L'Imitation de Jésus-Christ, traduite et paraphrasée en vers français - Pierre Corneille - E-Book

L'Imitation de Jésus-Christ, traduite et paraphrasée en vers français E-Book

Pierre Corneille

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Beschreibung

Selon certains biographes, ce serait par mélancolie devant le peu de succès obtenu par une de ses pièces de théâtre, Pertharite, que Corneille aurait entrepris de versifier en français l'Imitation de Jésus-Christ depuis le latin. Selon d'autres, son confesseur, Pierre Séguier, lui aurait imposé cette tâche titanesque à titre de pénitence, à cause d'une autre pièce un peu leste, (L'occasion perdue recouverte) qui avait fait scandale. Quoiqu'il en soit, les premiers chapitres de sa traduction connurent un tel triomphe qu'il fallut les rééditer trente-deux fois. De 1651 à 1656 il complète l'ouvrage, jusqu'à plus de treize mille vers, alternant le plus souvent alexandrins et octosyllabes. Si le poète a su contenir tout du long sa plume dans le carcan étroit de la prosodie française, comme elle s'était pliée auparavant aux règles unitaires la tragédie, le résultat n'a rien d'un décalque stérile, mais dépasse souvent l'original : Corneille a plus paraphrasé que traduit. Lisant à haute voix ces vers vieux de quatre siècles, le chrétien ne manquera pas de se sentir encore transporté par les vraies beautés poétiques et théologiques qu'il y rencontrera.

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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322259489

Pierre Corneille (1606-1694). Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
L'Imitation de Jésus-Christ
traduite et paraphrasée
en vers français
Pierre Corneille
1656
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2023 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Au Lecteur
Livre Premier
1. De l'imitation de Jésus-Christ, et du mépris de toutes les vanités du monde
2. Du peu d'estime de soi-même
3. De la doctrine de la vérité
4. De la prudence en sa conduite
5. De la lecture de l'Écriture sainte
6. Des affections désordonnées
7. Qu'il faut fuir la vaine espérance et la présomption
8. Qu'il faut éviter la trop grande familiarité
9. De l'obéissance et de la sujétion
10. Qu'il faut se garder de la superfluité des paroles
11. Qu'il faut tâcher d'acquérir la paix intérieure et de profiter en la vie spirituelle
12. Des utilités de l'adversité
13. De la résistance aux tentations
14. Qu'il faut éviter le jugement téméraire
15. Des œuvres faites par la charité
16. Comme il faut supporter d'autrui
17. De la vie monastique
18. Des exemples des saints Pères
19. Des exercices du bon religieux
20. De l'amour de la solitude et du silence
21. De la componction du cœur
22. Des considérations de la misère humaine
23. De la méditation de la mort
24. Du jugement, et des peines du péché
25. Du fervent amendement de toute la vie
Livre Second
1. De la conversation intérieure
2. De l'humble soumission
3. De l'homme pacifique
4. De la pureté du cœur et de la simplicité de l'intention
5. De la considération de soi-même
6. Des joies de la bonne conscience
7. De l'amour de Jésus-Christ par-dessus toutes choses
8. De l'amitié familière de Jésus-Christ
9. Du manquement de toute sorte de consolations
10. De la reconnaissance pour les grâces de Dieu
11. Du petit nombre de ceux qui aiment la croix de Jésus-Christ
12. Du chemin royal de la sainte croix
Livre Troisième
1. De l'entretien intérieur de Jésus-Christ avec l'âme fidèle
2. Que la vérité parle au dedans du cœur sans aucun bruit de paroles
3. Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité
4. Qu'il faut marcher devant Dieu en esprit de vérité et d'humilité
5. Des merveilleux effets de l'amour divin
6. Des épreuves du véritable amour
7. Qu'il faut cacher la grâce de la dévotion sous l'humilité
8. Du peu d'estime de soi-même en la présence de Dieu
9. Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin
10. Qu'il y a beaucoup de douceur à mépriser le monde pour servir Dieu
11. Qu'il faut examiner soigneusement les désirs du cœur, et prendre peine à les modérer
12. Comme il se faut faire à la patience, et combattre les passions
13. De l'obéissance de l'humble sujet, à l'exemple de Jésus-Christ
14. De la considération des secrets jugements de Dieu, de peur que nous n'entrions en vanité pour nos bonnes actions
15. Comme il faut nous comporter et parler à Dieu en tous nos souhaits
16. Que les véritables consolations ne se doivent chercher qu'en Dieu
17. Qu'il faut nous reposer en Dieu de tout le soin de nous-mêmes
18. Qu'il faut souffrir avec patience les misères temporelles à l'exemple de Jésus-Christ
19. De la véritable patience
20. De l'aveu de la propre infirmité et des misères de cette vie
21. Qu'il faut se reposer en Dieu par-dessus tous les biens et tous les dons de la nature et de la grâce
22. Qu'il faut conserver le souvenir de la multitude des bienfaits de Dieu
23. De quatre points fort importants pour acquérir la paix
24. Qu'il ne faut point avoir de curiosité pour les actions d'autrui
25. En quoi consiste la véritable paix
26. Des excellences de l'âme libre
27. Que l'amour-propre nous détourne du souverain bien
28. Contre les langues médisantes
29. Comment il faut invoquer Dieu et le bénir aux approches de la tribulation
30. Comment il faut demander le secours de Dieu
31. Du mépris de toutes les créatures pour s'élever au Créateur
32. Qu'il faut renoncer à soi-même et à toutes sortes de convoitises
33. De l'instabilité du cœur, et de l'intention finale qu'il faut dresser vers Dieu
34. Que celui qui aime Dieu le goûte en toutes choses et par-dessus toutes choses
35. Que durant cette vie on n'est jamais en sûreté contre les tentations
36. Contre les vains jugements des hommes
37. De la pure et entière résignation de soi-même pour obtenir la liberté du cœur
38. De la bonne conduite aux choses extérieures, et du recours à Dieu dans les périls
39. Que l'homme ne doit point s'attacher avec empressement à ses affaires
40. Que l'homme n'a rien de bon de soi-même, et ne se peut glorifier d'aucune chose
41. Du mépris de tous les honneurs
42. Qu'il ne faut point fonder sa paix sur les hommes, mais sur Dieu, et s'anéantir en soi-même
43. Contre la vaine science du siècle, et de la vraie étude du chrétien
44. Qu'il ne faut point s'embarrasser des choses extérieures
45. Qu'il ne faut pas croire toutes personnes, et qu'il est aisé de s'échapper en paroles
46. De la confiance qu'il faut avoir en Dieu quand on est attaqué de paroles
47. Que pour la vie éternelle il faut endurer les choses les plus fâcheuses
48. Du jour de l'éternité, et des angoisses de cette vie
49. Du désir de la vie éternelle, et combien d'avantages sont promis à ceux qui combattent
50. Comment un homme désolé doit se remettre entre les mains de Dieu
51. Qu'il faut nous appliquer aux actions extérieures et ravalées, quand nous ne pouvons nous élever aux plus hautes
52. Que l'homme ne se doit point estimer digne de consolation, mais plutôt de châtiment
53. Que la grâce de Dieu est incompatible avec le goût des choses terrestres
54. Des divers mouvements de la nature et de la grâce
55. De la corruption de la nature, et de l'efficace de la grâce
56. Que nous devons renoncer à nous-mêmes et imiter Jésus-Christ en portant notre croix
57. Que l'homme ne doit pas perdre courage quand il tombe en quelques défauts
58. Qu'il ne faut point vouloir pénétrer les hauts mystères, ni examiner les secrets jugements de Dieu
59. Qu'il faut mettre en Dieu seul tout notre espoir et toute notre confiance
Livre Quatrième
Préface
1. Avec quel respect il faut recevoir le corps de Jésus-Christ
2. Que le sacrement de l'autel nous découvre une grande bonté et un grand amour de Dieu
3. Qu'il est utile de communier souvent
4. Que ceux qui communient dévotement en reçoivent de grands biens
5. De la dignité du sacrement, et de l'état du sacerdoce
6. Préparation à s'exercer avant la communion
7. De l'examen de sa conscience, et du propos de s'amender
8. De l'oblation de Jésus-Christ en la croix, et de la propre résignation
9. Qu'il faut nous offrir à Dieu avec tout ce qui est en nous, et prier pour tout le monde
10. Qu'il ne faut pas aisément quitter la sainte communion
11. Que le corps de Jésus-Christ et la sainte Écriture sont entièrement nécessaires à l'âme fidèle
12. Qu'il faut se préparer avec grand soin à la communion
13. Que l'âme dévote doit s'efforcer de tout son cœur à s'unir à Jésus-Christ dans le sacrement
14. De l'ardent désir de quelques dévots pour le sacré corps de Jésus-Christ
15. Que la grâce de la dévotion s'acquiert par l'humilité et par l'abnégation de soi-même
16. Que nous devons découvrir toutes nos nécessités à Jésus-Christ
17. Du désir ardent de recevoir Jésus-Christ
18. Que l'homme ne doit point approfondir le mystère du saint sacrement avec curiosité, mais soumettre ses sens à la foi
◊Au Lecteur

Je n'invite point à cette lecture ceux qui ne cherchent dans la poésie que la pompe des vers: ce n'est ici qu'une traduction fidèle où j'ai tâché de conserver le caractère et la simplicité de l'auteur. Ce n'est pas pas je ne sache bien que l'utile a besoin de l'agréable pour s'insinuer dans l'amitié des hommes; mais j'ai cru qu'il ne fallait pas l'étouffer sous les enrichissements, ni lui donner des lumières qui éblouissent au lieu d'éclairer. Il est juste de lui prêter quelques grâces, mais de celles qui lui laissent toute sa force, qui l'embellissent sans le déguiser, et l'accompagnent sans le dérober à la vue; autrement ce n'est plus qu'un effort ambitieux qui fait plus admirer le poète qu'il ne touche le lecteur. J'espère qu'on trouvera celui-ci dans une raisonnable médiocrité, et telle que demande une morale chrétienne qui a pour but d'instruire, et ne se met pas en peine de chatouiller les sens. Il est hors de doute que les curieux n'y trouveront point de charme, mais peut-être qu'en récompense les bonnes intentions n'y trouveront point de dégoût; que ceux qui aimeront les choses qui y sont dites supporteront la façon dont elles y sont dites; et que ce qui pénétrera le cœur ne blessera point les oreilles. Le peu de disposition que les matières y ont à la poésie, le peu de liaison, non seulement d'un chapitre avec l'autre, mais d'une période même avec celle qui la suit, et les répétitions assidues qui se trouvent dans l'original, sont des obstacles assez malaisés à surmonter, et qui par conséquent méritent bien que vous me fassiez quelque grâce. Surtout les redites y sont si fréquentes, que quand notre langue serait dix fois plus abondante qu'elle n'est, je l'aurais épuisée fort aisément; et j'avoue que je n'ai pu trouver le secret de diversifier mes expressions toutes les fois que j'ai eu la même chose à exprimer: il s'y rencontre même des mots si farouches pour nos vers, que j'ai été contraint d'avoir souvent recours à d'autres qui n'y répondent qu'imparfaitement, et ne disent pas tout ce que mon auteur veut dire. J'espérais trouver quelque soulagement dans le quatrième livre, par le changement des matières; mais je les y ai rencontrées encore plus éloignées des ornements de la poésie, et les redites encore plus fréquentes; il ne s'y parle que de communier et dire la messe. Ce sont des termes qui n'ont pas un assez beau son dans nos vers pour soutenir la dignité de ce qu'ils signifient: la sainteté de notre religion les a consacrés, mais, en quelque vénération qu'elle les ait mis, ils sont devenus populaires à force d'être dans la bouche de tout le monde: cependant j'ai été obligé de m'en servir souvent, et de quelques autres de même classe. Si j'ose en dire ma pensée, je prévois que ceux qui ne liront que ma traduction feront moins d'état de ce dernier livre que des trois autres; mais aussi je me tiens assuré que ceux qui prendront la peine de la conférer avec le texte latin connaîtront combien ce dernier effort m'a coûté, et ne l'estimeront pas moins que le reste. Je n'examine point si c'est à Jean Gerson, ou à Thomas A Kempis, que l'Église est redevable d'un livre si précieux; cette question a été agitée de part et d'autre avec beaucoup d'esprit et de doctrine, et, si je ne me trompe, avec un peu de chaleur: ceux qui voudront en être particulièrement éclairés pourront consulter ce qu'on a publié de part et d'autre sur ce sujet. Messieurs des requêtes du parlement de Paris ont prononcé en faveur de Thomas A Kempis; et nous pouvons nous en tenir à leur jugement jusqu'à ce que l'autre parti en ait fait donner un contraire. Par la lecture, il est constant que l'auteur était prêtre; j'y trouve quelque apparence qu'il était moine; mais j'y trouve aussi quelque répugnance à le croire Italien. Les mots grossiers dont il se sert assez souvent sentent bien autant le latin de nos vieilles pancartes que la corruption de celui de delà les monts; et non seulement sa diction, mais sa phrase en quelques endroits est si purement française, qu'il semble avoir pris plaisir à suivre mot à mot notre commune façon de parler. C'est sans doute sur quoi se sout fondés ceux qui, du commencement que ce livre a paru, incertains qu'ils étaient de l'auteur, l'ont attribué à saint Bernard et puis à Jean Gerson, qui étaient tous deux Français; et je voudrais qu'il se rencontrât assez d'autres conjectures pour former un troisième parti en faveur de ce dernier, et le remettre en possession d'une gloire dont il a joui assez longtemps. L'amour du pays m'y ferait volontiers donner les mains; mais il faudrait un plus habile homme et plus savant que je ne suis pour répondre aux objections que lui font les deux autres, qui s'accordent mieux à l'exclure qu'à remplir sa place. Quoi qu'il en soit, s'il y a quelque contestation pour le nom de l'auteur, il est hors de dispute que c'était un homme bien éclairé du Saint-Esprit, et que son ouvrage est une bonne école pour ceux qui veulent s'avancer dans la dévotion. Après en avoir donné beaucoup de préceptes admirables dans les deux premiers livres, voulant monter encore plus haut dans les deux autres, et nous enseigner la pratique de la spiritualité la plus épurée, il semble se délier de lui-même; et de peur que son autorité n'eût pas assez de poids pour nous mettre dans des sentiments si détachés de la nature, ni assez de force pour nous élever à ce haut degré de la perfection, il quitte la chaire à Jésus-Christ, et l'introduit lui-même, instruisant l'homme et le conduisant de sa propre main dans le chemin de la véritable vie. Ainsi ces deux derniers livres sont un dialogue continuel entre ce rédempteur de nos âmes et le vrai chrétien, qui souvent s'entre-répondent dans un même chapitre, bien que ce grand homme n'y marque aucune distinction. La fidélité avec laquelle je le suis pas à pas m'a persuadé que je n'y en devais pas mettre, puisqu'il n'y en avait pas mis; mais j'ai pris la liberté de changer la mesure de mes vers toutes les fois qu'il change de personnages, tant pour aider le lecteur à remarquer ce changement, que parce que je n'ai pas cru à propos que l'homme parlât le même langage que Dieu. Au reste, si je ne rends point ici raison du changement que j'y ai fait en l'orthographe ordinaire, c'est parce que je l'ai rendue au commencement du recueil de mes pièces de théâtre, où le lecteur pourra recourir.

◊Livre Premier
◊1 De l'imitation de Jésus-Christ, et du mépris de toutes les vanités du monde
«Heureux qui tient la route où ma voix le convie!Les ténèbres jamais n'approchent qui me suit,Et partout sur mes pas il trouve un jour sans nuitQui porte jusqu'au cœur la lumière de vie.»Ainsi Jésus-Christ parle; ainsi de ses vertus,Dont brillent les sentiers qu'il a pour nous battus,Les rayons toujours vifs montrent comme il faut vivre,Et quiconque veut être éclairé pleinement,Doit apprendre de lui que ce n'est qu'à le suivreQue le cœur s'affranchit de tout aveuglement.
Les doctrines des saints n'ont rien de comparableA celle dont lui-même il s'est fait le miroir;Elle a mille trésors qui se font bientôt voir,Quand l'œil a pour flambeau son esprit adorable.Toi qui, par l'amour-propre à toi-même attaché,L'écoutes et la lis sans en être touché,Faute de cet esprit, tu n'y trouves qu'épines;Mais si tu veux l'entendre et lire avec plaisir,Conforme-s-y ta vie, et ses douceurs divines S'étaleront en foule à ton heureux désir.
Que te sert de percer les plus secrets abîmesOù se cache à nos sens l'immense Trinité, Si ton intérieur, manque d'humilité,Ne lui saurait offrir d'agréables victimes?Cet orgueilleux savoir, ces pompeux sentiments,Ne sont aux yeux de Dieu que de vains ornements; Il ne s'abaisse point vers des âmes si hautes:Et la vertu sans eux est de telle valeur,Qu'il vaut mieux bien sentir la douleur de tes fautesQue savoir définir ce qu'est cette douleur.
Porte toute la Bible en ta mémoire empreinte, Sache tout ce qu'ont dit les sages des vieux temps;Joins-y, si tu le peux, tous les traits éclatantsDe l'histoire profane et de l'histoire sainte:De tant d'enseignements l'impuissante langueur Sous leur poids inutile accablera ton cœur. Si Dieu n'y verse encor son amour et sa grâce;Et l'unique science où tu dois prendre appui,C'est que tout n'est ici que vanité qui passe,Hormis d'aimer sa gloire, et ne servir que lui.
C'est là des vrais savants la sagesse profonde;Elle est bonne en tout temps, elle est bonne en tous lieux;Et le plus sûr chemin pour aller vers les cieuxC'est d'affermir nos pas sur le mépris du monde.Ce dangereux flatteur de nos faibles espritsOppose mille attraits à ce juste mépris;Qui s'en laisse éblouir s'en laisse tôt séduire:Mais ouvre bien les yeux sur leur fragilité,Regarde qu'un moment suffit pour les détruire,Et tu verras qu'enfin tout n'est que vanité.
Vanité d'entasser richesses sur richesses;Vanité de languir dans la soif des honneurs;Vanité de choisir pour souverains bonheursDe la chair et des sens les damnables caresses;Vanité d'aspirer à voir durer nos jours Sans nous mettre en souci d'en mieux régler le cours,D'aimer la longue vie, et négliger la bonne,D'embrasser le présent sans soin de l'avenir,Et de plus estimer un moment qu'il nous donneQue l'attente des biens qui ne sauraient finir.
Toi donc, qui que tu sois, si tu veux bien comprendreComme à tes sens trompeurs tu dois te confier, Souviens-toi qu'on ne peut jamais rassasierNi l'œil humain de voir, ni l'oreille d'entendre;Qu'il faut se dérober à tant de faux appas,Mépriser ce qu'on voit pour ce qu'on ne voit pas,Fuir les contentements transmis par ces organes;Que de s'en satisfaire on n'a jamais de lieu,Et que l'attachement à leurs douceurs profanes Souille ta conscience, et t'éloigne de Dieu.
◊2 Du peu d'estime de soi-même
Le désir de savoir est naturel aux hommes;Il naît dans leur berceau sans mourir qu'avec eux:Mais, ô Dieu! dont la main nous fait ce que nous sommes,Que peut-il sans ta crainte avoir de fructueux?
Un paysan stupide et sans expérience,Qui ne sait que t'aimer et n'a que de la foi,Vaut mieux qu'un philosophe enflé de sa science,Qui pénètre les cieux, sans réfléchir sur soi.
Qui se connaît soi-même en a l'âme peu vaine, Sa propre connaissance en met bien bas le prix;Et tout le faux éclat de la louange humaineN'est pour lui que l'objet d'un généreux mépris.
Au grand jour du Seigneur sera-ce un grand refugeD'avoir connu de tout et la cause et l'effet,Et ce qu'on aura su fléchira-t-il un jugeQui ne regardera que ce qu'on aura fait?
Borne donc tes désirs à ce qu'il te faut faire;Ne les porte plus trop vers l'amas du savoir;Les soins de l'acquérir ne font que te distraire,Et quand tu l'as acquis il peut te décevoir.
Les savants d'ordinaire aiment qu'on les regarde,Qu'on murmure autour d'eux: Voilà ces grands esprits;Et, s'ils ne font du cœur une soigneuse garde,De cet orgueil secret ils sont toujours surpris.
Qu'on ne se trompe point, s'il est quelques sciencesQui puissent d'un savant faire un homme de bien,Il en est beaucoup plus de qui les connaissancesNe servent guère à l'âme, ou ne servent de rien.
Par là tu peux juger à quels périls s'exposeCelui qui du savoir fait son unique but,Et combien se méprend qui songe à quelque choseQu'à ce qui peut conduire au chemin du salut.
Le plus profond savoir n'assouvit point une âme;Mais une bonne vie a de quoi la calmer,Et jette dans le cœur qu'un saint désir enflammeLa pleine confiance au Dieu qu'il doit aimer.
Au reste, plus tu sais, et plus a de lumièreLe jour qui se répand sur ton entendement,Plus tu seras coupable à ton heure dernière Si tu n'en as vécu d'autant plus saintement.
La vanité par là ne te doit point surprendre.Le savoir t'est donné pour guide à moins faillir;Il te donne lui-même un plus grand compte à rendre,Est plus lieu de trembler que de t'enorgueillir.
Trouve à t'humilier même dans ta doctrine:Quiconque en sait beaucoup en ignore encor plus,Et qui sans se flatter en secret s'examineEst de son ignorance heureusement confus.
Quand pour quelques clartés dont ton esprit abondeTon orgueil à quelque autre ose te préférer,Vois qu'il en est encor de plus savants au monde,Qu'il en est que le ciel daigne mieux éclairer.
Fuis la haute science, et cours après la bonne;Apprends celle de vivre ici-bas sans éclat;Aime à n'être connu, s'il se peut, de personne,Ou du moins aime à voir qu'aucun n'en fasse état.
Cette unique leçon, dont le parfait usageConsiste à se bien voir et n'en rien présumer,Est la plus digne étude où s'occupe le sagePour estimer tout autre, et se mésestimer.
Si tu vois donc un homme abîmé dans l'offense,Ne te tiens pas plus juste ou moins pécheur que lui:Tu peux en un moment perdre ton innocence,Et n'être pas demain le même qu'aujourd'hui.
Souvent l'esprit est faible et les sens indociles,L'amour-propre leur fait ou la guerre ou la loi;Mais, bien qu'en général nous soyons tous fragiles,Tu n'en dois croire aucun si fragile que toi.
◊3 De la doctrine de la vérité
Qu'heureux est le mortel que la vérité mêmeConduit de sa main propre au chemin qui lui plaît!Qu'heureux est qui la voit dans sa beauté suprême,                 Sans voile et sans emblème,                 Et telle enfin qu'elle est!
Nos sens sont des trompeurs dont les fausses imagesA notre entendement n'offrent rien d'assuré,Et ne lui font rien voir qu'à travers cent nuages                 Qui jettent mille ombrages                 Dans l'œil mal éclairé.
De quoi sert une longue et subtile dispute Sur des obscurités où l'esprit est déçu?De quoi sert qu'à l'envi chacun s'en persécute,                 Si Dieu jamais n'impute                 De n'en avoir rien su?
Grande perte de temps et plus grande faiblesseDe s'aveugler soi-même et quitter le vrai bienPour consumer sa vie à pointiller sans cesse                 Sur le genre et l'espèce,                 Qui ne servent à rien.
Touche, Verbe éternel, ces âmes curieuses;Celui que ta parole une fois a frappé,De tant d'opinions vaines, ambitieuses,                 Et souvent dangereuses,                 Est bien développé.
Ce Verbe donne seul l'être à toutes les causes;Il nous parle de tout, tout nous parle de lui;Il tient de tout en soi les natures encloses;                 Il est de toutes choses                 Le principe et l'appui.
Aucun sans son secours ne saurait se défendreD'un million d'erreurs qui courent l'assiéger;Et depuis qu'un esprit refuse de l'entendre,                 Quoi qu'il pense comprendre,                 Il n'en peut bien juger.
Mais qui rapporte tout à ce Verbe immuable,Qui voit tout en lui seul, en lui seul aime tout,A la plus rude attaque il est inébranlable,                 Et sa paix ferme et stable                 En vient soudain à bout!
O Dieu de vérité, pour qui seul je soupire,Unis-moi donc à toi par de forts et doux nœuds!Je me lasse d'ouïr, je me lasse de lire,                 Mais non pas de te dire:                 C'est toi seul que je veux.
Parle seul à mon âme, et qu'aucune prudence,Qu'aucun autre docteur ne m'explique tes lois;Que toute créature à ta sainte présence                 S'impose le silence,                 Et laisse agir ta voix.
Plus l'esprit se fait simple et plus il se ramèneDans un intérieur dégagé des objets.Plus lors sa connaissance est diffuse et certaine,                 Et s'élève sans peine                 Jusqu'aux plus hauts sujets.
Oui, Dieu prodigue alors ses grâces plus entières,Et, portant notre idée au-dessus de nos sens,Il nous donne d'en haut d'autant plus de lumières,                 Qui percent les matières                 Par des traits plus puissants.
Cet esprit simple, uni, stable, pur, pacifique,En mille soins divers n'est jamais dissipé,Et l'honneur de son Dieu, dans tout ce qu'il pratique                 Est le projet unique                 Qui le tient occupé.
Il est toujours en soi détaché de soi-même;Il ne sait point agir quand il se faut chercher,Et, fût-il dans l'éclat de la grandeur suprême,                 Son propre diadème                 Ne l'y peut attacher.
Il ne croit trouble égal à celui que se causeUn cœur qui s'abandonne à ses propres transports,Et, maître de soi-même, en soi-même il dispose                 Tout ce qu'il se propose                 De produire au dehors.
Bien loin d'être emporté par le courant rapideDes flots impétueux de ses bouillants désirs,Il les dompte, il les rompt, il les tourne, il les guide,                 Et donne ainsi pour bride                 La raison aux plaisirs.
Mais pour se vaincre ainsi qu'il faut d'art et de force!Qu'il faut pour ce combat préparer de vigueur!Et qu'il est malaisé de faire un plein divorce                 Avec la douce amorce                 Que chacun porte au cœur!
Ce devrait être aussi notre unique penséeDe nous fortifier chaque jour contre nous,Pour en déraciner cette amour empressée                 Où l'âme intéressée                 Trouve un poison si doux.
Les soins que cette amour nous donne en cette vieNe peuvent aussi bien nous élever si haut,Que la perfection la plus digne d'envie                 N'y soit toujours suivie                 Des hontes d'un défaut.
Nos spéculations ne sont jamais si puresQu'on ne sente un peu d'ombre y régner à son tour;Nos plus vives clartés ont des couleurs obscures,                 Et cent fausses peintures                 Naissent d'un seul faux jour.
Mais n'avoir que mépris pour soi-même et que haineOuvre et fait vers le ciel un chemin plus certain,Que le plus haut effort de la science humaine,                 Qui rend l'âme plus vaine,                 Et l'égare soudain.
Ce n'est pas que de Dieu ne vienne la science;D'elle-même elle est bonne, et n'a rien à blâmer:Mais il faut préférer la bonne conscience                 A cette impatience                 De se faire estimer.
Cependant, sans souci de régler sa conduite,On veut être savant, on en cherche le bruit;Et cette ambition par qui l'âme est séduite                 Souvent traîne à sa suite                 Mille erreurs pour tout fruit.
Ah! si l'on se donnait la même diligence,Pour extirper le vice et planter la vertu,Que pour subtiliser sa propre intelligence                 Et tirer la science                 Hors du chemin battu!
De tant de questions les dangereux mystèresProduiraient moins de trouble et de renversement,Et ne couleraient pas dans les règles austères                 Des plus saints monastères                 Tant de relâchement.
Un jour, un jour viendra qu'il faudra rendre compte,Non de ce qu'on a lu, mais de ce qu'on a fait;Et l'orgueilleux savoir, à quelque point qu'il monte,                 N'aura lors que la honte                 De son mauvais effet.
Où sont tous ces docteurs qu'une foule si grandeRendait à tes yeux même autrefois si fameux?Un autre tient leur place, un autre a leur prébende,                 Sans qu'aucun te demande                 Un souvenir pour eux.
Tant qu'a duré leur vie ils semblaient quelque chose;Il semble après leur mort qu'ils n'ont jamais été:Leur mémoire avec eux sous leur tombe est enclose;                 Avec eux y repose                 Toute leur vanité.
Ainsi passe la gloire où le savant aspiré, S'il n'a mis son étude à se justifier;C'est là le seul emploi qui laisse lieu d'en dire                 Qu'il avait su bien lire                 Et bien étudier.
Mais, au lieu d'aimer Dieu, d'agir pour son service,L'éclat d'un vain savoir à toute heure éblouit,Et fait suivre à toute heure un brillant artifice                 Qui mène au précipice,                 Et là s'évanouit.
Du seul désir d'honneur notre âme est enflammée;Nous voulons être grands plutôt qu'humbles de cœur;Et tout ce bruit flatteur de notre renommée,                 Comme il n'est que fumée                 Se dissipe en vapeur.
La grandeur véritable est d'une autre nature;C'est en vain qu'on la cherche avec la vanité;Celle d'un vrai chrétien, d'une âme toute pure,                 Jamais ne se mesure                 Que sur sa charité.
Vraiment grand est celui qui dans soi se ravale,Qui rentre en son néant pour s'y connaître bien,Qui de tous les honneurs que l'univers étale                 Craint la pompe fatale,                 Et ne l'estime rien.
Vraiment sage est celui dont la vertu resserreAutour du vrai bonheur l'essor de son esprit,Qui prend pour du fumier les choses de la terre,                 Et qui se fait la guerre                 Pour gagner Jésus-Christ.
Et vraiment docte enfin est celui qui préfèreA son propre vouloir le vouloir de son Dieu,Qui cherche en tout, partout, à l'apprendre, à le faire,                 Et jamais ne diffère                 Ni pour temps ni pour lieu.
◊4 De la prudence en sa conduite
        N'écoute pas tout ce qu'on dit,         Et souviens-toi qu'une âme forte Selon l'esprit de Dieu, qui n'est que charité,         Tout ce que d'un autre on publie:         Donne malaisément créditA ces bruits indiscrets où la foule s'emporte.Il faut examiner avec sincérité,Cependant, ô faiblesse indigne d'un chrétien!         Jusque-là souvent on s'oublieQu'on croit beaucoup de mal plutôt qu'un peu de bien.
        Qui cherche la perfection,         Loin de tout croire en téméraire,         Pèse avec mûre attentionTout ce qu'il entend dire et tout ce qu'il voit faire;La plus claire apparence a peine à l'engager:Il sait que notre esprit est prompt à mal juger,         Notre langue prompte à médire;Et, bien qu'il ait sa part en cette infirmité,         Sur lui-même il garde un empireQui le fait triompher de sa fragilité.
        C'est ainsi que son jugement,         Quoi qu'il apprenne, quoi qu'il sache,         Se porte sans empressement, Sans qu'en opiniâtre à son sens il s'attache Il se défend longtemps du mal d'autrui,Ou s'il en est enfin convaincu malgré lui,         Il ne s'en fait point le trompette,Et cette impression qu'il en prend à regret,         Qu'il désavoue et qu'il rejette,Demeure dans son âme un éternel secret.
        Pour conseil en tes actions         Prends un homme de conscience,         Préfère ses instructionsA ce qu'ose inventer l'effort de ta science.La bonne et sainte vie à chaque événementForme l'expérience, ouvre l'entendement,         Éclaire l'esprit qui l'embrasse;Et plus on a pour soi des sentiments abjects,         Plus Dieu, prodigue de sa grâce,Répand à pleines mains la sagesse et la paix.
◊5 De la lecture de l'Écriture sainte
Cherche la vérité dans la sainte Écriture,             Et lis du même espritLe texte impérieux de sa doctrine pure             Que tu le vois écrit.
On n'y doit point chercher ni le fard du langage,             Ni la subtilité,Ni de quoi s'attacher sur le plus beau passage,             Qu'à son utilité.
Lis un livre dévot, simple et sans éloquence,             Avec plaisir pareilQue ceux où se produit l'orgueil de la science             En son haut appareil.
Ne considère point si l'auteur d'un tel livre             Fut plus ou moins savant;Mais, s'il dit vérité, s'il t'apprend à bien vivre,             Feuillette-le souvent.
Quand son instruction est sanitaire et bonne,             Donne-lui prompt crédit,Et, sans examiner quel maître te la donne,             Songe à ce qu'il te dit.
L'autorité de l'homme est de peu d'importance,             Et passe en un moment;Mais cette vérité que le ciel nous dispense             Dure éternellement.
Sans égards à personne avec nous Dieu s'explique             En diverses façons,Et par tel qu'il lui plaît sa bonté communique             Ses plus hautes leçons.
Le sens de sa parole est souvent si sublime             Et si mystérieux,Qu'à trop l'approfondir il égare, il abîme             L'esprit du curieux.
Il ne veut pas toujours que la vérité nue             S'offre à l'entendement,Et celui-là se perd qui s'arrête où la vue             Doit passer simplement.
De ce trésor ouvert la richesse éternelle             A beau nous inviter, Si l'on n'y porte un cœur humble, simple, fidèle,             On n'en peut profiter.
Ne choisis point pour but de cette sainte étude             D'être estimé savant,Ou pour fruit d'un travail et si long et si rude             Tu n'auras que du vent.
Consulte volontiers sur de si hauts mystères             Les meilleurs jugements,Écoute avec respect les avis des saints Pères             Comme leurs truchements.
Ne te dégoûte point surtout des paraboles,             Quel qu'en soit le projet,Et ne les prends jamais pour des contes frivoles             Qu'on forme sans sujet.
◊6 Des affections désordonnées
Quand l'homme avec ardeur souhaite quelque chose,         Quand son peu de vertu n'opposeNi règle à ses désirs ni modération,Il tombe dans le trouble et dans l'inquiétude         Avec la même promptitude         Qu'il défère à sa passion.
L'avare et le superbe incessamment se gênent,         Et leurs propres vœux les entraînentLoin du repos heureux qu'ils ne goûtent jamais;Mais les pauvres d'esprit, les humbles en jouissent,         Et leurs âmes s'épanouissent         Dans l'abondance de la paix.
Qui n'est point tout à fait dégagé de soi-même,         Qui se regarde encore et s'aime,Voit peu d'occasions sans en être tenté;Les objets les plus vils surmontent sa faiblesse         Et le moindre assaut qui le presse         L'atterre avec facilité.
Ces dévots à demi, sur qui la chair plus forte         Domine encore en quelque sortePenchent à tous moments vers ses mortels appas,Et n'ont jamais une âme assez haute, assez pure,         Pour faire une entière rupture         Avec les douceurs d'ici-bas.
Non, ces hommes charnels, dont les cœurs s'abandonnent         A tout ce que les sens ordonnent,Ne possèdent jamais un bien si précieux;Mais les spirituels, en qui l'âme fervente         Rend la grâce toute puissante,         Le reçoivent toujours des cieux.
Oui, qui de cette chair à demi se détache,         Se chagrine quand il s'arracheAux plaisirs dont l'image éveille son désir;Et, faisant à regret un effort qui l'attriste,         Il s'indigne quand on résiste         A ce qu'il lui plaît de choisir.
Que si, lâchant la bride à sa concupiscence,         Il emporte la jouissanceOù l'a fait aspirer ce désir déréglé, Soudain le vif remords qui le met à la gêne         Redouble d'autant plus sa peine         Que plus il s'était aveuglé.
Il recouvre la vue au milieu de sa joie,         Mais seulement afin qu'il voieComme ses propres sens se font ses ennemis,Et que la passion, qu'il a prise pour guide,         Ne fait point le repos solide         Qu'en vain il s'en était promis.
C'est donc en résistant à ces tyrans de l'âme         Qu'une sainte et divine flammeNous donne cette paix que suit un vrai bonheur:Et qui sous leur empire asservit son courage,         Dans quelques délices qu'il nage,         Jamais ne la trouve en son cœur.
◊7 Qu'il faut fuir la vaine espérance et la présomption
O ciel! que l'homme est vain qui met son espérance             Aux hommes comme lui,Qui sur la créature ose prendre assurance,         Et se propose un ferme appui         Sur une éternelle inconstance!
Sers pour l'amour de Dieu, mortel, sers ton prochain             Sans en avoir de honte;Et quand tu parais pauvre, empêche que soudain         La rougeur au front ne te monte         Pour le paraître avec dédain.
Ne fais point fondement sur tes propres mérites;             Tiens ton espoir en Dieu;De lui dépend l'effet de quoi que tu médites.         Et s'il ne te guide en tout lieu,         En tout lieu tu te précipites.
Ne dors pas toutefois, et fais de ton côté             Tout ce que tu peux faire,Il ne manquera point d'agir avec bonté         Et de fournir comme vrai père         Des forces à ta volonté.
Mais ne t'assure point sur ta haute science,             Ni sur celle d'autrui;Leur conduite souvent brouille la conscience,         Et Dieu seul est le digne appui         Que doit choisir ta confiance.
C'est lui qui nous fait voir l'humble et le vertueux             Élevé par sa grâce;C'est lui qui nous fait voir son bras majestueux         Terrasser l'insolente audace         Dont s'enfle le présomptueux.
Soit donc qu'en ta maison la richesse s'épande,             Soit que de tes amisLe pouvoir en tous lieux pompeusement s'étende,         Garde toujours un cœur soumis,         Quelque honneur par là qu'on te rende.
Prends-en la gloire en Dieu, qui jamais n'est borné             Dans son amour extrême,En Dieu, qui donnant tout sans être importuné,         Veut encor se donner soi-même,         Après même avoir tout donné.
Souviens-toi que du corps la taille avantageuse             Qui se fait admirer,Ni de mille beautés l'union merveilleuse         Pour qui chacun veut soupirer,         Ne doit rendre une âme orgueilleuse.
Du temps l'inévitable et fière avidité             En fait un prompt ravage,Et souvent ayant lui la moindre infirmité         Laisse à peine au plus beau visage         Les marques de l'avoir été.
Si ton esprit est vif, judicieux, docile,             N'en deviens pas plus vain;Tu déplairais à Dieu, qui te fait tout facile,         Et n'a qu'à retirer sa main         Pour te rendre un sens imbécile.
Ne te crois pas plus saint qu'aucun autre pécheur,             Quoi qu'on te veuille dire;Dieu, qui connaît tout l'homme, et qui voit dans ton cœur,         Souvent te répute le pire,         Quand tu t'estimes le meilleur.
Ces bonnes actions sur qui chacun se fonde             Pour t'élever aux cieuxNe partent pas toujours d'une vertu profonde;         Et Dieu, qui voit par d'autres yeux,         En juge autrement que le monde.
Non qu'il nous faille armer contre la vérité             Pour juger mal des nôtres;Voyons-en tout le bien avec sincérité,         Mais croyons encor mieux des autres,         Pour conserver l'humilité.
Tu ne te nuis jamais quand tu les considères             Pour te mettre au-dessous;Mais ton orgueil t'expose à d'étranges misères,         Si tu peux choisir entre eux tous         Un seul à qui tu te préfères.
C'est ainsi que chez l'humble une éternelle paix             Fait une douce vie,Tandis que le superbe est plongé pour jamais         Dans le noir chagrin de l'envie.         Qui trouble ses propres souhaits.
◊8 Qu'il faut éviter la trop grande familiarité
Ne fais point confidence avec toutes personnes;Regarde où tu répands les secrets de ton cœur;Prends et suis les conseils de qui craint le Seigneur;Choisis tes amitiés, et n'en fais que de bonnes;Hante peu la jeunesse, et de ceux du dehors         Souffre rarement les abords.
Jamais autour du riche à flatter ne t'exerce;Vis sans démangeaison de te montrer aux grands;Vois l'humble, le dévot, le simple, et n'entreprendsDe faire qu'avec eux un long et plein commerce;Et n'y traite surtout que des biens précieux         Dont une âme achète les cieux.
Évite avec grand soin la pratique des femmes,Ton ennemi par là peut trouver ton défaut;Recommande en commun aux bontés du Très-HautCelles dont les vertus embellissent les âmes;Et, sans en voir jamais qu'avec un prompt adieu,         Aime-les toutes, mais en Dieu.
Ce n'est qu'avec lui seul, ce n'est qu'avec ses angesQue doit un vrai chrétien se rendre familier:Porte-lui tout ton cœur, deviens leur écolier;Adore en lui sa gloire, apprends d'eux ses louangesEt, bornant tes désirs à ses dons éternels,         Fuis d'être connu des mortels.
La charité vers tous est toujours nécessaire,Mais non pas avec tous un accès trop ouvert:La réputation assez souvent s'y perd.Et tel qui plaît de loin, de près cesse de plaire;Tant ce brillant éclat qui ne fait qu'éblouir         Est sujet à s'évanouir!
Oui, souvent il arrive, et contre notre envie,Que plus on prend de peine à se communiquer,Plus cet effort nous trompe, et force à remarquerLes désordres secrets qui souillent notre vie,Et que ce qu'un grand nom avait semé de bruit         Par la présence est tôt détruit.
◊9 De l'obéissance et de la sujétion
Qu'il fait bon obéir! que l'homme a de mériteQui d'un supérieur aime à suivre les lois,Qui ne garde aucun droit dessus son propre choix,Qui l'immole à toute heure, et soi-même se quitte!L'obéissance est douce, et son aveuglementForme un chemin plus sûr que le commandement,Lorsque l'amour la fait, et non pas la contrainte;Mais elle n'a qu'aigreur sans cette charité,Et c'est un long sujet de murmure et de plainteQuand son joug n'est souffert que par nécessité.
Tous ces devoirs forcés où tout le cœur s'opposeN'acquièrent à l'esprit ni liberté ni paix.Aime qui te commande, ou n'y prétends jamais; S'il n'est aimable en soi, c'est Dieu qui te l'impose.Cours deçà, cours delà, change d'ordre ou de lieux, Si pour bien obéir tu ne fermes les yeux,Tu ne trouveras point ce repos salutaire,Et tous ceux que chatouille un pareil changementN'y rencontrent enfin qu'un bien imaginaireDont la trompeuse idée échappe en un moment.
Il est vrai que chacun volontiers se conseille,Qu'il aime que son sens règle ses actions,Et tourne avec plaisir ses inclinationsVers ceux donc la pensée à la sienne est pareille;Mais, si le Dieu de paix règne au fond de nos cœurs,Il faut les arracher à toutes ces douceurs,De tous nos sentiments soupçonner la faiblesse,Les dédire souvent, et, pour mieux le pouvoir,Nous souvenir qu'en terre il n'est point de sagesseQui sans aucune erreur puisse tout concevoir.
Ne prends donc pas aux tiens si pleine confianceQue tu n'ouvres l'oreille encore à ceux d'autrui;Et quand tu te convaincs de juger mieux que lui, Sacrifie à ton Dieu cette juste croyance.Combattre une révolte où penche la raison,Pour donner au bon sens une injuste prison,C'est se faire soi-même une sainte injustice;Et pour en venir là plus tu t'es combattu,Plus ce Dieu, qui regarde un si grand sacrifice,T'impute de mérite et t'avance en vertu.
On va d'un pas plus ferme à suivre qu'à conduire;L'avis est plus facile à prendre qu'à donner:On peut mal obéir comme mal ordonner;Mais il est bien plus sûr d'écouter que d'instruire.Je sais que l'homme est libre, et que sa volontéEntre deux sentiments d'une égale bontéPeut avec fruit égal embrasser l'un ou l'autre;Mais ne point déférer à celui du prochain,Quand l'ordre ou la raison parle contre le nôtre,C'est montrer un esprit opiniâtre ou vain.
◊10 Qu'il faut se garder de la superfluité des paroles
Fuis l'embarras du monde autant qu'il t'est possible;Ces entretiens du siècle ont trop d'inanité,Et la paix y rencontre un obstacle invincibleLors même qu'on s'y mêle avec simplicité.
Soudain l'âme est souillée, et le cœur fait esclaveDes vains amusements qu'ils savent nous donner;Leur force est merveilleuse, et pour un qui les braveMille à leurs faux appas se laissent enchaîner.
Leur amorce flatteuse a l'art de nous surprendre,Le poison qu'elle glisse est aussitôt coulé;Et je voudrais souvent n'avoir pu rien entendre,Ou n'avoir vu personne, ou n'avoir point parlé.
Qui donc fait naître en nous cette ardeur insensée,Ce désir de parler en tous lieux épandu, S'il est si malaisé que sans être blesséeL'âme rentre en soi-même après ce temps perdu?
N'est-ce point que chacun, de s'aider incapable,Espère l'un de l'autre un mutuel secours,Et que l'esprit, lassé du souci qui l'accable,Croit affaiblir son poids s'il l'exhale en discours?
Du moins tous ces discours sur qui l'homme se jette, Son propre intérêt seul les forme et les conduit;Il parle avec ardeur de tout ce qu'il souhaite,Il parle avec douleur de tout ce qui lui nuit.
Mais souvent c'est en vain, et cette fausse joieQu'il emprunte en passant de l'entretien d'autrui,Repousse d'autant plus celle que Dieu n'envoieQu'aux esprits retirés qui n'en cherchent qu'en lui.
Veillons donc, et prions que le temps ne s'envoleCependant que le cœur languit d'oisiveté;Ou s'il nous faut parler, qu'avec chaque paroleIl sorte de la bouche un trait d'utilité.
Le peu de soin qu'on prend de tout ce qui regardeCes biens spirituels dont l'âme s'enrichitPose sur notre langue une mauvaise garde,Et fait ce long abus sous qui l'homme blanchit.
Parlons, mais dans une humble et sainte conférenceQui nous puisse acquérir cette sorte de biens:Dieu les verse toujours par delà l'espéranceQuand on s'unit à lui par de tels entretiens.
◊11 Qu'il faut tâcher d'acquérir la paix intérieure et de profiter en la vie spirituelle
Que nous aurions de paix et qu'elle serait forte, Si nous n'avions le cœur qu'à ce qui nous importe,Et si nous n'aimions point à nous brouiller l'espritNi de ce que l'on fait ni de ce que l'on dit!Le moyen qu'elle règne en celui qui sans cesseDes affaires d'autrui s'inquiète et s'empresse,Qui cherche hors de soi de quoi s'embarrasser,Et rarement en soi tâche à se ramasser?
C'est vous, simples, c'est vous dont l'heureuse prudenceDu vrai repos d'esprit possède l'abondance;C'est par là que les saints, morts à tous ces plaisirsOù les soins de la terre abaissent nos désirs,N'ayant le cœur qu'en Dieu, ni l'œil que sur eux-mêmes,Élevaient l'un et l'autre aux vérités suprêmes,Et qu'à les contempler bornant leur action,Ils allaient au plus haut de la perfection.
Nous autres, asservis à nos lâches envies, Sur des biens passagers nous occupons nos vies,Et notre esprit se jette avec aviditéOù par leur vaine idée il s'est précipité.
C'est rarement aussi que nous avons la gloireD'emporter sur un vice une pleine victoire;Notre peu de courage est soudain abattu;Nous aidons mal au feu qu'allume la vertu;Et, bien loin de tâcher qu'une chaleur si bellePrenne de jour en jour une force nouvelle,Nous laissons attiédir son impuissante ardeur,Qui de tépidité dégénère en froideur.
Si de tant d'embarras l'âme purifiéeParfaitement en elle était mortifiée,Elle pourrait alors, comme reine des sens,Jusqu'au trône de Dieu porter des yeux perçants,Et faire une tranquille et prompte expérienceDes douceurs que sa main verse en la conscience;Mais l'empire des sens donne d'autres objets,L'âme sert en esclave à ses propres sujets;Nous dédaignons d'entrer dans la parfaite voieQue la ferveur des saints a frayée avec joie;Le moindre coup que porte un peu d'adversitéTriomphe en un moment de notre lâcheté,Et nous fait recourir, aveugles que nous sommes,Aux consolations que nous prêtent les hommes.
Combattons de pied ferme en courageux soldats,Et le secours du ciel ne nous manquera pas:Dieu le tient toujours prêt; et sa grâce fidèle,Toujours propice aux cœurs qui n'espèrent qu'en elle,Ne fait l'occasion du plus rude combatQue pour nous faire vaincre avecque plus d'éclat.
Ces austères dehors qui parent une vie,Ces supplices du corps où l'âme est endurcie,Laissent bientôt finir notre dévotionQuand ils sont tout l'effet de la religion.L'âme, de ses défauts saintement indignée,Doit jusqu'à la racine enfoncer la cognée,Et ne saurait jouir d'une profonde paixA moins que d'arracher jusques à ses souhaits.
Qui pourrait s'affermir dans un saint exerciceQui du cœur tous les ans déracinât un vice,Cet effort, quoique lent, de sa conversionArriverait bientôt à la perfection;Mais nous n'avons, hélas! que trop d'expérienceQu'ayant traîné vingt ans l'habit de pénitence, Souvent ce lâche cœur a moins de puretéQu'à son noviciat il n'avait apporté.
Le zèle cependant chaque jour devrait croître,Profiter de l'exemple et de l'emploi du cloître,Au lieu que chaque jour sa vigueur s'alentit, Sa fermeté se lasse, et son feu s'amortit;Et l'on croit beaucoup faire aux dernières annéesD'avoir un peu du feu des premières journées.
Faisons-nous violence, et vainquons-nous d'abord,Tout deviendra facile après ce peu d'effort.Je sais qu'aux yeux du monde il doit paraître rudeDe quitter les douceurs d'une longue habitude;Mais, puisqu'on trouve encor plus de difficultéA dompter pleinement sa propre volonté,Dans les choses de peu si tu ne te commandes,Dis, quand te pourras-tu surmonter dans les grandes?
Résiste dans l'entrée aux inclinationsQue jettent dans ton cœur tes folles passions;Vois combien ces douceurs enfantent d'amertumes;Dépouille entièrement tes mauvaises coutumes;Leur appât dangereux, chaque fois qu'il surprend,Forme insensiblement un obstacle plus grand.
Enfin règle ta vie; et vois, si tu te changes,Que de paix en toi-même, et que de joie aux anges!Ah! si tu le voyais, tu serais plus constantA courir sans relâche au bonheur qui t'attend;Tu prendrais plus de soins de nourrir en ton âmeLa sainte et vive ardeur d'une céleste flamme,Et, tâchant de l'accroître à toute heure, en tout lieu,Chaque instant de tes jours serait un pas vers Dieu.
◊12 Des utilités de l'adversité
Il est bon quelquefois de sentir des traverses         Et d'en éprouver la rigueur;Elles rappellent l'homme au milieu de son cœur,Et peignent à ses yeux ses misères diverses;         Elles lui font clairement voir         Qu'il n'est qu'en exil en ce monde,Et par un prompt dégoût empêchent qu'il n'y fonde         Ou son amour ou son espoir.
Il est avantageux qu'on blâme, qu'on censure         Nos plus sincères actions,Qu'on prête des couleurs à nos intentionsPour en faire une fausse et honteuse peinture:         Le coup de cette indignité         Rabat en nous la vaine gloire,Dissipe ses vapeurs, et rend à la mémoire         Le souci de l'humilité.
Cet injuste mépris dont nous couvrent les hommes         Réveille un zèle languissant,Et pousse nos soupirs aux pieds du Tout-Puissant,Qui voit notre pensée, et sait ce que nous sommes:         La conscience en ce besoin         Y cherche aussitôt son refuge,Et sa juste douleur l'appelle pour seul juge,         Comme il en est le seul témoin.
Aussi l'homme devrait s'affermir en sa grâce,         S'unir à lui parfaitement,Pour n'avoir plus besoin du vain soulagementQu'au défaut du solide à toute heure il embrasse:         Il cesserait d'avoir recours         Aux consolations humaines, Si contre la rigueur de ses plus rudes peines         Il voyait un si prompt secours.
Lorsque l'âme du juste est vivement pressée         D'une imprévue affliction,Qu'elle sent les assauts de la tentation,Ou l'effort insolent d'une indigne pensée,         Elle voit mieux qu'un tel appui         A sa faiblesse est nécessaire,Et que, quoi qu'elle fasse, elle ne peut rien faire         Ni de grand ni de bon sans lui.
Alors elle gémit, elle pleure, elle prie,         Dans un destin si rigoureux;Elle importune Dieu pour ce trépas heureuxQui la doit affranchir d'une ennuyeuse vie;         Et la soif des souverains biens,         Que dans le ciel fait sa présence,Forme en elle une digne et sainte impatience         De rompre ses tristes liens.
Alors elle aperçoit combien d'inquiétudes         Empoisonnent tous nos plaisirs,Combien de prompts revers troublent tous nos désirs.Combien nos amitiés trouvent d'ingratitudes,         Et voit avec plus de clarté         Qu'on ne rencontre point au mondeNi de solide paix, ni de douceur profonde,         Ni de parfaite sûreté.
◊13 De la résistance aux tentations
        Tant que le sang bout dans nos veines,         Tant que l'âme soutient le corps,Nous avons à combattre et dedans et dehors         Les tentations et les peines.         Aussi, toi qui mis tant de maux         Au-dessous de ta patience,         Toi qu'une sainte expérience         Endurcit à tous leurs assauts,Job, tu l'as souvent dit, que l'homme sur la terreTrouvait toute sa vie une immortelle guerre.
        Il doit donc en toute saison,         Tenir l'œil ouvert sur soi-mêmeEt sans cesse opposer à ce péril extrême         La vigilance et l'oraison:         Ainsi jamais il n'est la proie         Du lion toujours rugissant,         Qui, pour surprendre l'innocent,         Tout à l'entour de lui tournoie,Et, ne dormant jamais, dévore sans tarderCe qu'un lâche sommeil lui permet d'aborder.
        Dans la retraite la plus sainte         Il n'est si haut détachementQui des tentations affranchi pleinement         N'en sente quelquefois l'atteinte:         Mais il en demeure ce fruit         Dans une âme bien recueillie,         Que leur attaque l'humilie,         Leur combat la purge et l'instruit;Elle en sort glorieuse, elle en sort couronnée,Et plus humble, et plus nette, et plus illuminée.
        Par là tous les saints sont passés,         Ils ont fait profit des traverses;Les tribulations, les souffrances diverses,         Jusques au ciel les ont poussés.         Ceux qui suivent si mal leur trace         Qu'ils tombent sous les moindres croix,         Accablés qu'ils sont de leur poids,         Ne remontent point vers la grâce;Et la tentation qui les a captivésLes mène triomphante entre les réprouvés.
        Elle va partout, à toute heure;         Elle nous suit dans le désert;Le cloître le plus saint lui laisse accès ouvert         Dans sa plus secrète demeure.         Esclaves de nos passions         Et nés dans la concupiscence,         Le moment de notre naissance         Nous livre aux tribulations,Et nous portons en nous l'inépuisable sourceD'où prennent tous nos maux leur éternelle course.
        Vainquons celle qui vient s'offrir,         Soudain une autre lui succède;Notre premier repos est perdu sans remède,         Nous avons toujours à souffrir:         Le grand soin dont on les évite         Souvent y plonge plus avant;         Tel qui les craint court au-devant,         Tel qui les fuit s'y précipite;Et l'on ne vient à bout de leur malignitéQue par la patience et par l'humilité.
        C'est par elles qu'on a la force         De vaincre de tels ennemis;Mais il faut que le cœur, vraiment humble et soumis,         Ne s'amuse point à l'écorce.         Celui qui gauchit tout autour         Sans en arracher la racine,         Alors même qu'il les décline,         Ne fait que hâter leur retour;Il en devient plus faible, et lui-même se blesseDe tout ce qu'il choisit pour armer sa faiblesse.
        Le grand courage en Jésus-Christ         Et la patience en nos peinesFont plus avec le temps que les plus rudes gênes         Dont se tyrannise un esprit.         Quand la tentation s'augmente,         Prends conseil à chaque moment,         Et, loin de traiter rudement         Le malheureux qu'elle tourmente,Tâche à le consoler et lui servir d'appuiAvec même douceur que tu voudrais de lui.
        Notre inconstance est le principe         Qui nous en accable en tout lieu;Le peu de confiance en la bonté de Dieu         Empêche qu'il ne les dissipe.         Telle qu'un vaisseau sans timon,         Le jouet des fureurs de l'onde,         Une âme lâche dans le monde         Flotte à la merci du démon:Et tous ces bons propos qu'à toute heure elle quitteL'abandonnent aux vents dont sa fureur l'agite.
        La flamme est l'épreuve du fer,         La tentation l'est des hommes,Par elle seulement on voit ce que nous sommes,         Et si nous pouvons triompher.         Lorsqu'à frapper elle s'apprête,         Fermons-lui la porte du cœur:         On en sort aisément vainqueur         Quand dès l'abord on lui fait tête;Qui résiste trop tard a peine à résister,Et c'est au premier pas qu'il la faut arrêter.
        D'une faible et simple pensée         L'image forme un trait puissant:Elle flatte, on s'y plaît; elle émeut, on consent;         Et l'âme en demeure blessée:         Ainsi notre fier ennemi         Se glisse au dedans et nous tue,         Quand l'âme, soudain abattue,         Ne lui résiste qu'à demi;Et, dans cette langueur pour peu qu'il l'entretienne,Des forces qu'elle perd il augmente la sienne.
        L'assaut de la tentation         Ne suit pas le même ordre en toutes;         Elle prend divers temps et tient diverses routes         Contre notre conversion.         A l'un soudain elle se montre,         Elle attend l'autre vers la fin;         D'un autre le triste destinPresque à tous moments la rencontre: Son coup est pour les uns rude, ferme, pressant;Pour les autres, débile, et mol, et languissant.
        C'est ainsi que la Providence,         Souffrant cette diversité,Par une inconcevable et profonde équité,         Met ses bontés en évidence:         Elle voit la proportion         Des forces grandes et petites;         Elle sait peser les mérites,         Le sexe, la condition;Et sa main, se réglant sur ces diverses causes,Au salut des élus prépare toutes choses.
        Ainsi ne désespérons pas         Quand la tentation redouble,Mais redoublons plutôt nos ferveurs dans ce trouble         Pour offrir à Dieu nos combats;         Demandons-lui qu'il nous console,         Qu'il nous secoure en cet ennui:         Saint Paul nous l'a promis pour lui;         Il dégagera sa parole,Et tirera pour nous ce fruit de tant de maux,Qu'ils rendront notre force égale à nos travaux.
        Quand il nous en donne victoire,         Exaltons sa puissante main,Et nous humilions sous le bras souverain         Qui couronne l'humble de gloire.         C'est dans les tribulations         Qu'on voit combien l'homme profite,         Et la grandeur de son mérite         Ne paraît qu'aux tentations;Par elles sa vertu plus vivement éclate,Et l'on doute d'un cœur jusqu'à ce qu'il combatte.
        Sans grand miracle on est fervent         Tant qu'on ne sent point de traverse;Mais qui sans murmurer souffre un coup qui le perce         Peut aller encor plus avant.         Tel dompte avec pleine constance         La plus forte tentation,         Que la plus faible occasion         Trouve à tous coups sans résistance,Afin qu'humilié de s'en voir abattuJamais il ne s'assure en sa propre vertu.
◊14 Qu'il faut éviter le jugement téméraire
        Fais réflexion sur toi-même,         Et jamais ne juge d'autrui:         Qui s'empresse à juger de lui         S'engage en un péril extrême;         Il travaille inutilement,         Il se trompe facilement,         Et plus facilement offense:Mais celui qui se juge, heureusement s'instruitA purger de péché ce qu'il fait, dit ou pense, Se trompe beaucoup moins, et travaille avec fruit.
        Souvent le jugement se porte         Selon que la chose nous plaît;         L'amour-propre est un intérêt         Sous qui notre raison avorte.         Si des souhaits que nous faisons,         Des pensers où nous nous plaisons,         Dieu seul était la pure idée,Nous aurions moins de trouble et serions plus puissantsA calmer dans notre âme, ici-bas obsédée,La révolte secrète où l'invitent nos sens.
        Mais souvent, quand Dieu nous appelle,         En vain son joug nous semble doux,         Quelque charme au dedans de nous         Fait naître un mouvement rebelle;         Souvent quelque attrait du dehors         Résiste aux amoureux efforts         De la grâce en nous épandue,Et nous fait, malgré nous, tellement balancer,Qu'entre nos sens et Dieu notre âme suspenduePerd le temps d'y répondre, et ne peut avancer.
        Plusieurs de sorte se déçoivent         En l'examen de ce qu'ils sont,         Qu'ils se cherchent en ce qu'ils font         Sans même qu'ils s'en aperçoivent:         Ils semblent en tranquillité         Tant que ce qu'ils ont projeté         Succède comme ils l'imaginent;Mais si l'événement remplit mal leurs souhaits,Ils s'émeuvent soudain, soudain ils se chagrinent,Et ne gardent plus rien de leur première paix.
        Ainsi, par des avis contraires         L'amour de nos opinions         Enfante les divisions         Entre les amis et les frères;         Ainsi les plus religieux         Par ce zèle contagieux         Se laissent quelquefois séduire;Ainsi tout vieil usage est fâcheux à quitter;Ainsi personne n'aime à se laisser conduirePlus avant que ses yeux ne sauraient le porter.
        Que si ta raison s'autorise         A plus appuyer ton esprit         Que la vertu que Jésus-Christ         Demande à ses ordres soumise,         Tu sentiras fort rarement         Éclairer ton entendement,         Et par des lumières tardives:Dieu veut un cœur entier qui n'ait point d'autre appui,