La création retrouvée - Eric Bidot - E-Book

La création retrouvée E-Book

Eric Bidot

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Beschreibung

À travers sa vie et ses écrits, en particulier le fameux Cantique des créatures, saint François nous invite à changer en profondeur notre regard sur la nature et notre relation à la création. Ce petit ouvrage, où on respire à pleins poumons le bon air franciscain, nous guide dans ces retrouvailles avec cette Création où se révèlent Dieu et son ineffable bonté. Pour découvrir la puissance étonnamment novatrice de la pensée de saint François, et une nouvelle manière d’être au monde.

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Frère Éric Bidot

La création retrouvée

L’écologie selon saint François

Crédits photos : © Ciric / © Éric Bidot

Conception couverture : © Christophe Roger

Composition : Soft Office (38)

© Éditions Emmanuel, 2021

89, bd Auguste-Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

ISBN : 978-2-35389-871-8

Dépôt légal : 1er trimestre 2021

Le monde est plus qu’un problème à résoudre,

il est un mystère joyeux que nous contemplons

dans la joie et la louange.

Pape François, Laudato si’, n° 12

Préface

En Occident, se sont succédé trois, voire quatre visions du monde.

Selon la première, cosmocentrique, le concept englobant est la nature. Pour les Anciens (Grecs ou Latins), le monde est ordonné, harmonieux, riche de sens, parfois inquiétant, mais ultimement matriciel et protecteur. Les Grecs ne lui ont-ils pas donné le nom de cosmos, qui a notamment donné notre cosmétique ? Conjuguant unité, vérité, bonté et beauté, il inclut l’homme qui mesure son être comme son action à ce qui est naturel. Par exemple, s’interrogeant sur la juste taille d’une cité, Platon et Aristote répondent que, comme les organismes vivants qui ne sont ni trop petits, ni trop grands, elle doit être mesurée. Même Dieu (le Bien en soi, l’Acte pur, l’Un, etc.) est compris, parfois aux deux sens du terme, à partir de la nature : comme inclus, en tout cas comme nécessairement connecté à ce cosmos.

Avec la révélation biblique qui, bien sûr, commence avec le judaïsme et l’Ancien Testament, mais ne produit une influence culturelle universelle et durable que par le christianisme, la vision patristique, puis médiévale du monde devient théocentrique et fait de celui-ci une créature. Désormais, le premier article du Credo le confesse, Dieu est celui qui a librement façonné le monde. Qu’il ait « créé toutes choses avec sagesse », à la limite, un Ancien est prêt à y adhérer. Mais qu’il ait créé « par amour » compris comme libéralité, c’est-à-dire comme amour totalement gratuit, cela lui échappe, ne serait-ce que parce que, pour lui, l’amour est un éros, voire une hubris, en tout cas jamais une agapè qui se donne en servant, jusqu’à prendre, en Jésus, la « forme de serviteur », c’est-à-dire d’« esclave » (Ph 2, 7). Dans cette vision, l’homme, qui seul est créé à l’image de Dieu (cf. Gn 1, 26-28), est supérieur au reste de la création, tout en lui demeurant intérieur. Et s’« il règne sur la création », c’est en n’oubliant jamais que c’est « en te servant, toi son Créateur », donc en exerçant son règne comme un service et non comme une domination1.

Avec la modernité (que l’on fait habituellement commencer avec la naissance de Descartes en 1596), une vision toute différente, anthropocentrique, se fait jour. Avec les découvertes cosmologiques et physiques, le cosmos fini, protecteur, éloquent, rayonnant laisse place à un univers infini, inquiétant, muet et sombre. L’arrière-plan doré des peintures médiévales, signe de la présence divine (« Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire », chante le Sanctus), laisse place au sombre fond dont le Caravage fut à la fois l’inventeur et le prophète. Loin de se sentir inclus dans ce monde inhospitalier, l’homme, devenu aventure, c’est-à-dire liberté, s’en arrache et lui arrache sa vérité pour en devenir le maître et possesseur, par un savoir analytique et mathématisé, et bientôt par des techniques de plus en plus intrusives et polémiques. Quant à Dieu, au mieux, il est l’Absolu déiste de la chiquenaude initiale ou le Grand Horloger, au pire, il est évacué comme hypothèse inutile.

Le monde contemporain (qui s’initie, là encore classiquement, avec la mort de Hegel en 1831) peut être envisagé d’une double manière. Comme hypermoderne, c’est-à-dire comme mise en œuvre radicalisée du projet moderne de domination de l’univers par un homme qui en est désormais le dieu créateur, que ce soit dans ce que le pape François appelle « paradigme technocratique » (Laudato si’, chap. 3) ou dans l’utopie eschatologique qu’est le paradigme transhumaniste. Comme postmoderne, c’est-à-dire comme entreprise de déconstruction systématique du programme prométhéen de la modernité. À l’instar de la fable de La Fontaine, « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », l’homme qui joue à devenir le dieu du monde et de lui-même finit par éclater en de multiples fragments, externes (individualisme, hyperspécialisation des savoirs, etc.) et internes (infobésité, réduction à ses conditionnements faussement compris comme des déterminismes, etc.). Voire, dans le modèle écocentrique ou biocentrique qui se nourrit d’abord de sa réaction contre le modèle anthropocentrique et de sa mauvaise conscience d’avoir détruit la nature, l’homme, qui ne peut plus accuser le Dieu qu’il a tué, finit par retourner sa culpabilité contre lui, se suicider et donc se définir comme raté et comme rature.

Sommes-nous voués à cette oscillation désespérante entre l’illusion orgueilleuse de l’antropocentrisme et la dépression acédique de l’écocentrisme ? La première adore l’homme jusqu’à la haine de la nature et la seconde adore la nature jusqu’à la haine de l’homme. Un troisième scénario est-il envisageable qui s’inspire du passé, accueille les ombres, mais aussi les lumières du présent et nous ouvre un avenir ?

C’est ici que l’ouvrage bienvenu d’Éric Bidot trouve sa place et toute sa place. Dans une relecture du fameux Cantique de frère Soleil, il nous montre que nul regard n’est adéquat à la nature (que François n’appelle jamais ainsi, mais toujours création), s’il ne resitue dans leur juste ordre : Dieu, le « Très-Haut, tout-puissant bon Seigneur » ; les multiples créatures, tant cosmiques que terrestres, tant inertes que vivantes ; et l’homme dont la vocation est de louer avec gratitude et de « servir avec grande humilité2 ». Il conjure ainsi la double dérive symétrique, éco- et anthropo-centrique, secrètement habitée par la double idolâtrie, de la nature ou de l’homme, et rappelle que seule la perspective théo-centrique permet d’accorder à chaque être son lieu propre.

Certes, ce n’est pas le premier ouvrage en langue française qui parle du Cantique des créatures (autre nom du Cantique de frère Soleil) ou de la vision écologique de frère François. D’autres approches en ont exploré l’enracinement anthropologique (passionnante thèse d’Éloi Leclerc qu’a trop effacée le succès si légitime de son Sagesse d’un pauvre), historique (Jacques Dalarun), théologique (Luc Mathieu, Laure Solignac), écologique (Jean Bastaire). Il nous manquait toutefois une approche pastorale, qui n’ignore rien de la richesse des autres perspectives, dont il nous fait bénéficier de manière accessible.

Prévenons d’emblée trois objections. Ce faisant, je me contente de reformuler d’une autre manière ce que LaCréation retrouvée développe avec précision.

Parler d’écologie à l’école de saint François, n’est-ce pas à nouveau nous servir un discours culpabilisant et trop exigeant sur la conversion écologique ? D’abord, frère Éric ne parle quasiment pas d’écologie au sens pratique. Non qu’il l’ignore ou la méprise, mais il sait que bien des bons ouvrages existent en ce domaine. Ensuite, il fait beaucoup mieux : il nous propose une écosophie, c’est-à-dire un regard de sagesse sur la nature. Pour cela, il n’hésite pas – et le fait est encore trop rare pour qu’il ne faille pas le souligner – à aller puiser dans l’œuvre de l’immense théologien franciscain qu’est saint Bonaventure (chap. 15). En effet, ce contemporain de saint Thomas (ils sont morts la même année), ministre général des frères mineurs, montre combien une juste vision de la nature est trinitaire : toute créature, même la plus mineure (petite), possède une origine, une figure et une fin ; elle participe donc du Père qui est la Source, du Fils qui est l’Image (l’Exemplaire) et de l’Esprit qui est l’Achèvement ; elle porte ainsi en elle rien moins que le vestige de toute la Sainte Trinité. Enfin, inspiré par cette lumière sommitale, frère Éric propose au terme une suggestive démarche écopratique, ascendante et descendante (cf. chap. 18).

Ensuite, le cantique du Poverello n’est-il pas l’œuvre ingénue d’un doux rêveur « écolo-banjo » ? Frère Éric, qui s’adresse cette difficulté, nous rappelle le fait trop peu connu qu’il fut composé après que François a reçu les stigmates, au sortir d’une longue crise intérieure et extérieure, et seulement un an avant sa mort (chap. 2). Il propose une vision de la nature que l’on doit oser qualifier de dramatique. Nous sommes là au cœur de son propos qui est proprement chrétien ou, mieux, christologique. L’intuition, qui n’a jamais mieux mérité son nom, est de voir (le verbe latin intueor signifie « je vois ») Dieu dans la création. Cette assertion, qui peut sembler banale à de nombreux fidèles, requiert d’écarter deux erreurs opposées. La première, beaucoup plus fréquente chez ceux des écocentristes qui enracinent leur action militante dans une contemplation spirituelle (ce qui ne veut pas dire religieuse), est le monisme ou le panthéisme (non sans influence orientaliste). Elle consiste à non plus voir Dieu présent dans la nature, mais identifier Celui-ci à celle-là. Dès lors, les paroles de François « frère Soleil », « sœur mère Terre », etc., sont comprises dans un sens univoque et en fait partiel, oubliant que les liens fraternels supposent d’abord un Père commun qui est Dieu, et qu’ils sont eux-mêmes variés (le Soleil est aussi appelé « Messire », car il reflète quelque chose du mystère du Dieu créateur).

La seconde, en revanche, beaucoup plus présente chez les chrétiens, fait de la création un simple chemin vers Dieu, un miroir (cf. chap. 18). Cette vision, plus païenne qu’il n’y paraît (elle rappelle le discours, par ailleurs admirable, de Diotime dans le Banquet de Platon), manque totalement l’audace novatrice de François qui, ici, ne se fait que l’écho de l’enseignement biblique et christique : Dieu habite réellement notre création ; et, s’il est communion, il ne peut pas ne pas avoir tissé des liens très étroits entre les créatures. Or, pour pouvoir entrer en connexion avec le « tu » qu’est l’autre (y compris non humain), encore faut-il que mon « je » cesse de prendre toute la place, par violence ou par peur. Voilà pourquoi le petit pauvre d’Assise ne pouvait entrer dans cette conscience de frère universel qu’en passant, à la suite de son Seigneur crucifié, par la crucifixion intérieure de son ego. Le cosmos théophanique est d’abord un cosmos théodramatique. Ce livre nous invite donc à nous demander à la suite de frère François si, réellement et pas seulement métaphoriquement, le soleil et le feu (chap. 7), l’oiseau (chap. 8), l’agneau (chap. 9), la fleur (chap. 10), l’eau (chap. 11), mon corps (chap. 12), sont mon frère, ma sœur (important chap. 3) et ma mère (chap. 4). Il nous propose, pour cela, non pas un discours, mais un parcours, qui est celui-là même de François : la solitude (chap. 13) et le dépouillement (chap. 14, qui lui aussi est important, en résonance avec le chap. 6), lui donnent accès à la contemplation (chap. 15), qui est pèlerinage vers la Patrie (chap. 16) et, ici-bas, à sa vocation de héraut (chap. 17).

Enfin, repartir de François, n’est-ce pas proposer un retour nostalgique et de toute manière impossible à un prétendu âge d’or antico-médiéval ? Lisez et vous verrez !

Éric Bidot écrit avec toute son intelligence de l’histoire et de la pensée de François longuement méditées. Plus encore, il parle avec tout son cœur de capucin qui vit ce qu’il contemple. Enfin, il s’adresse à son lecteur avec sa chair d’homme qui s’engage dans sa parole (cf. son témoignage dans l’introduction de la première partie) et, non sans suspense (annoncé au chap. 3), nous conduit à ce qu’il appelle le « secret » de François (je vous laisse le découvrir !).

De cette crise qui nous touche au cœur et nous excentre, ce livre aidera concrètement à sortir par le cœur, c’est-à-dire par le centre et par l’Amour qui s’est « livré pour moi » (Ga 2, 20).

Pascal Ide

1. Hors les références bibliques, les citations sont tirées du début de la quatrième Prière eucharistique, dont l’original fut écrit en français.

2. J’ai cité les premiers et derniers mots du Cantique de frère Soleil.

Introduction

Les mois d’avril et de mai 2020 resteront exceptionnels dans nos mémoires. Confinés chacun chez soi du fait d’une pandémie planétaire, nous n’étions plus dans les rues, nous ne marchions plus dans les bois, nous ne musardions plus sur les paquebots, nous ne prenions plus l’avion… Un arrêt sur image qui a permis à d’autres images d’exister : celles des eaux claires de la lagune de Venise, des canards déambulant devant les tours de la cathédrale Notre-Dame de Paris, de deux cerfs évoluant dans une ville de région parisienne, des crocodiles bronzant sur une plage du Mexique, sans oublier la pollution en berne ou le chant des oiseaux retrouvé… La mise entre parenthèses de nos vies modernes, souvent bruyantes, parfois polluantes et toujours en mouvement, a été l’occasion de scènes insolites et bienfaisantes pour les citadins ou « rurbains » que nous sommes devenus. À la faveur de ce temps suspendu, aurions-nous retrouvé la création ? Certes, une timide connexion entre l’homme et la nature semble davantage s’exprimer, au moins au niveau des intentions. Elle est à resituer, toutefois, parmi les initiatives qui se multiplient depuis plusieurs années en faveur de ce lien à renouer et de la redécouverte des relations au sein de la nature, dans la permaculture, par exemple. Ces initiatives se heurtent cependant à nos habitudes et à nos difficultés à changer nos comportements.

L’encyclique du pape François Laudato si’ a été, et demeure, une parole puissante en faveur d’une prise de conscience de la dégradation environnementale et sociale à laquelle nous assistons. Bien qu’il décrive la situation dramatique de « notre maison commune », le pape ne renonce pas à avoir confiance dans notre capacité à unir nos forces pour sauvegarder cette maison que nous partageons. Se référant à François d’Assise dont il a pris le nom, le pape a choisi de rappeler, dès les premières lignes, que « si nous nous approchons de la nature et de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats » (LS n° 11). Le contexte du Moyen Âge n’est pas le nôtre, nous sommes bien d’accord. Dès lors, l’attitude de François d’Assise, évoquée par le pape, relève-t-elle d’un romantisme « irrationnel », ou a-t-elle une pertinence pour éclairer nos comportements ?

Dans la galerie des saints, François est assez unique en son genre. À sa manière, le sociologue Edgar Morin n’a pas manqué de le remarquer : « Le pape François a eu la chance de trouver dans le christianisme saint François d’Assise ! Car s’il n’avait pas été là, il aurait été bien maigre en référence3…» Le constat est dur, mais pas entièrement vrai, comme nous le verrons ! Certes, les figures chrétiennes ne sont pas nombreuses à parler aux oiseaux ou à réconcilier le loup et les humains, à appeler le soleil « frère » ou l’eau « sœur », à se réjouir du chant des cigales ou à admirer les fleurs et les herbes. François resitue l’homme et la femme dans la nature, et non plus en indépendance voire en surplomb dominateur. Avec François, nous sortons de l’affrontement – l’homme ou la nature – pour nous engager sur un chemin de commune appartenance, car la personne fait partie de la création, elle en est un élément.

Nature ou création ? C’est un fait que, pour François d’Assise et la théologie qui met en mot son expérience singulière, on parle de « création ». François n’emploie jamais le terme « nature ». Il désignerait en effet une réalité indépendante et autosuffisante qui lui est étrangère. « François ne vénère pas la nature, il célèbre la création », écrit l’historien Jacques Dalarun4. Il considère en effet le monde en référence à la Trinité créatrice, Père, Fils et Esprit Saint, qui est à l’origine de tout le créé et qui se laisse rechercher dans et par son œuvre créée, conférant aux éléments sens et valeur. Sa pensée est donc théologale de bout en bout. L’oublier au seuil de cet ouvrage reviendrait à répéter une certaine littérature évoquant un doux rêveur sans consistance. Au contraire, profondément et réellement, tout au long de sa vie, François approfondit un acte de foi en Dieu, dans sa paternité créatrice, sa filiation restauratrice, sa spiritualité réconciliatrice. François est moderne dans son respect du créé, mais on se méprend si l’on s’en tient à la seule horizontalité des choses : le sens profond de ce respect est à (re)découvrir dans la foi « verticale » en Dieu, source de toute vie. Dans cette perspective, parce qu’issu d’un Dieu bon et beau, le créé est en soi bon et beau.

Insistons une nouvelle fois, avec les paroles du pape François, sur la non-superposition des mots « nature » et « création », car ces paroles fixent le cadre de notre découverte de François d’Assise : « Pour la tradition judéo-chrétienne, dire “création”, c’est signifier plus que “nature”, parce qu’il y a un rapport avec un projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une signification. La nature s’entend d’habitude comme un système qui s’analyse, se comprend et se gère, mais la création peut seulement être comprise comme un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous, comme une réalité illuminée par l’amour qui nous appelle à une communion universelle » (LS n° 76). La création vue comme un don et des relations, voilà qui change tout et nous interroge ! Comment vais-je pouvoir apprendre à recevoir et faire fructifier ce don ?

L’enjeu de cet ouvrage est de nous mettre à l’école de l’homme d’Assise pour nous engager dans une conversion : retrouver la création. Cette conversion est proprement mystique, au sens d’une réalité personnelle d’Alliance entre Dieu et l’homme, jamais épuisée, et elle se situe pleinement dans la relation au créé : pour François, la création n’est pas à fuir comme si elle nous détournait de l’essentiel, mais elle est à retrouver, voire à embrasser, avec nos sens, parce que Dieu s’est fait chair dans le monde et qu’il a habité parmi nous. Dès lors, il s’agira d’entrer dans un double mouvement : celui d’aller à Dieu avec les créatures ; mais aussi, suivant le mouvement de la venue du Fils de Dieu dans la chair, nous apprendrons à « contempler Dieu en chacune des créatures qui entrent en notre esprit par les sens corporels5 », selon les mots de Bonaventure, disciple de François d’Assise. En cela, nous ne nous éloignons pas du Créateur. Au contraire, en descendant dans l’épaisseur de la création, nous continuons de nous élever vers Dieu6.

Notre cheminement comprendra trois étapes. Nous relirons le célèbre Cantique de frère soleil ou Cantique des créatures, composé sans doute vers 1225. Ce Cantique, unique dans ses accents, est le texte le plus abouti de la perspective franciscaine du créé. Puis nous revisiterons certaines rencontres entre l’homme de Dieu et divers éléments de la création, rencontres qui ont trouvé un vif écho dans les arts : peintures, œuvres musicales ou théâtrales… Enfin, nous découvrirons comment François s’est petit à petit « converti », par et dans la création, à l’amour du Dieu vivant et vrai, en qui il découvre la Source créatrice à l’œuvre en chaque élément créé.

3. La Croix, 21 juin 2015, à l’occasion de la sortie de l’encyclique Laudato si’.

4. Jacques DALARUN, Le Cantique de frère Soleil. François d’Assise réconcilié, Paris, Alma éditeur, 2014, p. 95.

5. Itinéraire de l’esprit jusqu’en Dieu, II, 1(traduction André Ménard, Vrin, 2019).

6. Cf. Laure SOLIGNAC, La Théologie symbolique de saint Bonaventure, Les Plans-sur-Bex, Parole et Silence, 2010, p. 78.

Sigles utilisés

Pour les citations bibliques, nous utilisons la traduction officielle liturgique de la Bible.

Les écrits et les extraits des biographies de François sont pris dans François d’Assise. Écrits, Vies, témoignages. Édition du VIIIe centenaire, sous la direction de Jacques Dalarun, Cerf-Éditions franciscaines, 2010.

Écrits de saint François d’Assise :

Les Règles ont été écrites à la demande de l’Église pour préciser la pensée et le projet de vie évangélique de l’homme d’Assise. Les Admonitions, quant à elles, sont des conseils spirituels donnés par François et notés par les premiers frères.

Adm Admonitions

1 Rg Première Règle (1221)

2 Rg Deuxième Règle (1223)

Sources franciscaines secondaires7 :

Plusieurs auteurs se sont essayés à raconter la vie de François, en compilant les témoignages de ses contemporains. De formation littéraire, Thomas de Celano, entré dans l’Ordre franciscain en 1216, a connu François. Il a rédigé deux biographies, et une troisième vient d’être découverte. Bonaventure est entré dans l’Ordre après la mort de François et a écrit une biographie plus « théologique » ou « spirituelle », la Legenda major. La Compilation d’Assise, écrite entre autres par frère Léon, le grand ami de François, est venue compléter le récit des faits concernant la jeunesse de François et les débuts de l’Ordre. Les Fioretti, enfin,sont des récits que les frères se sont transmis sur plusieurs générations avant de les coucher par écrit, d’où leur date plus tardive.

1 C Première Vie de Thomas de Celano (1228-1229)

2 C Deuxième Vie de Thomas de Celano (1247)

CA/LP Compilation d’Assise – anciennement appelée Légende de Pérouse (1311)

Fior Fioretti – ou Actus du bienheureux François (1327-1340)

LM Legenda major (1262-1263)

7. Nous reprenons ici les datations proposées par François DELMAS-GOYON, Saint François d’Assise. Le frère de toute créature, Les Plans-sur-Bex, Parole et Silence, Collège des Bernardins, 2008, p. 6.

Cantique de Frère Soleil

Très-Haut, tout-puissant bon Seigneur,

à toi sont les louanges, la gloire et l’honneur, et toute bénédiction.