile jaune, bile noire ou atrabile) avec leurs tempéraments associés (le lien avec les tempéraments est apparu plus tardivement) suivant la prédominance. Cela donne le tableau suivant :

Cette théorie fondamentale était en réalité l’œuvre de Polybe de Cos, médecin grec, disciple d’Hippocrate.

Soranus (ou Soranos) d’Éphèse (98-138) était un médecin grec connu pour sa pratique de la gynécologie, de l’obstétrique et de la pédiatrie. Représentant de l’École méthodique, il a, entre autres, décrit la chaise obstétricale et laissé de nombreuses descriptions des moyens contraceptifs, voire abortifs. D’aucuns lui attribuent l’invention du speculum. Il pratiqua, paraît-il, à Alexandrie et à Rome. C’est à lui que l’on doit la plus ancienne biographie d’Hippocrate.

Il s’est également intéressé aux troubles nerveux. Les traitements suggérés ont une ressemblance certaine avec la psychothérapie moderne.

Il recommandait de traiter les personnes souffrant de manie avec l’eau alcaline de sa ville : cette eau contenait des niveaux élevés de lithium4. L’utilisation thérapeutique du lithium fut redécouverte par John Frederick Joseph Cade (1912-1980), un psychiatre australien qui découvrit, en 1949, les effets du carbonate de lithium comme stabilisateur d’humeur dans le traitement du trouble bipolaire (appelé psychose maniaco-dépressive à l’époque).

Soranus recommandait que les malades mentaux soient accueillis dans des endroits lumineux et aérés, que les châtiments corporels ne fassent pas partie de la thérapie, et prônait aussi la compréhension de l’environnement social pour obtenir une évaluation de leur condition.

Il décrivit également le délire, la suffocation hystérique, la phrénite (encéphalite ou méningite), la léthargie, la manie, la mélancolie ainsi que l’homosexualité chez les deux sexes, cette dernière étant vue comme une « affliction d’un esprit malade ». Il reconnaissait que, occasionnellement, l’usage de force et de contrainte était nécessaire, tout en insistant sur l’utilisation d’attaches douces afin de ne pas blesser le patient.

Soranus était d’avis que, pour guérir les malades mentaux, il fallait les placer dans un cadre paisible, leur demander de lire, de discuter et de participer à la production de pièces de théâtre afin de créer de l’ordre dans leurs pensées et de compenser leur dépression. En outre, il estimait qu’il n’était pas thérapeutiquement porteur de s’opposer aux délires et pensait qu’une persuasion progressive à propos de la réalité était bien plus avantageuse.

2. Nos « semblables », quoique...

Le xixe siècle vit le développement de méthodes formelles, basées sur les idées scientifiques du temps, pour étudier la personnalité et le caractère. Ainsi, deux tendances émergèrent à cette époque : la phrénologie5, d’une part ; l’observation rigoureuse et les tests mentaux, d’autre part. Cette dernière technique, que l’on doit à Francis Galton6, fut très influente pour la progression de l’évaluation de la personnalité.

Fig. 1. Sir Francis Galton

Sir Francis Galton (1822-1911) était un polymathe britannique, cousin de Charles Darwin, qui s’illustra dans de nombreux domaines tels que l’anthropologie, la géographie, la météorologie, la psychométrie et la statistique. Il est également considéré comme le fondateur de la psychologie différentielle ou comparée. C’est à lui que l’on doit la méthode d’identification des individus par le biais de leurs empreintes digitales. Si, dans le domaine de la météorologie, on lui doit le terme d’« anticyclone », le sac de couchage et sa méthode de photographie composite, ancêtre des procédures de morphing, sont aussi dus à son esprit inventif.

Défenseur de la théorie de l’évolution, il vit dans la statistique la possibilité de quantifier les caractéristiques de l’homme, tant physiques que psychiques ou comportementales. Il a inventé de nombreuses méthodes statistiques et les notions d’étalonnage, de régression et de corrélation, esquissant en sus les principes de l’analyse factorielle.

Il travailla aussi sur la transmission des caractères héréditaires, recherches qui débouchèrent sur la fondation de l’école biométrique et eugénique britannique.

S’affranchissant de la pseudo-scientifique phrénologie, Galton conduisit des expériences sur les processus mentaux et postula des procédures afin de mesurer les attributs psychologiques. Il pensait que l’on pouvait étudier le caractère humain via l’observation et l’expérimentation. À cette fin, il suggéra des stratégies qui pourraient être standardisées et comparées en utilisant des procédures normatives. Précurseur, il émit l’idée que des questionnaires pourraient être développés pour mesurer les traits mentaux, bien qu’il n’en conçût pas de spécifique à cet effet7.

Premier à porter le titre de professeur de psychologie aux États-Unis (1888, Université de Pennsylvanie), James McKeen Cattell (1860-1944) dirigea aussi, de 1894 à 1944, le célèbre périodique Science. Il est le créateur d’un répertoire, régulièrement mis à jour de 1906 à 1944, des scientifiques américains, distinguant les 1000 meilleurs – ce qui aboutit à l’établissement du tout premier palmarès des universités, concept toujours d’actualité.

Adhérant d’abord aux thèses de Galton, il vira, en 1906, vers des « thèses environnementalistes » impliquant les deux facteurs de l’hérédité et de l’environnement – Galton, en effet, sous-estimait l’importance du milieu. Il dira : « Ce qu’un homme peut faire est décidé à sa naissance ; ce qu’il fera réellement dépend de ce qui se présente à lui. »7

Opposé à l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, il fut démis de ses fonctions de l’Université de Columbia.

8Suivant les idées de Galton, James McKeen Cattell initia des procédures contrôlées pour appréhender les processus mentaux et qui pourraient être utiles pour le diagnostic des maladies nerveuses et des états de conscience anormaux. Il s’agissait essentiellement de mesures physiques, mais l’attention à l’observation pointue et à la quantification fournit une base scientifique pour l’étude objective des caractéristiques humaines. Il forgea, en outre, l’expression « tests mentaux ».9

3. Polybe : le retour

Ernst Kretschmer (1888-1964), psychiatre allemand ayant obtenu son doctorat à l’Université de Tübingen, a aussi tenté, dans la continuité de Polybe de Cos, d’établir des liens entre la morphologie corporelle et le type de personnalité. Pour Kretschmer, il existait une différence graduelle entre les troubles mentaux et la normalité. En 1925, il proposa une théorie des différences individuelles basée sur la morphologie.

Ainsi parvint-il à quatre grands types de personnalité (bien qu’il reconnaisse l’existence d’une myriade de formes intermédiaires), comme l’expose le tableau suivant :

Kretschmer pensait que la psychopathologie possédait une base biochimique dans les sécrétions hormonales. Pour lui, la personnalité « normale » pouvait être expliquée selon les mêmes principes que le dysfonctionnement mental, les différences étant simplement une question de quantité plutôt que de qualité.10

Fig. 2. Ernst Kretschmer

Pour mémoire, on lui doit notamment le syndrome psychiatrique qui porte son nom – délire de relation des sensitifs de Kretschmer (1919) – et, en 1921, le terme schizoïdie (employé soit comme un synonyme de schizothymie, soit concernant des états qui se situent davantage sur la voie de la psychose).

Signalons aussi cet autre héritier « hippocratique » que fut le psychologue américain William Herbert Sheldon (1898-1977) avec sa taxonomie des « somatotypes » et sa théorie de la « psychologie constitutionnelle ». Les descriptions de Sheldon étaient fort semblables à celles de Kretschmer, mais elles se basaient sur des individus « normaux » plutôt que sur la personnalité et les caractéristiques physiques de malades mentaux11. Il procéda en prenant des mesures minutieuses à partir de milliers de photos d’étudiants nus12 (niveau baccalauréat) appartenant à la Ivy League13 afin d’établir des liens entre la constitution physique et des caractéristiques de personnalité (comportement, l’intelligence, valeur morale, accomplissement futur, etc.).

Les appellations des somatotypes découlent des feuillets embryonnaires qui constitueront les organes : l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme.

Sheldon a utilisé une échelle de 1 à 7 pour chacun des somatotypes afin de tenter de classer la variété de types de corps (exemple : le code 1-7-1 correspondait au mésomorphe pur).

La thèse originale de Sheldon a été qualifiée de frauduleuse, car il aurait sciemment refusé de tenir compte du changement de la forme du corps avec l’âge en falsifiant les données présentes dans le livre. Toujours est-il que, malgré les nombreuses critiques, la taxonomie de Sheldon est toujours utilisée sous la forme remaniée du Heath-Carter Anthropometric Somatotype.

Avant d’envisager les ascendants plus directs du MMPI, soulignons la première utilisation formelle d’un questionnaire pour étudier les qualités personnelles impliquant l’utilisation d’une échelle structurée d’évaluation dans le but d’examiner le caractère humain14. Il s’agit du travail de Heymans et Wiersma, qui est abordé dans le point suivant.

4. La classification de Groningue

On repère également, en ombre portée, les thèses hippocratiques dans la caractérologie de Heymans et Wiersma.

Comme le précise René Le Senne15, dont le Traité de caractérologie fut le vecteur en langue française de la classification de Groningue, la notion de caractère doit ici être appréhendée comme « l’ensemble des dispositions congénitales qui forme le squelette mental d’un homme »16. La personnalité, quant à elle, comprend le caractère et tous les éléments acquis au cours de la vie qui ont influencé ce caractère. La personnalité est « la totalité concrète du moi, dont le caractère n’est que la forme fondamentale et invariable. »17

Le développement de cette typologie est l’œuvre de deux professeurs de l’Université de Groningue : le psychologue Gérard Heymans18, qui, d’après Le Senne19, a eu la plus grande part dans ce travail, et le psychiatre Enno Wiersma20.

Peu avant 1910, ces chercheurs recueillirent leurs documents via deux enquêtes, l’une biographique (Heymans) et l’autre statistique (Heymans & Wiersma).

La première repose sur le relevé, dans des biographies, de traits renseignant sur le caractère de 110 personnes (de nationalités et de professions diverses, des deux sexes, soit des personnages historiques, soit des criminels)21.

Afin de collecter les données pour l’investigation statistique, les deux auteurs envoyèrent un questionnaire de 90 questions22 à 3000 médecins néerlandais et allemands. Il était demandé à ces praticiens d’observer une famille, parents et enfants, et de répondre à leur propos, par oui ou par non, à chaque item. Bien que l’objectif initial visait l’hérédité psychologique, Heymans utilisa les réponses pour son entreprise de classification des caractères.

Ils obtinrent 2523 fiches individuelles qu’ils répartirent en huit catégories, en fonction des réponses aux questions liées aux propriétés constitutives.

Les propriétés constitutives sont au nombre de trois : l’Émotivité, l’Activité et le Retentissement des représentations. Ces propriétés forment par leurs relations une forme stable, non acquise, noyau des potentialités personnelles ; chaque configuration ayant sa loi d’évolution avec l’âge23.

Notons que chaque personne possède un certain degré de ces propriétés, ainsi l’appellation « non-émotif » signifie « moins émotif que la moyenne » et « émotif », « plus émotif que la moyenne ». Le même principe est applicable à l’activité.

Le Retentissement est soit « primaire », c’est-à-dire à réactions immédiates et passagères, ou « secondaire », c’est-à-dire à réactions différées et durables24. La fonction primaire est celle de l’immédiateté de l’effet d’une représentation mentale, alors que la secondaire fait référence à la persistance de l’expérience, à son retentissement ultérieur. Ainsi, pour Heymans, la fonction secondaire est « l’action que les éléments du contenu psychologique continuent d’exercer après avoir disparu de la conscience claire.25 » Ceci fait dire à Le Senne : « Chez le primaire, le présent est pour le présent ; chez le secondaire, pour l’avenir, ce qui fait que l’avenir sera sous la dépendance du passé. »26

Fig. 3. Gerardus Heymans

Afin de mettre en évidence l’opposition de ces deux facteurs, Wiersma a réalisé des expériences, présentées comme concluantes, dans le domaine de la psychophysiologie (plus précisément sur les sensations : cutanée, électrique, de lumière, de couleurs), en mesurant les réactions de patients mélancoliques (prédominance supposée de la fonction secondaire, car présence de ruminations et d’idées fixes), maniaques (prééminence de la fonction primaire vu leur agitation fréquemment dépendante des actions extérieures) et des individus « normaux ».

Les résultats seraient en outre applicables, avec des variations plus étroites, aux personnes normales.27

En combinant ces trois propriétés constitutives, on parvient à 8 configurations28 :

La typologie de Heymans et Wiersma peut être représentée au moyen d’un cube :

Malgré leurs nuances et le raffinement apporté, ces classifications, dites « catégorielles », tentent de diviser en classes discontinues des objets ou des phénomènes souvent continus. Si l’avantage est d’aboutir à des descriptions assez caricaturales, mais reconnaissables, de types humains, elles ont l’inconvénient de gommer la variété de ces derniers29.

En tant que systèmes d’investigation morphopsychologiques, les typologies se sont révélées extrêmement peu fiables et le déterminisme organiciste de la personnalité présupposé n’a, par ailleurs, pas pu être prouvé.

2. Butcher, J.N. (2010), p. 2.

3. On peut supposer que le fait de boire l’eau à l’aide de la main permettait de rester sur ses gardes, attentif à ce qui se passait alentour.

4. La partie sur l’apport de Soranus au domaine de la maladie mentale a été traduite et adaptée à partir de http://eitmentalhealth.blogspot.be/2011/10/soranus-of-ephesus.html, consulté le 13/09/2017.

5. Ce mouvement a été initié par le médecin viennois Franz Joseph Gall (1758-1828) et son élève Johann Gaspar Spurzheim (1776-1832).

6. Butcher, J.N. (2010), p. 3.

7. Traduit à partir de Butcher, J.N. (2010), p. 4.

8. Godin, B. (2006), p. 56.

9. Traduit à partir de Butcher, J.N. (2010), p. 4.

10. Brunas-Wagstaff, J. (1998), pp. 19-20.

11. Ibid., p. 20.

12. Par ailleurs, l’utilisation de ces photos, obtenues sans le consentement explicite des sujets, fut jugée scandaleuse et perverse.

13. Symbole d’excellence, l’Ivy League regroupe 8 universités privées du nord-est des États-Unis : Brown, Columbia, Cornell, Dartmouth, Harvard, Pennsylvanie, Princeton et Yale.

14. Butcher, J.N. (2010), p. 4.

15. Ernest René Le Senne (1882-1954), philosophe français.

16. Le Senne, R. (1945), p. 16.

17. Ibid., p. 17.

18. Gerardus Heymans (Heijmans) (1857-1930), philosophe et psychologue néerlandais.

19. Le Senne, R. (1945), p. 44.

20. Enno Dirk Wiersma (1858-1940), médecin et professeur néerlandais.

21. Le Senne, R. (1945), p. 45.

22. Le questionnaire en français est disponible ibid., pp. 467-474.

23. Muchielli, R. (1994), p. 28.

24. Ibid.

25. Le Senne, R. (1945), p. 69.

26. Ibid., pp. 70-71.

27. Ibid., pp. 71-72.

28. D’après Muchielli, R. (1994), pp. 28-30.

29. D’après Lelord, F. & André C. (2000), p. 13.

Chapitre 2

Le patrimoine génétique du MMPI

Le MMPI n’est pas apparu du néant. Il est redevable à des instruments qui ont ponctué la recherche en psychologie de la personnalité et ont, d’une manière ou d’une autre, influencé Hathaway dans la conception de son inventaire. Il a, en quelque sorte, un « patrimoine génétique ».

1. Robert S. Woodworth et le Woodworth Personal Data Sheet

Robert Sessions Woodworth (1869-1962) était élève de William James30. Il accepta un poste de chercheur offert par James McKeen Cattell à la Columbia University, établissement où il décrocha son doctorat (1899) sous l’égide de ce dernier.

En ces temps où le fonctionnalisme bataillait contre le structuralisme et le behaviorisme était en train de naître, son approche de la recherche psychologique peut être qualifiée d’éclectique, avec une préférence pour les données objectives tout en n’étant pas opposée à l’obtention de matériel par voie d’introspection – si cela aidait à comprendre ce que fait l’organisme en relation avec son environnement.

C’est à lui que l’on doit la formule « Stimulus-Organism-Response » (S-O-R). D’autre part, Woodworth fut le premier à utiliser les termes « variable indépendante » et « variable dépendante ».

1.1. Troubles de guerre

Durant la Première Guerre mondiale, les commandants militaires américains alertèrent le pays d’un nouveau type de problème : les horreurs d’une guerre d’un genre inédit – avec ses explosifs puissants, ses gaz empoisonnés, ses combats de tranchée – détruisaient non seulement le corps, mais aussi l’esprit des soldats : perte des sens, de la mémoire, de la parole, certains oubliant même comment marcher ou présentant un changement complet de personnalité, qui s’avérait parfois diamétralement opposée à celle de départ31.

L’association de troubles psychiques et physiques accablant certains soldats de la Première Guerre mondiale est appelée obusite (traumatophobie, névrose de guerre ou shell shock en anglais). Ceux qui en sont victimes sont appelés « pithiatiques », et leurs troubles fonctionnels apparus sans cause organique seraient traitables par suggestion32. Pour les médecins, la suspicion de simulation est également grande. On parlerait aujourd’hui de syndrome de stress post-traumatique. Les manifestations symptomatiques sont nombreuses, variées, parfois curieuses et d’allure spectaculaire, ce qui déroute les praticiens. Mutisme, surdité, cécité, abasie, plicatures du tronc (camptocormie), météorite abdominale (catiémophrénose), tremblement, contractions, chorée rythmique, psychose des barbelés33 (dysmnésie, baisse de la concentration, insomnie, émoussement des émotions, apathie mentale, irritabilité), etc.

Ces patients sont doublement punis puisque l’origine douteuse de leurs symptômes les voit soumis à un dépistage de simulation (par anesthésie au chloroforme – ce qui annihile provisoirement les contractures chez certains) et/ou à des traitements suspects et inefficaces à moyen terme.

Comme solutions thérapeutiques, citons les carcans redresseurs pour les plicaturés ou le « traitement faradique ou torpillage électrique » pour les pithiatiques.

C’est à Clovis Julien Désiré Vincent (1879-1947)34, neurologue et neurochirurgien français, que l’on doit le « torpillage ». Des décharges électriques de 60 à 100 milliampères35 étaient infligées aux soldats.

Enfermement, isolement, conseil de guerre et retour au front étaient plus plausibles que l’espoir d’être pensionné ou réformé.

C’est dans ce contexte que Robert Woodworth créa le Personal Data Sheet pour repérer les recrues vulnérables36 avant leur envoi sur le champ de bataille.

Considéré comme le premier inventaire de personnalité, le Personal Data Sheet (pour ceux qui le passaient) ou Psychoneurotic Inventory (pour ceux qui l’administraient), malgré des essais encourageants, ne fut pas utilisé à grande échelle, la paix étant revenue. La version civile eut, elle, une utilisation plus large37.

Quoi qu’il en soit, cela donna une impulsion pour le développement de nombreux autres tests de personnalité.

1.2. Woodworth Personal Data Sheet

C’est avec Poffenberger38 que Woodworth développa cet inventaire39.

Fig. 4. Robert Sessions Woodworth

Partant de la collecte des symptômes précoces de tendance névrotique repérés par les neurologues et les psychiatres dans les histoires de cas de sujets névrotiques40, l’ensemble des questions, une fois réduit après un passage par le filtre d’un groupe de personnes réputées normales, fut présenté à un grand échantillon de militaires et à un, plus réduit, de personnes diagnostiquées comme « anormales ». Un programme préliminaire de dépistage des recrues fut alors lancé, les personnes obtenant des scores élevés étant redirigées vers un psychiatre pour une évaluation plus approfondie41. Cependant, les tentatives pour pondérer les items en fonction de leur pouvoir discriminant s’avérèrent un échec et furent abandonnées. Le contenu des items portait sur les symptômes somatiques, les antécédents médicaux et familiaux et l’adaptation sociale. Dans sa forme finale, l’inventaire était constitué de 116 questions à choix de réponse « vrai » ou « faux ».

Exemples d’items :

– Faites-vous trop de rêves sexuels ?

– Étiez-vous heureux entre 14 et 18 ans ?

– Votre famille vous a-t-elle toujours bien traité ?

– Les gens vous critiquent-ils plus que vous ne le méritez ?

– Avez-vous déjà fait l’amour à une fille ?

– Pensez-vous que l’alcool vous a fait du mal ?

– Avez-vous déjà pensé que vous aviez perdu votre virilité ?

– Avez-vous déjà eu un grand choc mental ?

– Avez-vous déjà eu une vision ?

– Avez-vous déjà eu l’impression que quelqu’un vous hypnotisait et vous faisait agir contre votre volonté ?

– Avez-vous déjà été dérangé par le sentiment que les gens lisaient vos pensées ?

– Êtes-vous préoccupé par la crainte d’être écrasé dans une foule ?

– Avez-vous de la difficulté à uriner en présence d’autres personnes ?

– Pouvez-vous supporter la douleur avec calme ?

– Pouvez-vous supporter des odeurs dégoûtantes ?

Aucune méthode empirique systématique ou perspective théorique n’avait été utilisée pour sélectionner les questions à inclure dans le test : elles avaient été choisies parce que les auteurs pensaient qu’elles évaluaient une instabilité mentale. Ils éliminèrent quelques questions qui ne différenciaient pas les individus normaux d’un petit groupe de schizophrènes, d’épileptiques, de personnalités psychopathiques, etc.42

Les items avaient donc été choisis sur des bases rationnelles. De plus, la volonté du participant de répondre honnêtement et précisément pour effectuer sa propre description n’était pas toujours vérifiée : l’auto-illusion (déni, rationalisation) et des facteurs de désirabilité sociale peuvent influer sur les réponses de la personne. Enfin, les futurs soldats qui craignaient le combat ou d’autres qui se considéraient comme ayant besoin d’une évaluation étaient enclins à faire part de vulnérabilités. Bref, les items étaient trop évidents dans leur intention de détecter le névrosisme43.

La plupart des tests qui suivirent consistèrent en des révisions ou des adaptations de cet inventaire – par exemple, le Thurstone Personality Schedule. Même le Symptom Checklist-90-Revised (SCL-90-R) possède des items que l’on peut faire remonter à ce test.

Pour ce qui est des MMPI-A, soulignons qu’en 1924, Woodworth publia, avec Mathews, une version comportant 75 items du Personal Data Sheet pour étudier les problèmes spécifiques des enfants et des adolescents. Pour ce faire, ils adaptèrent le contexte pour certains des items et abandonnèrent notamment ceux traitant de sexualité, d’alcool et d’usage de drogue44.

1.3. Army Alpha et Beta

Signalons qu’à la même époque apparurent les Army Alpha et Beta, afin d’évaluer cette fois les recrues de manière systématique au plan intellectuel et émotionnel.

Fig. 5. Robert Mearns Yerkes

En 1917, l’entrée en guerre des États-Unis permit aux psychologues de développer le test de masse, l’objectif étant la gestion de grands agrégats sociaux.

Robert Mearns Yerkes (1876-1956) était un psychologue, éthologue, eugéniste et primatologue américain. Il fut un pionnier dans l’étude de l’intelligence, non seulement chez les humains, mais aussi chez les primates. Il défricha également le comportement social chez les gorilles et les chimpanzés. Président de l’American Psychological Association, il parvint à convaincre le Département de la guerre de créer une division de psychologie afin de tester l’intelligence des recrues, avec l’objectif de leur attribuer les postes adéquats. Pour construire son outil, Yerkes fut aidé par six autres « pointures » de la psychologie américaine W.V. Bingham, Henry H. Goddard, T.H. Haines, Lewis Terman, G.M. Whipple et F.L. Wells.

Après quelques versions pilotes, deux tests virent le jour : l’Army Alpha et l’Army Beta. Le premier était destiné aux recrues éduquées et le second aux illettrés ou non-anglophones. Ces tests devinrent les prototypes de nombreux tests collectifs ultérieurs.

2. Edward Strong et le Strong Vocational Interest Inventory for Men (SVIB)

Après avoir obtenu un diplôme en biologie de la University of California en 1906, Edward Kellog Strong Jr. (1884-1963) travailla trois ans dans le Service Forestier des États-Unis (United States Forestry Service) avant de prendre la décision d’entreprendre un doctorat à la Columbia University. Là-bas, il travailla avec James McKeen Cattell et dans le laboratoire de Harry Hollingworth45. Il débuta sa carrière professionnelle dans une agence de publicité, prolongement logique de sa thèse sur le sujet, avant de se consacrer à l’enseignement. En 1917, il rejoignit l’armée au sein de laquelle il œuvra dans la sélection du personnel, tâchant de faire correspondre les individus avec les postes en fonction de leurs intérêts et aptitudes. Il utilisa les Army Alpha et Beta, instruisant le personnel militaire à leur utilisation. Après son service militaire, Strong fut brièvement chercheur au Carnegie Institute of Technology, où il commença à étudier les théories relatives aux professions et les principes de la psychologie industrielle/organisationnelle. À partir de 1923, il intégra définitivement la Stanford University.

2.1. Strong Vocational Interest Inventory for Men (SVIB)

Pour ce qui concerne l’élaboration méthodologique du MMPI, les antécédents scientifiques remontent en effet à E.K. Strong dont le Vocational Interest Blank a été construit par analyse d’items à l’aveugle et empirique d’un pool hétérogène de préférences et d’aversions pour les activités, occupations, types de personnes, etc. Une sélection d’items pour les « clés » professionnelles basées sur une capacité stable d’item à discriminer entre des hommes qui ont eu du succès dans une profession et les « hommes en général » (par exemple : aimer les personnes avec une large mâchoire vous accorde un point sur la « clé » vendeur d’assurances) a été établie. Hathaway était impressionné par la validité du SVIB construit de cette façon, impression renforcée par son propre scepticisme concernant la théorie psychologique46.

Fig. 6. Edward Kellog Strong Jr.

Les premiers travaux effectués sur un inventaire d’intérêts standardisé selon la forme qui a été la plus largement utilisée ont débuté au Carnegie Institute of Technology en 1919. Ils étaient caractérisés par l’accent mis sur la construction selon une technique de standardisation statistiquement évaluée et une méthode de notation objectivement vérifiable. Nombre des inventaires furent construits à partir des plus ou moins mille items collectés auprès des étudiants des séminaires de Clarence S. Yoakum47 durant les années 1919-192048.

L’idée originale de Strong, par rapport à ses prédécesseurs, fut d’utiliser un groupe de référence dénommé « men in general », afin de différencier chaque groupe professionnel par comparaison49. Il développa ainsi une série d’échelles qui contrastaient des groupes de personnes en fonction de leurs réponses.

Le Strong Vocational Interest Inventory for Men (SVIB) est l’aïeul de tous les inventaires d’intérêts professionnels. Il fut donc développé par E. K. Strong et publié en 1927. Une forme séparée pour les femmes apparut en 1933. Les deux formes furent révisées deux fois. En 1974, elles furent fusionnées en une : le SVIB devint le Strong-Campbell50 Interest Inventory (SCII) et fut l’objet de révisions approfondies au cours des années (incluant le développement d’échelles occupationnelles reliées traditionnellement à l’autre sexe : par exemple, une échelle de soins infirmiers pour les hommes et des échelles pour les charpentiers et les électriciens pour les femmes). Le SCII intègre aussi la typologie de Holland. Le nom donné à l’inventaire a évolué, devenant le Strong Interest Inventory (SII) ou, pour faire plus court, Strong.

John Lewis Holland (1919-2008), psychologue américain, a obtenu son doctorat à l’Université du Minnesota en 1952 avec une thèse portant sur la possibilité de prédire la manière dont le public évaluera le travail d’un artiste sur base des scores obtenus par cet artiste au MMPI51. Pour créer sa théorie du choix professionnel, Holland est parti du principe que les préférences professionnelles étaient une expression voilée du caractère sous-jacent de la personne. Pour lui, le choix d’un métier est l’expression d’une personnalité. Il mit au point le modèle RIASEC (Réaliste [R], Investigateur [I], Artistique [A], Social [S], Entreprenant [E] et Conventionnel [C]).

Le Strong Interest Inventory est utilisé pour l’orientation professionnelle. Il donne un aperçu des intérêts de la personne pour l’aider à choisir une voie professionnelle appropriée. Il est également utilisé en orientation scolaire.

Une échelle introversion-extroversion fut ajoutée. Elle est plus particulièrement citée ici parce qu’elle fut empiriquement construite en utilisant deux échantillons contrastés pour sélectionner les items, les sujets de ces échantillons ayant été identifiés en fonction de leurs scores obtenus à l’échelle d’Introversion Sociale du MMPI52.

Signalons enfin 3 indices présents dans le Strong Inventory53 :

• Le total response index: indiquant le nombre d’items auxquels le sujet a répondu.

• Le infrequent response index : servant à débusquer les sujets qui n’auraient pas bien saisi les consignes ou ceux qui tenteraient de saboter l’évaluation.

• Les response percentage indexes : indiquant les pourcentages de réponses « like », « indifferent » ou « dislike » afin de repérer les dérives vers l’un ou l’autre choix.

3. Robert Bernreuter et le Bernreuter Personality Inventory

Robert Gibbon Bernreuter (1901-1995), psychologue américain, obtint son doctorat de la Stanford University en 1931, avec une thèse consacrée à l’inventaire qui porte son nom, qui est considéré comme le premier test multiphasique de personnalité et une des premières mesures scientifiques de la personnalité.

Il intégra le Pennsylvania State College en 1931 pour y établir une clinique de psychoéducation et y donner des cours à horaire décalé ainsi que par correspondance, tout en raffinant son inventaire de personnalité. Il eut également une fructueuse carrière administrative académique. Il prit sa retraite en 1966.

Fig. 7. Robert Gibbon Bernreuter

3.1. Bernreuter Personality Inventory

Le Bernreuter Personality Inventory fait partie de ces inventaires qui initièrent la tendance, dans le champ des inventaires d’auto-évaluation, à évaluer des dimensions ou des composants multiples plutôt qu’une seule dimension (comme la stabilité mentale ou l’adaptation par exemple). Comme d’autres inventaires de cette époque, le Bernreuter Personality Inventory était construit sur une base logique plutôt qu’empirique. Cela signifiait que le développeur du test décidait d’inclure des questions sur une échelle particulière qui, selon l’expérience clinique, était supposée mesurer un trait ou une structure spécifique. Il déterminait aussi sur une base logique la direction de la notation pour chaque question particulière. Par exemple, si le concepteur du test pensait que répondre « oui » à la question « Rêvassez-vous beaucoup ? » indiquait du névrosisme, alors la question était ajoutée à l’échelle de névrosisme avec « oui » comme réponse « déviante ». Le nombre total de ces réponses « déviantes » – c’est-à-dire les réponses que le développeur sentait concerner le trait ou la structure évaluée – devenait le score à cette échelle54.

Pour créer son inventaire, Bernreuter combina des items du Personality Schedule (Thurstone & Thurstone55), du Colgate Mental Hygiene Inventory (Form C56) (Laird57), de l’Ascendance-Submission Reaction Study (Allport & Allport58) et de sa Self-Sufficiency Scale59.

Le questionnaire comportait 125 questions à réponse « oui » ou « non » qui produisaient initialement quatre scores : Neurotic tendency (tendance névrotique), Self-sufficiency (autonomie), Introversion-extraversion (introversion-extraversion) et Dominance-submission (dominance-soumission), les items étant choisis sur une base logique.

Des critiques sont apparues concernant cet outil, notamment par rapport à l’échelle de névrosisme. En effet, cette échelle, en plus d’identifier correctement certains névrosés, classait erronément plusieurs groupes de patients psychotiques comme étant névrosés. De plus, certaines réponses « déviantes » aux questions, déterminées sur une base logique par Bernreuter, étaient endossées autant, voire plus fréquemment, par d’autres groupes (sujets « normaux » ou psychotiques)60. Le test était en outre incapable de différencier des types extrêmes de personnes mentalement anormales des normales61.

Malheureusement, ces échelles étaient fortement intercorrélées (par exemple, les échelles de tendance névrotique et d’introversion-extraversion corrélaient à .96)62, d’ailleurs l’analyse factorielle réalisée par Flanagan63 (1935) aboutit à seulement deux catégories avec une indépendance et une cohérence suffisantes64 : les échelles Self-confidence (confiance en soi) et Sociability (sociabilité). À l’époque, la demande populaire pour des inventaires multi-échelles était telle que Bernreuter choisit d’inclure les six échelles dans la révision de 193865.

3.2. Le Personality Schedule

Louis Leon Thurstone (1887-1955) était un psychologue et psychométricien américain d’origine suédoise. Ingénieur de formation66(il a suivi un cycle d’ingénieur civil et ensuite d’ingénieur électricien et mécanicien), il est amené à travailler dans le laboratoire de Thomas Edison et enseignera la géométrie et le dessin technique à l’université du Minnesota. Il a suivi une formation en psychologie et psychophysique et a obtenu le titre de docteur à l’Université de Chicago en 1917. Sa renommée est liée à ses travaux sur l’analyse factorielle multidimensionnelle, la loi du jugement comparatif et la fondation de Psychometrika et de la Société de Psychométrie67.

En ce qui concerne plus spécifiquement l’étude de la personnalité, Thurstone et son épouse, Thelma Gwinn Thurstone (1897-1993), ont développé un plan de personnalité, le « Personality Schedule », calqué sur le questionnaire de Woodworth.

Les questionnaires dont les items ont été pré-sélectionnés par une procédure expérimentale peuvent être désignés comme des instruments de mesure « validés ». Ces épreuves sont généralement plus fiables que les listes assemblées plus subjectivement.

Fig. 8. Louis Leon et Thelma Gwinn Thurstone

Le Personality Schedule de Thurstone (1930) constitue un des exemples de questionnaire validé par une méthode empirique. L’objectif de ce test est donc identique à celui de Woodworth, c’est-à-dire découvrir une tendance névrotique ou une instabilité générale. À partir de listes, les auteurs ont compilé 600 questions dont le nombre fut réduit à 278 par élimination des doublons. Ces questions furent administrées à 694 étudiants de première année de l’Université de Chicago68. Les 50 étudiants atteignant les scores les plus hauts (les plus mauvais scores) et les 50 produisant les scores les plus bas furent séparés. En supposant que le test brut d’origine rencontrait, dans son ensemble, une validité considérable, ces groupes pouvaient être étiquetés les « inadaptés » et les « bien adaptés ». Les items furent alors évalués en comparant les réponses données par ces deux groupes. La question la plus significative se révéla être « Vous sentez-vous souvent simplement misérable ? », à laquelle la réponse « oui » fut donnée par 80 % des « inadaptés » et par aucun des « adaptés ». En revanche, de nombreux items, par exemple « Avez-vous déjà eu l’habitude de vous ronger les ongles ? » n’apportèrent aucune signification, les deux groupes y répondant pratiquement de manière identique. Au total, 55 items furent ainsi éliminés, laissant 223 questions révélant une valeur discriminante comme contenu de la forme définitive.

Cette méthode de sélection d’items fait référence à la notion de cohérence interne69, les questions retenues étant celles qui satisfont le plus le test dans son ensemble.

4. Bell Adjustment Inventory

Avec cet inventaire, publié en 1934, Hugh Bell70 a essayé de mesurer quatre aspects séparés d’adaptation personnelle et sociale. Le but était de différencier les individus bien adaptés des mal adaptés.

Le questionnaire comportait 140 items (160 pour l’Adult Form) et quatre scores séparés étaient obtenus, plus un score total.

Les quatre catégories sont les suivantes :

– Home adaptation: un score élevé caractérise une adaptation insatisfaisante dans le cadre du foyer. Un score bas révèle une adaptation satisfaisante.

– Health adaptation : un score élevé caractérise une adaptation insatisfaisante pour ce qui est de la santé. Un score bas révèle une adaptation satisfaisante.

– Social adaptation : un score élevé décrit une personne soumise et retirée. Un score bas, un individu agressif dans le contexte social.

– Emotional adaptation : un score élevé décrit une personne qui a tendance à être émotionnellement instable. Un score bas, un individu qui a tendance à être stable émotionnellement.

Chaque question pouvait être répondue par « Vrai », « Faux » ou «  ? ». Notons que, dans les consignes, Bell incitait les sujets à éviter, si possible, les points d’interrogation.

Exemple de questions :

– Êtes-vous heureux et satisfait dans votre environnement familial actuel ? (35a/Adult Form)

– Avez-vous souvent des nausées ou des vomissements ou de la diarrhée ? (73b/Adult Form)

– Vous est-il difficile d’entamer une conversation avec une personne à laquelle vous venez juste d’être présenté ? (107c/Adult Form)

– Vous considérez-vous plutôt comme une personne nerveuse ? (82d) Adult form)

5. Aaron J. Rosanoff et le Humm-Wadsworth Temperament Scale

Aaron Joshua Rosanoff71 (1878-1943) était un psychiatre russo-américain. Diplômé de la Cornell University (1900), il travailla au Centre Psychiatrique de Kings Park puis à Los Angeles. Il était étroitement lié au mouvement eugéniste. En 1905, il a traduit le Manuel de Psychiatrie72 de Joseph Rogues de Fursac73.

Le nom de Rosanoff est aussi lié au Kent-Rosanoff Free Association Test (1910)74, une mesure pour étudier l’association de mots chez les patients psychiatriques. Cent mots, adjectifs ou verbes émotionnellement neutres, étaient proposés, imprimés sur des feuilles de papier avec un espace vide adjacent à chaque mot pour la réponse. Le sujet devait répondre à chaque mot avec le premier mot différent qui lui venait à l’esprit. Cet instrument de dépistage psychiatrique avait une cotation et des normes objectives, et des tables de fréquence établies d’après un groupe normatif de mille individus étaient disponibles.

Bien que crédité comme coauteur de la monographie, il semble que Rosanoff ait peu contribué à l’étude réelle. Cette dernière est due à Grace Kent75 qui l’élabora au King Park State Hospital (New York).

Fig. 9. Aaron Joshua Rosanoff

Davantage en rapport avec notre propos, Rosanoff élabora une théorie de personnalité (1920) dans laquelle il conceptualisa le comportement anormal comme l’expression de manifestations incontrôlées des mêmes composantes de tempérament rencontrées chez les individus normaux. Pour lui, les différences de tempérament entre les individus affichant un comportement normal ou anormal étaient quantitatives plutôt que qualitatives76. Il supposait qu’il existait une sorte de composante de tempérament stabilisante ou « normalisante » qui agissait sur les traits pathogènes de la psyché, de la même façon que des facteurs génétiques protègent du développement d’une maladie génétique77.

Dans l’article consacré à sa théorie78, Rosanoff définit la personnalité comme désignant les capacités psychiques, traits et tendances innés des individus. Évoquant les névroses et psychoses constitutionnelles, il dégage quatre « types » clairement définis : les personnalités antisociale, cyclothymique, autistique et épileptique.

Il décrit ces types ainsi :

• La personnalité antisociale : vue comme la base constitutionnelle sous-tendant les manifestations hystériques, la simulation, le mensonge pathologique, l’escroquerie, etc.

• La personnalité cyclothymique : vue comme la base constitutionnelle sur laquelle se développe la psychose maniaco-dépressive.

• La personnalité autistique : vue comme la base constitutionnelle sur laquelle la dementia praecox (démence précoce) ou les psychoses schizophréniques se développent.

• La personnalité épileptique : moins bien définie en termes mentaux et n’ayant pas été nettement distinguée des personnalités dites normales.

• La personnalité « normale » contraste avec ces types de personnalité « anormale » seulement dans une faible mesure du point de vue qualitatif, et pour la majeure partie quantitativement.

Parmi les traits différenciant qualitativement la personnalité normale, Rosanoff cite le contrôle émotionnel, une durabilité supérieure de l’esprit, l’équilibre rationnel et la stabilité nerveuse.

Selon lui, les personnes normales ne sont pas dénuées de motivations égoïstes et autres impulsions antisociales, mais elles possèderaient la capacité à inhiber celles-ci et seraient également dotées d’un mécanisme de contrôle des émotions les protégeant de toute excessivité, afin d’empêcher toute interférence avec une activité stable et résolue.

Pour ce qui est des contrastes quantitatifs, qu’il s’agisse de la comparaison de types anormaux entre eux ou avec le type normal, il constate que toute démarcation nette est illusoire ; les types mixtes sont la règle, et les types purs, l’exception.

Pour Rosanoff, les divers types anormaux de personnalité, qu’il appelle les types de constitution neuropathique, ont en commun leur comportement transmis héréditairement, à l’instar de la récessivité mendélienne dans une constitution normale. Plutôt qu’un caractère mendélien unitaire à l’origine des manifestations neuropathiques, il s’agirait plus d’un degré d’inhibition de celles-ci – souhaitable pour les environnements sociaux – constitué d’un groupe homogène de ces unités mendéliennes. En conséquence, parler à cet égard d’une relation aussi simple que celle impliquée dans la conception dominance-récessivité est peut-être fallacieux. Il propose d’utiliser plutôt les termes d’épistatique et d’hypostatique79 suggérés par Bateson80 : certains facteurs héréditaires, tout en déterminant certaines manifestations cliniques, inhibent, en même temps, des manifestations d’autres facteurs qui sont aussi présents.

Rosanoff illustre également ses allégations à l’aide de différentes observations. Par exemple, les parents maniaco-dépressifs ont souvent des descendants schizophrènes ; cela suggérant une position épistatique pour les psychoses maniaco-dépressives par rapport aux psychoses schizophréniques dans l’échelle de dominance, tandis qu’elles occupent probablement une position hypostatique par rapport à la personnalité normale. Ou encore que l’épilepsie occupe une position hypostatique par rapport à la normalité, mais aussi au regard de diverses formes de psychoses.

Il précise aussi que, dans l’expérience clinique, on rencontre constamment des cas limites, transitoires, atypiques qui, du point de vue mendélien, peuvent être expliqués comme des exemples d’imperfection de dominance, ces conditions mixtes étant une combinaison de traits qui occupent très souvent des positions contiguës sur l’échelle de dominance. Ainsi, les évanouissements, les convulsions et autres manifestations épileptiques apparaissent beaucoup plus souvent dans les cas de démence précoce que dans les cas de psychose maniaco-dépressive. De même, les états de type catatonique sont plus communément rencontrés dans le décours de psychoses maniaco-dépressives que dans les cas de psychonévroses hystériques ou autres. Enfin, des phénomènes psychonévrotiques ou cyclothymiques rudimentaires sont plus souvent vus chez les individus normaux que des processus schizophréniques ou épileptiques.

5.1. Humm-Wadsworth Temperament Scale

Doncaster Humm81, diplômé de l’University of Southern California, a réalisé sa thèse sur l’héritabilité des troubles mentaux à l’aide de données d’archives provenant de frères et sœurs. Il a aussi travaillé cinq ans aux côtés de Rosanoff alors que celui-ci était Directeur des Institutions de l’État de Californie82.

Tandis que Humm faisait une présentation sur la psychologie à un groupe de responsables du personnel, en tant que psychologue attaché au système de la Los Angeles Public School, l’un des auditeurs, Guy Wadsworth Jr., un vice-président de la Southern Counties Gas Company of California, lui demanda de l’aider à développer un test pour dépister les potentiels problèmes de tempérament chez ses employés83. Wadsworth aurait aidé à collecter les ensembles de données qui furent utilisés pour développer le test. Bien que les managers étaient alors suspicieux et réticents à employer le testing, l’outil gagna en crédibilité auprès des responsables du personnel grâce aux efforts déployés par Wadsworth, homme d’affaires prospère œuvrant à la construction d’un test psychologique et lui accolant son nom. Il faut dire que les tests antérieurs (de Thurstone ou Bernreuter par exemple) avaient été développés par des psychologues plus préoccupés par les questions de mesure que par les préoccupations des entreprises. Avec l’appariement de Humm et Wadsworth, mesures et sens des affaires étaient rencontrés.

Le Humm-Wadsworth Temperament Scale (1934, 1935) fut le premier instrument construit pour l’application directe à l’industrie et ses créateurs formaient une combinaison idéale pour le développement et la commercialisation d’un test de personnalité adapté, non seulement à la recherche académique, mais également à la vente à l’industrie. Il convient d’ajouter que cet état de fait était particulièrement important pour Humm qui, contrairement à ses prédécesseurs, n’occupait pas de position académique lui fournissant une sécurité d’emploi, et dont la situation dépendait, dès lors, des ventes du Humm-Wadsworth et de sa consultation privée.

Les chercheurs commencèrent à utiliser le test parce que ses concepteurs appliquèrent une stratégie marketing féroce à destination de l’industrie et des organisations pour leur sélection de personnel84.

Basée sur la théorie de personnalité de Rosanoff, la Humm et Wadsworth Temperament Scale identifie sept traits de tempérament85 :

Les sept échelles furent développées par analyse d’items entre des groupes critères de patients psychiatriques et des sujets normaux qui avaient été jugés comme étant extrêmes quant à la composante86.

Les auteurs avaient rédigé un grand nombre de questions couvrant les traits constitutifs des sept composantes, mais se rendirent rapidement compte que leurs prévisions logiques à propos de la façon de répondre des individus n’étaient pas confirmées dans 75 % des cas !87

L’échelle consiste en 318 questions à la réponse « oui » ou « non ». Ces questions sont destinées à mettre en lumière les traits de tempérament du sujet. Les scores sont reportés sur une feuille de profil, ou psychographe, répertoriant sept composantes ou constellations de traits de tempérament88.

Bien que le test fut composé de 318 questions, des valeurs ne furent assignées qu’à +/- 50 % d’entre elles. En effet, Humm et Wadworth étaient réticents à retirer les questions qui n’avaient aucune valeur et n’étaient pas utilisées pour déterminer les scores totaux sur chaque composante parce qu’ils ne souhaitaient pas d’échelle sur laquelle toutes les questions étaient cotées89.

La distribution de ces scores totaux pour chaque composante était divisée en trois catégories : fort, limite et faible ; les catégories fort et faible furent de plus subdivisées en trois catégories additionnelles90.

La passation prenait entre 30 et 90 minutes et les questions étaient du type :

« Aimez-vous aller à des rendez-vous avec un inconnu (blind dates) ? »

« Pensez-vous que les policiers de la circulation ont la bonne attitude avec les automobilistes ? »

« Aimez-vous les héros de cinéma ? »

C’est au Humm-Wadsworth que l’on doit une innovation dans le domaine des inventaires autorapportés : la tentative d’évaluation de validité des réponses pour ce type d’administration spécifique. Auparavant, les concepteurs supposaient que les personnes livraient des réponses sincères, mais il apparaît clairement que cette hypothèse n’était pas confirmée91.

Humm et Wadsworth utilisèrent deux critères pour déterminer la validité : le nombre total de réponses « non » et le nombre de réponses ignorées. Le nombre total des réponses négatives étaient classées en trois catégories : acceptable, douteux et inacceptable. Si plus de 25 questions étaient passées, l’échelle n’était pas cotée92.

Le diagnostic de tempérament était basé sur la composante la plus élevée de la personne. Cependant, les auteurs notèrent que la plupart des gens présentaient d’autres composantes secondaires accentuées. Cette constatation est similaire à ce qui sera décrit plus tard avec le MMPI, pour lequel les individus ont généralement deux échelles cliniques élevées ou plus93.

Au début des années 50, des critiques émergèrent et l’inventaire finit par disparaître.

Parmi les innovations qui seront reprises pour le MMPI, on peut aussi retenir94 :

1. Les questions (items) étaient sélectionnées uniquement si elles faisaient réellement la distinction entre des groupes connus d’individus.

2. Les questions (items) pour un certain nombre de composantes différentes étaient combinées dans un seul inventaire.

3. Les questions (items) pour une composante de tempérament spécifique étaient additionnées pour donner un score total.

4. Les scores totaux sur chacune des composantes étaient approximativement égalisés de sorte que les différences parmi les individus puissent être examinées.

5. Les scores totaux étaient tracés sur un profil.

Enfin, Nichols signale que l’examen des items du Humm-Wadsworth montre une ressemblance remarquable avec au moins 27 % des 550 items du MMPI95.

Si les inventaires de personnalité basés sur une base empirique ont pris le pas sur ceux construits sur une base rationnelle, l’échec de ces derniers ne constitue pas une condamnation de la procédure générale. Certains outils, largement utilisés, continuèrent d’ailleurs, au moins partiellement, à être développés par cette méthode. Le MMPI a d’ailleurs adopté progressivement les échelles sur une base rationnelle lorsque Wiggins construisit 13 échelles de contenu96.

Jerry S. Wiggins97 (1931-2006) était un psychologue de la personnalité qui a contribué de façon considérable à la théorie et à l’évaluation de cette dernière, ainsi qu’à la psychologie clinique. Il a reçu son doctorat de psychologie clinique de l’Indiana University et a enseigné à la Stanford University, à la University of Illinois et à l’University of British Columbia.

C’est donc lui qui a développé les échelles de contenu originales pour le MMPI afin d’évaluer les dimensions substantielles des réponses des patients. Cette approche d’évaluation employait des critères psychométriques afin d’obtenir des échelles de « validité faciale » valides qui différaient et complétaient l’approche par groupes contrastés sous-tendant les interprétations configurationnelles des échelles cliniques du profil MMPI. Des échelles de Faible moral, Intérêts féminins, Fondamentalisme religieux, Problèmes familiaux, Hostilité manifeste, Conflits avec l’autorité, Symptômes organiques, Phobies, Hypomanie, Inadaptation sociale, Psychoticisme, Dépression et Mauvaise santé furent ainsi créées.

Wiggins voyait ces échelles de contenu comme une facette nécessaire de l’évaluation clinique reflétant la communication entre le patient et le psychologue.