La drogue dans mes veines, mes enfants dans la peau - Samanta Borzi - E-Book

La drogue dans mes veines, mes enfants dans la peau E-Book

Samanta Borzi

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Beschreibung

Le témoignage de Samanta Borzi est celui d’une renaissance et d’une fabuleuse évolution. 

Petite fille mal aimée, elle est terrorisée par une belle-mère qui lui fait croire que le diable et l’enfer sont partout.
Elle grandit dans un univers peuplé de cauchemars, minée par une image désastreuse qu’elle a d’elle-même.
À l’adolescence, elle plonge : prostitution et drogue. Accro à l’héroïne, le drame éclate : Samanta, enceinte, s’endort après avoir pris une dose et perd son bébé in utero.
Inconsolable, dévorée par un sentiment terrible de culpabilité, elle sombre encore plus dans la drogue.
Enceinte pour la deuxième fois et toujours dépendante de la drogue, Samanta met au monde un fils. Il naît drogué et en manque. Un soir, la jeune femme le dépose dans un hôpital et, le coeur anéanti, supplie qu’on le prenne en charge, car elle se sait incapable de subvenir à son bien-être.
Jusqu’au jour où...

Samanta Borzi nous livre ici, en toute intimité, une autobiographie poignante. Sans détour, elle n'hésite pas à évoquer les étapes difficiles de sa vie.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un témoignage poignant porteur d’espoir. - RTL Info

Je l'ai dévoré ! Je suis restée abasourdie suite à ma lecture : une femme, une mère, prête à tout pour sortir de l'enfer. - Laetitia Ruffin, Babelio

Le livre de Samanta Borzi est une véritable leçon de vie. Ce que l'on apprécie particulièrement dans sa démarche, c'est la franchise, la nudité, l'authenticité, avec laquelle elle dévoile son expérience douloureuse. Et pourtant, malgré ce dévoilement, on ressent chez Samanta Borzi beaucoup de pudeur, de respect, de tact. - Daphnis Olivier Boelens, Blog Une vie sur la terre

EXTRAIT 

Cela faisait plusieurs semaines que ma consommation de drogue était de plus en plus chaotique, les hallucinations et les crises psychotiques allaient croissantes. Prise d’une peur panique, je me suis rendue chez une psychiatre pour déposer ce fardeau que je portais depuis huit mois.Je lui ai tout expliqué en lui demandant de l’aide.Elle m’a écoutée attentivement et m’a prescrit un médicament, le Solian1.En me tendant l’ordonnance, elle me rassura et me dit que cette béquille m’aiderait et ferait disparaitre tous les symptômes.Après m’être rendue à la pharmacie, j’ai ouvert la boîte de médicaments et j’ai lu la notice.Voyant qu’on le prescrivait en cas de schizophrénie, je n’ai pas voulu le prendre, je ne me sentais pas concernée et je me suis dit qu’il n’était pas approprié à mon état.Au lieu de ça, je suis allée acheter une boulette de coke et je suis rentrée chez moi.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Aujourd’hui,  Samanta Borzi est comédienne et a récupéré son fils placé pendant longtemps en famille d’accueil. Elle est à l’affiche du film  Moroccan Gigolo’s d’Ismaël Saïdi. Et les projets s’enchaînent.

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À mon Père et à ma mère

À toi, Sacha, qui m’a apporté la conscience.

Repose en paix mon ange…

À toi, Medhi, qui m’a apporté la sagesse.

Et à toi, Lily, qui m’a redonné énergie, vie et force.

À vous, mes amours, mes Alchimistes, mes enfants…

PRÉFACE

Ce livre nous offre de partager un secret, celui de la vie de Samanta qu’elle accepte de déposer entre les mains du lecteur. Si elle nous dit haut et clair, sa vie, ce n’est pas pour se plaindre, alors qu’elle le devrait, ni pour régler des comptes, alors qu’elle en aurait le droit, mais c’est par souci de vouloir partager un peu de sa vie pour aider : dire à l’autre l’essentiel ou lire de l’autre l’accessoire fondent une autre transmission sans autre engagement que celui de déposer l’instant de sa mémoire. L’écrit de cette parole est la mémoire de son histoire, et peut-être de nos histoires, qui vient se chavirer dans nos entrailles. Le temps de la parole est un temps qui parle aujourd’hui de l’avenir aliéné au passé.

Le livre de Samanta ouvre le lieu confiné au grand air libre. Il laisse entrer la lumière solaire, il agit et fait être, il éveille lorsque les paroles de l’auteur dévoilent et manifestent, se défaisant de l’aveuglement et la surdité. Nous, lecteurs, nous ne sommes ni les dépositaires ni les gardiens. Ce livre est le miroir. Dire, écrire un moment de sa vie, tout dire, même l’indicible de toute sa vie ou garder le secret ? Le choix engage. Tout dire, même un peu, au public ne nous met plus à l’abri des secrets qui sont les derniers gardiens de notre psychisme et de notre espace le plus intime : le jardin secret. Il ne nous est pas interdit de garder le secret sur nos secrets. Si le secret est le langage de l’impossible à dire, il demeure aussi une censure sur la parole. Le secret n’étant pas seulement quelque chose qu’il y aurait à cacher ou à garder par devers soi, confirme Derrida, parfois le secret est lourd, trop lourd à porter seul. Si une partie de nos secrets nous échappe, c’est qu’ils nous sont, à nous-mêmes, encore secrets, nécessairement secrets. N’y a-t-il pas une part de l’Innommé, de l’insu gravée sous le texte originel de la parole ? Peut-on envisager une société où chacun pourrait tout savoir sur l’autre ? L’exposition de sa vie n’est-elle qu’une offrande vulgaire, naïve et sentimentale ? L’écriture de Samanta rejoint la simplicité du cœur et s’énonce avec humilité et force. Sa vie n’est pas ainsi exposée. Elle est explosée !

La vie de Samanta fut abîmée pendant de longues années. Qui sommes-nous pour juger, voire même tenter de comprendre l’histoire d’une petite fille, d’une jeune fille, puis d’une femme qui s’est embrouillée dans les méandres de la tristesse, de l’échec, de la soumission, de l’humiliation, de la dépendance ? Qui suis-je, moi, clinicien, qui ai eu l’honneur de faire un bout de chemin de vie avec Samanta pour faire écho de mon témoignage, nécessairement tenu aussi au secret ? Qui est-elle, elle, Samanta, avec toute l’énergie et l’humanité qui l’habitent pour ainsi partager une histoire de vie aussi douloureuse ? Toute son histoire qui nous est donnée à lire ne suffit pas à comprendre combien sa décision de vivre peut, et à quel prix, prendre le dessus sur la tentation de tous les jours, de l’échec, de la dépression de l’angoisse, de la non-vie. Peut-on seulement comprendre que la toxicomanie est ce lac miroir qui fait écran à la perception que nous avons des autres et de nous-mêmes, et celle que les autres ont de nous ? Notre identité indéfinie n’est rejointe par « l’Autre » que par le leurre de la maîtrise sur le monde. La dépendance aux toxiques est devenue cet espace vital duquel tout s’opère et s’organise, comme tout se perd et se quitte. Le corps souffrant peut en dire long sur l’unisson toxique : il est parole. Il dit une partie de la vérité tue ou cachée. La parole, dépossédée du corps, se murmure maintenant dans les secrètes turpitudes du choc des meurtrissures. Corps abîmé, humilié, meurtri mais qui se tient droit. Parfois. Puis s’écroule par l’émission des ondes de la souffrance. Finalement, la toxicomanie, comme toutes les pathologies de l’excès, n’est-elle pas l’évitement du contact social intime ?

Mais à ce jour, et son livre nous le dit, Samanta est en-vie, dans la vie, même si cela relève d’un combat incessant pour la vie et par la vie. Construction laborieuse et recherche éternelle d’un bonheur bafoué, trompé, de la perte d’une vie d’amour. Le regard de Samanta, chargé de toutes les passions de l’âme, reste doué d’une surprenante efficacité : il pleure, fascine, foudroie, séduit autant qu’il exprime. Alors qu’il transfigure la parole dans son énoncé, le regard conduit le mot et dépose la parole au cœur de l’intime de la vérité de l’autre, dans l’espace de son écoute. J’ai le souvenir, comme clinicien, et ce fut aussi ma rencontre avec Samanta, que le Veilleur de l’âme qu’est le thérapeute, fait marche avec la femme souffrante ; il l’accompagne en ces lieux où tout se murmure dans le dénuement des certitudes, dans l’ombre et la lumière. Il l’exhorte à devenir son propre acteur de guérison, mieux que d’accuser le destin ou les autres de son état. Il lui fait écrire la page blanche dès lors qu’il n’y a rien, et quand je dis rien, plus rien. Il n’y a plus de vie. Le désespoir est au crépuscule. La mort fait sa coquette.

Dans l’exercice de mon métier de clinicien, je n’ai jamais manqué de respecter le sacré de cet espace de l’indicible qui déploie la liberté du silence et du dire. Si la psychothérapie est une chambre des secrets, c’est qu’elle est la zone silencieuse, le lieu initiatique qui échappe au secret, et qui renoue ce lien de la présence et de la confiance entre deux personnes : le patient et le thérapeute. Il s’opère, alors, une mise en confiance sur les sentiers de la fragilité, en ces lieux où tout se murmure. Les certitudes sont déshabillées de leurs fastes dans la lumière et l’obscurité pour rendre tolérable l’intolérable. Si ce nouveau monde est plus facile à vivre, c’est qu’il est déjà à la portée de soi, et qu’il se bâtit comme un lieu de refuge. S’il est capable d’écouter - L’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute1- sans angoisse et sans complicité, le thérapeute invite son patient d’abord à laisser sourdre ce grand silence qui lui permet de ne pas s’éparpiller, mais de se tenir rassemblé, unifié, centré, réconcilié et ouvert.

L’écoute thérapeutique, comme le dit Levinas, est hospitalité, prévenante et oublieuse de soi. Samanta qui a renoué ce lien de la confiance mérite une déférence qui l’étonne et la revêt d’une dignité qu’elle ne soupçonnait pas. Son livre vient redonner vie, réinsuffler quelque chose : il fait naître à nouveau.

Serge MINET

1. Ben Sirac le Sage [3, 28-29].

PRENEZ-LE, JE L’AIME TROP

Cela faisait plusieurs semaines que ma consommation de drogue était de plus en plus chaotique, les hallucinations et les crises psychotiques allaient croissantes. Prise d’une peur panique, je me suis rendue chez une psychiatre pour déposer ce fardeau que je portais depuis huit mois.

Je lui ai tout expliqué en lui demandant de l’aide.

Elle m’a écoutée attentivement et m’a prescrit un médicament, le Solian1.

En me tendant l’ordonnance, elle me rassura et me dit que cette béquille m’aiderait et ferait disparaitre tous les symptômes.

Après m’être rendue à la pharmacie, j’ai ouvert la boîte de médicaments et j’ai lu la notice.

Voyant qu’on le prescrivait en cas de schizophrénie, je n’ai pas voulu le prendre, je ne me sentais pas concernée et je me suis dit qu’il n’était pas approprié à mon état.

Au lieu de ça, je suis allée acheter une boulette de coke et je suis rentrée chez moi.

Je n’avais jamais été autant accro, il ne restait plus rien de la Samanta que j’avais été, la coke l’avait complètement dévorée…

Les deux jours qui ont suivi, j’ai à peine dormi trois heures, je n’avais plus un sou, j’avais tout dépensé dans la came. Tout l’appartement empestait l’ammoniac avec lequel je préparais ma coke. Tout était en chantier. Des tas de déchets de ma consommation traînaient au sol : aluminium chiffonné, plusieurs bouteilles en plastique à terre, pleines de cendre qui me servait à fumer ma crasse, du linge accumulé dans toutes les pièces. Plus de langes, ni d’eau en bouteille pour le petit, à peine de quoi lui faire encore un biberon.

Mon corps et mon esprit étaient à bout…

En pleine descente et complètement paranoïaque, j’étais persuadée qu’il y avait des souris dans l’appartement et que quelqu’un nous surveillait derrière la porte.

J’avais collé le fauteuil contre la porte d’entrée et je m’y étais assise, mon bébé dans les bras, en alerte au moindre petit bruit, voulant, dans mon délire psychotique, le protéger.

Mes membres partaient tout seuls, pris de secousses répétées, mon système nerveux était réellement atteint. Il me fallait faire des efforts surhumains pour contrôler mes mouvements et rester immobile.

Je n’avais jamais connu ça avant, avec ce produit. Peut-être était-ce la coupe que mon nouveau fournisseur ajoutait à la coke…

Prise d’un élan de conscience, et craignant pour la vie de Medhi, je nous ai habillés avant de prendre un des comprimés dans la boîte de Solian.

Puis, je me suis rendue, mon bébé dans les bras, au bureau de police le plus proche afin d’expliquer mon désarroi.

En arpentant les rues qui menaient au commissariat, je regardais son petit visage dans la poussette, m’imprégnant de son image, sachant très bien qu’une fois arrivés à destination, nos chemins, forcément, se sépareraient.

Je n’avais pas le choix, il devait être protégé et moi j’en étais incapable…

Un inspecteur m’a reçue et m’a écoutée, puis, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, il m’a dit :

– Je ne peux rien pour vous, il faut que vous alliez à l’hôpital !

Mais comment est-ce possible, vous voyez une femme, complètement défoncée, arriver devant vous avec son bébé, expliquant qu’elle se sent en danger et vous la laissez repartir par ses propres moyens comme si de rien n’était !

Cet accueil aurait pu me faire douter, j’aurais pu me raviser et lâchement me dire « Allez, on va rentrer ! ». Mais non, j’ai fait ce qu’il m’a demandé.

J’ai pris le métro et je me suis rendue là où on nous connaissait, là où, huit mois auparavant, j’avais donné naissance à mon fils.

C’est la décision la plus difficile que j’ai eue à prendre de toute ma vie…

Je me suis présentée aux urgences en tendant mon bébé et en disant à cette étrangère, cette femme que je ne connaissais pas :

– Prenez-le, je l’aime trop !

Elle a emporté Medhi et une psychologue a été appelée pour m’entendre.

Le Solian commençait à agir et je ressentais sous l’effet de cette camisole chimique, que je n’arrivais plus à traduire en mots, mes pensées, comme si mon esprit était cloîtré.

Mon corps et mes muscles étaient complètement inertes, j’avais le sentiment de ne plus pouvoir agir, d’être emprisonnée.

Quand elle commença à me questionner, je suis restée quasi muette, les mots que je voulais prononcer étaient comme étouffés. Intérieurement, j’avais envie de hurler, de me justifier, d’expliquer, de crier ma souffrance, mais rien ne sortait si ce n’est quelques larmes sous mon regard vide et complètement amorphe. Difficile de vous expliquer ce sentiment de ne plus être maître de sa volonté, d’être malgré moi complètement ligotée…

Elle décida de nous hospitaliser, le petit en pédiatrie et moi en unité psychiatrique.

Complètement paniquée, désorientée, j’ai senti un gouffre intérieur horrible s’installer.

Je suis restée assise pendant plusieurs heures, fixant le mur de cette chambre aux murs crème.

Puis, dans un effort surhumain pour reprendre mes esprits, j’ai secoué la tête et je me suis levée. Je suis sortie de la chambre et j’ai longé le couloir avant d’arriver devant l’infirmière et d’exiger de signer une décharge. Il fallait que je rejoigne mon enfant !

Lorsque je suis entrée dans cette chambre minuscule, il était couché dans un lit à barreaux.

Il était sur le dos, dans son petit pyjama, serrant fort son doudou préféré dans ses bras et fixant le mur.

Quand je me suis approchée, il ne s’est pas retourné, il était empreint d’un désespoir que je pouvais toucher tellement je le ressentais.

J’ai prononcé son nom et là, dans un geste lent, il a tourné son petit visage vers moi, avec un regard empli de questions, qui disait :

– Mais qu’est-ce que tu fais ?

– Pourquoi je suis là ?

– Je sais que je souffre mais je ne comprends pas !

Ne sachant pas comment réagir à cette détresse, j’ai enlevé mes chaussures et j’ai escaladé le petit lit à barreaux pour me coucher contre lui.

Complètement recroquevillé, je suis restée là, à le serrer fort et je me suis mise à nous bercer.

Peu de temps après, une infirmière est passée dans la chambre, elle nous a regardés puis dans un silence pudique est ressortie. Ce respect de ce que l’on vivait, je ne pourrai jamais l’oublier.

Nous sommes restés toute la nuit enlacés, et ce n’est qu’au matin, avec les premiers symptômes du manque que je suis partie en lui promettant de revenir le soir.

Cela a duré une semaine, puis le Service d’Aide à la Jeunesse a décidé de placer Medhi dans une pouponnière. Je me suis inclinée, sachant très bien que malgré la souffrance immense que nous ressentions tous les deux, c’est ce qui était le mieux pour lui…

Mon histoire, notre histoire est celle là …

Pour commencer

« Venez, approchez, accompagnez-moi tout en me laissant tout vous raconter. Tout au long de mon histoire, je vous propose de marcher sur mes pas, de tomber où je suis tombée et de vous relever là où je me suis relevée. »

Mon père vient me chercher ce dimanche-là. Mes parents ne sont plus ensemble depuis un an, et je souffre énormément de cette séparation. Il est vrai qu’à cette époque, les seuls souvenirs que j’ai d’eux et de leurs échanges, ne sont que cris et disputes. Pourtant, dans mon esprit, ce n’est pas dramatique. Dans mon monde parfait, papa et maman doivent s’aimer, m’aimer et vivre ensemble.

Je me souviens de la première fois où je l’ai vue, « elle ». J’avais quatre ans. Mon père m’annonce qu’il a une nouvelle fiancée et je vais la rencontrer ce jour-là. Elle est également la mère de deux petites filles, l’une a trois ans et l’autre presque six. Je dis au revoir à ma mère, puis mon père me fait monter dans sa voiture et il me conduit au restaurant qu’il possède à l’époque. Il est situé près de la gare du Nord de Bruxelles, près d’une petite place à la jonction de la rue d’Aerschot et de la rue de Brabant, quartier en partie fréquenté par des prostituées.

Mon père et sa nouvelle compagne, Julia, occupent l’appartement au-dessus du restaurant. L’intérieur de l’établissement est fait, pour l’essentiel, de bois et de fer forgé. Un magnifique four à bois trône contre le mur du fond, ce qui donne à cet endroit l’allure typique des restaurants italiens. La salle peut contenir une vingtaine de tables qui sont, la plupart du temps, toutes occupées. Sur la droite, un comptoir est illuminé par de vieilles lanternes au plafond. Les personnes qui ne désirent pas manger peuvent y boire en grignotant quelques tapas. Le restaurant est apprécié non seulement pour sa bonne cuisine mais également pour son patron. Mon père aime son métier et cela se ressent dans tout ce qu’il fait. Il a un esprit de partage et un sens inné du contact. Son rire et sa bonne humeur sont communicatifs et les clients viennent aussi pour profiter de sa compagnie !

Je me rappelle que, lorsque je suis entrée dans le restaurant, mon père me l’a désignée du doigt. Je ne vois pas immédiatement son visage car elle est assise de dos sur un tabouret face au comptoir. Elle a de longs cheveux noirs qui descendent jusqu’à la taille. Elle est vêtue d’une jupe courte et porte des talons hauts, noirs également. Mon père s’approche d’elle et lui prend tendrement l’épaule. Elle se retourne, puis baisse les yeux pour me regarder. Deux ou trois secondes s’écoulent avant qu’elle ne me dise bonjour. Papa est là, il scrute mes réactions. La première chose que je dis en ne m’adressant qu’à lui, est : « Elle est belle, papa ! » En effet, ses traits sont harmonieux, elle a la beauté des femmes du sud et ses origines gitanes lui donnent une fière allure. Ses yeux noirs, expressifs, laissent deviner qu’elle a du caractère. Son regard est dur, elle m’impressionne.

Mon père m’assied à une table et m’apporte des escargots de Bourgogne pour le repas. Il sait que j’en raffole, il m’en sert à chaque fois qu’il vient me prendre pour notre visite, c’est notre petit rituel. Quand j’ai terminé de lécher mon assiette avec mon dernier morceau de pain, il me demande si j’ai envie que nous allions au marché tous les trois, car il doit ravitailler les cuisines du restaurant. J’acquiesce de la tête en signe de « oui ». Je suis méfiante et observatrice, j’essaye de capter leurs conversations et la manière dont ils se comportent l’un avec l’autre. Pendant la journée, elle est discrète, intervenant par moments, mais sans trop être envahissante.

On se promène tous les trois, dans les allées du marché, mon père et moi goûtons aux olives et aux fromages offerts par les commerçants. En passant devant une échoppe, mon regard est inexorablement attiré par une boîte de jeu posée sur l’établi d’un vendeur de jouets. Elle contient tout un kit pour devenir un vrai magicien ! Julia capte mon regard et me l’offre. Je suis heureuse, j’en ai toujours voulu une ! Ce geste me met en confiance : je la trouve gentille et, contre toute attente, je passe une bonne journée !

Lorsque je rentre chez ma mère, je suis surexcitée. Je lui raconte ma rencontre avec la nouvelle fiancée de papa et tout en lui montrant la boîte de jeu, je lui dis qu’elle est gentille en ajoutant : « Regarde ce qu’elle m’a offert. » D’un geste brutal, ma mère m’arrache la boîte des mains pour la mettre à la poubelle. Triste et en colère, je me mets à pleurer. Je ne comprends pas, c’est injuste ! Ne voulant plus entendre mes cris, elle m’envoie dans ma chambre.

J’essaye bien, le lendemain, de comprendre mais dès que je reviens sur le sujet elle me coupe net en me répondant que je comprendrai quand je serai plus grande. Maman n’est pas quelqu’un d’apaisant, je me sens sans cesse stressée et culpabilisée. Elle travaille jour et nuit pour m’assumer et assurer les frais quotidiens car mon père ne l’aide pas beaucoup financièrement. La journée, elle travaille comme encodeuse à la Bourse de Bruxelles et la nuit, comme serveuse pour arrondir les fins de mois.

Moi, je suis juste une enfant. Je ne vois pas tout ce qu’elle investit et sacrifie pour joindre les deux bouts. Il faut dire qu’elle n’arrive pas à le verbaliser, est sans cesse en colère, en train de se démener entre sa vie de mère, de femme et d’épouse bafouée. Tout ce que je vois et vis avec elle durant cette période, ce sont ses coups de gueules incessants, surtout à propos du départ de mon père et de son incapacité, à lui, à s’occuper de moi. Elle vit très mal le culte que je lui voue, elle trouve ça injuste. Moi, je la trouve dure et je ne peux accepter qu’elle dise du mal de lui. Ma loyauté envers mon père est inébranlable…

Je ne me sens jamais aussi bien que lorsqu’il est là. Il est une force tranquille, ne m’empoisonne pas avec ses ressentis, m’épargnant ainsi la dure réalité de la situation. Nous sommes très complices, nous rions, chantons et discutons. Tout ce que nous partageons a le goût de la sincérité. Avec maman, c’est tout le contraire : elle me fait part de chacune de ses émotions, qui sont souvent emplies de colère et de rancœur. Elle crie, hurle et se révolte contre tout son vécu. Elle me fait des reproches incessants et ne comprend pas que je ne me dresse pas contre mon père. Comment aurais-je pu ?

Malgré tout, je reste loyale et respectueuse de ce qu’elle représente et est à mes yeux. Ce que je narre ici, c’est mon ressenti en tant qu’enfant, mais il est également important de comprendre à quel point elle a été présente, chose que je ne réalisais pas forcément à l’époque. Je me rends tellement compte de ce qu’elle a pu vivre et éprouver, maintenant que je suis moi-même devenue mère. Lors de tout mon parcours, elle a toujours été là ! Contrairement à mon père, elle a pris ses responsabilités avec moi, ce que lui n’a jamais fait. Elle a aussi souvent levé les armes pour me défendre, ce que lui n’a jamais eu le courage de faire. Contre vents et marées, elle est restée mère.

Pourtant, depuis l’âge de quatre ans déjà, nous n’arrivons plus à dialoguer. Nous sommes pourtant d’accord sur beaucoup de choses mais la façon dont nous le formulons débouche automatiquement sur un rapport de force. Toutes deux abandonniques et abandonnées, nous avons installé un mécanisme basé sur le chantage affectif et la culpabilisation qui rend nos rapports malsains. Chacune en quête de reconnaissance, nous sommes souvent passées à côté de l’essentiel. Elle subit sa vie ! Son sens du devoir ne la fait jamais abandonner mais je le paie cher !

J’ai heureusement quelqu’un de fiable et d’affectueux, ma grand-mère, avec qui je passe beaucoup de temps. C’est surtout elle qui s’occupe de moi, prenant ainsi le rôle d’une seconde mère. Je dors régulièrement chez elle et il n’est pas rare qu’elle m’emmène et vienne me rechercher à l’école. J’adore ses petits plats et j’ai encore le souvenir du sentiment de sécurité que m’apporte l’odeur de sa cuisine. Ces petits moments câlins que nous partagions, avant d’aller dormir, resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Elle n’a qu’un lit, donc je dors avec elle. Elle déplace la table à roulettes sur laquelle est posée sa télévision du salon à la chambre pour qu’on puisse la regarder avant de dormir. Ensuite, je me blottis tout contre elle et elle me caresse l’intérieur du bras jusqu’à ce que je m’endorme. Je l’aime de tout mon être et elle me le rend bien.

1. Au départ principalement utilisé comme antipsychotique atypique (employé pour traiter la psychose dans la schizophrénie et les épisodes de manie dans le trouble bipolaire), il s’est avéré être un traitement remarquable contre la dépression, la dysthymie ou l’anxiété mais en employant des doses plus petites que pour les psychoses.

LA FACE CACHÉE DE JULIA

Puisque ma rencontre avec Julia s’est bien passée, mon père décide que je vais passer le week-end chez eux. Ce jour-là, je fais la rencontre de ses deux filles. La première nuit, au coucher, faute de place, elle nous fait dormir toutes les trois dans le même lit. On rit et chahute, heureuses de faire connaissance.

Elles n’ont pas eu l’air étonnées lorsque leur mère entre, ceinture à la main et nous dit sèchement: « J’ai demandé du silence ! A terre, toutes les trois, levez votre robe de nuit ! » Moi, par contre, je suis saisie par cette entrée fracassante. Figée par la peur, je ne réagis pas tout de suite à son ordre. Elle me regarde et, d’un ton calme, le sourire aux lèvres, elle me dit : « Toi aussi ! » Elle nous met en rang d’oignons et, d’un coup sec, nous donne un coup de ceinture qui nous atteint toutes les trois en même temps. Le sifflement de cette ceinture, le coup, la brûlure, la marque autant physique qu’émotionnelle, je ne les ai jamais oubliés !

Ses réactions sont imprévisibles, elle me terrorise ! Elle s’arrange toujours pour que mon père n’assiste pas à ces scènes. En ce qui le concerne, je ne lui dis rien pendant longtemps, pareil pour ma mère. Julia est déjà dure avec ses filles, mais elle l’est encore plus avec moi. Je pense que les gamines ont un peu de répit quand je débarque en week-end car elle s’acharne alors plus sur moi. Il n’est pas rare que ses filles provoquent des situations qui me compromettent et qui engendrent la colère de leur mère. Que puis-je faire, sinon apprendre à encaisser en espérant qu’un jour quelqu’un se rende compte de ce que je vis et vienne rétablir la justice ?

Vous savez, à l’époque, je ne cesse pas de revendiquer que mon père est un héros. C’est ma vérité, au point que je préfère, pour le garder près de moi, supporter la méchanceté et le sadisme de ma belle-mère. Cela marque pour moi le début de la mise en place d’un tas de stratagèmes pour épargner tout le monde. Je vais régulièrement chez elle, mais mon père n’est pas souvent présent. Il rentre du travail très tard, je dois donc passer la majorité des week-ends avec elle et ses filles.

D’ailleurs, lorsqu’il ne peut pas venir me chercher, Julia exige que ma mère me dépose non pas devant la maison mais au coin de la rue. Il lui est en effet interdit de se garer devant la porte. Ma mère se plie à cette exigence, uniquement parce que je le lui demande.

Au fil de petits éléments que je lui livre, elle comprend que Julia me fait peur mais je la supplie de ne pas créer de conflit. J’ai trop peur de ne plus voir papa…

Enfin, ma mère met toujours un point d’honneur à ce que je sois tirée à quatre épingles, habillée avec les vêtements qui sont à la dernière mode. Dès que j’arrive chez Julia, elle m’enlève ce que je porte pour m’imposer son choix vestimentaire. Elle m’oblige aussi à faire deux tresses de mes cheveux longs. Elle m’arrache mon identité ! Ce que je suis, ce que je porte, ce que je pense, ce que je dis… rien n’est bon !

Ma mère perçoit la personnalité et la méchanceté de Julia. Mais dès qu’elle veut en parler à mon père, je fais immédiatement une crise de nerfs. Je sais en effet que, de toute manière, c’est moi qui paierai au final !

Les années passent. Je me construis comme je peux au milieu de ce chaos. À huit ans, Julia m’a déjà appris à passer le torchon, prendre les poussières mais aussi à repasser le linge ainsi que les chemises et les costumes de mon père. Ses filles et moi faisons toutes les tâches ménagères pendant qu’elle se prélasse devant la télévision.

Un jour, mon père part et les filles de Julia sont chez leur tante.

Je suis alors seule avec elle.

Le restaurant étant fermé, elle décide qu’on doit le nettoyer. Une fois terminé, elle me fait à manger. C’est immonde ! Tout est brûlé, carbonisé même, mais elle m’oblige quand même à l’avaler. J’y arrive, finalement, j’ai trop peur des représailles. Il faut dire qu’elle sait être convaincante…

Malgré tous mes efforts, je vomis tout dans mon assiette. Elle me demande alors de remanger ce que je viens de recracher ! Et je le fais…

Pendant de longues années, je vivrai une foule d’humiliations similaires à celle-ci… les germes de la colère et de la haine créent au fur et à mesure une cloison de protection et de méfiance avec la plupart de mes relations. Je n’ai pas confiance dans les grands ! Les adultes qui m’entourent sont défaillants, lâches et pitoyables…

J’ai maintenant douze ans. Dans la même rue que celle du restaurant de mon père, un couple d’Italiens décide de revendre son café, « le Vox ». Mon père y va régulièrement pour y taper la carte et boire son café. Il a beaucoup d’amis parmi les clients, en majorité italiens. Les affaires fonctionnent bien pour lui, il décide donc de le reprendre. Dans le même temps, il acquiert avec Julia une grande maison de maître qu’ils décident de rénover.

Quand ils s’y installent, la partie du rez-de-chaussée est en travaux et sans électricité. Dans le jardin, il y a une dizaine de marches qui conduisent à une cave sombre, délabrée et humide. Ma belle-mère y installe sa buanderie. Enfin, si on peut l’appeler comme ça… Dans un des deux renforts de la cave, séparée uniquement par un mur en béton brut et pourri par l’humidité, il y a une machine à laver et un séchoir.

Elle passe ses journées à regarder des films d’horreur. Le soir, à la nuit tombée, lorsque mon père est au travail, son grand plaisir est de nous obliger à visionner ces films avec elle, pour ensuite tester notre courage. Elle nous oblige à descendre les escaliers de cette immense maison de maître, à traverser dans le noir le rez-de-chaussée, à passer par une partie du jardin, descendre dans cette cave et faire tourner le linge.

Je suis terrorisée ! Ce parcours est pour moi une vraie torture. Les images des films que je viens de voir me hantent. L’odeur d’humidité de la cave me donne la nausée. Mon cœur bat si fort que ma poitrine me fait mal, j’ai peur… C’est également à cette époque que je comprends qu’elle pratique aussi la magie noire. Elle a plusieurs livres ainsi que tout un tas d’objets qu’elle range dans une armoire fermée à clé. Elle reçoit parfois des gens « en consultation » : elle aurait le pouvoir de parler avec les morts. Il lui est arrivé de faire semblant, devant moi, d’être en transe, gémissant et basculant la tête en arrière. Un matin, je retrouve même, sous mon oreiller, ma photo enroulée dans des cheveux, les miens, je suppose.

Je suis encore une enfant, je crois ce qu’elle dit et je sais pertinemment qu’elle ne me veut pas du bien. Je suis persuadée, lorsque je suis dans cette cave, qu’un esprit va apparaître et m’emporter. Je crois qu’en fait, j’ai plus peur d’elle que de la mort. Sadique est le seul mot qui me vient pour qualifier cette femme !

Je ne vais pas citer les multiples sévices que j’ai subis mais ce qu’il faut en déduire, c’est que je les ai endurés uniquement pour être près de mon père. Ah, sacré Œdipe ! J’en ai bavé à cause de toi !

Par la suite, je tente quelques fois d’expliquer à mon père la manière dont elle me traite, mais il ne me croit pas. Pour lui, c’est impossible. Et vous savez quoi ? Je le comprends ! Je lui trouve toujours un nombre incommensurable d’excuses. Je me dis qu’il n’aime pas les conflits, qu’il bosse beaucoup, et je finis par banaliser ce que je vis.

Mes silences sont des appels au secours. Il m’arrive de m’imaginer que l’on vient m’enlever pour me donner à une famille qui n’aurait pas d’enfant et qui se rendrait compte quelle merveilleuse petite fille je suis. Je fais des allers-retours entre le domicile de mon père et celui de ma mère, habitant une fois chez l’un puis chez l’autre. Malheureusement, je ne me sens en sécurité nulle part. Ce qui est avantageux chez maman, c’est qu’elle me laisse pas mal de liberté. J’ai les clés de la maison, et je suis très autonome. Elle me fait confiance, la seule condition étant d’être rentrée quand le soleil se couche.

Souvent, après l’école, je prends mon vélo ou mes patins et je vais me promener dans les cités avoisinantes.

Je suis une bonne élève, toujours classée parmi les trois premiers de la classe.

J’ai des facilités pour apprendre : je n’étudie même pas, il me suffit d’écouter le cours pour assimiler la matière.

Pour supporter tout le reste, j’ai ma méthode : le sport. Douée pour la danse, je cours, dès que j’en ai l’occasion, rejoindre mes potes pour quelques enchaînements de danse, la radiocassette sous le bras. Quand ce n’est pas possible, je file à la piscine, et j’y passe toute ma journée.

Un jour, à l’école, un de mes copains de classe exhibe fièrement un brevet de 400 mètres nage libre. Sa suffisance m’a irritée ; d’un air plus arrogant encore, je lui réponds :

« Je te ramène le 800 mètres lundi. »

Le week-end suivant, ni une ni deux, je prends mes affaires et je vais à la piscine. J’interpelle le maître-nageur et je lui parle de mon défi. Amusé, il joue le jeu et nous voilà partis pour 800 mètres. Une fois ceux-ci terminés, il me dit :

– Continue ! Je suis persuadé que tu peux aller jusqu’à mille.

Quand les 1000 mètres ont été achevés, il me dit à nouveau :

– Continue jusqu’à 1500 mètres, tu peux y arriver !

Lorsque je suis sortie de la piscine, il a dû me donner un sucre, la terre tournait sous mes pieds, mais je les avais faits, ces 1500 mètres !

Comme quoi, il suffit parfois de trouver une personne qui croit en vous pour finir par y croire aussi.

J’ai toujours eu une volonté à toute épreuve ; par contre, j’ai toujours eu besoin d’un moteur.

Je ne suis pas d’un naturel patient et je sais ce que je veux, mais si je résume, je suis tenace et déterminée, c’est peut-être pour cela que je suis encore en vie.

Cette même année, celle de mes douze ans, ma grand-mère décède. C’est là que tout bascule. Sans elle, mon équilibre déjà si fragile s’effondre. De la petite fille docile, sportive et studieuse que j’étais, je deviens révoltée, en colère. J’ai des choses à dire et je le fais haut et fort ! Je n’accepte plus ! Mes parents décident de me mettre à l’internat. Livrée à moi-même et ne supportant plus aucune autorité, je vois mes notes chuter. Mes fréquentations, je les trouve chez les marginaux et l’adolescence n’aidant pas, je pars à la dérive.

À l’époque, un médicament nommé Optalidon, un puissant antalgique, circule chez les élèves, il est facile de se le procurer car il est en vente libre. Je commence par avaler deux ou trois comprimés puis je finis par engloutir des plaquettes entières. Quand je suis dans cet état second, la réalité se fait plus douce et plus facile à supporter.

Un soir, avec deux copines de l’internat, nous décidons de faire le mur dans le seul but de sortir en boîte. Ce n’est pas difficile car nos chambres donnent sur le rez-de-chaussée. Nous n’avons qu’à mettre des vêtements sous nos couvertures et ouvrir la fenêtre. Nous le faisons quelques fois sans nous faire prendre, jusqu’à ce que, une énième fois nous passons la nuit dehors. Là, complètement groggy par les comprimés, nous nous endormons à même le sol en bas d’un immeuble. Des policiers, passant par là, nous arrêtent et nous emmènent au commissariat. Ils préviennent immédiatement mes parents. Je me souviens de leurs yeux, de ce regard qui était un mélange d’incompréhension et de déception.

Je pense qu’ils ne s’étaient pas rendus compte que j’en étais arrivée là….

Ma mère me ramène chez elle, puis me borde comme j’adorais qu’elle le fasse quand j’étais toute petite. Elle est affectueuse et s’occupe de moi toute la nuit. Je pense que ce soir-là, quelque chose de l’ordre de l’inconscient s’est déclaré au niveau de mon comportement : si je me fais du mal, on s’occupe de moi ! C’est malheureusement cela qui me guidera pendant près de dix-huit ans…

Aujourd’hui j’ai treize ans. Je passe la nuit chez mon père. Le lendemain, quand je me lève, ma belle-mère est, comme d’habitude, affalée dans son fauteuil. Elle me regarde puis me dit : « J’ai vu ce que tu as fait cette nuit ! Tu es vraiment dégoûtante, je vais le dire à ton père ! » Elle m’a épiée en train de me masturber ! J’ai honte, je la supplie de ne pas le faire. De fil en aiguille, elle me dit, tout en me montrant un dictaphone :

« Si tu me laisses t’enregistrer sur cette cassette, que tu dis que ta mère boit et qu’elle a de mauvais comportements avec toi, je ne lui dirai rien. » C’est faux évidemment mais je le fais ! Il ne faut pas que papa sache…

Par la suite, maman fait appel à une assistante sociale en lui expliquant les difficultés qu’elle rencontre avec moi. Celle-ci en réfère à un juge de la jeunesse, et tout le monde est entendu.

Je ne parle pas des sévices que j’ai subis et de ce que je vis au quotidien. Ma mère est chargée un maximum par mon père et ma belle-mère. La fameuse cassette revient sur le tapis car, par culpabilité, j’en parle à ma mère. Le juge décide finalement de me placer en « home ». Pendant les trois années suivantes, je transiterai par beaucoup d’établissements identiques. Je suis aussi intelligente et futée que je suis ingérable. Je fugue régulièrement et personne n’arrive à me canaliser. Lors d’un entretien avec le juge de la jeunesse, je demande à retourner chez mon père. Il accepte ! J’y reste une courte période, période durant laquelle les conflits recommencent.