L’impopulaire - Slemnia Bendaoud - E-Book

L’impopulaire E-Book

Slemnia Bendaoud

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Beschreibung

Ahmed Ouyahia a grimpé rapidement les échelons du pouvoir, atteignant presque le sommet, avant de connaître une descente précipitée. Depuis la révolte de février 2019, il est en chute libre, cloîtré et en attente d’un meilleur avenir, loin de la lumière du jour.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Chroniqueur de presse, traducteur et auteur, Slemnia Bendaoud est une plume très critique dont l’intérêt est chevillé à la cause nationale. Il dresse dans cet ouvrage le portrait d’un grand symbole du régime contre lequel s’est soulevé le peuple algérien.

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Slemnia Bendaoud

L’impopulaire

Essai

© Lys Bleu Éditions – Slemnia Bendaoud

ISBN : 979-10-422-1116-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Les gouvernants corrompus sont le reflet des gouvernés corrompus.

Saad Zaghloul

Avertissement

Cet ouvrage n’a rien d’un pamphlet. Il tend le plus normalement du monde à caricaturer le portrait d’un homme public, pour le présenter en l’état au lecteur. Dans son état bien réel et tout à fait naturel, sans rien lui modifier ou lui ôter. Sans avoir à verser dans des diatribes ou de raconter des quolibets à son sujet.

Il n’est pas dans les habitudes ou dans la culture de son auteur de tirer sur une ambulance ou même de se servir – en ténu rancunier – de son grand couteau lorsque le « puissant taureau » git déjà au sol, les pattes liées et son passé désormais derrière lui, enfoui au fond des poubelles de l’Histoire ou bien conservé dans des livres d’or de la Cité et des manuels scolaires destinés aux futures générations.

La morale citoyenne nous interdit formellement aussi d’en faire le procès public à titre de représailles ou même de tenter de soutirer du sujet abordé un menu profit indexé à de quelques supposés dividendes, encore moins espérer profiter de prétendues glorioles à récupérer sur son dos ou à son détriment, afin de satisfaire au désir d’en tirer une quelconque vengeance.

S’agissant d’un homme public connu par tout le monde, et donc par voie de conséquence exposé de droit de par son statut public comme tous ses nombreux pairs et autres commis de l’État à un jugement citoyen loyal et surtout juste, il est indéniable que les critiques objectives dont il est l’objet dans ce « portrait géant » ne puissent correspondre que peu ou prou à celles que chacun des lecteurs en fait à sa manière ou selon l’angle de vue choisi.

Étant entendu que chaque analyse critique aborde, à sa propre façon, son sujet en fonction de l’angle d’attaque ou de vision qui lui semble être le mieux approprié ou à même de faire passer le message qu’il cherche à livrer au lecteur. Le contenu de cet ouvrage s’inscrit, lui aussi, dans le sens des principes cardinaux qui évaluent à leur juste mesure tout produit littéraire.

Au regard de tous ces impératifs de premier ordre, cet ouvrage se veut être un éclairage honnête au sujet d’une personnalité politique algérienne. Il en expurge pêle-mêle et situe – à la fois – ses points forts et ses points faibles, avec toute la précision voulue, de sorte à déterrer, dans un bref survol, en filigrane ou parfois en pans entiers, des faits connus ou reconnus par les nombreux observateurs de la scène politique nationale.

Ce passage à la loupe – sarclé et dépouillé de tout acte ou geste de nature à écorcher sa personnalité – est conçu sous la forme de coupes successives d’images qui se télescopent, se mélangent ou s’interposent dans l’imaginaire de tout Algérien, à la moindre évocation du nom d’Ahmed Ouyahia.

Cet ouvrage n’est pas le tout premier titre écrit, réalisé par l’auteur à son sujet. Au mois de juin 2014, il lui avait déjà consacré tout un étriqué portrait1, au même titre d’ailleurs que d’autres prétendants à la magistrature suprême devant alors se dérouler durant la même année dont justement l’« heureux élu », Abdelaziz Bouteflika.

Préambule

Ahmed Ouyahia est pour le régime ce que le souffle humain est pour le feu de braises. Les deux les ravivent, les animent ou raniment, les enflamment et leur assurent la vie ou la survie. Il est le maillon fort de la troupe. Sans Ahmed Ouyahia, le système est en panne, orphelin de son âme. Et sans le souffle qui attise les flammes, le feu ne fera pas long feu sinon ne brûlera pas comme on veut.

Sauf que dans le premier cas, le pouvoir a désormais sacrifié son joker pour assurer sa survie, tandis que dans la seconde alternative, la cendre s’est définitivement installée au fond du braséro pour chasser à jamais les braises dont le souffle humain était resté incapable de les r(é)animer ou de les réinventer. Le système est dans le devoir d’être animé. Pour ne pas disparaître.

Et comment donc est-ce arrivé que le pouvoir se séparât si brusquement de son indéniable flambeau et inlassable porteur d’eau, à un moment aussi crucial et si vital où la soif de vivre le condamne à user de tous les subterfuges pour sauver in extremis sa peau et surtout pouvoir encore exister et survivre ?

Survivre à la crise ? Une raison évidente et bien suffisante pour s’en séparer à jamais, le cas échéant. Un vrai motif pour le sacrifier sur l’autel d’une désormais hypothétique pérennité à assurer contre vents et marées. À défaut d’être grillé vif à l’intérieur d’un bouillonnant chaudron ou à petit feu sur un traditionnel braséro, il sera jeté en taule pour finir ses vieux jours dans ce très difficile trou noir. Il est broyé vif par une machine judiciaire qu’il a lui-même fabriquée.

La survie du système est désormais perçue à ce prix-là. À cause justement de ce maudit mouvement social ou vilain Hirak qui a fait tant de ravages au système ! Le temps que le feu de braise de la fronde de la Rue qui vacille par moment ces derniers temps s’éteigne complètement, et puis… on verra bien après si l’on pourrait faire un petit quelque chose pour lui.

Et surtout pour son alter ego, ce plaisantin, lui aussi, qui s’est plaint publiquement de son tout nouveau statut. Puisque le sort des deux ex-Premiers ministres est désormais scellé et lié à des dossiers à comparution en cycles et plusieurs actes, encore pendants devant la justice.

Le pouvoir est comme une bougie. De loin, il illumine celui qui en est séduit ou qui exprime le désir de s’en saisir à la volée, d’y adhérer ou de s’y coller. Une fois arrivé et installé sur le trône, l’invité d’honneur trouve du plaisir à y rester encore ou pour toujours. Y demeurer bien au-delà des limites permises et admises ou de la raison valable de le détenir à vie.

Seuls, ceux qui appréhendent les scénarii catastrophes de fin de règne demandent instamment à le quitter ou à vite s’en séparer. Et tout le reste y reste jusqu’à ce que la cire de la bougie leur brûle complètement les doigts, après les avoir totalement décharnés et jetés en épaves ou en reliques d’une République qui va à vau-l’eau.

Et pourtant Ahmed Ouyahia ne détenait pas tout le pouvoir (ou celui absolu) pour en être à ce point très séduit par le koursi2. Ou si, depuis que le maître de céans était longtemps convalescent, ce fut à lui qu’échut le droit de diriger par intérim les affaires du pays, sur injonction des donneurs d’ordre parmi les forces extraconstitutionnelles qui tiraient les ficelles d’une complexe et très confuse situation de non-État.

Ce long intérim marqué, il est vrai, par une absence très prolongée de celui qui ne pouvait finalement admettre qu’il en soit juste les ¾ d’un président de la République, ne saurait le laisser vraiment insensible quant à l’opportunité de se saisir à jamais de ce « Destin national » devenu étrangement si proche, en mesure de lui tendre les bras à tout moment.

De l’antichambre du pouvoir où se trouve son bureau feutré, il esquissait à la dérobée des regards obliques et indiscrets jetés en diagonale en direction de ce huppé et doré fauteuil présidentiel, resté si étrangement encore libre et toujours inoccupé.

À chaque flash-back enregistré à la volée, il salivait davantage l’odeur alléchante et le goût succulent de l’objet convoité à distance. Il ruminait cet espoir fou d’y parvenir de sitôt, désormais à portée de main, en pareilles circonstances. Et plus le temps passait, plus il en devenait encore plus fou. Jusqu’à en perdre complètement la raison !

Il en rêvait en solitaire, à titre très personnel, la joie vibrant de ses lumineuses prunelles, dans l’absolu silence de ses réminiscences et dans la totale discrétion qu’il mettait à profit pour que plus personne ne puisse le contrer dans son idée et faire capoter son grand projet.

À chaque étape franchie avec grand succès et à chaque écueil passé sans trébucher, il soupirait d’aise comme pour remercier le Grand Seigneur de lui avoir donné une force extraordinaire, en mesure de le mettre en valeur pour conquérir un aussi précieux butin dont rêveraient les plus doués de l’humanité.

Et dès le lendemain, il revient à la charge, plein de dynamisme et de vivacité, encore plus déterminé à aller de l’avant, pour mieux conforter ses supposés acquis et gagner davantage de terrain, dans la poursuite de ses efforts déjà entrepris mais non encore achevés.

Et tout est rapporté à cette question lancinante que l’intéressé lui-même ne s’en était pourtant jamais posée, en signe d’introspection de ses osées prétentions. Pour se rapprocher davantage du pouvoir, n’est-il pas conseillé de longtemps côtoyer ceux qui le détiennent manifestement ou bien réellement ? S’y acclimater et ensuite les formater pour les pousser à accepter le fait accompli de l’intégrer en son sein ?

C’est apparemment ce qu’a toujours fait Ahmed Ouyahia, se permettant même le luxe de chuchoter de temps à autre à l’oreille du Grand Seigneur, lorsque son frère cadet est momentanément absent et bien loin du grand palais.

Ce qui bien évidemment ne fut guère suffisant pour son accession au trône, dès lors que pourvoir à l’absence du maître de céans suscitait déjà toutes les convoitises de l’Algérie profonde et du puissant pouvoir de l’ombre. Ce fut donc peine perdue ! L’œil du roi était déjà là. De retour au palais, veillant comme toujours sur le roi.

Rabroué comme un malpropre, il ne se fait aucune peine à ruminer dans son coin solitaire son continu calvaire. Car il sait se cantonner dans son silence de mort et attendre la belle lune, sinon des jours bien meilleurs.

Rompu à cet exercice humiliant, dépressif et très répétitif, il a la peau dure, comparable à celle d’un crocodile, pour encaisser sans rendre des coups et se taire sans perdre espoir de revenir plus tard à la charge, encore plus revigoré et plus déterminé que jamais.

Il aurait aimé arriver au pouvoir en même temps que Bouteflika, enfoui dans ses bagages dans le pacte d’un pack objet d’une vente concomitante, pour prétendre à la toute première opportunité le surprendre et en sortir avec sa lampe d’Aladin, décidé à prendre le relais ; mais il ne s’est guère imaginé qu’ils partiront ensemble, à quelques jours d’intervalle près, la mine défaite, floués et refoulés, le cœur au plus bas sous les huées grondées par la rue.

En homme très habile dans le jeu de la pantalonnade, il lui arrive même de lui associer souvent celui osé de la subtile talonnade, à l’effet de mieux dérouter son interlocuteur. En cherchant à toujours faire le vide autour de lui, il s’ennuie à tout le temps tenter d’accrocher à son escarcelle le gros gibier, encore plus persuadé que l’effort est plutôt mince pour, en retour, en tirer un plaisir immense.

Totalement acquis à un système qui se méfie à outrance de tout ce qui bouge, il prône l’immobilité rassurante par fidélité aux décideurs qui craignent les chandelles intempestives en coup de billard dont profiteront sûrement de nouveaux acteurs de la scène politique nationale.

En grand maître de la provocation de la fibre sensible du peuple, il jouissait de son malheur et pérorait au sujet de sa grande galère. Puis, en signe de triomphe usurpé, il sourit avec malice, l’âme remplie d’allégresse comme jamais encore il n’en avait senti toute sa vie. Il avait la bouche plus chaude qu’un canon, le regard très menaçant d’un vrai rapace qui salive en nourrissant l’envie de s’emparer au plus vite de sa proie devenue désormais à sa portée.

Ahmed Ouyahia est un personnage très particulier, assez singulier, un peu inique. Vraiment unique en son genre ! Il n’est pas ce responsable qui cherche à plaire à son monde. En chargé de mission, il court toujours après les bonnes moissons ! Et c’est à ses supérieurs qu’il offre de belles fleurs. Même en hors saison, juste pour se donner raison ou pour les flatter tout le temps.

À la manière d’un très risqué baiser volé à son premier amour, il s’est lié d’amitié avec ce diable de pouvoir dans un climat de suspicion réciproque, pour ensuite tisser avec ses hommes forts l’essaim de toute une très solide relation qui le mènera à l’avant-dernière marche qui ouvre déjà sur le très haut toit de son Grand Palais, lieu où il a toujours rêvé s’installer en toute tranquillité et y finir ses derniers jours.

Qui est Ahmed Ouyahia ?

Il est né le 2ejour du mois, comme son parrain, Abdelaziz Bouteflika. Le premier est venu au monde durant le mois des grandes moissons, comme pour mieux profiter des largesses de son mentor qui, lui, est né en mars, le mois de toutes les attentes et autres bonnes promesses.

La différence d’âge entre les deux hommes est de 15 ans environ, tous deux nés avant le début de la Révolution. Bien que l’aîné émarge officiellement au registre d’or de la toute prestigieuse génération de novembre 1954, le statut du second se confond avec celle de l’indépendance du pays.

L’ayant connu encore tout jeune diplomate, Bouteflika avait déjà une idée sur son potiche ou fétiche poulain, mais il tenait à se méfier sérieusement de cet « ambitieux », derrière les lunettes duquel il devinait des « ruses de florentin ». Il le savait sans état d’âme, toujours là à surveiller le rapport de force pour se mettre du côté du responsable dominant du moment.

Ainsi, le savait-il très besogneux, doté en plus d’une grande capacité de travail, toujours disposé à se rendre utile à son chef, se dépenser sans compter, jusqu’à passer pour l’un des plus performants parmi les « purs produits du système ».

Des décennies plus tard, Ahmed Ouyahia a gravi des échelons, connu des promotions, occupé des fonctions très importantes au sein de la haute sphère du pouvoir qui auront fait de lui un très zélé serviteur du régime, capable de jouer au pyromane qui met le feu à la maison pour ensuite se proposer de faire le pompier. Tout juste pour impressionner son monde !

Son seul but : travailler dur pour assouvir le désir du pouvoir qui l’a toujours habité. Il connut une fulgurante ascension suite à d’heureux concours de circonstances. Il en fera, plus tard, l’un des secrets de sa réussite, pour maquiller avec la flamme de gouverner le pays par la ruse, à l’identique de ses deux aînés tant choyés.

Originaire du pays de la montagne, il n’a pu longtemps en profiter, à l’instar de tous les montagnards, des nombreux bienfaits du climat assez singulier du très haut Djurdjura. Il en garde tout juste ce cliché du faciès au teint encore « peau de lait » typiquement kabyle, à un âge aussi avancé que le sien, à mi-chemin entre le « blanc cassé » et le « très mat ».

Le déménagement du patriarche l’envoya dès sa toute tendre enfance tout près de la mer, sur les hauteurs d’Alger au sein du berceau révolutionnaire de l’ex-Clos Salembier (actuellement El Madania). Depuis lors, comme parachuté en vol plané sur son haut nuage du pays natal, le chérubin a toujours cultivé le besoin de s’accrocher à la huppée sphère de l’Univers et gardé l’air hautain sur le monde de la plaine et sur celui des côtes Algériennes.

De tous les nombreux bienfaits reconnus depuis des lustres à la montagne, il n’a hérité que de la marque indélébile propre à cette haute altitude qui donne manifestement des airs de grand vertige à son inexpliquée attitude, jugée comme vraiment hautaine et très distante, pour se prosterner dans cet esprit de s’élever dans les cimes de la voûte céleste et larguer le monde à ses pieds.

Il ne lui manquait plus que la couleur bleue des yeux, l’accent berrichon de la belle envolée et envoûtante parole de son parrain pour jouer au vrai turbotin, séduire son audimat, et au final se jouer très facilement de tout son monde à la ronde !

Mais avant de tenter de se mesurer à ces cuirassés du verbe châtié et aux autres vrais cuirassés et très solides turbots de la parole savamment léchée, il fit la connaissance, encore étudiant à l’ENA (École Nationale d’Administration), d’un certain Ahmed Attaf, ce parfait trilingue et camarade de promotion, qui le mit en rodage, peaufinant au passage son langage, en attendant de pouvoir plus tard voler de ses propres ailes et aller en trombe conquérir tous ces grands espaces de notre très vaste Univers.

Faute d’avoir suffisamment ancrés dans ses veines ou dans son ADN des dons innés ou hérités, cette matrice indispensable dont usent les gens très doués, il s’essayait toujours – sans jamais y parvenir ou encore renoncer – à de très fastidieux exercices pratiques pour tout juste compenser ce manque flagrant et assez important d’outils d’expression et de réflexion dont se prévalent les grands orateurs du monde de la politique.

Les témoignages de son entourage estudiantin révèlent qu’il s’est mis d’abord à tout le temps bûcher, longtemps cravacher, trimer dur, fouiller et farfouiller dans les rayonnages de la bibliothèque de la prestigieuse grande école où il étudiait, pour ensuite écumer celles de l’extérieur et les librairies du pays, et en particulier les grandes archives de la bibliothèque nationale (BN).

Certains lui prêtent même un sens très aiguisé qui fait dans l’intuition ou même dans la sordide superstition, de manière à deviner à l’avance le sujet sur lequel portera finalement l’examen du lendemain du partiel objet d’évaluation du semestre, pour s’y préparer en conséquence dès la veille.

Ses camarades de promotion – en partisans du moindre effort – ne font que furtivement jeter avec intérêt un coup d’œil rapide sinon assez appuyé sur la page ouverte de son cahier à l’heure des révisions nocturnes, pour obtenir une note au-dessus de la moyenne. L’évènement qui a eu à se répéter à plusieurs reprises durant tout le cursus de sa formation ne doit plutôt rien au hasard ni à un quelconque supposé bonus de la providence.

Son explication réside plutôt dans la stratégie de l’approche utilisée qui tient compte de plusieurs indices, en sus de son caractère à lui, tout particulièrement, connu pour être très superstitieux, bien méticuleux, très pointilleux, vraiment suspicieux, faisant parfois un peu trop dans le souci du détail, et puisant bien souvent dans une mémoire toujours fraîche qui répond parfois favorablement lorsque le doute sur la réponse à donner s’installe pour un moment.

Berceau du savoir de la haute administration algérienne, l’ENA est cette école qui a produit au fil des années par fournées continues toute une flopée de cadres nationaux pour pourvoir aux besoins en encadrement administratif du monde du travail du pays, dans des filières aussi sensibles que la gestion des deniers publics et en ressources humaines. Magistrats, Walis, ministres, ambassadeurs et autres grands commis de l’État algérien y étaient formés par promotions, quatre ans durant.

Certains parmi eux y auront pris femme et diplôme. D’autres par contre se sont tout juste contentés de cette formation de base de très haut niveau pour aller ensuite monnayer leur savoir-faire acquis de haute lutte au sein de cette huppée école qui leur ouvrait le droit d’accès à de nombreux horizons, à l’effet de prospérer et de gravir tous les échelons de la haute administration algérienne.

Ahmed Ouyahia fait plutôt partie de ce tout dernier wagon ou lot de ses étudiants formés à la maison. Sa femme, à lui, il ira la trouver sur le lieu même de son travail. À un moment il mettait déjà le pied à l’étrier pour ce très long bail d’un voyage tantôt chaotique, tantôt bénéfique dans les méandres des rouages de haute administration algérienne.

Pour ceux qui le connaissent, il a le derrière cloué ou bien collé au siège moelleux du bureau de Premier ministre. Mais lui a pourtant toujours soutenu le contraire : « c’est le koursi qui refuse de me lâcher », insinuait-il. Celui-ci reste attaché à son occupant, par fidélité à celui qui ne le quitte jamais sinon tout juste pour y revenir de sitôt.

Le cœur a sa propre langue. Il lit autrement que le genre humain. Il s’accroche à de petits détails d’où il puise son « raisonnement » qui ne doit finalement plus rien à la raison de tout le monde. Depuis qu’il avait quitté le Djurdjura, il ne voit ce pays de la montagne que de loin. Son paysage renvoyait déjà le chérubin à son esprit galopin. Mais ce soupir de jeunesse n’a désormais plus aucune emprise sur la vie de haut commis de l’État qu’il fut.

Ahmed Ouyahia est capable de vous vendre du fumier pour le prix du diamant. Et tous ceux qui le connaissent, de près ou de loin, le trouvent encore plus tenace, très loquace, vraiment irrésistible, très prolixe, le regard fuyant et fourbe au point de faire dans la méfiance plutôt que de nourrir de la confiance envers les gens. C’est du fiel pur jus, cet homme-là, lui qui a réussi à liguer tous les Algériens contre lui. Quitte à se sentir bien seul contre tous !

En Algérie, on n’a pas idée d’avoir déjà inconsciemment tout perverti dans notre quotidien. Nul besoin donc de consulter les archives pour deviner que les clefs du poulailler ont été remises au vieux renard de la contrée. L’homme de main du système travaille à la pérennité du régime. Il ne le cache pas et le soutient avec beaucoup de zèle, d’aise, et une franche détermination. Lui, le fidèle parmi les plus fidèles aux hommes forts de la « camarilla ».

Il savait défaire les axiomes pour leur substituer les siens, inventés à la sauvette ou produits sur le champ, et parfois sans aucun lien avec le sujet développé. Avec ses va-et-vient si fréquents à la chefferie du gouvernement, il change de discours comme un nomade change d’itinéraire, en multipliant ses visites à ses zones de pacage.

Le nomade qui sommeille en lui est-il pour autant satisfait de ce qu’il fait par intermittence ? À chaque halte qu’il marque dans son nouveau pré ?

On l’aura tellement vu à la manœuvre qu’on ne le voyait pas encore revenir de sitôt. Mais ne le voilà-t-il pas qu’il est déjà là à l’œuvre depuis les aurores. Cependant, une chose est assez surprenante tout de même : à peine avions-nous compris pourquoi il est de retour que celui-ci plie déjà ses bagages à la manière dont le nomade lève précipitamment sa tente. C’est à croire que c’est dans ses gènes de disparaître et de réapparaître aussitôt comme le vent, sans préavis ni préparatifs de départ.

Sitôt nommé ou à répétition intronisé qu’il est déjà en tenue de sport dans son propre couloir, flanqué de son très visible dossard, sur la piste des sprinters, passant du stade de la lente limace à celui du très rapide guépard.

Plutôt de croupir aux pieds d’un béotien tout fier de son insupportable baratin, n’est-il pas mieux conseillé de prendre franchement le risque de vaciller en compagnie d’un intellect de métier ?

Ahmed Ouyahia qui, lui, n’a rien à voir avec le premier peut-il encore se targuer de coller du mieux qu’il le puisse au noble métier du second ? Rien n’est moins sûr, à ce propos. Car son amour excessif pour le pouvoir le pousse désormais (depuis qu’il a acquis ce haut rang dans l’administration algérienne) à complètement se détourner du tout précieux livre et de la très belle littérature.

Et pourtant, dans l’histoire des très anciennes dynasties, c’est la littérature qui a toujours fait la nette différence entre les hommes de grande culture de la haute cour et tout le reste de l’humanité.