La création du Parquet européen - Constance Chevallier-Govers - E-Book

La création du Parquet européen E-Book

Constance Chevallier-Govers

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Beschreibung

Le Parquet européen devrait être opérationnel d’ici le 1er mars 2021. Chargé des investigations et des poursuites pénales en ce qui concerne les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, il est le premier organe de l’Union européenne à être équipé de pouvoirs contraignants vis-à-vis des autorités nationales en matière pénale. C’est un des éléments qui permet de le distinguer des deux principales agences européennes en matière pénale que sont Eurojust et Europol. Il incarne en quelque sorte le passage d’une coopération judiciaire horizontale à une coopération verticale, marquée par une certaine supranationalité.

Par delà l’instauration d’une figure symbolique forte annonçant l’avènement d’un pouvoir judiciaire européen, c’est toute une organisation, un arsenal juridique, des pratiques qui seront mises à l’épreuve. Ceci, dans le contexte paradoxal d’une remise en cause chronique des institutions européennes par les opinions publiques et du besoin imminent d’une lutte « à l’échelle européenne » contre la criminalité économique et financière.

Cet ouvrage pose la question de savoir si le Parquet européen constitue une véritable révolution, ouvrant la voie à une certaine fédéralisation de la justice pénale, ou une évolution plus modeste. Pour y répondre, il étudie avant tout la genèse de ce Parquet européen, de même que les longues et difficiles négociations qui lui ont donné corps. Il met en exergue l’originalité du résultat nal de celles-ci, notamment le fait qu’il est fondé sur la coopération renforcée de 22 États membres de l’Union européenne. Il se penche ensuite sur sa mise en œuvre, et ce à travers divers aspects, allant de la nomination du chef du Parquet européen aux relations avec les États tiers, en passant par les relations avec les autorités nationales et les agences ou autres organes de l’Union européenne. Le Parquet européen aura en effet d’importants pouvoirs mais devra agir en coopération étroite avec l’OLAF (l’Office européen de lutte antifraude), Eurojust (l’Agence européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale) et Europol (l’Office européen de police). Cet ouvrage revient également sur certains grands enjeux que cette révolution/évolution au sein de l’espace judiciaire européen engendre au regard des droits fondamentaux. En effet, l’originalité du Parquet européen implique entre autres des modes de contrôle adaptés. Enfin, ce nouvel organe ne manquera certes pas d’évoluer, entre autres au plan des infractions relevant de sa compétence. C’est par ces perspectives d’avenir que l’ouvrage se clôt.

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COLLECTION DE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE

SÉRIE MONOGRAPHIES

Directeur de la collection : Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet, directeur du Centre de droit européen et du master « Droit et contentieux de l’Union européenne »

La collection Droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.

Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels, traités et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Parus précédemment dans la série « Monographies » de la collection de droit de l’union européenne :

1. L’Espagne, les autonomies et l’Europe. Essai sur l’invention de nouveaux modes d’organisations territoriales et de gouvernance, sous la direction de Christine Delfour, 2009.

2. Émile Noël, premier secrétaire général de la Commission européenne, Gérard Bossuat, 2011.

3. Le renvoi préjudiciel. Droit, liberté ou obligation de coopération des juridictions nationales avec la CJUE, 2e édition, Jacques Pertek, 2021.

4. Religion et ordre juridique de l’Union européenne, Ronan McCrea, 2013.

5. L’action normative de l’Union européenne, Laetitia Guillard-Colliat, 2014.

6. L’obligation de renvoi préjudiciel à la Cour de justice : une obligation sanctionnée ?, sous la direction de Laurent Coutron, 2014.

7. Le nouveau règlement Bruxelles I bis. Règlement no 2015/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, sous la direction d’Emmanuel Guinchard, 2014.

8. Droit européen de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, 2e édition, Francis Haumont, 2014.

9. La simplification du droit des sociétés privées dans les États membres de l’Union européenne / Simplification of Private Company Law among the EU Member States, Yves De Cordt et Édouard-Jean Navez (eds.), 2015.

10. Les rapports entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, Delphine Dero-Bugny, 2018.

11. Le rôle politique de la Cour de justice de l’Union européenne, sous la direction de Laure Clément-Wilz, 2019.

12. Les méthodes d’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne, Koen Lenaerts, José A. Gutierrez-Fons, 2020.

Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larcier.com.

© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2021Éditions BruylantRue Haute, 139/6 – 1000 Bruxelles

EAN : 978-2-8027-6969-9

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour ELS Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Avertissement

L’ouvrage La création du Parquet européen : simple évolution ou révolution au sein de l’espace judiciaire européen ? fait suite au colloque des 21 et 22 novembre 2019 qui s’est tenu à la faculté de droit de l’université Grenoble-Alpes sous la coordination de Constance Chevallier-Govers et d’Anne Weyembergh.

Cet ouvrage prend place dans le cadre du projet intitulé « Chaire en études interdisciplinaires et professionnelles sur l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice de l’Union européenne » financé par le programme Erasmus+ (projet no 586705-EPP-1-2017-1-FR-EPPJMO-CHAIR).

Constance Chevallier-Govers et Anne Weyembergh souhaitent exprimer leur plus vive reconnaissance au programme Erasmus+, sans lequel ce livre n’aurait pu voir le jour. Elles remercient également le Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE) de l’université Grenoble-Alpes de même que le Centre de droit européen et l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Elles remercient en particulier Mme Judith Shanahan pour son assistance dans l’organisation du colloque de novembre 2019.

Préface

Intervention d’Éric Vaillant, procureur de la République de Grenoble en ouverture du colloque sur le Parquet européen à l’université de Grenoble

Madame la vice-doyenne, Mesdames, Messieurs,

Merci aux universités de Grenoble et Bruxelles d’avoir pris l’initiative de ce colloque sur le tout nouveau Parquet européen issu d’un règlement européen du 12 octobre 2017.

Nous assistons en fait à sa naissance et les interrogations sont encore nombreuses aussi bien sur son fonctionnement que sur les changements que cette création judiciaire va générer.

Ceux qui auront la chance d’assister à ce colloque sur toute sa durée seront parmi les premiers à avoir des idées claires sur le sujet.

Magistrat du ministère public, je ne peux que me réjouir de la création de ce Parquet.

Vu par le petit bout de la lorgnette, je trouve que mes plus jeunes collègues multilingues voient ainsi s’ouvrir de nouvelles et passionnantes opportunités de carrière.

En reprenant la longue-vue du bon côté, je suis convaincu que le nouveau Parquet européen va faire « bouger les choses », en douceur (évolution) ou plus brusquement (révolution), l’avenir et la fin de ce colloque nous permettront de le savoir.

Deux changements potentiels m’intéressent particulièrement :

1. celui du champ d’action du Parquet européen ;

2. les conséquences de la création du Parquet européen pour le statut des procureurs français.

Chargé pour l’instant de la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union, c’est-à-dire des fraudes à la TVA intracommunautaire et aux subventions, le Parquet européen, s’il fait la preuve de son efficacité, se verra sûrement confier à l’avenir d’autres missions et je pense particulièrement à la criminalité organisée. Des organisations criminelles de plus en plus puissantes se jouent des frontières et ces organisations très efficaces qui génèrent des profits considérables perturbent gravement nos économies.

L’autre changement potentiel intéressant, c’est celui des conséquences de l’exemple du Parquet européen sur le parquet français. Le modèle européen servira-t-il d’exemple pour aboutir à la suppression des juges d’instruction et au renforcement de l’indépendance des procureurs ?

Beaucoup d’autres questions seront abordées lors de ces deux jours, je vous souhaite des conférences passionnantes et des échanges riches.

Bon colloque à tous.

Introduction

parOlivier Salles1

L’objectif de cette contribution est de brosser un portrait assez large du Parquet européen, sachant que dans les pages qui suivent les auteurs entreront beaucoup plus dans le détail. L’intention est donc de dresser un panorama général. Pourquoi la création du Parquet européen ? Quels vont être les défis principaux auxquels il sera confronté ?

Le contexte historique tout d’abord. Quelles sont les raisons qui ont poussé à la création du Parquet européen dont on parle depuis plus de vingt ans. Des professeurs de droit et des juristes avançaient cette idée depuis très longtemps. Beaucoup considéraient qu’il y avait des faiblesses structurelles dans le domaine de la coopération judiciaire, qui ont fait que le budget européen était mal défendu, mal protégé.

Le budget européen est énorme. C’est cent cinquante milliards (d’euros) par an et cela concerne la vie de tous les citoyens. C’est le programme Erasmus, des programmes de recherche avec des sommes colossales. Ce sont les fonds structurels aussi : la moitié des ronds-points construits en Bretagne, toutes les autoroutes dans le sud de l’Europe proviennent largement des fonds communautaires.

La crise financière qui a débuté en 2008 a changé la donne, dans la mesure où, désormais, on fait davantage attention aux dépenses publiques. La création du parquet s’inscrit dans ce contexte, pour veiller à ce que les fonds communautaires soient correctement dépensés, sans déperdition. Il est devenu encore plus essentiel de donner cette garantie aux citoyens.

Cela ne veut pas dire qu’avant, rien n’avait été fait. L’OLAF (Office européen de lutte antifraude) veillait déjà à éviter des cas de malversations et de fraudes dans la gestion des fonds communautaires. Mais il s’agit d’un organe avec des pouvoirs administratifs. L’OLAF mène des enquêtes sur les malversations ou fraudes mais s’arrête à la limite du droit administratif. Il n’a pas de compétence pénale ou criminelle. Il y avait donc là une vraie lacune.

Il y a quelques années, d’autres agences européennes ont été créées qui permettent soit au monde judiciaire, soit au monde policier de coopérer. Eurojust met ensemble les communautés judiciaires et Europol permet l’échange d’informations et la coopération dans le domaine de la police. D’autres contributions y reviendront mais ce sont des agences qui sont de nature intergouvernementale, qui n’ont pas de vrais pouvoirs pénaux et qui ne peuvent traduire les criminels directement devant la justice.

C’est largement pour cela que l’idée du Parquet européen a germé et que les autorités politiques sont parvenues à un accord sur sa création. Mais ça n’a pas été une partie de plaisir. D’où l’importance du contexte historique.

Beaucoup de gens considèrent que c’est un changement colossal et j’en fais bien évidemment partie, pour deux raisons institutionnelles. D’abord, c’est une coopération renforcée. Certains États membres, pour des raisons historiques, politiques ou juridiques, ont décidé de ne pas participer à la mise en place du parquet. Or, c’est quand même quelque chose d’assez exceptionnel dans la construction européenne. Il n’y a pas tant de coopérations renforcées que ça. Il y a bien sûr l’euro, qui est une coopération renforcée, et quelques autres, mais elles restent rares. Et puis l’autre élément particulier, qui n’arrive pas tous les jours dans la construction européenne, c’est le transfert de compétence du niveau national au niveau européen. Le dernier large transfert comparable est lié à la crise financière, quand on a créé des agences de supervision financière qui vérifiaient que les banques, les investisseurs et les assurances ne faisaient pas n’importe quoi. On a donc fait passer au niveau européen un certain nombre de pouvoirs qui, jusqu’à présent, étaient exercés au niveau national.

Le fait que l’on crée un vrai Parquet européen, qui a le pouvoir de diligenter, de coordonner des enquêtes et de traduire des suspects – voire des coupables – devant la justice, est un pas énorme. C’est de nature à transformer dans les années qui viennent la manière dont la coopération judiciaire est réalisée et, en partie aussi, l’exécution du budget communautaire.

Je rappellerai trois caractéristiques de base du Parquet européen.

1) Il exercera ses pouvoirs à deux niveaux. Il y aura le niveau central, ce qu’on appelle le Bureau central qui sera basé au Luxembourg, où il y aura entre cent vint et cent cinquante personnes. Et puis, il y aura un niveau local, ce qu’on appelle aussi les procureurs délégués qui seront opérationnels et installés dans les États membres. Ce sont eux qui mèneront les enquêtes concrètes et prendront les actions nécessaires. Ils recevront du soutien, de la guidance et des instructions du niveau central mais l’essentiel du travail concret sera fait par les procureurs délégués qui seront toujours basés dans leur pays. Alors bien sûr, ils devront être totalement indépendants et autonomes. Dès lors on leur a créé un statut original, un peu hybride, dans ce règlement. Ils seront toujours attachés à leur corps d’origine. Toutefois, c’est indiqué dans le règlement, ils devront être totalement indépendants et, pour ce faire, ils recevront leur salaire du Parquet européen. Même s’ils resteront attachés à la Chancellerie en un sens, ils seront payés par le Parquet européen.

2) L’autre caractéristique qui fait que cette construction est très atypique, c’est que ces procureurs délégués auront pratiquement les mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux. Il y a une liste spécifique de pouvoirs qui est indiquée dans le règlement qui fait que – sous réserve d’adaptations que certains États membres doivent encore faire – les procureurs délégués auront les mêmes pouvoirs que les procureurs nationaux pour pouvoir diligenter les enquêtes et les compléter.

3) Enfin, la dernière caractéristique majeure – et c’est l’une des raisons principales pour lesquelles on a créé le Parquet européen – est la capacité de renforcer la coopération transnationale. Cela paraît une évidence pour un organe communautaire mais c’était quelque chose qui marchait relativement mal. Bien évidemment, il y avait des enquêtes au niveau national sur les fraudes et la corruption dans les fonds structurels. Mais il s’agissait de règles et de procédures compliquées, il y a des éléments de multilinguisme difficiles à gérer et, pour être un petit peu direct, certains services de procureurs nationaux ne donnaient pas une priorité énorme à ces cas de malversations dans les fonds structurels. Il fallait prendre contact avec les Allemands, les Maltais, les Slovènes, mais on ne parlait pas forcément la même langue. Cela ne fonctionnait donc pas très bien. Alors, Europol et Eurojust permettaient quand même de coordonner et d’échanger des informations mais ce n’étaient pas des procureurs. Donc en ce sens, le fait qu’il y aura une centaine de personnes – dont un procureur européen représentant chaque État membre participant – va permettre de faciliter la coopération transfrontalière et la gestion des cas de fraude transfrontaliers. Il y a beaucoup de ces criminels qui sont très bien organisés ; c’est particulièrement vrai dans les cas de fraudes à la TVA ou des détournements de fonds structurels. Ce sont en effet des organismes très solides, qui se dissimulent dans différents pays derrière des sociétés-écrans. Il est donc très précieux de pouvoir travailler en commun, de pouvoir échanger des informations sur tous ces dossiers, d’avoir des bases de données qui peuvent s’interroger automatiquement et permettre de reconnaître des suspects ou des sociétés-écrans. Toutes ces données seront centralisées au Parquet européen situé à Luxembourg. Une fois que le système informatique qu’on doit mettre en place sera efficace, on pourra faire des recherches automatiques et comparer toutes les données de toutes les enquêtes qui sont menées dans les différents États membres. Il y aura donc vraiment une valeur ajoutée typiquement européenne qu’est la dimension transfrontalière (cross-border) pour la coopération, l’échange entre les différents services nationaux.

Quelques mots maintenant sur la mise en place effective du Parquet européen qui relevait de ma responsabilité. Cette responsabilité est provisoire : le règlement prévoit en effet que c’est la Commission européenne qui doit faciliter et coordonner la mise en place du parquet jusqu’à ce qu’il devienne totalement autonome et indépendant. J’ai été nommé par le Collège en novembre 2018 pour une mission d’un an et demi à deux ans à peu près. Ensuite, le parquet aura un directeur administratif définitif. En exagérant à peine, quand j’ai pris ma fonction il y a un an, on avait pratiquement une feuille blanche devant nous. C’est-à-dire qu’on devait à peu près tout créer : des aspects politiques et juridiques, des règles de procédure interne, des modalités opérationnelles, mais il y a aussi des aspects beaucoup plus concrets et techniques, comme trouver un bâtiment, le sécuriser, commander des bureaux, des tables, des PC, des téléphones, etc.

Ma mission consistait donc à coordonner tout ça, mais également à – c’est la chose bien évidemment la plus importante – recruter le personnel du Parquet européen. La nomination du procureur en chef a finalement fait l’objet d’un accord entre le Parlement européen et le conseil le 23 octobre 2019. Mme Kövesi a donc pris ses fonctions le 1er novembre 2019 à Luxembourg.

Nous sommes toujours en train de coordonner le recrutement des procureurs européens eux-mêmes. Il y aura un procureur pour chaque État membre participant, donc vingt-deux en tout. Le processus a pris un petit peu de retard, on espérait qu’on aurait fini plus ou moins après l’été, en septembre-octobre. Pour sélectionner les procureurs européens, le Parlement et le conseil ont désigné un comité de sélection à très haut niveau, avec douze représentants prestigieux (des juges, des procureurs) qui doivent interviewer les candidats proposés par les États membres. Certains États membres étaient en retard pour proposer leurs candidats. Les derniers entretiens devraient se tenir début décembre et si tout avance bien, on espère que le conseil pourra nommer les vingt-deux procureurs européens en bloc juste après Noël.

En parallèle, le recrutement du personnel « normal » du Parquet européen a commencé. Nous avons déjà recruté une partie du personnel pour les fonctions opérationnelles, administratives, sécuritaires, informatiques. Budget aussi parce qu’il faut un peu de ça pour faire tourner une nouvelle instance, mais on a aussi commencé à recruter des juristes et bientôt des enquêteurs. Il y aura donc encore d’autres phases de recrutement en 2020 et au-delà, en 2021.

Pour conclure, qu’est-ce qui nous attend ? Quels vont être les défis à mon sens les plus importants dans la mise en place du Parquet européen dans les deux à trois années qui viennent ?

Il y a des éléments matériels et concrets. Pour en mentionner deux importants, il faudrait qu’il y ait :

1) un système informatique solide qui fonctionne efficacement, qui permette aux procureurs nationaux de transmettre automatiquement les cas relevant du parquet de manière fiable et totalement sécurisée. C’est en partie à ces conditions que les procureurs nationaux accepteront de transmettre de bonne foi et en toute confiance les dossiers qu’ils doivent transmettre relevant de la directive « protection des intérêts financiers ». Mais ce n’est pas suffisant !

2) des règles de procédure et de coopération claires : des règles de procédure interne au parquet lui-même et des règles « d’engagement » entre le niveau central et le niveau national (Qui fait quoi ? À quel moment ? Comment échange-t-on des données ?). Ce sont toutes ces choses que la Commission est en train de préparer au niveau technique et informel, mais ce sera bien sûr au parquet lui-même de s’en saisir une fois que les procureurs européens auront pris fonction, une fois que le Collège (le procureur en chef et les vingt-deux procureurs européens) aura commencé à se mettre au travail.

Ces deux éléments juridiques et techniques sont la base pour créer la confiance entre le niveau central et niveau national. S’il n’y a pas de confiance pour échanger les données, pour travailler ensemble et pour guider les enquêtes, il sera plus difficile de faire des vrais progrès et de marquer des points contre la corruption et la mauvaise gestion des fonds communautaires.

Cette confiance s’appliquera aussi aux autres instances responsables dans la lutte contre la fraude et la criminalité. Le parquet ne travaillera pas de manière isolée mais au sein d’un réseau d’institutions et organes européens. Il travaillera avec l’OLAF, la Commission européenne, Europol, Eurojust, la Cour des comptes et les autorités nationales. Là aussi, la création non seulement de flux d’échanges fiables et sécurisés, mais aussi comme base pour créer une confiance réciproque, sera déterminante.

Pour conclure, je suis assez convaincu que la création du Parquet européen n’est pas qu’une évolution, mais bien une révolution. Je suis sûr que d’autres auteurs permettront de confirmer ceci. Un des éléments que je perçois encore est le manque de prise de conscience de l’importance de ce changement, y compris chez les étudiants, les enseignants, les praticiens, les juges et les procureurs. Alors oui, il y a encore quelques mois avant que cette réalité ne devienne concrète et opérationnelle ; mais le travail des parquetiers et des juges va changer dans les mois qui viennent avec la mise en place du Parquet européen. Beaucoup en ont entendu parler, il y a eu beaucoup de commentaires sur la nomination de la cheffe, sur les autres candidats (dont un français), mais quand on parle avec les praticiens, je me rends compte que beaucoup d’entre eux savent vaguement ce qu’est le Parquet européen mais pas concrètement ce qui va changer : le fonctionnement à deux niveaux, le pouvoir des uns et des autres, le transfert de compétence, l’automaticité du rôle du parquet, etc.

Voilà mon message de conclusion. Cela relève aussi des praticiens, des académiques, des autorités nationales de continuer à en discuter, à réfléchir, à prêcher la bonne parole. Donc encore une fois, de ce point de vue-là, cet ouvrage est certainement une étape importante – même si indirecte – dans la mise en place du Parquet européen.

1. Directeur administratif intérimaire du futur parquet européen (jusqu’en juin 2020).

Partie 1

Les enjeux des négociations et l’originalité du nouvel organe

Chapitre 1

Les négociations du règlement vues par un État membre : le cas de l’Espagne

parDavid Vilas Álvarez1

Sommaire

I. INTRODUCTION

II. LES GRANDES QUESTIONS DÉBATTUES PAR LES ÉTATS MEMBRES

III. LA POSITION ESPAGNOLE SUR L’ÉTABLISSEMENT DU PARQUET EUROPÉEN : TROIS ÉLÉMENTS CLÉS

IV. LA POSITION ESPAGNOLE SUR L’ÉQUILIBRE DES POUVOIRS AU SEIN DU PARQUET

V. LPOUVOIR DU PARQUET VIS-À-VIS DES ÉTATS MEMBRES

VI. LE POUVOIR DU PARQUET PAR RAPPORT AUX TIERS

VII. LE PARQUET EUROPÉEN COMME INSTRUMENT DE RENFORCEMENT DU CONCEPT MÊME DE COOPÉRATION

VIII. CONCLUSION

I. Introduction

La présente contribution vise à présenter la position espagnole pendant les négociations du règlement au sein du conseil de l’Union européenne. Relevons que la position du conseil dans ce dossier était encore plus importante que d’habitude, car le pouvoir de décision du Parlement européen était restreint à la procédure d’approbation prévue à l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)2.

Mais tandis qu’on expliquera cette position nationale, l’opportunité sera saisie de décrire également les différentes perceptions de cette nouvelle institution et, surtout, les différentes positions nationales sur la nature de cette dernière. Ces diverses perceptions ont marqué le cours des négociations qui se sont tenues à Bruxelles ; elles sont et seront aussi présentes tout au long de la procédure de mise en œuvre de cette nouvelle institution.

Le 24 février 2014, tous les États membres du conseil de l’Union européenne se sont réunis à la Représentation permanente de la Croatie, avec des représentants du secrétariat général du conseil et des services de la Commission. Le but de cette réunion était de discuter du texte, en particulier quant à la configuration interne du parquet. Il s’agissait d’une réunion informelle visant à constater la nécessité d’adapter la voie prise par les négociations3.

Jusque-là, la proposition de la Commission pour un règlement du conseil portant création du Parquet européen, lancée le 17 juillet 2013, n’avait pas été bien reçue.

Plusieurs Parlements nationaux l’avaient rejetée, considérant qu’elle portait atteinte aux compétences nationales – le Parlement suédois arriva à maintenir cette position jusqu’au bout de la procédure ordinaire, en décembre 2016, avant le lancement de la coopération renforcée.

Mais pire que cela, quelques gouvernements se méfiaient de la structure de cet organe européen telle que proposée par la Commission. Le rôle retenu pour le « procureur européen » dans la proposition de la Commission était essentiel : il ou elle dirigeait directement les services centraux. Les procureurs européens délégués seraient nommés et révoqués par le procureur européen lui-même. Ses pouvoirs portaient sur ce qui relevait de l’organisationnel et de l’opérationnel (art. 10 et 11 de la proposition de la Commission).

En outre, l’étendue des compétences du parquet couvrant toutes les infractions PIF et même les infractions qui y sont liées constituait une autre source d’inquiétude pour les gouvernements nationaux – étant donné que ces compétences dépendaient d’une référence, plus large ou stricte, plus statique ou dynamique, à la directive PIF, relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal. Cette directive visant à rapprocher les définitions des infractions relevant de la compétence du Parquet européen était en négociation à l’époque.

L’attention pour les intérêts nationaux dans un champ aussi lié à la souveraineté que le ius puniendi et aux systèmes nationaux d’enquête criminelle poussait à suivre une approche différente, plus respectueuse desdits intérêts et systèmes nationaux.

En conséquence, la France et l’Allemagne avaient convenu de proposer une modification de l’organisation du Parquet européen. À l’époque, le ministre espagnol de la Justice avait déjà fait part anticipativement, à son homologue français, de son support à cette adaptation de la tournure des travaux4.

Le résultat de la réunion mentionnée consistait à réinitier les négociations, d’où sortirait une nouvelle proposition de texte, présentée par les services du secrétariat général du conseil.

J’ai débuté cette contribution avec le souvenir de ce moment précis de la négociation du règlement pour deux raisons : non seulement c’était mon premier jour de travail à Bruxelles mais ce moment illustre aussi nettement quels étaient les intérêts politiques en jeu qui ont accompagné toute l’élaboration d’un texte finalement approuvé en 2017, soit trois ans plus tard, par vingt puis vingt-deux États membres avec des sensibilités différentes.

II. Les grandes questions débattues par les États membres

Les grandes questions sur la table des négociations, pour lesquelles les solutions différaient en fonction des négociateurs, peuvent être synthétisées autour des trois grandes idées suivantes :

1. L’équilibre des pouvoirs au sein du parquet : la structure finale du parquet, et en particulier le pouvoir de décision des organes du niveau central sur les procureurs européens délégués, s’est révélée un des sujets les plus débattus : les réunions de février 2014 à juin 2015 au moins y ont été consacrées.

En particulier, l’idée selon laquelle les procureurs européens délégués seraient finalement plus proches des parquets nationaux, et, en conséquence, plus sensibles aux intérêts nationaux, semblait planer sur la discussion. Ces procureurs européens délégués proviendraient en effet dans leur grande majorité des parquets nationaux et y retourneraient après la fin de leur mandat. Ainsi, certains États membres pensaient – et pensent toujours – que les procureurs européens délégués appartiennent plutôt à la structure des parquets nationaux, tout spécialement s’ils maintiennent leur activité comme procureurs nationaux, c’est-à-dire, s’ils portent la « double casquette ». Nous y reviendrons.

Avec une vision plus nationale qu’européenne, beaucoup d’États membres semblaient souhaiter limiter les pouvoirs du Bureau central pour rendre les procureurs européens délégués plus autonomes, voire soumis à moins de contrôles. Ils seraient comparables à des procureurs nationaux qui envoient des rapports tous les mois au Luxembourg.

2. Les pouvoirs du parquet par rapport aux pouvoirs des États membres : les compétences du Parquet européen et leur exercice, en particulier dans les cas de toute autre infraction pénale indissociablement liée à un comportement délictueux relevant du champ d’application des infractions « PIF », ont constitué une autre préoccupation majeure pendant les négociations : l’insertion de cette notion d’« exercice de compétences », qui implique qu’il y a de vraies compétences qui ne vont pas s’exercer, résulte de la volonté de limiter ces pouvoirs. Ce résultat, difficile à interpréter, provient d’une concession finale – d’origine allemande – pour favoriser l’adhésion de l’Italie, qui souhaitait une plus grande marge de manœuvre pour le Parquet européen.

Mais il y avait une idée communément partagée, à savoir la volonté d’éviter que l’établissement du Parquet européen n’entraîne une modification des lois procédurales nationales : toute « harmonisation » des règles procédurales nationales a été combattue5, en particulier quand on est arrivé aux mesures d’enquête, aux transactions possibles, ou encore aussi à l’heure de régler le contrôle juridictionnel. Même si le parquet est un organe européen, l’article 42 du règlement a été rédigé avec l’idée de ne rien toucher aux systèmes nationaux de recours, tout en respectant les articles 267 et suivants du TFUE.

3. Les pouvoirs du parquet par rapport aux tiers, que ceux-ci soient d’autres institutions/organes européens ou des États non participants. Ici les discussions ont en particulier été vives quant au rôle de l’OLAF, et, dans une moindre mesure, quant à celui d’Eurojust et des États membres non participants.

En particulier, il faudra connaître l’application pratique et les bases juridiques pour faciliter la coopération avec des États membres de l’Union qui ne participent pas au parquet, mais qui sont liés par l’article 325 du TFUE et par le principe de coopération loyale (art. 4 du TUE)6.

Ces sujets de discussion étaient liés à deux questions transversales particulièrement importantes :

– d’un côté, l’échange d’informations entre les autorités nationales et le parquet en cas d’infraction, mais aussi au sein du parquet, à travers le système de gestion des dossiers. La question est de savoir comment établir la relation avec les systèmes nationaux déjà existants ;

– de l’autre, l’activité transnationale du parquet, et en particulier le modèle de coopération entre les procureurs européens allant au-delà du système préexistant basé sur la reconnaissance mutuelle (principalement les mandats d’arrêt européens et les décisions d’enquête européennes).

Ces discussions, qui touchent à la nature même de ce nouvel organe et de ses pouvoirs, ont continué et continuent à se manifester pendant les travaux de mise sur pied du Parquet européen.

III. La position espagnole sur l’établissement du Parquet européen : trois éléments clés

Pour comprendre la position espagnole relative au Parquet européen, et plus précisément aux questions précédentes, il convient de mettre en exergue quelques idées qui caractérisent notre façon d’appréhender le dossier7.

Premièrement, l’Espagne est le seul État membre, avec la Slovénie, dans lequel les enquêtes criminelles relèvent de la compétence exclusive des juges d’instruction – en France et en Belgique, les juges d’instruction existent aussi, mais confier l’enquête à un procureur n’est pas une idée nouvelle. En conséquence, il y a eu un vrai soutien à ce projet de la part du parquet espagnol et du procureur général, car il constitue ce que ceux-ci attendent depuis longtemps8.

En outre, ces dernières années, il y a aussi eu un support politique à l’idée de transférer la responsabilité principale des enquêtes aux procureurs en Espagne. Ce support s’est cristallisé à travers la présentation de propositions de réformes législatives successives qui n’ont jamais été adoptées : toutes les tentatives envisageant l’amendement du Code de procédure criminelle en Espagne pour donner le pouvoir d’enquête aux procureurs ont échoué pour une raison ou pour une autre. Récemment, le nouveau ministre de Justice vient de réaffirmer son engagement en la matière9.

Cet intérêt politique implique néanmoins d’extraordinaires difficultés techniques, surtout alors que les crimes non PIF continuent d’être investigués par les juges d’instruction. Il fallait imaginer la mise sur pied de ce nouvel organe avec une législation tout à fait nouvelle pour l’Espagne. Nous étions intéressés par un règlement le plus flexible possible pour ne pas limiter le choix des réformes qui seraient nécessaires à l’avenir.

Deuxièmement, en Espagne, le nombre d’infractions pénales PIF n’est pas très élevé ; si l’on élimine les crimes de contrebande, on n’arrive pas au chiffre annuel de 20 (surtout des fraudes consistant dans le détournement ou la rétention indue de fonds ou d’avoirs provenant du budget de l’Union).

Pourtant, on partageait l’analyse initiale de la Commission : la poursuite pénale des cas existants, plus ou moins nombreux, pourrait s’améliorer avec l’établissement de ce nouvel organe. À cet égard, on partait donc d’une position de confiance vis-à-vis du nouveau Parquet européen et on pouvait lui laisser une autonomie suffisante pour être vraiment efficace. Il fallait le laisser travailler, pas seulement en Espagne, mais sur tout le territoire européen, une fois que sa structure pourrait prendre en considération les particularités des systèmes nationaux. Bien sûr, l’analyse ne serait pas la même si les compétences du Parquet européen s’étendaient à d’autres infractions, comme le terrorisme, à propos duquel les autorités nationales espagnoles ont une vaste expérience.

On pouvait donc admettre un exercice étendu de la compétence du Parquet européen à travers une référence dynamique et large à la directive PIF – bien que l’absence de compétence en matière de contrebande nous semblait positive, car en ce qui concerne celle-ci, on ne voyait pas la valeur ajoutée d’une autorité européenne par comparaison à des poursuites nationales. Par ailleurs, l’Espagne était contre l’inclusion de la TVA comme crime PIF.

Troisièmement, concernant la coopération au sein du Parquet européen, on souhaitait aller au-delà des mécanismes habituels de coopération, et ce conformément à une position traditionnelle de nos autorités, bien que pas toujours totalement partagée dans les derniers temps par les autres États membres de l’Union10.

C’est sur la base de ces trois éléments que l’Espagne s’est positionnée dans les négociations.

IV. La position espagnole sur l’équilibre des pouvoirs au sein du parquet

Comme nous l’avons déjà dit, le premier tour de force politique concernant le Parquet européen a visé à déterminer sa structure. On n’est pas parvenu à obtenir un accord au sein du conseil sur ce sujet avant la fin de la présidence du conseil par la Lettonie, c’est-à-dire en juin 2015. Il aura donc fallu plus d’un an pour obtenir un accord « ample et conceptuel » selon les conclusions du conseil sur les 16 premiers articles du texte, compétences exclues.

Le résultat de la réunion du 2 février 2014 que nous mentionnions au commencement de cet article consistait à réinitier les négociations d’où sortirait une proposition de texte présentant une conception collégiale de l’organe, avec une prise de décisions partagée et une représentation de tous les États membres participants. Le nouveau texte présentait des caractéristiques qui furent confirmées au cours des négociations. Le Parquet européen fut ainsi organisé à un double niveau : central et décentralisé. Le niveau central consiste dans le Bureau central, composé du collège (pour le suivi général des activités du parquet), des chambres permanentes (pour superviser et diriger les enquêtes, avec le dernier mot sur les décisions plus importantes, art. 10.3 et 10.4 du règlement), du chef du Parquet européen (qui organise les travaux et dirige les activités, mais avec un profil peu opérationnel), des adjoints au chef du Parquet européen, des procureurs européens (qui, au nom de la chambre permanente, assurent la surveillance des enquêtes dont ils sont responsables par rapport à leur État membre d’origine) et du directeur administratif. Le niveau décentralisé consiste dans les différents procureurs européens délégués.

Le système collégial n’implique pas qu’on ait à faire à une « Eurojust bis ». C’est pourtant une idée qui a été mentionnée quelques fois en tentant de donner corps à la fin de l’article 86.1 du TFUE : « [L]e conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust » (c’est nous qui soulignons)11. Les compétences spécifiques de ces deux acteurs européens et le rôle des chambres permanentes rendront leurs différences visibles en pratique.

En Espagne, ce résultat reflète bien les besoins de l’institution, malgré la prévisibilité de l’apparition de difficultés pratiques pour la mettre en place. On ne laisse pas la plus grande partie du pouvoir à un procureur au Luxembourg, siège du Parquet européen – comme la proposition de la Commission le suggérait –, qui pourrait être totalement insensible aux besoins et particularités nationaux. On ne laisse pas non plus le pouvoir de décision, sans contrôle, aux délégués dans les différents États membres, délégués qui pourraient peut-être être trop sensibles aux intérêts nationaux et qui, éloignés des intérêts (financiers) de l’Union, pourraient négliger ceux-ci.

Cette vision était semblable à la position de la France. L’Italie voulait, par contre, un parquet plus proche de celui présenté par la Commission, avec un pouvoir « européen » plus clair. En sens opposé, les Pays-Bas, ou l’Allemagne – et d’autres, en particulier, ceux qui n’ont finalement pas pris part au Parquet européen –, préféraient une structure européenne moins lourde – et moins forte, avec une importance du délégué plus visible.

La position espagnole précitée devait être complétée par celle en faveur d’un système de gestion des dossiers performant et le plus complet possible. L’alimentation d’un tel système, au sein du parquet, par des documents – soit papiers, soit électroniques – qui relèvent de procédures et lois différentes – car chaque enquête suivra la loi procédurale nationale –, qui sont exprimés en langues diverses, est une tâche immense. La conception d’un tel système constitue un défi majeur, surtout pour la Commission, qui doit l’instituer et le financer. Mais un des objectifs doit être d’assurer un plein accès à l’information sur les dossiers qui relèvent du Parquet européen, et non pas des parquets nationaux bien qu’il semble que cela ne soit pas accepté par tous. Le contrôle et la surveillance depuis Luxembourg sont possibles si le dossier complet est à disposition virtuellement du Parquet européen. Sinon, il sera possible pour les délégués de limiter l’information qui y arrivera et la fonction de contrôle du Parquet européen (niveau central) ne sera pas réelle. L’implémentation de ce système-là sera très controversée mais aussi essentielle. Selon nous, le texte final du règlement est clair, entre autres grâce au soutien de l’Espagne.

V. Le pouvoir du parquet vis-à-vis des États membres

En réalité, ce sujet est lié au précédent. Les positions opposées sur le système de gestion des dossiers sont les mêmes qui se cachent sous les tensions relatives aux compétences du Parquet européen ou à la position des délégués, à savoir des tensions entre une conception plus nationale du Parquet européen ou une conception plus européenne.

Notre position consistait à établir un Parquet européen efficace – il est vrai que tout le monde revendiquait l’efficacité du Parquet européen mais avec une approche différente de celle-ci. À notre avis, pour garantir cette efficacité, on ne pouvait pas le priver du contrôle de ses dossiers et d’une surveillance complète sur les délégués et leurs décisions.

Ces aspects étaient d’autant plus importants que le Parquet européen avait désormais une structure complexe, avec une présence « nationale » qui est venue rééquilibrer les plans initiaux de la Commission, de même qu’une compétence plus limitée qu’à l’origine.

En effet, le débat sur les compétences a été le plus difficile dans cette partie des négociations ; il a commencé avec la présidence luxembourgeoise (deuxième semestre 2015) mais a perduré jusqu’à la clôture des négociations – pendant la négociation du texte consolidé présenté par la Slovaquie à la fin de 2016 et même pendant la négociation de la coopération renforcée sous la présidence maltaise en 2017.

Notre objectif visait à ne pas étrangler le nouvel organe en devenir, de ne pas en faire une « coquille vide »12. On pouvait accepter de ne pas laisser au Parquet européen la contrebande, bien que notre intérêt ici fût plus flexible que l’intérêt français, selon ses institutions douanières. Mais, si on introduisait sans exception le critère du dommage pour l’exercice de la compétence appliqué aux infractions liées aux subventions européennes, cela supposait de laisser hors de la compétence du Parquet européen la plupart des infractions, car les projets cofinancés tendent à être subventionnés minoritairement par des fonds européens. De cette façon, les cas infractionnels, relativement peu nombreux en Espagne, descendraient à presque zéro. En outre, la participation de l’Italie dans le projet dépendait de l’étendue des compétences du parquet ; on s’est alors alliés à l’Italie sur cette question avec un résultat satisfaisant, quoique difficile à interpréter.

Par contre, on partageait l’idée générale de ne changer qu’à peine le droit procédural, en particulier les garanties des suspects (art. 41), le système de contrôle juridictionnel (art. 42) et les possibilités de transactions (art. 40). Ceci pour éviter un traitement différent dans le cadre de ces procédures par rapport aux procédures applicables à d’autres infractions de gravité semblable. Mais également parce que nous étions convaincus par le niveau élevé de garanties offert par le système espagnol.

Il convient de faire un commentaire additionnel sur le système de « double casquette », qui est lié à l’équilibre entre le Parquet européen et ses homologues nationaux. Les délégués font, conformément au règlement, partie du Parquet européen (art. 8.4 et 13). Mais ils peuvent également exercer les fonctions de procureur national, pour autant que cela ne les empêche pas de s’acquitter des obligations qui leur incombent en application du règlement (art. 13.3). Même le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire peut consulter, dans certains cas, les autorités nationales compétentes chargées des poursuites, afin de déterminer si le procureur européen délégué doit donner la priorité aux fonctions qu’il exerce au titre de procureur délégué européen. En outre, le chef du Parquet européen doit négocier avec les autorités nationales le nombre de délégués (il n’y a qu’un nombre minimum de deux, art. 13.2). Et leur statut administratif n’est pas équivalent à celui des procureurs européens (art. 96.6) : les procureurs européens délégués sont engagés comme conseillers spéciaux conformément aux articles 5, 123 et 124 du régime applicable aux autres agents. Les autorités nationales compétentes facilitent l’exercice de leurs fonctions et doivent s’abstenir de toute action ou politique pouvant influer négativement sur leur carrière ou leur statut au sein du ministère public national. En particulier, les autorités nationales compétentes dotent les procureurs européens délégués des ressources et équipements nécessaires à l’exercice de leurs fonctions et veillent à ce qu’ils soient pleinement intégrés dans leur ministère public national. Des arrangements appropriés doivent être en place pour préserver les droits des procureurs européens délégués liés à la sécurité sociale, à la retraite et à l’assurance en application du régime national. En outre, la rémunération totale d’un procureur européen délégué ne doit pas être inférieure à ce qu’elle serait si ledit procureur était resté uniquement procureur national. Les conditions générales de travail et le milieu de travail des procureurs européens délégués relèvent de la responsabilité des autorités judiciaires nationales compétentes.

Pour l’Espagne (bien qu’il n’existe pas encore une décision finale), les procureurs délégués devaient être centralisés et peu nombreux, pleinement consacrés à leurs fonctions. On compte sur les avantages de ce modèle, malgré l’étendue de l’Espagne : ces délégués peuvent avoir une compétence unitaire dans tout le pays, parce qu’il existe déjà une cour compétente en matière d’enquête – et supervision des droits des suspects – avec juridiction dans toute l’Espagne pour quelques crimes : l’Audiencia Nacional. Ce n’est par exemple ni le cas de l’Italie – la juridiction pénale de première instance est, en tout cas, divisée –, ni de l’Allemagne, où le parquet relève des différents länder.

On est toujours parti de l’idée de pleine autonomie des délégués. Mais il y aura des cas avec « double casquette » où il sera très intéressant de voir comment ils partageront leurs fonctions, leur temps et même leur rémunération : dans ces conditions, il sera très difficile d’assumer que le délégué ne fasse pas ce que le supérieur national dit de faire, bien qu’il s’agisse de cas relevant de la compétence du Parquet européen.

On perçoit même les difficultés pour que les parquets nationaux arrivent à imaginer que toutes les dispositions organiques et juridictionnelles ne soient pas internes. De potentiels points de friction apparaissent : qui mènera la cause devant la cour suprême, par exemple ? L’article 13.1 affirme que les délégués sont également responsables pour l’exercice des voies de recours existantes conformément au droit national. Mais quelques lois procédurales nationales prévoient que cela relève de la compétence exclusive du parquet national. Ce genre de discussions apparaîtra, bien sûr, pendant les prochaines années et la solution à chaque question de ce genre dépendra de la conception sur la nature du Parquet européen – bien que, selon moi, le dernier mot appartiendra à la Cour de justice de l’Union européenne.

VI. Le pouvoir du parquet par rapport aux tiers

Les négociations sous présidences néerlandaise (premier semestre 2016) et slovaque (deuxième semestre 2016) furent dédiées aux pouvoirs du parquet par rapport aux tiers (et à procurer un texte conjoint définitif), mais ces questions furent aussi encore débattues pendant la négociation de la coopération renforcée (premier semestre 2017).

En Espagne, en ce qui concerne les relations avec les autres institutions et organes européens, nous voyions la relation entre l’OLAF et le Parquet européen avec un intérêt spécial. En effet, on pensait et on pense toujours qu’il s’agit de partenaires naturels, conformément à leurs compétences respectives. Les négociations actuelles de la réforme du règlement de l’OLAF confirment à notre avis la pertinence de cette relation. Par contre, les synergies avec Eurojust et Europol, bien qu’existantes, étaient perçues comme moindres.

Concernant les États tiers, l’Espagne partait de la vision post-Lisbonne applicable à tous les instruments, mais surtout à ceux relevant de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) – vu les opt-out du Royaume-Uni, de l’Irlande et la singularité danoise, selon laquelle tous les États qui ne sont pas liés par les instruments concernés sont des États tiers, qu’ils soient dans ou hors de l’Union, sans distinction.

Néanmoins, les autres dispositions européennes et l’obligation générale de coopérer avec le Parquet européen seraient applicables aux États membres non participants, car, si chaque procureur européen, délégué ou pas, doit être muni au moins d’un statut équivalent aux procureurs nationaux, la relation avec eux depuis des États membres non participants devrait être la même qu’avec des collègues nationaux. En plus, les obligations applicables en vertu de l’article 325 du TFUE sur les fonds européens ne permettraient aucune autre lecture. Cette vision, que nous défendions comme étant implicite, est le fondement même de l’article 105.3 du règlement. On connaît toutefois les problèmes pratiques qui pourraient surgir, dont la solution dépendra à l’avenir de la volonté de coopérer ou de ne pas coopérer et, en bout de course, à nouveau de la CJUE.

Ce sont précisément ces problèmes qui ont déterminé l’insertion dudit article et l’abandon de l’idée de ne pas faire la différence entre État tiers intra ou extra-communautaires.

VII. Le Parquet européen comme instrument de renforcement du concept même de coopération

Je ne peux terminer cet article sans mentionner un dernier sujet, à savoir la position de l’Espagne sur l’article 31 du règlement, le système d’entraide judiciaire et de coopération dans les enquêtes transfrontières.

Le mécanisme prévu par cet article est tout à fait nouveau. Sans qu’il soit ici question de décrire de manière approfondie le fonctionnement de ce mécanisme, rappelons qu’il essaie d’éviter un système de double autorisation judiciaire quand le procureur délégué du pays A, chargé de l’affaire, a besoin d’une mesure d’enquête dans un autre pays, le pays B. Dans un tel cas, lorsque le droit de l’État membre du procureur européen délégué « assistant » (c’est-à-dire requis) n’exige pas une telle autorisation judiciaire, mais celle-ci est néanmoins exigée par le droit de l’État membre du procureur européen délégué chargé de l’affaire et requérant l’entraide, l’autorisation est obtenue par le procureur européen délégué chargé de l’affaire et présentée en même temps que la délégation. Si la mesure requiert une autorisation judiciaire en vertu du droit de l’État membre du procureur européen délégué assistant, ce dernier se charge de l’obtention de cette autorisation conformément au droit de cet État membre.

On verra comment ce système fonctionnera en pratique – bien sûr, certaines interprétations pourraient apparaître en vue d’exiger malgré tout une double autorisation ou pour rendre l’autorisation malaisée, lorsqu’il s’agit par exemple d’une mesure d’enquête intrusive et que les autorités appelées à l’autoriser ne disposent pas du dossier complet.

La position de l’Espagne, de la France et de l’Italie était en tout cas très favorable à une coopération plus ample, bien que les obstacles à la coopération pénale tendent à se multiplier ces derniers temps13.

Le système mis en place par le règlement répond à une double réalité, partiellement contradictoire : le Parquet européen est un organe indivisible de l’Union fonctionnant comme un parquet unique (art. 8.1 du règlement) mais l’espace de liberté, de sécurité et de justice européen n’est pas si unique, ce d’autant qu’il est établi « dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres » (art. 67 du TFUE).

VIII. Conclusion

L’établissement du Parquet européen a été et continuera d’être un défi passionnant pour tous ceux qui y ont participé. Cet établissement a impliqué la rédaction du règlement adopté en 2017, mais implique aussi la mise en œuvre de ce dernier. Cette implémentation est, d’un côté, juridique, avec la rédaction du règlement intérieur et les décisions qui résoudront les doutes actuels et, d’un autre côté, pratique, avec la nomination de ses procureurs, la gestion des dossiers, et tout ce qu’implique le fonctionnement d’un parquet.

La participation de 22 États membres a été un succès incontestable. Il faut maintenant que tous ces efforts contribuent à l’établissement d’un organe efficace, qui atteigne son but initial : protéger les intérêts financiers de l’Union contre les infractions pénales, lesquelles causent, chaque année, un important préjudice financier.

1. Ancien conseiller-coordinateur de justice, Représentation permanente de l’Espagne auprès de l’Union européenne.

2. Si le Conseil statue à l’unanimité, il faut néanmoins l’approbation du Parlement européen (art. 86.1 du TFUE). Mais si on suit la coopération renforcée subsidiaire, comme ce fut finalement le cas, la demande de coopération renforcée est simplement transmise au Parlement européen pour information, voy. art. 86.1 in fine du TFUE qui renvoie à art. 329.2 du TFUE.

3. Pour un résumé de l’évolution des négociations jusqu’à l’accord final, voy. F. DE ANGELIS, « The European Public Prosecutor’s Office (EPPO) – Past, Present, and Future », EUCRIM, 2019-25.

4. L’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, le Luxembourg, la Roumanie et la Slovaquie ont exprimé leur soutien initial pour un modèle entièrement centralisé lors de la réunion formelle du Conseil, les 3 et 4 mars 2014. En réalité, l’Italie était le plus puissant supporter de cette position. Pour une analyse approfondie, voy. J. STAELENS, « The European Public Prosecutor’s Office : The future ? », papier soumis dans le cadre du Master of Law, Université de Gand, 2014.

5. Ceci est confirmé par une comparaison de l’article 26 de la proposition de la Commission (mesures d’enquête) avec le texte final (art. 30 du règlement) ; on arrivera à une conclusion identique si l’on compare l’article 29 de la proposition (transaction) avec l’article 40 de la version finale (procédures simplifiées en matière de poursuites).

6. La problématique sur ce sujet a été étudiée par N. FRANSSEN, « The Future Judicial Cooperation between the EPPO and Third Countries », New Journal of European Criminal Law, 16 juin 2019. Voy. aussi N. FRANSSEN, « Judicial Cooperation between the EPPO and Third Countries Chances and Challenges », EUCRIM, 2019-015.

7. Pour une analyse plus large de cette question, voy. D. VILAS ÁLVAREZ, « The EPPO Implementation : A Perspective from Spain », EUCRIM, 2018.

8. Pendant la présidence espagnole du Conseil, en mars 2010, le procureur général espagnol de l’époque, Cándido Conde-Pumpido, lança officiellement à Bruxelles un projet pour la mise en œuvre du Parquet européen conformément à l’article 86 du TFUE. Le projet a été développé suivant les conclusions de la Conférence internationale convoquée par le parquet espagnol en 2008 et 2009. La création du Parquet européen fut ensuite l’objet de discussions à la réunion des ministres de la Justice et de l’Intérieur, au Luxembourg, le 27 avril 2010.

9. Le 16 février 2020, le nouveau ministre de la Justice espagnol, M. Juan Carlos Campo, a aussi présenté au Parlement espagnol ce but comme un des principaux de la nouvelle législature.

10. En lien avec le devenir de la coopération dans le champ criminel, voy. L. BACHMAIER, « Fundamental Rights and Effectiveness in the European AFSJ », EUCRIM, 2018-04.

11. M. KETTUNEN, Legitimizing European Criminal Law : Justification and Restrictions, Paris, Springer, 2020, pp. 113 et 114. Sur la relation entre les deux institutions, J. ESPINA RAMOS, « The Relationship between Eurojust and the EPPO », in L. BACHMAIER, The EPPO : The Challenges Ahead, Paris, Springer, 2018.

12. Sur ce sujet, D. VILAS ÁLVAREZ, « The Material Competence of the EPPO », in L. BACHMAIER, The EPPO : The Challenges Ahead, Paris, Springer, 2018.

13. D. VILAS ÁLVAREZ, « Use and Abuse of the Concept of Fundamental Rights, An Obstacle for Judicial Cooperation? », EUCRIM, 2018-05.

Chapitre 2

Les négociations du règlement vues par la Commission

parPeter Csonka1,2

Sommaire

I. INTRODUCTION

II. LA COMPÉTENCE MATÉRIELLE DU PARQUET EUROPÉEN

III. LA STRUCTURE DU PARQUET EUROPÉEN

IV. LES POUVOIRS D’ENQUÊTE DU PARQUET EUROPÉEN

V. PARQUET EUROPÉEN ET ADMISSIBILITÉ DE LA PREUVE

VI. PARQUET EUROPÉEN ET COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE

VII. PARQUET EUROPÉEN ET TRANSACTION PÉNALE

VIII. PARQUET EUROPÉEN ET CONTRÔLE JUDICIAIRE

I. Introduction

La question posée par l’ouvrage – « évolution ou révolution » – est excellente et mérite réflexion. Pour ma part, je pense que c’est à la fois une évolution et une révolution.

Je présenterai ici les différences entre le texte initial proposé par la Commission et le texte final tel qu’il a été adopté. Vous pourrez alors déterminer si le texte adopté est plutôt une « évolution » ou une « révolution ».

Comme toujours dans l’Union européenne, le texte est issu de compromis, et ici, ce fut un compromis difficile.

Comme l’a souligné Olivier Salles dans son introduction, le Parquet européen nécessite une coopération renforcée, ce qui n’arrive que très rarement dans la vie de l’Union européenne.

Une dizaine de Parlements nationaux ont émis des objections à l’encontre du texte initial proposé par la Commission. Ce texte était pourtant plus court que le texte finalement adopté (environ 15 pages et 50 articles). Les Parlements nationaux n’ont donc pas fait objection à cause de la longueur du texte mais parce qu’à leurs yeux, il était trop intrusif du point de vue des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Ces objections n’ont pas empêché la Commission de maintenir le texte initial mais avec l’engagement qu’elle allait tenir compte du point de vue exprimé par les Parlements nationaux lors des négociations initiées en 2013 et qui ont duré quatre ans.

À tous les niveaux, il s’agit d’un texte d’équilibre. Chaque disposition constitue elle-même le résultat d’un jeu d’équilibre ; plus encore, un équilibre a été atteint entre ces dispositions, chaque changement avait des conséquences sur d’autres dispositions. Il fallait maintenir l’équilibre global entre la compétence, la structure et le niveau d’ambition du Parquet européen sans pour autant mettre en cause son objectif principal, la poursuite plus efficace des infractions PIF dans l’Union.

Il était primordial dans ces négociations de résoudre certaines questions essentielles. En effet, une fois que le principe d’un parquet supranational, qui exercerait l’action publique sur le territoire des États membres, a été accepté, on acceptait alors aussi qu’un règlement européen érode le monopole attribué (par la Constitution ou la loi organique des États membres) aux parquets nationaux de chaque État membre. Se posait alors la question de savoir dans quelle mesure, et à quelles conditions, cette intrusion dans la souveraineté nationale pouvait être acceptée. Car il s’agit bien d’une intrusion dans la souveraineté nationale des États membres dans le domaine le plus sensible : le maintien de l’ordre et de la justice pénale.

Deux questions essentielles restaient alors à régler :

1) la compétence matérielle du parquet ;

2) et la structure interne de celui-ci, en ce compris les attributions de chacune de ses composantes.

À l’origine, il était question d’un parquet pour l’ensemble des États membres de l’Union et il devait posséder une compétence matérielle exclusive concernant les infractions liées à la protection des intérêts financiers de l’Union (« PIF ») telles que définies aujourd’hui dans la directive « PIF » et à l’époque dans la convention « PIF » de 1995. Ces deux aspects constituaient les principaux points de contention. Il était inédit de procéder au transfert de l’intégralité des compétences « PIF » de manière exclusive de l’ensemble des États européens vers un nouveau parquet. C’est donc sur ces deux aspects qu’il fallait aboutir à un résultat.

Outre les deux questions précitées (compétence matérielle et structure), nous allons passer en revue cinq autres mesures/aspects pour lesquels les points de départ et d’arrivée ont été plutôt différents. Il est intéressant de voir comment aurait pu être le Parquet européen « de révolution », devenu plutôt aujourd’hui un parquet « d’évolution ».

II. La compétence matérielle du Parquet européen

Outre les infractions issues de la directive « PIF », la Commission souhaitait que d’autres infractions connexes soient également incluses dans la compétence matérielle du parquet. On entend par « infractions connexes » une série d’infractions qui, sans être des infractions « PIF », sont commises avant ou après celles-ci soit pour préparer le terrain à une telle infraction, soit pour permettre d’en effacer les traces.

Il fallait alors définir lesquelles de ces infractions pouvaient être prises en charge par le Parquet européen et lesquelles devaient revenir aux parquets nationaux. À cet égard, la proposition de la Commission avait défini des critères de rattachement. Par un jeu d’équilibre, ces critères de rattachement se sont transformés en un critère général de prépondérance assorti d’un ensemble d’exceptions assez importantes. Il n’est donc pas toujours aisé de déterminer qui du niveau européen ou du niveau national est compétent. De plus, une infraction supplémentaire, non prévue dans la proposition, a également été ajoutée : l’appartenance à un groupe criminel organisé lorsque l’activité principale de ce groupe est la commission d’infractions « PIF ». Il s’agissait là d’une proposition d’un État membre qui voulait s’assurer que les membres du crime organisé qui se spécialisaient dans les infractions « PIF » (et il y en a, comme le montrent les enquêtes de l’OLAF) peuvent être aussi poursuivis par le Parquet européen.

Au final, la compétence du Parquet européen reste une compétence « de niche », mais il est possible de l’étendre aux infractions connexes et à la participation à de telles infractions, ce qui permet d’avoir une compétence assez équilibrée. D’autres infractions, de nature nécessairement grave et transfrontalière, pourraient être rajoutées à l’avenir selon les conditions strictes du traité (art. 86, § 4).

III. La structure du Parquet européen

Sans doute la partie la plus difficile de la négociation. La position de départ était ambitieuse, surtout pour le chef du parquet qui devait pouvoir organiser et diriger les enquêtes, voire descendre sur le terrain, dans les États membres, pour enquêter sur place. Ces compétences ont été plus chichement définies durant les négociations car certains des États membres ne voulaient pas d’un chef de parquet aussi fort. Il convenait pour eux d’équilibrer ce pouvoir extraordinaire via des procureurs nationaux qui seraient au fait des systèmes juridiques locaux, de leur système de preuve et de leur langue, qui pourraient alors faire contrepoids à un chef de parquet trop puissant.

On en est ainsi arrivé à un chef de parquet totalement indépendant mais sans pouvoir opérationnel, qui n’aura pas de pouvoirs propres d’enquête, ne pourra pas donner d’instructions aux procureurs délégués, et ne pourra pas descendre sur le terrain ni même représenter directement le Parquet européen devant les tribunaux ; ce chef sera épaulé par un collège de vingt-deux procureurs européens issus des États membres. Ce rééquilibrage très important est en grande partie dû à certains États qui souhaitaient que le système de direction du parquet soit collégial, sur le modèle d’Eurojust ou de la Commission. Pour certains, des expériences passées, telles que celles de la Cour pénale internationale, montraient qu’un organe collectif était préférable à un procureur seul qui pourrait échapper aux règles de la raison alors que, pour d’autres, il s’agissait de garantir l’équilibre tant recherché entre les diverses composantes du Parquet européen…

Le texte initial (art. 6, 16, 18 et 27) octroyait de larges pouvoirs au chef du parquet. Ils ont été réduits au cours des négociations, pour arriver finalement à une figure de représentant et de gestionnaire plutôt qu’à un procureur avec des pouvoirs opérationnels de poursuite.

La différence essentielle induite par ce changement réside dans la prise de décisions, puisqu’une décision collective prend plus de temps qu’une décision individuelle. Pour accélérer ce processus, les États membres ont pu se mettre d’accord sur l’établissement de chambres permanentes de trois ou quatre procureurs pouvant délibérer sur les propositions émises par les procureurs délégués (notamment en matière de mise en accusation ou de classement sans suite) plutôt que d’un collège siégeant toujours au complet.

Les décisions opérationnelles seront donc confiées aux chambres permanentes. On notera toutefois que le chef du parquet est habilité à présider les réunions de ces chambres permanentes, ce qui pourrait lui donner un aperçu des décisions opérationnelles prises. Certes, il ne pourra déclencher des enquêtes ni poursuivre des délinquants devant des juridictions nationales, mais il aura la maîtrise de l’organisation et pourra influencer les décisions des chambres permanentes qu’il présidera. Ce double rôle, de gestionnaire et président de chambre, lui donne un pouvoir non négligeable pour façonner la future politique pénale du parquet.

IV. Les pouvoirs d’enquête du Parquet européen

Au départ, la liste des pouvoirs d’enquête du Parquet européen était longue. Pas moins de vingt mesures d’enquête pouvaient être mobilisées. Certaines étaient connues de tous les États membres, mais d’autres n’étaient pas admises sur l’ensemble du territoire de l’Union, en tout cas pas dans les affaires PIF. Cette liste a alors dû être raccourcie, de manière à la simplifier et à se concentrer sur les mesures les plus importantes dans les enquêtes financières et qui permettent également de lutter contre le crime organisé.