La chambre d’hôtes - Herald Brend - E-Book

La chambre d’hôtes E-Book

Herald Brend

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Beschreibung

Éric affronte les réalités de l’existence, assoiffée de liberté et d’indépendance. Pendant plusieurs années, tout semble sous contrôle, jusqu’au jour où un grain de sable se glisse dans les rouages de sa vie bien réglée. Plus rien ne se passe comme prévu et ses certitudes vacillent lorsqu’il rencontre Chantal. Ensemble, ils font face à ce changement de cap, s’investissent sans compter dans un projet de chambre d’hôtes, découvrent au cours du temps des environnements qui leur sont étrangers et bousculent leur quotidien. Cet avenir nouveau et prometteur les comble de bonheur, mais leurs passés les rattrapent et les entraînent dans des aventures inattendues.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Bien plus qu’un éloge à l’amitié, à la tolérance et à la liberté, cet ouvrage de Herald Brend est la manifestation de sa quête de sens et de vérité dans un monde incertain et changeant.

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Herald Brend

La chambre d’hôtes

Roman

© Lys Bleu Éditions – Herald Brend

ISBN : 979-10-377-4479-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Avoir vingt ans n’a jamais été facile. C’est le passage d’une certaine insouciance aux réalités de la vie. Pour ceux qui s’engagent dans des études longues, l’issue est incertaine. Pour les autres, c’est le monde du travail, un inconnu à affronter. Éric vient d’obtenir son BTS d’électrotechnique et rencontre ses premières désillusions. Dans les années 80, comme en tout temps, la réponse des employeurs est la même : « manque d’expérience ».

Le travail, c’est l’indépendance, la reconnaissance, la liberté. Éric voit l’avenir comme cela. Pouvoir quitter sa famille et choisir sa vie, ne plus avoir à rendre des comptes. Il n’a pas eu à se plaindre de sa jeunesse, mais il a besoin d’espace, de nouer de nouvelles relations, de s’affirmer. En attendant des jours meilleurs, il enchaîne des CDD par l’intermédiaire de maisons d’intérim et s’accommode de cette situation transitoire qui lui laisse assez de temps et d’argent pour ses loisirs. Il est peu exigeant et partage son temps libre : lecture, musique et cinéma.

Malgré une ambiance familiale agréable, cette routine lui pèse. Chez ses parents, sa chambre a été refaite et lui procure un confort appréciable. Les trajets journaliers depuis la banlieue, pour rejoindre ses lieux de mission, changent souvent et il aspire à plus de stabilité. Une opportunité se présente au bout de trois ans, à la suite d’un remplacement effectué dans une société de fourniture et maintenance de matériel de bureau. Un nouvel avenir s’ouvre à lui avec ce CDI et lui fait espérer des jours meilleurs.

Les parcours quotidiens deviennent plus réguliers. Il croise, dans les transports, des personnes qui deviennent familières. Il retrouve avec plaisir des jeunes filles de son âge : certaines sont sérieuses, absorbées dans leurs lectures, d’autres, en petits groupes d’amies, ont une allure plus légère et aiment rire. Ces rencontres lui plaisent, mais il voudrait trouver un appartement proche de son travail.

Les mois passent, cette idée subsiste et Éric entreprend des recherches auprès d’agences immobilières. Se loger dans Paris n’est pas simple et les prix sont tels qu’il est pour l’instant inenvisageable de tenter seul l’expérience. Afin de faire avancer son projet, il en parle autour de lui, à l’occasion des pauses, sur son lieu de travail. Par chance, la société a recruté d’autres garçons de son âge et Daniel, qui travaille dans le même service, lui propose de tenter avec lui une colocation.

Il n’est pas pleinement satisfait de cette solution qui ne représente qu’une semi-liberté, puisqu’il lui faudra partager le quotidien avec un tiers. Daniel et lui s’accordent un délai de réflexion et du temps pour faire plus ample connaissance avant de s’engager dans cette aventure.

Durant les semaines suivantes, ils organisent des sorties en boîte le week-end. Daniel, d’un naturel moins timide, est plus à l’aise avec les filles. Éric ne veut pas être de reste, ce qui le dégourdit un peu. Ni l’un ni l’autre n’ont de projet d’avenir sur le plan sentimental. Passer de bons moments, profiter des douceurs féminines, c’est tout ce qui les préoccupe. Ils se découvrent également des goûts communs pour le jazz et fréquentent de temps à autre le Caveau de la Huchette au Quartier latin.

Au bout de quelques mois et après avoir constaté que rien ne s’oppose à leur dessein, ils louent un trois-pièces dans le XIXe arrondissement de Paris. L’ensemble n’est pas très grand mais suffisant : une chambre pour chacun, salon, cuisine et salle d’eau commune. Ils s’accordent sur le partage des frais et les règles élémentaires de vie. L’un et l’autre sont de naturel discret, ce qui doit faciliter la vie sentimentale de chacun.

Les parents d’Éric voient avec regret partir leur fils. Cette colocation ne les ravit pas car ils préféreraient qu’il s’installe avec une gentille jeune fille. C’est leur fils unique, seul espoir pour eux d’avoir des petits-enfants. Sur ces questions, il reste secret.

Les premiers jours sont consacrés à l’aménagement des lieux. Ils profitent d’un samedi matin pour faire les premières courses dans un magasin de bricolage et achètent une serrure de sécurité. Ils décident de se partager les tâches : l’après-midi, Daniel s’occupera de l’approvisionnement pendant que la fermeture neuve sera posée par Éric qui est meilleur bricoleur.

Cette installation n’est, en soit, pas compliquée. Avec méthode, il prépare ses outils, repère avec soin l’emplacement. En moins d’une heure, le travail est terminé. Fier de lui, il sort sur le palier, claque la porte pour s’assurer du bon fonctionnement de l’ensemble. Esthétiquement, tout est parfait, mais l’appartement est maintenant fermé, les clefs sont restées accrochées à l’intérieur et il est sur le palier !

En ce samedi après-midi, que faire ? Il attend le retour de Daniel avant de prendre une décision, ce qui lui permet de faire connaissance avec les résidents de l’immeuble qui vont et viennent entre les étages. Finalement, son coloc arrive les bras chargés de courses et le retrouve assis sur une marche de l’escalier. Il leur faut, soit trouver un serrurier, soit sonner à côté en espérant passer par les balcons pour rentrer chez eux.

Ils optent pour la deuxième solution. Par chance, leur voisin n’est pas sorti. Une fenêtre de ce logement est proche d’une des leurs et un petit ornement en saillie, juste en contrebas, laisse entrevoir une possible issue à leurs ennuis. Éric, se sentant fautif, propose de tenter l’expérience. Il enjambe prudemment le garde-corps, s’y tient de la main gauche, les deux pointes de pieds appuyées sur la corniche. En tendant le bras droit, il se saisit de la rambarde protégeant les vitres de leur appartement et peut lâcher sa prise du côté gauche. Il ne peut pas ouvrir et le voisin arrive à lui passer, après bien des essais, un marteau, afin de casser le panneau de verre. Épuisé, il atterrit, en sueur, sur le plancher. Le temps de reprendre ses esprits, il entend carillonner à la porte. Pourquoi Daniel sonne-t-il ainsi ? Il ouvre et se trouve en présence de la police alertée par un habitant de l’immeuble en face qui s’est imaginé une tentative de cambriolage !

Les présentations terminées et le malentendu dissipé, ils invitent le voisin à trinquer à leur installation et le remercient chaleureusement de son aide. L’émotion passée, il leur reste le souvenir de ces premiers instants riches en péripéties. Les mois qui suivent s’écoulent plus calmement, exceptés quelques dérapages, conséquence du zèle de la gardienne qui cire, plus que de raison, l’escalier. Daniel a manqué se briser les os lorsqu’il est arrivé les deux pieds joints en avant dans la porte de la locataire d’en dessous en descendant la poubelle. Sous le choc, la porte était à deux doigts de s’arracher de ses gonds et la vieille demoiselle qui habite les lieux en est restée très affectée.

Après ces épisodes, les deux compères se sont juré de se faire oublier et d’être les plus discrets possibles, redoutant de se voir mal jugés ! Cela ne les empêche pas de vivre leurs vies de célibataires et de faire des rencontres féminines au cours de leurs soirées. Des liaisons de courte durée se forment. Les histoires se nouent et se dénouent, sans passion. Juste des instants de partages et de plaisirs fugaces.

Les mois et les années se suivent avec une banale régularité, jusqu’au jour où un grain de sable se glisse dans les rouages de cette organisation bien huilée.

Chapitre 2

À vingt-huit ans, Éric mesure le chemin parcouru depuis son premier emploi. Sur le plan personnel, rien ne lui manque. Il voit régulièrement ses parents et a trouvé un équilibre affectif qui lui convient. Avec Daniel, les relations sont fluides et à l’unisson. Chacun est doté d’un caractère tolérant et aucun n’a l’intention de se fixer ni de construire une liaison durable.

Sur le plan professionnel, ni l’un ni l’autre n’a de prétention. Gravir l’échelle sociale leur demanderait des efforts qu’ils jugent inutiles. Ils sont sérieux dans leur travail et ont la confiance de leur patron qui apprécie cette jeunesse décontractée et apparemment sans souci.

Ce matin de septembre 1988, ils sont chargés de livrer une imprimante professionnelle multifonctions dans une agence de communication et de publicité située dans le quartier de l’Opéra. L’appareil est lourd et encombrant, de sorte que tous les deux s’équipent de chaussures de sécurité pour le transport. Ils arrivent sur les lieux de la livraison, doivent traverser une cour fraîchement goudronnée et monter quelques marches. Avec peine, ils casent l’imprimante au fond de l’ascenseur qui les mènera au deuxième étage et s’installent près de l’entrée. Il démarre et s’arrête après quelques instants. Les deux amis attendent mais l’ouverture de la porte semble bloquée. Ils s’impatientent, se mettent à taper sur la paroi du plat de la main et à appeler. Ils entendent alors un bruit venant de l’autre côté et, se retournant, se trouvent devant plusieurs personnes qui les observent depuis le palier, attendant qu’ils veuillent bien sortir : au deuxième étage, c’est la porte du fond qui s’ouvre ! Un peu penauds, ils reprennent leur charge et progressent dans le couloir dont la moquette de couleur claire vient d’être changée. Éric marche à reculons et voit qu’à chaque pas, ils laissent derrière eux l’empreinte précise de leurs chaussures. Il réalise que, sur le trajet, avec le poids de l’imprimante, ils ont copieusement encré les motifs de leurs semelles. En d’autres circonstances, il pourrait en rire ! Soudain, ils entendent, venant du fond du couloir, un véritable rugissement. Le patron, qui sort de son bureau, se rend compte que le tapis d’accès à l’accueil de son entreprise vient d’être relooké par les livreurs…

Les portes donnant sur le couloir s’ouvrent, les collaborateurs apparaissent, consternés par le spectacle. Depuis l’ascenseur, un motif régulier est reproduit, de moins en moins distinct au fur et à mesure du chemin parcouru. Les deux livreurs sont comme pétrifiés. Ils ont posé l’appareil et attendent les instructions. Reprenant ses esprits, le directeur de l’entreprise les invite à procéder à l’installation du matériel dans le local approprié. C’est donc en chaussettes qu’ils achèvent leur livraison. Ils sont ensuite dirigés vers le bureau de deux de ses collaboratrices pour remplir une déclaration de sinistre.

Les jeunes femmes les reçoivent dans un agréable bureau éclairé par une grande fenêtre donnant sur la fameuse cour… L’une et l’autre ont un air désolé et leur expliquent qu’elles ont un très bon patron, mais que l’entreprise vient tout juste de terminer les travaux d’embellissement de la société pour améliorer l’accueil des clients. Éric ne bouge pas et reste muet. Daniel l’observe, stupéfait. Ne comprenant pas ce qui se passe, il lui touche le bras et le fait sursauter. Les formalités achevées, il reste étrangement absent, le regard perdu. Ils partent et, en passant, Éric mémorise les prénoms des deux jeunes femmes, affichés sur la porte.

Sur le chemin du retour, il ne parle toujours pas. Daniel est inquiet :

— Tu te sens bien ?
— Oui, pourquoi ?
— Tu es absent. Que t’arrive-t-il ?
— Tu n’as pas compris ? Chantal !
— Comment sais-tu laquelle est Chantal ? Tu la connais ?
— Non, mais je suis chamboulé. C’est elle !
— Je ne comprends pas. Je ne t’ai jamais vu comme ça !
— Je ne peux pas t’expliquer…

Au cours du dîner, Éric semble avoir retrouvé son équilibre :

— Demain, je l’appelle !
— Tu y penses encore ? Tu n’as pas son numéro.
— Nous avons celui de l’entreprise.
— Que vas-tu faire ?
— L’inviter à prendre un verre avec Corinne.
— Tu as aussi mémorisé le prénom de sa collègue ?
— Si tu ne veux pas, j’irai seul.
— Pas question, je viens aussi !

Le lendemain, il cherche le numéro et appelle :

— Bonjour, pourrais-je parler à Chantal ?
— Je vous la passe.
— Allo, Chantal, je suis venu hier.
— Oui, c’était à quel sujet ?
— La livraison de la photocopieuse.
— Ah ! Oui, je vois, c’est vous qui avez massacré la moquette !

Éric reste interdit et ne reconnaît pas la voix. Chantal reprend :

— Je suis la secrétaire de direction et mon patron ne vous porte pas dans son cœur ! Qu’est-ce que vous voulez encore ?
— Euh, c’est-à-dire, je me suis sans doute trompé de numéro…

Il raccroche. Il y a manifestement plusieurs Chantal ! Toute la matinée, il rumine son échec et cherche comment se rattraper. Il est hors de question de rappeler car il risque de se retrouver en ligne avec la secrétaire du directeur. Au cours du déjeuner, il prévient Daniel qu’il tentera d’attendre Chantal à la sortie des bureaux le soir même. Celui-ci, pas très enthousiaste, le laisse gérer cette situation nouvelle et ils se séparent à la sortie du travail.

Éric, peu sûr de lui, achète un journal et se place à l’angle de la rue, dans l’attitude d’un homme qui patiente en attendant un rendez-vous. La lecture ne l’absorbe pas et il serait bien incapable de commenter le contenu d’un article ! À la dérobée, il surveille la sortie de l’agence de communication. Petit à petit, les bureaux se vident et il voit passer Corinne, mais pas trace de Chantal ! La soirée s’avance et il rentre, déçu, pour retrouver Daniel qui a préparé le repas en l’attendant :

— Alors, tu l’as vue ?
— C’est raté. J’ai aperçu Corinne.
— Tu lui as demandé ?
— Je n’ai voulu rien brusquer…

Alors que les deux amis sont d’ordinaire gais, la soirée est morose, Éric semble ronger son frein :

— Demain, je vais y retourner.
— Tu ne préfères pas appeler ?
— Pour tomber sur le patron ?
— Si tu veux, je demande Corinne.
— C’est une bonne idée. J’espère qu’il n’y en a pas deux !

Éric est apaisé pour s’endormir. L’idée de Daniel est excellente.

Au cours du petit déjeuner, les deux compères mettent au point leur plan. Ils pourraient commencer par proposer aux deux jeunes femmes de prendre un verre un soir de leur choix. Si la rencontre se passe bien, pourquoi ne pas envisager de déjeuner ensemble un samedi ?

Dans le courant de la matinée, Daniel appelle l’agence et on lui passe le poste de Corinne :

— Bonjour, c’est Daniel, le livreur d’imprimante !
— C’est vous, l’artiste en moquette !
— Oui, oui, c’est bien ça !

Le ton est donné. Les deux amis sont soulagés de la tournure de la conversation. Corinne poursuit :

— Vous n’avez pas fini le travail ?
— On voudrait se faire pardonner !
— Comment pourriez-vous y arriver ?
— En vous invitant à prendre un verre un soir avec votre collègue Chantal.
— Pourquoi pas !
— Quel soir seriez-vous libres ?
— Je demande à Chantal.

Après un moment de silence :

— Vendredi soir, ça vous irait ?
— Parfait. On se donne rendez-vous où ?
— À la sortie de notre agence, vers dix-sept heures trente.
— D’accord. Nous, c’est Éric et Daniel. À vendredi.

L’avenir sourit à nouveau et Éric retrouve sa bonne humeur. Encore deux jours avant les retrouvailles et Daniel compte bien mettre à profit ce temps pour comprendre ce qui arrive à son coloc.

Au cours du dîner, Daniel sonde les intentions d’Éric :

— Que comptes-tu faire vendredi ?
— Pourquoi ?
— Je ne t’ai jamais vu comme ça !
— Je suis troublé. Depuis lundi, j’ai l’impression d’avoir toujours connu Chantal !
— C’est tout !
— Non, je ne vais pas bien. J’ai du mal à dormir, je fais des rêves bizarres. Je ne suis pas dans mon assiette, je me sens fiévreux.
— Attendons vendredi.

Éric trouve le temps long avec ce mal-être qui le poursuit. Le vendredi après-midi, il est nerveux, différent des autres fois. Avec Daniel, ils ont déjà eu des rendez-vous galants de ce genre, des rencontres pour quelques jours ou sans lendemain. Rien de sérieux, rien de grave. Pas d’attache, pas de projet d’avenir, la liberté.

Ils attendent avec impatience non loin de l’agence. À l’heure convenue, Chantal et Corinne sortent et les rejoignent. Ils se dirigent vers un café de bon standing de l’avenue de l’Opéra et s’y installent. Ils font face à ces deux jolies jeunes femmes et Éric entame la conversation :

— Moi, c’est Éric. Qui est Chantal ?
— C’est moi !

C’est la belle brune aux yeux bleus qui répond. Éric n’est pas surpris. Il ressent une sorte de vertige qui le bloque. Ses yeux n’arrivent pas à se détacher de ceux de Chantal qui ne baisse pas les siens. Elle aussi semble absente. Daniel, qui se rend compte que quelque chose se passe, reprend la conversation pour sortir de ce silence gênant :

— Par déduction, tu es Corinne !
— Et toi Daniel !

Corinne est également très agréable avec ses cheveux châtains et ses yeux couleur noisette. Le garçon vient prendre commande des consommations. Petit à petit, les échanges se font d’une manière plus naturelle. Chantal et Corinne sont parisiennes de naissance et ont intégré l’agence de communication en même temps, ce qui les a beaucoup rapprochées. Ces jeunes femmes ne semblent pas tentées par une aventure passagère, ce qui se ressent à leur attitude. L’heure avance et tous conviennent de se revoir pour un déjeuner dans une brasserie. Ils choisissent le samedi de la semaine suivante, ce qui leur laisse le temps de se recontacter pour définir le lieu et l’heure. Daniel prévient qu’il ne sera pas libre avant midi en raison d’un rendez-vous qui ne peut être déplacé.

Ils se quittent sur cette perspective. Éric serait bien resté plus longtemps avec Chantal qui ne semble pas insensible. Le retour dans leur appartement est l’occasion de faire le point sur ces évènements qui bouleversent leurs habitudes bien réglées de célibataires. Daniel est perplexe :

— Où tout cela va-t-il nous mener ?
— Tu es inquiet ?
— Ce que nous venons de faire n’est pas dans nos habitudes !
— Il est vrai que d’ordinaire nous faisons nos rencontres en boîte.
— Tu te souviens de notre pacte : pas de lien, la liberté !
— Je ne peux pas t’expliquer, cette fois c’est différent.
— Tu ne vas pas flancher ?
— Il y a des ondes qui passent avec Chantal.
— Des ondes ? Et puis quoi encore ?
— Ne plaisante pas. J’ai été touché.
— Où ça ?
— Tu es bête ! Que penses-tu de Corinne ?
— C’est une belle fille mais je ne suis pas disposé à tomber dans ses filets !
— Elles ont l’air sérieuses et savent ce qu’elles veulent, ça se sent !
— Dis donc, toi, je vais être obligé de te soigner !
— C’est vrai, je me sens un peu malade.
— Dînons et nous reparlerons de tout cela demain.

Le dîner se passe et Éric reprend :

— Pourquoi as-tu dit que tu n’étais pas libre avant midi samedi en huit ?
— Tu sais bien que j’ai rendez-vous chez le dentiste à onze heures. Il part ensuite en vacances, il sera juste temps !
— Ah oui ! J’avais oublié.
— Tu es bien perturbé, ça se voit. Ne t’inquiète pas, tu reverras bientôt Chantal !
— Tu es moqueur.

Ce week-end, Éric n’a pas le goût de sortir danser et préfère rester à lire. Son ami n’arrive pas à lui changer les idées et, à la dernière minute, propose d’aller au cinéma. Le film l’ennuie, il trouve que les acteurs ne sont pas bons et que le scénario n’a rien d’original. Une parfaite attitude de râleur ! Daniel se dit que cela promet…

La semaine de travail est accueillie par Éric comme un bienfait. S’occuper l’esprit évite de se poser des questions. Le lundi après-midi, n’y tenant plus, il appelle Chantal à son travail :

— Comment vas-tu ? Tu as passé un bon week-end ?
— Si on veut. Je me suis ennuyée.
— Moi aussi. Si tu veux, on peut prendre un verre tous les deux un soir en attendant samedi ?
— C’est une bonne idée. Je t’appelle demain.
— Entendu.
— Oui, à demain.

Le ton de Chantal lui plaît. Elle semble également attendre ce prochain rendez-vous. Le soir, il en parle à Daniel qui grogne un peu. Il lui reproche de rentrer tard en le laissant seul alors qu’ils ont plaisir à sortir ou parler ensemble. Et ce besoin de téléphoner dès aujourd’hui ! Quelle idée ! Éric est un peu chagrin de cette réaction de vieux couple !

Au réveil, il n’est pas serein. Il n’a pas bien dormi, l’esprit encombré de mille pensées. Il se sent fébrile, attendant l’appel. À midi, toujours rien ! Comment interpréter cette attente ? Vers quinze heures, le téléphone sonne enfin :

— Éric, j’ai été retenue par le travail ce matin, un client exigeant. Si on se retrouvait demain soir à dix-huit heures, à ma sortie du bureau ?
— Très bien. Bonne journée.
— À demain.

Éric se sent léger, heureux comme il ne l’a jamais été. Comment expliquer ce sentiment soudain ? Il se doute bien que sa vie peut changer, qu’il risque de devenir moins libre. Il est déjà attaché et sent en lui toutes ces contradictions.

Le soir, Daniel aborde le sujet sérieusement :

— Quelles sont tes intentions ?
— À propos ?
— Ne fais pas l’idiot. Tu es comme un papillon attiré par la lumière. Tu ne raisonnes plus rationnellement.
— Où notre vie va-t-elle nous mener ?
— Depuis cinq ans, nous avons vécu agréablement, enchaînant les conquêtes. Nous n’avons lésé personne. Nos partenaires ne recherchaient rien d’autre qu’une vie simple et facile. Nous avons fait et défait au gré des rencontres. Que cherches-tu ?
— Peut-être du sens à ma vie.
— Quel sens ?
— Ne pas être comme un fétu de paille emporté par le souffle du temps.
— Tu deviens profond…

La conversation tombe et Daniel comprend bien qu’il ne tirera rien de plus.

Dès le mercredi matin, Éric a un plan. Il achètera des fleurs pour Chantal et espère passer un maximum de temps auprès d’elle. Les heures passent trop lentement et il n’est pas vraiment attentif à son travail. À l’heure convenue, il l’attend, cachant un joli bouquet derrière son dos. Elle arrive, fine, svelte, ses cheveux souples, ondulants. Éric est fasciné par son regard d’un bleu profond.

Il lui donne les fleurs et, pour le remercier, elle dépose un baiser sur sa joue. Éric sent fondre toute volonté de résister. Comme deux amis, ils marchent à la recherche d’un café pour accueillir leur intimité naissante. Chantal est réservée mais pas distante. Éric découvre qu’elle aime plaisanter, rire. Quand le sujet le nécessite, elle sait aussi être sérieuse. Au cours de la soirée, il la découvre de plus en plus et se rend compte que sa présence est si douce qu’il n’envisage pas de la quitter pour rentrer. Ils commandent une assiette de charcuterie car l’heure avance et il est trop tard pour dîner. Au cours de cette collation, leurs mains se frôlent, Chantal rougit, Éric balbutie…

Il est tard et Chantal accepte d’être raccompagnée à cette heure avancée du soir. Ils prennent un taxi. En se quittant, ils s’embrassent respectueusement mais chacun sent monter la fougue de cette attirance mutuelle. Ils se promettent de se revoir vendredi soir. Éric est sur un nuage et pénètre sans bruit dans l’appartement. Daniel l’attend assis, rigide sur le canapé. Il est comme la justice constatant une infraction :

— Tu as vu l’heure ?
— Tu n’es pas ma mère !
— Tu ne m’as pas prévenu.
— Il le fallait ? Et notre pacte d’indépendance et de liberté ?
— Dans la concertation !
— Je suis désolé si je te fais de la peine. Je crois que je suis amoureux.
— Il ne manquait plus que ça !
— Notre amitié ne changera pas.
— Et nos sorties ?
— Elle viendra avec nous.
— Je n’y crois pas beaucoup. Je ne donne pas longtemps avant que tu deviennes un pépère pantoufles.
— C’est possible. Je n’ai pas peur. Je ne veux pas la laisser passer !
— C’est ton affaire, mais plus rien ne sera comme avant.

Le vendredi soir, les amoureux découvrent un peu plus leurs goûts. Ils ont de nombreux points communs. Éric n’ose pas proposer à Chantal de sortir en boîte, ignorant si ce lieu lui plairait. D’un autre côté, il risquerait de retrouver une ancienne conquête abandonnée, le hasard est parfois si malin ! On ne sait jamais ! La soirée se passe délicieusement, leurs échanges sont doux avec des promesses d’avenir. Comme le mercredi, il passe déposer Chantal et leurs baisers sont réservés mais un peu plus enflammés. Demain, ils déjeuneront tous les quatre et c’est une perspective pleine de promesses.

Le samedi matin, vers onze heures, Daniel part à son rendez-vous. Éric rêvasse en se préparant avant de rejoindre les deux jeunes femmes. Il est convenu qu’ils se retrouveront à la brasserie à douze heures quinze. Daniel les rejoindra dès que possible. Éric est le premier et attend Chantal et Corinne à l’extérieur de l’établissement. Dès leur arrivée, ils s’installent à une table réservée aux clients qui souhaitent faire un repas au calme. En l’attendant, ils commandent des cocktails et parlent de généralités. Éric, qui s’est assis à côté de Chantal, ne la perd pas des yeux. De son côté, elle lui adresse des sourires d’une infinie douceur. Le temps passe et le quatrième convive n’est toujours pas là. Éric propose de passer commande en annonçant que cela le fera sans doute venir. Corinne est un peu nerveuse, sans doute parce qu’elle s’imagine que Daniel ne l’apprécie pas et s’est trouvé une excuse pour ne pas être là. Tout compte fait, elle se sent de trop à côté du duo d’amoureux qui ne cachent plus leurs gestes tendres.

Le repas se termine et il n’est toujours pas arrivé. Éric est furieux d’avoir été placé dans cette situation inconfortable et demande à la brasserie la possibilité de téléphoner. Personne ne répond et il commence à s’inquiéter car jamais Daniel n’a été discourtois. Il s’en excuse auprès des deux jeunes femmes, leur promettant une explication. Corinne, un peu pincée, déclare qu’elle rentre chez elle, les laissant en tête-à-tête.

Les deux amoureux errent dans les rues de Paris, abasourdis par ce qui leur arrive. Éric ne veut rien brusquer car cette situation est nouvelle pour lui. Il est de plus en plus convaincu qu’il vit une histoire d’amour exceptionnelle et donc prêt à faire tous les sacrifices pour protéger ce bonheur naissant. En raison du copieux repas de midi, ils prennent le soir un apéritif accompagné de tapas dans un restaurant espagnol. Éric passe sous silence sa vie libre de célibataire en compagnie de son colocataire. Cela lui évite de parler de leurs sorties et de leurs nombreuses conquêtes. Un pan de son existence qui ne plairait certainement pas à Chantal. Ils se quittent et se promettent de se retrouver le dimanche après-midi pour une promenade au Jardin du Luxembourg.

De retour au domicile, Éric trouve Daniel la mine défaite :

— Que t’est-il arrivé ?
— De la folie !
— Tu n’as pas l’air bien ?
— Le dentiste !
— Tu as mal ?
— Non, ce n’est pas croyable !
— Explique-toi !

Daniel se lance dans une grande description de ses malheurs :

— J’arrive au cabinet dentaire vers onze heures et je patiente.

Un quart d’heure plus tard, l’assistante m’installe sur le deuxième fauteuil, tu te rappelles, il y en a un dans chaque pièce. Elle me met en position allongée et j’attends que le dentiste vienne après en avoir terminé avec le client précédent.

— Jusque-là tout est normal.
— Oui, mais vendredi soir, nous avons parlé de ton avenir et ça m’a perturbé. J’ai mal dormi.
— Quel rapport ?
— Comme il ne vient pas, je m’endors. Lorsque j’ouvre les yeux, il n’y a pas de bruit dans le cabinet. Dans ma position, j’ai bien du mal à m’extirper du fauteuil. Je vais à la porte et l’ouvre. Le couloir est noir. Je vais dans la salle d’attente, le secrétariat, je pénètre dans la pièce où se trouve l’autre fauteuil. Personne !
— Incroyable !
— Je me dirige vers la porte d’entrée qui est fermée et blindée ! Impossible de partir !
— Qu’as-tu fait ?
— Depuis le secrétariat, j’ai appelé les pompiers qui m’ont fait sortir par une fenêtre ! Le dentiste est parti en vacances en m’oubliant, moi son dernier client !
— Tu vas devoir en trouver un autre !
— Je ne suis pas prêt d’oublier cet épisode !

Daniel est manifestement sonné par ces évènements. Éric lui explique que Corinne a mal pris son absence. Il promet qu’il l’appellera dès lundi pour essayer de lui expliquer cette incroyable histoire et l’inviter à déjeuner pour se faire pardonner.

Éric et Chantal passent un après-midi romantique au Jardin du Luxembourg. Ils évitent pour l’instant de trop parler d’avenir, mais ressentent que rien ne sera plus comme avant. En rentrant le soir, il décide de sonder les réactions de Daniel :

— Tu as passé un bon après-midi ?
— Un peu morne. Depuis cinq ans, nous étions habitués à partager nos sorties.
— C’est vrai, mais nous avons toujours conservé nos libertés quand il le fallait.
— Cette fois-ci, je comprends que c’est différent.
— C’est si visible ?
— Tu es devenu un autre homme. C’est ça l’amour ?
— Je pense. Comment vois-tu l’avenir ?
— C’est à toi de le dire !
— J’ai tellement envie de vivre auprès de Chantal. Nous n’en avons pas encore parlé, mais c’est évident !
— Tu vas donc me laisser seul. Dis-moi vite si je dois chercher un autre colocataire ?

Ils passent toute la soirée à parler de Chantal et Corinne. Éric fait promettre à Daniel de se conduire avec respect. Ce sont deux amies, proches et sérieuses. Ni l’une ni l’autre ne cherche l’aventure.

Chapitre 3

Depuis leur première rencontre, ils ne peuvent plus se passer l’un de l’autre. L’appartement de Chantal s’avère trop petit pour vivre en couple. Ils en trouvent un qui correspond à leurs attentes dans le XVIIIe arrondissement, proche du métro Jules Joffrin. C’est un trois-pièces dans un solide immeuble en briques de style Haussmannien. Les chambres ont vue sur la rue, le séjour et la cuisine donnent sur la cour.

Daniel en est réduit à chercher un colocataire. Leur amitié reste intacte, il a compris que rien ne résiste à l’amour. Il y a moins de perturbations pour Corinne puisque les deux collègues ont chacune leur appartement. Il s’est montré galant et réservé à souhait, respectant les consignes d’Éric. La paix a été faite avec Corinne qui s’est amusée de ses péripéties chez son dentiste !

Les quartiers de Paris sont des villages. Le XVIIIe arrondissement a l’avantage d’être proche de la Butte Montmartre et il est facile de se rendre Place du Tertre en empruntant la rue du Mont Cenis. Chantal et Éric ne se privent pas de ce plaisir, goûtant aux charmes du Paris historique. Le marché de la rue du Poteau est également d’une grande commodité. C’est toujours un plaisir de parcourir ces rues populaires.