1,99 €
Un parvenu et une aventurière sous les lampions d'un pastiche de la cour de Versailles... les contemporains n'étaient pas tendres envers les derniers occupants des Tuileries. Avec le temps, le Second Empire a pourtant trouvé sa réhabilitation dans l'imaginaire français. Bals, crinolines et tables tournantes, toute une époque, qu'aujourd'hui on n'évoque pas sans un sourire entendu, et un peu complice. La cour d'Eugénie et Louis-Napoléon en était le coeur. L'auteur, grand spécialiste du temps, nous en ouvre grand les portes. (Édition annotée)
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
L’impératrice Eugénie
et sa cour
Octave Aubry
Édition annotée
Fait par Mon Autre Librairie
À partir de l’édition Flammarion, 1932.
Les notes entre crochets ont été ajoutées pour cette présente édition.
https://monautrelibrairie.com
__________
© Mon Autre Librairie, 2023
ISBN : 978-2-38371-065-3
Table des matières
I. – Le mariage d’Eugénie
II. – La vie aux Tuileries
III. – Les fêtes
IV. – Les villégiatures impériales
V. – L’Impératrice et la politique
VI. – Les rois à Paris
VII. – Le caractère d’Eugénie
L’Impératrice Eugénie par Dubufe
I. – Le mariage d’Eugénie
Le Second Empire, après une longue éclipse, est redevenu à la mode. Quoi d’étonnant à cela ? On en avait trop médit. Ce fut une époque charmante, la dernière où se soit encore épanouie la société française. D’autre part, les générations aujourd’hui au plein de leur âge ont été bercées au récit des fastes et des désastres du régime impérial, et elles s’intéressent d’instinct aux évocations qui tentent, avec bonne foi, d’en ranimer les images confuses. Dans notre mémoire persistaient jusqu’ici des notions qui se raccordaient mal : bonté et fatalisme de Napoléon III, grâce d’Eugénie, fêtes des Tuileries, élégances désuètes, succès militaires de Crimée et d’Italie, prospérité économique, fautes de la politique, invasion du pouvoir par l’Impératrice, expédition du Mexique, guerre de 70, écroulement, embrasement affreux de la Commune, perte du prestige français, qu’il faudra un demi-siècle pour relever.
À la vérité, il existe de très remarquables histoires du Second Empire, mais, trop volumineuses ou trop chargées de politique, elles ne s’adressent point au grand public. Ce qu’il désire aujourd’hui, par une curiosité naturelle, c’est connaître les faits dans l’essentiel, et aussi, et surtout, se représenter avec exactitude les décors, les personnages du passé, leur caractère, leurs penchants, en un mot voir la petite histoire à côté de la grande. L’histoire réduite aux faits généraux est aride, elle est incomplète, et ce sera l’honneur et la durable gloire d’un Lenotre1 d’en avoir, par une juxtaposition savante, éclairé, nous pouvons dire même illuminé, les dessous.
Parmi les acteurs principaux du Second Empire, l’Impératrice Eugénie est l’un des plus curieux, des plus attachants et aussi des moins bien connus. Elle a été l’objet de jugements passionnés et contradictoires. Cette figure capitale de l’histoire contemporaine a droit sans doute aujourd’hui à plus d’équité. Avec le temps, on la comprend mieux. Mon dessein n’est pas de résumer ici l’ouvrage que j’ai écrit sur elle.2 Ces sortes d’entreprises sont fastidieuses pour le lecteur et plus encore pour l’auteur. Mais je voudrais, l’ayant beaucoup étudiée, et en somme à travers près d’un siècle suivie dans ses moindres pas, tâcher de la rappeler dans l’époque la plus brillante de sa vie, et, m’aidant des témoignages des contemporains, la faire revenir pour une heure auprès de nous, belle, parée, souriante, escortée des grâces de son temps, de ce temps qui marque une sorte d’âge heureux dans notre civilisation, une ère d’ordre, de stabilité, de solidité de l’Europe. Car il y avait alors une Europe. Il y avait aussi un sentiment européen.
*
* *
Tous les esprits dominants de cette période furent des Européens, quels qu’aient été leur nation et leur parti. Napoléon III et Eugénie, plus que les autres, ont été Européens par l’éducation, par les idées, par les goûts. Et c’est sur quoi l’on devra d’abord insister si l’on veut pouvoir prendre une vue vraie du Second Empire.
L’Impératrice Eugénie était, quoi qu’on ait prétendu, d’une très grande famille espagnole. Les Guzman remontent au XIIe siècle. Son père, Cypriano de Teba, cadet de famille, avait combattu pour la France et Napoléon. Il avait commandé en 1814 le bataillon des Polytechniciens à la barrière de Clichy. La mort de son aîné le fit comte de Montijo, sénateur, trois fois grand d’Espagne et possesseur d’immenses domaines en Castille et en Estrémadure. Dans ces domaines, de l’étendue d’un département français, il y avait beaucoup de terres incultes, de marais, de maquis. Mal administrés, leur rapport était intermittent et les Montijo, qui menaient grand train, avaient souvent la bourse légère et des moments embarrassés.
La mère d’Eugénie était d’ascendance écossaise. Son père, consul des États-Unis à Malaga, descendait des Kirkpatrick de Closeburn, exilés après la chute des Stuart. Elle avait, toute jeune, épousé le comte Cypriano qui, âgé déjà et estropié par la guerre, n’était pas sans doute un brillant parti, mais lui apportait un haut parentage et un beau nom.
Cette mère, la fameuse comtesse de Montijo, était très vive d’esprit, de tournure et de langage. Elle se passionnait pour la politique et ne détestait pas l’intrigue. Elle était grande liseuse et ne se plaisaitque dans la société des hommes. Nous retrouverons ces traits chez Eugénie. Cependant, la comtesse montrait une liberté de mœurs bien étrangère à sa fille, car, quoi qu’on ait pu dire de l’Impératrice, elle est demeurée à cet égard au-dessus de tout soupçon.
Le comte de Montijo mourut en 1839. Eugénie avait treize ans, étant née en 1826, officiellement du moins, car, à l’époque de son mariage, il semble bien que sur les actes de l’état civil de Grenade on l’ait un peu rajeunie. Sa sœur Paca, qui sera duchesse d’Albe, était d’un an son aînée.
La comtesse de Montijo, très espagnole mais en même temps très cosmopolite, vécut dès lors en perpétuels déplacements : Paris, Londres, les villes d’eau d’Allemagne, les stations des Pyrénées, la virent passer, avec ses deux filles. Elles comptaient beaucoup d’amis dans la société internationale, étaient très élégantes, très parées. Les hommes les recherchaient beaucoup. Les femmes, à quelques exceptions près, ne les aimaient pas.
Paca se maria, en 1844, avec le duc d’Albe qui, d’abord, avait demandé la main d’Eugénie, mais dont celle-ci inclina les sentiments vers sa sœur, qui s’était éprise du jeune duc. À cette époque elle rêvait elle-même d’un mariage d’amour. Elle se fiança presque avec le marquis d’Alcanizes, fils du duc de Sesto, l’un des plus grands partis d’Espagne, mais lui rendit bientôt sa parole quand elle apprit qu’il avait noué à ce même moment une intrigue avec une de ses parentes proches. Elle donna son congé au jeune homme, et, pour éviter de s’attendrir, partit avec sa mère pour Paris. Elle refusa également le duc d’Ossuna, dont elle savait qu’il avait été trop bien avec la comtesse. Puis, successivement, on la vit décourager son ami d’enfance Édouard Delessert, le riche vicomte Aguado, familier de la casa Montijo, enfin un baron de Rothschild. On dit même qu’elle écarta le prince Napoléon,3 alors ambassadeur de France à Madrid, qui lui avait fait une cour pressante. Peut-être doit-on voir là l’origine de l’animosité que le cousin de l’Empereur ne cessera pendant tout le règne de témoigner à Eugénie.
Mme de Montijo voyait avec regret sa fille repousser tous les partis, même brillants et avantageux. Elle lui prédisait qu’elle resterait fille. De fait, Eugénie avait coiffé Sainte-Catherine, et déjà dans le monde où elle paraissait avec assiduité, elle semblait, avec sa mine recherchée, ses diamants, son assurance de gestes et de ton, beaucoup plus une jeune femme qu’une jeune fille.
Pour quel avenir se réservait-elle ? Nul ne le savait, ni elle-même sans doute. À force de courir les villes balnéaires et les capitales de l’Europe, il semble qu’un certain discrédit s’était attaché à Mme et Mlle de Montijo. Les façons de la mère prêtaient aux médisances et la réputation de sa fille en souffrait. On peut dire d’ailleurs qu’entraînée dans ce tourbillon de fêtes et de plaisirs où la comtesse avait choisi de vivre, Eugénie montra quelque mérite à demeurer irréprochable.
*
* *
En 1850 elle rencontra à Paris, chez la princesse Mathilde,4 le Président de la République, le prince Louis-Napoléon. Il n’avait rien d’un prince charmant. Il était assez petit, court de jambes. Il avait un teint terne, un grand nez, des cheveux châtains déjà clairsemés, mais de beaux yeux d’un bleu tendre qu’il fermait à demi sur on ne savait quel songe. Surtout, il s’appelait Napoléon et il était neveu du grand Empereur. Les Montijo avaient toujours été francophiles et bonapartistes. La petite Eugénie, dans les premières années de sa vie à Paris, avait entendu Stendhal raconter les hauts faits de l’Empire et elle en avait conservé comme un vague éblouissement. Cette première entrevue fut toute de courtoisie. Le prince, placé près de la jeune fille, admira ses cheveux dorés, ses épaules rondes où la lumière glissait. Il causa avec elle. Elle lui dit qu’elle avait assisté l’année précédente à la revue de Satory où Louis-Napoléon avait, pour la première fois, été acclamé par les troupes. Ils parlèrent tous deux de l’Angleterre où ils avaient des relations communes : lord Clarendon, les Malmesbury, la marquise d’Ely, qu’Eugénie avait connue alors qu’elle se trouvait pour quelques mois en pension près de Bristol. Eugénie dit au Prince-président qu’elle avait souvent parlé de lui avec une chanteuse mondaine, Mme Gordon, dont elle ignorait le passé. Mme Gordon avait été la maitresse du prince et son auxiliaire lors de la conspiration de Strasbourg.5 Cette confidence parut gêner le prince. Il quitta le salon peu après, mais Eugénie avait fait sur lui une vive impression, et dès lors Mmes de Montijo furent conviées à toutes les réceptions officielles, aux revues, aux bals, et souvent le comte Baciocchi, factotum de Louis-Napoléon, vint leur apporter place Vendôme, où elles habitaient, des loges pour l’Opéra et le Théâtre Français.
À la veille du rétablissement de l’Empire, Mmes de Montijo furent invitées aux chasses offertes par le prince à Fontainebleau. Il admira la grâce d’Eugénie à cheval. De plus en plus, il pensait à elle. Le plaisir qu’il avait éprouvé d’abord à la voir se changeait en un profond désir dont il sentait qu’il ne se déprendrait pas. Il avait hérité de sa mère Hortense une sensualité exigeante. Il aimait les femmes et il avait rencontré près d’elles maints succès dans sa carrière aventureuse. Mais jamais encore il n’avait été ému comme il le fut par Eugénie. Eut-il dès lors la pensée de l’épouser ? Rien n’est moins sûr. Autour de lui, il entendait répéter que Mlle de Montijo ne demanderait pas mieux que de devenir une autre Mme de Pompadour. On se trompait bien. La jeune fille était d’une lignée trop haute et d’une nature trop fière, en dehors même de ses scrupules religieux, pour accepter une position équivoque.
On raconte qu’à Fontainebleau, comme le Prince-président lui demandait en riant quel chemin il fallait prendre pour se rendre à son appartement, elle lui aurait répondu avec vivacité :
« Monseigneur, par la chapelle ! »
Dans ce séjour à Fontainebleau, il s’enfiévra, perdit la tête. Il finit par se déclarer et lui confier qu’il l’aimait. Elle répondit avec froideur qu’elle avait de la sympathie pour lui, mais qu’elle devait se défier d’un homme réputé dangereux et dont on savait les nombreux caprices. Il protesta, s’enferra un peu plus et finit en demandant la permission d’écrire à Eugénie quand ils seraient tous deux de retour à Paris. Elle l’y autorisa, sous la réserve que sa mère verrait toutes ses lettres. Eugénie ne sembla pas avoir eu à ce moment d’intentions bien nettes, mais Mme de Montijo les avait pour elle. Elle comprit qu’avec un peu d’adresse sa fille pourrait obliger le prince à sauter le fossé et lui offrir une couronne d’impératrice. Elle dirigea la manœuvre, quoique Eugénie se regimbât parfois et que son cousin Lesseps, son ami Mérimée, la duchesse d’Albe même fussent opposés à ce projet.
L’Empire fut proclamé le 2 décembre 1852, anniversaire du coup d’État6 et de la bataille d’Austerlitz. Presque aussitôt Napoléon III se rendit à Compiègne, où il invita, avec Mme de Montijo, le prince Napoléon, la princesse Mathilde, le prince Murat et sa fille Anna, quelques ministres et des amis personnels. Il y eut, de nouveau, chasses, promenades, représentations de gala. L’Empereur se montra de plus en plus pressant auprès d’Eugénie qui, en revanche, se trouva en butte à l’animosité et à la jalousie de la plupart des femmes de cet embryon de cour. À la fin elle se plaignit à Napoléon qui, pour réponse, prit une branche de lierre et, l’arrondissant en forme de couronne, la lui posa sur la tête :
« En attendant l’autre », murmura-t-il.
Eugénie y vit une promesse. L’Empereur songeait en effet maintenant au mariage. Il avait dit à son ami Fleury,7 tandis qu’un matin ils se promenaient tous deux sur la terrasse du château, combien la beauté, la grâce d’Eugénie avaient fini par attacher son cœur.
« Ah, je suis bien amoureux d’elle, s’écria-t-il.
– Je le comprends, sire, dit le colonel Fleury, mais alors il n’y a qu’une chose à faire : épousez-la.
– J’y pense sérieusement », fit l’Empereur.