L’hérésie de Dieu et la grâce du diable - Bruno Benattar - E-Book

L’hérésie de Dieu et la grâce du diable E-Book

Bruno Benattar

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Beschreibung

Moi, un Pisan Gibelin, je devais me rendre à Saint-Jean d’Acre sur le navire d’une étrange Capitaine, en évitant Génois et pirates barbaresques, délivrer la belle Dame Isolde, rejoindre une caravane, négocier avec les Mongols, attaquer la forteresse de Alamut, avec l’aide de l’envoûtante Salina, de ce mystérieux Clodagh et de quelques autres. Il faut parfois s’adapter à l’hérésie, s’allier avec les mahométans et même les païens pour parfois combattre les soldats du Christ. Les voies du Seigneur sont parfois très tortueuses quand elles ne sont pas impénétrables.


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Fortement influencé par les mouvements sociaux de Mai 1968, Bruno Benattar milite activement dans des mouvements pacifistes, non marxistes et non violents, tout en pratiquant les arts martiaux, encore aujourd’hui. Refusant de s’intégrer dans la vie professionnelle, il visite le monde et exerce les métiers de moniteur de voile et de plongée bouteille. Pendant de nombreuses années, il navigue sur son voilier. Pendant près de trente ans, il travaille comme consultant en droit social, après avoir repris des études de droit. Il publie plusieurs articles et ouvrages spécialisés dans le domaine du droit du travail.

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Seitenzahl: 400

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Bruno Benattar

L’hérésie de Dieu

et la grâce du Diable

Roman

© Lys Bleu Éditions – Bruno Benattar

ISBN : 979-10-422-0112-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Dessin de Arnaud Finance, dit Flam

Du même auteur

Déjà parus dans la série « Aventures »

Brandir la vague

(Le Lys Bleu Éditions) ;

Ouragan sur la mémoire

(Le Lys Bleu Éditions) ;

L’hérésie de Dieu et la grâce du Diable

(Le Lys Bleu Éditions).

Déjà parus dans la série « Invitations ciblées sur l’Isle »

Apéritif bleu marine

(Le Lys Bleu Éditions) ;

Banquet asiatique

(Le Lys Bleu Éditions) 

;

Festin celte

(Le Lys Bleu Éditions)

.

Assurance d’un bon repas

(Le Lys Bleu Éditions)

.

Déjà parus dans la série « Les chroniques de Pekigniane » :

Cecily : l’Hermabun, suivi du Guide du voyageur à Pekigniane

(Le Lys Bleu Éditions) ;

Guide du voyageur à Pekigniane et au Château-lumière (

Éditions BOD

) ;

Jézabel : La chute du Château-lumière (

ESA Éditions

) ;

Seth, le Bobun : Sur l’état de divinité et le militantisme syndical

(Le Lys Bleu Éditions).

Lidji, Celle qui a renoncé

(Le Lys Bleu Éditions) ;

Lilith, la Maudite

(Le Lys Bleu Éditions) ;

Angel, la Pervertie : Déchéance et splendeur d’une call-girl

(Le Lys Bleu Éditions) 

;

Asylie, la Cruelle : Pirate et Vampire

(Le Lys Bleu Éditions) ;

Bumberry, l’Archibun. : Le récit d’une sombre crapule qui se croyait sympathique

(Le Lys Bleu Éditions).

À paraître dans la série « Les chroniques de Pekigniane »

Lynn Carter : Les carnets secrets, d’une ethnologue, menant à la destruction du monde ;

L’ensemble de ces ouvrages est disponible, en format papier ou électronique, sur les sites des éditeurs

Le Lys Bleu

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, et des revendeurs tels que

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Et sur le groupe « 

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Consultez aussi le site de l’auteur : « https//pekigniane.com ».

Avertissement

Toute ressemblance avec des personnes, des événements ayant existé, existant ou qui existeront n’est que le résultat soit d’une malencontreuse coïncidence, soit de la prise inconsidérée de psah ou de toutes autres substances hallucinogènes licites ou prohibées, soit de leur propre délire sans aucun lien avec autre chose que leur dysfonctionnement mental. Cette impression de similitude peut aussi avoir été provoquée notamment, par des séjours emboîtés dans le temps clic, clac ou cloc, combinés ou non, et/ou avec l’usage excessif du fouitbong.

Nous nous excusons d’en avoir été le déclencheur, même pour sa partie infime, sans aucune relation avec leurs hallucinations. Nous leur préconisons de rompre tout contact avec des individus présentant les mêmes symptômes. Ils entretiendraient leurs délires monomaniaques pouvant déboucher sur une crise mortelle de fièvre afguide. Il conviendrait plutôt, d’effacer ce roman de leur mémoire.

À défaut, nous leur conseillons, en cas d’échec, et en dernier recours :

— De consulter un homme de loi qui les soulagera de leur argent et les découragera d’entreprendre toute action. À moins que ce dernier envisage de les dépouiller d’une somme, plus importante encore ;

— De consulter un psychiatre, un psychologue, ou toute autre personne de la partie qui les délestera d’une autre fortune, colossale cette fois, en leur faisant subir un traitement éprouvant, long et coûteux, dont l’efficacité resterait à prouver ;

— De suivre une cure de désintoxication et de ne plus jamais absorber quelque substance hallucinogène que ce soit.

En tout état de cause, nous sommes profondément désolés pour eux et leur souhaitons sincèrement un prompt rétablissement.

Avant-propos

Après une série d’héroïque-fantasy, deux romans d’aventures et plusieurs policiers, j’ai eu envie de changer de catégorie. Pourquoi ne pas nouer avec le roman historique et d’aventures épiques ? Je l’ai fait surtout pour mon frère Bertrand, aujourd’hui décédé. Il m’y avait incité. Je lui dédie d’ailleurs cet ouvrage.

J’ai choisi comme cadre de mon récit le XIIIe siècle, vers 1 255 sous le règne de Louis IX, qui deviendra Saint Louis. Le roi d’Angleterre à la suite de la révolte des Barons accepte de limiter son pouvoir en acceptant la Provision d’Oxford. Dans le Saint Empire Romain Germanique, la mort de Frédéric II annonce son déclin. En Italie, les guerres navales se succèdent entre Venise la Sérénissime, Gènes la Superbe et Pise. De son côté, l’Espagne continue la reconquête.

En Europe, Montségur est déjà tombé en 1 244. La prise du Château de Queribus en 1 255 sonnera définitivement le glas de l’existence des Parfaits. Il ne restera à l’Inquisition qu’à éradiquer les dernières traces de l’hérésie. Ce nettoyage s’effectuera partout en Europe, tant en Italie du Nord, dans la région des Dolomites que sur le territoire de l’Illyrie ou l’ancienne Yougoslavie. Le Pape préférera voir tomber cette dernière région aux mains des mahométans pour se débarrasser de cette hérésie.

Au Proche-Orient Jérusalem, tombé en 1 187, après le siège de Saladin, il ne reste aux croisés que Saint-Jean d’Acre. Malgré la dernière croisade en 1 270, de Saint Louis, la ville sera prise en 1291, mettant ainsi un terme à la présence chrétienne dans la région.

De son côté, le monde Musulman se lança à la conquête de l’Inde dès le VIIIe siècle. Les dynasties Mogholes reprendront le flambeau tout en échouant à conquérir l’Inde dravidienne du Sud. Le Mutazilisme avait introduit le rationalisme et le libre arbitre, tout en affirmant que le Coran n’est pas un texte figé. Il perd progressivement son influence avec l’arrivée des Seldjoukides. Dès le onzième siècle, il décline inexorablement jusqu’à disparaître quelques siècles plus tard au profit d’une doctrine plus fondamentaliste, celle des Nizarites. La forteresse de Alamut, repère du Vieux de la montagne et siège des haschischins, les Mongoles ne la tolèrent pas. Elle est rasée en 1 256.

À la fin de la dynastie Song, en Chine et plus généralement en Asie, le néo-confucianisme fait tache d’huile. Les femmes sont progressivement enfermées et désarmées. Le bouddhisme, allié au néo-confucianisme, se développe au détriment du Taoïsme et du Tantrisme. Une ère de puritanisme voit le jour. Les Mongols ont fait tomber les dynasties Song en Chine. Le Royaume Birman de Pagan sera avalé par ces envahisseurs en 1 287. Le roi Khmer Jayavarnam VIII évacue cette menace en acceptant de verser un lourd tribut. Rien n’arrête l’élan des hordes Mongoles. Elles s’attellent à conquérir le monde connu avec une brutalité inégalable. De la Pologne à la Chine, en passant notamment par la Russie, l’actuel Iran, l’Irak, la Corée, l’Asie du Sud-Est, l’Inde du Nord, rien ni personne ne leur résiste. Les villes qui se défendent sont rasées. Toute résistance ou rébellion fera l’objet de l’élévation de pyramides de têtes. Seul le Japon de la période Kamakura résistera à cette invasion grâce à son allié le Kamikaze ou le Vent Divin qui détruira la flotte ennemie en 1 268.

Inutile de parler ici de l’Afrique et des Amériques, car elles ne tiennent presque aucune place dans cette histoire quoique… J’ai découvert dans mes recherches, à ma grande stupéfaction, l’existence d’un grand nombre de Royaumes Juifs au Yémen et en Éthiopie.

Dans ce cadre historique, j’ai donc choisi l’époque de toutes les dissidences religieuses qui ont bouleversé l’histoire. Peu importe que ce soient celles des Parfaits, que nous appelons à tort Cathares, dans le monde chrétien, des mutazilites ou des ismaéliens Nizarites chez les musulmans ou du Néo-confucianisme en Asie. L’intégrisme religieux fera le lit du puritanisme.

Certains esprits chagrins s’interrogeront sur la présence de Samouraï et de Shinobi que nous appelons, aussi à tort Ninja, dans ce récit. Peu importe. J’y ai été encouragé par le roman, inspiré de la réalité historique, de Shûsaku Endo : L’extraordinaire voyage du samouraï Hasekura. Mandaté par le Shogun, son but consistait à établir des relations commerciales avec l’Occident chrétien. Il a d’ailleurs rencontré le Pape avant de retourner au Japon.

Des précisions s’imposent. Ne cherchez pas le château de Peyrac, il est le fruit de mon imagination. Il a été construit à partir des châteaux de Gruissan en bord de mer, non loin de Narbonne, de Èze pour sa situation sur un éperon rocheux et son village fortifié, de la ville de Taggia en Italie, ainsi que d’autres encore. Il en est de même de certains lieux, notamment du domaine de Monte-Fiori en Sicile.

En outre, je me suis refusé d’utiliser l’emploi de certaines langues étrangères en dehors de quelques prières.

Un détail : le dessin du blason du narrateur, Alessandro Della Tore existe vraiment. C’est celui de ma famille. Pisan ou Florentin, la polémique est ouverte entre nous. Je me suis permis ce clin d’œil dans un des dessins de mon ami Arnaud.

Certains lecteurs des chroniques de Pekigniane s’amuseront de voir apparaître Asylie avec son navire le Moritor. Comme dans le récit de Marco Polo, celui-ci est empreint d’un peu de mystères et de fantastique ambigu, sans que celui-ci intervienne vraiment dans l’histoire.

Malgré ses liens étroits avec la réalité historique, cette histoire imaginaire s’inscrit dans ce contexte trouble. Il ne s’agit que de mes égarements pour bâtir une anabase épique.

Rappelez-vous, comme me l’a affirmé quelqu’un, ceux qui écrivent des romans n’ont pas vécu.

Dessin de Arnaud Finance, dit Flam

Hérésie :

La foi fabrique l’hérésie inhérente à toute religion. Pour éradiquer définitivement l’hérésie, il suffit de supprimer la religion.

Max Hyme

Dieu :

Le seul mérite de Dieu, c’est de ne pas exister.

Max Hyme

Grâce :

La Grâce consiste à prendre conscience de ses choix tout en renonçant à l’inutile.

Max Hyme

Diable :

Le Diable est vraiment trop optimiste en pensant pouvoir transformer les hommes en pires qu’ils ne sont.

Max Hyme

Chapitre I

Droit d’asile

Droit :

Concept délirant qu’on invoque en situation de faiblesse, mais qu’on piétine et bafoue allégrement quand on est fort et puissant.

Max Hyme

Asile :

L’Asile ? C’est quoi ce machin ? En dehors de ceux réservés aux aliénés mentaux, j’ignorais qu’il en existât d’autres.

Max Hyme

« Le comte Aubert de Peyrac vous invite tous dans son château.

— Quand ? Maintenant ?

— Oui. Je suis chargé de vous accompagner.

— Que nous veut-il ?

— Ne craignez rien, sa Seigneurie souhaite simplement vous remercier de votre action d’éclat devant le château de Queribus. Il vous convie à banqueter et demain après la messe, à produire votre spectacle dans la basse-cour devant ses gens. Le Comte vous offre son hospitalité, le temps qu’il vous plaira. Il vous attend.

— Bien, laissez-nous le temps de tout ranger et de charger nos chariots.

— Nous vous attendons ».

Pendant que nous rangions nos lourds chariots, je me remémorais les derniers événements.

En ce printemps de l’an de grâce 1 255, après avoir quitté la cité de Perpignan, nous avions établi notre campement à la limite de la garrigue et de la forêt, à quelques lieues au nord. En effet, un cheval avait besoin d’être ferré. Tout le monde connaît le dicton : un fer perdu, c’est un cheval perdu ; un cheval perdu ; c’est un cavalier perdu ; un cavalier perdu, c’est une troupe perdue ; une troupe perdue, c’est une bataille perdue ; une bataille perdue, c’est une guerre perdue. Mais nous n’étions point en guerre, juste en chemin pour rencontrer sa Sainteté le Pape Innocent IV. Dès notre débarquement à Barcelone, nous lui avions envoyé une missive. Le courrier ecclésiastique fonctionne mieux que celui de n’importe quel duc ou roi. Le Souverain Pontife nous avait fait savoir qu’il se trouvait actuellement en visite à Lyon et qu’il devait rester quelque temps à Avignon ou à Carpentras, avant de s’en retourner à Rome. Bien entendu, tout cela, ce n’est pas Sa Sainteté en personne qui nous en informait, mais son secrétariat. Ce dernier devait être informé de notre progression ainsi que de nos arrêts ou de nos projets d’étapes.

Mâchefer, ce maître forgeron itinérant, avait terminé son ouvrage et le soleil avait déjà presque atteint son zénith. L’outillage rangé dans la charrette, nous achevions notre repas quand nous entendîmes des cliquetis métalliques suivis de cris de femme. Sans dire un mot, tous se précipitèrent sur leurs armes pour courir en direction de l’échauffourée. Tous, enfin je veux parler de Mâchefer, Jiro, Yuki, Yoko et moi-même. La garde du campement fut laissée à Grosjean, Aude, Huguette et Dame Matsuo. Cela ne signifiait pas pour autant que ces derniers ne s’armèrent pas, prêts à nous rejoindre.

Jiro arriva le premier pour faire face à deux spadassins qui s’occupaient à détrousser un homme allongé à terre.

« Lâchez-le, ordonna-t-il.

— Allons manant, part sans te retourner si tu ne veux pas subir le même sort.

— Je suis Ô Jiro Minamoto No Suke Yoshida San du clan des célèbres Minamoto, ambassadeur du Shogun de Oyashima, de l’Empereur Go-Fukakusa de l’Empire de Soleil Levant de Kamakura en mission pour rencontrer Sa Sainteté le Pape, et je vous défie.

— La Pape et pourquoi pas le Bon Dieu ? Qu’est-ce qu’il nous raconte avec ses fadaises ? Allons plutôt occire ce gueux prétentieux afin qu’il rencontre Saint-Pierre », fut la seule réponse.

Nous connaissions tous Jiro. Il n’avait nullement besoin de notre aide pour venir à bout de deux gens d’armes caparaçonnés de cotte de mailles et de cuir.

Mes compagnons et moi-même avons donc continué notre course vers les hurlements de la femme que cinq soudards s’apprêtaient à trousser. Si les quatre hommes qui tenaient les bras et les jambes de la jeune fille nous aperçurent, ils restèrent sans réactions. Mâchefer se contenta d’empoigner celui du dessus par le colbac et ses chausses baissées qui découvraient déjà ses fesses, pour l’envoyer valdinguer au loin. Sidérés, les quatre soudards lâchèrent leurs prises. La malheureuse victime de cette tentative de viol se dégagea aussitôt et courut vers son ami blessé. À première vue, nous ne faisions pas le poids en dehors de Mâchefer avec son marteau de guerre. Il est vrai que deux femmes d’un peu plus de quatre pieds et trois pouces, même un sabre à la main, et de moi-même n’impressionnèrent guère la soldatesque que nous avions privée d’un juste repos du guerrier. Celui qui remontait son pantalon prit la parole :

« Allons, point de méprise, nous appartenons à la troupe de Monseigneur l’Évêque. Ces manants espionnent pour le compte des Hérétiques, nous ne faisons qu’accomplir la volonté de Dieu.

— En tentant d’abuser une bougresse ? Lâchez-la. Nous sommes en mission pour rencontrer Sa Sainteté.

— À votre allure, il semble que les deux jouvenceaux qui vous accompagnent soient des Mauresques. Peut-être, pire encore, êtes-vous des Hérétiques. Vous devez nous les livrer, pour le salut de vos âmes et des leurs. Ils subiront le même sort que tous les Hérétiques ».

Ils s’emparèrent calmement de leurs armes et s’avancèrent lentement l’épée à la main. Un signe de Yoko équivalait à un « Laissez-les-nous ». Deux éclairs d’acier filèrent de leurs sinistres pour se ficher dans l’œil de chacun de deux des soudards qui s’effondrèrent. En même temps, les deux guerrières effectuèrent une chute avant, sabre à la main. Le mouvement s’arrêta aux pieds des deux autres spadassins médusés. Elles n’eurent qu’à remonter la pointe de leurs lames en passant sous les protections de l’entrejambe. D’une poussée de la main gauche, elles n’accompagnèrent même pas l’affaissement de leurs victimes. Elles se contentèrent de se relever et de faire face à leur dernier protagoniste qui balbutia :

« Je… j’appartiens à la garde personnelle de Monseigneur l’Évêque.

— Et… demandais-je.

— Si vous me tuez, cela ne pourra se dissimuler. On vous cherchera, on vous trouvera et on vous traquera. On vous soumettra à la question pour que vous confessiez vos péchés. Vous finirez sur le bûcher comme tous les Hérétiques.

— Alors, en occire un de plus ou de moins, qu’est-ce que cela change ? », répliquais-je.

Une fontaine de sang jaillit en même temps qu’une tête roula au sol. Yuki, d’un mouvement bref du poignet, se contenta d’égoutter le sang de sa lame avant de rengainer, sans se donner la peine de l’essuyer.

Grosjean fit son apparition. Il s’approcha des cadavres et commença à les déshabiller après les avoir dépouillés de leurs bourses. « Donne-moi un coup de main, Mâchefer, appela-t-il. Ces cottes de mailles et ces armes se vendront un bon prix après avoir été remises à neuf. Comme ces chausses et ces hardes ».

Pendant que les deux vide-goussets accomplissaient leur macabre besogne, nous nous dirigeâmes vers le blessé. Manifestement, la jeune fille qui s’occupait de son compagnon, n’était pas une quelconque ribaude et semblait au contraire de noble lignée. Quant à l’homme étendu à terre, il ressemblait plus à un homme d’arme qu’à un vulgaire manant. Même avec son visage couvert de sang, sa blessure semblait sans gravité. Toutefois, je m’inquiétais plus pour la déchirure de sa cotte de mailles découvrant une méchante entaille au bras gauche.

La demoiselle s’adressa directement à moi !

« Noble sire, sauvez mon frère Sire Arnaud. Je suis Dame Claire, j’appartiens à la suite du Comte de Peyrac. Il vous en saura gré et vous récompensera.

— Ne craignez rien. Une blessure à la tête est toujours impressionnante en raison du sang versé. Je m’inquiète plus pour celle à son bras. Nous allons le soigner. Jiro, peux-tu demander à Yuki et Yoko de s’en occuper ?

— Oui, transportons-le à notre campement. »

Pendant que Mâchefer et Grosjean accomplissaient leur sinistre besogne, j’assistais à un spectacle amusant. Jiro semblait subjuguée par Dame Claire. Il la dévorait des yeux avec une dévotion que je ne lui connaissais pas. Avec ses cheveux blonds, détachés en raison des événements, elle transpirait la grâce et l’innocence. Vêtue d’une robe bleue par-dessus des chausses, on devinait un corps bien fait. Son visage avenant aurait pu être celui d’une madone. Il faut reconnaître que mon compagnon ne manquait pas non plus de charme, malgré ses atours déconcertants. Leurs regards se croisèrent un bref instant et chacun détourna le sien pour masquer leurs gênes réciproques. La réciprocité de l’attirance partagée ne put se dissimuler sous cet incident.

Les trois femmes restées en retrait auprès des chariots en profitèrent pour arriver. Elles nous aidèrent à porter le blessé. Au campement, Yuki et Yoko commencèrent par le déshabiller et nettoyer ses plaies sous l’œil inquiet de Dame Claire. Elles se mirent à recoudre les chairs de son bras après les avoir nettoyées, désinfectées avec du vinaigre chaud, puis recouvert de mousse. Enfin, elles bandèrent la plaie et commencèrent à le masser. La noble Dame ne se contint plus devant ce spectacle. Elle déversa un flot de questions :

« Qui sont ces deux jouvenceaux ? Où ont-ils appris à soigner des blessures ? Sont-ce des elfes, des sorciers, ou pire encore, des Maures ?

— Ne vous inquiétez pas, tenta de la rassurer Jiro.

— Mais…

— Elles savent ce qu’elles font, intervins-je. Contrairement aux apparences, ce ne sont point des jouvenceaux, mais des pucelles. Elles ne sont ni fées, ni sorcières, ni même Mauresques. Elles viennent d’une île lointaine au-delà des contrées mahométanes et d’un vaste empire nommé Chine. Ce sont des Shinobi. Ces guerrières manient la médecine aussi bien que les armes. Je suis désolé, mais en dehors de Jiro et de Dame Matsuo Minamoto, sa mère, elles ne parlent ni la langue d’Oc, ni la franque, ni le latin, ni le grec et encore moins l’arabe ou l’hébreu. Même si elles nous comprennent, elles ne conversent dans aucune langue car elles sont muettes. Dans leur lointaine contrée, les gens sont de petite taille. J’ai cru comprendre qu’elles ont plus de vingt printemps. Faites-leur confiance.

— Comment ne le pourrais-je point alors que vous nous avez sauvés ?

— Votre frère aura besoin d’au moins deux jours de repos avant de reprendre sa route. Nous resterons ici, puis nous vous accompagnerons à votre demeure. Il pourra voyager dans un des chariots. Après, nous repartirons pour continuer notre commerce et produire nos spectacles.

— Nous resterons donc ici le temps qu’il faudra. Au pied de notre château se trouve un petit bourg. Les saltimbanques et les trouvères sont toujours les bienvenus.

— Je vous remercie Dame Claire. Mais avant de vous accompagner, je vais vous demander une faveur.

— Demandez, Messire, je suis votre obligée.

— Ne révélez jamais que Yuki et Yoko ne sont pas des jouvenceaux. Je sais que les femmes en pays chrétien, n’ont pas le droit de porter des vêtements d’homme, rarement de manier les armes et encore moins de pratiquer le métier de médecin ou de chirurgien. Si cela se savait, elles finiraient sur le bûcher comme sorcières.

— Je le jure devant Dieu. Jamais je ne révélerais à quiconque leur état. Moi-même ai appris les rudiments du métier des armes et n’ose point en porter ni en faire usage. D’autant que vient d’être créé un nouveau tribunal ecclésiastique qui enquête, torture, condamne et brûle ceux qu’il considère comme Hérétique. Méfiez-vous de ceux qui viennent au nom de ce qu’on appelle la Sainte Inquisition. Elle est constituée de fanatiques moines dominicains. On les reconnaît à leurs capuchons aussi rouges que le sang dont ils ne cessent d’abreuver la terre. Cet ordre ne constitue qu’un prétexte pour confisquer les terres et les distribuer aux Barons Francs du Nord, leurs bras armés.

— Merci Dame Claire. Je vous sais gré tant de votre promesse que de vos informations. Mais, je suis confus, aucune présentation n’a été faite. Je me nomme Alessandro Della Tore et je suis originaire de Pise en Italie. Je crois que vous connaissez déjà Dame Matsuo Minamoto et son fils Jiro, ainsi que Yuki et Yoko, les deux Shinobi. Vous avez déjà aperçu Mâchefer, forgeron itinérant de son état et Grosjean, trouvère, palefrenier et homme à tout faire. Les deux autres femmes sont Aude la drapière et Huguette saltimbanque et cuisinière ».

La conversation en resta là. Elle ne m’interrogea pas plus avant sur mes compagnons ni sur le but de notre équipée. J’accompagnais Dame Claire auprès des deux Shinobi qui soignaient son frère. Ces dernières s’effacèrent discrètement quand Jiro arriva. Il se plaça à côté de la gente dame. Sans se dire un mot, on voyait bien que ces deux-là appréciaient leurs compagnies mutuelles. Arnaud devenait un prétexte. Au bout d’un moment, ils commencèrent à converser et s’arrêtèrent quand le blessé reprit conscience. Je restais silencieux avant de m’éloigner. Je n’avais point voulu troubler leur face-à-face.

J’apportais mon aide à Mâchefer et à Grosjean. Aude et Huguette triaient déjà les vêtements pour les nettoyer afin de mieux pouvoir les revendre. Les armes, les cottes de mailles, les plastrons et autres éléments de protections furent mis à part. Les sept chevaux avaient été dessellés et les harnachements constituaient un autre butin. Nous rangerions tout cela dans le chariot du forgeron. Le plus dur restait à faire : creuser la terre pour enterrer les morts. Si cette troupe appartenait effectivement à l’équipage de Monseigneur l’Évêque, bien des gens partiraient à sa recherche. En l’absence de macchabées, impossible de connaître le lieu du drame, ni qui avait pu les occire. Deux chariots laissent des traces, mais nous n’étions pas les seuls à nous déplacer sur ces routes.

Après deux jours de repos, il était temps de quitter les lieux. Tout avait été rangé la veille. À l’aube, nous effaçâmes tant bien que mal les traces de notre campement. Nous installâmes au mieux Sire Arnaud dans un chariot. Comme Jiro, Yuki, Yoko et Mâchefer, je m’appropriais un destrier. Dame Claire en fit de même. Je fus étonné qu’elle monte comme un homme et non en amazone. N’avait-elle pas appris le métier des armes ? Le cheval restant des gens d’armes fut attaché à la dernière voiture.

Partis aux aurores, nous en avions pour une petite partie de la matinée afin de nous rendre au château de Peyrac. Ce dernier était visible au loin. Situé sur la base d’un triangle dont les pointes étaient constituées par la ville de Perpignan, la forteresse de Queribus et celle de Aguilar, il contrôlait la route menant à Narbonne. Vers l’ouest, il possédait une vue sur la Méditerranée et, vers l’est, l’étang de Leucate. En guise de Château, Peyrac aurait pu se qualifier de place forte protégeant un petit bourg ceint.

S’il n’y avait que cela. À flanc de colline s’aggloméraient plusieurs bâtisses en pierre à étages, à l’intérieur des murs. Certaines se destinaient exclusivement à l’habitation, quand d’autres permettaient l’existence au rez-de-chaussée de nombreuses échoppes d’artisans et de commerçants. La place de l’église servait vraisemblablement de marché permanent. La totalité de ce lieu de vie s’entourait de remparts crénelés, agrémentés de demi-tours rondes. En y regardant bien, on se rendait compte que la structure du lieu, l’agencement des bâtiments et les constructions elles-mêmes dataient de l’époque romaine. On devinait la présence de jardins et de cours cachés du regard des passants. Des détails ne trompaient personne. Les colonnes corinthiennes ou lombardes soutenaient les arcades des maisons, les fenêtres doubles laissaient entrer la lumière à l’intérieur des constructions, Les rues comme la place principale se pavaient de pierre et parfois de marbre. Ici et là, des statues romaines se plaçaient dans des niches à Dieux. Ce qui me frappa le plus furent les vestiges d’un ancien théâtre aménagés pour partie en lieu d’habitation. L’église romane en marbre, probablement de Carrare, apportait la touche finale à ce bourg qui avait réussi à conserver son cachet. Je m’étonnais de ne pas trouver de thermes et de bains. Avaient-ils disparu ou se cachaient-ils ailleurs ?

Tout cela, je le remarquais après avoir franchi les portes de la cité. Le guet, en apercevant Dame Claire s’inclina et la salua respectueusement.

« Dame Claire, nous étions inquiets. Messire Arnaud est-il avec vous ?

— Point d’inquiétude, mon frère a subi une blessure sans gravité. Allez prévenir mon père que je suis de retour. Ces gens nous ont sauvés de soudards du Nord.

— J’envoie quelqu’un avertir de votre retour.

— Point d’octroi pour mes compagnons. Qu’ils s’installent sur la place du village et se livrent à leurs activités sans soucis. Qu’on envoie des gens nous retrouver sur la place du village afin de s’occuper de mon frère.

— À vos ordres, Dame Claire ».

Et nous voilà repartis. Sur la place du village, les gardes nous indiquèrent un emplacement pour pouvoir déballer nos affaires. Sur tréteaux nos marchandises furent exposées. Les épices, les étoffes d’Orient, les vêtements, les armes et autres effets des spadassins que nous avions occis attirèrent rapidement les chalands. Nous avons à peine remarqué le départ de nos hôtes. Pour être francs, les affaires allaient bon train. Les pièces sonnantes et trébuchantes changeaient de mains pour remplir nos escarcelles. Tout le monde était ravi. Je déchantais quand un sergent s’inclina respectueusement devant moi.

« Le Comte Aubert de Peyrac vous invite tous dans son château.

— Quand ? Maintenant ?

— Oui. Je suis chargé de vous accompagner.

— Que nous veut-il ?

— Ne craignez rien, sa Seigneurie souhaite simplement vous remercier de votre action d’éclat non loin du château de Queribus. Il vous convie à banqueter et demain après la messe, à produire votre spectacle dans la basse-cour devant ses gents. Le Comte vous offre son hospitalité, le temps qu’il vous plaira. Il vous attend.

— Bien, laissez-nous le temps de tout ranger et de charger nos chariots.

— Nous vous attendons ».

C’était trop beau pour que cela dure. Nos chariots chargés, en franchissant la porte de la citadelle, j’avais l’impression qu’un piège se refermait. Voilà ce qui arrive quand on ne se mêle pas de ses affaires. Surtout quand on met son nez dans celle des Seigneurs ou de l’Église.

Personnellement, je n’avais pas confiance. Je me méfie toujours de ce type d’aubaine. Si j’avais été seul, j’aurais plié bagage et aurais continué ma route. Les Grands Seigneurs sont fantasques. Un jour, ils vous portent aux nues et, le lendemain, ils vous clouent au pilori, s’ils ne vous jettent dans un cul de basse-fosse pour y pourrir lentement. Quant au clergé, il n’est que sourire. Il vous fait de grands sermons, surtout quand il vous livre aux bras séculiers pour vous faire confesser des crimes qui n’existent que dans son imagination avant de vous envoyer au bûcher pour vous éviter de périr dans les flammes de l’enfer et sauver votre âme. Si on ne croit pas en notre Seigneur Jésus-Christ, il reste deux choix : se convertir ou mourir. Si on croit en d’autres Dieux, alors le sort réservé aux païens qui refusent de se convertir ne vaut pas mieux. Quant aux mahométans, ils ne seront point épargnés. Mais attention, ce n’est pas parce qu’on est chrétien qu’on ne risque rien dans ses contrées. Encore faut-il ne pas être un Hérétique ou un adorateur du Démon. À ceux-là, point de merci. Seul le bûcher les purifiera. Les Nobles, comme les prêtres sont comme les poux. Ils sont partout, et on s’en débarrasse difficilement. Ils vont où bon leur semble et se nourrissent sans vergogne du sang de ceux qui n’appartiennent pas à leur équipage. À moins de les connaître personnellement et d’avoir un intérêt commun, il vaut mieux se tenir à distance de cette engeance.

Je ne désirais pas faire part de mes réserves à mes amis, car ils se seraient moqués de moi et de ma prudence. Pourtant c’est elle qui m’a maintenu en vie jusqu’à ce jour et permis de parcourir le monde. Alors, inutile de leur faire part de mes inquiétudes et de supporter leurs railleries. J’informais juste mes compagnons de l’invitation. Tous furent ravis à la perspective de quelques jours de repos et de profiter du gîte et du couvert et surtout de lits dignes de ce nom et pourquoi pas d’un bain. Selon eux, une telle invitation ne se décline pas. Elle venait à point nommé. Même si ce séjour modifiait quelque peu nos projets, cela n’avait pas grande importance. Notre périple vers la Toscane, puis vers Rome, n’en serait retardé que de quelques jours. Depuis Barcelone, nous avions voyagé sans discontinuer dans des conditions plus que précaires. Nous ne nous arrêtions juste pour produire nos spectacles et faire un peu de commerce avec les marchandises rapportées d’Orient. Cela nous suffisait pour nous enrichir honteusement et remplir nos bourses pour nous permettre d’acheter d’autres denrées à présenter à des bourgeois. Nous étions en possession d’une telle cargaison d’épices que nous ne l’exposions qu’en petite quantité. Inutile d’attirer la convoitise. Des sacs de clous de girofle, de noix muscade, de poivre, de gingembre, de safran, de cannelle et de bien d’autres épices s’empilaient dans un chariot et valaient plus que leur pesant d’or. Nous en faisions commerce. Il fallait bien se nourrir.

Sous escorte, nous avons pénétré dans la citadelle pour déboucher sur une vaste cour centrale. Le castel en imposait par lui-même de par sa situation dominante, sur une plate-forme au sommet d’un éperon rocheux. Constitué d’un imposant donjon carré central, ce dernier était entouré de hauts murs flanqués de cinq tours rondes. L’accès à la vaste cour s’effectuait par une porte-sarrasine dotée d’une porte cloutée, d’une herse et d’un pont-levis permettant de franchir le fossé. L’intérieur de la citadelle permettait de pratiquer une culture de jardin ainsi que l’élevage de quelques porcs, de canards, poules et autres volatiles. Un puits assurait probablement une autonomie complète en eau. De loin, on devinait des écuries ainsi qu’une chapelle. Quelques arbres fruitiers apportaient de l’ombre.

Le seigneur nous attendait sur le perron, entouré de Dames de cour. La présence de chevaliers en armes ne me rassura pas le moins du monde. Un bref coup d’œil circulaire me permit de distinguer archers et autres soldats. Que les portes se referment et nous serions pris dans une nasse. La présence de Dame Claire me rassura un peu. Le Comte de Peyrac s’adressa directement à moi. Son ton aimable dissipa mes inquiétudes.

« Je vous salue preux Chevaliers. Soyez les bienvenus dans mon domaine.

— Nous sommes à vos ordres.

— On m’a compté vos faits d’armes. Je ne saurai trop vous remercier d’avoir sauvé mon fils Arnaud de la mort et ma fille Claire du déshonneur.

— Ce n’était pas grand-chose que d’occire ces soudards qui prétendaient agir au nom de je ne sais qui.

— Allons, point de fausse modestie. Soyez mes hôtes pour le temps qu’il vous plaira.

— Nous ne saurions abuser de votre hospitalité.

— Il n’en est rien. Qui êtes-vous donc ? Vos atours ne correspondent pas à ceux de vulgaires marchands. Certains d’entre vous ressemblent à des gens de noble lignée et d’autres à s’y méprendre à des mahométans. Le sont-ils ?

— Que nenni, ce sont de nobles gens en leur contrée lointaine. Nous nous sommes rencontrés sur la route de la soie. Une bien longue histoire. Mais, peu importe. Laissez-moi vous présenter Dame Matsuo Minamoto, ambassadrice du Shogun de Oyashima, que certains nomment aussi Cipangu ou Nihon. Depuis Kamakura, son Empereur lui a confié la délicate mission de rencontrer sa Sainteté le Pape pour nouer une alliance contre les hordes mongoles. Son fils Jiro l’accompagne ainsi que deux Shinobi, ses gardes du corps, Yoko et Yuki.

— Bien maigre équipage pour des représentants d’un empereur.

— En effet. Leur route a été longue et périlleuse. Les barbares sanguinaires Mongols massacrent tous ceux qui ne sont comme eux. Leur caravane a été attaquée et décimée à plusieurs reprises.

— Sont-ils mahométans, chrétiens ou idolâtres ? interrogea un prêtre inquiet.

— Ils ne sont rien de tout cela. Leur Dieu se nomme Bouddha et ressemble à s’y méprendre à notre Seigneur Jésus-Christ.

— Est-il mort sur la croix ?

— L’histoire est quelque peu différente, mais elle y ressemble fort. Pour vous rassurer, ils n’apprécient pas outre mesure les mahométans qui ont tenté de s’implanter chez eux. Ils les ont chassés et ne font avec eux que peu de commerce, sans jamais leur permettre de s’installer sur leurs îles.

— Parlent-ils notre langue ?

— Jiro parle le latin et je lui ai enseigné la langue d’Oc. Il a aussi appris l’arabe. Sa mère, Dame Minamoto Matsuo, nous comprend même si elle ne parle pas très bien les langues étrangères en dehors du chinois, la langue de Cathay. Son mari était détaché auprès de sa Majesté l’Empereur des Song. Il est mort au combat au cours de son périple. Requiem in-pace. Les deux jouvenceaux qui les accompagnent sont muets. Ce sont de redoutables guerriers.

— Mais aussi d’habiles chirurgiens, intervint Dame Claire.

— Les soins apportés à Sir Arnaud en témoignent. Et vos autres compagnons ? demanda Sa Seigneurie.

— Je les ai délivrés de l’esclavage. Alors que nous faisions route pour Barcelone, au large des Baléares, notre nef a été attaquée par de vils pirates barbaresques. Notre équipage et les passagers n’étaient pas des gens d’épée. Nous aurions succombé sans la présence de Jiro et des deux Shinobi et de trois chevaliers de retour de Terre Sainte. Le combat fut rude mais nous l’avons emporté grâce à notre bravoure. Nous avons fait passer de vie à trépas ces chiens de mer mahométans.

— À seulement sept, vous avez défait ces maudits pirates.

— Je dois vous avouer que Jiro est un Wako, un capitaine de navire. Les guerriers de Cipangu maîtrisent parfaitement les armes, toutes les armes. D’ailleurs, si vous ne nous aviez pas conviés à vous rejoindre séant, nous nous préparions à faire une démonstration sur la place.

— J’organise un tournoi, la semaine prochaine. Je serai curieux d’avoir un aperçu de leurs talents.

— Nous sommes à vos ordres, Monseigneur.

— Racontez-moi vos autres compagnons.

— Quand nous avons remporté la victoire, on a visité notre prise. Nous avons abandonné le navire au capitaine et lui, pour nous remercier, nous l’avons délesté d’une partie de la cargaison. Nous en avons profité pour délivrer Aude une drapière. Elle nous a aidés à apprécier les étoffes que nous avions conquises au fil de l’épée. Huguette appartenait à une troupe de saltimbanques comme son compagnon Grosjean qui est aussi palefrenier. Mâchefer est devenu forgeron itinérant en notre compagnie. Leurs histoires sont tellement ahurissantes qu’elles seraient dignes d’une chanson de geste. Les autres prisonniers ont préféré suivre leurs chemins une fois débarqués à Barcelone. Notre prise était aussi constituée de poivre, de gingembre, de safran, de cannelle, et même de clous de girofle, ainsi que d’autres épices qui s’ajoutèrent à ma cargaison. Il y avait aussi un peu d’or.

— Quoi ? C’est incroyable. Vous possédez des clous de girofle ?

— Nous nous ferons un plaisir de vous en céder.

— Quelle équipée ! Vous nous raconterez tout cela dans le détail ce soir au cours du banquet que je donne en l’honneur de visiteurs de marque. Je ne détesterai pas que les Shinobi comme vous les appelez nous fassent une petite démonstration.

— Vos désirs sont des ordres.

— Et vous ? Qui êtes-vous ?

— Moi ? Je me nomme Alessandro Della Tore. Je suis un Chevalier de Pise en Italie.

— Bien. Vous êtes mes invités. J’ai demandé que vous puissiez bénéficier des bains qui datent de l’époque romaine.

— Je vous remercie une nouvelle fois. Toutefois, sans vouloir vous offenser, si je puis présenter une requête.

— Faites.

— Nous ne souhaitons partager nos ablutions avec d’autres. Ne vous méprenez pas, juste une question de pudeur. Les natifs de Nihon ne peuvent pratiquer leurs ablutions avec des inconnus.

— Cela me semble naturel. On va vous conduire dans vos quartiers. Soyez les bienvenus parmi nous ».

L’accueil était terminé. Des valets s’occupèrent de nous. Des places dans les écuries furent trouvées. Nos chariots furent rangés dans un coin. Des pages nous conduisirent à nos quartiers. Une chambre fut réservée à Dame Matsuo qui refusa toute dame de compagnie. Deux autres nous furent attribuées à Jiro et moi-même. Huguette et Aude dormiraient avec les dames de compagnie du château. Grosjean, Mâchefer et les deux Shinobi avaient leurs quartiers. En effet, Yuki et Yoko, identifiées comme des pages, devaient partager une chambre avec les hommes. Ces dernières déménagèrent immédiatement car en tant que garde du corps, elles se devaient de dormir au pied de leurs maîtres. Personne n’y trouva à redire.

Nous étions pressés de nous débarrasser de la poussière et de la sueur du voyage. En guise de bains, il s’agissait de termes. Plusieurs bassins, dont un d’eau chaude. Le rêve ! Je n’en avais jamais revu de tels en dehors des contrées maures, sauf à Constantinople ou chez les chrétiens d’Orient. Nous avons barricadé les portes. Nous n’avions pas envie d’être épiés. Et ce n’est pas parce qu’on va se délasser qu’on se rend dans tels lieux sans armes. Quel bonheur de se plonger dans cette eau chaude ! Source thermale ou chauffage au bois, peu importe, comme les autres, je profitais de l’instant.

Je regardai un instant mes compagnons débarrassés de leurs atours. Je n’ignorais pas que Mâchefer ce forgeron tout en muscle s’était rapproché d’Aude. Une belle femme qu’Aude, tout en rondeur. Sa chevelure dorée possédait la couleur des blés. Quant à Huguette, je crois qu’elle avait choisi sa vie de saltimbanque en raison de sa crinière rousse. Si Grosjean ne l’avait pas prise sous son giron, elle aurait certainement fini sur le bûcher comme sorcière. Ces deux couples vivaient dans le stupre et le péché, sans s’être unis devant Dieu. Mes amis nippons avaient des corps d’adolescent bien que tout en muscle. Seule Dame Matsuo avait un corps de femmes à la poitrine ferme et ronde, alors que les deux Shinobi possédaient un physique de jeune fille à peine pubère. Pourtant, je n’ignorais pas que ces deux-là avaient dépassé les vingt-cinq printemps.

Je n’ai rien compris à leurs mœurs étranges. Au cours de notre voyage, Dame Matsuo n’avait pas dédaigné avoir quel qu’aventure sans lendemain, sans que ni son fils ni personne, y trouve à redire. Un jour, il m’expliqua que même pour une Dame de haute lignée, prendre un amant de passage, surtout pendant un long voyage faisaient partie des choses normales dans l’Empire du Soleil Levant. Certains temples étaient parfois des lieux de débauche. Drôles de mœurs ! Et les Shinobi ? Je n’ignorais pas que parfois Jiro profitait de leurs faveurs. Quant à moi, je me contentais de quelques ribaudes ou donzelles de passage. Un jour, Jiro m’invita dans une maison de fleurs à la lisière de l’Empire Song. J’ai cru m’introduire au paradis. Cela nous coûta une jolie somme, mais ce fut féerique. J’en ai conservé un souvenir fabuleux.

Perdu dans mes songes, je réalisais brusquement qu’aucun de mes compagnons asiatiques ne connaissait l’étiquette au cours d’un banquet seigneurial. De plus, j’ignorais qui seraient conviés en dehors de nous. En y réfléchissant, je réalisais que ce repas ne serait pas dressé en notre honneur. Les fêtes religieuses de l’année étant passées, il avait certainement été prévu de longue date.

« Jiro, vous et vos compagnons ignorez sans doute le déroulement d’un banquet.

— J’ai déjà assisté à de nombreux banquets à la cour du Shogun ou de Daimyo et même de l’Empereur des Song.

— J’ignore comment cela se passe dans vos contrées lointaines, mais ici, les choses sont vraisemblablement différentes.

— Explique-moi, mais parle lentement pour que je puisse traduire.

— Bien. Nous serons accueillis dans une grande salle et tout le monde sera debout et…

— À quel moment devrons-nous remettre nos présents ?

— Il n’est pas nécessaire d’apporter d’autres présents que des épices. Nous leur offrirons quelques clous de girofle, du poivre. Nous paierons largement notre séjour en espèces ou en épices, si tu préfères, et non en monnaies sonnantes et trébuchantes.

— Nous appartenons au clan des Minamoto. Pour nous, il est indispensable d’offrir des présents à un hôte.

— Comme tu veux. Alors, tu les offriras en arrivant. Notre arrivée sera annoncée par un héraut. On pourra nous présenter les autres convives ou pas. Peu importe. Puis, après un certain laps de temps, une grande table en U sera dressée. À la table centrale seront assis le Comte et la Comtesse de Peyrac. Plus les invités ont une importance, plus ils sont proches du couple. Sur les deux autres branches seront installés les convives de moindre lignée.

— Cela me semble naturel.

— Des valets déposeront des plats devant nous. On ne se sert que dans les plats placés devant soi. Chacun aura devant lui un bol ou écuelle et chacun amènera son couteau et son pic. Le service des mets est une parade bien ordonnée, un art pratiqué dans toute maison. Les gens du commun, eux, n’ont pas ce loisir, et mangent ailleurs. Tous les plats sont apportés sur la table en même temps.

— Et… ?

— On commence par une soupe et des pâtés de viande et de champignons. Puis les plats sont posés sur la table. Je te rappelle qu’on ne se sert que dans les plats posés devant soi. On peut nous apporter jusqu’à quatre ou cinq plats de viandes, venaisons, volailles et que sais-je encore. Des échansons servent du vin et parfois de la bière.

— Cela risque de durer des heures.

— Cela dure effectivement pendant des heures. Entre les mets sont présentés des entremets, qui sont des interludes variés, pouvant prendre la forme de préparations culinaires aussi bien que de petites pièces de théâtre, de lectures de poèmes, de montres d’animaux sauvages. Ces trouvères et ces jongleurs nous divertissent. Chaque convive peut s’il le souhaite, effectuer une représentation. Certains viendront peut-être avec une harpe, des flûtiaux, des tambourins. Si le spectacle est mauvais, personne n’y prête attention, s’il est bon, tout le monde écoute et parfois participe.

— Devrons-nous nous produire ?

— Je te le déconseille. J’ignore qui sera convié et si ce n’est pas un piège.

— Explique.

— Je crains une provocation pouvant déboucher sur un duel.

— Nous nous ferons discrets.

— Ah oui ! Et quel vêtement porterez-vous ?

— Dame Minamoto comme moi-même porterons nos habits de cour et les deux Shinobi des kimonos simples.

— Tu me fais rire. Avec vos costumes, vous serez le centre de l’attention en guise de discrétion. Mais pourquoi pas ? Et pour les armes ?

— Dame Minamoto tiendra ses cheveux avec un peigne et deux épingles. Une dame de cour ne se déplace jamais sans son éventail. Il devient un instrument mortel entre des mains expertes. De plus, comme tu me l’as affirmé, chacun devra amener son couteau et ses baguettes pour manger. Son tantô sera dissimulé dans son kimono ainsi qu’une boule métallique dans chaque manche. Ma mère a appris certaines danses Tang, où les manches lestées de boules métalliques deviennent des armes redoutables. Pour les Shinobi, comme tu t’en doutes, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Quant à moi, je me contenterai de mon daï-sho, à savoir mon wakizashi et mon katana, en plus de mon tantô. Moi aussi je viendrai avec un couteau et des baguettes pour manger. Chacun de nous n’ignore rien de l’utilisation des baguettes comme arme de jet. Et toi ?

— Moi ? Pas grand-chose. Juste mon épée d’estoc, mon espada cinquedea et mon stiletto dans ma botte. Je porterai aussi un couteau de chasse pour découper les viandes et un pic en cas de besoin pour manger.

— Comment seras-tu vêtu ?

— Simplement. Je porterai des bottes, des braies, une chemise et un manteau. Il me semble délicat de porter une cotte de mailles sous mon pourpoint. C’est un peu comme si tu endossais ton armure. Pour Mâchefer et Aude, ainsi que pour Grosjean et Huguette, je ne m’inquiète pas, ils savent se comporter à la cour des Seigneurs. Je leur demanderai de préparer chevaux et autres armes en cas de départ précipité. En étudiant les lieux, j’ai vu qu’on pouvait se retrancher dans l’écurie qui se transformerait facilement en bastion. Avec vos arcs, nos arcs longs anglais et nos arbalètes, on possède suffisamment de flèches et de carreaux pour tenir un moment et défendre notre peau. Je leur ai demandé de ne pas décharger les chariots. Il suffira de les atteler. Je ne sais pas comment on pourra franchir le pont-levis s’il est relevé et encore moins sortir de la ville.

— Tu as pensé à tout ou presque. Au pire, nous mourrons honorablement. Le nom des Minamoto retentira jusque dans ces contrées ».

Certains esprits chagrins et insouciants pourraient s’interroger sur ma défiance vis-à-vis de nos hôtes. N’avions-nous pas sauvé Sire Arnaud de la mort et Dame Claire du déshonneur ? Alors pourquoi une telle suspicion ?

Ce que certains qualifient de défiance et de suspicion, moi je les nomme prudence et vigilance. Certes, nous étions accueillis aujourd’hui comme de preux chevaliers ayant accompli une action d’éclat. Mais demain ? N’avions-nous pas occis la soldatesque de Monseigneur l’Évêque ? Ces gens-là ont la rancune tenace. De plus, ici, les temps sont troubles. Je n’ignorais rien de la croisade des Albigeois. « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». C’était le cri de ralliements des Barons du Nord au massacre de Bézier. Carcassonne, la Pucelle, était tombée à la suite d’une ignoble traîtrise au mépris des règles les plus élémentaires de la chevalerie, en capturant le Seigneur Trencavel alors qu’il venait négocier. À Montségur, combien étaient passés sur le bûcher ? Au cours de notre périple, j’avais ouï dire qu’à quelques lieues d’ici, le siège de Queribus, la dernière forteresse de l’hérésie, avait commencé. Le Lion de combat, Chabert de Barbaira ne tiendrait pas longtemps. Un château ne succombait que par traîtrise, par ses latrines, ou à la suite d’un très long siège, rarement par la force. En dehors de Château-Gaillard, cela se voyait rarement. Ce n’était qu’une question de temps.

J’appartiens à l’une des quatre républiques italiennes comme Amalfi, Gêne et Venise. Moi, je suis un bon chrétien, même si Pise, pilier du parti gibelin, est alliée avec le Saint Empire Romain Germanique, contre les États Pontificaux, Venise la Sérénissime et Gêne la Superbe, en tant que guelfes. Certes, notre ville a été excommuniée. Le Pape n’a pas supporté la défaite d’une flotte vénitienne et génoise et la capture de quelques prélats. Tout ceci relève de la basse politique. C’est sans doute pour cela que certains affirment qu’il vaut mieux avoir un mort en sa maison qu’un Pisan à sa porte. Cependant, mes amis asiatiques pouvaient être considérés comme des païens. Certes, ils venaient ici pour rencontrer Sa Sainteté afin de conclure une alliance contre les hordes mongoles. Au vu de la situation, je préfère rester dans mes divagations qui me permettent de rester en vie.