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La parentalité contemporaine a largement contribué à la dégradation, parfois significative, du capital physique et cognitif des enfants. Ces ressources sont pourtant essentielles à leur avenir autant qu’à la prospérité de la société dans laquelle ils vivront. Les parents sont les premiers responsables de cette situation, mais ils détiennent également la solution à ce problème majeur. "La balle dans le pied" propose une réflexion incisive sur les défis éducatifs d’aujourd’hui, pour un meilleur accompagnement des futures générations.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Expatrié pendant plusieurs années,
Alix Stadmeier a observé, en France comme à l’étranger, une parentalité moderne souvent marquée par une complexité inutile et des résultats décevants. Après son essai-témoignage Père à poil, il approfondit la question de la responsabilité parentale dans cette nouvelle publication
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Seitenzahl: 271
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Alix Stadmeier
La balle dans le pied
Réflexions désagréables sur la responsabilité parentale
Essai
© Lys Bleu Éditions – Alix Stadmeier
ISBN : 979-10-422-6137-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Mes meilleures pensées
à un directeur d’école en O.R.,
à sa femme, d’or et d’argent,
à celles et ceux qui ont l’école au corps.
En 2021, après trois années de gestation et de travail, je publiais Père à Poil. Ce livre massif et imparfait de cinq cent cinquante pages comportait deux volets : un témoignage brut de décoffrage de mes premières années à temps plein dans mon rôle de père de trois enfants et une réflexion critique de la parentalité contemporaine.
Après publication, la conclusion de Père à Poil m’a laissé un goût d’inachevé pendant plusieurs mois durant lesquels je retournais la problématique parentale dans tous les sens pour invariablement revenir à une seule conclusion et à ce constat : malgré son influence indéniable dans notre condition sociale et économique actuelle, la parentalité contemporaine est rarement désignée comme une racine de nos difficultés présentes et, plus encore, à venir.
Politiquement cela pourrait être considéré comme suicidaire. Je crois pourtant qu’il y a une force appréciée et rassurante à dire les choses pour ce qu’elles sont. Churchill fut un fort bel exemple de cet honneur politique en 1942 quand il déclara : « Je n’ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. »
Mais se saisir d’un problème à bras le corps requiert d’en identifier les causes, sans faillite ni circonvolutions rhétoriques ou éditoriales. Ensuite, il faut que les responsables se regardent dans le miroir.
Et nous en avons tous un à la maison.
Avec La balle dans le pied, j’espère mettre les pieds dans le plat et contribuer à rapprocher la parentalité du centre du débat, car l’ignorer en tant que racine d’une partie des difficultés que nous rencontrons, c’est l’ignorer en tant que partie de la solution.
Cela me paraît d’autant plus essentiel que parentalité et société se nourrissent et s’affectent mutuellement. Or, en l’état actuel, la parentalité me paraît hypothéquer l’avenir plus qu’elle ne contribue à le bâtir.
La parentalité contemporaine occidentale n’est pas à la hauteur des enjeux majeurs qui s’annoncent déjà. C’est aux parents de décider s’ils veulent changer de cap, dans l’intérêt de leurs enfants.
Quant à tout ce qui pourrait vous plaire ou déplaire dans mes réflexions, prenez-les pour ce qu’elles sont, à savoir des contributions à un sujet protéiforme mais essentiel pour notre avenir et, plus encore, celui de nos enfants et de leurs potentiels.
Car, au fond, quelle est l’utilité d’un potentiel s’il reste inutilisé ? Quelle est l’utilité d’un potentiel qui, précisément, reste à l’état de potentiel ?
La Commission européenne, les États membres, la société et la dette de temps
En 2017, la Commission européenne fit une proposition de directive pour un meilleur équilibre entre vie personnelle et travail. L’un des objectifs affichés du texte était de favoriser un partage plus équilibré des responsabilités parentales entre les femmes et les hommes.
Le 28 juillet 2020, auditionné en commission des lois de l’Assemblée nationale sur les violences subies par la police et la hausse (90 % en dix ans1) des refus d’obtempérer, le ministre de l’Intérieur d’alors, Gérald Darmanin, déclara : « La crise de l’autorité vient de loin. Les clés de la réponse à votre question sont dans le trousseau du ministre de l’Éducation nationale. »
Le 17 septembre 2020, dans une interview, Christine Lagarde dit qu’il fallait « encourager les hommes à prendre des congés paternité, et faire en sorte que ces congés soient plus longs que les quelques jours ou semaines actuellement en vigueur ».
Le 30 juin 2023, après les émeutes, Emmanuel Macron appela « tous les parents à la responsabilité ».
Ces quatre épisodes politiques ont la parentalité comme dénominateur commun. Ils illustrent l’importance du sujet et ses ramifications.
Il demeure que le ministre de l’Intérieur s’est gravement trompé en considérant que les clés évoquées étaient aux mains des hautes sphères de l’Éducation nationale. Son erreur est d’ailleurs bien caractéristique de notre époque, de notre société.
Les clés qu’ils évoquent sont aux mains des parents, pas ailleurs.
De ce point de vue, j’avais trouvé intéressant que les confinements successifs durant l’épidémie de COVID-19 aient puissamment mis en lumière les effets néfastes de la parentalité contemporaine. Ces confinements furent une épreuve pour de nombreux parents. Parmi eux, par exemple, combien prirent brutalement conscience de ce qu’est désormais le quotidien des enseignants ?
Or, être parent est d’abord et avant tout affaire de responsabilité et cette responsabilité devrait être partagée le plus équitablement possible, le plus tôt possible après la naissance de l’enfant. À terme, c’est toute la société qui en profitera.
Pourtant, aujourd’hui encore, beaucoup d’hommes n’ont aucune idée de la fatigue, de la lassitude et de la frustration qui peuvent émerger lorsque l’on passe son temps à s’occuper d’un bébé. Le for intérieur s’emplit parfois d’un vide qui restera étranger et inconnu à de nombreux conjoints.
Une connaissance, père de trois enfants, me déclara un jour droit dans les yeux savoir ce qu’élever des enfants implique. Il savait, m’affirma-t-il, que c’est « parfois dur ». Je me tus. Sa femme savait que j’avais arrêté de travailler trois ans pour être avec les enfants. Elle me regarda en souriant et cingla : « Non, chéri, tu ne sais pas ce que c’est. »
Le ton n’était pas anodin, car connaître – voire reconnaître – les difficultés par lesquelles le conjoint ou la conjointe a pu passer est essentiel pour que le couple puisse cheminer sereinement.
Emmanuel Macron et douze autres chefs d’État s’opposèrent à la directive telle que proposée par la Commission européenne2, au titre, notamment, du coût pour les finances publiques.
À court terme, le président de la République avait raison. Mais la vision à long terme est l’honneur de la politique. Or, à long terme, quel est le coût social et matériel des divorces – en immobilier par exemple ? Quel est le coût d’une natalité ralentie dans un contexte de retraite plus tardive ? Quel est le bénéfice d’avoir des gamins plus équilibrés, plus cadrés ? Surtout, quels seraient les bénéfices de rapports hommes/femmes expurgés d’une de leurs plus grandes sources de tension et d’incompréhension ?
Les coûts sont estimables. Les bénéfices sont inestimables.
C’est Christine qui a raison.
« Une crise nous force à revenir aux questions elles-mêmes et requiert de nous des réponses, nouvelles ou anciennes, mais en tout cas des jugements directs.
Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire des préjugés. »
Hannah Arendt, La crise de la culture
« Le calme est la marque d’une infirmité lorsque la science commande l’inquiétude. »
Raphaël Glucksmann, Les enfants du vide
« Soit les parents s’y collent, soit les enfants restent en friche3. »
Michel Desmurget, Faites-les lire !
« Cela semble être un fait historique que, lorsqu'un peuple devient puissant, prospère et globalement satisfait de sa condition, il devient très difficile de le sensibiliser à une idée qui l'oblige à envisager des possibilités désagréables ou à entreprendre le travail et les efforts nécessaires pour éliminer ces éventualités. »
Dwight D. Eisenhower
Bienvenue à bord de l’Axiom4
Piqûre no 1 (double dose) :
« Il faut que l’on arrive à refaire bouger les gens, sinon notre génération ou la génération qui nous suit vivra peut-être moins longtemps que les précédentes. Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité5. (…) En 40 ans, nos collégiens ont perdu environ 25 % de leur capacité physique6. »
Piqûre no 2 :
119e sur 146. C’est le classement de la France en matière d’activité physique pratiquée par les adolescents. 80 % des 11-17 ans ne font pas assez de sport7.
Piqûre no 3 (double dose) :
« Le vocabulaire des enfants s’est appauvri. » (Un médecin scolaire – propos aussi tenus en substance par deux directeurs d’écoles primaires.)
« Les jeunes s’expriment moins bien qu’avant et ils peinent parfois à affiner leur pensée autant qu’ils le voudraient. » (Une retraitée de l’Éducation nationale, ancienne proviseure de lycée professionnel)
Piqûre no 4 :
« En près de 35 ans, le constat est sans appel : les élèves de CM2 faisaient 10,7 erreurs en moyenne en 1987 contre 19,4 en 20218. »
Piqûre no 5 :
« […] mais demeure ce constat qualitatif : une réduction de l’appétit pour la littérature complexe. Or celle-ci est inquiétante, car c’est cette littérature complexe qui fait l’histoire littéraire plus qu’elle ne raconte des histoires. » (Vincent Monadé, président du Centre national du livre, dans un podcast de France Culture du 22 janvier 2019.)
Que Vincent Monadé s’inquiète pour l’histoire de la littérature est justifié. En revanche, son constat me préoccupe, car c’est la littérature complexe qui enrichit les esprits. Autrement dit, on lit sans s’élever.
Piqûre no 6 :
« Il est certain que les enfants d’aujourd’hui ont une moindre capacité de concentration qu’il y a dix ans. Ils sont plus dissipés, alors on doit s’adapter. » (Une institutrice de CP)
Piqûre no 7 :
« Avons-nous le choix ? Si l’on souhaite garantir une certaine paix sociale dans son entreprise, on a tout intérêt en tant qu’employeur à créer les conditions pour que ça marche. Est-ce que l’on peut ainsi rattraper 25 ans d’éducation ratée ? J’en doute. »9
Piqûre no 8 :
« Une étude Microsoft met en évidence une baisse alarmante du temps de concentration moyen de la génération Z. Alors qu’en 2000 le temps de concentration humaine moyen était de 12 secondes, en 2013 il atteint 8 secondes seulement. […] C’est beaucoup moins que les générations précédentes10. »
Piqûre no 9 :
« Je vois passer des troubles qui n’existaient pas il y a dix ans11. » (Sylvie Dieu Osika – pédiatre et spécialiste de la surexposition aux écrans.)
Piqûre no 10 :
« Les jeunes générations sont devenues très vulnérables, faute d’avoir été éduquées à l’effort12. »
Réflexions sur l’enjeu qualitatif…
« […] apprendre à avoir l’esprit critique et à penser de façon conceptuelle et rigoureuse ne vient pas facilement aux jeunes, mais sont des victoires qui s’arrachent dans l’effort13. »
***
« Quels sont les Newton, les Einstein ou les Darwin qui ne pourront donner la pleine puissance de leur potentialité intellectuelle parce qu’une partie de leur rêverie intellectuelle aura été absorbée par des sucreries mentales plutôt que par le rude effort de l’exploration méthodique du possible14 ? »
***
« En attendant, c’est à un véritable saccage intellectuel que nous sommes en train d’assister15. »
… dans le contexte géopolitique global
« Mais dans les années 2010 et jusqu’à ce jour, le nombre d’enfants par femme tend à diminuer régulièrement un peu partout dans les pays riches. Cette tendance continue préoccupe de plus en plus le monde économique et les politiques16. »
***
« Du point de vue quantitatif, les Occidentaux forment au sein de la population mondiale une minorité en constante diminution. D’un point de vue qualitatif, l’équilibre entre l’Occident et les autres civilisations change également. Les populations non occidentales sont plus riches, plus urbaines, mieux formées que par le passé…17 »
Le temps des régressions
Les temps qui s’annoncent pourraient difficilement être plus incertains. Les prochaines décennies ne seront pas roses, peu importe l’échelle considérée. Pour préparer au mieux le monde de demain, nos enfants auront besoin de leurs ressources « humaines » à leur meilleur. Mais nous abîmons leur capital avec une persistance qui serait admirable si elle n’était pas néfaste.
Je pointe du doigt la parentalité contemporaine, car, au bout du bout, personne n’est plus responsable que les parents de la pente sur laquelle nous sommes. Il est inutile de se défausser sur le politique puisque nous sommes en démocratie. Il est tout aussi inutile de se défausser sur la société, car elle est faite par nous. Nous sommes la société. Nous devons ouvrir les yeux sur nos propres responsabilités et cesser de vouloir appesantir autrui du poids de notre irresponsabilité. Nous défausser sur autrui acte notre résignation autant que notre incapacité à nous concevoir comme un élément de la solution au problème.
L’épineux enjeu de l’appauvrissement du capital humain devient vertigineux quand on admet que les dérives de la parentalité actuelle suralimenteront les risques auxquels nos enfants feront face en limitant leur capacité à les résoudre. C’est une double peine.
L’absurde ayant des vertus démagogiques insoupçonnées, je tiens, ici, à exprimer mon admiration pour les fanatiques religieux maîtres de l’art délicat du tir dans le pied. Leur méthode est simple : ils annihilent le potentiel des femmes. Soit 50 % de la population. En gros. C’est très efficace parce qu’ils font ça très bien, avec beaucoup d’enthousiasme.
Mais nos chers fous de Dieu sont finalement moins idiots que nous. Ils ont le bon sens de ne s’attaquer qu’à 50 % de leur population. La parentalité occidentale, elle, ne discrimine pas. Nous visons 100 % de la population, garçons et filles, hommes et femmes de demain.
On peut débattre et sodomiser quelques diptères en nuançant des nuances de nuance ; le fait est que l’état des lieux est inquiétant. On peut dire, comme je l’ai entendu plusieurs fois, que les gamins d’aujourd’hui sont plus ouverts, voyagent plus, connaissent plus de choses, etc. D’une part, de nombreux articles dans plusieurs pays témoignent de l’inverse, à savoir que cette jeunesse qui devait être tolérante et ouverte d’esprit est étonnamment, et parfois radicalement, conservatrice. C’est la même histoire que la génération dite digital native, dont on supposait qu’elle allait être naturellement douée en informatique et qui se révèle nulle avec un ordinateur. D’autre part, ces affirmations sur les soi-disant nouvelles qualités de la jeunesse signent une incapacité à saisir certains enjeux essentiels de l’éducation et de la parentalité, qui peuvent se résumer en un seul mot lourd de sens : élever.
La problématique fondamentale que pose la parentalité contemporaine occidentale tient à une question : comment une société peut-elle prospérer si son capital humain baisse qualitativement et quantitativement1819 ? C’est la question que je me pose depuis la parution de Père à Poil, dont ce livre reprend des éléments, et nulle réponse heureuse ne m’est jamais venue à l’esprit. La question est d’autant plus pertinente que ces déclins sont observables, quantifiables et durables.
Depuis deux décennies, le capital intellectuel, cognitif et physique des enfants est sapé. C’est ainsi que les enfants de 2020 sont moins performants que ne l’étaient leurs aînés de 2010, etc. On peut remonter comme cela jusqu’aux années 1970-1980. Les jeunes adultes d’aujourd’hui sont donc moins performants que ne l’étaient leurs aînés. Si rien ne change, ils seront plus performants que ceux de demain. La conclusion logique est que la société de demain aura moins de ressources qualitatives à disposition pour faire face aux défis innombrables, et pour certains incommensurables, qui s’imposeront à eux.
En 1934, Stefan Zweig écrivit : « Nous avons, en vingt années, assisté et participé à toutes les péripéties et les catastrophes qui d’ordinaire se répartissent sur un siècle20. » En trois années, nous avons eu une pandémie mondiale, des confinements, des couvre-feux, la guerre en Ukraine, et nous observons les effets de plus en plus visibles, intenses et parfois terribles des premières conséquences indéniables du changement climatique, lesquels empireront probablement tant que la nature n’aura pas retrouvé un point d’équilibre. Se greffent à ce tableau les résurgences navrantes de discours politiques dangereux résolument contraires à ce que je tenais encore pour acquis il y a dix ans.
La dégradation de nos ressources humaines – sans même évoquer l’aspect démographique – est mère de nombreux déclins actuels et à venir. Le cercle vicieux est enclenché depuis longtemps et nous ne bougeons pas. Dans un environnement mondialisé et compétitif, le statu quo est le déclin. Et quand cet environnement devient agressif, le déclin devient le moindre risque.
Le monde moderne a vu briller les Lumières, l’Encyclopédie, l’émergence des droits, les consciences s’éveillant à l’environnement, à la nécessité de protéger notre planète, etc. En 2000, j’avais 20 ans. J’étais convaincu que nous allions dans la bonne direction. On parlait de stratégie de Lisbonne, de société de la connaissance, des promesses de l’Internet, etc. J’avais le sentiment d’un avenir lumineux.
Mais il est de notre devoir de considérer l’avenir pour ce qu’il est réellement : une incertitude.
Quand on a moins, on est souvent poussé à faire mieux. Le moins est parfois une opportunité. Mais il est illusoire de penser qu’on peut faire plus et mieux avec moins d’intelligence et de cognition.
Quelques enjeux économiques et politiques de la parentalité
Mon aîné naquit en Belgique. Mes deux filles vinrent au monde en Pologne. Nous y vécûmes quatre années. Ils sont enfants de l’Union européenne.
Les couples de jeunes parents que nous connaissions en Pologne avaient en commun une pratique de la parentalité qui me paraissait déraisonnable, excessive. Sans s’en rendre compte, ces parents se tiraient une balle dans le pied.
Plusieurs de ces couples payèrent le prix de cette parentalité par une décision radicale : leur premier enfant serait enfant unique.
J’ai trouvé cela intéressant, car le taux de fécondité en Pologne est catastrophique depuis le début des années 1990, quand il passa sous la barre de deux enfants par femme, ce qui entraîna une régression démographique. La population polonaise baissa de 300 000 individus entre 1992 et 2018. Le taux de fécondité était de 2,42 en 1983 et de 1,95 en 1992. Il stagne et navigue entre 1,25 et 1,41 depuis les années 2000, alors même que la croissance économique polonaise depuis 1992 se situe, en gros, entre 2,5 et 7,03 % du PIB – ce qui est exceptionnel. La France, sur la même période, mais avec des conditions économiques plus défavorables, vit sa population totale croître de 8 millions d’habitants21. Dans les cinq prochaines décennies, la Pologne pourrait voir sa population décroître de 8 millions d’habitants et perdre environ 0,5 point de PIB par an.
Il y a de multiples facteurs à cette situation démographique catastrophique. Le passage à l’économie de marché en est un, et non des moindres. Les jeunes ont voulu leur part du gâteau et ont privilégié leur carrière. Entre 1989 et 2018, le PIB de la Pologne aurait augmenté de 826 %22. Par ailleurs, avoir un enfant en Pologne est un coût important, certes atténué depuis plusieurs années par la décision, profondément politique, prise par le gouvernement très conservateur23 d’instaurer un équivalent des allocations familiales. Toutefois, l’effet n’est pas aussi important qu’escompté puisque la qualité de vie prime désormais le désir d’enfant. Les infrastructures de garde restent insuffisantes, tout comme en Allemagne – laquelle a aussi un taux de natalité catastrophique.
Cela dit, je ne peux pas m’empêcher de penser que la façon de vivre la parentalité est un autre facteur de cette situation, certes inquantifiable mais pas négligeable pour autant. Car l’évidence est crasse : quand la parentalité est difficile, le désir d’enfant s’affadit. Elle devient alors un enjeu démographique, donc politique.
Outre l’enjeu démographique, les effets négatifs d’une parentalité défaillante se font sentir à long terme. En 2020, une étude de l’OCDE24 rappelait l’évidence déjà mille fois affirmée, à savoir qu’un « élément essentiel des politiques de développement économique de la plupart des pays a été l’investissement consenti dans le capital humain de la société. Plus les individus sont qualifiés, plus ils sont productifs et en mesure de bien s’adapter aux évolutions technologiques. Les peuples les plus instruits se développent plus rapidement ».
Un pays est le produit de ses ressources naturelles, mais plus encore des ressources intellectuelles et culturelles de ses habitants. Ce sont ses femmes et ses hommes qui font émerger projets, opportunités et solutions à mesure que les problèmes apparaissent. Ce sont leurs intellects, leurs compétences. Plus ces femmes et ces hommes seront éduqués, plus le pays aura de chances de prospérer et de surmonter les difficultés.
Mais la parentalité contemporaine échoue à préserver ce capital, et plus encore à le faire fructifier. C’est le point de départ d’un cercle vicieux implacable, car la baisse des capacités entraîne une perte d’efficacité de l’instruction qui aggrave d’autant la baisse qualitative du capital intellectuel. Cela sans même évoquer la baisse démographique qui affecte les économies de nombreux pays développés. Pour les individus, il y a une double peine qualitative. Pour la société, à cette double peine s’ajoute le problème de la natalité. Trois fardeaux.
La politique n’étant pas affaire de miracle, mais de réalité, elle doit composer avec cette succession de dégradations. Or, à l’exception des régimes totalitaires et de leur propagande, aucune politique publique ne permet de changer le plomb en or.
En l’espèce, la politique française a failli en se montrant indigne de ce qui fait sa noblesse. Dans un registre spécifique, Singapour est aujourd’hui une référence dans le domaine de l’enseignement des sciences parce qu’un demi-siècle auparavant ses gouvernants ont analysé la situation et préparé l’avenir en conséquence. Cette vision politique s’est concrétisée avec le développement de ce que nous appelons aujourd’hui « la méthode Singapour ».
Élisabeth Badinter, dans l’introduction de Messieurs, encore un effort…, explore la racine de la baisse de la natalité dans les pays riches. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, en revanche elle explique, très justement selon moi, qu’aujourd’hui « on s’intéresse plus aux remèdes immédiats qu’aux causes profondes. Certes on évoque les incertitudes économiques, la peur du futur ou la naissance plus tardive, mais on feint d’ignorer l’évolution profonde des mentalités. Et en particulier du poids de la maternité contemporaine qui pèse principalement sur les femmes. Contrairement à nombre de psychologues, sociologues et démographes, les économistes et les politiques ne s’y attardent pas25 ».
CQFD.
Merci, Madame.
Le constat est sévère, régulier et implacable : les élèves français ont des résultats en baisse d’une année sur l’autre. J’entends rugir des parents irrités par les notions de classement et de performance, mais renier absolument, radicalement, l’émulation, la compétition, qui pourtant conviennent parfaitement à certains enfants, est déraisonnable, excessif et surtout idiot.
En 2019, mon fils fit sa rentrée en CP. Quelques semaines après la rentrée, il eut sa première poésie à apprendre, en quatre jours – incluant le week-end. À l’école, le jour J, point de poésie. Elle ne fut pas récitée de la semaine. Ni même la semaine qui suivit. Ma femme et moi nous en étonnâmes auprès de l’institutrice qui nous expliqua, navrée, pourquoi elle n’avait toujours pas fait réciter la poésie aux enfants plus de dix jours après la date prévue. Voyez-vous, l’énorme majorité des enfants de la classe trouva la poésie trop dure à apprendre. Les enfants ne voulant pas faire d’effort, les parents firent pression pour que la maîtresse change ses plans. C’était sur les enfants qu’il fallait faire pression.
Ce faisant, ces parents desservent leurs enfants. Ce faisant, ils disent aux enfants que rouspéter, ça paie. Ce faisant, ils disent à leurs enfants que l’effort est optionnel. Ce faisant, ils disent à leurs enfants que l’effort est inutile. Ce faisant, ils pourront dire à leurs enfants : « Tu vois, mon chéri, grâce à moi tu n’as pas à apprendre ta poésie. » L’inverse est tout aussi vrai : « Tu vois, mon chéri, à cause de moi tu n’as rien appris. » Quelles valeurs utiles et porteuses les enfants retiendront-ils de cet épisode ? Aucune, sinon celle que leurs parents sont à leur botte.
La facilité plutôt que l’effort.
Un an plus tard, en 2020, c’était au tour de ma fille d’être en CP, avec une autre maîtresse. Après plusieurs poésies faciles, ce fut La cigale et la fourmi en fin de premier trimestre. Trois jours après, contre-ordre de la maîtresse. Il ne fallait plus apprendre la fable, mais une poésie facile, ridicule même. Quelques semaines après ce changement de programme, je profitai d’une rencontre avec sa maîtresse pour lui demander pourquoi la fable avait été remplacée par une poésie facile. Je savais exactement ce qu’il s’était passé. Le déjà-vécu était trop évident, mais je voulais en avoir confirmation. Elle me dit que de nombreux parents avaient trouvé la poésie trop difficile pour leur enfant. Ils s’en plaignirent à la maîtresse, qui fit marche arrière. Oui, la poésie était plus difficile que les autres. C’était la première difficulté. Ils crièrent « haro sur la fourmi ! » et la fable fut sabordée sans autre forme de procès.
La difficulté est-elle donc une raison pour ne pas inciter les enfants à franchir l’obstacle ? La question est absurde puisque la difficulté invite à l’effort. Par ailleurs, la satisfaction d’une poésie apprise malgré la difficulté mérite précisément cet effort. Satisfaction et fierté sont les plus précieuses récompenses de l’effort. La chose était d’autant plus absurde que, quatre ans auparavant, la même poésie fut apprise par les élèves de CP d’alors.
Discutant avec la maîtresse de l’intérêt de la difficulté, celle-ci me répondit d’un ton martial et impératif, comme pour clore la discussion : « Les élèves doivent réussir, il faut qu’ils réussissent. » Autrement dit, il ne faut pas les exposer à la difficulté. Permettez-moi de voir les choses autrement : je ne pense pas que le fait de réciter une poésie par cœur soit la chose plus importante, la plus porteuse, la plus enrichissante. C’est satisfaisant, certes ; encore que « à vaincre sans péril on triomphe sans gloire ». En revanche, essayer de l’apprendre, y revenir encore, quitte à la réciter en se trompant de nombreuses fois, me semble plus enrichissant, plus utile et plus satisfaisant aussi. L’effort est souvent plus intéressant que le résultat même. Et parfois, les deux se rejoignent. D’autant qu’il n’est pas question de ne leur faire apprendre que des poésies difficiles.
Ces anecdotes scolaires illustrent à merveille un travers de la parentalité contemporaine que je dénonçais dans Père à Poil et qui consiste à surprotéger les enfants en ne les exposant pas assez à l’effort, au travail et à la difficulté.
Il ne faut pas se voiler la face. Les professeurs des écoles ne sont pas les seuls responsables de ces rétropédalages. En l’espèce, les parents sont au premier rang des accusés. Au lieu de mettre leurs enfants dans la bonne direction, ils les soutiennent dans la mauvaise, contre les enseignants. Finalement, ils envoient un message catastrophique à leurs enfants et fragilisent la position de l’enseignant… ce qui ne peut pas être considéré comme positif pour l’enfant. C’est brillantissime.
Si j’étais philosophe et capable de davantage de réflexion, j’écrirais un livre sur les vertus de la difficulté, car je n’en trouve aucun. Amazon, Google, mon libraire, ma mère… J’ai questionné les êtres et entités fondamentales de ce monde francophone et anglophone en ne trouvant que le néant pour seule réponse.
En revanche, j’ai lu avec grand intérêt Les vertus de l’échec de Charles Pépin. L’échec, pensais-je, est ce qui se rapproche le plus de la difficulté. J’ai néanmoins commis une erreur d’appréciation. L’échec est un résultat alors que la difficulté est un prélude. L’échec résulte d’une difficulté mais plus encore d’une volonté de l’affronter. Sans cette volonté, il n’y a que résignation ou abandon.
J’aimerais rendre à la difficulté sa capacité d’attraction. J’aimerais rendre la difficulté séduisante, non en ce qu’elle montre mais en ce qu’elle révèle et promet.
Nous sommes le 4 septembre 2023. Mes filles sont retournées à l’école, mon fils commencera son collège demain. Il est fatigué. Je lui ai proposé d’aller courir, et de marcher si jamais il était trop sur les rotules, ce qu’il a accepté. Après 1 km de course à pied, il me dit avoir mal au talon. Je veux bien qu’il ait mal, mais manifestement c’est surtout une gêne, car il ne boite pas et son mouvement est normal. Il s’arrête et me dit vouloir marcher. « Non, mon fils, tu continues. Non seulement tu continues, mais tu vas appliquer mes conseils. » Il s’offusque, se montre très fatigué et me dit que, dans ces conditions, il retourne à la maison. « Halte-là ! mon garçon. Tu ne retournes pas à la maison, nous allons courir jusqu’à atteindre une ferme en haut d’une belle montée – alors seulement tu pourras marcher. » Arrivent les larmes et la fin du monde. Oui, il est fatigué, ça, je le sais. Je hausse alors le ton et lui secoue un peu les puces pendant une bonne minute. Le résultat des courses est que non seulement il a très bien couru jusqu’au point que j’avais indiqué, mais il a continué à courir, presque exclusivement en net dénivelé positif sur 2 km au-delà de la ferme. Il avait proposé que l’on recommence à marcher au début de la phase de descente, ce que j’avais accepté, mais une fois arrivé à la descente, il a continué à courir.
Si je l’avais écouté, il aurait mal couru sur un tout petit kilomètre à plat puis aurait refusé l’obstacle que je lui proposais. Il n’en aurait strictement rien tiré de positif.
Mais l’essentiel est venu après. Il m’a remercié. Il était content de lui et son remerciement lui vint spontanément. Surtout, il avait compris le pourquoi de mon exigence, pourquoi je l’avais secoué. C’est un moment que je n’oublierai pas. Je pense que lui non plus.
Rebelote quelques mois plus tard avec ma benjamine, alors âgée de 7 ans. C’est une bonne coureuse, son mouvement est naturel. Je lui ai fait découvrir qu’elle pouvait courir beaucoup plus longtemps qu’elle ne le pensait – là aussi avec du dénivelé positif. Quant à ma cadette, elle fit une boucle de 9 km à l’âge de 8 ans. Là aussi il me fallut la pousser, corriger sa course, etc. À force d’encouragement, alors qu’elle était rouge comme une tomate, que la respiration lui était un peu difficile, qu’elle avait mal aux jambes, aux pieds, et qu’il fallait attaquer un dénivelé positif pour finir, elle s’obstina à ne rien lâcher. Alors nous le refîmes quelques mois plus tard et ce fut encore mieux.
Difficulté, encouragement, succès, satisfaction, progrès… et le cycle vertueux recommence.
J’ai pratiqué beaucoup de sports différents dans ma jeunesse. Je me souviens particulièrement bien d’un entraîneur de tennis, B.B. Il était exigeant, dur et respecté. J’attendais ces entraînements avec impatience parce que je savais qu’il voulait faire ressortir le meilleur de nous tous. On pouvait se révéler à nous-mêmes. Pourtant ce n’était « que » des entraînements…
Son arrivée avait changé le club. On suait ensemble et on en demandait encore. Quelques années après, le club évoluait en division nationale alors que la ville ne comptait que 10 000 habitants. Il avait tiré tout le monde vers le haut.
Imaginez la même chose à l’école, le même esprit, le même rapport à l’exigence et la difficulté…
Mars 2024, je suis éducateur tennis depuis quelques mois. Un samedi, l’entraîneuse principale n’étant pas là, je pris l’entraînement des enfants à mon compte et les fis travailler à ma manière. Mon objectif était de leur faire goûter à l’entraînement de tennis tel que je le conçois et non pas le tennis façon « garderie » tel qu’ils le vivent chaque samedi. Je mouillai la chemise, mais eux aussi. C’était littéralement la première fois que certains transpiraient sur un cours de tennis. Ma cadette était dans mon groupe et me dit que c’était le meilleur cours de tennis qu’elle avait eu. Un gamin en sortant du cours me déclara qu’il n’avait jamais été si fatigué… et il était très content. Deux autres ne voulurent pas arrêter le cours. Difficulté, effort, puis satisfaction.