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Au Royaume du Kongo en 1831, Lundala, un enfant de 8 ans, échappe à une razzia négrière tandis que ses parents sont réduits en esclavage et déportés au Brésil. Élevé par ses grands-parents dans la doctrine antiesclavagiste de Kimpa Vita, une prophétesse kongo brûlée vive par des négriers en 1706, à l’âge de 21 ans, Lundala devient adulte et s'engage dans l'armée pour lutter contre la traite des esclaves. En tant que commandant, il combat les esclavagistes, menant une vie riche en émotions, amour et héroïsme, tout en restant fidèle à la tradition kongo et à l'enseignement de Kimpa Vita.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Léandre Modilot explore l'histoire du Royaume du Kongo avec un intérêt particulier pour Kimpa Vita, une martyre injustement oubliée. Dans son roman, il nous plonge au cœur de la lutte acharnée du peuple kongo pour sa survie, une bataille qui s'étend depuis 1482. À travers son personnage principal, Lundala, inspiré de Yasuke, un Noir africain ayant vécu au Japon de 1579 à 1582 et devenu le premier samouraï étranger, l'auteur, ceinture noire 6e dan d’aïkido, partage sa passion pour les arts martiaux.
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Seitenzahl: 730
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Léandre Modilot
L’improbable destin de Lundala
Esclavage et héroïsme
sous la protection de Kimpa Vita
Roman
© Lys Bleu Éditions – Léandre Modilot
ISBN : 979-10-422-0074-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes parents, Émilie et Prosper.
À ma fille, Kenzo, qui m’a soutenu
pendant la rédaction de ce roman.
L’improbable destin de Lundala est une œuvre romanesque.
L’auteur s’inspire de la vie et des événements historiques du Royaume du Kongo et d’autres endroits de la planète au XIXe siècle.
Les personnages politiques et religieux sont authentiques. La vie du héros est purement imaginaire.
Le 10 janvier 1831, à environ 3 heures du matin, Nzoko1, un village du Royaume du Kongo, fut attaqué par des négriers portugais en quête d’esclaves.
À cette époque, les razzias pour faire des captifs étaient légion en Afrique noire.
Le jeune Lundala, âgé de 8 ans, qui dormait profondément, fut réveillé en sursaut, ainsi que ses parents et son frère, par des coups de feu et des cris.
— Réfugiez-vous dans la forêt !
— Courez ! Sauvez-vous ! Les Mindele2 nous attaquent !
Ce fut la panique générale. Les gens couraient dans tous les sens. Encore groggy, Lundala, n’écoutant que son courage, réussit à échapper aux agresseurs et à sortir du village.
Malgré le danger que représentait la forêt qui bordait le village avec ses bêtes sauvages, Lundala et d’autres habitants n’hésitèrent pas à y pénétrer dans la nuit noire pour échapper aux négriers.
Il ignorait que son père Mahoukou, sa mère Kenzo et son frère avaient été rattrapés et faits prisonniers.
Après avoir capturé la moitié des villageois, les Mindele, essentiellement des Portugais, munis de torches enflammées, ratissèrent la bordure de la forêt à proximité du village. Lundala, du haut de ses 8 ans, courant moins vite que les adultes, n’eut pas le temps de s’enfoncer bien loin dans la forêt. Il dut se cacher et rester immobile pendant plus de deux longues heures quand ses poursuivants passèrent et repassèrent à quelques mètres de lui. Il ne bougea pas, même quand les moustiques le piquèrent. Il eut la peur de sa vie, car il aurait pu aussi se faire mordre par un serpent.
Quand ils eurent débusqué et ramené au village une dizaine de fugitifs, les Mindele mirent le feu aux maisons, dévêtirent et enchaînèrent les uns aux autres tous les captifs. Ils étaient au nombre de soixante environ, enfants, femmes et hommes. Les parents, le frère et des amis de Lundala figuraient parmi ces malheureux.
Vers dix heures, ils les emmenèrent sous les coups de fouet vers La Baie de Loango sur la côte Atlantique à environ 500 km pour être déportés comme esclaves et vendus en Amérique. Les vieillards, trop faibles pour supporter la marche dans des conditions inhumaines, furent fusillés sur place.
La Baie de Loango, d’où furent déportés sur le continent américain environ deux millions d’esclaves entre le XVe et le XIXe siècle, est un haut lieu de la barbarie négrière. Elle se trouve aujourd’hui en République du Congo, à 20 km de la ville de Pointe-Noire.
Les esclaves qui venaient du Pool Malebo (région géographique du bassin du Congo dans laquelle se trouvent les villes actuelles de Brazzaville et Kinshasa) passaient soit par la capitale du Royaume du Kongo, Mbanza-Kongo et débouchaient sur l’océan Atlantique par le port de Mpinda, soit traversaient la forêt du Mayombe pour embarquer à La Baie de Loango. C’est cette dernière route qu’empruntèrent les geôliers des parents de Lundala et leurs captifs.
Quand les Mindele furent partis, Lundala attendit qu’ils fussent loin pour sortir de sa cachette. Il trouva son village complètement calciné. Il était seul. Il ne savait pas si ses parents et son frère avaient réussi à échapper aux négriers. Il les chercha parmi les cadavres qui jonchaient le sol. En vain. Il fut triste de voir les corps sans vie de son meilleur ami Malonga, de ses grands-parents paternels Lembe et Moukoutou, ainsi que ceux d’autres personnes qu’il connaissait. Il tomba dans une prostration profonde et fondit en larmes.
Lundala, doté d’un courage, d’une intelligence et d’une force exceptionnels, marcha seul dans la forêt en suivant le fleuve Congo de l’aval vers l’amont. Après une heure de marche, il aperçut deux hommes et trois femmes rescapés eux aussi de la rafle de Nzoko. C’étaient des personnes qu’il connaissait. Ils l’accueillirent dans leur groupe.
Il leur demanda :
— N’auriez-vous pas vu mes parents ?
Ils lui répondirent :
— Non, nous n’avons vu personne. Où vas-tu tout seul ? La forêt est très dangereuse.
— Je ne retrouve plus personne de ma famille. Je vais donc à Mfoa, chez mes grands-parents.
— Nous aussi, nous allons à Mfoa.
C’est ainsi qu’ils le prirent avec eux. Quand ils arrivèrent à Mfoa après une heure de marche, les deux hommes et trois femmes accompagnèrent Lundala jusqu’à la maison des parents de sa mère. Quelle ne fut pas leur surprise de voir leur petit-fils ! Lundala courut se jeter dans les bras de sa grand-mère Julienne Miankela, puis dans ceux de son grand-père Jean-Louis Massamba.
— Lundala ! Que se passe-t-il ? Où sont tes parents et ton frère ? lui demanda son grand-père.
Les cinq adultes qui l’avaient accompagné leur firent le récit de l’attaque qu’avait subie leur village.
— Vous pensez que ses parents ont été capturés ? leur demanda Jean-Louis Massamba.
— C’est fort possible, lui répondirent-ils.
Lundala pleura :
— Papa, Maman, je veux mes parents !
Sa grand-mère Julienne Miankela le serra dans ses bras et pleura aussi.
Durant les heures qui suivirent, des rescapés de Nzoko qui avaient emprunté d’autres petits chemins arrivèrent au compte-gouttes à Mfoa. À chaque arrivée d’un groupe, Lundala espérait retrouver ses parents et son frère. Sept jours après, il espérait toujours retrouver ses parents, d’autant plus que les villageois qui avaient fui sur l’autre rive du fleuve Congo étaient arrivés une semaine après.
Mais au bout de deux semaines, ses grands-parents et lui durent se rendre à l’évidence : ses parents étaient morts ou faits esclaves des Mindele.
Effectivement, un mois après l’attaque de Nzoko, les parents de Lundala et son frère, enchaînés comme tous les villageois, marchaient sous les coups de fouet dans la forêt du Mayombe pour rallier La Baie de Loango sur la côte Atlantique.
Quand ils arrivèrent à Loango, ils furent conduits au marché aux esclaves de la ville. Ils furent vendus au capitaine d’un navire portugais et déportés au Brésil.
Lundala, inconsolable, pleura pendant un mois. Il arrêta de s’alimenter. Ses grands-parents durent user de beaucoup de psychologie pour lui remonter le moral. Petit à petit, il reprit goût à la vie.
— Grand-père, pourquoi les Portugais nous tuent-ils ? Pourquoi nous rendent-ils esclaves ? Quand je serai grand, j’arrêterai tous ces crimes. Parle-moi de l’histoire de notre peuple.
Son grand-père Jean-Louis Massamba lui enseigna l’histoire du Royaume du Kongo tous les soirs après le dîner. Lundala y était très attentif :
— Il y a 349 ans, en 1482, un navigateur portugais appelé Diego Cão et ses marins accostèrent à Mpinda. Ce fut la première fois que les Bakongo3 virent des hommes blancs. Des curieux s’attroupèrent autour de ces gens mystérieux ressemblant à des albinos et qui sortaient de l’eau. C’est ce que croyaient nos ancêtres. Ils furent conduits à Mbanza-Kongo où ils furent reçus par le ntotela4 de l’époque, Nzinga Nkuvu né en 1440 et mort en 1509.
Les Portugais furent impressionnés par la grandeur et l’organisation du Royaume du Kongo qui était en effet très structuré autour de sa capitale Mbanza-Kongo au centre de laquelle était la cité du roi appelée Mvita Nza5.
Après un séjour d’une année, Diego Cão repartit au Portugal avec des membres de la famille royale kongo. Il laissa des soldats portugais au Royaume du Kongo. Au Portugal, les membres de la famille royale kongo étudièrent le portugais, le latin, les mathématiques, les sciences physiques et la théologie.
En 1491 après huit années passées au Portugal, Diego Cão revint au Royaume du Kongo avec les membres de la famille royale kongo ainsi que des militaires et des prêtres attirés par les récits dithyrambiques que l’explorateur avait faits de son séjour. Le pays devint cosmopolite. De nombreux mariages mixtes furent célébrés. Les enfants issus de ces unions furent bien intégrés dans la société kongo.
La famille royale se convertit au catholicisme. Le ntotela Nzinga Nkuvu et la reine se firent baptiser le 3 mai 1491. Le roi prit le prénom de João, en hommage à son homologue portugais João II qui régna de 1481 à 1495 ; la reine prit celui d’Éléonore. Leur fils Nzinga Mvemba fut quant à lui baptisé le 4 juin 1491 sous le nom d’Alfonso (Mfunsu en langue kongo). L’année 1491 marqua le début de la christianisation du Royaume du Kongo. Dès lors, tous les rois furent chrétiens et prirent des noms de règne portugais.
Mais le roi Don João revint vite à la religion traditionnelle kongo et apostasia le christianisme, qui interdisait la polygamie. En 1495, il expulsa tous les missionnaires portugais de Mbanza-Kongo. Par contre, son fils Alfonso, qui entretemps avait été nommé gouverneur de la province de Nsundi, resta fidèle au christianisme et recueillit les missionnaires expulsés de Mbanza-Kongo par son père.
À la mort du roi Don João 1er, Mpanzu a Nzinga, le fils de sa sœur et gouverneur de la province de Mpangu, fut nommé à sa succession conformément à la tradition matriarcale de notre royaume. Car à l’époque, un conseil de notables élisait le successeur du roi parmi ses neveux maternels. Mais Mpanzu a Nzinga avait le tort, aux yeux des Portugais, d’être farouchement opposé à la christianisation et à l’occidentalisation du Royaume du Kongo.
Les missionnaires et soldats portugais qui virent en la mort de Don João 1er l’occasion de mettre de nouveau la main sur le Royaume du Kongo, tentèrent d’imposer son fils, Alfonso, qui leur était favorable parce qu’ils voulaient nous imposer la primogéniture, coutume européenne appliquée notamment au Portugal qui veut que le trône se transmette de père en fils aîné, méprisant ainsi la coutume locale, alors que notre société est matriarcale.
Deux camps s’opposèrent : celui des notables du royaume qui respectaient la tradition kongo et soutenaient Mpanzu a Nzinga et celui des chrétiens pro-occidentaux regroupant quelques Bakongo, les missionnaires et les soldats portugais qui soutenaient Alfonso. Un conflit armé opposa les deux camps. Les Portugais, mieux armés, remportèrent la guerre. Mpanzu a Nzinga fut tué et Alfonso intronisé par les Portugais ntotela (roi) du Royaume du Kongo.
Les Portugais entreprirent de diviser les Bakongo en fomentant des coups de force et en soutenant les mouvements séparatistes afin de piller nos richesses. Des provinces firent sécession, soutenues par les Portugais, et devinrent des royaumes. C’est le cas des royaumes de Loango et d’Angola.
En 1665, André Vidal Negreiros, gouverneur de Luanda de 1661 à 1666, envoya discrètement un émissaire dans la province de Soyo pour rencontrer le mani Don Antonio Alfonso Ne Wandu de Soyo et le mani Dona Isabel Ne Mbuila, pour les pousser à faire sécession et les assurer de son soutien militaire.
Dans la littérature, on trouve parfois le nom « Ambuila ». C’est l’européanisation du nom « Mbuila ».
Don Antonio Alfonso se proclama alors roi du Kongo. Une cérémonie grandiose d’intronisation fut organisée dans l’église pleine à craquer de Soyo, au cours de laquelle il fut sacré ntotela par les prêtres portugais. Étaient présents les notables bakongo de la province de Soyo, les administrateurs portugais et une délégation portugaise venue de Luanda.
Ce sacre divisa la population de Soyo. Une partie soutint Don Antonio Alfonso, alors qu’une autre regretta cette scission qui fragilisa le Royaume du Kongo.
Des fêtes furent organisées dans toute la province de Soyo et la ville de Mbanza-Soyo fut proclamée capitale du Royaume du Kongo.
Le gouverneur de Luanda envoya une armée à Soyo, prétextant protéger Don Antonio Alfonso. En fait, son but était d’asphyxier le royaume en contrôlant les mines d’or et de cuivre ainsi que le centre financier de Mbuila, car c’est dans cette ville qu’était produite la monnaie locale, le nzimbu. Cette armée, sous les ordres d’un métis, le commandant Luis Lopes de Sequeira, comptait 15 000 hommes, dont 450 mousquetaires, principalement des Portugais, mais aussi quelques Bakongo, et quelques métis. Elle disposait aussi de deux canons alors que le Royaume du Kongo n’en avait aucun.
Quand le ntotela légitime du Royaume du Kongo, Antoine Ier, de son nom kongo Mvita Nkanga, apprit la nouvelle, il entra dans une grande colère. Il convoqua une réunion de crise à laquelle étaient conviés les ministres et ses conseillers. Il leur dit :
— Messieurs, je vous ai fait venir pour discuter d’un point très important dont dépend la vie de notre royaume. Les Portugais ont intronisé Antonio Alfonso ntotela du Kongo à Mbanza-Soyo pour nous diviser. Ils ont envoyé une armée forte de 15 000 hommes pour nous interdire l’accès aux mines de Mbuila. Nous ne pouvons plus nous approvisionner en fer et en cuivre. Nos ngangula (forgerons) ne peuvent plus fabriquer ou réparer les nsengo (houes) pour nos cultivateurs, les djonga (lances) pour nos chasseurs et guerriers.
J’ai donc décidé d’abroger le traité que les Portugais avaient fait signer par la contrainte à mon père Gracia II Nkanga a Lukeni ya Ntumba qui leur donne tous les droits sur la rivière Damba, alors que ce fleuve est crucial pour notre économie, car c’est de là que proviennent les nzimbu. En outre, ils ont décidé que les commerçants portugais sont exonérés de taxes alors que les Bakongo doivent les payer.
Un ministre demanda :
— Ne craignez-vous pas de provoquer une guerre sanglante contre les Portugais, qui mènerait notre pays à la ruine ?
— De quelle ruine voulez-vous parler ? Nous sommes déjà en ruine ! Nous n’avons plus d’argent pour payer les fonctionnaires. Les militaires, les agriculteurs n’ont plus d’outils, nos hommes sont capturés et déportés en esclavage. Notre pays est déjà en ruine ! Nous nous battrons jusqu’à la mort s’il le faut.
Un silence pesant envahit la salle des conseils. Livrer une guerre contre les Portugais était très risqué, car ils avaient un avantage technologique vraiment important, même si, dans les rangs bakongo, on comptait des officiers très compétents et des militaires portugais qui avaient pris fait et cause pour les Bakongo.
Le ministre de la Défense fit remarquer au ntotela :
— Mfumu, nous ne pourrons pas combattre les Portugais seuls. Nous devons former une coalition.
— Effectivement, nous devrons former une coalition avec nos voisins pour affronter les Portugais. J’entamerai dès demain une tournée dans les royaumes voisins pour constituer une grande armée.
C’est ainsi que Mvita Nkanga constitua une armée d’environ 22 000 hommes, dont 300 mousquetaires, parmi lesquels 29 Portugais qui avaient rallié la cause kongo. Cette armée était sous le commandement de Pedro Dias Cabral, un métis, à l’instar de l’armée portugaise.
Vu l’enjeu des combats, car le royaume était en péril, Mvita Nkanga décida de prendre part lui-même à la bataille finale à Mbuila.
L’armée du roi du Kongo marcha jusqu’à Mbuila, à environ 80 lieues (386 km) à l’ouest de Mbanza-Kongo pour reprendre possession des mines de cuivre et de fer ainsi que de la rivière Damba, poumons de l’économie du royaume.
Quand les deux armées se retrouvèrent face à face, le 29 octobre 1665, l’armée kongo donna l’assaut à 9 heures. Les Portugais reculèrent puis ripostèrent, aidés par leur artillerie.
Le roi Mvita Nkanga, courageux, se mêla à la bataille. Malgré le bombardement des Portugais, l’armée kongo réussit à percer la première ligne de défense ennemie.
Les combats eurent lieu dans un épais nuage de poussière, ce qui entraîna une certaine confusion, car dans l’obscurité, les Bakongo d’un même camp avaient du mal à se reconnaître, il en fut de même pour les Portugais qui combattaient dans les deux camps. Le sol fut jonché de cadavres et de blessés.
Le roi Mvita Nkanga fut grièvement blessé par une balle perdue dont on ne connaît pas l’origine. Il s’écroula. Il essaya bien de se relever pour continuer à se battre, mais tomba de nouveau. Un soldat de l’armée portugaise lui porta le coup de grâce.
Il dit avant de rendre l’âme :
— N’oublie pas qu’à tes ancêtres, le Grand Seigneur Akongo avait dit :
« Le Kongo est une pierre quand il est uni !
Tu poursuivras la guerre.
Ô ! Vaillant fils du Kongo !
Tu poursuivras la guerre, jusqu’à la réunification totale du Kongo !
Ta guerre, c’est la guerre sainte de l’unité nationale du Kongo et de l’intégrité de son territoire !
Car le Kongo est une pierre quand il est uni !
Ô ! Vaillant fils du Kongo ! »
Un soldat de l’armée portugaise décapita le ntotela Mvita Nkanga. À sa mort, les Bakongo redoublèrent d’efforts pour venger leur monarque. La bataille dura toute la journée. L’armée du Royaume du Kongo fut vaincue, car les Portugais étaient mieux armés. Les Bakongo battirent en retraite.
Outre le ntotela Mvita Nkanga, ses deux fils, deux de ses neveux, son valet de chambre, son confesseur, le père Manuel Rodriguez, son chapelain, le père Capucin Manuel Reboredo et 50 000 Bakongo dont 980 membres de la cour et plus de 4 000 autres nobles seigneurs, furent tués dans cette bataille.
Le Royaume du Kongo perdit donc la grande bataille de Mbuila le 29 octobre 1665.
La tête de Mvita Nkanga fut traînée par terre jusqu’à Luanda, la capitale actuelle de l’Angola, où elle fut exposée avant d’être enterrée dans une chapelle. Le sceptre du royaume et la couronne impériale qui avait été offerte par le pape Innocent X en 1648 au ntotela Garcia II, le père du roi Mvita Nkanga, furent envoyés à Lisbonne comme trophées.
Une messe fut célébrée à Luanda par les prêtres capucins Bernardo da Gallo et Lorenzo da Lucca, en présence du gouverneur de Luanda, André Vidal de Negreiros, du capitaine Luis Lopes de Sequira, le vainqueur de la bataille de Mbuila, élevé au statut de héros, et de la population portugaise de Luanda.
Les participants à cet office religieux rendirent grâce à Dieu et les célébrants invoquèrent les saints de l’Église catholique qui avaient, selon eux, protégé « l’armée de la paix, de la justice et du progrès » contre « les forces du mal et du démon ».
Bien que considérablement affaiblis par la défaite à Mbuila, les Bakongo s’organisèrent à nouveau pour venger la mort du roi Mvita Nkanga. C’est ainsi qu’un mois après, l’armée du Royaume du Kongo se leva et des batailles féroces contre l’armée portugaise eurent lieu.
Des civils portugais furent massacrés dans les champs, les villages, les villes. Leurs champs, leurs maisons et leurs magasins furent incendiés. Plusieurs Portugais quittèrent le Kongo pour le Portugal ou le Brésil.
Pour affaiblir de plus belle les Bakongo, les Portugais continuèrent leur politique de division en incitant et en encourageant des scissions. C’est ainsi qu’ils poussèrent Don Pedro IV (Ndo Mpetelo), de son nom kongo Nusamu a Mvemba, et Don João III (Ndo Nzuawu) né Nzuzi Ntamba à s’autoproclamer ntotela (rois), le premier à Kibangu et le second à Lemba. Armé secrètement par les Portugais, chacun fut assuré qu’il était leur unique soutien6789.
Une farouche rivalité naquit entre les deux prétendants, ce qui engendra des guerres fratricides qui désorganisèrent et ruinèrent le Royaume du Kongo.
En 1678, douze ans après la bataille de Mbuila, les Portugais profitèrent du chaos qui régnait dans le royaume pour le détruire. Les canons des Portugais et des Jagas (soldats bakongo à la solde des Portugais, considérés comme traîtres par leurs compatriotes), encerclèrent la montagne de Lemba, de Nkayila, de Nkumba Wungudi, de Kongo dia Ntotela. Une autre guerre éclata entre ce qui restait de l’armée kongo et l’armée portugaise.
Après trois mois de guerre extrêmement meurtrière, les Portugais, mieux équipés et mieux organisés, pénétrèrent dans la ville de Mbanza-Kongo. Ils massacrèrent ses habitants, tuant hommes femmes et enfants, détruisirent leurs biens, pillèrent l’or et l’ivoire du palais royal et incendièrent la ville, puis en interdirent la reconstruction, car elle représentait le pouvoir kongo.
Les militaires portugais dérobèrent les insignes royaux du Kongo dia Ntotela10 et en transmirent une partie à Don Pedro IV et l’autre partie à Don João III, chacun ayant été assuré d’accéder au trône royal sous leur protection contre son rival.
S’ensuivirent quarante années de guerres, de famine, de déportation massive d’esclaves, de destruction et de désorganisation du royaume. Le Kongo dia Ntotela était dans le gouffre.
Le jeune Lundala écoutait religieusement son grand-père.
— Mais pourquoi les Portugais ne nous aiment-ils pas ?
— Ils ont un cœur de pierre. Ils ne parlent, ne pensent qu’à l’argent. Ils capturent nos parents pour qu’ils deviennent leurs esclaves.
— Ils les mangent ?
— Non, ils les font travailler gratuitement dans des conditions épouvantables.
— Tata, Mama et Yaya sont devenus des esclaves ?
Tata veut dire papa et yaya veut dire aîné ou aînée.
— S’ils ne sont pas morts, car le traitement qu’ils subissent est tellement cruel que la majorité en meurt.
— Qu’est-ce qui est pire, Grand-père ? Mourir ou être esclave ?
— Il faut éviter les deux.
— Personne n’a jamais pensé à se soulever pour les chasser ? Le roi Don André II ne peut-il pas les chasser ?
En effet, à l’époque, c’est Don André II qui était le roi du Kongo. Il régna de 1825 à 1842.
— Ce n’est pas facile, lui répondit son grand-père.
— Alors, à quoi ça sert d’être roi, si on ne peut pas chasser des assassins ?
— Ils sont mieux armés que nous.
— Personne d’autre n’a essayé de les chasser ?
— Si, outre Mvita Nkanga, d’autres rois, des reines et des personnes de la société civile ont lutté contre les Portugais. Mais ils ont tous été assassinés. Parmi les reines, il y a eu la reine Nzinga. Parmi les personnes de la société civile, il y a deux autres femmes : Mama Mafuta Fumaria et Kimpa Vita. La reine Anna Nzinga Mbandé, qui a vécu de 1583 à 1663, avait vaincu une coalition de Portugais et de Néerlandais. Les Portugais durent faire venir de grands renforts du Brésil.
— La reine Nzinga, notre ancêtre, à nous les Kahunga11 ?
La grand-mère Julienne Miankela le lui confirma.
— Oui. Les Kahunga descendent de la reine Anna Nzinga. Chez nous, les Bakongo, la lignée familiale se transmet de mère à enfants. Les lignées familiales s’appellent mvila. Je suis Kahunga parce que ma mère, ma Wumba, était du mvila Kahunga. Ta mère est donc une Kahunga. Toi aussi, tu es un Kahunga. Notre ancêtre s’appelait Nzinga parce qu’elle est née avec le cordon ombilical enroulé autour du cou.
En langue kongo, Nzinga vient du verbe zinga (enrouler).
— Je comprends Grand-mère. Mais c’est quoi, le cordon ombilical ?
— Quand il est dans le ventre de la mère, l’enfant est relié à sa maman par un cordon qu’on coupe à la naissance. La trace de ce cordon, c’est le nombril.
Lundala regarda son nombril.
— Donc, tous les Kahunga sont parents ?
— Oui. Tous les Kahunga que tu rencontreras dans ta vie sont tes cousins à des degrés divers depuis 500 ans.
— Cela fait beaucoup de monde ! Revenons à la lutte contre les Portugais. Il n’y avait que des femmes pour se battre ? Ce n’est pas étonnant que les Portugais aient gagné tous les conflits. Elles savaient utiliser les armes ?
Le grand-père reprit la parole :
— La reine Nzinga avait une armée. Par contre, Mama Mafuta Fumaria et Kimpa Vita étaient des chrétiennes. Elles n’avaient que la Bible pour combattre les Portugais.
— Oh ! Comment ont-elles fait ? Elles ont gagné leur combat ?
— Oui et non. Kimpa Vita a été tuée par les Portugais. Mais nous continuons son combat. C’est cela sa victoire.
— Raconte-moi l’histoire de Kimpa Vita. J’ai déjà entendu parler d’elle.
— Je te raconterai demain. Il se fait tard, il faut aller dormir.
En bon croyant, Lundala pria avant de se coucher.
Après avoir récité le Notre Père et le Je vous salue Marie, il dit cette prière :
— Mfumu Yezu (Seigneur Jésus), fais que mes parents soient encore en vie. Épargne-leur les souffrances de l’esclavage.
Le lendemain matin, Lundala accompagna son grand-père dans son épicerie. Quand les autres enfants du quartier apprirent qu’il était à Mfoa, ils vinrent le chercher pour jouer. Ils le connaissaient, car ils avaient l’habitude de s’amuser ensemble quand il venait rendre visite à ses grands-parents avec son père, sa mère et son frère. Les enfants se mélangeaient : Blancs, Noirs et métis jouaient ensemble.
Lundala travailla le matin avec son grand-père. Il n’eut l’autorisation de retrouver ses copains que l’après-midi. Comme souvent, ils jouèrent à la guerre dans le petit bois qui jouxtait le domicile de son grand-père.
Armés de bouts de bois en guise de fusils à silex, d’arcs et de flèches de leur fabrication, ils se divisèrent en deux camps : les Bakongo et les Portugais. Dans ce qui n’était qu’un jeu, les enfants reproduisirent une cruelle et sanglante réalité : la guerre que livrait le peuple kongo pour sa survie contre l’occupant portugais qui détruisait son royaume. Comme dans la vraie vie, les représentants des deux peuples étaient majoritaires dans les camps de leurs pays respectifs. On retrouvait une minorité de Bakongo dans le camp portugais et une minorité de Portugais dans le camp Bakongo. Les métis étaient dans les deux groupes.
Lundala était dans le camp des Bakongo. Leader charismatique, né, il prit la tête de son armée. Combatif et fort physiquement, il battit tous ses ennemis au combat et l’armée des Bakongo menée par Lundala remporta la victoire. Sebastião, un enfant portugais mécontent de la défaite de son camp protesta :
— Ce n’est pas juste ! Pourquoi c’est toujours vous, les Bakongo, qui gagnez, alors que dans la vraie guerre, c’est nous, les Portugais, qui sommes les vainqueurs. La prochaine fois, Lundala sera de notre côté.
— Jamais je ne serai du côté des Portugais. Je ne suis pas un traître, lui répondit-il.
Cette phrase piqua à vif les enfants bakongo qui se trouvaient pour le jeu du côté portugais. L’un d’eux répliqua :
— Attention à ce que tu dis, je ne suis pas un traître, c’est juste un jeu !
— Même pour un jeu, je ne serai jamais du côté des Portugais. Ce sont des assassins qui massacrent notre peuple.
— Nous, des assassins ? réagit Sebastião.
— Oui, des assassins. Vous avez tué mes amis et mes voisins. Vous avez réduit mon père, ma mère et mon frère en esclavage. Je les vengerai !
— Vous êtes des sauvages, sales nègres, rétorqua le jeune portugais.
Le sang de Lundala ne fit qu’un tour. Toute la haine contre les Portugais, qu’il avait emmagasinée depuis la disparition de ses parents, explosa. Il porta un violent coup de poing à Sebastião qui tomba. Lundala lui sauta dessus, le roua de coups. Jean-Louis Massamba, qui avait entendu les cris des autres enfants occupés à tenter de séparer les deux belligérants, sortit de son épicerie pour faire cesser la bagarre.
Le jeu faillit se terminer par une bagarre générale, n’eût été l’intervention de Jean-Louis Massamba.
— Allez, calmez-vous les enfants ! Que se passe-t-il ?
— C’est Lundala, Monsieur. Il m’a frappé, accusa Sebastião.
— Grand-père, il m’a traité de sale nègre.
Après avoir écouté les enfants, Jean-Louis Massamba leur dit :
— Ce n’est qu’un jeu. Ne vous battez pas pour ça.
— Oui, Grand-père.
Jean-Louis Massamba s’assura que Sebastião n’était pas touché gravement. Pour calmer les enfants, il leur distribua des friandises puis les renvoya chez eux.
Jean-Louis Massamba repartit dans son commerce avec Lundala, il sermonna son petit-fils.
— Ce n’est pas bien ce que vous avez fait, Sebastião et toi ; vous avez certes le même âge, mais tu es plus grand et plus costaud que lui. Tu aurais pu le blesser gravement.
— Et alors ? C’est un Portugais. Les Portugais ont tué mes amis Lulendo, Lubelo, Mpassi, Mvuama et Malonga.
— Sebastião n’y est pour rien.
— Mais lui et ses parents sont riches parce que les Portugais nous tuent et prennent nos terres. Donc il profite de cette situation.
— Oh ! Toi, tu es dangereux pour les Portugais.
— Pourquoi le roi Don André II ne les chasse-t-il pas ?
— Ce n’est pas aussi simple que tu le crois. Quand tu seras grand, tu comprendras beaucoup de choses. La volonté ne suffit pas. Les Portugais sont beaucoup mieux armés que nous. Le roi André II Mvizi a Lukeni fait ce qu’il peut.
Julienne Miankela, la grand-mère de Lundala, interrompit la discussion.
— Le dîner est prêt. Venez manger.
— Qu’as-tu préparé, grand-mère ?
— Un délicieux ragoût de ntchibishi (biche).
— Hum, je me réjouis d’avance.
Après le repas, Lundala, son grand-père et sa grand-mère s’assirent autour d’un feu dans la cour de la maison.
— Grand-père, hier, tu as promis de me parler de Kimpa Vita.
— Hier, je t’ai parlé de la bataille de Mbuila, de l’assassinat de Mvita Nkanga, des tueries de populations, des pillages perpétrés par les Portugais et de l’esclavage qu’ils ont introduit, engendrant ainsi le chaos au Kongo.
— Oui, Grand-père.
— Les années qui suivirent la destruction de Mbanza-Kongo furent très dures pour le Royaume du Kongo. Les Portugais ayant le contrôle du pays le détruisirent économiquement, socialement et militairement. Des milliers d’esclaves furent déportés chaque année en Amérique.
— Ça continue aujourd’hui ! Quand est-ce que cela va s’arrêter ?
— Oui, mon petit, ça fait plus de 349 ans que notre quotidien n’est que souffrance, désolation.
— Mvula nkama tatu na makumaya na vua ?
Mvula nkama tatu na makumaya na vua veut dire trois cent quarante-neuf ans.
— Oui.
Puis le grand-père continua :
— La reine Nzinga était une guerrière très expérimentée qui avait été élevée dans une atmosphère belliqueuse. Petite, son père l’emmenait avec lui quand il allait combattre. Devenue reine à la mort de son père, elle continuait à aller sur le champ de bataille. Sous son commandement, les troupes de Matamba écrasèrent, en 1647, les Portugais à Masangano. Elles assiégèrent même Mutsima et Mbasa, deux villes portugaises au Royaume du Kongo, au-delà de Masangano, et tinrent en échec une coalition formée par les armées portugaise, néerlandaise et britannique. Pour vaincre la reine Nzinga, les Portugais durent faire venir d’impressionnants renforts du Brésil.
En 1704, pendant cette sombre période de l’histoire du Kongo, presque quarante ans après la mort du roi Mvita Nkanga, au cours de la bataille de Mbuila, une prophétesse chrétienne du nom de Mafuta Fumaria, se leva pour dénoncer la présence des Portugais et surtout leur pratique de l’esclavage.
L’esclavage et la destruction du Royaume du Kongo étaient soutenus et organisés par les autorités administratives, militaires et religieuses portugaises qui travaillaient ensemble. Le père Lorenzo da Lucca, un Portugais, et les pères italiens Bernardo da Gallo, Marcellino d’Atri et Luca da Caltanisetta furent les prélats les plus cruels.
Les prêtres capucins organisaient des razzias, des arrestations arbitraires et des tueries au profit des négriers. Ils accompagnaient même parfois des esclaves jusqu’au Brésil.
Mafuta Fumaria exhortait la population, les hommes en particulier, à se dresser contre le pouvoir kongo en place, accusé de complicité avec les Portugais.
À partir de cette prise de conscience, une grande force spirituelle émergea au Royaume du Kongo. Plusieurs groupes de prières se formèrent afin de prier pour le royaume. Parmi eux, il y en avait un qui portait le nom de Saint Antoine de Padoue du nom de la paroisse dont il dépendait : la paroisse Kintuadi Saint Antoine. Les membres de cette assemblée s’appelaient les Antoniens ou Antonistes.
En kikongo, « Kintuadi » veut dire « Entraide, solidarité ».
Ce groupe était dirigé par une jeune fille d’une vingtaine d’années appelée Dona Beatriz, de son nom complet Marguerite Beatriz Nsimba.
Dona Beatriz (Ndona Beatriz) naquit en 1684 près du mont Kibangu, une région où coulent 5 rivières. Selon notre tradition, cet endroit est sacré du fait de cette caractéristique, car il constitue la frontière entre le monde réel et le monde invisible. Ses parents, de fervents catholiques, lui donnèrent, à son baptême, les prénoms de Marguerite Beatriz (Béatrice).
Jeune, elle fut reconnue comme « Nganga marinda », c’est-à-dire une prêtresse traditionnelle, intermédiaire entre les hommes et le monde des esprits. Elle fut initiée dans la société secrète Kimpasi qui délivrait les gens des forces du mal dans des cérémonies d’exorcisme appelées « Mbumba Kindonga ».
Nganga peut être traduit par « savant ». Il désigne une personne qui détient le savoir dans un domaine donné.
Conscientisés par les enseignements de Mama Mafuta Fumaria, les antoniens, à l’instar des multiples groupes adeptes de la prophétesse, priaient pour le Kongo, ce qui ne fut pas du goût des prêtres européens, notamment les plus cruels esclavagistes d’entre eux, le père Bernardo da Gallo, prêtre capucin italien missionnaire, vice-préfet au Royaume du Kongo et le père Lorenzo da Lucca, prêtre capucin portugais.
La doctrine du groupe de prière que dirigeait Dona Beatriz Nsimba était l’antonisme. Ses activités étaient basées sur l’adoration de Saint Antoine de Padoue. Il prônait la réunification du Royaume du Kongo avec pour capitale Mbanza-Kongo, la reconstruction de cette ville qui avait été détruite par les Portugais, le rejet de l’esclavage et de la servitude du peuple kongo par les Portugais.
Il n’en fallut pas plus pour que Dona Beatriz Nsimba et ses amis irritassent les autorités religieuses, administratives et militaires portugaises.
Pour les missionnaires portugais, la société Kimpasi pratiquait la sorcellerie, et la plupart de leurs lieux de rassemblement furent détruits par les prêtres capucins. Les Antoniens et les autres groupes similaires furent exclus de leurs paroisses respectives par les pères européens vivant au Royaume du Kongo.
Cette éviction ne les empêcha pas de continuer leurs activités. De leur côté, les membres de la société Kimpasi qualifiaient les prêtres capucins de ndoki (sorciers).
Dona Beatriz Nsimba, la nganga marinda, alors âgée de 20 ans seulement, était très engagée dans l’antonisme. Elle était dotée d’un très grand charisme. Quand elle priait, elle et l’assistance entraient en transe.
La jeune fille sillonnait tout le royaume pour organiser des journées de prières. Elle déplaçait des foules immenses. On venait de très loin pour écouter son enseignement basé sur l’amour du prochain, la réunification du royaume et la lutte contre l’esclavage.
Dona Beatriz Nsimba vivait à Mpanzu. Un soir, elle ne se rendit pas à la messe dans sa paroisse. Ses adeptes furent très inquiets, car ce n’était pas dans ses habitudes de manquer la messe de 17 h sans les prévenir. Pressentant que quelque chose de grave lui était arrivé, trois de ses disciples coururent frapper à sa porte pour avoir de ses nouvelles. Ne recevant pas de réponse, ils décidèrent d’enfoncer la porte. Quand ils entrèrent dans la maison, ils trouvèrent Dona Beatriz très affaiblie, allongée dans son lit. Paniqué, l’un des disciples lui demanda :
— Dona Beatriz, que se passe-t-il ?
Elle répondit d’une voix presque inaudible :
— Je suis malade.
— Nous allons t’emmener chez le nganga, lui dit un des disciples.
Ici, nganga veut dire médecin en kikongo. D’une manière générale, nganga désigne une personne savante.
Ils la relevèrent. Mais Dona Beatriz, tellement affaiblie par la maladie, s’écroula sur son lit.
— Je n’ai plus de force.
— Ne bouge pas. Je vais aller chercher le nganga.
Il courut alerter le nganga chez lui pendant qu’un deuxième repartit avertir les Antoniens de la gravité de la situation. Le troisième resta au chevet de la malade. Quand celui qui alla chercher le nganga arriva à son cabinet, il trouva le nganga en pleine consultation. Il entra dans la salle d’attente en criant :
— Elle va mourir ! Elle va mourir !
Le nganga sortit de la salle de soins, paniqué.
— Que se passe-t-il ? Pourquoi criez-vous ?
— Dona Beatriz va mourir !
— Calmez-vous. Qu’a-t-elle ?
— Elle est très malade. Elle a de la fièvre.
— J’ai compris. Je m’occupe des trois patients ici présents et j’arrive.
Entretemps, la nouvelle de la maladie de la prophétesse avait fait le tour du village de Mpanzu. Un nombre impressionnant de fidèles s’étaient rassemblés spontanément à son domicile et dans la rue, priant pour sa guérison en invoquant Jésus et Saint Antoine de Padoue, saint patron des Antoniens.
Dès qu’il eut fini de traiter l’ultime malade, le nganga saisit sa trousse et se rendit en courant chez Dona Beatriz Nsimba. Quand il arriva, la foule massée dans la cour de la maison l’empêcha d’atteindre facilement la maison dans laquelle elle était alitée.
Le nganga ne pouvait pas avancer, tant la foule était compacte. Une des disciples de Dona Beatriz le reconnut. Voyant qu’il avait du mal à se frayer un chemin jusqu’à la maison où était alitée la prophétesse, elle se plaça devant le nganga pour lui ouvrir le chemin.
— Écartez-vous, laissez passer le nganga.
Quand ce dernier arriva enfin au chevet de Dona Beatriz Nsimba, il demanda à tout le monde de sortir, sauf à deux femmes parmi les plus proches fidèles de la malade. Après l’avoir auscultée, il sortit de sa trousse des herbes et des racines. Il demanda qu’on allumât deux feux. Il prépara deux décoctions. Une potion à boire et l’autre pour le tchoko (fumigation).
Dona Beatriz Nsimba n’avait plus la force de se lever. Le nganga demanda aux deux femmes de la porter jusqu’au kikozo (douche) où elles avaient préalablement placé un grand seau qui contenait les herbes portées à ébullition pour le tchoko. Elles déshabillèrent Dona Beatriz Nsimba, la firent asseoir sur un kiti (chaise basse), le seau posé entre les genoux. Elles la recouvrirent complètement de plusieurs couvertures épaisses. Une des deux femmes la maintenait dans la position assise pour éviter qu’elle ne s’écroulât.
La chaleur de la vapeur émanant du seau était intense sous les couvertures. Dona Beatriz Nsimba transpirait à grosses gouttes. Au bout d’un peu plus de trente minutes, une femme retira les couvertures. Dona Beatriz Nsimba était tout en sueur. Les deux femmes lui firent prendre une douche pour évacuer les toxines éliminées par le tchoko.
Elles la firent manger et la couchèrent.
Vers deux heures du matin, la prière et les chants des fidèles s’arrêtèrent. Alors que la plupart des fidèles repartirent chez eux, les plus fervents décidèrent de passer la nuit sur place. Chacun put trouver un espace pour étaler son luandu ou son nkuala (le luandu et le nkuala sont deux types de nattes).
Le lendemain matin, après une courte nuit, les fidèles se réveillèrent difficilement, firent le ménage dans la cour. L’état de santé de Dona Beatriz Nsimba ne s’améliora pas la nuit. Les femmes qui s’occupaient d’elle préparèrent la potion que leur avait recommandée le nganga.
Pendant qu’une partie de fidèles reprirent les prières et les chants, d’autres se mirent en quête de nourriture.
L’après-midi, le nganga revint pour une visite. Il apporta une poudre qu’il administra à Dona Beatriz Nsimba par de petites incisions au niveau des poignets, des côtes et des pieds.
L’état de santé de Dona Beatriz Nsimba empira les jours qui suivirent. La foule qui se rassemblait dans la cour de sa maison était plus nombreuse jour après jour. La nouvelle de la maladie de la prophétesse ayant fait le tour du royaume, des fidèles vinrent des quatre coins du Kongo pour prier à son chevet. Une importante logistique se mit en place : des pêcheurs apportèrent des poissons, des chasseurs du gibier, des hommes coupèrent du bois pour faire des feux qui servirent à la cuisson des mets.
D’autres veillées de prières furent organisées dans les provinces du pays pour le rétablissement de Dona Beatriz Nsimba.
Le nganga faisait de son mieux pour la guérir, mais sa santé se dégradait de jour en jour à tel point qu’au bout de deux semaines de soins intensifs, Dona Beatriz Nsimba rendit l’âme.
Le cri strident d’une femme interrompit soudain la chorale dont les chants et les prières rythmaient les journées.
— Que se passe-t-il ? demanda le chef de chœur.
— Fuidi, Ndona Beatriz fuidi !
Ce qui veut dire, « Elle est morte, Dona Beatriz est morte ! »
Le maigre espoir de guérison auquel s’accrochaient ses fidèles s’envola. Les prières firent brutalement place à des pleurs, des lamentations. Des femmes criaient, se roulaient par terre, couvertes de poussière.
— Qui nous sauvera de l’esclavage ? Nous n’avons plus de guide. Notre peuple est mort ! criait une femme couverte de sable.
Ce fut la consternation dans le village de Mpanzu.
Des messagers furent envoyés dans toutes les provinces du royaume pour annoncer la triste nouvelle. Pendant trois jours, ses adeptes organisèrent des veillées mortuaires qui attirèrent des foules au-delà des Antoniens.
Le corps de Dona Beatriz Nsimba, couvert d’un linceul blanc à l’exception de la tête, fut exposé dans la cour, sous un préau. Les habitants de Mpanzu, adeptes ou non de sa doctrine, défilèrent pour lui rendre un dernier hommage. Son beau visage dégageait une grande sérénité et semblait sourire. Elle était très belle. Elle semblait encore plus belle morte que de son vivant.
Trois jours après, à Luanda, siège de l’administration et du clergé portugais, alors que le prêtre capucin Bernardo da Gallo travaillait dans son bureau, un officier fit irruption.
— Excusez-moi, mon père, le capitaine Luis Lopes de Sequira m’envoie vous annoncer une bonne nouvelle.
— Que se passe-t-il ?
— Dona Beatriz Nsimba est décédée à Mpanzu !
Le prêtre sauta de joie. Il courut apporter la bonne nouvelle à ses compères Lorenzo da Lucca, Luca da Caltanisetta et Marcellino d’Atri qui enseignaient le catéchisme à des enfants dans des salles de la paroisse.
— Dona Beatriz est décédée à Mpanzu !
Les trois autres prêtres ne cachèrent pas non plus leur satisfaction :
— Très bonne nouvelle, en effet, dit le père Bernardo da Gallo. Nous devons faire croire à la population que cette mort est une punition de Dieu, une réponse divine à son apostasie. Il faut que les Bakongo aient peur de quitter l’Église catholique.
— Ils n’ont plus cette maudite négresse pour les inciter à nous désobéir, ajouta le père Lorenzo da Lucca.
Les catéchumènes, ne parlant pas le portugais, n’avaient pas compris la conversation et étaient médusés par l’allégresse infantile des hommes d’Église. Le père Lorenzo da Lucca leur dit en langue kongo :
— Allez dire à vos parents que Dona Beatriz est morte. Elle a été punie par Dieu. Ceux qui renient Dieu trouvent son châtiment en chemin.
Les enfants, qui pour la plupart venaient au catéchisme non par conviction, mais par crainte de représailles portugaises sur leurs familles, furent attristés par cette nouvelle.
Pendant ce temps à Mpanzu, après une grandiose messe de requiem célébrée pour le repos de l’âme de Dona Beatriz Nsimba, à laquelle avaient participé tous les groupes religieux de la région, son corps fut placé sur un tipoye (sorte de brancard porté par quatre personnes sur leurs épaules) afin de le transporter au cimetière pour l’enterrement. Il était environ quinze heures. Il faisait beau et très chaud. Le ciel était découvert. Pour les Bakongo, c’était un très bon présage. Leur divine prophétesse pouvait s’élever dans un ciel dégagé et partir en paix. Les pleurs et les lamentations triplèrent d’intensité.
Les porteurs du tipoye se baissèrent pour le soulever quand le corps de Dona Beatriz Nsimba bougea. Surpris et incrédules, ils se regardèrent. Le corps bougea de nouveau. Dona Beatriz Nsimba sortit ses bras, qui étaient enveloppés dans le linceul. L’un des porteurs hurla :
— Ningane !
Ce qui veut dire : « Elle a bougé ! »
— Que se passe-t-il ? demanda un homme.
— Regardez ! Dona Beatriz ! Elle a bougé !
— En es-tu sûr ?
— Oui ! Regardez !
Effectivement, devant la stupéfaction générale, Dona Beatriz Nsimba se redressa et s’assit sur le tipoye, sous les cris de joie et les applaudissements de tous les témoins de ce miracle. Des badauds criaient dans les rues voisines :
— Venez voir ! Dona Beatriz est ressuscitée le troisième jour, comme le Seigneur Jésus !
Les personnes qui avaient précédé le cortège funéraire au cimetière revinrent en courant, créant un grand mouvement de foule. Il régna une confusion sans que la plupart des personnes ne sussent ce qui se passait vraiment. Les proches de la défunte criaient :
— Arrêtez, arrêtez, restez calmes !
Dans la panique, des gens tombèrent et furent piétinés. Il fallut environ vingt minutes pour que cessât ce mouvement. Heureusement, il n’eut que quelques blessés légers.
Quand le calme fut revenu, la prophétesse, encore drapée de son linceul blanc, se leva et demanda à tout le monde de s’asseoir. En voyant Dona Beatriz Nsimba, les gens comprirent qu’ils assistaient à un événement unique en son genre. Au lieu de les calmer, la vue de la prophétesse les excita de plus belle. Ils se mirent à scander :
— Bimangu ! Bimangu ! Ndona Beyatirichi sidi bimangu !
Ce qui veut dire « Un miracle ! Un miracle ! Dona Beatriz a accompli un miracle ! »
Un service d’ordre se mit rapidement en place pour calmer la ferveur des fidèles survoltés.
— Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! criaient les proches de la ressuscitée.
Il fallut encore une vingtaine de minutes pour faire revenir le calme. Les proches de Dona Beatriz Nsimba firent asseoir les gens en cercle. Elle se plaça en son centre et prit enfin la parole :
— Ba mpangi zani, mbote zeno, ce qui veut dire « Bonjour, mes frères ». J’étais morte, je suis allée à « Simu Kongo » (l’Au-delà). J’ai rencontré Tata Nzambi’a Mpungu (Le Dieu Tout-Puissant), le Muela Kongo (L’Esprit protecteur du Kongo) et le conclave présidé par l’Archange du Kongo. Ils m’ont confié une mission, celle de réunifier le Royaume du Kongo. Pour ce faire, ils m’ont chargée :
de demander à tous les Bakongo de restaurer l’entente entre tous les enfants originaires des clans kongos ;
de demander aux Bakongo de restaurer la ville de Mbanza-Kongo ;
de demander aux députés de Fula Nkazi et aux prêtres sénateurs de Mpemba Kazi de se rencontrer à Mbanza-Kongo et d’élire un nouveau roi qui gouvernera tous les Bakongo ;
de demander aux Bakongo de ne plus adorer les dieux étrangers, de revenir sur le Nzila Kongo (la voie kongo) du développement spirituel, sur le Kinzambi kia Kongo (religion kongo) et sur le chemin du bukongo (culture kongo) ;
de rappeler à tous les Bakongo que le Nzila Kongo et le Kinzambi kia Kongo ne peuvent pas être séparés, car personne ne peut séparer ce que Dieu Tout-Puissant a uni dans la nation Kongo. Ainsi, un seul peuple, un seul pays, un seul gouvernement ;
de rappeler aux politiciens du Kongo que les missionnaires catholiques ne sont pas habilités à consacrer les rois du Kongo, car ce travail est celui de l’autorité morale de la religion Kongo. Lui seul peut le faire et doit le faire au nom de Tata Nzambi’a Mpungu (Dieu le Père Tout-Puissant), au nom des Bisimbi bia ntsi (les piliers de la nation) et des ancêtres de Muela Kongo (L’Esprit protecteur du Kongo).
L’intervention de Dona Beatriz fut saluée par une grande ovation.
— Kongo mbo di kuluka (le Kongo sera libéré) !
— Dona Beatriz, l’envoyée de Dieu, sauvera notre royaume !
— Ensemble, nous bouterons les Portugais hors du Kongo dia Ntotela (Royaume du Kongo).
Une femme lui demanda :
— L’Armée royale du Kongo n’a pas réussi à chasser les Portugais. Comment y arriverons-nous alors que nous n’avons pas d’armes ?
— Si, nous en avons une.
On put lire un grand étonnement sur les visages de toute l’assistance.
— Nous avons chacun une arme très efficace.
— De quelle arme parles-tu ? Nous n’avons rien. Nous ne sommes pas des soldats !
— Attendez un instant, s’il vous plaît.
Elle entra dans sa maison, soutenue par deux femmes, et en ressortit après avec une Bible à la main. Elle la brandit en disant :
— Voilà notre arme. Nous sommes des soldats de Dieu. Notre commandant en chef est Jésus. Nous vaincrons la haine des Portugais par l’amour envers notre prochain, qu’il soit Noir ou Blanc. Nous vaincrons leur cruauté par la prière. Saint Antoine de Padoue nous protège. La prière sera notre stratégie. Kimpa ! Désormais, je m’appellerai Kimpa Vita12.
En kikongo, « Kimpa » ou « Tchimpa » veut dire « Stratégie, jeu » et « Mvita » signifie « Guerre ». Mais les Portugais, ayant du mal à prononcer le phonème « Mv », disaient « Vita ».
« Kimpa Mvita » ou « Tchimpa Mvita » peut donc être traduit par « Stratégie de guerre ».
Kimpa Vita envoya ses adeptes :
— Allez proclamer dans tout le Kongo dia Ntotela (Royaume du Kongo) que le jour s’est levé, notre pays est sorti des ténèbres. Nzambi’a Mpungu (Dieu Tout-Puissant) m’a envoyée vous annoncer la libération prochaine ! Kimpuanza !
La foule scanda :
— Kimpuanza ! Kimpuanza !
Kimpuanza signifie « liberté, indépendance ».
Depuis ce jour, Kimpa Vita affirma qu’elle était possédée par l’esprit de Saint Antoine et qu’elle avait reçu les missions divines de réunifier le Royaume du Kongo, d’arrêter l’esclavage et d’expulser les Portugais.
Elle se mit à prêcher sur le mont Kibangu, la montagne sacrée. L’antonianisme, son mouvement chrétien basé sur l’adoration de Saint Antoine de Padoue reçut le surnom de « Dibundu dia Mama Kimpa Vita » (L’Association de Madame Kimpa Vita).
La nouvelle de sa résurrection se propagea dans le Royaume du Kongo. Tout le monde voulait voir et entendre celle qui, comme le Christ, était morte et avait ressuscité au bout de trois jours.
Pour Kimpa Vita, la Sainte Vierge Marie et Saint Antoine étaient des Noirs bakongo. Elle affirmait qu’il y avait aussi de saints bakongo, mais les Portugais ne parlaient pas d’eux. Résolument antiraciste et antiesclavagiste, elle éveillait la conscience des Bakongo sur le désastre humain, économique et culturel que représentait la présence européenne sur le territoire kongo. Elle n’hésitait pas à fustiger certaines autorités dont le roi Don Pedro IV qu’elle accusait de complicité avec les Européens responsables du désastre du Royaume du Kongo.
Son message trouva un écho favorable dans la population. Des milliers de Bakongo crurent et se convertirent. Ils revinrent sur le « Nzila kongo » (La Voie du Kongo) au détriment de la religion catholique dont les églises qui se vidèrent. Il y eut jusqu’à quatre-vingt mille conversions dans les mois qui suivirent sa résurrection. On se bousculait pour suivre son enseignement. Au cours des cérémonies religieuses où elle officiait, beaucoup de fidèles entraient en transe.
Kimpa Vita sillonna tout le royaume, déplaçant de grandes foules : Lemba, Mbanza-Kongo, Mulumbi, Evululu, Mbuli, Nsuka, Luvota (Province de Mbamba), Nzeto, Mbanza-Soyo, Nsukulu, Matari Nzolo et Nkusu Nzonzo et même au-delà des frontières du territoire du Royaume du Kongo, à Malemba (Royaume de Ngoyo).
Un jour de l’année 1704, le groupe de prière de Kimpa Vita et celui de Mama Mafuta Fumaria, organisèrent une retraite commune au sommet de la montagne de Nkumba wa ngudi.
Avant une séance de prière, Mama Mafuta Fumaria prit la parole, devant une immense foule de fidèles des deux associations :
— Chers frères et sœurs, à soixante-quinze ans, mes forces m’abandonnent. Je ne peux plus sillonner le Kongo dia Ntotela. Il est temps que je passe la main à plus jeune et plus énergique que moi pour continuer la prière et la lutte contre l’esclavage. Les dirigeants de nos deux communautés ont décidé de fusionner. J’ai demandé à la jeune Kimpa Vita de devenir notre guide spirituelle. Elle a accepté. Unissons-nous pour sauver notre Kongo ! Luzolo na kongo (Amour et unité). Elle est donc dorénavant notre « Nganga marinda » (Prophétesse chrétienne).
Les fidèles applaudirent la nouvelle cheffe du mouvement religieux unifié. Un peu intimidée par la lourde charge qu’elle venait d’endosser, la jeune Kimpa Vita, alors âgée de 20 ans tout juste, déclara d’une voix frêle :
— Mbote zeno ba mpagi zani. Kituadi na luzolo. Luzolo lua Nzambi, lua Yisu mvulusu yeto, lua Kongo dia Ntotila, na lua ba mpangi zeto.
Ce qui veut dire : « Bonjour mes frères et sœurs. Entraide, et amour. Amour de Dieu, de Jésus, notre sauveur, du Royaume du Kongo et de nos frères ».
L’assistance applaudit la jeune fille tout émue.
Les huit jours que dura la retraite furent ponctués de prières, de lectures de passages bibliques, de méditations, de chants et d’enseignements.
Après la retraite, Kimpa Vita continua de sillonner le royaume, cette fois à la tête de l’association de Saint Antoine de Padoue élargie. Elle martelait dans ses serments :
— Les Portugais sont des ndoki (sorciers). Réunifions le Royaume du Kongo, chassons les Portugais ! Le vrai Dieu est Kongo !
La renommée grandissante de Kimpa Vita ne fut pas du goût des Portugais ni même des deux ntotela (rois) rivaux autoproclamés à savoir Don Pedro IV (Ndo Mpetelo en langue Kongo) à Kibangu et Don João III (Ndo Nzuawu) roi à Lemba.
En revanche, de nombreux nobles bakongo parmi lesquels la reine Dona Hipolyta, l’épouse même du roi Don Pedro IV et un haut gradé de l’Armée royale, le général Pedro Constantinho da Silva, surnommé « Kibenga », qui veut dire « Valeureux » en kikongo, avaient rejoint les rangs des adeptes de la prophétesse Kimpa Vita. De plus en plus de voix s’élevèrent pour réclamer l’unité du royaume. La présence des missionnaires et des soldats portugais responsables de l’esclavage et de la décadence du royaume n’était plus tolérée.
Kimpa Vita demanda une audience auprès du roi Don Pedro IV à Kibangu pour le convaincre de s’installer à Mbanza-Kongo. Le roi accepta de recevoir, en présence des prêtres capucins italiens et portugais, celle qui, selon lui, poussait la population à l’insurrection dans ses prêches acerbes à son encontre.
Quand Kimpa Vita entra au palais, le père Bernardo da Gallo, qui pourtant lui était très hostile, témoigna des scènes surréalistes auxquelles il avait assisté : les arbres qui bordaient l’allée centrale du jardin s’abaissèrent au passage de la jeune fille comme pour la saluer. Les arbres tordus ou tombés à terre se redressèrent et les portes du palais s’ouvrirent toutes seules, comme actionnées par des mains invisibles.
Don Pedro IV la reçut dans la salle des audiences, entouré de son épouse, la reine Dona Hipolyta, et de ses conseillers, dont les prêtres capucins européens Bernardo da Gallo, Lorenzo da Lucca et Marcellino d’Atri qui avaient une grande influence sur lui.
Don Pedro IV demanda à son interlocutrice :
— Quel est l’objet de votre visite ?
— Mfumu (ce qui veut dire « Majesté », « Roi », « Seigneur »), je suis la messagère de Muela Kongo et de Nzambi’a Mpungu. Ils m’ont demandé de vous transmettre leur message.
— Vous êtes leur messagère dites-vous ?
— Oui, Mfumu. Ils m’ont parlé quand j’étais morte et que je suis allée au Simu Kongo (L’Au-delà).
— Et vous en êtes revenue ?
— Oui, Mfumu.
— J’ai effectivement appris que vous étiez morte et que comme Jésus, vous êtes revenue à la vie. Est-ce vrai ?
— Oui, Mfumu.
Le père Bernardo da Gallo se leva et interrompit la discussion.
— N’écoutez pas cette menteuse. Elle est le diable en personne.
Kimpa Vita poursuivit :
— Oui, je suis revenue de l’au-delà et j’ai un message pour vous, Majesté.
— Quel est ce message et qui vous l’a confié ?
— Il m’a été confié par Tata Nzambi’a Mpungu, Muela Kongo et le conclave présidé par l’Archange du Kongo. Ils demandent la réunification du Royaume du Kongo. Leur message est le suivant : restaurez l’entente entre tous les enfants originaires des clans bakongo ; reconstruisez la ville de Mbanza-Kongo ; demandez aux députés de Fula Nkazi et aux prêtres sénateurs de Mpemba Nkazi de se rencontrer à Mbanza-Kongo pour élire un nouveau roi qui gouvernera tous les Bakongo ; demandez aux Bakongo de ne plus adorer les dieux étrangers, de revenir sur la voie kongo, du développement spirituel, sur la religion kongo et de retrouver la culture kongo ; rappelez à tous les Bakongo que le Nzila Kongo et le Kinzambi kia Kongo ne peuvent pas être séparés, car personne ne peut séparer ce que Dieu Tout-Puissant a uni dans la nation Kongo. Ainsi, un seul peuple, un seul pays, un seul gouvernement ; rappelez aux politiciens du Kongo que les missionnaires catholiques ne sont pas habilités à consacrer les rois du Kongo, car ce travail est celui de l’autorité morale de la religion kongo. Lui seul peut le faire et doit le faire au nom de Tata Nzambi’a Mpungu (Dieu Tout-Puissant), au nom des Bisimbi bia ntsi (Les Piliers de la nation) et des ancêtres de Muela Kongo (L’Esprit protecteur du Kongo).
Don Pedro IV était bien conscient du danger que courait le Royaume du Kongo avec la politique esclavagiste des Portugais. Mais comme ces derniers avaient déjà détruit le royaume à plusieurs reprises et assassiné tous les rois qui avaient osé s’installer à Mbanza-Kongo, Don Pedro IV, à l’instar de beaucoup d’autres souverains, fut contraint de capituler et d’avaler des couleuvres en signant des accords, même néfastes pour le pays. Il avait agi ainsi dans le but d’épargner à ses sujets des effusions de sang à répétition.
La requête de Kimpa Vita le remit face à un grand dilemme : combattre les Portugais dont la force de frappe était largement supérieure à celle du Kongo et au risque de mener le pays à la destruction, ou caresser les Portugais dans le sens du poil en assistant impuissant à la pratique de l’esclavage.
Mais la population, galvanisée par des associations comme les Antoniens, rejetait le christianisme et la présence européenne dans le royaume. L’impopularité de Don Pedro IV était grandissante.
La requête de Kimpa Vita sema encore plus le doute dans l’esprit de Don Pedro IV.
— Et si c’est vrai qu’elle tient cette mission de Tata Nzambi’a Mpungu des Bisimbi bia ntsi et de Muela Kongo ?
Alors qu’il était perdu dans sa réflexion, le père Bernardo da Gallo lui dit :
— Mfumu, n’écoutez pas cette apostate ! C’est une menteuse. Elle fait croire à tout le royaume qu’elle était morte et est ressuscitée au bout de trois jours comme Jésus. Elle incarne le démon. Vous brûlerez en enfer avec elle si vous la suivez. San Salvador est une ville maudite. N’y allez surtout pas. Vous serez assassiné comme vos prédécesseurs.
San Salvador était le nom donné par les Portugais à Mbanza-Kongo.
Finalement, après réflexion, Don Pedro IV décida de suivre les recommandations du prêtre pour sauver son royaume, quitte à s’attirer les foudres de son peuple. Il répondit à Kimpa Vita en ces termes :
— Je ne peux pas m’installer à Mbanza-Kongo. C’est une ville maudite. Rappelez-vous ce qui est arrivé à Mvita Nkanga lors de la bataille de Mbuila.
— Mfumu, répondit Kimpa Vita, Mbanza-Kongo n’est pas une ville maudite. Ce sont ces ndoki (sorciers), dit-elle en pointant du doigt les trois prêtres européens, qui vous le font croire. Ce sont eux qui assassinent tous les rois qui s’y installent. Vous n’avez rien à craindre. Le ntotela qui sera désigné par Fula Nkazi et les prêtres sénateurs de Mpemba Nkazi et qui siégera à Mbanza-Kongo sera sous la protection de Saint Antoine de Padoue. Il ne lui arrivera pas malheur. Mfumu, je vous en conjure. N’ayez crainte.
— Le retour d’un dirigeant à Mbanza-Kongo sera synonyme de déclaration de guerre à tous les prétendants au trône. Non, je n’ai pas besoin d’y résider pour affirmer ma royauté. Je suis l’unique roi du Kongo, peu importe la ville dans laquelle j’exerce mon pouvoir.
— Le peuple attend la réunification du royaume. Quarante ans de guerre et de division, le peuple n’en peut plus. Les Portugais profitent de notre faiblesse pour piller nos richesses. Nos mines d’or sont exploitées par les Portugais et tout l’or va dans leur pays. Le commerce des esclaves dépeuple nos villes, nos campagnes. Ayez pitié de votre peuple, sauvez-le ! L’avenir de tout le peuple kongo dépend de votre décision.
Voyant qu’elle se heurtait à un mur, Kimpa Vita demanda à se retirer avec sa délégation. Elle quitta le palais du roi Don Pedro IV, déçue de n’avoir pas pu le convaincre du bien-fondé de sa mission.
Don Pedro IV, Dona Hipolyta, les conseillers et les prêtres capucins furent impressionnés par le charisme, l’intelligence, la culture et l’éloquence de cette jeune fille de 20 ans. L’audience terminée, les trois prêtres capucins et les conseillers prirent eux aussi congé du roi Don Pedro IV.
Quand le roi Don Pedro IV et la reine Dona Hipolyta furent seuls, après le départ des conseillers et des prêtres, la reine demanda à son mari :
— Pourquoi as-tu refusé toutes les demandes divines que Kimpa Vita a formulées ? Tu aurais dû accepter pour le bien de ton peuple et du royaume.
— Toi, mon épouse que j’aime tant, comment as-tu osé me trahir comme le général Pedro Constantinho da Silva et bien d’autres en rejoignant le camp de cette vipère qui me veut du mal ?